BP-236F

 

LE SUICIDE CHEZ LES ADOLESCENTS

 

Rédaction :
Andrea Shaver
Division des affaires politiques et sociales
Août 1990


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

   A. À la recherche des causes

      1. Les différences liées au sexe

      2. Les différences culturelles : Comparaison avec les États-Unis

      3. Les différences culturelles : Comparaison avec le Québec

      4. Les suicides à la chaîne

   B. La prévention

      1. Reconnaître les signes avant-coureurs

      2. Des stratégies efficaces

      3. Méthodes tenant compte des différences culturelles : Les autochtones

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

 


LE SUICIDE CHEZ LES ADOLESCENTS

INTRODUCTION

Il y a eu une hausse marquée du taux de suicide au Canada dans les années 60 et 70; bien que ce taux se soit stabilisé pendant les années 80, il se situe toujours à un niveau jamais atteint précédemment. Entre 1960 et 1978, le taux de suicide est en effet passé de 7,6 à 14,8 par 100 000 habitants. Bien que relativement stable au cours de la dernière décennie, il a tout de même été environ deux fois plus élevé que le taux affiché pendant presque toute la période comprise entre 1921 et 1961 et il est demeuré nettement supérieur aux sommets précédents observés pendant la Crise des années 30. De plus, il est important de noter que le nombre réel de suicides au Canada est peut-être sous-estimé. En effet, un décès n’est qualifié de suicide par les autorités médicales et judiciaires que lorsque l’intention de la victime est clairement démontrée.

Le gouvernement fédéral s’est penché sur le problème du suicide en 1980 lorsqu’il a mis sur pied un groupe d’étude national sur le suicide au Canada, qui a publié son rapport en 1987. Bien que les statistiques remontent à 1985 et souvent à des années antérieures, l’étude constitue l’examen le plus exhaustif du phénomène réalisé à ce jour au Canada. Le Groupe d’étude a dégagé sept groupes démographiques à risque élevé. Même si les hommes âgés de 20 à 24 ans font partie du groupe dont la hausse du taux de suicide a été la plus prononcée depuis vingt ans, de nettes augmentations ont été constatées chez les jeunes de 15 à 19 ans, là encore surtout chez les garçons. Le Groupe d’étude a décrit et évalué une gamme de programmes de prévention, d’intervention et de suivi et formulé quelques recommandations au sujet non seulement des facteurs suicidogènes mais aussi des moyens de prévenir les suicides. Le gouvernement fédéral n’a pas pris de mesures importantes à la suite de la publication du rapport.

Dans le présent document, nous n’avons pas l’intention d’examiner les conclusions du rapport du Groupe d’étude, mais plutôt de faire certaines observations au sujet des changements survenus dans la façon d’aborder certains aspects du phénomène du suicide chez les jeunes, lesquels se sont faits jour depuis que le Groupe d’étude a effectué ses travaux et ont été abordés surtout dans des périodiques publiés depuis 1987.

Même si les taux de suicide sont plus élevés au Canada qu’aux États-Unis, les tendances statistiques au Canada correspondent en grande partie aux statistiques américaines; par conséquent, nous tenons compte de quelques études américaines dans notre document afin de tenter de cerner le phénomène du suicide chez les adolescents.

   A. À la recherche des causes

Rien ne peut expliquer de façon concluante pourquoi le nombre d’adolescents qui se suicident est plus élevé que jamais. Le suicide est un comportement aux multiples facettes dont il est difficile de définir l’essence.

Emile Durkheim, le théoricien qui s’est le plus penché sur le suicide, définit trois types de suicides. Le premier est le suicide altruiste. La victime est alors tellement intégrée à un groupe ou à une société qu’elle se suicide pour le groupe. À titre d’exemples, citons les pilotes kamikazes japonais de la Deuxième Guerre mondiale et le suicide collectif de Jonestown.

Le deuxième type de suicide est égoïste. Il se caractérise par un système de valeurs très fort, une faible intégration au groupe et un sens accablant de la responsabilité personnelle. Le groupe n’est pas assez fort pour que la victime y trouve une source de soutien et de vigueur suffisante hors de soi-même. De plus, la société n’est pas assez intégrée pour pouvoir, collectivement, atténuer le sentiment de responsabilité et de culpabilité que provoquent les faiblesses morales et l’échec.

Le troisième type de suicide dégagé par Durkheim ne se caractérise pas par un système de valeurs puissant. Le suicide anomique résulte d’une mauvaise intégration à un système de valeurs culturelles et donc de l’impression que les normes sociales n’ont aucun sens. Les sentiments caractéristiques d’isolement, de solitude et de confusion personnelle liés à ce type de suicide découlent souvent d’une perturbation majeure du mode de vie de la victime, par exemple, la mort d’un parent ou l’aménagement en un endroit éloigné de celui où vivent ses amis.

On pourrait croire que le suicide anomique constitue la meilleure explication du phénomène des suicides chez les adolescents, puisqu’il se rattache à des expériences étroitement liées à l’adolescence. Il existe cependant de subtiles nuances.

      1. Les différences liées au sexe

Le fait d’appartenir au sexe masculin augmente les risques de suicide au Canada, peu importe le groupe d’âge. Il faut cependant noter que ce facteur n’est significatif qu’en ce qui a trait aux suicides réussis. Les tentatives de suicide sont jusqu’à trois fois plus nombreuses chez les femmes que chez les hommes. Le nombre de tentatives de suicide peut atteindre jusqu’à dix fois le nombre de décès, mais les hommes sont six fois plus enclins à mourir de suicide que les femmes. Cette observation constitue un phénomène interculturel.

Selon le psychologue Antoon Leenaars, président de l’Association canadienne pour la prévention de suicide, les raisons de cette différence sont davantage sociologiques que psychologiques(1). D’après lui, la société apprend à l’homme à cacher ses sentiments et à nier la douleur afin d’« être un homme »; il en résulte un accroissement du sentiment de responsabilité personnelle chez eux qui cadrent mal dans la culture mâle dominante. Cette culture ne met aucun accent évident sur le soutien mutuel au moment de l’adolescence, mais insiste plutôt sur l’esprit de compétition. Il s’agit également d’une culture qui a été affaiblie par la révolution sexuelle et qui est en train de se transformer. Ces facteurs indiquent que, pour les jeunes hommes, les impulsions suicidaires se rapprochent davantage du modèle égoïste de Durkheim que du modèle anomique.

Les femmes, par contre, ont tendance à suivre le modèle anomique. Dans les études menées sur les adolescentes et sur les femmes et visant à déterminer pourquoi il y a tant de tentatives de suicide et si peu de décès par suicide dans ces groupes, des théoriciens sont allés beaucoup plus loin que Durkheim. La théorie de l’ego par rapport aux autres, qui sert à étudier le comportement des femmes dépressives, aide à comprendre les différences liées au sexe dans le comportement suicidaire. Les études récentes font ressortir un lien constant entre l’importance que les femmes attachent aux relations et les facteurs qui influent sur le comportement suicidaire. Le stress résultant de l’incapacité de régler les conflits interpersonnels compte plus souvent parmi les facteurs suicidogènes chez les femmes que chez les hommes. Cette théorie met l’accent sur quatre processus courants qui, lorsqu’ils sont exacerbés, sont à l’origine de la plupart des tentatives de suicide chez les femmes. Il s’agit de la vulnérabilité face à la perte, de l’inhibition de la colère, de l’inhibition de l’action et de l’agression et de la faible estime de soi. Au lieu de considérer ces facteurs comme des faiblesses, comme le fait la théorie classique selon laquelle l’expérience mâle constitue la norme, la théorie de l’ego les considère comme des atouts d’après la norme féminine. En examinant l’expérience normative des femmes, on commence à mieux comprendre les différences de comportement suicidaire liées aux sexe.

Une autre théorie employée pour expliquer les différences liées au sexe dans le cas des tentatives de suicide et des suicides réussis se fonde sur la méthode employée pour se suicider. Les adolescentes font appel le plus souvent aux médicaments, tandis que les adolescents ont recours à des méthodes provoquant une mort instantanée, comme des armes à feu. Toutefois, selon des sources américaines, ces différences se modifient. Les Centers for Disease Control on en effet constaté que moins du tiers des suicides survenus chez les femmes de 15 à 24 ans en 1970 étaient imputables à l’usage d’une arme à feu, alors que la proportion était passée à un peu plus de la moitié en 1984. Par ailleurs, alors que 42 p. 100 des jeunes femmes qui se sont suicidées en 1970 ont utilisé des médicaments, il n’y en avait plus que 10 p. 100 à avoir eu recours à cette méthode en 1984. Selon le sociologue James Mercy, ces tendances se poursuivront, parce qu’il est facile d’obtenir des armes à feu aux États-Unis et de plus en plus difficile de se procurer des barbituriques pouvant provoquer la mort(2).

Le psychologue Lee Salk de la Faculté de médecine de l’Université Cornell a proposé une théorie controversée afin d’expliquer les différences liées au sexe. Il établit un lien entre le traumatisme à la naissance et le suicide. Il fait ressortir que les taux de mortalité infantile ont commencé à chuter une quinzaine d’années avant que les taux de suicide chez les adolescents ne se mettent à grimper en flèche. Il ajoute que les garçons souffrent davantage que les filles de complications à la naissance et détermine les trois dénominateurs communs qui reviennent constamment à l’examen des antécédents des suicidés : détresse respiratoire pendant plus d’une heure à la naissance, manque de soins prénataux avant la 20e semaine de grossesse et maladie chronique de la mère pendant la grossesse. Il va même jusqu’à établir un lien entre les méthodes employées pour tenter de se suicider et le type d’intervention à la naissance.

Cette hypothèse a également été soutenue par des médecins suédois, qui ont constaté un lien plus étroit entre le suicide et le traumatisme à la naissance qu’avec n’importe lequel des onze facteurs de risque examinés, y compris des variables socio-économiques telles que l’alcoolisme des parents et les familles désunies. Cette théorie demeure très controversée dans la profession médicale, qui cherche à accroître le contrôle et l’intervention obstétriques plutôt que de les réduire comme le préconisent les scientifiques qui la défendent.

      2. Les différences culturelles : Comparaison avec les États-Unis

Une comparaison récente des taux de suicide au Canada et aux États-Unis a révélé que le taux de suicide chez les hommes est de 57 p. 100 plus élevé au Canada qu’aux États-Unis. Antoon Leenaars, de l’Association canadienne pour la prévention du suicide, attribue cette différence à la théorie culturelle selon laquelle les Canadiens sont plus brimés que les Américains, étant donné que, au moment où il était une colonie, le Canada s’appuyait sur les valeurs britanniques de la royauté et de la religion, tandis que les États-Unis ont été fondés par des pionniers impétueux, agressifs et armés qui ont poursuivi leur route vers l’ouest en abattant tous les obstacles rencontrés sur leur passage. À cause de cette évolution différente, déclare Leenaars, certains ont prétendu que les Américains se tuent les uns les autres, tandis que, au Canada, nous nous suicidons(3). Bien que simplistes en soi, ces observations du Dr Leenaars font ressortir un élément culturel du comportement suicidaire qui peut être utile dans les techniques de prévention, comme nous le verrons plus loin lorsque nous aborderons la question du suicide chez les Autochtones.

      3. Les différences culturelles : Comparaison avec le Québec

Le taux de suicide chez les adolescents du Québec est le plus élevé au Canada et l’un des plus élevés au monde. Le Dr Mounir Samy, fondateur et directeur de l’équipe d’intervention auprès des adolescents de l’Hôpital Général de Montréal, soutien que le bouleversement social qui s’est produit au Québec depuis les années 60 influence les adolescents troublés en ne leur donnant aucun point d’appui stable. Selon lui, la Révolution tranquille et l’éclatement de la famille seraient des facteurs clés du phénomène. Un autre facteur serait la possibilité de suicide qu’offre notre société. « Nous vivons dans une société qui accorde de la valeur à la qualité de vie plutôt qu’à la durée de la vie… [Certains adolescents estiment que] la vie ne vaut pas la peine d’être vécue s’il est impossible d’en garantir la qualité »(4). L’aspect culturel du comportement suicidaire peut être examiné en termes généraux ou particuliers. Même s’il ne constitue qu’un élément du tableau, il est néanmoins un élément essentiel dont il faut tenir compte lorsqu’on cherche des solutions efficaces.

      4. Les suicides à la chaîne

Même si l’augmentation des suicides s’est stabilisée ces dernières années, le nombre de « suicides à la chaîne » est à la hausse. L’existence de ce type de suicide est un aspect du phénomène des suicides chez les adolescents qui a retenu l’attention publique récemment au Canada. À Lethbridge, en Alberta, trois adolescents se sont suicidés en l’espace de trois mois et une tragédie semblable est survenue à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. Bien que certains soupçonnent l’influence d’un culte satanique dans le cas des suicides de Lethbridge, ces soupçons n’ont nullement été confirmés. Les adolescents eux-mêmes déclarent que l’attention des médias sur cette possibilité ou sur l’influence de la musique « heavy metal » ou des vidéos-clips constitue seulement une tentative des adultes de se débarrasser de leur sentiment de culpabilité et de fermer les yeux sur les vrais problèmes auxquels les jeunes sont confrontés. Qu’il s’agisse de pactes de suicide ou non, l’incidence des suicides d’imitation chez les adolescents devient très commune dans le monde. Les raisons de cette nouvelle tendance n’ont pas été établies de manière concluante. Mais il y a lieu de penser que les jeunes qui ne trouvent pas de solution à leurs problèmes en s’adressant à leur famille, à des médecins ou à des professeurs se tournent vers d’autres adolescents pour chercher de l’aide.

Même s’ils ne tentent pas de se suicider, tous les adolescents songent à le faire, à en croire certaines études. C’est ce que soutient Simon Davidson, directeur de la recherche psychiatrique à l’Hôpital pour enfant de l’est de l’Ontario, dans un rapport qu’il a publié cette année. Dan Wiseman, directeur des services sociaux au Conseil scolaire d’Ottawa, croit pour sa part que cette affirmation pourrait bien être vraie, mais fait remarquer que seulement 10 à 12 p. 100 des élèves tentent de se suicider et que seulement 1 à 2 p. 100 y parviennent. M. Wiseman, qui a lancé le programme interne de prévention de suicide au Conseil scolaire d’Ottawa, déclare que le suicide devient une solution viable parce que les adolescents manquent d’expérience pour régler les problèmes et maîtriser le stress(5).

   B. La prévention

      1. Reconnaître les signes avant-coureurs

Selon la section London-Middlesex de l’Association canadienne pour la santé mentale, qui a travaillé activement à la mise sur pied de programmes de prévention du suicide chez les adolescents, il existe plusieurs signes avant-coureurs de l’intention suicidaire : déprime, déclarations qui dénotent des préoccupations face à la mort, changements spectaculaires de comportement ou d’humeur, manque d’intérêt pour les plans d’avenir, préparatifs, tentatives précédentes (80 p. 100 des suicidés ont déjà essayé de s’enlever la vie), amélioration soudaine après une période de déprime et comportement autodestructeur(6).

L’anxiété, l’isolement, la déprime, la toxicomanie, la délinquance et l’éclatement de la famille peuvent tous constituer des facteurs, séparément ou ensemble. L’importance des relations familiales a été remarquée par les thérapeutes américains, qui constatent une baisse de la thérapie familiale. De plus en plus, les parents ne veulent plus associer leurs enfants à leur thérapie.

De tous les adolescents qui finissent par tenter de se suicider, 80 p. 100 sont allés voir un médecin avant de passer aux actes. Les adolescents se plaignent de symptômes qui devraient déclencher l’alarme mais que le médecin ne voit habituellement pas. Ils peuvent se plaindre d’insomnie ou de fatigue ou encore de difficultés à l’école, mais la cause fondamentale n’est pas cernée(7). L’attention des techniques de prévention se porte donc désormais non pas sur l’unité familiale, mais sur les médecins et sur les écoles.

      2. Des stratégies efficaces

Après avoir examiné les études sur le suicide chez les adolescents, Bruce Connell, psychologue indépendant au Conseil scolaire de London (Ontario), tire la conclusion que de 95 à 97 p. 100 de ces suicides pourraient être évités(8).

Dans une étude sur les effets de l’âge, de la période et de la cohorte qui repose sur des statistiques canadiennes allant de 1921-1925 à 1981-1985(9), Frank Trovato conclut que le divorce et l’urbanisation ont des effets « positifs » notables sur les risques de suicide, tandis que l’effet de la sécularisation religieuse, bien que présent, n’a aucune importance statistique.

L’examen de l’âge, de la période et de la cohorte effectué par Trovato confirme que le suicide est principalement lié à l’âge et que la période et la cohorte sont peu pertinentes pour la compréhension de ce phénomène dans la société canadienne.

À la recherche de techniques de prévention à employer dans le réseau scolaire, le Dr Barry Garfinkel, directeur des services psychiatriques aux enfants et aux adolescents à l’université du Minnesota, a conçu des questionnaires afin d’obtenir des renseignements sur la déprime et il les fait remplir par 15 000 élèves tous les ans depuis plusieurs années. Tous les adolescents dont les résultats sont positifs doivent consulter un conseiller pédagogique ou le psychologue de l’école. Cette méthode a été approuvée au Canada, et plus précisément au Québec, où le problème du suicide chez les adolescents est particulièrement aigu.

Un autre moyen qui a fait ses preuves consiste à créer des groupes de discussion où les adolescents se réunissent entre eux. Compte tenu tout particulièrement de la hausse des suicides d’imitation ou des suicides à la chaîne, cette méthode est considérée essentielle à la prévention. Quand un élève s’est suicidé à l’école A.B. Lucas, à London, en 1987, ses amis et un professeur ont créé un club des petits déjeuners afin de pouvoir canaliser leur peine dans des programmes positifs qui aideraient les futurs élèves. Le club regroupe 260 élèves et a permis la création de programmes d’orientation à l’intention des élèves de 8e année afin de rendre le passage du cycle intermédiaire au secondaire moins traumatisant.

Afin de planifier et d’administrer plus efficacement les centres de prévention des suicides, le Service de la santé mentale de la région urbaine de Vancouver utilise un système informatique, qui a évolué depuis dix ans. Ce système, qui a été conçu par des conseillers, des chercheurs, des organismes communautaires, un expert clinique et d’autres professionnels, est mis à jour tous les ans. Il vise à répondre aux besoins pratiques de consultation continue ainsi qu’aux besoins de planification et d’évaluation à long terme. L’information, dont le caractère confidentiel est protégé, est publiée dans des rapports et sert à des activités d’éducation publique.

Le Groupe d’étude national sur le suicide proposait dans son rapport un programme éducatif à l’intention du personnel des écoles et des élèves, un modèle de services d’intervention à l’intention des hôpitaux, des collectivités et des Autochtones et un modèle albertain de démarche systématique en matière de prévention des suicides. L’annexe du présent document renferme des extraits de ce rapport ainsi que des tableaux statistiques pertinents.

      3. Méthodes tenant compte des différences culturelles : Les autochtones

Les Autochtones du Canada constituent un autre groupe à risque identifiable. Le taux de suicide chez les adolescents autochtones (pas de tous les groupes d’âge) est parfois dix fois plus élevé que chez les Blancs du même âge. Même si dans le présent document, nous n’avons pas pour objet d’examiner en détail la situation des Autochtones, il est utile de noter le succès de méthodes de prévention qui tiennent compte de contextes culturels précis et sont employées dans certaines collectivités.

Puisque le suicide chez les Autochtones est un phénomène particulier, les méthodes employées pour y faire face le sont elles aussi. La différence entre les méthodes d’éducation et de prévention non autochtones et Autochtones est que les méthodes non autochtones ont tendance à reposer sur les faits, tandis que les Autochtones se servent d’histoires pour donner des renseignements sur le suicide. Cette technique a été démontrée dans une émission de radio intitulée « Kill the Feelings First », qui a reçu des éloges internationaux. Cette émission, qui a été conçue par George Tuccaru, un employé autochtone de CBC North à Yellowknife, fait appel à des histoires pour inciter l’auditoire à examiner diverses questions et à trouver des moyens d’y faire face. Les planificateurs des services de santé mentale au Canada doivent répondre à trois grandes questions : Est-on disposé à considérer les processus de santé propres à la culture autochtone comme une bonne source de santé mentale? Fait-on confiance à la capacité des Autochtones d’élaborer des méthodes et des procédés? Peut-on considérer la santé mentale d’un point de vue spirituel, mais pas nécessairement religieux? Le Groupe d’étude national sur le suicide au Canada a recommandé que les stratégies de prévention à l’intention des autochtones du Canada tiennent compte des aspects culturels.

Les adolescents autochtones de Grande Cache, en Alberta, ont formé un groupe de soutien après le suicide d’un jeune de 16 ans qui avait vécu dans des foyers nourriciers blancs depuis l’âge de 9 ans(10). Les dirigeants de la communauté autochtone considèrent qu’il s’agit d’un premier pas important, mais soulignent la nécessité d’améliorer les communications familiales et de régler les problèmes de l’alcoolisme, de la violence et des mauvais traitements sexuels que l’on retrouve dans de nombreuses familles autochtones.

CONCLUSION

On a établi un lien entre le manque d’intégration sociale, les sentiments d’« aliénation » dans la population, la fugacité de la vie et l’évolution rapide des valeurs, du revenu et du mode de vie. De faibles perspectives d’emploi, des familles en mutation, des valeurs sociales et morales changeantes pourraient expliquer les taux élevés de suicide chez les adolescents par rapport à l’ensemble de la population. Il importe de se rendre compte que le comportement suicidaire n’est pas nécessairement lié à des problèmes de santé mentale et que le chômage et l’alcoolisme ne sont pas répandus chez les adolescents suicidaires.

Même si les causes des suicides sont complexes et difficiles à définir, l’expérience des adolescents fait ressortir les problèmes uniques de ce groupe d’âge à haut risque. Marian Crook a interviewé des adolescents de la Colombie-Britannique qui avaient tenté de se suicider. Les dénominateurs communs comprenaient des difficultés familiales et la faible estime de soi. Il est également ressorti de ces entrevues que les adolescents n’avaient pas été aidés lorsqu’ils ont tenté de communiquer avec des professeurs, des médecins ou d’autres professionnels. Les pressions en vue d’exceller, perpétuées non seulement par les parents et par les autres adolescents, mais aussi dans les émissions de télévision et dans la publicité accentuent l’anxiété des adolescents. Les techniques permettant de faire face à la situation et une aide sympathique sont essentielles. Qu’elles viennent des parents, des professeurs, des médecins, d’autres adolescents ou de la télévision importe peu. Il faut cependant que les techniques et l’aide existent. La complexité de la question ne doit pas entraver les efforts communautaires ou gouvernementaux visant à régler un problème qui provoque plus de décès parmi les adolescents que tout autre cause, sauf les accidents.

BIBLIOGRAPHIE

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(1) Burt, Dowsett, « Young Men, Senior Males Form Most Suicidal Groups », London Free Press, 12 juin 1990.

(2) Judy Folkenberg, « Guns and Gals », Psychology Today, juillet-août 1988.

(3) « Teen Suicide », Windsor Star, 7 avril 1990.

(4) « Teen Suicide Rate Linked to Quiet Revolution », Montreal Gazette, 13 mai 1988 (traduction).

(5) John Ibbitson, « Experts Rap Report on Teen Suicide », Ottawa Citizen, 17 janvier 1989.

(6) Burt Dowsett, « Suicide: Recognizing the Symptoms », The London Free Press, 12 juin 1990. Le décès d’un parent, en particulier de la mère, accroît de 600 fois les risques de tentative de suicide.

(7) Richard Sutherland, « Teenage Suicide Epidemic in Canada », The Financial Post, 22 février 1990.

(8) Dowsett, « Suicide: Recognizing the Symptoms » (1990).

(9) Frank Trovato, « Suicide in Canada: A Further Look at the Effects of Age, Period and Cohort », Canadian Journal of Public Health, vol. 79, no 1, janvier-février 1988.

(10) Gerry, Gee, « Teens Meet Suicide Issue Head On », Windspeaker, 28 juillet 1989, p. 13.