BP-264F

 

LE FINANCEMENT DES PROGRAMMES
ÉTABLIS AU TITRE DE LA SANTÉ

 

Rédaction :
Odette Madore
Division de l'économie
Août 1991


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

   A.  Le rôle du gouvernement dans le domaine de la santé

   B.  La nature et le fonctionnement des arrangements au titre du FPÉ

   C.  Évolution des droits versés aux provinces

   D.  Conséquences de la limitation du rythme de croissance des transferts
      1.   Les finances publiques provinciales
      2.  Les normes nationales
      3.   Le partage des responsabilités

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


 

LE FINANCEMENT DES PROGRAMMES
ÉTABLIS AU TITRE DE LA SANTÉ

 

INTRODUCTION

Le gouvernement fédéral aide les provinces à s’acquitter de leurs responsabilités en matière de soins de santé principalement au moyen de transferts relevant du Financement des programmes établis (FPÉ). Les droits versés aux provinces dans le cadre du FPÉ sont à la base des relations fiscales intergouvernementales. Ils représentent en outre des sommes considérables transférées en points d’impôt et au comptant.

En vérité, les transferts aux fins du FPÉ constituent la principale forme d’aide fédérale aux provinces. Pour l’exercice financier 1991-1992, il est prévu(1) que l’ensemble des transferts fédéraux aux provinces sera de plus de 36, 9 milliards de dollars, transferts monétaires et fiscaux compris. À lui seul, le programme du FPÉ totalisera près de 20 milliards de dollars, soit environ 55 pour 100 de l’ensemble des transferts versés aux administrations provinciales. De ce montant, 14 milliards de dollars seront alloués à la santé.

Bien que depuis son instauration en 1977, le FPÉ soit, pour l’essentiel, demeuré le même dans sa structure, son rythme de croissance a été modéré. En fait, la limitation du taux de croissance des transferts effectués aux termes du FPÉ, entreprise par le gouvernement fédéral au cours des dernières années, soulève des questions quant à la capacité de certaines provinces de maintenir un niveau satisfaisant des services de santé. Le ralentissement de la croissance de ces transferts fait également naître des craintes relativement au respect des normes nationales dans le domaine de la santé. Enfin, conjuguée à l’incertitude qui règne en matière constitutionnelle, la compression des transferts versés aux provinces soulève de nouveau l’épineuse question du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Ces diverses questions font l’objet du présent document. Dans la première partie, nous examinons les raisons qui justifient l’intervention gouvernementale dans le domaine de la santé. Dans la deuxième, nous décrivons la nature et le fonctionnement des arrangements au titre du FPÉ entre les gouvernements fédéral et provinciaux, tandis que dans la troisième, nous présentons les transferts versés aux gouvernements des provinces au titre de la santé et en analysons l’évolution au cours des quinze dernières années. Enfin, dans la dernière partie, nous abordons les problèmes que soulèvent les arrangements fiscaux et financiers à la base du FPÉ.

   A. Le rôle du gouvernement dans le domaine de la santé

En 1990(2), plus de 60 milliards de dollars, soit 9,2 pour 100 du produit intérieur brut, ont été consacrés à la santé. La part du financement des services de santé assumée par les administrations publiques (fédérale, provinciales et municipales) s’est élevée à près de 73 pour 100 de l’ensemble des dépenses relatives à la santé.

L’omniprésence du secteur public dans le domaine de la santé est généralement justifiée par des facteurs d’imperfection du marché(3). Dans un marché privé, l’allocation des ressources se fait par l’interaction de l’offre et de la demande; l’équilibre de prix s’ensuit assure une allocation optimale lorsque certaines conditions liées à l’offre et à la demande sont remplies. Or, il semble que ces conditions n’existent pas toujours dans le domaine de la santé.

D’une part, le marché peut difficilement assurer une production suffisante de services santé en raison même de la nature de ces services : ceux-ci comportent en effet des coûts et des avantages sociaux que le marché privé ne prend pas en compte. D’autre part, les consommateurs ne disposent pas d’une information parfaite parce qu’ils sont aux prises avec l’incertitude liée à la maladie et donc à leur état de santé futur. En outre, parce qu’ils ne peuvent souvent pas déterminer eux-mêmes le type de services dont ils ont besoin, les consommateurs doivent déléguer leur souveraineté dans le processus de décision à ceux qui offrent des services de santé.

Par ailleurs, on se sert également de critères d’inéquité sociale put justifier l’intervention gouvernementale. L’inéquité sociale la plus souvent mentionnée porte sur des questions d’ordre économique. Dans un marché privé, la personne qui éprouve des problèmes de santé et qui ne dispose que d’un faible revenu devrait faire face à une tarification identique à celle des gens à revenu élevé. Ainsi, les personnes défavorisées économiquement devraient assumer une part relativement plu élevée des coûts.

Pour ces raisons, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont privilégié l’assurance publique par rapport à l’assurance privée. Les imperfections économiques et sociales ne suffisent toutefois pas à expliquer entièrement l’intervention gouvernementale dans le domaine de la santé. Qu’il suffise, pour preuve, de rappeler que les États-Unis ont opté pour un systèmes de soins de santé reposant fortement sur le secteur privé. Les écarts relatifs à la participation du secteur public au Canada et aux États-Unis s’expliquent sans doute par la conception différente que les citoyens de ces pays se font du rôle de l’État. Selon certains auteurs(4), l’omniprésence du gouvernement semble expliquer pourquoi le système de santé canadien est supérieur au système américain.

   B. La nature et le fonctionnement des arrangements au titre du FPÉ

Le financement des services de santé comporte un partage des pouvoirs entre les paliers de gouvernement. Le régime public d’assurance-santé mis sur pied au cours des dernières décennies résulte de la répartition des pouvoirs en vertu de la Constitution. Aux termes de celle-ci, la prestation des services de santé est essentiellement de compétence provinciale. Le principal levier par lequel le gouvernement fédéral exerce son influence dans ce domaine vient du « pouvoir de dépenser » possibilité de verser des sommes à des personnes, à des organismes ou à d’autres paliers de gouvernement dans des domaines où il n’a pas nécessairement le pouvoir de légiférer.

Le pouvoir de dépenser a donc donné lieu à l’émergence de programmes fédéraux de transferts aux gouvernements provinciaux. La participation du gouvernement fédéral au financement des programmes de santé des gouvernements provinciaux s’est fortement accrue au course des années 60 avec la mise en place d’un régime national d’assurance publique couvrant les services hospitaliers, diagnostiques et médicaux. À cette époque, cette présence croissante répondait à la fois aux besoins accrus des provinces et à la volonté d’établir un régime équitable et uniforme au pays.

Les modalités de financement du gouvernement fédéral ont toutefois été modifiées au cours des décennies. Avant l’adoption du FPÉ, les paiements fédéraux étaient fondés sur des formules de partage des coûts à parts à peu près égales pour chacun des programmes d’assurance-hospitalisation et d’assurance-maladie. Les formules de calcul des droits provinciaux différaient cependant d’un programme à l’autre.

Les paiements versés aux provinces en vertu de la Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques se calculaient de la façon suivante : le droit d’une province, pour une année donnée, était égal à 25 pour 100 du coût national moyen, par habitant, des services assurés, plus 25 pour 100 du coût des services assurés par habitant pour la province, multiplié par la population de la province cette année-là. Dans l’ensemble, la contribution du gouvernement fédéral était égale à environ 50 pour 100 du coût des services assurés au Canada; toutefois, elle était plu élevée dans les provinces où le coût par habitant était inférieur à la moyenne nationale, et plus faible dans les autres provinces.

Au titre de la Loi sur les soins médicaux, le droit d’une province pour une année donnée était égal à 50 pour 100 du coût national moyen des services assurés par habitant, multiplié par la population de la province cette année-là. Par conséquent, toutes les provinces recevaient une subvention égale par habitant, même si les contributions fédérales aux provinces variaient en proportion des dépenses provinciales totales.

Depuis l’instauration du FPÉ, en 1977, les droits totaux versés aux provinces au titre de l’assurance-hospitalisation, de l’assurance-maladie et des services complémentaires de santé reposent sur la valeur moyenne des contributions fédérales par habitant versées au cours de l’exercice financier 1975-1976 et relevées cumulativement année après année selon un facteur de progression. Ce facteur de progression correspond à une moyenne mobile, composée sure trois ans, du produit national brut par habitant. L’utilisation d’une moyenne mobile permet d’atténuer les fluctuations trop brusques qui pourraient survenir dans l’évolution du PNB; le facteur de progression ne retient donc que l’évolution moyenne.

Les arrangements entre les gouvernements fédéral et provinciaux au titre du FPÉ comprennent une partie financière et une partie fiscale. Les transferts au comptant sont des paiements périodiques versés par chèque aux provinces, tandis que par le biais d’un transfert en points d’impôt, le gouvernement fédéral cède aux provinces un certain espace fiscal. Pour ce faire, il abaisse ses taux d’imposition et les provinces augmentent les leurs d’une manière équivalente. Le fardeau fiscal du contribuable demeure inchangé même s’il paie plus d’impôt provincial et moins d’impôt fédéral. La valeur des recettes auxquelles le gouvernement fédéral renonce sert à diminuer le transfert au comptant qu’il devrait autrement verser à la province. Le transfert fiscal consiste en 13,5 points d’impôt sur le revenu des particuliers et en un point d’impôt sur le revenu des sociétés. Dans le cadre des accords de non participation, le Québec reçoit un abattement spécial de 8,5 points d’impôt sur le revenu des particuliers. Par rapport aux autres provinces, le Québec perçoit donc une portion relativement plus grande de sa contribution fédérale sous forme de transferts en points d’impôt, et une portion moindre au comptant. Au total cependant, les droits par habitant du Québec aux fins du FPÉ sont exactement les mêmes que ceux des autres provinces.

Les modalités du financement établies par le FPÉ présentent certaines caractéristiques intéressantes :

a)  La formule utilisée pour calculer les droits versés aux provinces repose sur l’accroissement de la richesse collective. Lorsque la capacité d’une économie à produire des biens et des services est grande, les gouvernements peuvent facilement tirer des revenus des produits et services commercialisables et financer des programmes de services de santé.

b) La performance de l’économie canadienne affecte le montant des contributions que le gouvernement fédéral peur verser aux provinces de deux façons : d’une part, la croissance économique entre dans le calcul du facteur de progression et, d’autre part, elle influe directement sure les recettes fédérales tirées de l’impôt sur les sociétés. Ainsi, lorsqu’il y a ralentissement économique, le facteur de progression servant à ajuster le montant total des transferts est moindre. En outre, une croissance économique faible réduit les revenus que le gouvernement fédéral tire des impôts; il en résulte un montant plus faible des transferts totaux de points d’impôts.

c) La contribution fédérale dépend non seulement de la croissance économique, mais aussi des modifications éventuelles de la législation sur les arrangements fiscaux et des changements aux lois fédérales sur les impôts. Par exemple, une modification du régime d’imposition sur le revenu qui permettrait au gouvernement fédéral d’augmenter ses revenus autonomes aurait pour conséquence de réduire ses dépenses de transferts aux provinces puisque cette hausse d’impôt se traduirait par une augmentation de la valeur d’un point d’impôt. Tout élargissement de l’assiette fédérale d’imposition du revenu ou toute augmentation des taux d’imposition auraient un effet similaire.

d) Les droits versés au titre du FPÉ comportent un élément de redistribution. En effet, ces derniers sont égalisés au niveau d’une norme représentative, dans le cadre de la formule générale de péréquation. Les provinces dont le potentiel fiscal (c.-à-d. la capacité de prélever des recettes) est inférieur à cette norme sont celles qui bénéficient de la péréquation. Les provinces qui constituent la norme sont le Québec, l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique. Comme le mentionne le Conseil national du bien-être social(5), les droits versés par le gouvernement fédéral dans le cadre du FPÉ « permettent de compenser les disparités régionales et les difficultés qu’éprouvent les provinces les moins nanties à offrir une gamme étendue de programmes et des services à leurs résidents ».

e) Contrairement à la formule de partage des coûts d’avant 1977, le FPÉ est un mécanisme de financement global. Les provinces peuvent utiliser les fonds du FPÉ en fonction de leurs propres priorités.

 

Parce qu’elle tient compte de la croissance économique et qu’elle peut être modifiée par suite de décisions unilatérales du gouvernement fédéral, la formule retenue pour évaluer les contributions introduit un élément d’incertitude tant au niveau de l’établissement du montant total du transfert que de son rythme de croissance. Par ailleurs, le FPÉ est un mécanisme de financement équitable : les transferts sont versés sur une base égale par habitant, de sorte que l’aide reçue par chaque province dépend de la taille et de la croissance de sa population.

Pour recevoir la totalité des droits versés au titre de la santé, les provinces sont toutefois tenues de se conformer à certaines conditions. Ces conditions sont les suivantes(6) :

universalité :                        toutes les personnes assurées doivent avoir droit aux services.

caractère complet :              tous les services assurés nécessaires doivent être couverts.

accessibilité :                        les services doivent être offerts à des conditions uniformes et aucune
                                               mesure ne doit faire obstacle à un accès convenable à ces services.

transférabilité :                     les particuliers doivent rester assurés lorsqu’ils s’absentent
                                               temporairement de leur province de résidence ou du Canada.

administration publique :      il faut que les régimes de santé soient administrés par une autorité
                                               publique sans but lucratif.

Ces conditions sont considérées comme les « normes nationales » et sont stipulées dans la Loi canadienne sur la santé. Cette loi prévoit également des pénalités financières pour les provinces qui permettent la surfacturation ou exigent des frais modérateurs. Les pénalités prévues à l’égard des provinces qui contreviennent aux dispositions de la loi se limitent aux transferts au comptant. L’adoption du projet de loi C-20 pourrait venir renforcer les pénalités imposées aux provinces contrevenantes.

   C. Évolution des droits versés aux provinces

Dans les documents, on mentionne souvent que l’examen des droits versés aux provinces au titre du FPÉ dans le secteur de la santé ne donne qu’une indication très générale de l’appui financier du gouvernement fédéral. Comme le FPÉ est un programme de financement global, la répartition des paiements entre la santé et l’enseignement postsecondaire (67,9 pour 100 et 32,1 pour 100 respectivement) est très arbitraire. En outre, cette répartition ne dicte pas nécessairement la ventilation de ces transferts entre les domaines en question au niveau provincial, puisque les provinces peuvent utiliser les droits perçus dans le cadre du FPÉ en fonction de leurs propres priorités. Par ailleurs, l’effort financier du gouvernement fédéral dans le secteur de la santé ne se limite pas aux ressources versées dans le cadre du FPÉ. Par exemple, certaines dépenses effectuées en vertu du Régime d’assistance publique du Canada sont dirigées vers le secteur de la santé.

En dépit des points qui viennent d’être soulevés, l’évolution des droits versés au titre de la santé dans le cadre du FPÉ mérite une attention particulière, car elle n’est pas dépourvue d’aspects politiques.

Les contributions fédérales qui ont servi au calcul des droits versés au cours de la première année de mise en œuvre du FPÉ sont présentées au tableau 1.

Comme on peut le voir, les contributions versées par le gouvernement fédéral dans le domaine des services de santé assurés au cours de la dernière année de l’application des anciens accords montraient des variations marquées d’une provinces à l’autre : la contribution fédérale par habitant variait de 126 $ par habitant à l’Île-du-Prince-Édouard à 148 $ au Québec. Le tableau 1 montre également que quelques-unes des provinces les plus riches recevaient des transferts par habitant supérieurs à ceux d’autres provinces en vertu des anciens accords. Au cours de la première année d’application du FPÉ, on a relevé la contribution fédérale moyenne par habitant de 144 $ en fonction du facteur de progression, qui était évalué à 14,85 pour 100; il en est résulté le versement d’une somme d’environ 166 $ par habitant dans toutes les provinces. Avec l’entrée en vigueur du FPÉ, toutes les provinces ont donc reçu le même montant (par habitant) au titre de la santé. En somme, les provinces qui auparavant recevaient des subventions relativement moins élevées dans le cadre des anciens programmes à frais partagés, en l’occurrence les provinces à faible revenu, ont touché des contributions beaucoup plus importantes par suite de l’entrée en vigueur du FPÉ. Cela s’explique par le fait que les dispositions du FPÉ comportent un certain élément de péréquation. Par ailleurs, à partir de 1977-1998, un supplément de 20 $ par habitant a été offert pour faciliter le financement des services complémentaires de santé. Depuis, les contributions fédérales aux provinces au cours de l’année de base devaient être cumulativement relevées année après année en fonction du taux de croissance du PNB et du taux de croissance de la population, c.-à-d. en fonction d’un réajustement du facteur de progression.

 

 

TABLEAU 1

CONTRIBUTIONS FÉDÉRALES À L’ASSURANCE–HOSPITALISATION ET À L’ASSURANCE MALADIE POUR L’ANNÉE DE BASE 1975-1976

PROVINCE

Millions de dollars

$ Par habitant

% des coûts

Terre-Neuve

Île-du-Prince-Édouard

Nouvelle-Écosse

Nouveau-Brunswick

Québec

Ontario

Manitoba

Saskatchewan

Alberta

Colombie-Britannique

76.4

14.8

111.6

92.8

914.5

1, 181.7

148.8

127.6

257.3

341.4

139.14

126.39

136.18

139.50

148.00

144.60

146.80

140.62

144.69

140.31

56.3

62.2

54.2

57.1

47.7

50.2

55.2

54.1

50.4

48.5

TOTAL

3, 256.9

144.25

50.2

Source: Allan J. MacEachen, Les relations fédérales-provinciales dans les années 80, avril 1981, p. 76-77.

Toutefois, depuis 1986, les transferts fédéraux au titre du FPÉ ont fait l’objet de réduire le déficit fédéral. Tout d’abord, en 1986, le Parlement fédéral a adopté le projet de loi C-96, qui a comprimé la croissance des transferts au titre du FPÉ. Les paiements continuent d’être liés à la croissance économique et démographique; cependant, leur taux de croissance annuel par habitant est réduit de 2 pour 100 par rapport à celui que prévoyait l’ancienne formule. Ensuite, le projet de loi C-69, adopté en 1991, vient geler les transferts du FPÉ, par habitant, à leur niveau de 1989-1990 pendant deux ans. Enfin, le projet de loi C-20, reçu en première lecture le 31 mai 1991, prolonge de trois ans le gel décrété au chapitre des transferts aux provinces. Les droits versés aux provinces continueront donc d’augmenter au même rythme que la population. Le projet de loi C-20 précise également qu’à partir de 1995-1996, la croissance des droits du FPÉ sera limitée au taux de croissance du PNB par habitant, diminué de 3 pour 100.

Le graphique 1 retrace l’évolution, en dollars courants et contants, de la contribution totale du gouvernement fédérale au titre du FPÉ dans le secteur de la santé. Lorsque nous examinons l’évolution des transferts versés aux provinces sur une période d’environ vingt ans, nous constatons que le rythme de croissance, en termes réels, comporte trois phases. D’abord, au cours de la décennie 1977-1987, ces transferts ont constamment augmenté. Ensuite, la période 1987-1990 s’est caractérisée par une quasi-stabilité des droits versés. Enfin, à partir de 1990-1991, on s’attend à ce que les transferts fédéraux alloués au chapitre de la santé soient en décroissance réelle.

En somme, en raison de l’évolution de son déficit et de sa volonté de réduire ses dépenses, graduellement le gouvernement fédéral est amené à plafonner, voire à diminuer, sa contribution dans le domaine de la santé. Comme les répercussions à long terme des restrictions fédérales se traduisent par de fortes baisses de recettes pour les gouvernements provinciaux(7), certaines parlent du « désengagement » du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé.

Le graphique 2 fait clairement ressortir l’évolution différente des transferts au comptant et des transferts en points d’impôt. Comme le taux global de croissance du FPÉ a été ralenti en raison des restrictions budgétaires du gouvernement fédéral et comme il y a une croissance relativement rapide de la valeur du transfert fiscal, la partie monétaire du transfert total est en diminution.

La limitation du taux de croissance des transferts du FPÉ provoquera également, à moyen terme, la disparition des versements conditionnels au comptant. Cela risque de retirer au gouvernement fédéral les moyens nécessaires pour assurer le maintien des normes de services énoncées dans la Loi canadienne sur la santé.

   D. Conséquences de la limitation du rythme de croissance des transferts

Les nombreuses modifications apportées depuis 1986 par le gouvernement fédéral ont considérablement affecté le rythme de croissance des transferts aux provinces et accentué le déséquilibre des finances publiques dans certaines provinces. Qui plus est, ces modifications risquent de compromettre la nature même des arrangements liés au FPÉ.

 

Graphique 1
Transferts au titre du FPÉ - Santé
(en milliards de dollars)

Source :  Ministère des Finances

 

Graphique 2
Croissance annuelle des transferts
au titre du FPÉ - Santé

Source :  Ministère des Finances

 

      1. Les finances publiques provinciales

Le but visé par la limitation du rythme de croissance des transferts du FPÉ est la réduction du déficit fédéral qui crée, à l’heure actuelle, de nombreuses distorsions dans l’économie canadienne. Une réduction sensible de la taille du déficit budgétaire permettrait de stabiliser la dette par rapport au PIB. En ramenant l’augmentation de la dette en deçà de la croissance économique, il serait possible de maintenir la part de la sensibilité des finances publiques à la conjoncture économique.

Les provinces n’approuvent pas l’objectif du gouvernement fédéral d’assainir ses finances publiques par une réduction des transferts. D’une part, les gouvernements des provinces estiment les réductions fédérales inappropriées, car ils soutiennent que les transferts aux provinces ne sont pas la cause du déficit. D’autre par, on mentionne que le rétablissement de l’équilibre financier du gouvernement fédéral par une diminution des transferts aux provinces entraîne un transfert de coûts d’un palier de gouvernement à l’autre, ce qui oblige les provinces à réévaluer leurs priorités afin de compenser la diminution des recettes provenant du gouvernement central. Afin de maintenir leur niveau des dépenses dans le domaine de la santé, les provinces doivent choisir entre une augmentation de leur déficit respectif ou un accroissement de leurs revenus par le biais d’une augmentation de l’impôt ou encore d’une prime que devront verser les utilisateurs des services de santé. Les provinces pourraient par ailleurs décider de réduire le niveau des services de santé. Ultimement, c’est le contribuable ou le bénéficiaire des services qui doit supporter le fardeau du rajustement.

Dans ce débat relatif aux coupures des transferts versés au titre du FPÉ, deux points méritent une attention particulière :

    1. D’une part, les transferts au titre du FPÉ comprennent un élément de péréquation ayant pour but de permettre à chaque province de fournir à ses citoyens un niveau raisonnablement comparable de services publics de santé sans devoir recourir à une fiscalité trop lourde. Dans un souci d’équité interprovinciale, le gouvernement fédéral a permis d’atténuer, avec l’instauration du FPÉ, les variations marquées d’une province à l’autre dans ses contributions par habitant. Avec la compression des transferts fédéraux, les provinces moins nanties éprouvent de plus en plus de difficultés à offrir une gamme étendue de services de santé à leurs résidents. Que plus est, les gouvernements de ces provinces ne sont pas en mesure de payer une proportion croissante des soins de santé à même leurs propres sources de revenus.

    2. D’autre part, les restrictions imposées aux transferts du FPÉ ont alimenté les discussions sur le sous-financement du système de soins de santé. La plupart des experts soutiennent cependant que les efforts publics pour le financement du système de santé sont suffisants. Ils affirment plutôt que les sommes totales actuellement dévolues à la santé ne sont pas utilisées de façon optimale(8).

Dans cette perspective, le débat sur le financement ne devrait pas porter sur le respect du budget alloué mais sur les résultats en matière de santé. Si l’on reconnaît qu’une part considérable est consacrée au système de santé parmi l’ensemble des dépenses publiques, il faut peut-être se demander quelles sont les possibilités d’utiliser les ressources de façon plus efficiente et de quelle manière on peut améliorer l’efficacité dans la prestation des services.

      2. Les normes nationales

Les droits versés aux provinces au titre de la santé en vertu du FPÉ sont régis par la Loi canadienne sur la santé, qui prévoit des pénalités financières pour les provinces qui ne respectent pas les normes nationales ou qui autorisent la surfacturation ou l’imposition de frais modérateurs. À l’heure actuelle, le gouverneur en conseil peur retenir ou réduire les sommes dues au titre du FPÉ à une province se sont limitées, du moins jusqu’à aujourd’hui, au montant total des transferts versés au comptant.

Or, une conséquence importante de la limitation du rythme de croissance des transferts est la disparition, à moyen terme, des versements au comptant des transferts du FPÉ. Sans transferts au comptant, le gouvernement fédéral ne dispose d’aucun moyen pour faire respecter les conditions et critères énoncés dans la Loi canadienne sur la santé.

Il est donc possible d’affirmer que la raison fondamentale de la répartition des transferts entre une partie au comptant et une partie en points d’impôt, lors de l’instauration du FPÉ, était de fournir au gouvernement fédéral une somme susceptible d’être retenue. Celui-ci disposait ainsi d’un pouvoir important non seulement en ce qui a trait au maintien des normes de services de santé, mais également pour ce qui est de la nature du réseau national d’assurance-santé.

Pour préserver ce pouvoir, le gouvernement fédéral a déposé en première lecture au Parlement, le 31 mai 1991, le projet de loi C-20 dont l’un des articles prévoit que d’autres paiements fédéraux faits aux provinces pourraient être retenus si celles-ci contreviennent aux dispositions de la Loi canadienne sur la santé.

Cette mesure réjouit ceux qui craignent que la limitation des paiements au comptant ne vienne amplifier les écarts provinciaux quant au niveau, à la qualité et à l’accessibilité des services(9). Au-delà des craintes que suscite un « démantèlement » du régime national d’assurance-santé, d’autres se demandent si les normes nationales sont encore justifiées(10).

Lorsque les régimes publics d’assurance-santé ont été mis sur pied au début des années 60, les normes nationales étaient sans aucun doute très importantes. En fait, ces normes justifiaient la présence du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé, car elles permettaient assurément d’offrir à tous les Canadiens un niveau acceptable et comparable de services de santé.

Plusieurs estiment que ces normes nationales sont aujourd’hui atteintes dans une large mesure(11). Ils soutiennent que si ces normes assurent une certaine uniformité des programmes de santé entre les provinces, elles accentuent cependant la rigidité du cadre à l’intérieur duquel les gouvernements provinciaux tentent d’améliorer leur réseau de soins de santé. En ce sens, selon eux, elles encouragent peu l’efficacité en matière de soins de santé et l’efficience dans l’utilisation des ressources. Dans cette perspective, les provinces sont peut-être mieux placées que le gouvernement fédéral pour déterminer la nature des programmes de santé qui conviennent le mieux aux besoins de la population.

      3. Le partage des responsabilités

Certains analystes soulignent le caractère paradoxal de la coexistence des accords du FPÉ et de la Loi canadienne sur la santé. Alors que l’objectif fondamental du FPÉ était d’accorder aux provinces une plus grande latitude dans leur domaine de compétence, la Loi canadienne sur la santé limite en quelque sorte le plein exercice des responsabilités des administrations provinciales en matière de santé. En somme, le problème du partage des responsabilités entre les deux ordres de gouvernement persiste toujours.

Il faudrait peut-être envisager un nouveau mode de répartition des ressources financières et fiscales qui soit plus cohérent avec la structure du système politique et économique du Canada. Par exemple, une séparation marquée des sources de financement fédérales et provinciales consisterait à remplacer partiellement ou même complètement les paiements au comptant versés aux fins du FPÉ par des transferts de points d’impôt, avec quelques modifications connexes au programme de péréquation. Le Conseil économique du Canada a déjà étudié une telle option. Il a indiqué, à cet égard, qu’une telle séparation répondrait mieux à la division des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement. D’après lui, cette option se traduirait par une séparation plus claire des responsabilités et réduirait probablement les risques de friction entre le gouvernement fédéral et les provinces(12).

Le Groupe des 22 a fait une proposition similaire(13). Afin que les Canadiens puissent continuer de bénéficier d’un accès facile aux services de santé, le Groupe a également proposé que les provinces consentent à enchâsser dans la Constitution certaines garanties de services.

Dans le contexte actuel de la limitation des transferts du FPÉ, ces options méritent peut-être une plus grande attention qu’elles n’en ont reçu jusqu’ici. D’une part, elles satisferaient les provinces qui souhaitent une réévaluation de la répartition constitutionnelle des pouvoirs; d’autre part, le réaménagement de la péréquation associé à ces options garantirait le maintien d’un niveau adéquat de services de santé dans les provinces moins nanties.

Le retrait complet du gouvernement fédéral du financement des transferts au titre de la santé par la concession aux provinces de l’espace fiscal équivalent à sa contribution (du moins ce qui en reste) rendrait aussi les provinces moins dépendantes en ce qui a trait à une partie du financement de leur programme d’assurance-santé. En outre, ce retrait éliminerait l’élément d’incertitude lié à la détermination du montant total du transfert et de son rythme de croissance.

Pour que cette concession se réalise, il faudrait toutefois que le gouvernement fédéral et les provinces s’entendent sur l’interprétation de la valeur du transfert fiscal(14). Les provinces ont toujours considéré les points d’impôt jusqu’ici concédés par le gouvernement fédéral comme faisant partie intégrante de leur structure d’imposition. De son côté, le gouvernement fédéral perçoit le transfert de point d’impôt comme une somme qui serait autrement versée au comptant et qui vient conséquemment réduire ses recettes.

En somme, des tractations difficiles sont à prévoir lorsque les deux paliers de gouvernement voudront établir leurs priorités en matière de financement des soins de santé.

CONCLUSION

Au fil des ans, les gouvernements sont devenus omniprésents dans le domaine de la santé. L’intervention gouvernementale visait essentiellement à corriger certaines imperfections du marché ou à rectifier certaines inéquités sociales. Les différents paliers de gouvernement se sont partagés les responsabilités dans ce domaine. Même si la santé est de compétence provinciale, le gouvernement fédéral a participé financièrement à l’établissement d’un réseau national d’assurance – santé. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral constitue encore une source de financement relativement importante des systèmes de santé provinciaux.

La contribution fédérale s’est toutefois amoindrie au cours des dernières décennies. Alors que certaines provinces sont en faveur d’une plus grande latitude au chapitre de la santé, d’autres craignent une détérioration de leur réseau de prestation de soins

Parce que les responsabilités sont partagées entre deux ordres de gouvernement, le mode de répartition des ressources fiscales et financières constitue un élément fondamental du système politique et économique du Canada. À ce titre, toute modification apportée aux modalités de financement des soins de santé devrait résulter de négociations qui tiennent compte du principe de la responsabilité financière et fiscale et qui reposent sur des critères d’équité interprovinciale. Dans cette perspective, des tractations difficiles sont à prévoir lorsque les deux paliers de gouvernement voudront établir leurs priorités aux fins du FPÉ au titre de la santé.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Bowsher, Charles A., Contrôleur général des États-Unis. Canadian Health Insurance: Lessons for the United States. Présentation devant le Comité de la Chambre des représentants chargé gouvernementales, 4 juin 1991, p. 9.

Comité permanent de la santé et du bien-être social, des affaires sociales, du troisième âge et de la condition féminine. Le régime de soins de santé au Canada et son financement : Des choix difficiles. Rapport déposé à la Chambre des communes en juin 1991, p. 132.

Conklin, David W., « Why Canada’s System is Better and Cheaper ». Options politiques, vol. 11, n° 4, mai 1990, p. 15-18.

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Wilson, Michael H., ministre des Finances, Le budget. 26 février 1991, p. 181.


(1) Michael H. Wilson, ministre des Finances, ministre des Finances, Le budget, 26 février 1991, p. 20, 68 et 78.

(2) Comité permanent de la santé et du bien-être social, des affaires sociales, du troisième âge et de la condition féminine, Le régime des soins de santé au Canada et son financement : Des choix difficiles, Ottawa, juin 1991, p. 17.

(3) Pour une analyse détaillée du rôle du gouvernement dans le domaine de la santé, le lecteur est prié de se reporter aux ouvrages de Evans (1984) et Rheault (1990) qui figurent dans la bibliographie sélective.

(4) David W. Conklin, "Why Canada’s System is Better and Cheaper", Options politiques, vol. 11, n° 4, mai 1990, p. 15-18 et Charles A. Bousher, Canadian Health Insurance : Lessons for the United States, 4 juin 1991.

(5) Conseil national du bien-être social, Les dangers qui guettent le financement de la santé er de l’enseignement supérieur, printemps 1991, p. 5.

(6) Santé et Bien-être social Canada, Loi canadienne sur la santé : Rapport annuel 1989-1990, p. 9-11.

(7) Pour une évaluation quantitative des effets de la limitation de la croissance des transferts, le lecteur est prié de consulter les documents publiés par le Conseil national du bien-être social (printemps 1991) ou The Health Action Lobby (juin 1991) qui figurent dans la bibliographie sélective.

(8) Voir par exemple, Robert Evans, « Health Care : Is the System sick? », Canada at Risk? Canadian Public Policy in the 1990s, Doern & Purchase (éd.), Institut C.D. Howe, 1991, p. 225-244.

(9) C’est notamment la position du Conseil national du bien-être social (printemps 1991).

(10) Voir par exemple Mel Couvelier, Resolving Canada’s Dangerous Fiscal Situation Through Renewed Federation and Fiscal Discipline, 10 septembre 1990, p. 3 et 4.

(11) En fait, avant même l’adoption de la Loi canadienne sur la santé, certains auteurs exprimaient cette opinion. Voir par exemple Thomas J. Courchene, Refinancing the Canadian Federation : A Survey of the 1977 Fiscal Arangements Act, Institut C.D. Howe, 1979, p. 20-23.

(12) Conseil économique du Canada, Le financement de la Confédération : D’aujourd’hui à demain, 1982, p. 139.

(13) Groupe des 22, Quelques suggestions pratiques pour le Canada, juin 1991, p. 17.

(14) Pour un exposé complet sur les différentes interprétation du transfert fiscal, le lecteur est prié de consulter le document du Groupe de travail parlementaire sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, Le fédéralisme fiscal au Canada, Chambre des communes, août 1991, p. 77-80.