BP-228F

 

ENVIRONNEMENT : SOLUTIONS FONDÉES
SUR LES LOIS DU MARCHÉ

 

Rédaction :
Marion Wrobel
Analyste principal
Mars 1990


TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION

SOLUTIONS FONDÉES SUR LES LOIS DU MARCHÉ

   A. Description

   B. Distribution

   C. Objections et réponses
      1. Ça ne fonctionnera pas
      2. Les entreprises pourraient tricher
      3. Les entreprises achèteront des permis au lieu de réduire leurs émissions
      4. Les entreprises vont utiliser les PEN comme des instruments de spéculation ou d’agression
      5. Certaines entreprises doivent réduire la pollution alors que d’autres
          n’auraient qu’à acheter des PEN
      6. La réglementation directe (CAC) assure mieux la promotion des nouvelles technologies
      7. Les PEN sont insensibles à la dimension régionale

ÉTUDES TRAITANT DES SYSTÈMES FONDÉS SUR LES LOIS DU MARCHÉ

   A. Systèmes hypothétiques

   B. Les systèmes existants
      1. PEN et ses variantes
         a. Fox River (Wisconsin)
         b. Le Dillon Reservoir (Colorado)
         c. Échanges concernant le plomb
         d. Les bulles et les compensations de l’EPA
         e. Allemagne de l’Ouest

   2. Les systèmes de redevances d’émission
         a. Pays-Bas
         b. Allemagne de l’Ouest
         c. Italie
         d. Redevances portant sur l’eau en Amérique du Nord

      3. Systèmes de consignation

      4. Taxes différentielles

CONCLUSIONS

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXE


ENVIRONNEMENT : SOLUTIONS FONDÉES SUR
LES LOIS DU MARCHÉ

INTRODUCTION

En avril 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, qui était présidée par Gro Harlem Brundtland de Norvège, a publié son rapport sous le titre « Notre avenir à tous »(1). Les auteurs y réclamaient l’intégration des considérations environnementales dans la pensée et la planification économiques de l’industrie et des gouvernements. Au lieu de voir la protection de l’environnement comme un substitut de la croissance et du développement économiques, ils y soutenaient qu’environnement et économie sont tous deux inextricablement liés et que de bonnes politiques environnementales signifient de bonnes politiques économiques.

Une telle intégration a énormément de sens. On peut même affirmer que la dichotomie artificielle qui existe entre économie et environnement est à l’origine de presque tous, sinon de tous nos problèmes environnementaux. L’excès de pollution environnementale s’est produit parce que les producteurs et les consommateurs des produits polluants ont été capables d’en imposer les coûts internes, à des tiers. En transformant ces coûts externes en coûts internes, on réussira à intégrer pleinement les décisions économiques et environnementales.

Pour traiter les problèmes liés à la pollution, les gouvernements ont appliqué la méthode traditionnelle de la réglementation à base d’injonction et de contrôle (CAC : « command and control » — ou réglementation directe — ), qui consiste à dire aux entreprises et aux individus quelle quantité de polluants ils peuvent émettre, quel genre de technologie ils peuvent utiliser, quels biens ils peuvent produire, quelles méthodes de production ils peuvent appliquer, et ainsi de suite. Les entreprises se plaignent du prix élevé qu’elles doivent payer pour se conformer aux normes ainsi que du processus de mise en place des nouvelles normes, qui est lent, s’étire en longueur et exige des années de négociation entre politiciens, bureaucrates et représentants de l’industrie. Les environnementalistes se plaignent de ce que les règlements soient trop lents à venir et manquent de sévérité.

Ces contrôles se fondent assez souvent sur le principe « philosophique » voulant que la pollution soit inacceptable à quelque degré que ce soit. Des considérations pratiques dictent toutefois que des solutions de compromis doivent être acceptées entre-temps, à court terme du moins. Les organismes réglementaires n’ont pas qu’une seule décision difficile à prendre concernant la quantité de pollution permise sera distribuée par entreprise, industrie et région. Les organismes réglementaires imposent souvent des réductions uniformément proportionnelles à toutes les entreprises qui polluent.

Les décisions environnementales peuvent se trouver mêlées à un ensemble considérable de conflits à propos de l’égalité de champs de concurrence des industries, du développement régional, de l’adaptation de l’emploi, etc. Ces préoccupations ne font pas que rendre plus difficile le processus décisionnel en matière d’environnement; elles peuvent aussi déformer les objectifs originels des politiques environnementales.

La solution de remplacement de la réglementation directe se fonde sur les lois du marché. Aux yeux de l’économiste, la pollution est un problème de ressources mal réparties. L’environnement représente un bien dont les gens aiment à profiter en même temps qu’il est un intrant du processus de production; il est une ressource de valeur. En estimant mal le prix de l’environnement et en le fixant de manière typique à zéro, il s’ensuit que l’environnement est consommé trop aisément et que les moyens qui pourraient le préserver sont employés trop parcimonieusement. En conséquence, la pollution devient excessive. En ce sens, de bonnes politiques économiques, cela veut dire de bonnes politiques environnementales.

Une approche fondée sur les lois du marché est, tout comme celle qui utilise la réglementation directe, un autre instrument possible de politique publique. Les économistes sont convaincus qu’elle constitue un instrument plus efficient, qui pourrait assurer le même degré de propreté environnementale que la réglementation directe, mais à un coût inférieur. Mais l’état de l’environnement dépend aussi des objectifs. Un gouvernement qui ne se préoccupe pas du tout de l’environnement n’accordera que peu de valeur à ses politiques environnementales, ce qui se traduira par une réglementation directe faible ou par les bas prix du marché pour l’utilisation de l’environnement en régime fondé sur les lois du marché. Dans une situation de ce genre, il faut bien se garder de blâmer l’instrument pour l’échec de la politique.

SOLUTIONS FONDÉES SUR LES LOIS DU MARCHÉ

   A. Description

Pour une entreprise, l’environnement constitue un facteur de production. La demande pour ce facteur ressemble beaucoup à la demande pour tout autre facteur de production tel que la main-d’oeuvre, le fonds de terre et le capital : elle est une fonction décroissante du prix (la quantité demandée baisse à mesure que le prix monte). Si l’environnement est offert aux producteurs au prix zéro, ils vont l’utiliser en grandes quantités. Pour un producteur, utiliser l’environnement comme un facteur de production signifie souvent s’en servir comme d’un réceptacle de déchets(2) d’une espèce ou d’une autre. Les autres solutions, celles de réduire la production de déchets ou de les éliminer convenablement, sont coûteuses parce qu’elles exigent l’utilisation de la main-d’oeuvre, du capital et d’autres intrants que l’entreprise doit payer. Le producteur compare le coût de ces autres solutions au prix qu’il paiera pour utiliser l’environnement, prix qui, pour l’instant, est souvent fixé à zéro.

Une solution des problèmes environnementaux fondée sur les lois du marché établirait un certain prix positif pour l’utilisation de l’environnement et amènerait les entreprises à utiliser ce prix quant elles déterminent la quantité de pollution qu’elles vont émettre. Si le prix a été fixé comme il faut, la quantité de pollution devrait alors être optimale. Les environnementalistes se plaignent fréquemment des capitalistes avides et rapaces qui pillent l’environnement et, en un certain sens, ils ont raison. Cependant, l’environnement n’est pillé que parce qu’il est offert aux entreprises comme une marchandise sans valeur. Une approche fondée sur les lois du marché se servirait du motif du profit propre au producteur pour réduire le niveau de pollution en faisant payer un prix raisonnable pour l’utilisation de l’environnement au lieu du prix zéro auquel elles ont été habituées.

Le gouvernement peut recourir à un certain nombre de moyens pour introduire des mesures qui fixent ultimement le prix de l’environnement. Il peut établir des frais ou une taxe de déversement obligeant tout pollueur à payer X $ par tonne de polluant. Ces frais varieront selon le polluant puisque les effets dommageables des polluants peuvent varier grandement; les frais peuvent également varier selon le lieu. Cette méthode est traditionnellement proposée par les économistes, et il y a une raison précise à cela. Les économistes ne se préoccupent pas directement du niveau de pollution; ils se préoccupent directement du dommage causé par la pollution; dommage qui est ensuite comparé à ce qu’il en coûte pour l’éviter.

Un économiste est convaincu que les ressources sont affectées avec efficience quand le bénéfice additionnel d’une réduction de la pollution est égal au coût additionnel de cette réduction et que toute modification du niveau de pollution ferait que la société serait plus mal en point qu’auparavant. Il n’a aucune idée préconçue de la quantité de réduction des émissions. En ce sens, une fois que le taux de taxe approprié a été choisi, les entreprises qui maximisent le profit vont choisir la quantité de réduction optimale du point de vue de la société.

Les frais de déversement pourraient ne pas être fixés au niveau optimal en ce sens que la répartition la plus efficiente des ressources serait réussie. Ceci ne signifie pas toutefois que ces frais ne peuvent pas atteindre des niveaux de contrôle de la pollution aussi élevés que ceux qui sont atteints par réglementation directe, ou que les coûts du contrôle peuvent être réduits par ces frais.

L’approche des frais de déversement pose plusieurs problèmes. En premier lieu, le calcul du coût dommages causés par la pollution est une tâche extrêmement ardue. Par conséquent, le choix du niveau de taxe qui convient est plein de difficultés. Ensuite, les non-économistes qui se préoccupent de l’environnement pensent rarement en se situant sur ce plan; ils pensent en fonction des émissions cibles ou des niveaux des sédiments. Il se peut que les difficultés et les incertitudes empiriques liées au système des frais de déversement rendent cette approche fondée sur la quantité plus facile, ou que l’approche soit le résultat d’une logique fourvoyée. Quelle qu’en soit la raison, le choix de quantités cibles et le recours à des taxes pour atteindre ces cibles ont pour résultat d’ajouter encore à l’incertitude. Comme nous ne connaissons pas de façon précise la demande de pollution de l’industrie, nous devons expérimenter avec des taux de taxe pour obtenir les résultats quantitatifs que nous voulons. Comme il est probable que la demande de pollution à long terme diffère substantiellement de la demande à court terme, une telle expérimentation pourrait prendre beaucoup de temps; pendant cette période, des événements peuvent modifier la demande de pollution dans une mesure qu’il n’est pas possible de prédire. En conséquence, les prix devront être continuellement modifiés pour atteindre la quantité souhaitée. De plus, la valeur réelle des taxes prélevées de cette façon décroîtra avec le temps par suite de l’inflation. Elles doivent donc être rajustées à la hausse chaque année simplement pour maintenir le niveau de réduction souhaité.

Il y a une solution évidente à ce problème, solution qui répond aux exigences tant des économistes que des non-économistes et qui est compatible avec l’approche environnementale fondée sur les lois du marchés. Il s’agit de la notion du permis d’émission négociable (PEN). Si nous voulions que 2 000 tonnes seulement d’un certain polluant soient émises au cours d’une année quelconque au Canada, le gouvernement délivrerait 2 000 permis autorisant chacun son titulaire à émettre une tonne de ce polluant par année. Ces permis seraient distribués aux Canadiens(3), qui pourraient les vendre et les revendre.

Certaines entreprises chercheraient à obtenir des permis de pollution, cette solution étant moins coûteuse que la réduction de la pollution. D’autres vendraient leur permis, ceci étant plus profitable que de continuer à polluer et à épuiser les permis. L’achat et la vente des permis détermineraient un prix d’équilibre du marché qui serait alors la base sur laquelle seraient prises les décisions concernant la réduction de la pollution. si une entreprise peut réduire à un coût moindre que le prix du permis sur le marché, elle le fera. Cette entreprise n’aura pas à acheter un permis qu’elle ne possède pas, ou elle sera en mesure de vendre un permis pour toucher un profit. Les opérations de certaines compagnies seront très propres et celles d’autres compagnies seront malpropres. Ce qui est essentiel, c’est que ces dernières compagnies auront à payer pour le privilège d’avoir des opérations malpropres en obtenant des PEN et en payant pour les obtenir.

La méthode du contrôle de la pollution qui se fonde sur les lois du marché, que ce soit au moyen de frais de déversement ou de permis d’émission négociables (PEN), se définit essentiellement par sa tendance à produire une réduction de la pollution au coût le plus bas. Chaque entreprise ferait face à un prix explicite quant il s’agirait d’utiliser l’environnement comme un dépotoir. Ce prix, comparé au coût marginal de réduction pour l’entreprise, déterminerait le niveau de l’effort de réduction et, au cours du processus, il répartirait l’effort de réduction partout dans l’économie. Le marché accomplirait ce qu’un organisme réglementaire doit accomplir en régime de réglementation directe.

La promotion des instruments économiques ou des instruments fondés sur les lois du marché pose un problème sérieux du fait que ces instruments fonctionnent sans faire de bruit et ne sont pas considérés comme des instruments environnementaux. Ils obtiennent peu de publicité et de soutien.

Tous les Canadiens connaissent bien les consignes remboursables pour les récipients de boissons gazeuses et de bière. Quand nous achetons ces produits, nous versons une consigne pour leur récipient. Ce dépôt est remboursé au retour du récipient. Ceci impose en effet une taxe de pollution à ceux qui ne se défont pas correctement de ces récipients. En Ontario, il n’y a environ que 2 p. 100 des récipients de bière qui ne sont pas retournés et qui se trouvent ainsi soumis à cette taxe. Le programme de certaines villes du Canada en vue de recycler les ordures ménagères reçoit beaucoup plus de publicité et de financement et est vanté comme une important solution du problème des ordures bien qu’il n’ait guère de chances d’atteindre au niveau de réussite du programme de remboursement des consignes, qui est déjà en place et qui fournit le parfait exemple d’un instrument fondé sur les lois du marché qui fonctionne extrêmement bien.

Cette approche peut également s’appliquer à d’autres produits qui posent des problèmes semblables d’élimination des déchets. Nous avons parfois trop de déchets parce que des individus ne se défont pas proprement de certains articles; par exemple, il peut arriver que le recyclage soit offert, mais qu’un ménage ne profite pas de cette possibilité. Bien des fois, cependant, les frais d’élimination sont élevés à cause de la nature du produit.

Dans les cas où les caractéristiques de l’élimination des produits des consommateurs sont très évidentes, il est possible d’imposer une taxe de vente ou une consigne spéciale sur des produits qui entraînent des frais d’élimination particulièrement élevés.

Par exemple, les pneus des autos et des camions posent des problèmes d’élimination tellement sérieux que l’honorable Clifford Lincoln, autrefois ministre de l’Environnement du Québec, annonça un jour qu’il étudiait la possibilité de prélever une taxe spéciale sur leur vente et que la province de l’Ontario a déjà prélevé une taxe de 5 $ sur la vente de chaque pneu.

Si le problème des pneus tient simplement au fait qu’on s’en défait au petit bonheur, créant ainsi un problème de déchets sauvages, le gouvernement pourrait exiger qu’une consigne soit payée à l’achat de chaque pneu. Quant la vie utile du pneu serait terminée, le dépôt du consommateur (qui devrait être assez élevé pour favoriser la conformité) serait remboursé à condition que le pneu soit remis à un poste de collecte autorisé. Ces postes de collecte seraient alors chargés d’éliminer les vieux pneus de manière convenable. Comme nous l’avons vu, nous avons déjà un système du genre pour les bouteilles de boissons gazeuses et de bière, et ça fonctionne.

Si le problème des pneus tient au fait que leur élimination coûte cher, il convient alors que les consommateurs assument ces frais au moyen d’une taxe de vente environnementale. Si nous avons aussi le problème de l’éparpillement sauvage des pneus usés, la solution pratique serait de prélever au moment de l’achat une consigne dont une partie serait remboursable comme on l’a indiqué plus haut, et une autre non remboursable, qui constituerait ainsi une taxe de vente environnementale.

Une taxe de vente environnementale ne se limite pas nécessairement au financement de l’élimination convenable des déchets, elle peut stimuler le développement et l’utilisation d’autres solutions plus propres. Par exemple, les couches pour bébé jetables constituent un problème majeur pour les sites d’enfouissement sanitaire des municipalités. Les parents les emploient parce qu'elles sont commodes, efficaces et que leur coût se compare avantageusement à celui du service de couches à domicile. Mais les parents ne paient pas entièrement leur utilisation parce qu’ils ne paient pas le coût marginal de leur élimination. Grâce à une taxe de vente appropriée, le fardeau de ces frais d’élimination serait porté par ceux qui en sont la cause; chose plus importante, une telle taxe modifierait les prix relatifs et agirait comme un stimulant en faveur du recours à d’autres méthodes. Ces deux exemples quotidiens (les pneus et les couches) illustrent le rôle que les ménages peuvent jouer dans la détermination de l’usage qu’on fait de l’environnement.

Une telle taxe pourrait s’appliquer à d’autres problèmes environnementaux. Les nouvelles normes du gouvernement concernant les gaz d’échappement des automobiles ne seront peut-être pas assez rigoureuses dans les années à venir. Une taxe de vente spéciale, applicable non pas à la valeur de la voiture mais à son niveau coté d’émissions, pourrait s’appliquer à toutes les nouvelles voitures. Par exemple, à l’étape de la fabrication des voitures, une taxe semblable pourrait aussi s’appliquer aux entreprises qui utilisent des produits chimiques industriels. Dans ce cas, ta taxe s’appliquerait sous sa double forme remboursable et non remboursable.

Il y a pour l’instant peu de cas où les solutions propres et malpropres sont aussi faciles à distinguer. Cependant, au fur et à mesure que les ministères ayant compétence en matière d’environnement développeront leur expertise en ce domaine, ils pourraient appliquer cette taxe de vente à des produits de plus en plus nombreux. La logique sur laquelle cette taxe est fondée est claire : augmenter le prix des produits malpropres et baisser le prix relatif des produits propres. Les ménages, tout en étant des consommateurs rationnels, rendront en même temps service à l’environnement.

On pourrait soutenir qu’une telle taxe de vente ne fonctionnerait pas parce que les producteurs de produits taxables pourraient réduire les prix de leurs produits de façon à ce que ces prix ne les désavantagent pas au profit des producteurs de produits propres. Toutefois, comme cette baisse des prix aurait pour résultat de diminuer leurs propres profits, il n’est pas déraisonnable de prévoir qu’ils essaieraient de toutes leurs forces de l’éviter. Que la taxe de vente fonctionne au niveau du consommateur ou à celui du producteur, elle réduirait la demande de produits malpropres et inciterait davantage les entreprises à en mettre au point et à en offrir de plus propres.

La taxation de la production totale de déchets pourrait être la solution de rechange à la taxation de produits bien définis. Un tel système serait en fait plus judicieux et plus efficient, mais ses frais de contrôle et de mise en conformité seraient plus élevés que le revenu provenant de la taxation de produits qui posent des problèmes précis d’élimination.

   B. Distribution

L’une des raisons pour lesquelles les entreprises préfèrent la réglementation directe se trouve dans le fait que, en vertu de ce régime, un entreprise doit payer les frais de la réduction qui s’impose pour atteindre au niveau permis des émissions, mais toutes les émissions inférieures à ce niveau sont libres d’impôt. En régime de frais de déversement ou de PEN, une entreprise paie pour utiliser la technologie capable de réduire les émissions au niveau qu’elle a choisi, mais elle doit encore payer pour la pollution qu’elle continue d’émettre. En régime de permis ou de frais de déversement, il peut y avoir transfert au gouvernement de sommes d’argent considérables.

Les permis d’émission négociables peuvent être distribués d’un certain nombre de façons. Ils peuvent être librement vendus aux enchères. La distribution des permis va probablement imiter la distribution finale qui se fait sans que beaucoup d’échanges aient lieu, mais avec tous les avantages de l’échange quand même. Les entreprises vont acheter le nombre de permis dont elles pensent avoir besoin, et c’est seulement s’il est prouvé qu’elles sont en faute et si les circonstances changent que des échanges se révéleront nécessaires. La vente aux enchères effectuée de cette façon produit un afflux considérable de recettes pour les gouvernements. Chaque permis pourrait avoir une vie fixée et finie, de cinq années disons. Une fois cette période terminée, une nouvelle série de permis serait vendue aux enchères.

La vente aux enchères comporte l’avantage de n’accorder aucune préférence concurrentielle à un groupe particulier d’entreprises. Le PEN confèrent des droits qui ont de la valeur. Certaines entreprises peuvent recevoir des PEN à titre gratuit, ce qui leur donne un avantage concurrentiel sur celles qui doivent payer ces permis. Beaucoup de programmes PEN qui sont en place accordent gratuitement des permis aux pollueurs actuels afin de reconnaître un certain droit au statu quo à ceux qui ont des titres de propriété.

Même si la distribution initiale des PEN entraîne des conséquences très réelles sur la richesse, ceci n’a rien à voir avec le résultat final sur le plan des niveaux de pollution. Ce qui importe du point de vue d’une répartition efficiente des ressources, c’est l’incidence marginale de ce système sur les décisions des sociétés. Si la distribution initiale des permis au moyen de la vente aux enchères ou de la distribution gratuite ne convient pas aux besoins des entreprises, elle peut être modifiée au moyen des échanges.

   C. Objections et réponses

Les contrôles de la pollution fondés sur les lois du marché constituent une approche relativement nouvelle et sont donc considérés avec méfiance par beaucoup de gens. Dans les pages suivantes, nous tentons de répondre à certaines des objections que ces contrôles soulèvent et de comparer leur mécanisme à celui d’un système de réglementation directe (CAC).

      1. Ça ne fonctionnera pas

Quelles sont les circonstances où nous pourrions avoir plus de pollution que nous le souhaitons en régime de PEN? Cela se produirait, de toute évidence, si nous établissions trop de permis au début, mais une erreur de cette sorte peut se produire avec presque toutes les formes de régime réglementaire. La méthode qui sert à déterminer la quantité totale de PEN est la même et elle exige la même information et la même étude que celle qui permet d’établir les limites globales en régime de réglementation directe.

En effet, le PEN a cet avantage particulier de permettre de régler facilement tout problème provenant du trop grand nombre de permis. Dans le cas où le gouvernement, après avoir délivré des permis d’une valeur de 2 000 tonnes, déciderait de porter le nombre plutôt à 1 5000 tonnes, il n’aurait qu’à se rendre au marché pour y acheter 500 tonnes. Si les groupes environnementaux trouvaient excessif le nombre de 2 000 tonnes et qu’ils obtenaient l’appui du public sur ce point, ils auraient simplement à entreprendre une campagne de souscription pour acheter eux-mêmes des permis. À court terme, les groupes environnementaux et leurs partisans paieraient effectivement le prix d’une réduction plus importante en se portant acquéreur de PEN, mais une telle mesure signalerait très clairement aux gouvernements que le public est en faveur de contrôles pour serrés et que l’industrie peut s’en accommoder. Il est à prévoir qu’en conséquence, le gouvernement délivrerait moins de permis à l’étape suivante.

Les frais de déversement qui se soldent par une trop faible réduction peuvent aussi être facilement rajustés par une augmentation appropriée de leur taux.

      2. Les entreprises pourraient tricher

Toute politique qui impose aux entreprises des frais de réduction de la pollution est génératrice d’incitations à tricher. C’est pourquoi un système de contrôle et d’amendes est nécessaire pour assurer l’application de cette politique. Cela est vrai des systèmes de réglementation directe, de ceux des frais de déversement et du régime des permis d’émission négociables. Il est indispensable que les amendes pour non-conformité soient au moins aussi élevées que les frais de mise en conformité de façon à ce que les entreprises qui contreviennent à la réglementation environnementale ne retirent aucun avantage financier.

Cependant, le PEN ajoute une possibilité de complication. La distribution des émissions va se modifier avec le temps à mesure que les échanges ont lieu. Un registre central des PEN doit soigneusement conserver la trace de ces droits et de la mesure de leur utilisation au long de l’année. Essentiellement, le gouvernement voudra s’assurer qu’une entreprise n’a pas vendu des droits d’émission qu’elle a déjà épuisés. Comme beaucoup d’avantages d’un PEN proviennent de la possibilité de l’échange, le gouvernement souhaitera s’assurer que la responsabilité légale de ces faux échanges revient au vendeur et non à l’acheteur. De cette façon, les entreprises hésiteraient moins à acheter les crédits détenus par d’autres.

      3. Les entreprises achèteront des permis au lieu de réduire leurs émissions

Pour certaines entreprises, il serait moins coûteux de continuer à polluer et à se servir des PEN, mais le nombre des PEN serait fixe. Si le nombre des permis permettait moins que le niveau courant d’émission, la réduction devrait s’effectuer quelque part dans le système. Si le prix initial des permis était bas par rapport au coût total de la réduction, il y aurait une demande excessive de permis qui en ferait monter le prix; éventuellement, ce prix plus élevé influerait sur les décisions que prendraient les entreprises de réduire ou de ne pas réduire.

On peut raisonner de la même manière à propos des frais de déversement. Malheureusement toutefois, il n’y a pas de limite globale pour les justifier, mais il a le motif du profit qui entre en jeu. Une entreprise qui paie 100 $ pour déverser des polluants qu’elle pourrait contrôler à moins de frais subirait le même sort qu’une entreprise qui achète des matériaux bruts, de la main-d’oeuvre ou du capital à un prix excessivement élevé. Elle fonctionnerait avec un désavantage concurrentiel et devrait modifier sa façon de faire ou cesser ses activités.

      4. Les entreprises vont utiliser les PEN comme des instruments
          de spéculation ou d’agression

Comme très peu d’entreprises peuvent fonctionner sans produire de polluants, il est concevable que quelques riches individus ou entreprises puissent chasser tous leur concurrents des affaires en les privant des PEN.

La menace de la concurrence agressive existe dans tous les marchés bien qu’elle semble ne pas avoir d’effets qui durent longtemps. Le cas des PEN serait-il un peu différent? La réponse est un non retentissant! Une entreprise peut éliminer la concurrence intérieure, mais tant que la concurrence étrangère existe, elle ne peut garantir sa part du marché, et c’est cela qui compte vraiment. En outre, les polluants spécifiques sont produits par un grand nombre d’industries. Par exemple, pour que Falconbridge puisse chasser INCO des affaires, elle devrait acheter tous les PEN associés au SO2. Une fois engagée dans cette voie, elle devrait également chasser des affaires des concurrents tels que les producteurs d’électricité, les usines de traitement du gaz naturel, les usines de sables bitumineux, etc. Ce serait sûrement là un moyen coûteux et inefficient de l’emporter sur ses concurrents.

Il existe un certain nombre de circonstances dans lesquelles des entreprises pourraient utiliser les PEN comme des instruments d’agression(4). Cependant, la plupart des marchés comportent assez de facteurs concurrentiels pour rendre improbable le recours à de tels instruments.

Mais une entreprise pourrait-elle acheter des PEN pour des motifs purement spéculatifs? La réponse est évidemment oui. Est-ce une mauvaise chose? La réponse est non.

Supposons le cas d’un riche individu qui voudrait spéculer sur des PEN SO2 bien qu’il n’ait pas besoin de ces PEN pour sa propre production étant donné qu’il ne produit pas lui-même de SO2. S’il achetait ces permis et tentait de les vendre à un prix excédant le prix du marché, disons 600 $ plutôt que 400 $ la tonne, les entreprises qui auraient besoin de permis additionnels baseraient leurs décisions de réduction sur le prix de 600 $ plutôt que 400 $ la tonne imposé par le spéculateur ou sur le prix auquel tout autre producteur serait disposé à revendre des permis, prix qui se situerait probablement quelque part au-dessus de 400 $.

Si le spéculateur réussissait à faire monter le prix des permis au delà du prix de liquidation du marché, certains permis resteraient inutilisés. Comme la demande de permis est une fonction négative du prix, toute augmentation du prix conduirait à une baisse de la quantité globale de pollution. Cela aurait le même effet que si un groupe environnemental achetait certains permis pour les tenir loin du marché. L’environnement deviendrait plus propre et le spéculateur deviendrait environnementaliste de fait sinon d’intention.

     5. Certaines entreprises doivent réduire la pollution alors
          que d’autres n’auraient qu’à acheter des PEN

La réglementation directe établit un lien entre le « principe pollueur/payeur » et l’effort de réduction de la pollution; autrement dit, les entreprises « paient » seulement dans la mesure où elle s’engagent dans le contrôle de la pollution. En pareil cas, il pourrait paraître équitable de répartir également l’effort de réduction entre les entreprises, même si des réductions uniformes vont probablement imposer des frais fort divers à des entreprises différentes. En régime fondé sur les lois du marché, le principe pollueur/payeur tient bon. En régime CAC, le « principe pollueur/non-payeur » tend à se maintenir.

En régime de contrôle fondé sur les lois du marché, sur le PEN ou sur les frais de déversement, ce lien est rompu. Les entreprises qui ne s’engagent dans aucune espèce de contrôle de la pollution doivent encore payer soit en acquittant les frais de déversement soit en achetant la quantité appropriée de PEN.

      6. La réglementation directe (CAC) assure mieux la promotion
          des nouvelles technologies

Examinons le cas où un gouvernement voudrait réduire de façon spectaculaire des quantités considérables de polluants, des deux tiers disons, sans savoir comment l’industrie y parviendrait. On a déjà donné à entendre qu’un système très dur du genre CAC favorise réellement l’innovation en technologie du contrôle de la pollution. En fait, aux États-Unis, l’EPA (Environmental Protection Agency) a introduit des règlements dans le passé tout en sachant que la technologie capable de satisfaire aux nouvelles normes n’existait pas encore.

Il y a certaines conditions auxquelles des entreprises qui utilisent des PEN pourraient s’engager moins dans la recherche et le développement touchant le contrôle de la pollution qu’elles ne le feraient en régime de réglementation directe(5). Ceci pour la principale raison que le système des PEN offre des moyens de contrôler la pollution qui sont plus rentables, comme c’est le cas de l’échange. Et il faudrait se rappeler que l’innovation technologique n’est qu’un moyen d’atteindre cet objectif.

Malgré le raisonnement qui précède, il est encore probable qu’un système de PEN ou de frais de déversement favorisera le développement technologique plus que ne le fera un régime de réglementation directe. Une entreprise qui fonctionne à l’intérieur de ses limites d’émission en régime de réglementation directe n’a pas d’incitation fiscale à réduire davantage ses émissions. En fait, elle peut en réalité avoir à faire face à une problème de dissuasion si les niveaux actuels d’émission devaient subir dans l’avenir des réductions proportionnelles uniformes. Une entreprise qui fonctionne en régime de contrôle fondé sur les lois du marché est toujours contrainte de payer un prix positif pour chaque unité de rejet. Que l’entreprise soit un gros ou un petit pollueur, elle doit toujours économiser de l’argent si elle peut trouver une façon peu coûteuse de réduire davantage ses émissions.

      7. Les PEN sont insensibles à la dimension régionale

Si nous établissons un système de PEN, devrions-nous permettre qu’une tonne polluant du Manitoba soit échangée pour une tonne de polluant de Terre-Neuve? Le système pourrait-il, à cause de tels échanges, créer des problèmes de pollution locale là où il n’y en avait pas auparavant?

À cause de sa flexibilité, le système des PEN crée potentiellement des problèmes qui épargnent les autres systèmes, mais ceci ne doit pas être exagéré. Par exemple, nous savons qu’une tonne de SO2 qui est émise du point A et qui retombe sur un écosystème sensible est plus dommageable qu’une tonne de SO2 qui est émise du point B et qui retombe sur un écosystème bien tamponné. Un système convenablement structuré de réglementation directe doit tenir compte de cela, comme doivent le faire et un système de frais de déversement (en imposant une taxe plus élevée par unité de rejet dans les zones plus sensibles) et un système PEN.

On peut établir des régions déterminées dans les limites desquelles les échanges sont permis et hors desquelles ces échanges sont refusés. Dans le cas de petites régions, on peut penser que peu de ceux qui pourraient pratiquer ces échanges se trouveraient dans la même région. Une certaine souplesse pourrait être assurée en pondérant différemment les émissions dans les limites de chaque région et en permettant aux échanges de se faire en tenant compte de ces pondérations. Ainsi, une tonne de SO2 qui serait émise à Sudbury pourrait compter pour trois tonnes de façon à ce qu’une réduction de trois tonnes soit nécessaire à Terre-Neuve pour compenser une augmentation d’une tonne à Sudbury. Une fois ces rapports déterminés et connus, l’échange pourrait avoir lieu aussi simplement que dans le cas échanges d’un contre un.

ÉTUDES TRAITANT DES SYSTÈMES FONDÉS SUR LES LOIS DU MARCHÉ

   A. Systèmes hypothétiques

Les exemples de systèmes de contrôle de la pollution fondés sur les lois du marché sont encore relativement rares. Cependant, les économistes ont entrepris un certain nombre d’études pour comparer l’incidence de ces approches avec celle des systèmes actuels de réglementation directe. Cette partie porte sur quelques cas hypothétiques, alors que la partie suivante est consacrée à l’examen de quelques études traitant des systèmes actuellement en place.

Les auteurs d’un certain nombre d’études ont examiné les réglementations américaines du genre CAC et estimé, en se servant de modèles de simulation, les économies obtenues grâce à un système fondé sur les lois du marché qui atteint le même niveau de réduction de la pollution(6). Les 11 études qui portent sur la qualité de l’air montrent toutes que le système fondé sur les lois du marché a un potentiel d’économie qui varie entre un minimum de 6,5 p. 100 et un maximum de 95 p. 100. En règle générale, ces études montrent que le système de réglementation directe (CAC) assure le contrôle de la pollution à un coût excessif et que les mêmes résultats environnementaux pourraient être obtenus à un coût inférieur(7).

On a montré que des économies potentielles semblables peuvent être réalisées au chapitre des programmes de la qualité de l’eau. Trois études montrent que les économies potentielles se situent entre un minimum de 11 p. 100 et un maximum de 68 p. 100, pour une moyenne non pondérée de 45 p. 100(8). Comme pour les études sur la qualité de l’air, diverses raisons expliquent pourquoi ces économies potentielles pourraient se révéler quelque peu exagérées, mais elles ne changent rien au fait que les études s’accordent pour montrer que les systèmes fondés sur les lois du marché sont moins coûteux que les systèmes de réglementation directe.

Dans une étude additionnelle des normes de la qualité de l’eau qui porte sur quatre rivières américaines, la Willamette, la Delaware, la Mohawk et l’Upper Hudson, il est démontré que les systèmes de permis négociables sont venus bien près d’atteindre aux résultats les moins coûteux en fait de réduction de la pollution et que leur performance sur le plan économique a considérablement dépassé celle des programmes conventionnels à base de réglementation directe(9).

   B. Les systèmes existants

      1. PEN et ses variantes

         a. Fox River (Wisconsin)

Depuis 1981, un système de permis négociables qui a pour objectif de contrôler la demande biologique d’oxygène (DBO) a été appliqué à cette rivière. On a estimé qu’un tel système avait le potentiel voulu pour réaliser des économies substantielles. En pratique, cependant, ce ne fut pas le cas et un seul « échange » a eu lieu parmi les entreprises(10).

Il y a plusieurs à cette absence d’échanges, dont le nombre restreint des entreprises, qui crée un marché « mince » pour les permis, et le fait que certaines des entreprises touchées sont des services d’utilité publique soumis à la réglementation. Il est toutefois plus probable que le problème s’explique par les frais élevés de transaction que ce système impose aux échanges. Un échange entre deux parties qui réduit seulement le coût total de la pollution n’est pas permis; une entreprise doit justifier son « besoin » de permis additionnels; par exemple, elle doit être une nouvelle candidate ou une entreprise en croissance. En ce sens, le système de Fox River ne constitue pas un réel système PEN. Le fait que les permis initialement distribués avaient une durée de vie de cinq ans seulement a créé quelque incertitude, pense-t-on aussi, en ce sens qu’une entreprise qui achetait des permis ne savait pas quelle quantité de déversement lui serait permise dans l’avenir. Toutefois, ceci ne semble pas poser sur le plan de l’offre un problème d’incertitude plus grand que celui que pose l’achat de n’importe quel autre intrant. La situation n’est pas pire non plus que celle des frais de déversement, dont le coût n’est pas connu pour les cinq années à venir.

         b. Le Dillon Reservoir (Colorado)

Ce réservoir, qui fournit environ la moitié de l’eau utilisée dans la ville de Denver, est soumis à des rejets de phosphore en provenance de sources ponctuelles et de sources diffuses. Depuis 1984, chaque pollueur s’est fait accorder une charge de phosphore qu’il peut utiliser ou échanger. Les échanges ne sont permis qu’entre les sources ponctuelles et les sources diffuses, et pour chaque augmentation d’une livre dans les sources ponctuelles d’émission, il faut que deux livres d’émission soient réduites dans les sources diffuses. Comme le coût marginal de la réduction aux sources ponctuelles représente sept fois le coût marginal de la réduction aux sources diffuses, cette restriction des échanges laisse encore de la place à un large éventail d’échanges profitables(11). Les économies annuelles provenant des échanges ont été estimées à 775 000 $.

         c. Échanges concernant le plomb

Quand les États-Unis décidèrent la suppression graduelle de l’essence au plomb, il fut reconnu que les raffineurs n’avaient pas tous la même capacité de satisfaire aux nouvelles normes. En règle générale, les petits raffineurs avaient à faire face aux coûts les plus élevés pour réduire leurs niveaux de plomb. Les permis de plomb furent initialement distribués selon les niveaux réels de production et la teneur moyenne en plomb, et un régime d’échanges en toute liberté fut autorité. En 1985 seulement, presque la moitié de toutes les raffineries participèrent aux échanges(12), ce qui représente un taux de réponse très élevé. On estime à plus de 200 millions de dollars l’ensemble des économies ainsi réalisées par les raffineurs(13).

         d. Les bulles et les compensations de l’EPA

La United States Environmental Protection Agency (EPA) a, depuis maintenant plus d’une décennie, employé plusieurs versions du système des permis ou droits d’émissions négociables (PEN). En vertu des dispositions de l’EPA sur les émissions nettes, les échanges sont permis seulement entre les sources de pollution au sein d’une même entreprise. Les dispositions connues sous les noms de « compensation » et de « bulle » prévoient les échanges tant internes qu’externes.

Le nombre de transactions permises en vertu de ces dispositions atteint maintenant plusieurs milliers, la majeure partie des échanges étant encore internes. Ces règles novatrices ont permis aux entreprises de se conformer aux normes environnementales en réalisant des économies substantielles. L’estimation faible du total de ces économies se situait juste au-dessus de 1,2 milliard de dollars en 1985. L’estimation forte est dix fois supérieure à ce chiffre et rien n’indique que cette flexibilité ait nui d’une quelconque façon à la qualité de l’environnement(14).

         e. Allemagne de l’Ouest

Dans ce pays, les nouvelles sources de pollution ne peuvent pas entrer dans les zones où la qualité de l’air ambiant ne respecte pas certaines normes. Toutefois, si une usine ancienne et malpropre cesse ces activités ou est rénovée de façon à réduire ses émissions, ses droits d’émission peuvent être alloués à de nouvelles sources. En ce sens, le droit de polluer peut être échangé d’une source à une autre.

      2. Les systèmes de redevances d’émission

         a. Pays-Bas

Aux Pays-Bas, un système de redevances sur les émissions est en place depuis environ deux décennies. L’utilisation de ce système et les redevances exigées sont beaucoup plus élevées aux Pays-Bas qu’en France et en Allemagne, deux autres pays qui recourent à cette méthode pour contrôler la pollution. Ainsi, les redevances par habitant aux Pays-Bas sont à peu près trois fois celles de l’Allemagne et environ huit fois celles de la France, celle-ci utilisant ces redevances davantage pour augmenter ses revenus que pour fournir une incitation au contrôle de la pollution.

Les redevances hollandaises ont aussi augmenté avec le temps et cette augmentation a été associé à une baisse des émissions. Sur une période de 15 ans, les émissions par tête ont diminué d’environ 90 p. 100(15).

         b. Allemagne de l’Ouest

Des redevances d’émission sur les déchets rejetés dans les eaux allemandes existent depuis des décennies. Elles sont généralement appliquées au niveau local. En 1981, le revenu tiré de ces redevances s’élevait à 350 millions de DM(16). Le système allemand comporte un trait intéressant : les frais d’émission sont appliqués en combinaison avec les normes propres à chaque entreprise. Une entreprise qui respecte ses normes verse une redevance par unité de rejet qui est égale à la moitié de la redevance exigée d’une entreprise qui ne respecte pas ses normes. La redevance par unité de déversement contient donc des éléments propres à une amende pour non-conformité.

         c. Italie

Le système italien ressemble à celui de l’Allemagne. La redevance y est basée sur le volume de rejet, et le taux de cette redevance est neuf fois plus élevé pour les entreprises qui ne respectent pas les normes que pour celles qui s’y conforment(17).

         d. Redevances portant sur l’eau en Amérique du Nord

Dans la plupart des cas, les redevances sur les eaux d’égout industrielles et sur la consommation d’eau n’ont pas très bien correspondu à l’idée qu’un économiste se fait des frais d’émission. Néanmoins, les municipalités ont maintenant une longue expérience de ces frais et les données statistiques montrent que le système des redevances imposées à l’usager donne de bons résultats. Une étude portant sur 35 villes américaines a permis de constater qu’une majoration de 10 p. 100 de la redevance sur les eaux d’égout s’est traduite par une diminution de 8 p. 100 du volume des rejets qui causent une DBO (demande biologique d’oxygène), et qu’une majoration semblable de la redevance sur la consommation d’eau s’est traduite par une réduction de 4 p. 100 du volume d’eau consommé. Une étude portant sur des usines de transformation de la volaille fait état de résultats similaires : une augmentation de 10 p. 100 de la taxe d’eau a entraîné une réduction de 6 p. 100 de la consommation(18).

Les données sur le Canada tendent à confirmer l’expérience américaine. Les municipalités canadiennes ont également une longue habitude des redevances sur les rejets industriels. Les données recueillies sur l’exploitation des brasseries indiquent qu’à une augmentation de 10 p. 100 des frais de déversement correspondent une réduction de 5,7 p. 100 des émissions causant une DBO et une réduction de 4,5 p. 100 des émissions de solides en suspension(19).

      3. Systèmes de consignation (20)

Beaucoup de nations d’Europe ont depuis longtemps des systèmes de consignation pour les récipients de boisson. Dans la plupart des cas, les systèmes fonctionnent extrêmement bien.

En Finlande, plus de 90 p. 100 des bouteilles consignées sont retournées. En Norvège, le taux de retour dépasse aussi 90 p. 100 pour les bouteilles de bière de d’eaux gazeuses, alors qu’il est seulement de 70 p. 100 pour les bouteilles de vin et d’alcool. En général, plus la consigne représente un faible pourcentage des dépenses totales, plus la réponse est faible.

Des systèmes semblables existent pour les carcasses d’automobiles. En Suède, où la consigne est faible, le système fonctionne très mal, alors qu’en Norvège, où la consigne est environ quatre fois celle de la Suède, le taux de retour dépasse 90 p. 100.

Les Pays-Bas envisagent aussi un système de consignation pour les piles et les emballages de pesticides qui posent tous deux de sérieux problèmes de contamination des sols.

      4. Taxes différentielles

L’expérience des pays de l’OCDE est limitée et assez peu réussie. Bien que l’idée d’augmenter le prix relatif des produits polluants reçoive un accueil favorable, on a laissé entendre que la complexité administrative gêne le recours à un tel instrument, en particulier dans les pays où les taxes de vente existantes, surtout la taxe sur la valeur ajoutée, sont déjà fort complexes(21).

Et pourtant, on s’attendrait au cas contraire. Puisque les taxes sur les produits sont très répandues, il s’agit simplement d’identifier les produits qui polluent et de les taxer à un taux plus élevé. La difficulté pour l’Europe doit plus probablement provenir du fait que des produits polluants moins taxés sont disponibles dans d’autres États, situation qui risque de s’aggraver avec l’instauration du marché unique européen, en 1992.

Au Canada, le prix de l’essence avec plomb a traditionnellement été inférieur à celui de l’essence sans plomb comme c’est encore le cas dans beaucoup de provinces. En combinant réglementation et augmentation des taxes, les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont renversé ce rapport traditionnel. Aujourd’hui, en Ontario, le litre d’essence avec plomb coûte environ 0,02 $ de plus que le litre d’essence sans plomb(22).

L’incidence sur les ventes de l’essence avec plomb a été tout à fait révélatrice. En 1987, quand l’essence avec plomb avait l’avantage du prix, les ventes de l’essence ordinaire avec plomb représentaient en Ontario 52 p. 100 des ventes de l’essence ordinaire sans plomb. À la fin de 1988, cet avantage du prix fut éliminé : cette année-là, les ventes d’essence avec plomb représentèrent seulement 32 p. 100 des ventes de l’essence sans plomb. À la fin de 1989, l’essence sans plomb eut nettement l’avantage du prix : pour l’ensemble de l’année, les ventes d’essence avec plomb ne représentèrent que 13 p. 100 des ventes de l’essence sans plomb(23).

La différenciation des prix de l’essence avec plomb et de l’essence sans plomb a eu sur les ventes du produit polluant une incidence spectaculaire, plus spectaculaire, que l’incidence à laquelle on pourrait s’attendre si des changements se produisaient dans le parc automobile capable de rouler à l’essence avec plomb.

CONCLUSIONS

La pollution est un problème économique qui découle de droits de propriété mal établis et, par voie de conséquence, de ressources dont le prix n’est pas convenablement fixé. Les solutions aux problèmes de pollution ont leur fondement dans la fixation des prix environnementaux. Même les réglementations directes (CAC) fixent un prix mais d’une manière implicite. Leur inefficacité s’explique par la façon dont ces prix environnementaux sont fixés. Aussi longtemps qu’une entreprise produit moins de pollution qu’il lui est permis de le faire en vertu du système de réglementation, elle paie un prix fixé à zéro. À la limite de ses émissions, l’entreprise fait face à un prix positif et fini. Au delà de cette limite, l’entreprise fait face à un prix infini, en théorie. L’inefficacité du système de réglementation directe provient du fait qu’il impose réellement différents prix aux différents pollueurs, même si la pollution qu’ils produisent est qualitativement la même.

Un système fondé sur les lois du marché vise à faire payer aux entreprises et aux individus le même prix pour une consommation similaire de l’environnement. Tous les pollueurs doivent tenir compte de ce prix quand ils déterminent leur niveaux de réduction de la pollution et, par conséquent, l’effort de réduction se concentrera sur les secteurs qui ont le plus bas coût de réduction.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a récemment terminé l’étude sur une grande échelle des instruments économiques servant à réduire la pollution dans les pays membres(24). Beaucoup de ces instruments ne répondent pas aux critères des instruments vraiment fondés sur les lois du marché parce qu’ils ne changent pas le système des incitations destinées aux ménages ou aux entreprises (voir l’annexe). Cependant, l’OCDE et d’autres chercheurs ont montré que là où les méthodes répondent à ces critères, elles peuvent se révéler efficaces dans la réduction rentable de la pollution.

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ANNEXE

INCIDENCES VISÉES ET RÉELLES
DES REDEVANCES DE POLLUTION

Ojectif

Incitation

Incitation

Financier

Financier

Pratique

Incitation

Financier

Financier

Incitation

Redevances de déversement        
Air  

France

   
Eaux

Allemagne

Italie

France

Pays-Bas

Déchets

Danemark

Belgique

États-Unis

 
Bruits des avions    

France

 
     

Allemagne

 
     

Japon

 
     

Netherlands

 
     

Suisse

 
     

Royaume Uni

 
Bruit industriel    

Pays-Bas

 
Redevances pour service rendu    

Tous les pays

 
Redevance sur produit        
Huiles de graissage    

Finlande

 
     

France

 
     

Allemagne

 
     

Italie

 
     

Pays-Bas

 
Huile et produits minéraux  

Norvège

Finlande

 
     

Pays-Bas

 
     

Suède

 
Récipients de boissons

Finlande

Suède1

   
Contenants de nourriture

Norvège

     
Piles  

Suède1

   
Engrais  

Suède1

   
Produits chimiques de base  

Suède1

   
Aliments    

États-Unis

 
Redevances administratives        
Déchets    

Belgique

 
Pesticides

Suède

 

Danemark

 
     

Finland

 
Produits Chimiques

Suède

     
Différenciation fiscale

Tous les pays

     

1. Cette redevance sur produit a également un objectif financier.

 


(1) Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Oxford University Press, Oxford, 1987.

(2) Nous utilisons ici le terme déchets pour désigner tout extrant secondaire d’une entreprise qui peut nuire à l’environnement. Ce terme comprend les émissions dans l’air ou dans l’eau, les déversements accidentels et les déchets qui doivent être éliminés d’une façon quelconque.

(3) Nous discutons plus loin la méthode de distribution de ces permis.

(4) W.S. Misiolek and H.W. Elder, « Exclusionary Manipulation of Markets for Pollution Rights », Journal of Environmental Economics and Management, vol. 16, no 2, mars 1989, p. 155-66.

(5) D.A. Malueg, « Emission Credit Trading and the Incentive to Adopt New Pollution Abatement Technology », Journal of Environmental Economics and Management, vol. 16, no 1, janvier 1989, p. 52-57.

(6) T.H. Teintenbert, Emissions Trading: An Exercise in Reforming Pollution Policy, Washington (D.C.), Resources for the Future, 1985, p. 41-58.

(7) Le taux moyen non pondéré de ces économies s’élève à 83,6 p. 100. En négligeant les deux cas d’économies vraiment très considérables, on obtient encore un taux moyen non pondéré d’économie de 70 p. 100. Voir Tietienberg (1985), tableau 4.

(8) Tietenberg (1985), tableau 5.

(9) J.W. Eheart et al., « Transferable Discharge Permits for Control of BOD: An Overview », in E.F. Joeres and M.H. David (éd.), Buying a Better Environment: Cost-Effective Regulation Through Permit Trading, Madison (Wisconsin), University of Wisconsin Press, 1983, p. 163-95.

(10) R.W. Hahn, « Economic Prescriptions for Environmental Problems: How the Patient Followed the Doctor’s Orders », Journal of Economic Perspectives, vol. 3, no 2, printemps 1989, p. 95-114; et R.W. Hahn et G.L. Hester, « Marketable Permits: Lessons for Theory and Practice », Ecology Law Quarterly, vol. 16, no 2, 1989, p. 361-406.

(11) Hahn et Hester (1989), p. 395.

(12) Hahn (1989), p. 102.

(13) Hahn et Hester (1989), p. 387.

(14) Hahn (1989), p. 98-101.

(15) Les témoignages sur l’expérience hollandaise proviennent de trois sources citées dans Hahn (1989). Il s’agit de : J. Bressers, « The Effectiveness of Dutch Water Quality Policy », Twente University of Technology, Pays-Bas, mimeo, 1983; G. Brown Jr. et J. Bresser, « Evidence Supporting Effluent Charges », Twente University of Technology, Pays-Bas, mimeo, 1986; et G. Brown Jr., « Économic Instruments: Alternatives or Supplements to Regulation? », Environment and Economics, Document de discussion, Direction générale de l’environnement, OECD, juin 1984.

(16) G.M. Brown Jr. et R. W. Johnson, « Pollution Control by Effluent Charges: It Works in the Federal Republic of Germany, Why not in the U.S. », Natural Resources Journal, vol. 24, octobre 1984, p. 929-966.

(17) OCDE, Instruments économiques pour la protection de l’environnement, Paris 1989, p. 47.

(18) Ces exemples sont cités dans W.J. Baumol et W.E. Oates, Economics, Environmental Policy, and the Quality of Life, Prentice-Hall Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1979, p. 258-259.

(19) J.F. Chant et al., « The Economics of a Conserver Society », in W.E. Block (éd.), Economics and the Environment: A Reconciliation, Vancouver, The Fraser Institute, 1989, p. 1-93.

(20) OCDE (1989), p. 93-99.

(21) Ibid., p. 78-82.

(22) Énergie, Mines et Resources Canada, Rapport sur le marché des produits du pétrole, numéro 37, décembre 1989. À Toronto, la différence était de 0,021 $ le litre en décembre 1989, soit une augmentation de 0,005 $ sur le mois précédent. En décembre 1988, les deux qualités d’essence étaient au même prix.

(23) Statistique Canada, Produits raffinés du pétrole, cat. no 45-004, novembre 1988 et novembre 1989.

(24) Organisation de coopération et de développement économique, Instruments économiques pour la protection de l’environnement, Paris, 1989.