BP-144F
LE DÉFICIT FÉDÉRAL:
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES LE DÉFICIT EST-IL UN PROBLÈME? LES RISQUES DE RAJUSTER LE DÉFICIT
LE DÉFICIT FÉDÉRAL: Le budget fédéral encourage toujours les observateurs à y aller de leurs essais, de leurs discours et de leurs éditoriaux sur le déficit. Cette année, les commentaires semblent encore plus dignes dattention que dhabitude. Étant donné que le budget du 26 février met laccent sur le déficit, le débat public à ce sujet risque fort de se prolonger. La récente dégringolade du dollar canadien a mis en relief lopinion que les marchés internationaux se font de la politique économique canadienne, ainsi que la nécessité de réduire le déficit budgétaire. Que cette opinion soit juste ou non (elle lest probablement) na pas tellement dimportance. Ce qui importe, cest quelle exerce des pressions sur le ministre des Finances afin quil réduise les dépenses (ou augmente les impôts), ce que le monde des affaires canadien lexhorte à faire depuis quelque temps, comme en témoignent les déclarations du Conseil dentreprises pour les questions dintérêt national(1). Par contre, certains éditorialistes et économistes soutiennent quil nest pas indispensable de réduire davantage le déficit. Ils estiment que, ou bien le ministre des Finances est venu à bout de ce monstre que constitue le déficit, même si le public ne la pas encore remarqué, ou bien il en a une vision erronée. Selon eux, les profanes et les chefs dentreprise sappuient sur la valeur absolue du déficit, telle que généralement publiée, pour conclure que nous traversons une crise. Si seulement ils mettaient ces chiffres en perspective, utilisaient les bons concepts et faisaient les rajustements qui simposent, ils constateraient quil ny a aucun problème. Cest du moins lopinion avancée par certains économistes, et nous allons létudier dans les pages qui suivent. Comme le lecteur le constatera, pareille façon de voir est très séduisante. Il est beaucoup plus facile de minimiser le problème du déficit que de réduire le déficit lui-même. LE DÉFICIT EST-IL UN PROBLÈME? Il semble bien que plus le déficit augmente, plus il se trouve dobservateurs pour prétendre quil nest pas vraiment très important. En 1982, il est apparu clairement que le déficit fédéral avait atteint très rapidement des proportions pour le moins dangereuses. Peu après, certains économistes(2) ont recommandé de laccroître encore davantage, affirmant que le déficit corrigé nétait absolument pas démesuré et quen fait, il était même beaucoup trop petit. Le ministère des Finances a abordé la question dans un document qui situait les déficits fédéraux dans leur « véritable » contexte(3) et qui concluait lui aussi que le déficit fédéral était en réalité beaucoup moins important quon ne le croyait généralement. Le déficit observé est trompeur, parce que le niveau dactivité économique et le taux dinflation faussent la réalité. A moins dêtre corrigé comme il se doit en fonction de ces facteurs, le déficit ne peut pas refléter fidèlement la situation financière de lÉtat(4). Lorsque léconomie fonctionne en deçà de sa capacité, les recettes sont inférieures à ce quelles seraient autrement et les dépenses ont tendance à être trop élevées, parce que les recettes et certaines dépenses sont fonction de la production nationale. Des changements discrétionnaires touchant les dépenses et les mesures fiscales peuvent accentuer cette tendance. En conséquence, au cours dun cycle économique, le déficit augmentera si léconomie ralentit, et il baissera s'il a y a reprise. Cest ce mouvement automatique quil faut corriger des variations conjoncturelles pour avoir une idée juste de la situation financière de lÉtat. Après avoir fait les rajustements qui simposent à légard des cycles de lactivité économique, nous aboutissons au déficit structurel, qui donne une idée plus juste de la situation financière de lÉtat. Un déficit structurel considérable indique un problème chronique ou à long terme, alors quun déficit conjoncturel imposant est un phénomène temporaire. Il importe de bien faire ces corrections. Pour que le budget séquilibre au cours dun cycle (et il faut souligner que cest là linterprétation stricte de la politique financière keynésienne), le rajustement doit être fait à partir du rendement moyen du cycle et non de son rendement maximal. Il arrive fréquemment que ceux qui proposent de pareils rajustements utilisent des niveaux dactivité économique plutôt aberrants. Ainsi, MM. Bossons et Dungan ont fondé leur rajustement sur un taux de chômage de 6 p. 100, tandis que dans son étude, le ministère des Finances a utilisé le concept dun taux de chômage corrigé des variations conjonctuelles fondé sur un taux de chômage « normal » de 4 à 4,5 p. 100 chez les hommes adultes. Il nest donc pas surprenant que ces deux documents parviennent presque à démontrer quil ny a aucun déficit. En réalité, on peut constater que ces chiffres sont biaisés, étant donné que les rajustements du ministère des Finances montrent un écart de production à partir daussi loin que 1977. Il est probable que pour le Ministère, les changements relevés dans loffre de main-doeuvre sont assimilés à une évolution de la demande. Depuis que lactivité économique a atteint le creux de la vague au cours du dernier trimestre de 1982, il y a eu au moins trois années de reprise. La production réelle a regagné plus que ce quelle avait perdu depuis 1981, et la production réelle par habitant a elle aussi augmenté. Il est bien évident quà lheure actuelle, nous ne devrions plus prétendre que le déficit est en grande partie un phénomène conjoncturel(5). Cela se vérifie dautant plus facilement que les rajustements conjoncturels qui sont faits ont tendance à diminuer la taille du déficit structurel. En résumé, tout lintérêt des rajustements conjoncturels réside en ce quils permettent de découvrir la partie du déficit enregistré qui est de nature structurelle. Cela est important sur le plan de la politique financière. En effet, un déficit conjoncturel est une chose dont léconomie peut venir à bout très rapidement, mais un déficit structurel exige lintervention explicite de lÉtat, en vue de réduire les dépenses ou daugmenter les impôts. Les partisans de mesures gouvernementales à légard du déficit considèrent quil sagit dun phénomène structurel, tandis que ceux qui sy opposent y voient un phénomène en grande partie conjoncturel. Le cycle économique nest pas le seul facteur qui peut altérer la valeur des chiffres sur le déficit. Une augmentation des prix fausse aussi les données. Les actifs qui ont une valeur nominale fixe voient leur valeur réelle diminuer avec le temps si linflation est positive. Pour compenser cette perte, quand une poussée inflationniste est prévue, les taux dintérêt augmentent. Ainsi, lorsque les prix montent, une partie des frais dintérêt nominaux constitue en fait un remboursement dune partie du principal initial. Lutilisation de frais dintérêt nominaux fausse donc à la hausse la valeur réelle du déficit. Le ministère des Finances(6) a calculé la baisse de la valeur réelle du passif net à valeur fixe et a utilisé ce chiffre pour corriger de linflation le déficit. Pour 1981 et 1982, le ratio du déficit observé au PNB a diminué denviron deux points à la suite de ce rajustement. Les données du Ministère allaient jusquen 1982 seulement. On a donc procédé comme il le fait pour les mettre à jour jusquen 1985, afin détablir le tableau 1. Si la correction de linflation a considérablement réduit la valeur du déficit au début des années 80, elle semble maintenant avoir peu deffet : le ratio du déficit au PNB passe de 6,2 à 5,3 p. 100 en 1983, de 7 à 6 p. 100 en 1984 et de 6,6 à 6,1 p. 100 en 1985. Les rajustements du déficit proposés par différents économistes servent à évaluer lampleur du déficit structurel proprement dit. Dans leurs études publiées en 1983, MM. Bossons et Dungan et le ministère des Finances ont soutenu que le déficit nétait pas un problème, puisquil était imputable soit à la récession, soit au remboursement accéléré de la dette réelle de lÉtat. Or, si nous appliquons aujourdhui la méthodologie de ces auteurs, une seule conclusion simpose : le déficit est un problème très grave qui sest accentué progressivement. En 1985-1986, il est, par nature, presque totalement structurel(7), et il y a donc peu de chances que les prescriptions en vue de régler le problème portent leurs fruits. Tableau 1
* Estimation Source : Canada, ministère des Finances, Le déficit fédéral mis en perspective, Ottawa, avril 1983, p. 66. Comme nous avons démontré quil existe un vaste déficit structurel, on pourrait penser que le débat est clos et que personne ne soutiendrait que le « budget réel » frise léquilibre. Au contraire, on peut toujours trouver un économiste pour avancer une nouvelle théorie du déficit. Lune de ces théories est celle du déficit de base, qui nest pas encore devenue un élément courant du débat(9). On mesure le déficit de base en soustrayant des recettes publiques les seules dépenses des programmes : cest simplement une façon indirecte dexclure les versements dintérêt. Lorsque ces versements constituent une part importante des dépenses totales, leur suppression peut facilement nous faire passer dun vaste déficit à un budget équilibré, ou même à un excédent. Si, en plus, nous ne tenons pas compte des dépenses sociales ou des transferts aux provinces, lexcédent sera encore plus grand. Et il saccroîtra encore si nous laissons aussi de côté les dépenses relatives à la défense et les versements aux agriculteurs... Il y a un avantage bien précis à utiliser la notion de déficit de base; en effet, on peut sen servir pour imputer les déficits élevés à la politique financière, comme cest normalement le cas. Selon un éditorial récent :
Par « sattaquer au véritable problème », on entend dans cet éditorial réduire les taux dintérêt réels par une politique monétaire expansionniste. Or, le ministère des Finances ne fait pas intervenir la politique monétaire. Dans un document de consultation prébudgétaire, il déclare à ce sujet :
Il est impossible de justifier lexclusion des versements dintérêt dans le calcul du déficit, à moins évidement que le gouvernement nait pas lintention dhonorer sa dette. Lorsquil gère un déficit et emprunte sur les marchés financiers, il doit payer des frais dintérêt. Cest simplement le coût doption lié à lutilisation de cette ressource, et il nest pas moins légitime que ceux qui se rapportent à la main-doeuvre ou aux matières premières. On peut encore considérer le déficit sous un autre angle. Certains proposent quon en étudie lincidence sur le ratio de la dette au PNB : tant que ce ratio reste stable, le déficit ne devrait pas être une source de préoccupation. Cet argument ne tient pas compte dune question importante concernant le niveau auquel nous essayons de stabiliser ce ratio. Cest une chose de maintenir la dette à 30 p. 100 du PNB, mais cen est une autre de la maintenir à 100 p 100, comme nous allons maintenant le faire ressortir. Le ratio de la dette du PNB est une variable économique importante. Si les agents économiques considèrent les effets financiers des secteurs public et privé comme de parfaits substituts, un accroissement de la dette publique laisse nécessairement moins de place, dans léconomie, au montant de la dette privée. Cest inquiétant, car les dépenses publiques ont tendance à ne pas être aussi productives que les dépenses privées. En fait, une grande partie des emprunts publics sert à financer la consommation courante plutôt que linvestissement productif (dans les ressources physiques aussi bien quhumaines). Par conséquent, à court terme, le déficit ne stimule pas lactivité économique et, à long terme, il nuit à la croissance économique et à la productivité. En soi, laugmentation du ratio de la dette au PNB nest pas un problème; si le niveau de linvestissement public productif était trop bas, nous voudrions en fait que ce rapport soit encore plus élevé. La préoccupation actuelle concernant lévolution de la situation financière de lÉtat tient à la conviction quune trop lourde dette a déjà été accumulée ou le sera dans les prochaines années. La prudence financière exige quon stabilise le ratio de la dette au PNB, mais ce nest certes pas suffisant(12). La question nest pas de déterminer à quel moment il faut stabiliser ce ratio, mais plutôt à quel niveau. Le ministère des Finances reconnaît cette limite dans sa dernière déclaration sur les déficits et la dette. Lobjectif visé à moyen terme consiste à stabiliser le ratio de la dette au PNB dici le début des années 90, tandis que lobjectif à long terme est de le ramener au niveau auquel il se situait avant la récession(13). Sur le plan de laction gouvernementale, considérons les conséquences de chercher à maintenir un ratio dette-PNB stable. Si la situation financière de lÉtat est stable (c.-à-d. sil gère des déficits qui maintiennent ce ratio à un niveau constant), le rapport suivant doit tenir :
Si le déficit de base est nul et si le secteur monétaire est en équilibre (c.-à-d. que le taux dinflation correspond aux prévisions), un rapport constant de la dette au PNB exige que les taux dintérêt réels correspondent aux taux réels de la croissance du PNB. Sils sont plus élevés, le ratio de la dette au PNB le sera également, même avec un équilibre de base. C'est la situation à laquelle le Ministre fait allusion quand il dit : « Le problème financier actuel est aggravé du fait que les taux dintérêt réels sont supérieurs aux taux réels de croissance de léconomie »(14). Puis il fait lanalogie suivante : « La situation peut être comparée à celle dun placement de fonds empruntés. Si le rendement sur ce placement est inférieur au loyer versé sur lemprunt, le résultat est évident »(15). Mais quelle leçon faut-il en tirer? Si le taux dintérêt est supérieur au taux de rendement, on ne devrait pas faire le placement. Morale de cette histoire : il ne faut pas faire le placement, puis se plaindre de ce que les taux dintérêt sont élevés. En fait, si les taux dintérêts réels sont trop élevés, le gouvernement devrait plutôt dégager un excédent de base(16) pour stabiliser le ratio de la dette au PNB. Puisquil a beaucoup plus de contrôle sur lampleur du déficit ou de lexcédent de base que sur les taux dintérêt réels, cest la variable quil devrait contrôler pour atteindre son objectif. LES RISQUES DE RAJUSTER LE DÉFICIT Il y a une bonne raison pour apporter certains rajustements au déficit observé en vue de mettre en perspective la situation financière de lÉtat. Linflation et les cycles économiques modifient le déficit observé, et il importe de considérer les origines et les répercussions de ces changements. Il est légitime de considérer le ratio de la dette au PNB; il serait même imprudent de ne pas le faire. Mais il nest pas légitime denvisager ce ratio uniquement par rapport à la question de la constance. Il est même utile de considérer la notion de déficit de base. Mais il nest certainement pas légitime de lutiliser comme fondement de la politique financière de lÉtat : la dette accumulée par le passé fait partie de ce qui a été légué au gouvernement de lheure, et le service de cette dette ne saurait être exclu. Cela dit, pourquoi ce scepticisme face aux rajustements? Il y a plusieurs raisons, mais disons que de façon générale, les craintes viennent du fait que les nouvelles théories sont mises de lavant par ceux qui voudraient que lÉtat augmente les déficits. Cest une chose que dessayer de dissimuler la véritable ampleur des déséquilibres financiers, pour éviter lembarras ou lhystérie quon provoquerait si on en faisait voir la vraie nature, mais cen est une autre dutiliser ces tours dadresse mathématiques pour promouvoir des déficits encore plus grands. Un problème risque alors de se poser. On a fait valoir dans dautres documents(17) quil peut être risqué de tenir compte des variations liées à la conjoncture et à linflation et que cela peut en fait déstabiliser le déficit et le ratio de la dette au PNB. Les deux textes auxquels nous renvoyons traitent plus en détail ce problème, mais nous pouvons exposer ici certains risques qui sy rattachent. Si la correction des variations conjoncturelles est faite en fonction dun point repère irréaliste, on risque damener le gouvernement vers des déficits plus importants et plus fréquents quil nest souhaitable. Si ces déficits sont eux-mêmes la source dun piètre rendement de léconomie, alors des déficits élevés aujourdhui justifient des déficits élevés demain, et vogue la galère! Le fait de tenir compte de linflation a tendance à empêcher que la valeur réelle de la dette nette diminue, et il décourage fortement de la réduire. Ainsi, toute hausse imprévue ou temporaire du déficit produit un legs permanent, cest-à-dire fait augmenter la dette et les déficits futurs. Traiter le déficit uniquement comme un problème de stabilisation du ratio de la dette au PNB peut également favoriser des déficits plus élevés. Le ratio déficit-PNB permettant de stabiliser le rapport dette-PNB peut être défini selon la formule suivante :
En stabilisant le ratio au niveau prévu pour 1990-1991 plutôt quà celui davant la récession (1980-1981), le gouvernement fait plus que doubler la taille des déficits avec lesquels il sera perpétuellement aux prises et cela, même si la croissance économique est régulière. Si, dans lintervalle, une nouvelle récession vient gonfler les déficits et relever le niveau auquel la croissance de la dette peut être stabilisée, le seuil du déficit sera de nouveau augmenté. Pour rendre cet argument plus concret, supposons que le PNB du Canada augmente de 6,5 p. 100 par année. Sil stabilisait le ratio dette-PNB à son niveau prévu pour 1990-1991(18), le gouvernement fédéral pourrait avoir un déficit annuel correspondant à rien moins que 4,1 p. 100 du PNB. Par contre, sil tentait de stabiliser au niveau de 0,28:1 davant la récession, ses déficits annuels ne pourraient pas excéder 1,8 p. 100 du PNB. Lorsquon base le calcul sur le produit national brut de1985, la différence représente un déficit admissible de plus de 10 milliards de dollars par année. Cest lutilisation du déficit de base comme principe financier pertinent qui met le plus en péril la stabilité financière. Quil le veuille ou non, tout gouvernement doit tenir compte de la dette accumulée par ses prédécesseurs et des ressources financières quil perd à cause des intérêts à payer. Nous avons peut-être un excédent de base aujourdhui, mais la dette et les déficits de base des années passées. Les intérêts sont le coût doption des emprunts. Ils sont la preuve que ces ressources financières pourraient être utiles ailleurs. Si le gouvernement était convaincu que ses emprunts ne lui coûtent rien, il y aurait recours de plus en plus. En dautres termes, les taux dintérêt sont un obstacle à la croissance des déficits. Daucuns estiment que cet obstacle nest pas très efficace, mais il suffit de voir lusage quon fait dautres ressources lorsquelles ne coûtent rien pour avoir une bonne idée de la façon dont les déficits évolueraient sil nétait pas tenu compte des taux dintérêt. En se perfectionnant constamment, la science de léconomie est toujours plus en mesure de replacer certaines variables dans la bonne perspective. Mais ceux qui y ont recours ont aussi tendance à tirer des conclusions plutôt bizarres. On peut facilement concevoir que lorsque le déficit fédéral atteindra 500 milliards de dollars par année et excédera 50 p. 100 du PNB annuel, certains analystes nous diront que le déficit nest pas un problème, quun resserrement de la politique financière conduirait à la catastrophe et quon ne peut vraiment résoudre le problème quen établissant la politique économique en fonction des besoins des Canadiens et non des attentes de ceux qui spéculent sur les taux de change. Les quatre façons dentrevoir le déficit que nous avons décrites ici sont toutes valables jusquà un certain point dans des contextes bien précis. Cependant, il serait hasardeux de sy tenir sans discernement; cela pourrait simplement fournir une excuse pour laisser augmenter les déficits. En 1983, certains spécialistes nous ont dit que les déficits fondraient sous leffet de la relance économique et dune baisse de linflation, mais voici une opinion plus sceptique émise au même moment : « le déficit actuel consolidé du gouvernement canadien est très important et, à défaut de changements de la structure budgétaire, il demeurera probablement élevé dans lavenir prévisible (cela est particulièrement vrai du déficit fédéral qui est proportionnellement beaucoup plus élevé que celui des provinces et des municipalités »(19). Plus nous recourrons à ces nouvelles façons denvisager les déficits, plus les prédictions des sceptiques se réaliseront. Enfin, un commentaire sur lanalyse économique et le déficit semble indiqué. Les quatre approches que nous venons de décrire sont des façons denvisager le déficit que les économistes pourraient retenir, mais que les comptables, par exemple, pourraient laisser de côté. Elles sont toutes, jusquà un certain point, défendables du point de vue économique. Toutefois, ce serait une erreur de croire que le débat actuel oppose simplement le milieu des affaires (qui insiste sur une réduction rapide du déficit) et les économistes (qui insistent sur une approche plus sensée). Une telle façon de voir ne tient aucun compte du fait quune grande partie des économistes redoutent fort les conséquences du déficit et de la dette et insistent sur la nécessité de les réduire considérablement. Si lon juge que le budget de février 1986 na pas un effet marqué sur le déficit, il ne faut pas en conclure que M. Wilson se serait rangé du côté des économistes en général, même sil est peut-être du même avis que certains dentre eux. Les méthodes danalyse économique sur lesquelles porte le présent document sont encore tellement vagues et suscitent tellement de divergences dopinion quon pourrait sen servir pour « prouver » presque nimporte quoi. Cela contraste vivement avec lanalyse mathématique qui permet de savoir si la deuxième dérivée dune fonction linéaire est elle-même une fonction exponentielle ou si deux et deux font cinq. Lanalyse économique ne suffit pas à réduire le déficit fédéral actuel : elle montre simplement que le déficit constitue un problème. Lorsquon voit la chose dans une juste perspective et quon fait les rajustements qui simposent, on constate que les recettes publiques sont largement insuffisantes. Par contre, il est possible de prouver exactement le contraire en maniant lanalyse économique à tort et à travers.
(1) Conseil dentreprises pour les questions dintérêt national, The Federal Deficit: Some Options for Expenditure Reduction, Ottawa, 2 août, et National Deficits and Debt, Meeting the Challenge, Ottawa, octobre 1985. (2) Consulter entre autres : J. Bossons et D.P. Dungan, « The Government Deficit: Too High or Too Low? », Canadian Tax Journal, vol. 31, no 1, janvier-février 1983, p. 1 à 29. Selon les auteurs de cette étude, la situation budgétaire globale de toutes les administratins publiques contribuait à aggraver le ralentissement de lactivité économique, et, à défaut de nouveaux encouragements fiscaux offerts par les gouvernements, le PNB réel du Canada risquait de ne pratiquement pas augmenter en 1983. En fait, la croissance réelle pour 1983 a été de 3,3 p. 100. (3) Canada, ministère des Finances, Le déficit fédéral mis en perspective, Ottawa, avril 1983. (4) Une évaluation juste du déficit devrait aussi inclure des éléments comme le passif non capitalisé du RPC et du RRQ, qui sont exclus des chiffres publiés. Si lon avait inclus ces éléments, le déficit fédéral aurait augmenté en moyenne de 18,1 milliards de dollars au cours des sept dernières années. Si le passif non capitalisé des régimes de retraite des administrations publiques avait été inclus, le déficit fédéral aurait encore augmenté de 2,3 milliards de dollars en 1984. Le passif du RPC du gouvenement fédéral se limite strictement au montant du fonds; en conséquence, il vaudrait mieux ajouter la fluctuation dans la valeur du passif non capitalisé au déficit public global. Quoi quil en soit, le passif non capitalisé représente une augmentation à venir des cotisations au RPC, hausse qui sera nécessaire pour respecter les engagements. Comme ces cotisations sont considérées comme des impôts fédéraux, un accroissement du passif non capitalisé a le même effet quune augmentation du déficit fédéral. (5) Cela ne signifie pas que les économistes vont cesser de le faire. Ainsi, à lété de 1985, un économiste a soutenu que la situation financière fédérale était très restrictive. Selon lui, le déficit structurel devait représenter 3,7 p. 100 du PNB en 1985, et seulement 1,8 p. 100 du PNB en 1986. Cependant, si lon se fiait à ces chiffres, il faudrait conclure que le Canada traverse à nouveau une période de récesion économique. Voir larticle de T. Wilson, « The Fiscal Stance and the Economic Outlook The Short-Term Impact », dans le document préparé par D.D. Purvis, Report of the Policy Forum on the May 1985 Federal Budget, John Deutsch Institute for the Study of Economic Policy, juillet 1985. (6) Canada, ministère des Finances (1983). (7) Le rapport du déficit structurel (corrigé des variations conjoncturelles) au déficit observé était de 50 p. 100 en 1982, de 54 p 100 en 1983 et de 70 p. 100 en 1984. Il devrait être encore plus élevé en 1985 et en 1986. Les chiffres du ministère des Finances sous-estiment probablement limportance du déficit structurel, comme nous le faisons valoir dans le présent document. Voir : Canada, ministère des Finances, Revue économique, avril 1985, p. 133. (8) Les données des trois dernières années ont été calculées selon la méthode du Ministère exposée précédemment. (9) Lexpression « déficit de base » est employée dans les documents budgétaires, mais on nen a pas tiré de conclusions sur le plan de laction. (10) « Attack On Deficit Misses The Mark », Toronto Star, 7 février 1986. (11) Lhonorable Michael Wilson, Réduire le déficit et maîtriser la dette nationale, ministère des Finances, novembre 1985, p. 17. (12) N. Laurie, « Wilson Doesnt Have To Reduce The Deficit Further », Toronto Star, 29 janvier 1986. (13) Lhonorable Michael Wilson (1985), p. 17 et 23. (14) Lhonorable Michael Wilson (1985), p. 11. (15) Ibid., p. 11. (16) Dans léquation ci-dessus, le montant inscrit au titre du déficit de base serait négatif. (17) Voir B. Zafiriou, « Le déficit : ampleur et gravité », et M. Wrobel, « Effets sur la politique financière du déficit budgétaire rajusté en fonction de linflation », dans La revue économique (5) : Politiques de stabilisation, BP-69F, Service de recherche, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, Mai 1983. (18) Ce calcul est fondé sur le ratio dette-PNB prévu pour 1990-1991 dans le budget fédéral de mai 1985, soit 0,63:1. (19) B. Zafirou (1983), p. 21. |