Direction de la recherche parlementaire


MR-116F

 

L'ALÉNA ET L'ENVIRONNEMENT

 

Rédaction :
William Murray
Division des sciences et de la technologie

Le 14 décembre 1993

                                      


TABLE DES MATIÈRES


L'EXAMEN ENVIRONNEMENTAL DU CANADA EFFECTUÉ DANS LE CADRE DES NÉGOCIATIONS AU SUJET DE L'ALÉNA

L'ACCORD NORD-AMÉRICAIN DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE L'ENVIRONNEMENT

   A. Aperçu de l'accord

   B. Procédure de règlement des différends

   C. Mise en application

   D. Conclusion


L'ALÉNA ET L'ENVIRONNEMENT

L'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), dont il est question plus en détail dans le bulletin BP-237F de la Bibliothèque du Parlement, entre en vigueur le 1er janvier 1994. De par sa conception, l'ALÉNA est l'un des accords commerciaux les plus « écologiques » qui aient été négociés jusqu'ici. Selon l'une des conclusions de l'Examen environnemental du Canada effectué dans le cadre des négociations au sujet de l'ALÉNA et publié en 1992 :

Les dispositions de l'ALÉNA en matière d'environnement dépassent de loin celles de tout accord de libre-échange antérieur. Ces articles s'avèrent très importants en ce qu'ils créeraient des précédents d'où découleraient de nouveaux principes qui orienteraient les ententes futures.

L'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis ne témoigne pas du même niveau d'engagement envers la protection de l'environnement. Les détracteurs de l'ALÉNA font toutefois remarquer que le Canada et les États-Unis sont des pays industriels extrêmement développés où la protection de l'environnement, le niveau de vie, les droits civils, les normes du travail, les soins de santé et l'éducation sont comparables. Ils soulignent que sur tous ces plans, le Mexique, qui est un pays en développement, fait contraste. Cependant, il importe de souligner qu'en 1989, le Mexique a adopté la Loi fédérale sur l'équilibre écologique et la contamination environnementale. Cette loi détaillée prévoit des règles strictes pour protéger l'environnement au Mexique et est jugée tout aussi rigoureuse que la législation canadienne et américaine en la matière. Malheureusement, le Mexique ne dispose pas des ressources financières pour en appliquer pleinement les dispositions.

Les critiques de l'ALÉNA soutiennent que sans mécanisme ou disposition pour assurer l'application des principes environnementaux énoncés dans l'accord, on assistera à un exode des industries et des emplois au Canada vers les paradis de pollueurs au Mexique, à une détérioration accélérée de l'environnement dans ce pays, et au nivellement par le bas des normes de protection environnementale des trois pays. Dans le présent document, nous nous penchons sur l'Examen environnemental du Canada fait dans le cadre des négociations au sujet de l'ALÉNA et sur l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement, l'entente parallèle sur l'environnement visant à renforcer les objectifs environnementaux de l'ALÉNA.

L'EXAMEN ENVIRONNEMENTAL DU CANADA EFFECTUÉ DANS LE CADRE DES NÉGOCIATIONS AU SUJET DE L'ALÉNA

La responsabilité de l'examen environnemental a été confiée à un groupe de travail interministériel comptant des représentants de neuf ministères, dont certains ont été des ministères directeurs dans les négociations du Canada au sujet de l'ALÉNA, ce qui fait dire aux détracteurs de l'accord que cette étude manque d'objectivité.

Dans cet examen, on soutient qu'il est généralement reconnu que l'accroissement du commerce accroît la richesse et la diffusion de la technologie et rend ainsi un pays mieux en mesure de protéger et d'améliorer son environnement. On y déclare en effet : « La quantité de pollution par unité de production diminue proportionnellement à l'augmentation de l'ouverture au commerce extérieur et aux investissements étrangers ».

Les détracteurs de l'ALÉNA soulignent toutefois que dix années d'investissement industriel dans la région des maquiladoras au nord du Mexique ont en fait produit l'effet contraire. Selon eux, les multinationales polluent en toute liberté l'environnement au Mexique, et la suppression du mouvement syndical et des droits de la personne a empêché les travailleurs mexicains de profiter des retombées de l'industrialisation. À leur avis, les travailleurs dans la région des maquiladoras touchent les salaires les plus bas au Mexique et l'air, les terres et l'eau dans cette région sont parmi les plus pollués au pays.

Selon les écologistes, comme les coûts sont moins élevés au Mexique et que la main-d'oeuvre y est meilleur marché, il coûterait moins cher à une multinationale de construire une usine non polluante à Chihuahua qu'à Toronto. C'est pourquoi ils sont d'avis que la faiblesse de l'économie mexicaine est plus susceptible de favoriser que de décourager le comportement responsable d'une société étrangère sur le plan environnemental. Dans l'examen environnemental, il est fait état d'un certain nombre d'études internationales selon lesquelles « il semblerait que peu ou pas d'industries canadiennes se montrent intéressées à une migration, compte tenu des différences projetées au niveau des coûts engagés pour lutter contre la pollution ».

Les auteurs de l'examen ne fournissent toutefois pas de données environnementales concernant les entreprises qui ont migré du Canada vers la région des maquiladoras au Mexique depuis 1982. Certains estiment qu'au lieu de faire état d'études internationales dont la pertinence est moins évidente, il aurait été préférable et plus utile d'enquêter, dans le cadre de l'examen environnemental, sur les activités de gestion des déchets des industries qui ont quitté le Canada pour s'installer au Mexique. À leur avis, il y aurait eu lieu de déterminer en particulier si ces entreprises se conforment pleinement aux lois mexicaines et, dans la négative, si le manque de rigueur dans l'application des règlements environnementaux du Mexique leur est profitable sur le plan financier.

Par ailleurs, on soutient dans l'examen environnemental que le coût de l'observation des normes environnementales pour les industries dont les dépenses de dépollution sont très élevées dépasse rarement 2 p. 100 de la valeur ajoutée. Les détracteurs de l'ALÉNA conviennent qu'il est peu probable qu'une entreprise établie engage de nouvelles dépenses en capital si l'unique objet de son installation en un autre lieu est d'éviter des coûts de dépollution; cependant, la perspective d'éviter ces coûts et d'avoir accès à une main-d'oeuvre qui touche, dans bien des cas, le dixième du salaire horaire versé aux travailleurs canadiens incite fortement, selon eux, la migration des dépenses d'investissement vers le Mexique.

À la défense de l'ALÉNA, il importe de souligner que le développement économique dans la région des maquiladoras aurait pu être plus rapide et sauvage si l'accord avait été rejeté. L'existence des maquiladoras est attribuable en partie à l'exemption de droits de douane sur les marchandises produites dans la zone frontalière du Mexique. L'élimination des droits de douane par l'ALÉNA rendra théoriquement les maquiladoras désuètes. Cependant, le fait que dans l'Examen environnemental du Canada effectué dans le cadre des négociations au sujet de l'ALÉNA, on ait omis de présenter ces arguments concernant les maquiladoras affaiblit la portée du document.

L'ACCORD NORD-AMÉRICAIN DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE L'ENVIRONNEMENT

   A. Aperçu de l'accord

L'accord parallèle sur l'environnement 1) établit la Commission de coopération environnementale, 2) précise les obligations du Canada, des États-Unis et du Mexique pour ce qui est d'assurer l'application de leurs lois et politiques environnementales, 3) prévoit un mécanisme pour la consultation et le règlement des différends, et 4) établit un programme de travail coopératif de vaste portée. Au début, le plan de travail mettra l'accent sur l'établissement de limites pour certains polluants atmosphériques et marins, sur l'évaluation environnementale de projets pouvant avoir des effets transfrontières et sur la réciprocité du recours aux tribunaux pour les dommages ou blessures causés par la pollution transfrontalière.

La Commission de coopération environnementale comprendra trois organes : un Conseil composé de représentants du niveau ministériel de chaque pays, un Secrétariat central et un Comité consultatif public mixte. Le Conseil sera responsable du plan de travail et pourra étudier ou formuler des recommandations sur des questions environnementales telles que la recherche scientifique et la technologie, l'éco-étiquetage, les techniques et stratégies de prévention de la pollution et la sensibilisation du public à l'égard de l'environnement. De plus, le Conseil examinera les questions et les différends environnementaux, s'efforcera d'améliorer les lois et réglementations environnementales des trois pays et coopérera avec la Commission du libre-échange de l'ALÉNA sur les questions liées à l'environnement.

Pour sa part, le Secrétariat aura pour rôle d'appuyer le Conseil et de recevoir les communications de toute personne ou organisation non gouvernementale alléguant la non-application des lois environnementales intérieures. De plus, le Secrétariat constituera des dossiers factuels et établira des rapports à l'intention du Conseil.

De son côté, le Comité consultatif public mixte, composé de cinq représentants de chaque pays, fournira au Secrétariat des avis techniques et scientifiques. Il sera également appelé à participer à la préparation du budget-programme annuel du Secrétariat.

   B. Procédure de règlement des différends

Tout pays membre pourra demander des consultations avec tout autre pays partenaire qui semble omettre d'appliquer ses lois environnementales. Si l'on ne réussit pas à régler le problème ou si un pays omet de façon systématique d'appliquer ses lois, le Conseil interviendra. Ce dernier pourra créer des groupes de travail ou établir des comités chargés d'étudier le problème, recourir aux procédures de règlement des différends ou faire des recommandations. Si le problème persiste, le Conseil pourra, par un vote des deux tiers, réunir un groupe spécial arbitral dont l'enquête sera publique; on espère ainsi que la publicité et les pressions morales inciteront le pays contrevenant à respecter ses obligations.

   C. Mise en application

Si le groupe spécial arbitral constate qu'un pays omet, de façon systématique, d'assurer l'application de sa législation sur l'environnement, et que ce pays néglige de corriger le problème, le groupe spécial pourra établir une amende maximale de 20 millions de dollars US pour la première année. Pour les années subséquentes, les amendes ne dépasseront pas 0,007 p. 100 du total des échanges trinationaux de marchandises. En ce qui concerne les amendes imposées, le Canada fait l'objet d'un mécanisme distinct de celui qui est en vigueur pour les États-Unis et le Mexique. En effet, si une amende était imposée au Canada, ce seraient les tribunaux canadiens qui verraient en définitive à la faire appliquer. Par contre, dans les cas des États-Unis et du Mexique, l'omission de payer l'amende entraînerait la suspension d'avantages de l'ALÉNA et l'imposition d'un droit, jusqu'à concurrence du montant de l'amende. Par conséquent, les États-Unis et le Mexique pourront se voir imposer des sanctions commerciales, ce qui ne sera jamais le cas pour le Canada.

   D. Conclusion

Il semble que la Commission de coopération environnementale sera un organisme efficace, dotée des pouvoirs nécessaires pour protéger les objectifs environnementaux de l'accord commercial le plus écologique au monde. La Commission veillera non seulement à ce que chaque pays observe ses propres lois environnementales, mais tâchera de rehausser les normes environnementales et d'accroître la coopération dans ce domaine dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. Les avantages que présente l'accord parallèle sur l'environnement s'accompagnent toutefois du risque que l'on porte atteinte à la souveraineté territoriale. En août 1993, le ministre québécois des Affaires internationales a souligné que toute personne ou tout groupe au Canada qui n'est pas satisfait d'un jugement rendu par le système judiciaire canadien pourrait désormais exercer un recours devant une commission internationale. Par conséquent, il est possible que les lois fédérales ou provinciales soient assujetties aux mesures décrétées par la Commission de coopération environnementale.