BP-247F
LE LIBRE-ÉCHANGE NORD-AMÉRICAIN
:
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES LES MÉCANISMES D'ÉTABLISSEMENT DANS UNE MAQUILADORA
LE LIBRE-ÉCHANGE
NORD-AMÉRICAIN : Le 24 septembre 1990, le ministre du Commerce extérieur, M. John Crosbie, a annoncé que le Canada prendrait part aux pourparlers avec les États-Unis et le Mexique en vue de la création dune zone de libre-échange nord-américain de plus de 350 millions de consommateurs. Le commerce canado-mexicain est actuellement de quelque trois milliards de dollars et augmente denviron 10 p. 100 par an. Bien quun grand marché nord-américain offre des possibilités à nos fabricants, on craint que lécart salarial entre le Mexique et le Canada ne joue au détriment de lemploi chez nous. Par suite de la libéralisation de son commerce avec les États-Unis et à cause de sa main-doeuvre bon marché, le Mexique attire de gros investissements le long de la frontière avec son voisin du nord. Les zones franches quil a créées dans cette région exercent un grand attrait non seulement sur les entreprises américaines et canadiennes, mais sur celles dautres pays désireux de maintenir leur compétitivité sur le marché mondial. Le présent document porte sur ces zones franches ou « maquiladoras », comme on appelle au Mexique. Dans une maquiladora, on trouve toutes sortes dusines ou « maquilas » qui nont de commun que la réglementation qui les régit. Il sagit dune zone de libre-échange ou zone franche créée à lintention dusines de montage dont la production est destinée à lexportation. Ces zones ont pour objectif daccélérer lindustrialisation des pays en développement en attirant linvestissement et le savoir-faire étrangers. Létonnant succès de cette stratégie en Asie du Sud-Est a poussé dautres pays en développement à ladopter. La zone franche est souvent un parc industriel aménagé en fonction de lapprovisionnement à létranger. Les entreprises peuvent y importer en franchise des droits de douane les matériels, les matières premières et les composantes dont elles ont besoin à condition dexporter les produits quelles assemblent ou fabriquent. La zone franche offre aux multinationales la possibilité de transférer une partie de leur production dans un pays du tiers monde où la main-doeuvre est généralement bien meilleur marché que dans les pays industrialisés. Pour le pays daccueil, elle constitue une source demplois et de devises puisque lentreprise étrangère doit convertir sa monnaie forte aux taux de change officiels pour pouvoir payer les salaires et dautres frais. La main-doeuvre à bon marché et la possibilité dimporter en franchise des droits de douane matériels, matières premières et composantes ne suffisent pas à assurer le succès dune zone franche, car beaucoup de pays industrialisés imposent des barrières tarifaires et non tarifaires pour contrer les importations bénéficiant de mesures dassistance industrielle. Dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), cependant, les pays industrialisés se sont rendu compte que, pour améliorer leur situation économique, les pays pauvres avaient besoin dune forme dassistance commerciale. Cest ainsi quen 1968, la CNUCED a créé le Système généralisé des préférences (SGP) pour faciliter lexportation de produits manufacturés des pays en développement vers les pays industrialisés. Cette mesure a créé des débouchés pour certains pays du tiers monde, mais pas autant que les modifications que les États-Unis ont apportées à leur Tariff Act en 1962. Les lois tarifaires des États-Unis, le plus gros marché du monde, jouent contre les exportations du tiers monde. Cependant, les articles 806.30 et 807.00 (806/807) du Tarif des douanes permettent aux multinationales de répartir leurs opérations de production. Larticle 806.30 leur permet dexporter et de transformer à létranger tout article de métal non précieux dorigine américaine et de limporter pour transformation ultérieure en ne payant la douane que sur la valeur ajoutée à létranger. Quant à larticle 807, en voici lessentiel :
Ces deux articles permettent, en somme, limportation aux États-Unis des articles fabriqués à létranger à partir de composantes américaines contre paiement des droits de douane sur la seule valeur ajoutée, cest-à-dire surtout la main-doeuvre (relativement bon marché) et les frais généraux. Bien quils naient pas été conçus pour promouvoir lapprovisionnement à létranger ou la répartition géographique de la production, ils ont facilité ces mesures le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Dans les années 70, les multinationales se sont mises à répartir systématiquement leurs opérations de production de manière non seulement fonctionnelle, mais géographique. Ce qui rend attrayant lapprovisionnement à létranger, cest-à-dire le fait dassembler ou de transformer les matières premières et les composantes dun produit dans plusieurs usines situées ici et là dans le monde, cest essentiellement la possibilité déconomiser sur les dépenses salariales. Dans le cas des produits qui comportent lassemblage simple de composantes normalisées et dont le transport aérien est économique, il ny a pas dobstacle géographique à lapprovisionnement à létranger. Les zones franches, qui combinent la main-doeuvre bon marché, laccès sans restrictions au capital étranger et un minimum de stabilité politique, ont fait de lapprovisionnement à létranger une réalité. Le Mexique a institué le programme des maquiladoras en 1965 dans le but dencourager les entreprises étrangères à construire des usines le long de sa frontière avec les États-Unis. Il espérait que la stratégie stimulerait le développement industriel et la création demplois dans la zone désignée. Bien que le programme ait attiré des investissements étrangers. il na pris son essor qua partir de 1982, année où, par suite dune dévaluation du peso de 24,51 à 57,44 par dollar US, les taux de rémunération ont pu concurrencer ceux dautres pays ayant institué des zones dentreprise. Alors que, en 1965, le Mexique exportait aux États-Unis pour environ trois millions de dollars US aux termes des articles tarifaires 806/807, il y a exporté pour 6,45 milliards en 1986(2). Le programme a donc de toute évidence remporté un grand succès. Aujourdhui les 1 600 maquilas produisent pour plus de 12,7 milliards de dollars US, assurent une valeur ajoutée au Mexique de plus de deux milliards de dollars US et emploient quelque 450 000 travailleurs(3). Lindustrie des maquiladoras a supplanté le tourisme comme principale source de devises étrangères après lindustrie pétrolière. Comme il ressort du tableau 1, la part du Mexique dans les importations américaines aux termes des articles 806/807 est passée de 0,52 p. 100 en 1965 à 17,65 p. 100 en 1986. Entre 1970 et 1987, les importations américaines ont décuplé, passant de 40 à 400 milliards de dollars. Dans la même période, les importations aux termes des articles 806/807 ont augmenté trois fois plus vite, passant denviron deux à plus de 68 milliards de dollars. TABLEAU 1
Source : Leslie Sklair, Assembling for Development: The Maquila Industry in Mexico and the United States, Winchester, Massachusetts, Unwin Hyman Inc., 1989. Les maquilas assemblent toutes sortes de produis en joignant la main-doeuvre mexicaine aux techniques, aux composantes et aux capitaux étrangers. La plupart appartiennent à des ressortissants étrangers, surtout des États-Unis, mais aussi du Japon, de la Suède, de la France, de lAllemagne de lOuest, du Canada, de Taïwan, de Hong Kong et de la Corée. Après les américaines, ce sont les maquilas japonaises, ouest-allemandes et canadiennes qui exportent le plus aux États-Unis. En tant que grande zone industrielle du monde, la première maquiladora semble abandonner les opérations de simple assemblage manuel en faveur dopérations plus sophistiquées exigeant des usines plus grosses et mieux équipées et des niveaux plus élevés de compétences techniques. Léventail de produits assemblés par les maquilas sest élargi considérablement au fil des ans. Voici les secteurs dont la croissance était le plus prononcée en 1988 : produits chimiques (92 p. 100); meubles en métal et en bois (65 p. 100); matériel de transport (57 p. 100); constructions électriques et électroniques (49 p. 100); jouets et articles de sport (52 p. 100)(4). Le tableau 2 montre, par secteur industriel, la part de lindustrie des maquiladoras dans lemploi et la valeur ajoutée. TABLEAU 2
Source : Gouvernement du Mexique, Comité pour la promotion de linvestissement au Mexique, An Overview of the Maquiladora Industry in Mexico, 1990. Comme on le voit, le secteur des constructions électriques et électroniques remporte la palme sur lun et lautre plan. Bien que le gros de cette activité ait lieu dans des zones contiguës à la frontière sont intervenues pour 25 p. 100 de lactivité des maquiladoras, alors quelle ne comptait que pour 12 p. 100 de cette activité en 1985(5). Le tableau 3 montre lévolution des grands indicateurs économiques de lindustrie des maquiladoras dans les années 80 et leur évolution prévue jusquen 1993. Cest la faiblesse des taux de rémunération horaire qui explique laugmentation rapide tant du nombre dusines que demplois, surtout à compter de la dévaluation du peso en 1982. TABLEAU 3
Source : Elsie Escheverri-Carroll, Maquilas : Economic Impacts and Foreign Investment Opportunuties; et Gouvernement du Mexique, An Overview of the Maquiladora Industry in Mexico. Divers facteurs attirent linvestissement étranger dans les maquiladoras. Dabord, les gouvernements américain et mexicain favorisent la formule par toutes sortes de mesures commerciales et tarifaires. Il y a également les économies directes au titre de la main-doeuvre et du transport (comparativement aux pays de lAsie du Sud-Est), laccessibilité des marchés américain, mexicain, voire latino-américains, et lamélioration de la productivité de la main-doeuvre(6). Lécart salarial entre les États-Unis et le Mexique incite depuis longtemps les fabricants américains à sinstaller au Mexique. En outre, depuis 1987, les salaires mexicains concurrencent ceux de Hong Kong, de la Malaisie et de la Corée, ce qui attire les filiales américaines de multinationales étrangères. Les multinationales japonaises, par exemple, ont établi 31 maquilas entre 1982 et 1988, dont 15 après 1987. Comparées aux usines américaines, les maquilas permettent déconomiser de 15 000 à 20 000 $ US par année par travailleur. Il y a cependant des contraintes dans la région où se concentrent les maquilas à lheure actuelle. Ce sont les lacunes de linfrastructure, du logement et des services sociaux et le manque de main-doeuvre qualifiée ou spécialisée, lequel saccentuera avec la sophistication croissante des opérations dassemblage. La croissance rapide du secteur des maquilas commence en outre à exercer des pressions à la hausse sur les salaires. Déjà la concurrence de la main-doeuvre dans certains endroits se traduit par des taux de roulement de 100 p. 100(7). En fait, la faiblesse de linfrastructure jointe à la rareté de la main-doeuvre qualifiée ou spécialisée pourrait finir par restreindre le potentiel de croissance de lindustrie des maquiladoras. LES MÉCANISMES DÉTABLISSEMENT DANS UNE MAQUILADORA Les entreprises étrangères désireuses de tirer parti des avantages quoffre le programme des maquiladoras ont trois mécanismes à leur disposition. Le premier, et le plus répandu, consiste à établir une filiale mexicaine à 100 p. 100, qui est entièrement assujettie à la loi mexicaine. Aux fins de limpôt, le gouvernement mexicain traite ces filiales comme des centres de coût plutôt que comme des centres de profit. Le deuxième mécanisme consiste à sous-traiter le procédé de fabrication à une entreprise mexicaine située au Mexique. Lentreprise étrangère fournit alors à lentreprise mexicaine les matières premières et les autres intrants dont elle a besoin, tandis que lentreprise mexicaine se charge des opérations de fabrication. Le troisième mécanisme ressemble au deuxième dans la mesure où les moyens de production appartiennent aux Mexicains; toutefois, lentreprise étrangère conserve la main haute sur les opérations. Les deux derniers mécanismes sont de plus en plus employés depuis quelques années parce que ce sont eux qui conviennent le mieux aux petites ou moyennes entreprises qui nont pas les ressources financières pour investir dans une usine ou nont pas lexpérience des méthodes de production à létranger. Sans avoir signé daccord de libre-échange avec le Canada, le Mexique attire déjà des investissements et des emplois dont le Canada aurait pu profiter auparavant. On craint que le Canada, en prenant part aux pourparlers mexicano-américains de libre-échange, ne perde encore plus demplois au profit des maquiladoras. Il faut cependant reconnaître que cest autant la possibilité dexporter aux États-Unis en franchise partielle des droits de douane que la main-doeuvre bon marché qui fait lattrait des maquiladoras. Que le Canada signe ou non un accord de libre-échange nord-américain ne changera rien aux forces économiques qui attirent déjà des emplois peu spécialisés dans toutes sortes dentreprises manufacturières qui cherchent à rester compétitives sur le marché mondial. Les emplois qui sont susceptibles dêtre transférés au Mexique resteront probablement des emplois peu spécialisés de travail à la chaîne. Comme les techniques de production sophistiquées exigent des niveaux de compétence plus élevés et des services dinfrastructure supérieurs à ceux que léconomie mexicaine offre a lheure actuelle, la croissance des maquilas est appelée à plafonner. Comme, en outre, les taux de rémunération et les frais dinfrastructure finiront par augmenter, il y aura moins davantages à sinstaller au Mexique plutôt quau Canada. Entre-temps, il est difficile de prévoir quels secteurs industriels investiront le plus probablement dans des maquiladoras. Parmi les fabricants canadiens qui sy sont installés récemment, il y a un fabricant de ceintures de sécurité, un fabricant de pièces automobiles et un producteur de produits du papier(8). Mil neuf cent quatre-vingt-dix marque le 25e anniversaire de létablissement du programme des maquiladoras au Mexique. Il ne fait aucun doute que le programme a créé de lemploi et a procuré des exportations à valeur ajoutée à léconomie mexicaine. Les avantages économiques du programme incitent fortement les entreprises étrangères de toute taille à déménager une partie de leurs opérations de fabrication dans les maquiladoras. Même sans accord de libre-échange nord-américain, la main-doeuvre bon marché continuera dattirer au Mexique linvestissement étranger; la création dune zone de libre-échange nord-américain ne fera probablement quaccentuer cette tendance. Le système des maquiladoras pourrait toutefois perdre de son attrait par suite des lacunes dinfrastructure et du manque de main doeuvre qualifiée ou spécialisée.
(1) United States International Trade Commission (USITC), 1986:82 (traduction). (2) Leslie Sklair, Assembling for Development: The Maquila Industry in Mexico and the United States Winchester, Massachusetts, Unwin Hyman Inc., 1989. (3) Gouvernement du Mexique, Comité pour la promotion de linvestissement au Mexique, An Overview of the Maquiladora Industry in Mexico, Mexico, 1990. (4) Ibid. (5) Ibid. (6) Elsie Echeverri-Carroll, Maquilas: Economic Impacts and Foreign Investment Opportunities, Austin, Graduate School of Business, University of Texas, 1988, p. 3. (7) Ibid., p. 39. (8) Montreal Gazette, « Far-Fetched Notions May Be Getting Closer », 27 juin 1989. |