BP-241F
LES SERMENTS D'ALLÉGEANCE
ET
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES LES SERMENTS ET LA CHAMBRE DES COMMUNES OMISSION OU REFUS DE PRÊTER SERMENT VIOLATION DU SERMENT DALLÉGEANCE SITUATION DANS LES ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES PROVINCIALES QUE PEUT-ON CONSIDÉRER COMME UNE VIOLATION DU SERMENT?
LES SERMENTS
D'ALLÉGEANCE ET On sest interrogé, récemment, au sujet du serment dallégeance que doivent prêter les députés. Cette question comporter deux aspects fondamentaux. Premièrement, est-il nécessaire de prêter serment, et quelles seraient les conséquences dun refus? Deuxièmement, quelles conséquences la violation dun serment entraînerait-elle, et comment pourrait-on établir la validité dune pareille allégation? Le présent document traite des principales questions touchant la prestation du serment dallégeance. On y examine les précédents survenus au Canada et en Grande-Bretagne, ainsi que certains des arguments qui pourraient être présentés. Larticle 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 parce que :
Le serment énoncé à la Cinquième Annexe se lit comme suit :
Comme on peut le constater, il sagit dun serment dallégeance au monarque, non pas au Canada ou à la Constitution canadienne. Au Canada, le serment dallégeance dérive du serment en usage au Parlement britannique, où un tel serment était devenu nécessaire en raison des conflits politiques et religieux du XVIe siècle. Ce serment avait à lorigine pour but daffirmer la primauté du monarque britannique dans tous les domaines, tant ecclésiastiques que temporels. À ce titre, il visait principalement à empêcher les Catholiques doccuper des postes gouvernementaux. (Dautres groupes religieux en ont aussi souffert indirectement jusquaux réformes du XIXe siècles.) Depuis 1905, les députés ont été autorisés à "affirmer solennellement, sincèrement et véridiquement" que même sils ne pouvaient prêter serment, ils étaient quand même loyaux au monarque(1). Voici la formule utilisée de nos jours :
LES SERMENTS ET LA CHAMBRE DES COMMUNES Selon larticle 128 de la Loi constitutionnelle de 1867, seuls les députés qui ont prêté le serment dallégeance peuvent prendre leur siège à la Chambre des communes. Une fois que le directeur général des élections lui a fourni la liste des députés mandatés pour siéger au Parlement, le greffier ou un commissaire de la Chambre, fait prêter le serment dallégeance à tous ces députés. Selon la sixième édition de Beauchesne, Rules & Forms of the House of Commons of Canada :
Cette interprétation est conforme à celle quon trouve dans Erskine May, 21e édition, où il est dit quun député qui na pas prêté serment ne peut siéger et voter à la Chambre, mais quil a droit à tous les autres privilèges accordés aux députés, sauf à lindemnité, étant donné quil « est considéré, tant par la Chambre que par la loi, comme habilité à siéger jusquà ce quon ait fait la preuve de lexistence dun autre empêchement »(3). En fait, il est arrivé, dans des circonstances exceptionnelles, que des députés de la Chambre des communes britannique, qui navaient pas prêté serment, aient été nommés à des comités et aient servi en qualité de membre dun comité. Les dispositions de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, sont également en accord avec cette position. Dans la Partie IV de la Loi, qui traite de la rémunération des parlementaires, le paragraphe 55(2) prévoit que :
OMISSION OU REFUS DE PRÊTER SERMENT En 1875, un problème sest posé lorsquon sest rendu compte quun député navait pas prêté serment avant doccuper son siège. La question a été soumise au Comité permanent particulier des élections et des privilèges qui a déposé son rapport le 8 mars 1875. Le Comité a fait remarquer quaucune sanction nétait prévue dans la Constitution ni dans aucune autre loi lorsquon avait omis de prêter le serment exigé. Le rapport concluait :
Les votes de ce député, pourtant dûment élu, nont pas été reconnus parce quil navait pas prêté serment; toutefois, le député en question na pas été disqualifié ni expulsé. On ne sait pas pourquoi M. Orton navait pas prêté ce serment; il semble quil se soit agi dune omission et non dun geste intentionnel et que, dailleurs, il ait régularisé sa situation en prêtant le serment dès quon porta la question à son attention. Dans les années 1880, il y eut une série de décisions judiciaires, en Grande-Bretagne, concernant un certain M. Bradlaugh qui répugnait à prêter le serment dallégeance. Divers changements avaient été apportés à la formulation du serment au cours du XIXe siècle, de manière à faire échec aux objections de différents groupes. Certains, comme les Quakers, sopposaient à prêter quelque serment que ce soit en raison de motifs religieux, et ils en avaient été exemptés en vertu de diverses lois et autorisés, à la place, à faire une déclaration selon une formule établie. Le problème restait cependant entier pour les athées, cest-à-dire les personnes qui navaient aucune croyance religieuse et qui, par conséquent, sopposaient à la prestation dun serment qui ne signifiaient rien pour elles. M. Bradlaugh avait été élu à la Chambre des communes britannique en 1880 et, étant athée, il avait demandé dêtre autorisé à faire une déclaration solennelle plutôt que de prêter serment, comme il était possible de le faire devant les tribunaux. La Chambre de lui permit, mais cela donna lieu à un litige sur la validité de ses votes, étant donné quil navait pas prêté le serment exigé. La Chambre des Lords soutint un peu plus tard quil navait pas le droit de faire une déclaration à la place dun serment(5). M. Bradlaugh entreprit alors de prononcer le serment en question, mais la Chambre décida quon ne devrait pas lautoriser à le faire, du fait que, en tant quathée, il ne se sentirait probablement pas lié par ce serment. Les tribunaux refusèrent de se prononcer sur son droit à prêter le serment(6). Par la suite, la Cour dappel statua que M. Bradlaugh ne pouvait satisfaire aux exigences de la Loi, même sil prêtait le serment en bonne et due forme, parce quil navait pas de croyances religieuses. En 1886 cependant, M. Bradlaugh prêta serment en même temps que dautres députés élus au nouveau Parlement. Le président refusa dintervenir, déclarant quil navait pas dautorité pour empêcher un député de prêter serment : « Lhonorable député prête le serment à ses propres risques dans le cas où il serait traîné devant un tribunal »(7). Comme un commentateur la écrit à lépoque :
Deux ans plus tard, en 1888, la loi fut modifiée afin de permettre à quelquun de faire une déclaration plutôt quun serment. Quoique portant davantage sur les déclarations que sur les serments, laffaire Bradlaugh illustre la nécessité de prêter le serment ou de faire une déclaration solennelle, de même que la portée et les limites des examens que peuvent faire les tribunaux et le Parlement. Aucun député ou sénateur canadien ne semble avoir refusé de prêter le serment dallégeance. Un député qui refuserait de prononcer le serment ou de faire une déclaration solennelle ne pourrait occuper son siège, ni retirer son indemnité sessionnelle. Parmi les diverses personnes élues à la Chambre des communes du Canada, un bon nombre auraient pu répugner, pour diverses raisons, à prononcer le serment en question; toutefois, aucune ne semble avoir négligé ou refusé de le prêter ou de faire une déclaration solennelle. VIOLATION DU SERMENT DALLÉGEANCE Refuser de prêter le serment dallégeance est une chose, violer le serment prononcé en est une autre. Selon une des premières éditions de Beauchesne :
Joseph Howe, de Nouvelle-Écosse, fut lun des premiers à sopposer à la Confédération et prit la tête des forces anti-fédéralistes de cette province. Il fut élu à la Chambre des communes en 1867. Un historien a écrit à son sujet :
Les anti-fédéralistes de la Nouvelle-Écosse soutenaient que le fait de siéger au Parlement fédéral constituait une acceptation de fait de lunion et de la confédération. Néanmoins, Howe prêta serment et occupa son siège à la Chambre des communes. Les députés fédéraux de la Nouvelle-Écosse participèrent à la première session du Parlement fédéral et demeurèrent à Ottawa malgré la pression croissante quexerçaient les habitants de leur province pour les inciter à partir. Dans son premier discours à la Chambre des communes, Howe défendit le droit des anti-fédéralistes de sinsurger contre « une simple loi du Parlement », mais John A. Macdonald fit remarquer que Howe navait pas juré de sinsurger. Howe prit souvent la parole à la Chambre, mais, conscient quil donnait prise à la critique en Nouvelle-Écosse, il demeura à lécart du gouvernement et de lopposition. Il déclara quil avait lintention de « [ ] conserver une attitude indépendante à titre danti-fédéraliste, ne demandant rien et nacceptant rien jusquà ce que le Parlement [britannique] se prononce en notre faveur ou contre nous, et quil se plierait alors aux circonstances, après consultation avec nos amis »(11). En plus de travailler à la révocation de la loi de lunion, lActe de lAmérique du Nord britannique (connu maintenant sous le nom de Loi constitutionnelle de 1867), Howe laissa également entendre quil faudrait peut-être remettre en question nos liens avec la Grande-Bretagne, une position plutôt révolutionnaire pour lépoque. Quelques années plus tard, Louis Riel fut élu à la Chambre des communes pour représenter la circonscription de Provencher, dabord à loccasion dune élection partielle, en 1873, et, par la suite, aux élections générales de 1874. À la suite de sa victoire de 1874, Riel, qui cherchait à éviter dêtre arrêté, se rendit à Hull. Le 30 mars 1874, il traversa la rivière des Outaouais avec un autre député, Romuald Fiset, et se rendit à la Chambre des communes pour signer le registre des députés et prêter le serment doffice. Cela étant fait, il sempressa de retourner à Hull où il fut arrêté. Il semble que le greffier de la Chambre, qui faisait prêter le serment, na pas reconnu Riel jusquà ce quil parte(12). Riel avait été élu conformément à la loi et avait été assermenté; son nom avait été inscrit au procès-verbal, mais il na pas eu recours à lun ou lautre de ses privilèges de député(13). La Chambre des communes lui ordonna de comparaître en Chambre, ce quil ne pouvait faire de crainte dêtre arrêté, et, après un débat orageux, il faut expulsé sous prétexte quil navait pas respecté lordre donné. De toute manière, on ne la jamais accusé davoir refusé de prêter serment ni davoir manqué à son serment. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Bloc populaire fut constitué en réponse à la conscription. Créé en 1942, le parti comptait quatre députés en 1944. Aux élections générales de 1945, il nen fit élire que deux. Rien nindique cependant que leur présence souleva la question du serment dallégeance. Ce fut également dans les années 1940 que Fred Rose fut élu à la Chambre des communes. Quelquun a déjà fait remarquer que « étant donné que M. Rose a été reconnu coupable despionnage à la suite de procès qui se sont déroulés en 1946, il serait difficile de dire si le fait quil ait accepté de prêter le serment dallégeance crée un précédent quelconque »(14). Rose a été expulsé de la Chambre après sa condamnation, mais non parce quil avait violé son serment dallégeance. La Chambre des communes pouvait prendre des sanctions contre un député lorsquil savérait que celui-ci avait violé son serment dallégeance. Dès le début, la Chambre des communes du Canada sest réservé le droit de discipliner ou de rejeter un de ses membres, ou dempêcher un élu de prendre son siège. À proprement parler, il sagit là des privilèges de la Chambre et de ses membres et du pouvoir propre à la Chambre de sadministrer comme bon lui semble, plutôt que de critères à respecter. Il existe de nombreux exemples de lexercice de cette pratique, tant au Canada que dans les autres systèmes parlementaires. Au Canada, des expulsions ont eu lieu avant la Confédération, dans les années 1800, 1829, 1831 et 1858. Il est souvent arrivé que des membres aient contesté le droit dautres membres de siéger et de voter. Outre lexpulsion de Louis Riel, on a mené bon nombre denquêtes sérieuses sur la question de savoir sil convenait que certains membres continuent doccuper leur siège. Il sagissait dans la plupart des cas dallégation dinfraction criminelle; quelquun a cependant souligné « lempressement de la Chambre à recourir à lexpulsion, même lorsquil ny avait pas eu infraction à une loi, à condition, peut-être, que le parti puisse supporter la pression »(15). Bien que la Chambre expulse rarement un membre élu, elle la quand même fait deux fois dans le cas de Louis Riel, en 1874-1875, ainsi quen 1891 pour Thomas McGreevy et en 1947 pour Fred Rose. Dans deux de ces cas, la Chambre na pas adopté officiellement une motion dexpulsion. À loccasion de la seconde expulsion de Riel, la Chambre a simplement fait remarquer quil semblait avoir « été déclaré hors-la-loi pour trahison, » et quil était par conséquent privé de lexercice de ses droits; dans le cas de Rose, elle a simplement déclaré celui-ci «incapable de siéger ou de voter dans cette Chambre » lorsquil a été emprisonné (16). Dans aucun de ces cas, même dans celui de Rose, qui avait été reconnu coupable de trahison, la question du viol du serment dallégeance na pas été soulevée. SITUATION DANS LES ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES PROVINCIALES Aux termes de larticle 128 de la Loi constitutionnelle de 1867, les membres des diverses assemblées législatives provinciales canadiennes doivent prêter le même serment que les députés fédéraux. Des partisans de diverses formes de séparation ont été élus aux assemblées législatives provinciales canadiennes. Immédiatement après la Confédération, par exemple, les anti-fédéralistes ont pris le contrôle de lassemblée législative de la Nouvelle-Écosse et, un peu plus tard, ont constitué le gouvernement. Rien nindique cependant que cette situation ait soulevé la question du serment dallégeance. Le cas le plus récent et le plus sérieux est celui de lélection du Parti québécois, en 1976, au Québec. On avait écrit dans un journal que les membres du Parti québécois, face à la nécessité de prêter le serment, avaient décidé « de se croiser les doigts »(17). Une explication plus rationnelle veut que le serment ait été considéré comme un serment envers la Reine du chef de la province, puisque la Couronne au Canada est divisible. À ce titre, la reine représente lÉtat (ou la province), et elle est un symbole plutôt quune personne identifiable. Depuis 1982, on demande aux membres de lAssemblée nationale du Québec de prêter un deuxième serment. Larticle 15 de la Loi sur lAssemblée nationale, L.R.Q., ch. A-23.1, porte que : « Un député ne peut siéger à lAssemblée avant davoir prêté le serment ou fait la déclaration solennelle prévue à lannexe I. » Lannexe I contient le serment ou la déclaration solennelle qui suit :
Selon le Manuel des membres de lAssemblée nationale :
Cette distinction entre les deux serments, ainsi que la signification donné au serment exigé en vertu de la Constitution, permet probablement aux députés qui pourraient autrement sy opposer de prêter le serment en question. Des partis et des députés « séparatistes » ont également été élus dans dautres pays. Encore une fois, on na pu trouver cependant que peu dexemples précis de personnes ayant omis ou refusé de prêter un pareil serment dallégeance, ou encore des allégations voulant quun député ait violé son serment. En Grande-Bretagne, des membres de partis nationalistes gallois ou écossais ont été élus à la Chambre des communes britannique. Ces personnes ont préconisé la dévolution et dautres formes de restructuration politique. Comme elles ne sopposaient pas nécessairement au maintien de la monarchie, le serment dallégeance à la Couronne ne leur posait pas de difficulté. Le cas des députés catholique irlandais qui préconisent la réunification de lIrlande du Nord à la république dIrlande (Eire) est beaucoup plus délicat. Les membres de Sein Fein, la section politique de lIRA (Irish Republican Army), et dautres éprouvent probablement certaines difficultés à jurer allégeance au monarque britannique. On ne connaît cependant aucun cas dun membre dûment élu qui aurait refuser de prêter ce serment, ou qui aurait été accusé de lavoir violé. Des problèmes se posaient toutefois en Eire avant que celle-ci devienne une république. Les députés du Parlement de « lÉtat libre dIrlande, » comme on lappelait alors, devaient, de par la Constitution, prêter serment dallégeance à la Couronne britannique(19). De la même manière, au fur et à mesure que les anciennes colonies de lempire britannique accédaient à lindépendance, il y eut certainement des législateurs élus qui préconisaient lindépendance, la séparation de la Grande-Bretagne, et dautres politiques qui nétaient pas nécessairement en accord avec le serment dallégeance. Pourtant, la question ne semble pas avoir provoqué de remous. En 1920, lAssemblée des représentants dAustralie a expulsé un de ses membres, Hugh Mahon, pour les raisons suivantes :
Il sagit pratiquement du seul cas que nous ayons découvert dun législateur qui a perdu son siège pour avoir violé son serment dallégeance. Il semble cependant que ce cas ait été fondé tant sur des motifs politiques et personnels que sur des motifs juridiques. QUE PEUT-ON CONSIDÉRER COMME UNE VIOLATION DU SERMENT? Nous ne semblons disposer daucun exemple pouvant nous indiquer ce qui constitue une violation du serment dallégeance. Le respect dun serment ou dune déclaration est essentiellement une question de valeurs morales. On estime en général que les gens ne prennent pas ces choses à la légère et quils sestiment liés par un serment ou une déclaration de cette nature. Toutefois, cest vraisemblablement une question de conscience, car quelquun pourrait bien mentir en prêtant serment. Tout comme des témoins mentent devant le tribunal, bien quils aient juré de dire la vérité, les gens violent parfois leur serment. De plus, à une époque dune moins grande ferveur religieuse, il est probable que bon nombre de personnes ne soient pas aussi impressionnées par les serments que ce nétait le cas autrefois. La violation dun serment entraîne généralement des sanctions. Un témoin qui viole son serment dans un tribunal peut être accusé de parjure ou doutrage au tribunal. Lorsquil sagit dun législateur, cest à lassemblée législative dont il est membre quil incombe de punir la violation. Lassemblée peut alors adopter une motion de blâme ou, dans les cas les plus graves, décider dexpulser laccusé. Il peut être très difficile détablir si un politique a violé son serment. Il serait probablement facile de le faire dans un cas patent de trahison. Dans la plupart des autres cas, toutefois, létablissement dune telle violation varierait selon linterprétation donnée au serment et selon la conception quon se fait de lallégeance et de la loyauté. Lorsquils prêtent serment dallégeance, certains estiment le faire non pas tant envers la reine en tant que personne quenvers la Couronne en tant que symbole. La rein peut être perçue comme la représentante ou le symbole de lÉtat, soit à léchelle du pays, soit à celui de la province, ou comme la représentation dune forme de gouvernement démocratique et constitutionnel. Il est extrêmement difficile de dire quelles activités pourraient constituer une violation du serment dallégeance. Sagit-il de critère objectifs ou subjectifs? Une personne pourrait bien estimer honnêtement que les gestes quelle pose sont en accord avec son serment, alors que dautres pourraient soutenir le contraire. De plus, si le serment est prêté à la reine en tant que représentante ou symbole dun régime parlementaire et démocratique, alors, tant quon ne préconise pas un renversement illégal ou violent du gouvernement, on pourrait bien prétendre quon demeure fidèle à son serment. Dans un tribunal, il peut être relativement simple de déterminer si un témoin dit la vérité, conformément au serment quil a prêté. Mais dans le cas de concepts comme « allégeance », il est beaucoup plus difficile de le faire. Ce quune personne estime dans lintérêt supérieur du pays, dautres peuvent le juger contraire à ces intérêts. Quelquun pourrait croire en toute honnêteté quune forme de gouvernement communiste serait profitable au peuple. Cela serait-il contraire à son serment dallégeance? Les moyens utilisés pour atteindre le but font-ils une différence? Tous nont pas nécessairement la même conception de ce quest la loyauté au Canada, mais dans la mesure ou une personne cherche à atteindre son but par des moyens légaux, démocratiques et parlementaires, on pourrait soutenir que cette personnes est loyale et quelle na pas violé son serment dallégeance. On pourrait également faire une distinction entre ceux qui préconisent une nouvelle entente constitutionnelle et ceux qui cherchent à diviser le pays. De plus, les députés qui représentants les intérêts de leurs électeurs pourraient être considérés en conflit avec « lintérêt national ». De la même manière, léclatement du pays pourrait, en soi, ne pas constituer une violation du serment : le serment est prêté à la reine, et la reine pourrait demeurer le chef dÉtat des parties qui composent ce pays (cest, semble-t-il, la politique du Parti nationaliste écossais, en Grande-Bretagne). Le 1er novembre 1990, le Président de la Chambre a déclaré : « Votre Président nest pas autorisé à porter un jugement sur les circonstances dans lesquelles, ou la sincérité avec laquelle, un député dûment élu prête le serment dallégeance. Limportance que revêt ce serment pour chaque député est affaire de conscience et il doit en être ainsi »(21). Il a également ajouté :
Il importe de comprendre quel est le but des serments dallégeance. On sattend à ce que les personnes élues ou nommées à des charges publiques soient loyales et fidèles car elles occupent des postes de confiance. En prêtant le serment dallégeance, elles promettent de se conduire de façon « patriotique » et conforme à lintérêt supérieur du pays. Le serment rappelle également aux personnes qui le prêtent les obligations et les fonctions sérieuses quelles assument. Les serment nont rien de magique, mais ils jouent un rôle important comme symboles. Il existe diverses formes de serment. Le Canada et la plupart des pays du Commonwealth ont adopté un serment dallégeance au chef de lÉtat. Dautres pays utilisent également des serments dallégeance au pays, au peuple ou à la Constitution. En Hollande, la personne doit en outre affirmer sous serment, ou déclarer solennellement, quelle na dobligation envers aucune autre personne. On peut ajouter diverses variantes à ces serments, par exemple, pour favoriser les traditions démocratiques. Dans une certaine mesure, le choix du thème du serment dépend des valeurs de la société et de ce quelle considère comme les clefs de voûte de son régime politique. La Couronne a joué un rôle important dans lévolution historique du Royaume-Uni. Le choix dun serment dallégeance au monarque sexplique par les luttes religieuses entre catholiques et protestants, ainsi que les discussions sur les chefs religieux. Lorsque la Constitution canadienne a été rédigée, on a importé la tradition britannique. Il aurait été possible de modifier la nature du serment que doivent prêter les législateurs du Canada au cours de lévolution du pays vers sa totale indépendance, qui sest soldée par le rapatriement de la Constitution, en 1982. Cependant, le serment est encore pertinent puisque la reine est toujours le chef dÉtat du Canada; toutefois, la monarchie nest plus comme avant le pivot du système politique canadien. En fait, bon nombre de Canadiens sinterrogent sur le bien-fondé davoir un monarque, surtout si celui-ci habite un autre pays et quil est considéré comme un « étranger ». Dautres estiment que la Couronne est un vestige dun passé colonialiste ou impérialiste. Par ailleurs, le serment nest pas prêté à la reine en tant que personne, mais en tant que symbole ou personnification du pays, de sa constitution et de ses traditions, ainsi que de principes comme la démocratie. Au Canada, il est absolument impossible de siéger au Parlement fédéral ou dans une assemblée provinciale et dy voter, si on na pas dabord prêté le serment dallégeance. Pour changer cela, il faudrait modifier la Constitution canadienne; toutefois, on ne sit pas très bien sil est possible de le faire en vertu de la formule générale damendement (résolution du Parlement et des assemblées législatives adoptée par deux-tiers des provinces comptant au moins 50 p. 100 de la population) ou sil faudrait obtenir lunanimité. (On pourrait soutenir que cest laffaire des seules assemblées concernées, mais pareil geste serait sans doute contesté.) Cependant, le fait de ne pas prêter serment nentraîne aucune sanction, mais le député concerné ne peut ni siéger, ni voter, ni toucher de rémunération. La Chambre des communes pourrait vraisemblablement expulser quelquun qui refuserait systématiquement de prêter serment, ou même déclarer son siège vacant. Toutefois, pareille mesure serait probablement contestée en vertu de la Charte des droits et libertés. Lorsquun député a prêté le serment dallégeance, ce qui lautorise à occuper son siège et à voter à la Chambre, la seule autre question qui pourrait être soulevée à ce sujet serait celle de la violation du serment. La Chambre des communes peut expulser ou punir par dautres moyens les députés qui manquent à leur serment. Il ne semble exister aucun précédent à ce sujet et, étant donné le caractère imprécis de cette notion, il faudrait probablement surmonter dénormes difficultés pour établir la validité dallégations de cette nature. En fin de compte, il faudrait sans doute trouver une solution politique, bien que la Charte des droits et libertés pourrait probablement être invoquée dans certaines circonstances.
(1) Arthur Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 4e Édition, Toronto, The Carswell Company Limited, 1958, au paragraphe 15, p. 13. Cela aurait été fait au moyen dinstructions portant le paragraphe et le sceau royal en date du 15 juin 1905. On se demande comment une instruction royale peut, légalement, modifier une disposition constitutionnelle; la question ne semble pas avoir été soulevée. Selon des éditions postérieures de Beauchesne (voir par exemple la sixième édition, 1989, paragraphe 243), la Loi sur les serments dallégeance, L.R.C. (1985), ch. 0-1, permet aux députés qui sopposent à la prestation dun serment de faire une déclaration solennelle si le serment est contraire à leurs croyances religieuses ou sils nont pas de croyances religieuses. Toutefois, cela semble impossible, étant donné quune loi du Parlement fédéral ne peut être substituée à une disposition constitutionnelle. (2) Alistair Fraser, W.F. Dawson, and John A. Holtby, Beauchesnes Rules & Forms of the House of Commons of Canada, sixième édition, The Carswell Company Limited, Toronto, 1989, paragraphe 242(2), p. 68 (traduction). (3) C.J. Boulton, éd., Erksine Mays Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, vingt et unième édition, Londres, Butterworths, 1989, p. 231 (traduction) (4) Journaux de la Chambre des communes du Canada, 1875, p. 176 (traduction). (5) Clark v. Bradlaugh, (1882-83), 8 App. Ca. 354 (H.L.), en appel de (1880-81), 7 Q.B.D. 38 (C.A.). (6) Attorney-General v. Bradlaugh (1884-85), 14 Q.B.D. 667. (7) Extrait de The Law and Custom of the Constitution, Sir William R. Anson, 4e édition, réédition révisée, Oxford, 1911, volume I, p. 93 (traduction). (8) Ibid., p. 93 (traduction). Ce texte contient un exposé détaillé sur laffaire Bradlaugh, p. 89 à 95. (9) Arthur Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 4e édition, Toronto, The Carswell Company Limited, 1958, au paragraphe 16(2), p. 14. (10) Kenneth George Pryke, « Nova Scotia and Confederation, 1864-1870 », thèse de doctorat, Université Duke, 1962, p. 147 (traduction). (11) Ibid., p. 152-153 (traduction). Voir aussi J. Murray Beck, Joseph Howe, vol. II, Montréal, McGill-Queens University Press, 1983, p. 223. (12) Thomas Flanagan, Louis « David » Riel : « Prophet of the New World, » Toronto, University of Toronto Press, 1979, p. 42; William McCartney Davidson, Louis Riel, 1844-1885, Calgary, The Albertan Publishing Company Ltd., 1955, p. 110; Hartwell Bowsfield, Louis Riel : The Rebel and the Hero, Toronto, Oxford University Press, 1971, p. 70; G.F.G. Stanley, Louis Riel : Patriot or Rebel?, The Canadian Historical Association, brochure no2, Ottawa, 1979, p. 14. (13) Norman Ward, The Canadian House of Commons : Representation, Toronto, University of Toronto Press, 1950, p. 70. Voir également op. Cit. En note 11. (14) Ibid., p. 79 (traduction). (15) Ibid., p. 72 (traduction). (16) Norman Ward, Dawsons the Government of Canada, 6e édition, Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 105. En 1986, on a contesté, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, le droit de lAssemblée législative de la Nouvelle-Écosse dexpulser un député dûment élu qui avait plaidé coupable à une accusation dinfraction criminelle. La cour a déclaré que lAssemblée législative avait le pouvoir dexpulser un député, mais quelle ne pouvait lempêcher de se présenter de nouveau. (17) Charles Lynch. « Bloc Québécois : Members make oaths of office seem ridiculous », The Ottawa Citizen, 29 juillet 1990 (traduction). (18) Assemblée Nationale, Manuel des membres de lAssemblée nationale, 1986, chapitre 2.1, p. 2. (19) Donald OSullivan, The Irish Free State and Its Senate, Londres, Faber and Faber Limited, 1940; J.L. McCraken, Representative Government in Ireland, Londres, Oxford University Press, 1958; Timothy Patrick Coogan, Ireland Since the Rising, Londres, Pall Mall Press, 1966. (20) Australia, House of Representatives, Votes and Proceedings (1920-21), p. 431. Voir aussi Parliamentary Debates, 1920-21, vol. XCIV, p. 6283-6284, 6327-6328 et 6382-6475. (21) Chambre des communes, Débats, le 1er novembre 1990, p. 14970. (22) Ibid. |