BP-206F

LE NUMÉRO D'ASSURANCE SOCIALE :
LA RÉGLEMENTATION DE SON USAGE

 

Rédaction :
David Johansen
Division du droit et du gouvernement
Mai 1989
Révisé en septembre 1997


TABLE DES MATIÈRES

CONTEXTE

RÉGLEMENTATION DE L’UTILISATION DU NAS

RAPPORT SPÉCIAL DU COMMISSAIRE À LA PROTECTION
DE LA VIE PRIVÉE, 1981

LOI SUR LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS

PROJETS DE LOI D’INITIATIVE PARLEMENTAIRE

RAPPORT DU COMITÉ PERMANENT DE LA CHAMBRE DES COMMUNES

RÉPONSE DU GOUVERNEMENT AU RAPPORT DU COMITÉ PERMANENT


LE NUMÉRO D'ASSURANCE SOCIALE :
LA RÉGLEMENTATION DE SON UTILISATION

CONTEXTE

Le présent document traite des restrictions à l'obtention et à l'utilisation du numéro d'assurance sociale (NAS), le moyen d'identification le plus répandu au Canada. En 1964, le gouvernement libéral de M. Pearson créait le numéro d'assurance sociale (NAS) afin de remplacer le numéro d'assurance-chômage national utilisé par la Commission de l'assurance-chômage, qui relevait alors du ministère du Travail. Ce système avait à peu près épuisé les combinaisons numériques, et il fallait en trouver un autre avant la création, imminente, des régimes de pensions du Canada et des rentes du Québec. On estimait qu'il ne serait pas du tout pratique d'avoir deux systèmes de numérotation puisque les deux régimes s'appliqueraient à environ 4,5 millions de travailleurs. Cependant, l'adoption du NAS aux fins du versement des prestations du Régime de pensions du Canada n'est survenue qu'après de longs débats. Certains députés et sénateurs disaient craindre que de nouvelles utilisations du NAS finissent par donner naissance à un système national de numérotation.

Bien que le NAS ait été institué aux fins des régimes fédéraux d'assurance-chômage et de pensions, son utilisation à d'autres fins ne faisait l'objet d'aucun contrôle. Il en est résulté qu'il a servi dans beaucoup d'organismes fédéraux et provinciaux et d'entreprises privées à la tenue des banques de données.

De 1965 à la fin des années 70, la Chambre des communes ne s'est guère préoccupée de la croissance rapide de l'utilisation du NAS. Mais en 1979, le gouvernement conservateur fraîchement élu du premier ministre Clark a promis d'y mettre un frein. Le 30 octobre suivant, le ministre d'État au Conseil du Trésor, l'honorable Perrin Beatty, annonçait que le gouvernement allait incessamment présenter un projet de loi

tendant à limiter l'utilisation des numéros d'assurance sociale au sein du gouvernement fédéral dans le cas où l'on entend rendre obligatoire l'indication du numéro d'assurance sociale, de même que quelques premières étapes visant à limiter l'utilisation du numéro d'assurance sociale à l'extérieur du gouvernement fédéral [...] Le gouvernement fédéral a l'intention de décourager l'utilisation des numéros d'assurance sociale comme numéro unique d'identité au sein des ministères et organismes du gouvernement fédéral [...] Le gouvernement prépare actuellement une loi qui assurera un supplément de protection contre la divulgation non autorisée de renseignements d'ordre personnel, et restreindra la possibilité de relier les dossiers à l'aide du NAS en limitant le nombre d'utilisations des numéros NAS. Cette loi sera présentée au cours de la présente session du Parlement(1).

Cependant, le gouvernement conservateur a été défait en décembre 1979 avant que ces nouvelles mesures législatives puissent être présentées à la Chambre. Il avait énoncé sa position définitive dans une lettre de M. Beatty publiée par The Globe and Mail le 11 février 1980, pendant la campagne électorale. Celui-ci y affirmait que le NAS était maintenant utilisé à diverses fins non autorisées, dans les secteurs public et privé :

Les particuliers doivent fournir leur NAS dans diverses circonstances que n'avait pas prévues le Parlement à l'origine et, dans bien des cas, ils peuvent se voir privés d'un service s'ils refusent de communiquer leur numéro ou ne sont tout simplement pas informés des conséquences de leur refus(2).

La mesure envisagée par le gouvernement de M. Clark a pris la forme du projet de loi d'initiative parlementaire C-535(3), présenté le 2 mai 1980 par M. Beatty. Le projet de loi, qui était en fait une révision de la première loi sur la protection des renseignements personnels (Partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne de 1977), proposait en outre que soit ajouté à la loi un nouvel article qui aurait contraint le gouvernement fédéral à n'utiliser le NAS que pour administrer une loi du Parlement ou un certain nombre de programmes essentiels, notamment les pensions, les prêts aux étudiants, les allocations familiales, les pensions de sécurité de la vieillesse, l'impôt sur le revenu et l'assurance-chômage. Pour le reste, « aucun droit, avantage ou privilège ne serait refusé ni aucune peine infligée à quiconque ayant refusé de divulguer à un organisme gouvernemental le numéro d'assurance sociale qui lui a été assigné [...] ». Les particuliers auraient pu exiger que l'on supprime toute mention de leur NAS figurant dans les dossiers fédéraux les concernant à des fins autres que celles qu'autorisait la loi. Chaque fois qu'un organisme du gouvernement fédéral aurait demandé son NAS à un particulier, il aurait été tenu de lui expliquer, le cas échéant, les conséquences d'un refus. Une autre disposition aurait autorisé expressément le Commissaire à la protection de la vie privée à examiner les plaintes concernant l'utilisation du NAS. Le projet de loi est mort au Feuilleton.

RÉGLEMENTATION DE L'UTILISATION DU NAS

Les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux en sont graduellement venus à utiliser le NAS comme numéro d'identification dans les systèmes de tenue de dossiers contenant des renseignements personnels. D'une part, l'utilisation de ce numéro par les institutions versant à des contribuables une pension ou d'autres indemnités liées au revenu facilite la confirmation du revenu par le ministère du Revenu national. De façon plus générale, toutefois, l'utilisation massive du NAS tenait à sa commodité et à la nécessité pour les gros systèmes de renseignements personnels d'une méthode permettant d'identifier chaque individu faisant l'objet d'un dossier; or, les systèmes de numérotation sont beaucoup plus utiles que toute autre technique d'identification. Plutôt que d'établir de nouveaux systèmes de numéros pour chaque banque de données personnelles, les organismes préféraient utiliser le NAS : c’était plus pratique et moinscouteux(4).

L'utilisation accrue du NAS a soulevé deux types de préoccupations au sujet des renseignements personnels. Premièrement, le public semblait s'opposer fermement à l'utilisation de numéros d'identification, et surtout à celle d'un numéro d'identification unique, convaincu que cela aurait une influence déshumanisante sur la vie sociale moderne. Deuxièmement, il craignait que des renseignements recueillis dans un but précis puissent servir à d'autres fins(5).

La restriction de l'utilisation du NAS n'entraînerait probablement pas une réduction globale de l'utilisation des numéros d'identification, que les organismes jugent nécessaires à la gestion de leurs systèmes de tenue de dossiers. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est si le NAS devrait continuer à être utilisé sans aucune réglementation, de sorte qu'un seul système de numéros serve à la tenue des dossiers personnels dans les secteurs public et privé.

Dans la mesure où l'on se préoccupe du couplage des données, il importe de considérer ce qui suit. L'utilisation du NAS facilite l'intégration des bases de données, mais leur intégration est possible même lorsqu'elles ne sont pas fondées sur des identifiants semblables ou identiques; en fait, les moyens techniques dans ce domaine se sont perfectionnés, et il semble que l'utilisation d'un numéro d'identification unique aurait maintenant peu ou pas de répercussions sur l'intégration des archives. Par conséquent, en ce qui concerne le couplage des données, il s'agit avant tout non de savoir s'il faut l'interdire, mais plutôt de déterminer dans quelles circonstances et à quelles conditions il devrait être autorisé(6).

RAPPORT SPÉCIAL DU COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE, 1981

En 1980, le ministre de la Justice a demandé au Commissaire à la protection de la vie privée nommé aux termes de la Partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Mme Inger Hansen, de déterminer dans quelle mesure le NAS était utilisé et d'établir les répercussions de son utilisation sur la vie privée des particuliers. Aux termes de son mandat, le Commissaire devait déterminer dans quelle mesure le NAS était demandé et utilisé, à quelles fins il servait et si on l'employait pour coupler des données. Il devait aussi tenter d'établir quels dangers, le cas échéant, l'utilisation du NAS représentait pour la vie privée des particuliers et quelles seraient les conséquences d'une éventuelle réglementation ou interdiction de son obtention et de son utilisation. Le délai accordé ne permettant pas la tenue d'audiences publiques, la plupart des témoignages ont été recueillis sous forme de commentaires et de mémoires. Le rapport a été publié en janvier 1981(7).

Le Commissaire a constaté une grande diversité d'opinions au sujet du NAS. Par exemple, certaines personnes s'opposaient à son utilisation sous prétexte qu'il constitue un moyen d'identification impersonnel. D'autres craignaient que la simple possession du numéro d'une personne ne permette d'accéder à tous les renseignements accumulés sur elle, ou que l'utilisation du numéro facilite le couplage indu des données. Enfin, les uns s'opposaient à l'utilisation du NAS pour des raisons religieuses, tandis que d'autres avaient gardé d'expériences vécues au cours de la Seconde Guerre mondiale une véritable aversion pour toute forme d'identification personnelle au moyen de numéros. Par contre, certains vantaient l'efficacité et la précision que l'emploi du numéro permettait dans l'informatisation des données et ils en préconisaient l'application universelle à des fins d'identification(8).

Interrogés sur les raisons de leur opposition à l'utilisation du NAS, les intéressés ont pour la plupart répondu qu'elle permettait d'accéder à des renseignements sur une personne sans qu'il soit obligatoire au préalable de l'en aviser ou d'obtenir son consentement.

L'étude a révélé que le NAS était devenu un moyen d'identification important dans le traitement des données et qu'il était très utilisé par les divers pouvoirs publics et dans le secteur privé pour identifier des personnes ou pour coupler des données, surtout dans l'administration de programmes d'aide publique. Au niveau fédéral, on l'utilisait surtout dans les domaines où la loi l'exigeait, notamment la Loi sur l'assurance-chômage, le Régime de pensions du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu. On s'en servait aussi dans d'autres programmes pour faciliter l'identification des clients.

L'étude a permis d'établir que de nombreux programmes du gouvernement fédéral nécessitaient l'échange d'un volume important de renseignements et que le NAS constituait souvent le moyen de faire un lien entre ces divers renseignements. L’étude a révélé qu’il servait aussi à .établir un lien entre divers renseignements personnels, ce qui faisait craindre une mauvaise utilisation préjudiciable à la vie privée des particuliers, surtout compte tenu de la facilité et de rapidité avec lesquelles l'ordinateur permet de mémoriser, de traiter et d'extraire des quantités importantes de données.

Pourtant, dans son étude, le Commissaire a conclu, en dépit de ces constatations, que le couplage des données n'était pas aussi répandu qu'on l'avait d'abord cru. En fait, le NAS servait surtout à distinguer les personnes portant le même nom. Toutefois, le Commissaire n'en a pas moins observé que le NAS pouvait servir autant de méthode de couplage des données que de moyen d'identification universel. Il était en outre évident qu'on n'arriverait pas à éliminer le partage des données, toujours possible avec d'autres identifiants, en interdisant de demander et d'utiliser le NAS. Aussi le Commissaire n’a fait aucune recommandation visant à en limiter l'utilisation, soulignant qu'aucune réglementation, quelle qu'elle soit, ne permettrait à elle seule d'éviter les inconvénients redoutés(9).

Le rapport contenait des recommandations dans quatre grands domaines. Constatant que la vie privée pourrait être menacée par le couplage indu des données, le Commissaire a recommandé que le Code criminel du Canada soit modifié de manière à interdire l'utilisation malhonnête de renseignements personnels fournis pour obtenir un avantage ou un service, ou aux termes de la loi ou confiés à un tiers pour qu'il les stocke à la condition expresse qu'il soit le seul à s'en servir. Il a noté trois avantages à cette solution :

Ce serait une protection contre l'utilisation ou la modification indivulguée des renseignements personnels fournis par l'individu en cause, cela sensibiliserait à la nécessité de protéger la vie des individus et il devrait en résulter de nouvelles mesures préventives contre les actes prohibés(10).

Cette proposition ne disait pas si l'utilisation du NAS devrait être limitée ou réglementée pour des raisons n'ayant aucun rapport avec le couplage des données, notamment qu'elle est impersonnelle, qu'elle évoque le souvenir de groupes victimes d'injustices ou de brutalités ou qu'elle est contraire à des croyances religieuses. C’est la raison pour laquelle le Commissaire a recommandé au gouvernement fédéral de faire le nécessaire pour que les particuliers puissent, sur demande, ne pas être identifiés par le NAS ou un autre numéro dans les systèmes fédéraux d'information, quitte à exiger d'eux un droit raisonnable lorsque le traitement individualisé des renseignements coûterait sensiblement plus cher(11).

Le Commissaire a également recommandé au gouvernement d'étudier la nécessité de plans d'urgence pour assurer la protection des banques de données contenant des renseignements personnels dans l'éventualité d'une catastrophe d'origine humaine ou naturelle(12).

Enfin, l'étude révélait que dans bien des cas, beaucoup de citoyens ne savent pas qu'ils ont le droit de refuser de divulguer leur NAS ou d'autres renseignements personnels. Le Commissaire a donc recommandé au gouvernement fédéral de faire savoir aux Canadiens qu'ils ont droit à la protection des renseignements qui les concernent personnellement et qu'il leur incombe, à eux, comme au gouvernement de ne pas communiquer ces renseignements à la légère(13).

Le gouvernement fédéral n'a pas donné suite à ces recommandations.

LOI SUR LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS

Le 1er juillet 1983, le Parlement a proclamé la Loi sur la protection des renseignements personnels(14), qui abrogeait et remplaçait la Partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi sur la protection des renseignements personnels protège les renseignements personnels que les institutions fédérales détiennent sur les Canadiens; comme le NAS est considéré comme un renseignement personnel, aux termes de la définition que la loi donne de cette expression, il jouit de la même protection que tout autre identifiant ou renseignement personnel.

PROJETS DE LOI D'INITIATIVE PARLEMENTAIRE

Un certain nombre de projets de lois d'initiative parlementaire portant sur l'utilisation du numéro d'assurance sociale ont été présentés à la Chambre des communes. Ainsi, entre 1980 et 1986, trois députés progressistes-conservateurs ont présenté à ce sujet des mesures presque identiques qui sont toutes mortes au Feuilleton(15). Le dernier de ces projets de loi, le projet de loi C-236, Loi concernant l'utilisation des numéros d'assurance sociale, a été présenté le 21 octobre 1986 par M. Stackhouse.

Ce projet de loi stipulait, comme les projets de loi semblables qui avaient été présentés antérieurement, que « [s]ous réserve de toute disposition contraire de la présente ou d'une autre loi, une personne, une association, un groupe ou un organisme qui n'est pas fédéral ne peut demander à quiconque de communiquer son numéro d'assurance sociale »(16). Il prévoyait en outre que « [s]ous réserve de toute disposition contraire de la présente ou d'une autre loi, nul n'est tenu de communiquer son numéro d'assurance sociale »(17). Aux fins du projet de loi, l'expression « organisme fédéral » désignait « un ministère, un département, un office, un conseil, une commission, une personne, un organisme de réglementation, un tribunal, un conseil consultatif, un bureau ou un autre organisme ayant ou présenté comme ayant une compétence ou des pouvoirs conférés aux termes ou en vertu d'une loi du Parlement du Canada »(18).

Aux termes du projet de loi, une personne aurait dû communiquer son numéro d'assurance sociale à tout organisme fédéral qui en aurait fait la demande par écrit et qui aurait joint à sa demande une déclaration indiquant a) à quelle fin il le demandait et b) la loi autorisant cette communication(19).

Il aurait fallu qu’un organisme ou un groupe qui demandait par écrit à une personne de lui communiquer son NAS joigne à sa demande une déclaration indiquant à quelle fin il demandait ce numéro et informant l’intéressé de son droit de refuser de le divulguer. Cette personne aurait décidé ensuite de communiquer ou non son NAS(20).

Le projet de loi prévoyait en outre que le NAS ne serait utilisé que pour la fin à laquelle sa communication serait demandée à ses termes ou à ceux d'une autre loi(21).

Aux termes d'une autre disposition, lorsque vingt députés auraient estimé dans l'intérêt public de communiquer le NAS à une certaine fin qui n'aurait pas été légalement autorisée, ils auraient pu présenter au Président de la Chambre, pour que celle-ci l'étudie, une motion visant à constituer un comité spécial de sept membres chargé de faire une étude et un rapport sur la question de savoir si la communication et l'utilisation du NAS à cette fin servirait au mieux l'intérêt public(22). Par ailleurs, la Chambre aurait été tenue d'étudier la motion dans les cinq jours de séance suivant sa présentation(23). Le jour de son examen par la Chambre, la motion aurait été réputée adoptée à l'heure normale de l'ajournement si elle n'avait pas été adoptée ou rejetée avant(24).

De plus, toute personne aurait pu solliciter de la Cour fédérale du Canada un jugement déclaratoire, une injonction, des dommages-intérêts ou un autre recours lorsque, pour avoir refusé, ce qui aurait été permis, de communiquer son NAS, on l'aurait privée ou menacée de la priver d'un avantage ou d'une prestation auxquels elle aurait eu droit(25). En outre, une personne qui aurait communiqué son NAS lorsque sa communication n'aurait pas été légalement requise aurait été réputée ne pas voir abandonné son droit à un recours mentionné ci-dessus(26).

Enfin, aux termes du projet de loi, aurait été coupable d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et passible d'une amende d'au plus 1 000 dollars quiconque

  1. aurait publié, sans le consentement de son titulaire, un NAS communiqué en vertu de la loi;

  2. aurait obligé ou essayé d'obliger, par menace, par intimidation ou par la force, une personne à communiquer son NAS lorsque la communication n'en aurait pas été requise par la loi; ou

  3. aurait utilisé le NAS d'une personne d'une manière qui n'aurait pas été autorisée par la loi(27).

Le 14 septembre 1988, l'honorable Robert Kaplan a présenté à la Chambre une autre mesure d'initiative parlementaire, le projet de loi C-321, Loi modifiant le Code criminel (numéro d'assurance sociale)(28), qui n'a cependant pas atteint l'étape de la deuxième lecture. Ce projet de loi aurait eu pour effet de restreindre l'utilisation du NAS aux institutions fédérales, afin de protéger les renseignements personnels concernant les Canadiens. Il visait à modifier le Code criminel de manière à ce qu'il prévoie expressément qu'« [i]l est interdit de demander à quiconque de communiquer un numéro d'assurance sociale ». Cette disposition ne visait cependant pas les « institutions fédérales », expression désignant une institution au sens de la Loi sur l'accès à l'information. Quiconque y aurait contrevenu aurait commis une infraction et encouru, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 5 000 $ et un emprisonnement maximal de six mois, ou l'une de ces peines. Enfin, dans toute poursuite pour infraction à cette disposition, il aurait suffi, pour prouver l'infraction, d'établir qu'elle avait été commise par un agent ou un mandataire (qu'il ait été ou non identifié ou poursuivi) de l'accusé; celui-ci aurait cependant pu se disculper en prouvant que l'infraction avait été perpétrée à son insu ou sans son consentement et qu'il avait pris les mesures nécessaires pour l'empêcher.

RAPPORT DU COMITÉ PERMANENT DE LA CHAMBRE DES COMMUNES

En mars 1987, le Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général de la Chambre des communes a publié son rapport sur l'examen qu'il avait fait de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels(29). Le Comité partageait les craintes exprimées par M. Stackhouse dans sa mesure d'initiative parlementaire, le projet de loi C-236, et dans d'autres mesures du même effet, et estimait que le NAS ne devait jamais servir à des fins non prévues ou autorisées par le Parlement. Il notait que l'Association du barreau canadien avait adopté, lors de son congrès annuel de 1986, une résolution au sujet du NAS qui traduisait sa vive inquiétude à l'égard du principe voulant qu'un numéro d'identification obligatoire serve à trouver des personnes à des fins autres que l'impôt sur le revenu, l'assistance sociale et les pensions, fins auxquelles le NAS a été institué(30).

Le Comité a donc recommandé que soit ajouté à la Loi sur la protection des renseignements personnels un nouvel article n'autorisant l'obtention et l'utilisation du NAS qu'aux fins expressément autorisées par la loi fédérale ou son règlement d'application. Dans tous les autres cas, la loi devrait interdire aux gouvernements fédéral et provinciaux et aux entre- prises privées de refuser des biens ou des services à un particulier qui ne leur communiquerait pas son NAS. De plus, le Comité a instamment demandé que soit prévu dans la Loi sur la protection des renseignements personnels un droit d'action à l'intention de quiconque serait victime de ce genre de discrimination(31).

Plus précisément, le Comité a recommandé que la Loi sur la protection des renseignements personnels soit modifiée de la façon suivante  :

Il est illégal pour une institution gouvernementale fédérale, provinciale ou locale ou pour le secteur privé de demander à quiconque son numéro d'assurance sociale, sauf pour des fins expressément autorisées par la loi.

Il est illégal pour toute institution gouvernementale fédérale, provinciale ou locale ou pour le secteur privé de refuser à quiconque un droit, un avantage ou un privilège prévu par la loi du seul fait que l'individu en question refuse de fournir son numéro d'assurance sociale, à moins que la communication du numéro d'assurance sociale soit exigée par une loi fédérale.

Toute institution fédérale qui demande à un individu de fournir son numéro d'assurance sociale doit préciser si la communication est impérative ou volontaire, en vertu de quelle loi ou de quel autre texte réglementaire le numéro d'assurance sociale est demandé, et quels usages il en sera fait(32).

RÉPONSE DU GOUVERNEMENT AU RAPPORT DU COMITÉ PERMANENT

Dans sa réponse du 15 octobre 1987 au rapport du Comité permanent(33), le gouvernement fédéral a souscrit aux craintes du Comité au sujet de l'utilisation croissante du NAS. Il y observait que bien que le NAS ait été institué pour les besoins du Régime de pensions du Canada et de l'assurance-chômage, il était maintenant utilisé à de nombreuses fins, comme l'impôt sur le revenu, la pension de la sécurité de la vieillesse, les allocations familiales, la taxe d'accise, les prêts aux étudiants et les élections fédérales. De plus, les secteur public et privé en font abondamment usage partout au Canada.

Le gouvernement a reconnu que les Canadiens ne tiennent pas à ce que le NAS devienne un numéro d'identification universel, et a affirmé qu'il ferait très bientôt en sorte que cela n'arrive pas en établissant une politique visant les fins suivantes :

  • exiger que tous les ministères et organismes fédéraux fassent approuver par le  Conseil du Trésor toutes les utilisations actuelles du NAS qui ne sont pas  autorisées par une loi ou un règlement;

  • interdire l'obtention ou l'utilisation du NAS à de nouvelles fins administratives, sauf dans les cas autorisés par une loi ou un règlement;

  • indiquer clairement au public les lois et règlements aux termes desquels il est  obligatoire de fournir le NAS;

  • exiger que l’on renseigne les gens sur la raison pour laquelle on leur demande  de fournr leur NAS et qu’on leur indique si la communication du numéro est  exigée par la loi;

  • prévoir qu'il ne peut être refusé un droit, un avantage ou un privilège ni infligé de peine à quiconque refuse de fournir son NAS à une institution fédérale, à moins  que la communication en soit exigée par la loi(34).

Le gouvernement a indiqué qu'il examinerait la loi afin d'y intégrer ces principes à long terme(35).

Il a également déclaré que lorsqu'il aurait réglementé l'utilisation qu'il fait du NAS, il s'efforcerait d'imposer des contrôles similaires au reste du secteur public et au secteur privé et qu'il étudierait cette initiative dans le cadre des négociations visant à obtenir l'adhésion aux lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont l'objet est de protéger la confidentialité des renseignements personnels et les libertés individuelles. Il a ajouté que s'il ne peut parvenir à des ententes satisfaisantes, il veillera à adopter des mesures législatives pour réglementer l'obtention et l'utilisation du NAS, y compris, au besoin, des modifications au Code criminel qui auraient pour effet d'interdire de demander un NAS, sauf dans les cas autorisés par la loi(36).

Le 8 juin 1988, la présidente du Conseil du Trésor, l'honorable Pat Carney, a annoncé que le gouvernement entendait limiter l'utilisation que font les organismes fédéraux du NAS et de ne leur permettre de s'en servir qu'aux fins de l'administration de programmes d'impôt et de pensions, de programmes sociaux et programmes de prestations précis, et de certaines lois et de certains règlements fédéraux. Le lecteur trouvera en annexe le texte du communiqué ainsi que la liste des lois, règlements et programmes fédéraux aux fins desquels l'utilisation du NAS sera autorisée.

L'examen de l'utilisation du NAS à l'échelle du gouvernement a permis d'établir la liste des lois, règlements et programmes fédéraux pour lesquels l'obtention et l'utilisation du NAS étaient autorisées. Les ministères et le Conseil du Trésor ont dégagé les utilisations administratives courantes qui ne sont pas autorisées par la loi et ils devaient les abandonner graduellement au cours des cinq années suivantes. Entre autres principaux changements, on ne se sert plus du NAS sur les formulaires de demande de citoyenneté ou pour procéder à des vérifications de crédit dans le cadre des programmes fédéraux; le NAS n’est plus non plus le principal moyen d'identifier les fonctionnaires fédéraux. Le lecteur trouvera à la fin du communiqué annexé une liste partielle des utilisations qui ont été abandonnées.

Avant l'annonce, le 8 juin 1988, de la politique fédérale en la matière, une personne pouvait être privée d'un service ou d'un avantage pour avoir refusé de fournir son NAS, même si elle n'était obligée de le fournir qu'à des fins autorisées par la loi. Le Commissaire à la protection de la vie privée s'en était déjà inquiété dans son rapport annuel de 1986-1987 :

Il est peu rassurant de dire aux Canadiens que, sauf dans les quelques situations prévues par la loi, ils ne sont pas obligés de fournir leur NAS, car ce refus risque de les priver d'un service ou d'un avantage. Aucune organisation ne devrait refuser des biens, des services, des avantages ou des droits pour non-communication du NAS, à moins que le numéro ne soit explicitement exigé dans une loi. Ce principe devrait s'appliquer aussi bien au gouvernement qu'au secteur privé, et devrait figurer dans la législation(37).

Mais depuis l'annonce de la nouvelle politique, du moins dans le cas des institutions fédérales, aucun droit, avantage ou privilège ne peut être refusé ni aucune peine imposée à une personne qui refuse de communiquer son NAS, sauf lorsque celui-ci est exigé par la loi ou lorsque son utilisation est autorisée par le Conseil du Trésor dans le cadre de programmes fédéraux précis. Il est également interdit aux institutions fédérales de demander et d'utiliser le NAS à des fins administratives nouvelles, sauf lorsque la loi les y autorise.

En l’absence d’une loi fédérale sur la question, la politique susmentionnée continue de s’appliquer à l’utilisation du NAS par les institutions fédérales.


(1) Chambre des communes, Débats, 1979, p. 749.

(2) The Globe and Mail (Toronto), le 11 février 1980, p. 7 (traduction).

(3) Projet de loi C-535, Loi visant à compléter la législation canadienne en matière de protection de la vie privée et de droit d'accès des individus aux dossiers fédéraux qui contiennent des renseignements personnels les concernant, 1re session, 32e législature, 1980. Le sénateur Jacques Flynn a présenté le même projet de loi au Sénat.

(4) La Commission ontarienne d'étude sur la liberté d'information et sur la protection de la vie privée des individus, Public Government for Private People, Rapport, 1980, vol. 3, p. 589-590.

(5) Ibid., p. 771.

(6) Ibid., p. 773.

(7) Commission canadienne des droits de la personne, Rapport du Commissaire à la protection de la vie privée sur l'utilisation du numéro d'assurance sociale, janvier 1981.

(8) Ibid., p. 2.

(9) Ibid., p. 3.

(10) Ibid., p. 215.

(11) Ibid., p. 223.

(12) Ibid., p. 224.

(13) Ibid., p. 230.

(14) L.R.C. 1985, chap. P-21.

(15) Le projet de loi C-537, Loi concernant l’utilisation des numéros d’assurance sociale, 1re session, 32e législature, 12 mai 1980 (l’honorable Ramon Hnatyshyn); le projet de loi C-586, Loi concernant l’utilisation des numéros d’assurance sociale, 1re session, 32e législature, 2 mai 1980 (M.J. Gamble); le projet de loi C-245, Loi concernant l’utilisation des numéros d’assurance sociale, 1re session, 33e législature, 27 juin 1985 (M.R. Stackhouse); le projet de loi C-236, Loi concernant l’utilisation des numéros d’assurance sociale, 2e session, 33e législature, 21 octobre 1986 (M.R. Stackhouse).

Un projet de loi d’initiative parlementaire parlementaire semblable, le projet de loi C-335, Loi concernant l’utilisation des numéros d’assurance sociale, 1re session, 35e législature, a été présenté à la Chambre des communes le 20 juin 1995 par M. John Finlay, mais est mort au Feuilleton.

(16) Projet de loi C-236 (2e session, 33e législature), par. 3(1).

(17) Ibid., par. 3(2).

(18) Ibid., art. 2.

(19) Ibid., art. 4.

(20) Ibid., art. 5.

(21) Ibid., art. 6.

(22) Ibid., par. 7(1).

(23) Ibid., par. 7(2).

(24) Ibid., par. 7(3).

(25) Ibid., par. 8(1).

(26) Ibid., par. 8(2).

(27) Ibid., art. 9.

(28) Projet de loi C-321, Loi modifiant le Code criminel (numéro d'assurance sociale), 2e session, 33e législature, 14 septembre 1988 (l'honorable Robert Kaplan).

(29) Canada, Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, Rapport, Une question à deux volets : comment améliorer le droit d'accès à l'information tout en renforçant les mesures de protection des renseignements personnels, mars 1987.

(30) Association du barreau canadien, National, (septembre 1986), Congrès annuel de 1986, résolution no 2.

(31) Canada, Chambre des communes, Une question à deux volets… (1997), p. 46.

(32) Ibid.

(33) Gouvernement du Canada, Accès et renseignements personnels : Les prochaines étapes, Réponse du gouvernement au rapport du comité parlementaire chargé d'étudier l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels, 1987.

(34) Ibid., p. 6 et 7.

(35) Ibid., p. 7.

(36) Ibid., p. 8.

(37) Commissaire à la protection de la vie privée, Rapport annuel, 1986-1987, p. 23.