BP-268F
LE DROIT À LA
PROPRIÉTÉ
Rédaction : TABLE
DES MATIÈRES PROCÉDURE DE CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT À LA PROPRIÉTÉ DÉFINITION DU TERME « PROPRIÉTÉ » ARGUMENTS EN FAVEUR DE LENCHÂSSEMENT ARGUMENTS CONTRE LENCHÂSSEMENT LE DROIT À LA PROPRIÉTÉ ET LA CONSTITUTION Dans sa série de propositions constitutionnelles rendues publiques en septembre 1991, le gouvernement fédéral a proposé quon modifie la Charte canadienne des droits et libertés de manière à y garantir le droit à la propriété. Le lecteur trouvera, dans le présent document, des renseignements généraux touchant à la constitutionnalisation de ce droit ainsi que des éléments dinformation « explicitant » pourquoi il na pas été enchâssé plus tôt dans la Charte. Nous nous penchons également sur la signification de lexpression « droit à la propriété » et sur linterprétation du terme « propriété » aux fins de la disposition pertinente si on lincluait dans la Charte. Enfin, nous explorons les arguments susceptibles dêtre invoqués pour ou contre le projet denchâssement. Il semblerait que, à partir de 1968, la constitutionnalisation du droit à la propriété ait représenté un objectif pour lancien gouvernement libéral. Cette année-là, Pierre Trudeau, alors ministre de la Justice, a proposé ladoption dune charte qui assurerait la protection constitutionnelle de certains droits, dont celui de la « jouissance de la propriété ». Devenu premier ministre, M. Trudeau proposa de nouveau, en 1969, lenchâssement dune charte des droits qui aurait garanti, à un particulier, le droit dutilisation et de jouissance de biens et lassurance quon pourrait len priver que par lapplication de la loi. Après léchec de la Conférence de Victoria, en 1971, la réforme constitutionnelle a cessé doccuper le devant de la scène jusque vers la fin de la décennie. En 1978, le projet de loi sur la réforme constitutionnelle (C-60), garantissait :
Le projet de loi était destiné à susciter le débat et la négociation constitutionnelles; le gouvernement de lépoque espérait quune charte contenant ladite garantie du droit à la propriété puisse être ratifiée par les provinces et intégrée à la Constitution. Certaines provinces le Manitoba et lÎle-du-Prince-Édouard au premier chef sopposaient carrément à une telle proposition. Elles craignaient quune pareille garantie était de beaucoup moins contraignante que les autres propositions étant donné quelle se bornait à préciser que la dépossession devait être « conforme à la loi », formulation qui respectait la compétence provinciale en matière de « propriété et de droits civils ». Le gouvernement fédéral a présenté un nouveau projet de garantie du droit à la propriété dans le cadre de la Conférence des premiers ministres, en 1980. Dans le but dobvier aux craintes des provinces, la Charte des droits proposée comportait larticle qui suit :
Un certain nombre de provinces ont continué à sopposer avec acharnement à cette garantie. Certaines provinces sopposaient plus au concept même dune Charte des droits qui au contenu de cette dernière, sauf ce qui avait trait à la garantie du droit à la propriété. Cest la raison pour laquelle cette garantie ne figurait pas dans la Charte contenue dans la résolution soumise en octobre 1980. Vu labsence dun consensus à ce sujet, le gouvernement fédéral était prêt à reporter la question à la seconde « manche » de la réforme constitutionnelle ou il pourrait lintégrer à la nouvelle constitution en vertu de la formule de modification. Pendant les débats du Comité spécial sur la Constitution du Canada, en 1981, le Parti progressiste conservateur a proposé de modifier larticle 7 de la Charte, qui traite de la garantie des droits fondamentaux reconnus par la loi, en y ajoutant les mots soulignés :
Par lentremise de Robert Kaplan, alors ministre de la justice par intérim, le gouvernement a dabord manifesté son intention dappuyer cette modification. Mais linsistance de certaines provinces en particulier lÎle-du-Pince-Édouard ainsi que le refus du Nouveau Parti démocratique de consentir à une protection du droit à la propriété à moins que le gouvernement nenvisage également lenchâssement dun certain nombre dautres droits économiques et sociaux semblent avoir convaincu Jean Chrétien, qui était alors ministre de la Justice, de sen tenir au plan original; la modification soumise par les Conservateurs fut donc rejetée. Après ladoption de la Charte canadienne des droits et libertés, en avril 1982, on oublia la question pendant un an, du moins au niveau fédéral. En septembre 1982, lassemblée législative de la Colombie-Britannique adopta, à lunanimité, une proposition de modification de larticle 7 de la Charte, qui était semblable à celle quavait suggérée le Parti progressiste conservateur fédéral. De plus, en mars 1983, lors de la conférence des premiers ministres consacrée aux droits des autochtones, certains premiers ministres se sont montrés disposés à soutenir une modification relative au droit à la propriété. Cette attitude amena le premier ministre Trudeau à déclarer à la Chambre des communes, le 21 avril 1983, que si les partis dopposition acceptaient de limiter les débats à une journée, le gouvernement présenterait une résolution visant lenchâssement, dans larticle 7, du droit à la propriété. Cette résolution eût suffi à modifier la Charte si elle avait bénéficié de lappui de sept provinces regroupant au moins 50 p. 100 de la population du Canada. Le Parti conservateur soutint la proposition. Le Nouveau Parti démocratique voulait cependant quon fouille davantage la question. Il ne sopposait pas, en soi, au principe dune garantie du droit à la propriété, mais il souhaitait que lon renvoie la question à un comité parlementaire qui ferait rapport après avoir entendu des représentants intéressés du grand public et des provinces. Les porte-parole du NPD sinquiétaient, entre autres, des questions suivantes : lincidence dune telle garantie sur les lois provinciales régissant la possession de terres par des non-résidents; la capacité des gouvernements de légiférer et de contrôler des types particuliers de « biens », comme linformation contenue dans une banque de données; les lois prévoyant une aide hypothécaire; les lois ayant trait à la conservation des terres à vocation agricole et récréative; les lois à caractère commercial, comme les lois fixant le salaire minimum; et les lois ayant trait au partage des biens matrimoniaux. Alors que se poursuivaient les négociations pour tenter de tenir compte des préoccupations du NPD, le Parti conservateur a présenté, sous forme dune motion de censure, une résolution comprenant une modification à larticle 7 de la Charte. Ce geste mit un terme au processus. Le gouvernement nallait pas, bien entendu, voter en faveur dune motion de censure. (Leût-il fait, dailleurs, que ladoption de la motion aurait eu pour effet la dissolution du Parlement, doù impossibilité, pour le Sénat, dêtre saisi de la résolution.) La modification proposée fut donc rejetée. En outre, le règlement de la Chambre interdisant une deuxième étude, au cours dune même session, dune question rejetée, une telle proposition ne pouvait faire lobjet dune nouvelle analyse avant la session parlementaire suivante. Et, de fait, la motion conservatrice a empêché quon ne pousse plus avant lexamen dune modification relative au droit à la propriété au cours de la première session de la trente-deuxième législature. Sil y avait eu consentement unanime de la Chambre, la motion conservatrice aurait pu être retirée; mais le NPD sy refusa. Le 2 mai 1983, la motion fut rejetée. Lors de la deuxième session de la trente-deuxième législature, qui souvrit en décembre 1983 pour prendre fin en juin 1984, il ne fut pas question dune modification touchant au droit à la propriété. Après 1983, il ny eut, à cet égard, quun seul fait marquant : le 15 octobre 1987, le député John Reimer présenta, à la Chambre des communes, une motion de modification de la Loi constitutionnelle de 1982 de manière à inclure le droit à la propriété dans la Charte canadienne des droits et libertés. De projet de modification quelle était, la motion de M. Reimer sest transformée en appui de principe à une modification ayant pour objet le droit à la propriété. La motion, modifiée, fut adoptée par 108 voix contre 16 et devint, dès lors, une proposition de la Chambre :
PROCÉDURE DE CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT À LA PROPRIÉTÉ La Charte faisant partie de la Constitution, elle ne peut être abrogée ou modifiée quau moyen dune modification de la Constitution. La Loi constitutionnelle de 1982 est explicite à cet égard (paragraphe 52(3)) : « La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle ». La Constitution du Canada y est définie, au paragraphe 52(2), comme « incluant cette Loi »; et la Charte constitue la partie I de « cette Loi ». Une modification de la Charte qui permettrait dinclure, dans larticle 7, une référence au droit à la propriété devrait être conforme à la procédure de modification générale établie au paragraphe 38(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour quune telle mesure puisse être avalisée, il faut : a) des résolutions émanant du Sénat et de la Chambre des communes et b) des résolutions des assemblées législatives dau moins les deux tiers des provinces, celles-ci devant représenter, globalement, au moins 50 p. 100 de la population canadienne. Cette dernière obligation sous-entend que, parmi les provinces souscrivant à un tel projet de modification, on retrouverait ou lOntario ou le Québec, car, ensemble, ces deux provinces regroupent plus de 50 p. 100 de la population du Canada. Le paragraphe 38(2) stipule que la résolution doit recevoir lappui de la majorité des députés siégeant au sein dune assemblée législative plutôt que la majorité des députés présents au moment du vote si la modification proposée est « dérogatoire à la compétence législative, aux droits de propriété ou à tous autres droits ou privilèges dune législature ou dun gouvernement provincial ». Ce serait le cas si on modifiait la charte pour y inclure le droit à la propriété. Le paragraphe 38(3) reconnaît à lassemblée législative dune province le droit de se soustraire à cette modification en adoptant une résolution de désaccord comme celle décrite au paragraphe 38(2) « avant la prise de la proclamation ». Trois provinces au plus peuvent se soustraire à une telle modification en adoptant des résolutions de désaccord. Si plus de trois provinces se prévalaient de cette possibilité, la modification projetée ne bénéficierait pas de lappui obligatoire des deux tiers des provinces et, dès lors, serait rejetée. Linitiative des procédures de modification « appartient au Sénat, à la Chambre des communes ou à une assemblée législative » (paragraphe 46(1)). Le paragraphe 38(1) prescrit que, une fois acquis le nombre de résolutions permettant de procéder en ce sens, lacte officiel de modification doit prendre la forme dune « proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada ». Larticle 39 impose un laps de temps limite pour la promulgation de cette proclamation. En vertu du paragraphe 39(1), il doit sécouler une année complète entre ladoption de « la résolution à lorigine de la procédure de modification » et la promulgation à moins que, avant lexpiration de ce délai, toutes les provinces aient adopté des résolutions daccord ou de désaccord. Le but visé ici est daccorder à chacune des assemblées législatives suffisamment de temps pour étudier la proposition. Le paragraphe 39(2) stipule que la proclamation ne peut non plus être rendue publique si trois années se sont écoulées depuis ladoption de la résolution mettant en branle la procédure de modification. DÉFINITION DU TERME « PROPRIÉTÉ » Dans sa série de propositions constitutionnelles annoncées en septembre 1991, le gouvernement fédéral a tout bonnement proposé que lon modifie la Charte canadienne des droits et libertés pour y garantir le droit à la propriété. Il ny fait pas autrement référence à ce dernier. Il ny précise aucunement de quelle manière serait défini le terme « propriété » na jamais été intégrée aux propositions antérieures visant linsertion du droit à la propriété dans la Charte, que ce soit à lépoque des audiences du Comité sur la Constitution, en 1981 ou, plus tard, à la Chambre des communes. Si lon intégrait le droit à la propriété dans la Charte sans définir le terme « propriété », les tribunaux canadiens bénéficieraient de toute la latitude voulue pour linterpréter aux fins de la disposition pertinente. Ainsi, ils pourraient bien déterminer quil nenglobe que les types classiques de propriété, comme les immobilisations les biens immeubles et les biens agricoles meubles, par exemple et les biens habituellement reconnus comme les actions et les débentures. Mais les tribunaux pourraient aussi privilégier une interprétation moins « classique » de manière à y inclure ce que lon appelle « nouveaux biens », soit les diverses formes dallocations versées par le gouvernement comme les prestations de bien-être social, les prestations de sécurité de la vieillesse, les prestations de chômage, etc. Cest ainsi quon a interprété le terme aux États-Unis. Le Cinquième amendement de la Constitution américaine, adopté en 1791, porte que personne ne peut être privé du droit à la vie, à la liberté ou à la propriété sinon en vertu dune application régulière de la loi et quon ne peut utiliser la propriété privée à des fins publiques sans indemnisation équitable. Daprès linterprétation quen ont faite les tribunaux américains, le terme « propriété », au sens de cette disposition constitutionnelle, englobe les types habituels de propriété, comme les immobilisations les biens immeubles et les biens agricoles meubles, par exemple et, aussi, les biens incorporels comme les brevets dinvention et les droits dauteur. Les tribunaux ont même fait un pas de plus pour y inclure ce que lon appelle les « nouveaux biens », qui comprennent diverses formes de prestations gouvernementales. La position des tribunaux américains, pour ce qui a trait aux « nouveaux biens », a été résumée de la façon suivante :
Bref, aux États-Unis, où la Constitution comporte un droit à la propriété, la signification du terme « propriété » a évolué au fil de linterprétation judiciaire. Lorsque, dans loptique de la Constitution, on fait allusion au droit à la propriété, on ne peut désormais plus en restreindre la portée à la possession ou à loccupation de terrains ou de biens agricoles meubles. Il faut tenir compte déléments comme le système de sécurité sociale mis en place par le gouvernement et les biens intangibles comme les brevets dinvention, les droits dauteur et les marques de commerce. Et, une fois que le gouvernement a instauré un système qui accorde à une personne un droit à des bénéfices, cest la disposition de lapplication régulière qui prévaut, même si le gouvernement décidait de cesser daccorder ces bénéfices. On ne peut que présumer de la façon dont les tribunaux canadiens interpréteraient le terme « propriété » sil demeurait non défini. Sils lui reconnaissaient à la fois son sens coutumier et une signification plus large, qui sétendrait à certaines prestations gouvernementales, comme cest le cas aux États-Unis, un droit à la propriété inscrit dans la Constitution pourrait profiter à ceux qui ne possèdent pas de biens immeubles. Les tribunaux pourraient avoir à déterminer si les prestations gouvernementales sont essentielles à la sécurité dune personne et si lon a respecté les garanties offertes par la procédure dans le processus menât au déni ou à la perte de ladmissibilité dun particulier à des bénéfices. ARGUMENTS EN FAVEUR DE LENCHÂSSEMENT On a fait valoir un certain nombre darguments en faveur de la protection constitutionnelle du droit à la propriété. Tout dabord, il y a le précédent historique. Le droit à la propriété a joué un rôle primordial dans lévolution de la société canadienne et constitue, en fait, une composante essentielle de la démocratie parlementaire britannique. On peut retracer ce droit jusquen lan 1215, année où fut signée la Grande Charte. Le droit de posséder un bien fut également inclus dans le Bill of Rights britannique, en 1689. En 1948, le Canada a adhéré à la Déclaration universelle des droits de lhomme adoptée par lO.N.U. et dont larticle 17 stipule que :
Le droit à la propriété est également reconnu dans le Déclaration canadienne des droits, adoptée en 1960 : on y reconnaît le droit dun individu de jouir de ses biens et celui de ne pas en être privé sinon en vertu dune application régulière de la loi. En clair, donc, on peut soutenir que notre Constitution devrait « refléter » ces documents historiques. La Cour suprême du Canada, dans laffaire Harrison c. Carswell(3) a commenté ainsi le droit à la propriété dans la législation canadienne :
Larticle 26 de la Charte stipule que :
Selon linterprétation jurisprudentielle de cet article, la protection du droit à la propriété quoffre la common law nest, à tout le moins, pas menacée par la Charte(5). Seul lenchâssement du droit à la propriété dans celle-ci habiliterait un particulier qui sestimerait lésé en la matière à invoquer la disposition de la Charte prévoyant un recours à cet égard. Le paragraphe 24(1) porte, en partie, que : « Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut sadresser à un tribunal [...] pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Il convient également de remarquer que la notion du droit à la propriété semble jouir de la faveur du public. Selon un sondage réalisé en 1987 pour le compte de lAssociation canadienne des Chambres dimmeubles, 81 p. 100 des Canadiens pensaient quil était « très » ou « moyennement » important de modifier la Constitution pour y inclure le droit à la propriété. divers organismes nationaux, comme lAssociation du barreau canadien, la Chambre du Commerce du Canada et lAssociation canadienne de limmeuble, ont également insisté sur la nécessité dinsérer le droit à la propriété dans notre Constitution. En enchâssant le droit à la propriété dans la Constitution, le Canada ne ferait quemboîter le pas à un certain nombre dautres pays démocratiques, parmi lesquels les États-Unis, la République fédérale dAllemagne, lItalie et la Finlande. Aux États-Unis, comme nous lavons mentionné ci-avant, le Cinquième amendement de la Constitution précise que personne ne peut être privé du droit à la vie, à la liberté ou à la propriété sinon en vertu dune application régulière de la loi et quon ne peut utiliser la propriété privée à des fins publiques sans indemnisation équitable. Le Quatorzième amendement de la Constitution américaine, adopté en 1868, précise quaucun État ne peut priver qui que ce soit du droit à la vie, à la liberté ou à la propriété sinon en vertu dune application régulière de la loi. Ainsi, aux États-Unis et dans un certain nombre dautres pays où lon a constitutionnalisé le droit à la propriété, on a reconnu limportance fondamentale de ce dernier au regard de la sauvegarde de la démocratie. Pour certains, la logique voudrait que, aux droits fondamentaux que protège à lheure actuelle notre Constitution vie, liberté et sécurité de la personne vienne sajouter leur corollaire essentiel : la jouissance de la propriété. Daucuns prétendent que le fait domettre ou de dénier le droit à la propriété restreint et prive de toute signification le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que garantit actuelle la Charte. La possession et la jouissance de biens constituent des léléments clés dune société démocratique. Le droit de posséder et de jouir de biens de toutes sortes permet aux Canadiens, quils soient travailleurs autonomes ou salariés, de profiter des fruits de leur labeur. Lune des inquiétudes que soulève linclusion du droit à la propriété dans la Charte gravite autour de la question complexe de la définition du terme « propriété ». Le temps aidant, le terme a évolué et signifie aujourdhui beaucoup plus quun bien immeuble. Le fait que les tribunaux auront à interpréter le terme et quils pourront le faire de façon très large ne constitue cependant pas une bonne raison pour exclure de la Charte le droit à la propriété. Enfin, lenchâssement du droit à la propriété dans la Charte sous-entendrait que le gouvernement ne pourrait faire abstraction de droit à moins de pouvoir justifier ses actes et satisfaire à larticle premier de ladite Charte, qui se lit ainsi :
En vertu de cet article, une personne croyant quune mesure législative empiète sur son droit à la propriété devrait faire valoir sa présomption à cet égard; une fois cette étape franchie, il appartiendrait au législateur de faire la preuve que cette mesure législative constituait une limite raisonnable aux droits et libertés et quelle se justifiait dans une société libre et démocratique. ARGUMENTS CONTRE LENCHÂSSEMENT Les points de vue énoncé ci-dessus relèvent les arguments en faveur de la constitutionnalisation du droit à la propriété. Il existe, toutefois, de sérieuses réserves quant aux contrecoups défavorables dune telle démarche. Les critiques mettent en garde contre les conséquences imprévisibles de lenchâssement dans des domaines comme les règlements municipaux de zonage, les revendications territoriales des autochtones, la réglementation relative à la pollution et le droit dun conjoint à la propriété en cas de dissolution du mariage. Dautres sinquiètent de linterprétation quadopteront les tribunaux quant au droit à la propriété si aucune définition du mot « propriété » nétait incluse dans la Charte. Ainsi, après sêtre penché sur la question de linsertion du droit à la propriété dans la Constitution, le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme a adopté, le 27 septembre 1983, une résolution dont voici un extrait :
Un certain nombre dautres groupes ont également fait connaître leurs préoccupations quant à lenchâssement possible du droit à la propriété dans la Constitution. Des groupes autochtones, par exemple, en appréhendent les répercussions éventuelles sur leurs revendications territoriales et leurs droits fonciers. Des syndicats se sont dits inquiets des conflits susceptibles de surgir entre les droits des travailleurs et les droits de ceux qui possèdent des biens. Des groupes environnementaux se demandent quelles sortes de lois il serait possible dadopter si le droit à la propriété était enchâssé dans la Constitution. De plus, un certain nombre de provinces craignent que la constitutionnalisation du droit à la propriété nhabilite les tribunaux à entraver lapplication des lois qui protègent dimportants intérêts sociétaux. À titre dexemple, elles citent, outre les lois municipales, celles qui touchent à la planification de lutilisation des terres, à la propriété des biens mobiliers et immobiliers, à lenvironnement et, finalement, à la santé et à la sécurité. Elles veulent savoir si la constitutionnalisation dun droit à la propriété altérait la compétence des provinces en matière du contrôle de lutilisation des terres privées, de protection de lenvironnement ou de protection des collectivités. En septembre 1991, le Comité spécial de lassemblée législative de lÎle-du-Prince-Édouard a déposé un rapport sur la Constitution dans lequel il recommandait expressément que le droit à la propriété ne soit pas inclus dans la Charte parce que la province se devait de protéger et de préserver son littoral et ses terres agricoles. En ce qui concerne les provinces, il ne faudrait pas oublier que si lune dentre elles craignait que les lois puissent contrevenir à une garantie du droit à la propriété ou si les lois y contreviennent déjà , il lui serait toujours loisible dinvoquer larticle 33 de la Charte et de décréter que ses lois sappliqueront en dépit de la garantie du droit à la propriété offerte par la Charte. Nous avons présenté, dans ce document, plusieurs arguments plaidant « pour » ou jouant « contre » linclusion, dans la Charte canadienne des droits et libertés, du droit à la propriété. Comme nous lavons souligné, nous ignorons de quelle façon les tribunaux canadiens définiraient le terme « propriété » dans cette optique. Il est cependant très clair que lenchâssement, dans la Charte, du droit à la propriété ne sarrêtait pas à la simple protection de ceux qui possèdent des biens immeubles contre une expropriation sans indemnisation. Si les tribunaux optaient pour une interprétation « élargie » du terme « propriété », la constitutionnalisation du droit à la propriété pourrait fort bien se répercuter également de manière favorable sur ceux et celles qui ne possèdent pas de biens immeubles. Et si cette interprétation greffait au terme « propriété » ce que lon appelle « nouveaux biens », c.-à-d. les prestations gouvernementales, comme cest le cas aux États-Unis, les bénéficiaires éventuels de telles prestations ne pourraient sen voir privés sans quon leur donne dabord la possibilité de se faire entendre. Lenchâssement, dans la Charte, du droit à la propriété habiliterait également ceux et celles qui se sentiraient lésés à cet égard à invoquer le paragraphe 24(1), qui prévoit un mécanisme de recours. Cette disposition, combinée aux garanties prévues à larticle premier de la Charte, protégerait le droit à la propriété des entraves arbitraires. (1) Canada, Chambre des communes, Débats, 2 mai 1988, p. 15043-15044. (2) Jean McBean, « The Implications of Entrenching Property Rights in Section 7 of the Charter of Rights », Alberta Law Review, 1988, vol. 26, p. 548-583, p. 581 (traduction). (3) (1975), 62 D.L.R. (3d) 68. (4) Ibid., p. 83. (5) The Queen in Right of New Brunswick c. Fishermans Wharf Ltd., (1982), 135 D.L.R. (3d) 307, confirmation pour dautres motifs, (1983), 144 D.L.R. (3d) 21. (6) Citation tirée de Canada, Débats de la Chambre des communes, 1er février 1985, p. 1935. |