BP-254F

 

LES FORÊTS ET LE RÉCHAUFFEMENT
DE LA PLANÈTE

 

Rédaction :
Thomas Curran
Division des sciences et de la technologie
Avril 1991


TABLE DES MATIÈRES


LES FORÊTS DU CANADA

L’INDUSTRIE FORESTIÈRE

LA FORÊT COMME RÉSERVOIR DE CARBONE

LA GESTION DES FORÊTS

INCENDIES DE FORÊT ET BRÛLAGE DIRIGÉ

   A. Incendies de forêt
   B. Brûlage des débris de coupe

RÉPERCUSSIONS DU RÉCHAUFFEMENT DE LA PLANÈTE SUR LES FORÊTS

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


LES FORÊTS ET LE RÉCHAUFFEMENT
DE LA PLANÈTE

Près de la moitié de la superficie terrestre du Canada est couverte de forêts, lesquelles représentent globalement environ 10 p. 100 des terres forestières du monde. La forêt joue un rôle capital dans la mosaïque environnementale du pays et influe considérablement sur le climat, sur les bassins hydrographiques ainsi que sur l’habitat de la faune terrestre et aquatique. Elle fait également partie intégrante de la culture et du patrimoine des Canadiens. En 1989, un sondage national a révélé que trois Canadiens sur quatre « considèrent la forêt comme un trésor national à préserver pour les générations futures »(1).

Les forêts sont aussi importantes pour la santé économique du pays qu’elles le sont pour son intégrité environnementale. Le secteur forestier emploie un très grand nombre de travailleurs et est une importante source de revenus pour le gouvernement fédéral et les provinces. Il est clair, par conséquent, qu’une bonne gestion des forêts, qui comprend leur protection et leur régénération, est essentielle à la prospérité du pays.

L’« effet de serre », qui, d’après les experts, provoquera un réchauffement sensible de la planète au cours des prochaines décennies, est très réel. C’est cet effet qui maintient la température moyenne globale à la surface de la Terre à environ 15°C. Sans lui, cette température moyenne serait de -18°C, ce qui donnerait lieu à un climat trop rigoureux et froid pour la grande majorité des organismes vivants qui font l’immense diversité biologique de la planète. Les gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de la planète sont le gaz carbonique (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde d’azote (NO) et les chlorofluorocarbures (CFC).

Le rapport qui existe entre les forêts du Canada d’une part et le changement climatique et le réchauffement de la planète d’autre part est significatif à plusieurs égards. Près de la moitié du réchauffement anticipé sera dû au CO2, gaz omniprésent qui fait partie intégrante du cycle de croissance des forêts. En période de croissance, les forêts saines extraient du CO2 de l’atmosphère et l’emmagasinent sous forme de carbone organique dans la fibre du bois. Les peuplements forestiers jouent donc le rôle de réservoirs dynamiques qui peuvent influer sur la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique. Cette activité biotique bénéfique a toutefois un pendant négatif, puisque les forêts constituent collectivement une gigantesque source potentielle d’émissions de CO2.

On estime que, dans l’ensemble, les forêts du Canada on un bilan équilibré du carbone, c’est-à-dire qu’elles absorbent autant de carbone de l’atmosphère qu’elles en libèrent. Par conséquent, elles ne pourront ralentir le réchauffement de la planète en absorbant le carbone de l’atmosphère que dans la mesure où leur superficie augmentera.

Si un réchauffement sensible se produit, il aura des effets importants, et peut-être fondamentaux, sur les ressources forestières du Canada. Un climat plus chaud et une plus forte concentration de CO2 dans l’atmosphère auraient des répercussions sur la croissance, la survie et la reproduction des arbres et pourraient même changer la nature et l’étendue des forêts. De tels changements, s’ils avaient des effets sensibles sur la forêt exploitable, auraient des conséquences énormes, et probablement très négatives, pour l’économie canadienne.

LES FORÊTS DU CANADA

Pour comprendre les répercussions du réchauffement de la planète et les effets possibles d’un changement climatique sur les forêts du Canada, il est nécessaire de connaître la nature de celles-ci. Il y a dans le monde trois grandes catégories de forêts qui sont liées au régime climatique : les forêts équatoriales et tropicales, les forêts des zones tempérées et les forêts des climats froids. C’est cette dernière catégorie qui prédomine au Canada.

La plupart des forêts canadiennes se situent dans la ceinture boréale froide, soit la région circumpolaire septentrionale qui comprend l’Alaska, la Sibérie, la Finlande, la Suède et la Norvège(2). Les forêts des zones tempérées, qu’on trouve dans plusieurs régions des États-Unis, se prolongent dans les régions tempérées du Canada, le long de la côte du Pacifique et dans le sud-ouest de l’Ontario. Dans le sud de l’Ontario, les étés chauds et humides ont permis le développement de la forêt de feuillus. En se déplaçant vers le nord, au Québec et en Ontario, en direction de la forêt boréale, on traverse des zones à peuplements mixtes où conifères et feuillus se retrouvent en proportions à peu près égales. En Colombie-Britannique, une forêt dominée par les conifères s’est développée dans le climat maritime frais et tempéré de la côte du Pacifique.

La forêt boréale, qui prédomine au Canada, est principalement composée de conifères : pin, épinette, mélèze et sapin. Elle occupe près de 80 p. 100 de l’ensemble des terres forestières du pays et constitue la base d’une grande partie de l’industrie forestière canadienne. Les essences de la zone boréale, établies il y a quelque 10 000 ans après le retrait des derniers glaciers, se sont adaptées à un climat caractérisé par un hiver long et très froid. Un changement climatique pourrait par conséquent avoir de profondes répercussions sur la croissance et la reproduction des conifères et modifier considérablement la composition des forêts de cette zone(3).

L’INDUSTRIE FORESTIÈRE

L’économie canadienne a énormément profité des ressources de la forêt. La valeur annuelle des expéditions de l’industrie forestière dépasse actuellement les 40 milliards de dollars. Premier secteur économique du pays, cette industrie produit un excédent commercial annuel d’environ 20 milliards de dollars. Le Canada est le plus grand exportateur mondial de produits forestiers : en 1987, ses exportations représentaient 21 p. 100 de l’ensemble des échanges mondiaux dans ce secteur(4). En 1988, la contribution du secteur forestier au produit intérieur brut s’est élevée à 3,6 p. 100.

On estime que l’industrie forestière emploie directement et indirectement entre 800 000 et un million de Canadiens. Elle constitue pratiquement la seule source d’activité économique dans près de 350 collectivités canadiennes, principalement dans les régions rurales du nord. Elle est également très importante pour l’économie de beaucoup d’autres villes et localités. Si les ressources forestières devaient faire l’objet d’une gestion intensive semblable à celle que pratiquent certains pays scandinaves, le secteur forestier pourrait non seulement conserver son importance dans l’économie canadienne, mais aussi se développer encore plus à l’avenir(5).

LA FORÊT COMME RÉSERVOIR DE CARBONE

Le gaz carbonique (CO2) est produit par la combustion des composés organiques du carbone, comme le bois ou les combustibles fossiles. C’est également l’un des principaux sous-produits de la respiration des organismes vivants, y compris les arbres. Dans le processus de la respiration, des molécules de composés organiques du carbone, comme les sucres, se combinent à de l’oxygène, libérant de l’énergie qui maintient les fonctions vitales, ainsi que du gaz carbonique, qui est un déchet du processus. La décomposition des matières végétales en présence d’oxygène produit également du CO2.

Les plantes absorbent le gaz carbonique de l’atmosphère par photosynthèse, série complexe de réactions dans laquelle du CO2 et de l’eau se combinent sous l’action de l’énergie solaire, produisant des composés carboniques organiques et de l’oxygène. Sans photosynthèse, la vie sur la Terre serait pratiquement impossible. Ce processus est caractéristique des plantes « vertes » terrestres et aquatiques qui contiennent de la chlorophylle. Les forêts de la planète constituent collectivement un important foyer d’activité photosynthétique et jouent, de ce fait, un rôle capital dans le cycle du carbone et dans l’équation du réchauffement de la planète.

À mesure qu’un arbre grandit, il extrait du CO2 de l’atmosphère, qu’il accumule et convertit en une série de composés organiques complexes formant le bois. Tant que l’arbre est en croissance, il continue à emmagasiner du carbone. Voilà pourquoi on dit que les forêts constituent un « réservoir » de carbone extrait de l’atmosphère. Le sol des forêts emmagasine encore plus de carbone organique que les peuplements forestiers. Il existe en outre d’importants gisements de tourbe riche en carbone organique un peu partout dans la zone des forêts boréales de conifères.

C’est dans les premières années d’un peuplement, lorsque les arbres croissent à un rythme rapide, que la fixation du carbone extrait de l’atmosphère est la plus efficace; les arbres absorbent alors plus de CO2 par photosynthèse qu’ils n’en libèrent en respirant. Cependant, à mesure qu’un peuplement mûrit, la quantité de gaz carbonique libérée par respiration augmente et, à un moment donné, la quantité de carbone produite par respiration et décomposition dépasse la quantité absorbée par photosynthèse.

Enfin, lorsque le peuplement devient âgé et que les arbres comment à mourir, il y a une libération nette de carbone dans l’atmosphère. Cela ne veut pas dire cependant qu’il faut abattre les vieilles forêts et les remplacer par des semis pour accroître la taille du réservoir de carbone. Les vieilles forêts ont une valeur écologique et culturelle intrinsèque, et une somme considérable de données recueillies à leur sujet montre qu’il importe de les préserver.

Une fois qu’un arbre est abattu, une partie de son carbone peut être libérée dans l’atmosphère assez rapidement si on coupe et brûle les petites branches, l’écorce et le feuillage ou si on les laisse se décomposer sur le sol de la forêt. De même, un arbre qui brûle dans un incendie libère très rapidement une grande quantité de gaz carbonique et d’autres gaz.

Si le bois de l’arbre sert à construire un bâtiment ou à fabriquer des produits relativement permanents, le carbone demeurera prisonnier pendant des décennies ou même des siècles. Cependant, s’il est brûlé comme combustible ou converti en papier ou en produits chimiques d’une durée utile limitée, tout le carbone accumulé peut assez rapidement être libéré dans l’atmosphère.

Les questions de reboisement et de déforestation sont très importantes dans le contexte du réchauffement de la planète. Le reboisement consiste à replanter des arbres dans une forêt commerciale après exploitation. La déforestation, qui consiste à utiliser les terres forestières pour l’agriculture ou l’habitation ou pour d’autres usages de façon permanente, contribue à l’augmentation de la teneur de l’atmosphère en CO2, en partie par réduction de l’activité photosynthétique globale et en partie par libération du carbone accumulé dans la biomasse forestière. Aujourd’hui, c’est la déforestation qui a cours dans les pays tropicaux, notamment dans la forêt pluviale du Brésil, qui retient le plus l’attention du monde.

LA GESTION DES FORÊTS

Une bonne gestion est essentielle au maintien d’une forêt saine et productive à des fins commerciales, récréatives et écologiques. Dans le contexte du réchauffement de la planète, une telle gestion revêt encore plus d’importance parce qu’une forêt bien géré, caractérisée par une croissance vigoureuse, extrait plus de carbone de l’atmosphère qu’un peuplement mal aménagé. Une bonne gestion forestière, particulièrement la régénération rapide des zones exploitées par reboisement artificiel ou naturel, et la réduction des pertes dues aux incendies, aux insectes et aux maladies, peut constituer une partie de la solution au problème du réchauffement. Dans les pays développés, y compris le Canada, l’exploitation commerciale intensive des forêts et les pertes dues à d’autres causes n’ont pas toujours été compensée par des programmes adéquats de reboisement.

Dans son témoignage devant le Comité permanent de l’environnement de la Chambre des communes, M. J.S. Maini, de Forêts Canada, a déclaré que les terres forestières productives inventoriées du Canada totalisent 244 millions d’hectares, dont 7 p. 100 (17 millions d’hectares), étaient classés TIR en 1989. Les terres classées TIR sont des :

[…] terres insuffisamment reboisées, c’est-à-dire des terres forestières productives coupées à blanc qui ne se sont pas du tout ou pas complètement rétablies par régénération naturelle ou artificielle. Pour être considéré comme régénéré, un peuplement doit contenir un minimum d’arbres sains, bien établis et libres de croître, en nombre suffisant pour être commercialisables à l’âge de rotation(6).

L’élément clé de cette définition est que les zones en question doivent contenir des peuplements marchands pour ne pas être classées TIR. Bien que la plupart des terres forestières ainsi classées ne comportent pas actuellement de peuplements de qualité commerciale, elles sont quand même couvertes d’une forme ou d’une autre de végétation qui extrait une certaine quantité de carbone de l’atmosphère. M. Maini a dit au Comité que même si le reboisement de ces 17 millions d’hectares n’apporterait qu’une faible contribution positive au bilan du carbone à l’échelle mondiale, il influerait sensiblement sur ce bilan au Canada(7).

Dans leur témoignage devant le Comité permanent de l’environnement, des responsables de Forêts Canada ont déclaré que la situation des TIR s’était améliorée : « […] au cours des cinq dernières années, par des ententes forestières fédérales-provinciales à frais partagés, qui ont coûté plus d’un milliard de dollars, près de 1,3 milliard de plants ont été mis en terre sur plus de un million d’hectares(8). Cependant, le problème des terres insuffisamment reboisées demeure. En 1988, par exemple, la différence entre les superficies exploitées et les superficies qui s’étaient naturellement régénérées ou qui avaient été reboisées par ensemencement s’est élevée à 198 000 hectares(9).

Les responsables de Forêts Canada ont également dit que le gouvernement fédéral participerait avec les provinces au reboisement des TIR « à condition que les provinces et l’industrie s’occupent du reboisement des terres actuellement exploités »(10). Le directeur du développement forestier de Forêts Canada a estimé, pour sa part que si la superficie des TIR n’augmentait plus et que si les fonds prévus dans les ententes forestières fédérales-provinciales étaient entièrement affectés à l’arriéré de TIR, avec un effort soutenu, « on pourrait régler le problème de ces terres insuffisamment reboisées en 10 ou 20 ans »(11).

La question des ententes forestières fédérales-provinciales revêt une grande importance dans le contexte de la gestion des forêts et du reboisement des TIR. La plupart des terres forestières du Canada sont de compétence provinciale. Les accords fédéraux-provinciaux relatifs aux forêts prennent le plus souvent la forme d’« ententes sur la mise en valeur des ressources forestières » (EMVRF) administrées par le gouvernement fédéral et les provinces. En 1989, le gouvernement fédéral avait conclu de telles ententes avec Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, l’Ontario, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Il avait également signé d’autres formes d’ententes avec le Nouveau-Brunswick, le Québec et le Manitoba.

La plupart de ces ententes sont maintenant expirées, y compris les EMVRF conclues avec l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta (31 mars 1989) et avec Terre-Neuve et la Colombie-Britannique (31 mars 1990). Les ententes avec le Québec et le Manitoba sont également expirées. De nouveaux accords ont été signés avec la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick vers la fin de mars 1990 et une nouvelle EMVRF avec la Colombie-Britannique a été annoncée en février 1991. La négociation de nouvelles ententes se poursuit actuellement avec les autres provinces.

INCENDIES DE FORÊT ET BRÛLAGE DIRIGÉ

Les feux qui ont lieu dans une forêt, qu’il s’agisse d’incendies ou de brûlage dirigé, ont des effets évidents sur le réchauffement de la planète : toute combustion provoque la libération rapide de grandes quantités de CO2 et de volumes moindres d’autres gaz, surtout le méthane, qui contribuent beaucoup plus à l’effet de serre que le gaz carbonique. La destruction de peuplements forestiers réduit en outre l’activité photosynthétique globale, contribuant ainsi à l’augmentation de la teneur de l’atmosphère en CO2.

Il est cependant faux de conclure que les incendies n’ont que des effets négatifs sur l’environnement forestier. Ils constituent en fait un facteur environnemental significatif de l’évolution de la forêt boréale :

L’influence décisive des incendies de forêt sur le développement de l’écosystème et la composition de la forêt boréale est aussi évidente que facile à comprendre. De vastes peuplements contigus d’épinettes et de pins d’âge homogène dominent le paysage. Cette mosaïque irrégulière résultant de grands incendies périodiques témoigne d’une adaptation millénaire des essences de la forêt boréale aux incendies naturels. Nous sommes en présence d’un exemple classique d’écosystème dépendant du feu, capable, durant les périodes particulièrement propices aux incendies, de survivre aux feux les plus dévastateurs auxquels il doit en fait son existence(12).

   A. Incendies de forêt

Les incendies de forêt peuvent toucher d’immenses superficies, surtout dans les régions inhabitées. Le grand incendie de Chine, qui s’est produit au début du printemps 1987 à la frontière sinosoviétique, a détruit plus de 1,1 million d’hectares. Au même moment, des incendies encore plus importants dévastaient les forêts boréales de la Sibérie (certains s’étendaient sur des zones de deux millions d’hectares). Au total, la cinquantaine d’incendies qui ont ravagé la Sibérie en 1987 ont détruit environ 10 millions d’hectares de forêts.

Au Canada, l’incidence des incendies de forêt a fait l’objet d’études approfondies, des statistiques détaillées étant tenues depuis 1920. Les données recueillies montrent que la fréquence annuelle d’incendies a augmenté régulièrement au cours des 60 dernières années, passant d’environ 6 000 par an dans la période 1930-1960 à près de 10 000 dans les années 80. Cette hausse est attribuée à l’accroissement démographique, qui a accru l’utilisation des forêts, ainsi qu’au perfectionnement des moyens de détection des incendies dans les régions les plus isolées.

Le nombre d’incendies n’est pas nécessairement proportionnel à la superficie brûlée, cette dernière étant en fait caractérisée par des fluctuations annuelles considérables. Entre 1920 et 1960, l’étendue des surfaces détruites a diminué; elle s’est toutefois énormément accrue dans les années 80, surtout parce qu’il y a eu des courtes périodes pendant lesquelles des conditions extrêmement propices aux incendies ont existé dans l’ouest et le centre du Canada. Entre 1980 et 1989, le nombre annuel moyen d’incendies a été de 9 618, tandis que la superficie moyenne des forêts détruites s’est établie à 2,44 millions d’hectares. En 1989, soit la pire année jamais enregistrée, plus de 11 000 incendies ont détruit plus de 6,4 millions d’hectares de forêts(13).

En septembre 1990, la saison des incendies de forêt pour cette année-là était considérée comme « moyenne », le nombre d’incendies déclarés s’étant élevé à 9 057(14). À 839 570 hectares, la superficie détruite était nettement inférieure à la moyenne pour la période 1980-1989; elle se trouvait principalement dans l’ouest du Canada (51,6 p. 100 du total au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Saskatchewan). Le Manitoba, qui avait connu d’énormes incendies en 1989, en a enregistré 482 en 1990, portant sur une superficie totale de 16 794 hectares. Cette année-là c’est l’Ontario qui a subi les plus grosses pertes, avec 181 252 hectares détruits. Comme c’est ordinairement le cas, un nombre relativement peu nombreux d’incendies a détruit la plus grande partie des forêts perdues; en 1990, 4 p. 100 des incendies ont consumé 54,6 p. 100 des superficies touchées.

Les statistiques sur les causes des incendies indiquent les rapports qui existent entre ces derniers et les multiples usages que les Canadiens font de la forêt : 65 p. 100 des incendies sont dus à des activités humaines et les 35 p. 100 restants, à la foudre. Cependant, 85 p. 100 de la superficie détruite l’est par des incendies causés par la foudre car ces derniers se produisent au hasard, le plus souvent dans des régions isolées. Ils sont donc détectés plus tard et ils sont difficiles à combattre parce qu’ils se trouvent dans des secteurs difficiles d’accès; ils risquent donc d’être bien établis avant que des mesures efficaces ne puissent être prises.

Au Canada, la lutte contre les incendies de forêt est très bien organisée, comme en témoigne le fait qu’une très grande majorité des incendies sont rapidement maîtrisés : seuls de 2 à 3 p. 100 d’entre eux consument plus de 200 hectares, mais ils détruisent de 97 à 98 p. 100 de la superficie totale des forêts touchées Depuis 1920, le pourcentage de petits incendies a constamment augmenté, tandis que celui des grands incendies a diminué, ce qui témoigne du succès des programmes de lutte contre les incendies de forêt.

Beaucoup de provinces ont défini des zones de basse priorité dans lesquelles on laisse les incendies suivre leur cours, la priorité étant établie en fonction de la valeur attribuée aux ressources forestières en cause. Dans les années 80, cette façon d’agir a entraîné une augmentation du nombre des grands incendies en Ontario. Elle a été en partie adoptée pour des raisons économiques, la lutte contre les incendies étant extrêmement coûteuse dans les régions isolées.

Par ailleurs, comme nous l’avons dit plus haut, le feu est un élément naturel de l’écosystème boréal, et il joue un rôle dynamique dans la reproduction et le renouvellement des forêts. Il y a également lieu de noter que lorsqu’un incendie consume une forêt, le carbone organique emmagasiné dans les arbres n’est pas complètement libéré dans l’atmosphère. En général, les racines, qui constituent environ 30 p. 100 de l’ensemble de la biomasse forestière, ne brûlent pas.

De plus, on estime qu’en moyenne, 20 p. 100 seulement de la partie aérienne des arbres se consument vraiment, le reste demeurant dans le sol sous forme de matières organiques ou de charbon de bois(15). Par conséquent, comme les incendies contribuent positivement au renouvellement de la forêt boréale, il est possible qu’en définitive, ils provoquent globalement un stockage net de carbone dans la biomasse.

Avant l’apparition de conditions météorologiques très propices aux incendies au cours de la dernière décennie, on croyait en général que les dégâts dus aux incendies continueraient à diminuer au Canada au fur et à mesure que les moyens de gestion et de contrôle des incendies de forêt s’amélioreraient. Le fait que cela ne se soit pas produit donne une idée de ce qui pourrait nous attendre si les conditions propices aux incendies s’accentuaient sous un nouveau régime climatique.

La communauté scientifique et même les milieux politiques se rendent maintenant compte que la combustion de la biomasse à l’échelle du globe a des incidences sensibles sur la composition de l’atmosphère et sur le réchauffement du climat. Bien que la destruction des forêts et la combustion de la biomasse dans les régions tropicales retiennent beaucoup d’attention à l’heure actuelle, des recherches sont en cours pour déterminer les répercussions de la combustion de la biomasse dans l’hémisphère nord. Depuis plusieurs années, le Canada et les États-Unis étudient conjointement l’évolution et les effets atmosphériques des grands incendies dans la forêt boréale canadienne.

Ces recherches ont permis notamment d’établir la composition des fumées dégagées par ces incendies. Combinées aux statistiques existantes, les données obtenues ont servi à faire des estimations de la contribution des incendies de forêt de l’hémisphère nord à la teneur de l’atmosphère terrestre en gaz à l’état de trace. Quatre-vingt-neuf pour cent de la quantité totale de carbone libérée durant un incendie dans la forêt boréale le sont sous forme de CO2 et 9 p. 100, sous forme d’oxyde de carbone. Les 2 p. 100 restants sont libérés sous forme de méthane (CH4) et d’autres hydrocarbures. D’après les estimations faites, la combustion d’un kilogramme de carbone produit les émissions suivantes : 1 500 g de gaz carbonique, 150 g d’oxyde de carbone et 15 g de méthane et d’autres hydrocarbures.

En combinant ces chiffres aux statistiques concernant les superficies détruites par les incendies dans la région circumpolaire septentrionale, on a estimé les émissions totales de gaz à l’état de trace que produisent ces incendies. En moyenne, environ 70 téragrammes (1 Tg = 1 billion de grammes ou 1 million de tonnes) de carbone sont consumés par des incendies chaque année, ce qui représente 105 Tg de gaz carbonique, 10,5 Tg d’oxyde de carbone et 1,1 Tg de méthane et d’autres hydrocarbures.

Ces chiffres doivent être examinés dans le contexte des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre provenant de la combustion de la biomasse. D’après les estimations les plus récentes, entre 2 000 et 5 000 Tg de carbone sont libérés tous les ans, principalement par combustion de la savane (prairies tropicales) et par déforestation des régions tropicales. Par conséquent, si l’on suppose que les différentes estimations sont exactes, les incendies de forêt dans la région circumpolaire septentrionale ne contribuent que dans une proportion de 1,4 à 3,5 p. 100 aux émissions mondiales de carbone dues à la combustion de la biomasse(16).

Forêts Canada a essayé d’estimer le bilan du carbone des terres forestières du Canada, c’est-à-dire la différence entre la quantité de carbone extrait de l’atmosphère absorbée par les feuillages et la quantité de carbone que les forêts libèrent dans l’atmosphère par suite de la respiration des arbres, des incendies de forêts, de l’exploitation commerciale et des effets des insectes, des maladies et d’autres perturbations. De toute évidence, c’est là une tâche énorme et d’une extrême complexité, compte tenu de l’immensité des superficies en cause et de la multitude des essences d’arbres et des autres formes de végétation.

Quoi qu’il en soit, Forêts Canada a fait une estimation du bilan du carbone des forêts canadiennes en se basant sur les données de 1986. D’après les chiffres obtenus, les forêts du Canada ont un stock total de carbone de 225 milliards de tonnes et en avaient accumulé, en 1986, 116 millions de tonnes de plus qu’elles n’en avaient libéré. Il y a cependant deux facteurs à ne pas perdre de vue. D’abord, l’excédent accumulé dans l’année à l’étude est extrêmement faible par rapport au stock total, puisqu’il ne représente qu’un peu plus de 0,05 p. 100 de ce dernier. Ensuite, un changement des conditions de la forêt, comme les graves incendies qui se sont produits en 1989, peut facilement transformer l’excédent de carbone accumulé en un excédent de carbone libéré. Pour ces raisons, on admet en général que le bilan du carbone des forêts canadiennes est approximativement équilibré(17).

   B. Brûlage des débris de coupe

Il convient, dans le contexte de la combustion de la biomasse forestière, d’examiner la question du « brûlage dirigé » des débris de coupe qui sert à préparer au reboisement les zones exploitées, dans les programmes sylvicoles. Le brûlage des déchets des débris de coupe et de la litière accumulés sur le sol des forêts après leur exploitation libère dans l’atmosphère d’importantes quantités de gaz carbonique et d’autres gaz.

Cette pratique est courante en Ontario et surtout en Colombie-Britannique. Dans cette dernière province, elle touche plus de 100 000 hectares par an. En 1989, les superficies brûlées y ont totalisé 137 596 hectares, dont un peu plus de 73 000 ont été traités à des fins sylvicoles, le reste ayant été brûlé pour améliorer l’habitat de la faune. En Ontario, les superficies soumises au brûlage dirigé totalisent moins de 10 000 hectares par an et se trouvent principalement dans les forêts boréales du nord de la province, à l’écart des grandes agglomérations urbaines(18).

Le brûlage dirigé est pratiqué en Colombie-Britannique à des fins sylvicoles depuis le début du siècle. Il est actuellement réglementé par le Service provincial des forêts dans le cadre d’un système de permis. Il a pour but de « réduire les dangers d’incendie, de faciliter le reboisement, d’établir un milieu favorable à la croissance des demis et d’éliminer les maladies telles que le faux-gui »(19). Outre l’émission de fumée et de gaz à effet de serre, cette pratique pourrait avoir d’autres effets négatifs, notamment la réduction possible à long terme des sources d’éléments nutritifs et de matières organiques dans le sol et l’élimination de micro-organismes utiles(20).

Le brûlage dirigé libère directement des quantités importantes de CO2. Cependant, si les débris ne sont pas brûlés, ils finissent par se décomposer sur le sol de la forêt, libérant quand même leur carbone par des processus biologiques plutôt que physiques. Bien sûr, cela se fait sur une plus longue période, mais le résultat est semblable. Il ne faut pas perdre de vue non plus que, comme les incendies de la forêt boréale, le brûlage pratiqué à des fins sylvicoles est suivi d’une régénération des peuplements.

La nouvelle forêt captera le carbone de l’atmosphère, le convertissant en bois par photosynthèse. La question de savoir si la quantité de carbone ainsi stockée sera en définitive supérieure, inférieure ou égale à celle d’une forêt non aménagée dépend d’un certain nombre de facteurs. Il est cependant certain que les émissions nettes de CO2 dans l’atmosphère dues au brûlage dirigé sont nettement inférieures aux quantités directement libérées au moment de la combustion.

RÉPERCUSSIONS DU RÉCHAUFFEMENT DE LA PLANÈTE SUR LES FORÊTS

Avant d’entreprendre un examen des répercussions possibles d’un réchauffement de la planète et de changements climatiques sur les forêts du Canada, il importe de se rendre compte que les différents scénarios proposés comportent tous des incertitudes considérables. Cependant, la communauté scientifique s’accorde en général pour penser qu’un certain réchauffement de la Terre est probable et que les climats régionaux se modifieront à l’avenir. La forêt boréale, qui constitue la base des ressources et de l’industrie forestières du Canada, serait très sensible à une modification du climat :

La structure et le fonctionnement de l’écosystème de la forêt boréale dépend (sic) très nettement du climat comparativement à un bon nombre d’autres écosystèmes. De nombreuses caractéristiques de la forêt boréale, notamment la physiologie et la productivité des essences, les zones de végétation, les incendies de forêts, les insectes et les maladies, sont inextricablement liées au climat(21).

Avec un doublement de la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique (scénario « 2 x CO2 »), la température à la surface de la Terre pourrait s’élever de 1,5 à 4,5ºC. Cela pourrait se produire vers 2030 dans un scénario de maintien du statu quo ou même vers 2015, si les émissions augmentent au-delà des niveaux actuels. Les répercussions seraient encore plus accentuées dans les régions septentrionales, particulièrement en Ontario et au Québec : des hausses de température « pouvant peut-être atteindre dix degrés ou plus sont prévues dans certaines parties de la forêt boréale »(22). Ce degré de réchauffement au cours du prochain siècle constituerait un rythme de changement climatique dix fois plus rapide que celui que les arbres et les écosystèmes de la forêt ont connu au cours des 10 000 dernières années(23).

Environnement Canada se sert actuellement d’un « modèle de réaction climat-écosystème » pour étudier les effets d’un changement de climat sur les écosystèmes du Canada. Le modèle permet de mettre au point des scénarios écologiques dans le cadre de différents régimes climatiques. En janvier 1990, le ministère a publié un rapport comparant les « provinces écoclimatiques » du Canada dans les conditions actuelles et dans les conditions de réchauffement prévues pour 2050(24). Le tableau 1, tiré de ce rapport, indique les changements prévus des zones climatiques, tandis que les figures 1 et 2 présentent les provinces écoclimatiques actuelles et projetées sur une carte du Canada.

Tableau 1

Provinces écoclimatiques du Canada

 

Pourcentage de la superficie du Canada

Province écoclimatique

Actuellement

En 2050

Changement

Arctique
Subarctique
Boréale
Tempérée froide
Tempérée modérée
Prairies
Prairies de transition
Semi-désertique

26
20
29
4
<1
5
0
0

20
8
15
15
5
12
8
2

- 6
-12
-14
+11
+ 5
+ 7
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Source : Brian Rizzo, « Les écocystèmes du Canada en 2050 : un scénario », Rapports sur l’état de l’environnement, bulletin no 5, Environnement Canada, janvier 1990, p. 4 et 5.

 

 

 

Pour ce qui est des ressources forestières, les changements les plus spectaculaires toucheront la taille et l’emplacement de la province écoclimatique de la forêt boréale, qui occupe actuellement une vaste bande de territoire traversant le Canada, de Terre-Neuve aux Rocheuses, et s’étendant jusqu’à l’Alaska. D’après les prévisions, la forêt boréale, qui constitue quelque 82 p. 100 des terres forestières canadiennes, rétrécira de 14 p. 100. En même temps, les zones climatiques tempérées froides et modérées, qui ne couvrent aujourd’hui que de petites régions du sud du Canada, occuperont respectivement 15 et 5 p. 100 du territoire, tandis que la superficie de la zone des Prairies passera de 5 à 12 p. 100 de la superficie totale du pays.

En gros, la zone climatique favorisant la forêt boréale se déplacera très sensiblement vers le nord. La zone tempérée, plus propice à la forêt de feuillus, s’étendra aussi vers le nord, alors qu’elle est actuellement limitée au sud-est du Canada. L’écoclimat boréal maritime de Terre-Neuve passera à un régime tempéré modéré qu’on ne retrouve actuellement que dans le sud de l’Ontario.

M. J.S. Main, de Forêts Canada, a présenté au Comité de l’environnement une estimation approximative des répercussions du réchauffement du climat sur les forêts du Canada :

Selon l’une de ces extrapolations faites au Canada, pour chaque modification de température d’un degré centigrade, les ceintures forestières, les forêts boréales, les forêts d’arbres feuillus et les forêts à essences mixtes vont se déplacer d’une centaine de kilomètre(25).

Le Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat a établi des projections plus détaillées en se basant sur des simulations par ordinateur :

D’après le scénario GISS 2 x CO2, la forêt boréale circumpolaire pourrait déplacer de quelque 500 à 1 000 km vers le nord. […] La limite sud de la forêt boréale canadienne pourrait se déplacer de 470 à 920 km vers le nord, tandis que la limite nord monterait de 80 à 720 km. […] D’après le scénario GFDL, cependant, les déplacements possibles respectifs seraient de 250 à 900 km et de 100 à 730 km vers le nord. Les pertes possibles de la forêt boréale dans le sud du Canada pourraient s’élever à 170 millions d’hectares, tandis que les gains dans le nord n’atteindraient que 70 millions d’hectares […] ce qui représenterait une perte nette de 100 millions d’hectares(26).

Il est extrêmement difficile d’estimer le temps que pourrait mettre la forêt pour changer de type. Bien que le climat d’une région particulière puisse changer, une évolution sensible de la composition des peuplements forestiers pourrait prendre des décennies, voire des siècles. Cependant, un événement tel qu’un grand incendie de forêt pourrait accélérer une telle évolution.

Un certain nombre de facteurs pourraient influer sur la productivité des forêts canadiennes dans un climat plus chaud. Il est possible de décrire avec précision les effets de n’importe lequel de ces facteurs, mais il est essentiel de les connaître, à des fins d’évaluation et de planification.

Nous avons déjà noté que les zones climatiques du Canada pourraient changer, provoquant dans de grandes régions des conditions plus favorables aux forêts de feuillus et aux peuplements mixtes qu’aux essences de la forêt boréale. Dans certaines régions, un climat plus chaud pourrait favoriser une croissance plus rapide des arbres. De même, une plus forte concentration de CO2 dans l’atmosphère pourrait avoir un « effet fertilisant » qui intensifierait l’activité photosynthétique et, partant, le rythme de croissance de la forêt. Cela n’est cependant pas certain : l’effet fertilisant a été démontré dans le cas des très jeunes arbres, mais on ne sait pas s’il agit de la même façon sur les peuplements mûrs.

Paradoxalement, un climat plus chaud pourrait amener certaines essences à devenir plus vulnérables aux rigueurs de l’hiver. En effet, si un réchauffement devait réduire les chutes de neige, le gel pourrait pénétrer plus profondément dans le sol et endommager ainsi les racines des arbres. Certains experts ont déjà partiellement attribué à ce phénomène le déclin et la mort de quelques essences de feuillus, notamment les érables de l’est du Canada(27).

En général, la productivité des forêts croît avec la chaleur et l’humidité du climat. Dans certaines régions du Canada où le réchauffement pourrait s’accompagner d’une baisse des précipitations, la productivité des forêts pourrait baisser malgré la hausse de la température. De plus, même si le réchauffement peut théoriquement déplacer la zone forestière vers le nord du pays, le développement effectif de forêts dans les régions septentrionales dépendrait de la nature du sol. Il est également possible que certaines terres des Prairies canadiennes, actuellement considérées comme marginales à des fins agricoles, puissent devenir plus productives. Des conflits d’utilisation pourraient également survenir si l’agriculture commençait à empiéter sur les terres forestières existantes.

Il faut également songer aux maladies et aux insectes de la forêt. Certains insectes nuisibles qu’on trouve couramment aux États-Unis ne s’attaquent pas aux forêts canadiennes parce qu’ils ne peuvent survivre aux rigueurs de notre climat. Un réchauffement modifierait sûrement la nature et le nombre des populations d’insectes, très probablement au détriment de nos ressources forestières. Ce serait le cas, par exemple, du puceron lanigère du sapin, insecte suceur qui s’attaque au sapin baumier, tachant les fibres du bois et pouvant même tuer l’arbre. Nos hivers froids limitent actuellement la propagation du puceron lanigère, mais un réchauffement pourrait modifier cette situation.

La tordeuse des bourgeons de l’épinette est un second exemple intéressant. Cet insecte extrêmement nuisible détruit le feuillage de plusieurs essences de conifères d’une grande valeur économique, comme le sapin baumier, l’épinette blanche, la pruche et le mélège laricin. La tordeuse cause de grands dégâts, détruisant d’importantes superficies de forêts de conifères à l’est des Rocheuses. En 1986, elle avait détruit ou était en voie de détruire 25 millions d’hectares de forêts(28). Les grandes attaques de la tordeuse suivent ordinairement des périodes de deux ou trois ans marquées par des printemps chauds et secs. De telles périodes pourraient bien se multiplier par suite du réchauffement de la planète.

Dans les forêts canadiennes, les maladies causent tous les ans des dégâts assez importants. Comme dans le cas des insectes, la propagation et la gravité de beaucoup des maladies qui atteignent le tronc et les racines des arbres sont limitées par le temps froid, ce qui pourrait changer en cas de réchauffement du climat. Si un climat moins rigoureux rend les écosystèmes forestiers progressivement moins bien adaptés à leur environnement, des régions de plus en plus vastes de la forêt seront soumises à des contraintes qui augmenteront la vulnérabilité des arbres aux organismes pathogènes et aux insectes nuisibles.

Contrairement aux prairies et aux terres agricoles, les écosystèmes forestiers évoluent très lentement. Or, comme nous l’avons noté plus haut, le réchauffement prévu de la planète se produire à un rythme sans précédent :

[…] on doit savoir que les forêts […] sont des entités écologiques ayant une certaine longévité. Beaucoup de nos forêts remontent à 500, 700 ou 1 000 ans. En fait, de nombreuses forêts de la Colombie-Britannique ont plus d’un millénaire. […] L’allure du changement [climatique], qui sera probablement 10 fois plus élevée que ce qu’elle a été au cours des 10 derniers millénaires, revêt une importance cruciale pour qui cherche à déterminer son incidence probable sur les forêts. Les forêts canadiennes n’ont jamais connu jusqu’ici un changement aussi rapide(29).

Nous avons dit plus haut que les essences de la forêt boréale canadienne ont évolué dans un climat froid. Un réchauffement pourrait donc se répercuter négativement sur leur croissance et leur reproduction et les défavoriser par rapport à des essences qui ont évolué dans un climat plus doux. Le changement du climat n’aurait peut-être pas d’effets majeurs sur les peuplements forestiers, mais il pourrait bien avoir des répercussions sérieuses sur le reboisement naturel et artificiel.

En agriculture, il est relativement facile d’améliorer les espèces destinées aux récoltes annuelles et de les adapter rapidement à de nouvelles conditions environnementales. Il n’en est cependant pas de même dans le cas des espèces forestières :

En foresterie, si nous utilisons les techniques traditionnelles d’obtention, il faut 15 ans avant qu’un arbre commence même à fleurir. Il nous faudra donc réellement beaucoup plus de temps qu’à nos collèges de l’agriculture pour obtenir la prochaine génération d’arbres qui s’adapteront à un climat plus chaud et plus sec(30).

Au Canada et ailleurs, des centaines de millions de dollars sont consacrés aux programmes de reboisement. Si ces programmes sont essentiels à la régénération des peuplements à diverses fins, leur planification pourrait comporter une déficience de base si le réchauffement de la planète était important au cours du prochain siècle. Dans les programmes actuels de reboisement, on a recours à des semis dont les caractéristiques génétiques ont été sélectionnées en fonction du lieu géographique et du régime climatique actuel. Comme Maini l’a noté, ces traits génétiques ne seront peut-être plus adaptés au climat dans un certain temps :

Ainsi, au Canada, les jeunes plants actuellement remis en terre, à grands frais, n’auront atteint que la moitié de leur âge d’ici l’année 2030, alors que le climat pourrait être radicalement différent. Il faut à tout prix élaborer des plans pour protéger cet investissement, en mettant au point des techniques d’abattage et d’exploitation d’arbres de plus petite taille par exemple(31).

Les incendies de forêt constituent une importante variable de la situation forestière globale, qui pourrait avoir d’énormes répercussions sur les peuplements forestiers et, partant, sur la composition future des forêts du Canada. L’accroissement spectaculaire du nombre d’incendies en 1989, particulièrement au Manitoba où d’immenses superficies de terres forestières ont été détruites, donne une idée de ce qui pourrait se produire dans la forêt boréale dans un régime climatique chaud et sec. Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, les incendies répartition actuelle des différentes essences de conifères reflète l’action sélective des incendies du passé.

Dans un climat plus chaud, les incendies pourraient avoir des effets très différents. Les conifères qui peuplent actuellement la zone boréale et dont dépend une grande partie de l’industrie forestière canadienne se sont adaptés à un climat sensiblement plus froid que celui qu’on prévoit dans cinquante à soixante-dix ans par suite du réchauffement de la planète. Dans un régime climatique différent, les incendies pourraient modifier considérablement la composition de la forêt boréale :

On peut [...] prédire que le feu jouera un rôle de premier plan dans la disparition des espèces végétales qui ne seront plus adaptées au changement des conditions climatiques, favorisant ainsi l’invasion des régions brûlées par de nouvelles combinaisons d’essences(32).

Il est donc possible que la nature de la forêt boréale change assez rapidement si les incendies de forêt se multiplient dans un climat plus chaud. De grands incendies assez fréquents pourraient libérer d’énormes quantités de CO2 et d’autres gaz et, par conséquent, selon l’importance du problème, réduire à néant les efforts déployés par ailleurs pour abaisser la teneur de l’atmosphère en CO2 par la limitation de l’utilisation des combustibles fossiles et l’adoption d’autres mesures d’atténuation.

CONCLUSION

Au Canada, l’importance économique et environnementale des forêts est indiscutable. Un réchauffement du climat pourrait avoir d’importantes répercussions sur la forêt boréale et sur la société canadienne, dont certaines seront sûrement négatives. Il est donc clair qu’il faut concevoir dès maintenant des stratégies et des programmes d’atténuation et d’adaptation, à mettre en oeuvre au fur et à mesure que les circonstances le dicteront.

Compte tenu de l’état actuel des connaissances dans le domaine des processus et des changements climatiques, il est impossible de prédire l’étendue ou le rythme des modifications d’origine anthropique anticipées. Le secteur forestier canadien devrait donc mettre au point des politiques et des stratégies qui sont adaptées au régime climatique actuel, mais qui permettraient aussi de réagir en cas de réchauffement du climat.

Des programmes appropriés de gestion des forêts, basés sur des faits scientifiques démontrés, seront essentiels, que le climat change ou reste pratiquement le même au cours du prochain siècle. La mise au point de tels programmes éclairés nécessitera d’importants engagements financiers à long terme de la part de l’industrie et des autorités provinciales et fédérales.

Le scénario de maintien du statu quoi est inacceptable dans le contexte de la lutte contre la pollution. Il est en effet très clair que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre et d’autres polluants doivent être sensiblement réduites si l’on veut prévenir ou tout au moins ralentir le rythme du réchauffement de la planète et, en même temps, réduire l’incidence sur l’environnement biophysique et sur la santé humaine. Des mesures efficaces d’atténuation sont par conséquent indispensables à l’échelle nationale et mondiale.

Le statu quo est également incompatible avec une bonne gestion des ressources forestières du Canada. Nous avons besoin de politiques de gestion davantage axées sur la durabilité des forêts. Les programmes issus de ces politiques doivent permettre d’optimiser le potentiel économique et environnemental des forêts canadiennes et, en même temps, tenir compte de la possibilité très réelle que le climat de l’actuelle forêt boréale change dans un proche avenir.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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(1) Environics Research Group Limited, 1989 National Survey of Canadian Public Opinion on Forestry Issues – Final Report, rapport établi pour le compte de Forêts Canada, Toronto, mai 1989, p. 9-10.

(2) « Boréal » qualifie les régions et les végétaux de la zone septentrionale de l’hémisphère nord.

(3) C.R. Stanton, « Forest », The Canadian Encyclopedia, 2e édition, vol. II, Hurtig Publishers, 1988, p. 810.

(4) J.S. Maini, « Effets du changement climatique prévu sur les forêts », Forêts Canada, Notes pour une présentation devant le Comité permanent de l’environnement, 21 novembre 1989a.

(5) Chambre des communes, Les forêts du Canada : le rôle du fédéral, Rapport du Sous-comité des forêts du Comité permanent des forêts et des pêches (sous la présidence de Bub Bird, député), novembre 1990, p. 3.

(6) J.S. Maini, 1989a.

(7) Ibid.

(8) J.S. Maini, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de l’environnement, fascicule no 22, 21 novembre 1989b, p. 22:11.

(9) Forêts Canada, Budget des dépenses 1991-1992, Partie III, Plan de dépenses, p. 31.

(10) J.S. Maini, 1989b, p. 22:16.

(11) John Forster, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de l’environnement, fascicule no 22, 21 novembre 1989, p. 22:17.

(12) Brian J. Stocks, « The Extent and Impact of Forest Fires in Northern Circumpolar Countries », Chapman Conference on Global Biomass Burning: Atmospheric, Climatic and Biospheric Implications, Williamsburg (Virginie), 19-23 mars 1990 (sous presse) (traduction). [À moins d’indication contraire, les données présentées ci-après sont tirées de ce document.]

(13) Brian J. Stocks, « Global Warming and the Forest Fire Business in Canada », Canada/United States Symposium on the Impacts of Climate Change and Variability on the Great Plains, Calgary (Alberta), 11-13 septembre 1990 (sous presse).

(14) Forêts Canada, communication personnelle, février 1991.

(15) W.Seiler et P.J. Crutzen, 1980, cités dans Christopher P. Da Silva, « Role of the Canadian Forest in the Co2 Issue », Centre climatologique canadien, Environnement Canada, 1er mai 1982, p. 18.

(16) Paul J. Crutzen et Meinrat O. Andreae, « Biomass Burning in the Tropics: Impact on Atmospheric Chemistry and Biogeochemical Cycle », Science, vol. 250, 21 décembre 1990, p. 1669-1678 (également cité dans B.J. Stocks, 1990b).

(17) Forêts Canada, communication personnelle, mars 1991.

(18) Bruce D. Lawson, « Where There is Fire, there’s Smoke: A Global View of B.C.’s Prescribed Burning », exposé présenté lors d’un atelier sur la gestion des fumées du Southern Interior Fire Management Committee, Cranbrook (Colombie-Britannique), 2 juin 1990, p. 2.

(19) Forêts Canada, « Does Slashburning Increase Atmospheric Carbon Dioxide Levels? », Focus on Forestry, juin 1990, p. 1 (traduction).

(20) Peter Fuglem, « Prescribed Burning in British Columbia », Service des forêts de la Colombie-Britannique, document inédit, 19 juillet 1990.

(21) E.E. Wheaton et T. Singh, « Exploration de l’incidence du changement climatique sur la forêt boréale et l’économie forestière de l’Ouest du Canada », Le Sommaire du changement climatique, SCC 8902, Environnement Canada, 1989, p. 2.

(22) Forêts Canada, Plan stratégique de recherche sur le changement du climat 1990-1995, Direction générale des sciences, 21 mars 1990, p. 1.

(23) J.S. Maini, 1989b, p. 22:8.

(24) Brian Rizzo, « Les écosystèmes du Canada en 2050 : un scénario », Rapports sur l’état de l’environnement, bulletin no 5, Environnement Canada, janvier 1990, p. 4 et 5.

(25) J.S. Maini, 1989b, p. 22:8.

(26) Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat, Rapport préliminaire du groupe de travail 2, Likely Impacts of Climate Change, chapitre 2, section 3.4.1, 1990 (traduction). (GISS: Goddard Institute for Space Studies; GFDL: Geophysics Fluid Dynamics (Laboratories.),

(27) J. Peter Hall, « How Will the Projected Changes in Canada’s Climate Affect the Sustainability of our Forests? », Forêts Canada, document inédit, 3 janvier 1991, p.9.

(28) Ibid., p. 14.

(29) J.S. Maini, 1989b, p. 22:7-8.

(30) Ibid., p. 22:10-11.

(31) J.S. Maini, « La forêt : baromètre de l’environnement et de l’économie », dans Constance Mungall et Digby J. McLaren (éd.), La Terre en péril : métamorphose d’une planète, Société Royale du Canada, Ottawa, Université d’Ottawa, 1990, p. 195.

(32) Ross W. Wein et Edward H. Hogg, « Climate Change Moisture Stresses on Northern Coniferious Forests », dans G. Wall et M. Sanderson (éd.), Climate Change: Implications for Water and Ecological Resources, document de travail no 11, département de géographie, Université de Waterloo (Ontario), 1990, p. 286 (traduction).


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