PRB 99-10F

 

LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

 

Rédaction :
Sonya Norris
Division des sciences et de la technologie
Le 19 juillet 1999


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

QU'EST-CE QUE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

COMMENT S'EST DÉVELOPPÉE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

LES CONSÉQUENCES DE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

PEUT-ON VAINCRE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

QUE FAIT-ON POUR VAINCRE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

   A. Au Canada

   B. À l’étranger

LA RECHERCHE SUR LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 


LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

INTRODUCTION

Les maladies de l’homme résultent souvent de la présence de bactéries nuisibles dans l’organisme. Notons d’entrée de jeu que les bactéries ne sont pas toutes nuisibles; en fait, la plupart des milliers de souches bactériennes sont bénignes et, dans certains cas, bénéfiques ou nécessaires à l’espèce humaine. Les infections bactériennes qui causent les maladies sont, par ailleurs, souvent traitées aux antibiotiques.

Les antibiotiques sont des substances produites par des micro-organismes (comme les bactéries) qui peuvent attaquer ou détruire d’autres micro-organismes. Le premier antibiotique à avoir été découvert, en 1929 par Alexander Fleming, est la pénicilline. Sa production pour usage commercial en 1941 a constitué un jalon important de la médecine; ainsi, cet antibiotique a permis de réduire les décès causés par les maladies infectieuses durant la Deuxième Guerre mondiale. Les antibiotiques, qu’on peut maintenant produire synthétiquement, sont prescrits de façon courante depuis des dizaines d’années pour le traitement des maladies et des maux causés par les infections bactériennes. Après avoir été exposé aux antibiotiques, une petite proportion des bactéries nuisibles ont développé une résistance à leur endroit. Nous examinons ici ce phénomène.

QU’EST-CE QUE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

La résistance aux antibiotiques est la capacité d’une souche bactérienne de survivre à l’exposition à un antibiotique spécifique. Il n’est pas rare qu’une lignée bactérienne acquière de la résistance à un certain nombre d’antibiotiques, mais elle finira généralement par succomber à l’un de ceux qui existent. Cependant, aujourd’hui, des lignées bactériennes manifestent de la résistance à plusieurs antibiotiques et bien des gens craignent que ces lignées et d’autres finissent par développer une résistance aux derniers antibiotiques efficaces qui restent. En fait, il existe déjà trois lignées qui sont immunes à plus de 100 médicaments antibiotiques. Une fois qu’elles seront résistantes à tout l’arsenal antibiotique, ces souches bactériennes pourraient donner lieu à des épidémies dévastatrices.

COMMENT S’EST DÉVELOPPÉE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

Depuis leur apparition, les antibiotiques sont considérés comme des panacées. Ces médicaments n’ont pas été prescrits avec prudence et on n’a pas suffisamment veillé à la posologie; on en a abusé et on les a mal utilisés. Dans certains cas, la nature même de l’antibiotique favorise le développement de la résistance. En fait, en raison du mécanisme même de fonctionnement de ces médicaments et de la nature des bactéries, le problème de la résistance aurait dû être prévu depuis longtemps.

On peut classer les bactéries selon qu’elles sont susceptibles, tolérantes ou résistantes à un antibiotique particulier. Lorsqu’un antibiotique attaque un groupe de bactéries, les cellules susceptibles meurent. Les souches tolérantes, elles, cessent de se développer : elles ne prennent pas d’expansion mais elles ne sont pas tuées. Normalement, l’effet du médicament sur les bactéries tolérantes est suffisant pour stopper leur développement et permettre au système immunitaire de l’organisme de les éliminer. Cependant, lorsqu’on retire le médicament trop vite, les cellules tolérantes sont capables de proliférer à nouveau. La tolérance est souvent un précurseur de la résistance. Les lignes résistantes de bactéries continuent de se développer même lorsqu’elles sont exposées au médicament. Ainsi, si le traitement antibiotique prend fin et qu’il reste de cellules résistantes, celles-ci continueront à se multiplier, et causeront une autre infection de grande envergure, qui cette fois ne sera pas touchée du tout par une nouvelle exposition à l’antibiotique utilisé précédemment. En outre, les antibiotiques ont le même effet sur les bactéries non nuisibles et sur les bactéries nuisibles qu’héberge l’organisme humain. Les bactéries non pathogènes(1) qui résistent aux antibiotiques peuvent donc constituer une source de gènes de résistance pour les nouvelles bactéries nuisibles qui envahissent l’organisme.

Les bactéries peuvent acquérir de la tolérance et de la résistance de plusieurs façons. Elles produisent facilement des mutations et sont souvent l’objet d’insertions génétiques, d’une génération à l’autre. Une souche peut par exemple « acquérir » un gène de résistance de l’ADN d’un virus qui l’infecte ou encore en absorbant du matériel génétique d’une bactérie morte.

Bien des experts concluent que les antibiotiques n’ont pas été traités avec le respect qu’ils méritent. Leur surutilisation, leur mauvaise utilisation et leur usage non médical sont largement à blâmer pour le problème de la résistance, puisque chaque exposition aux antibiotiques encourage les lignées résistantes de bactéries, tant pathogènes que non pathogènes. Il faut réduire au minimum ou faire cesser la surexposition et la surutilisation. Souvent, les malades demandent des antibiotiques à leur médecin alors que rien ne prouve que ceux-ci soient nécessaires; le médecin se rend parfois à leur demande, croyant que l’antibiotique ne fera pas de tort. En outre, il s’est révélé que des antibiotiques sont souvent prescrits avant qu’on ait vérifié la présence de l’infection. Il se pose aussi un autre problème : certains malades cessent de prendre des antibiotiques dès qu’ils se sentent mieux, en gardant la portion inutilisée pour se l’administrer à une autre occasion. Dans un cas comme dans l’autre, le mauvais dosage du médicament fera en sorte que celui-ci n’éliminera pas complètement l’agent infectieux et encouragera plutôt la croissance de lignées tolérantes et résistantes.

La prolifération récente des produits d’entretien domestique contenant des agents antimicrobiens favorisera également l’apparition de lignées résistantes. En outre, plus de la moitié des antibiotiques produits sont utilisés en agriculture ou en médecine vétérinaire. Ils sont distribués à faible dose dans la nourriture du bétail pour favoriser sa croissance, ou encore pulvérisés en aérosols au-dessus des champs et surtout des vergers afin de prévenir les infestations bactériennes. Ces usages favorisent eux aussi le développement de lignées résistantes, qui peuvent par la suite pénétrer dans le corps humain parce que les personnes manipulent la nourriture avec les mains sales ou consomment de la viande insuffisamment cuite ou des fruits et légumes non lavés.

LES CONSÉQUENCES DE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

Les conséquences possibles du progrès des bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient être très graves. Certains experts pensent même que la situation, exacerbée par la croissance démographique, l’urbanisation, la fréquence des voyages internationaux et l’évolution de lignées bactériennes plus fortes, pourrait être pire que celle qui existait avant la découverte de la pénicilline. Des maladies qu’on croyait avoir éradiquées sont réapparues. Ainsi, la tuberculose s’est révélée plus difficile à soigner qu’avant, à cause de la résistance acquise par la bactérie Mycobacterium tuberculosis. Sans de nouvelles méthodes de lutte, les infections bactériennes potentiellement mortelles pourraient poser une grave menace à l’humanité. Certaines des maladies les plus dangereuses sont d’origine microbienne : pneumonie, méningite, tuberculose, endocardite, septicémie, choléra, botulisme et fasciite nécrosante (causé par la mangeuse de chair). Parmi les maladies non mortelles mais fréquentes pour lesquelles on prescrit des antibiotiques, mentionnons les otites, les infections urinaires et les infections de la gorge.

PEUT-ON VAINCRE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

Il semble possible d’arrêter, ou même d’inverser, le développement de la résistance aux antibiotiques; une chose est sûre, on peut en ralentir la progression. Parmi les suggestions des experts du domaine, il y a l’abolition de l’usage non médicinal des antibiotiques en agriculture et dans l’élevage, et son remplacement par d’autres solutions abordables. Il est également suggéré que les médecins s’assurent que les antibiotiques ne sont prescrits que lorsque leur nécessité s’est avérée. En outre, il faut insister sur l’usage et la posologie de ces médicaments, pour que les malades épuisent leur ordonnance. Parmi les autres mesures, il y a la sensibilisation du public à la nécessité de bien cuire la viande, de bien laver les fruits et les légumes crus, et de réduire ou éliminer le recours aux produits ménagers antimicrobiens. Les microbes pathogènes peuvent pénétrer dans l’organisme lorsque l’épiderme contaminé des mains touche le nez, la bouche, ou des blessures; par conséquent, se laver les mains, à la maison comme en clinique ou à l’hôpital, est une des façons les plus faciles, mais souvent négligée, de se prémunir contre l’infection bactérienne.

Certains ont affirmé que la résistance bactérienne aux antibiotiques durera jusqu’à ce que la perception que le public a des microbes se modifie. Les mesures visant à éliminer les infections pathogènes doivent s’accompagner d’efforts délibérés pour permettre la survie des lignées non pathogènes, puisque l’élimination des « bonnes » bactéries donne un avantage aux souches microbiennes résistantes.

QUE FAIT-ON POUR VAINCRE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES?

   A. Au Canada

À Montréal, en 1997, une conférence sur les « supermicrobes » a débouché sur un plan d’établissement d’un organisme national, le Comité de coordination canadienne sur la résistance aux antimicrobiens (CCCRA). Le Comité a récemment reçu des fonds du Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada pour mettre sur pied une stratégie nationale coordonnée destinée à contrôler, à combattre et à réduire la résistance aux antibiotiques. Le Comité a retenu trois pistes : 1) diminuer le recours aux antibiotiques, à la fois chez l’homme, en agriculture et dans l’élevage, 2) assurer la surveillance nationale des lignées résistantes et 3) améliorer les programmes de lutte régionaux, provinciaux et fédéraux en place. Le Programme canadien d’évaluation extérieure de la qualité – Groupe consultatif sur la résistance aux antibiotiques, du CCCRA, s’occupe des tests et des rapports sur la susceptibilité antibactérienne afin de produire des qualités et des données de plus grande qualité à l’appui d’un système national de surveillance de la résistance aux antimicrobiens.

   B. À l’étranger

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a un programme de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (ARM), qui collabore avec l’industrie pharmaceutique à contenir la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques. Au Danemark, la surveillance a permis de réduire la proportion de Staphylococcus aureus résistant aux antibiotiques de 30 p. 100 des infections en milieu hospitalier durant les années 70 à 0,1 p. 100 aujourd’hui. Au Danemark, les malades font l’objet de dépistages systématiques et sont immédiatement isolés s’ils se révèlent infectés. En outre, en première ligne du traitement bactérien, on prescrit d’anciens antibiotiques, en laissant les nouveaux comme dernier recours. Toutes les ordonnances d’antibiotiques sont contrôlées. D’autres pays disposent de programmes complets sur la résistance aux antimicrobiens : l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Italie, la République tchèque, et la Suède. L’Alliance pour la prudence dans l’utilisation des antibiotiques est une organisation internationale qui contrôle l’apparition de lignées résistantes aux antibiotiques à l’échelle mondiale.

LA RECHERCHE SUR LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

Face à l’augmentation des lignées bactériennes qui ont développé une résistance aux antibiotiques, l’industrie pharmaceutique a accéléré la recherche et le développement de nouvelles solutions. Certains résultats de la recherche indiquent que les antibiotiques fonctionnent en déclenchant une réaction chez les bactéries qui conduit à leur propre mort; cette réaction de suicide est maintenant confirmée. Les bactéries qui ne possèdent pas cette « technique » sont résistantes aux antibiotiques. En outre, on met au point de nouveaux médicaments qui interfèrent avec le mode de défense des cellules résistantes contre certains antibiotiques. Ainsi, on a trouvé que les bactéries qui résistent à la pénicilline produisent de la penicillinase, enzyme qui fracture la pénicilline avant qu’elle puisse agir. On dispose maintenant d’un inhibiteur de cette enzyme. Donné en fonction avec la pénicilline, l’inhibiteur permet à la pénicilline de faire son travail, et empêche en même temps la penicillinase de détruire l’antibiotique. Certains de ces nouveaux produits sont à l’étape des essais cliniques et devaient être sur le marché d’ici deux ou trois ans; d’autres en sont encore au stade du développement et on espère les amener au stade clinique dans cinq ans environ.

CONCLUSION

L’accroissement du recours aux antibiotiques et, parfois, leur mauvais usage, a donné lieu à la résistance des bactéries à un nombre de plus en plus grand de ces médicaments. Même si la recherche pour trouver de nouveaux antibiotiques continue, il importe de prendre des mesures pour mettre un terme aux pratiques qui favorisent le développement de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Levy, Stuart B. « The Challenge of Antibiotic Resistance ». Scientific American, vol. 278, no 3, mars 1998, p. 46-53.

Nemecek, Sasha. « Beating Bacteria ». Scientific American, vol. 276, no 2, février 1997, p. 38-39.

Paton, Shirley. Centre de coordination canadienne sur la résistance aux antimicrobiens, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, Communication personnelle.

Rapport d’un atelier de l’OMS tenu en collaboration avec l’Associazione Culturale et Microbiologia Medica d’Italie, Vérone, Italie, 12 décembre 1997, Site Internet : www.who.int/inf-fs/fr/am194.html de l’Organisation mondiale de la santé.


(1) Les bactéries pathogènes sont celles qui causent la maladie; les bactéries non pathogènes sont normalement présentes dans l’organisme et sont sans danger.