Direction de la recherche parlementaire


PRB 99-16F

 

LES DROITS AUTOCHTONES

 

Rédaction :
Mary C. Hurley
Division du droit et du gouvernement
Le 8 septembre 1999
Révisé le 13 juillet 2000


 

TABLE DES MATIÈRES

 

CONFIRMATION CONSTITUTIONNELLE

INTERPRÉTATION JURIDIQUE :   DROITS ANCESTRAUX

INTERPRÉTATION JURIDIQUE :  DROITS ISSUS DE TRAITÉS

QUESTIONS EN SUSPENS

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


LES DROITS AUTOCHTONES

Confirmation constitutionnelle

Dans les années 70, les tribunaux canadiens ont commencé à reconnaître que l’occupation des terres par les peuples autochtones depuis des temps immémoriaux leur conférait des droits juridiques qui n’étaient pas prévus dans des traités ni dans des lois. La constitutionnalisation des droits ancestraux et des droits issus de traités en 1982 a créé un nouveau cadre juridique pour l’examen des revendications autochtones de longue date. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas créé de droits; elle ne fait que reconnaître et confirmer les « droits existants – ancestraux ou issus de traités – » des peuples autochtones du Canada. Le texte précise en outre que ces droits ne sont pas assujettis à la Charte canadienne des droits et libertés, et plus particulièrement à la clause limitative qu’est l’article premier. Vu l’absence de définition des droits, il revenait manifestement aux tribunaux d’interpréter la portée de l’article 35.

Interprétation juridique :  Droits ancestraux

Les causes étudiées par la Cour suprême du Canada jusqu’à maintenant ont porté dans une large mesure sur les revendications des Autochtones en ce qui concerne les droits de pêche, dans le contexte d’accusations portées aux termes de divers règlements sur les pêches. On s’est attardé, dans les décisions rendues, à préciser les principes généraux, tout en soulignant que le dénouement de chaque cause touchant les droits ancestraux dépend des faits de l’espèce. En 1990, l’arrêt Sparrow, qui fait jurisprudence, a établi un cadre initial d’interprétation. La Cour a alors déterminé que, pour ce qui est des droits, le mot « existants » signifie « non éteints ». Même si les droits conférés par l’article 35 peuvent limiter l’application des lois fédérales et provinciales aux peuples autochtones, il ne faut pas en déduire que ces derniers ne sont pas assujettis à la réglementation gouvernementale. Cependant, la Couronne doit démontrer que toute atteinte, par la voie législative, à un droit autochtone existant est justifiée. Du fait de ce critère, la Couronne doit donc prouver que les mesures qui portent atteinte au droit visent un « objectif législatif valide » – comme la conservation de richesses naturelles – et qu’elles respectent la responsabilité et l’obligation spéciale de fiduciaire du gouvernement fédéral envers les peuples autochtones. Pour trancher la question, il faut aussi déterminer, suivant les circonstances, si l’atteinte a été minime, si une indemnisation juste a été accordée (dans les cas d’expropriations) et si le groupe autochtone touché a été consulté.

Plusieurs décisions rendues en 1996 sont venues compléter les lignes directrices découlant de l’affaire Sparrow. Dans la trilogie d’arrêts portant sur le droit de pêcher à des fins commerciales (Van der Peet, Gladstone et Smokehouse), la majorité des juges de la Cour a défini les droits ancestraux comme des droits découlant de pratiques, de traditions et de coutumes qui étaient fondamentales pour les sociétés autochtones avant l’arrivée des Européens. Pour être reconnues comme droits ancestraux, ces pratiques et traditions doivent – même si elles ont évolué et pris des formes modernes – avoir fait partie intégrante de la culture distinctive des peuples autochtones. Les juges dissidents et d’autres ont estimé que cette définition est trop limitative et qu’elle impose un lourd fardeau de la preuve aux demandeurs autochtones. Dans cette trilogie, la Cour a également établi que la constitutionnalisation des droits ancestraux était destinée à concilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par les peuples autochtones avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne sur le territoire canadien. Dans les arrêts Côté et Adams sur les droits de pêche, la Cour a jugé que la protection des droits ancestraux aux termes de l’article 35 ne dépend ni des titres autochtones ni de la reconnaissance de ces droits par les puissances coloniales après l’arrivée des Européens en Amérique du Nord. Dans l’affaire Pamajewon, qui soulevait des questions d’autonomie gouvernementale en ce qui concerne les jeux d’argent aux enjeux élevés, la Cour a statué qu’en présupposant que l’article 35 s’applique aux revendications touchant l’autonomie gouvernementale, ces dernières sont assujetties au même cadre analytique que les autres revendications de droits autochtones.

En décembre 1997, la Cour a rendu l’arrêt Delgamuukw, qui fait jurisprudence relativement au titre aborigène. Elle a alors précisé les principes s’appliquant à cette catégorie de revendication de droits ancestraux. Même si la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond dans sa décision sur cette affaire, elle a confirmé que l’article 35 avait constitutionnalisé dans sa forme complète le titre aborigène en common law et qu’il existait une distinction entre le titre aborigène et les autres droits ancestraux, parce qu’il naît du rapport entre un territoire et un groupe. La Cour a jugé que le degré de rattachement avec le territoire est déterminant pour établir la portée des droits ancestraux, qu’elle a situés dans un spectre. À une extrémité du spectre, il y a le titre aborigène, qui confère le droit le plus vaste, soit le droit au territoire même.

Après avoir défini les critères servant à prouver le titre aborigène (occupation relativement exclusive du territoire avant l’affirmation de la souveraineté de la Couronne sur celui-ci, occupation qui s’est poursuivie de façon relativement continue jusqu’à nos jours), la Cour a exposé les critères justifiant une atteinte à ce titre, suivant les principes généraux établis dans ses décisions antérieures relatives à l’article 35. Les objectifs législatifs pouvant être invoqués pour porter atteinte au titre aborigène sont donc relativement vastes, alors que la nature de l’obligation de fiduciaire du gouvernement est fonction de la nature du titre. Le fait que le titre aborigène englobe le droit d’utiliser et d’occuper en exclusivité les terres est pertinent lorsque vient le temps de déterminer le degré d’examen requis à l’égard de la mesure ou de l’intervention causant l’atteinte; le fait que ce titre englobe également le droit de choisir comment les terres seront utilisées influe sur la nature et la portée de l’obligation de la Couronne de consulter le ou les groupes autochtones touchés par l’atteinte; et le fait que le titre comporte une dimension économique influe sur le montant de l’indemnisation à accorder.

À souligner également que la Cour a confirmé, dans l’arrêt Delgamuukw, que les tribunaux sont tenus d’adapter les règles de preuve quand ils établissent des droits ancestraux. En l’occurrence, ils doivent accepter les récits oraux des sociétés autochtones, récits qui quelquefois sont les seuls témoignages de leur passé, et leur accorder la même importance que les documents historiques présentés en preuve.

Interprétation juridique :  Droits issus de traités

Les quelques décisions qu’a rendues la Cour suprême du Canada concernant les droits issus de traités au sens de l’article 35 définissent la portée et l’interprétation à donner maintenant aux droits de pêche et de chasse prévus dans les traités historiques relatifs au territoire ou « de paix et d’amitié ». D’habitude, comme dans les affaires touchant les droits ancestraux, ces décisions sont rendues après que des accusations de nature pénale ont été portées, en vertu de la législation provinciale, relativement à des activités de chasse ou de pêche. Les accusés font valoir, à l’égard de ces activités, des droits issus de traités. Et, comme dans les affaires touchant les droits ancestraux, la Cour fait ressortir l’importance non seulement de respecter les principes généraux d’interprétation, mais aussi de tenir compte du contexte dans chaque cas.

Dans les arrêts R. c. Badger et R. c. Sundown qu’elle a rendus en 1996 et 1999 touchant les droits de chasse, la Cour a examiné les principes applicables d’interprétation des traités selon lesquels :

  • Le traité est un accord sacré, un échange de promesses solennelles qui crée des obligations réciproques.

  • Parce que l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle traite avec les Autochtones, les traités qui ont une incidence sur les droits issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l’intégrité de la Couronne. Il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses.

  • Toute ambiguïté dans le texte du traité doit profiter aux Autochtones et toute limitation ayant pour effet de restreindre les droits qu’ont ceux-ci en vertu des traités doit être interprétée de façon restrictive. Il appartient à la Couronne de prouver qu’un droit issu de traité a été éteint, en se fondant sur la preuve de l’intention claire et expresse du gouvernement d’éteindre ce droit.

  • Bien que les droits issus de traités, à l’instar des droits ancestraux, ne soient pas absolus, il est tout aussi important, sinon plus, de justifier les atteintes prima facie aux droits issus de traités, le plus souvent en appliquant le critère formulé par la Cour dans le cas de la violation des droits ancestraux dont il a été question plus haut.

  • Les droits issus de traités ont un caractère spécifique et ils ne peuvent être exercés que par la Première nation signataire du traité en cause.

Dans l’arrêt R. c. Marshall concernant les droits de pêche que la Cour a rendu en septembre 1999, l’application de ces principes d’interprétation et de ces considérations de fait a confirmé que des droits conférés par traité aux Premières nations mi’kmaq et maliseet des provinces de l’Atlantique et du Québec n’étaient pas éteints. Il s’en est suivi une controverse qui persiste sur la façon dont ces droits peuvent être exercés et par qui.

Questions en suspens

L’interprétation juridique de l’article 35 est assez récente. De nombreuses questions se posent encore au sujet de la portée des « droits ancestraux et des droits issus de traités qui existent ». Les tribunaux canadiens se penchent régulièrement sur des questions relatives au titre aborigène – le moment où les gouvernements doivent s’acquitter de leur obligation de consulter les Autochtones et l’étendue de cette obligation, l’étendue du pouvoir gouvernemental de réglementer l’exercice des droits issus de traités, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et d’autres questions d’intérêt fondamental pour les Autochtones.

Il reste à débattre de la mesure dans laquelle la protection accordée par l’article 35 doit être vaste pour mener à un règlement juste pour les peuples autochtones du Canada. Certains estiment qu’une protection large pourrait donner lieu à un traitement qui ne serait pas égal parmi les Canadiens et Canadiennes ou entraîner d’autres conséquences négatives du point de vue de la politique gouvernementale. D’autres craignent que l’adoption d’un point de vue plus étroit par le gouvernement ou le pouvoir judiciaire n’enlève toute signification aux droits ancestraux reconnus dans la Constitution. Il est probable que ces questions demeureront pendant un certain temps encore des sujets de discussion dans les milieux politiques et judiciaires.

Bibliographie Sélective

Allain, Jane May. Les droits des autochtones. Bulletin d’actualité 89-11F. Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire.

Allain, Jane May. Les droits de pêche ancestraux : Arrêts de la Cour suprême. BP-428F. Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, octobre 1996.

Hurley, Mary C. Titre aborigène : La décision de la Cour suprême du Canada dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique. BP-459F. Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, révisé en août 1999.