BP-285F
LES CONDAMNATIONS INJUSTIFIÉES
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES
PROBLÈMES POSÉS PAR LE DROIT ET LES USAGES ACTUELS
LES CONDAMNATIONS INJUSTIFIÉES La légitimité du système de justice pénale repose en grande partie sur son efficacité et sur son équité. Lefficacité du système dépend de sa capacité de découvrir les actes criminels, de mener des enquêtes, didentifier les contrevenants et dinfliger la peine quil convient aux accusés reconnus coupables dune infraction. Léquité, quant à elle, est fonction des efforts déployés en vue de corriger le déséquilibre qui existe entre les ressources de laccusé et celles de lÉtat en ce qui concerne lenquête, les procédures préalables au procès, le procès et les appels, et de limportance que lon accorde à chacune des étapes du processus. Pour ce faire. le système prévoit des protections en matière de preuve et permet le recours aux services dun avocat à toutes les étapes de la procédure. Les condamnations injustifiées affaiblissent les deux fondements de la légitimité du système de justice pénale. La personne condamnée à tort se voit infliger une peine pour une infraction quelle na pas commise, alors qu le véritable auteur de linfraction demeure en liberté. En outre, les condamnations injustifiées ont pour effet débranler la confiance du public à légard du système. Tout le système de justice pénale repose sur la présomption dinnocence, une valeur juridique fondamentale qui veut quun accusé soit présumé innocent tant quil nest pas reconnu coupable à la suite dun procès. Ce principe est tout à fait contraire à ce à quoi sattend le public, à savoir qui la majorité des personnes accusées dune infraction criminelle sont coupables et seront condamnées par le tribunal. Les condamnations injustifiées portent atteinte à cette valeur juridique fondamentale et à lattente du public puisquelles montrent que la violation de la présomption dinnocence en fait ressortir limportance et que le système de justice pénale ne soccupe pas seulement des personnes coupables. Au cours des dernières années, les affaires Donald Marshall au Canada(1) et Rubin « Hurricane » Carter aux États-Unis(2) ont attiré lattention du public sur la question des condamnations injustifiées. Les condamnations véritablement injustifiées sont probablement moins nombreuses quon peut le prétendre, mais leur nombre est quand même surprenant. Il semble quen Grande-Bretagne, le taux de condamnations injustifiées atteint 0,1 p. 100, soit une personne condamnée sur mille. Dautres données laissent croire quil pourrait y avoir, chaque année, 15 personnes condamnées à tort en Grand-Bretagne. Des études américaines indiquent quentre 0,5 et 1 p. 100 des personnes condamnées pour une infraction grave seraient innocentes. Selon le Criminal Justice Research Centre, 6 000 personnes sont, chaque année aux États-Unis, déclarées à tort coupables dun crime grave. Aucune étude semblable na été réalisée au Canada. Un fonctionnaire du ministère de la Justice a récemment affirmé que le Ministère recevait annuellement environ 30 demandes de révision de condamnations(3). Il est facile didentifier les causes des condamnations injustifiées : les irrégularités et lincompétence aux étapes de lenquête, des procédures davant procès, du procès et des appels. Kaiser mentionne plus précisément les facteurs suivants : le dépôt daccusations dénuées de fondement, les fausses pistes suivies par les policiers, lincompétence des procureurs de la défense, une mauvaise perception de leur rôle de la part des procureurs de la Couronne, la supposition, à partir des faits, de la culpabilité de laccusé par des intervenants du système de justice pénale, les pressions exercées par la collictivité pour que soit prononcée une condamnation, linsuffisance de la preuve relative à lidentification de laccusé, le parjure, les faux aveux, linsuffisance ou la mauvaise interprétation des expertises légales, les préjugés des juges, la présentation inadéquate dune affaire portée en appel et le difficulté dobtenir la présentation de nouvelles preuves en appel(4). Chaque cas de condamnation effectivement injustifiée révèle une combinaison différente de défauts du système de justice pénale qui en a empêché le fonctionnement efficace et équitable. Parce que les condamnations jugées injustifiées nuisent de façon importante à lintégrité du système de justice pénale, les mécanismes de révision qui leur sont applicables sont des procédures extraordinaires qui sont rarement utilisées avec succès. Pour quil en soit autrement, il faudrait remettre en question la légitimité du système de justice pénale et, en attirant lattention sur ses défauts, miner la confiance du public à son égard. Le présent document ne porte qui sur lun des recours extaordinaires ouverts aux personnes qui croient avoir été condamnées à tort au Canada, à savoir la demande de clémence faite au ministre de la Justice conformément à larticle 690 du Code criminel (C. cr.)(5). Ce recours a été, au cours des années, lobjet dune controverse considérable relativement à de nombreuses affaires où on alléguait quil y avait eu condamnation injustifiée. Nous examinons ici létat actuel du droit et de la pratique, et nous cernons certains problèmes existants; nous faisons également état des propositions de réforme élaborées récemment et nous proposons des modifications. Le mécanisme peut-être le plus ancien de réparation offert à une personne condamnée est lexercice dun pouvoir de pardon par une autorité souveraine(6). Ce pouvoir de pardon est exercé de trois façons au Canada : le gouverneur en conseil (le Cabinet fédéral) peut, aux termes de lart. 749 du C. cr., accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable dun infraciton; une demande de réhabilitation peut être présentée au solliciteur général du Canada conformément à la Loi sur le casier judiciaire(7); et une demande de clémence peut être faite au ministre de la Justice aux termes de lart. 690 du C.cr.. Le présent document porte sur cette dernière disposition. En outre, lart. 751 du C.cr. prévoit que les dispositions du Code Criminel nont pas pour effet de limiter la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté, ce qui préserve la source historique traditionnelle du pouvoir de pardon au Canada. Voice le texte de larticle 690 du Code criminel :
Ce type de recours est prévu par le droit pénal canadien depuis au moins 1886(8) et figurait dans le premier Code criminel du Canada adopté en 1892(9). La disposition relative à la demande de clémence a été modifiée en 1923(10), en 1953(11) et en 1969(12). Elle a ensuite été incorporée, sans toutefois être modifiée, dans les Statuts révisés du Canada de 1970 et dans les Lois révisées du Canada de 1985. La version de 1892 permettait seulement au ministre de la Justice dordonner la tenue dun nouveau procès. La modification apportée en 1923 a ajouté à la disposition ce qui constitue maintenant les alinéas b) et c), lesquels prévoient que le ministre de la Justice peut renvoyer la cause devant la cour dappel pour audition et décision comme sil sagissait dun appel interjeté par la personne déclarée coupable ou demander à la cour dappel son opinion sur une question particulière. La modification de 1953-1954 était de pure forme et na fait que changer le libellé de la disposition. Finalement, la modification de 1969 a étendu la portée de la disposition pour viser non seulement les personnes reconnues coupables dun acte criminel, comme cétait le cas depuis 1892, mais également celles qui ont été condamnées à la détention préventive (contrevenants dangereux). Larticle 690 du C.cr. confère au ministre de la Justice le pouvoir discrétionnaire de donner suite aux demandes de clémence. Seules les personnes qui ont été condamnées pour avoir commis un act criminel et celles qui ont été condamnées à la détention préventive peuvent présenter une demande de clémence. Si le ministre de la Justice décide dexercer son pouvoir discrétionnaire, il le fait de lune des trois façons suivantes :
Ces trois formes dexercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre de la Justice sont distinctes et sont régies par des règles de procédure et de preuve différentes. En outre, elles entraînent des résultats différents. Aux termes de lal. 690a) du C.cr., le ministre de la Justice doit être convaincu que, dans les circonstances, la tenue dun nouveau procès ou dune nouvelle audition devrait être ordonnée. La disposition nénonce aucun critère ou règle dinterprétation qui aiderait un demandeur à déterminer quels éléments de preuve il doit produire pour convaincre le Ministre. Dans le cadre du nouveau procès ou de la nouvelle audition ordonné par le Ministre, la Couronne aura le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de linfraction reprochée pour obtenir une condamnation. Par ailleurs, laccusé aura droit à toutes les protections offertes par les règles de preuve et de procédure, à linstar dun défendeur dans un procès devant un tribunal de première instance. En outre, la Couronne comme laccusé peuvent interjeter appel auprès de la cour dappel et, finalement, sur autorisation, auprès de la Cour suprême du Canada, des décisions rendues quant à la preuve et à la procédure, dun verdict dacquittement ou de culpabilité ou de la peine infligée. Aux termes de lal. 690b) du C.cr., le ministre de la Justice revoie la cause à une cour dappel, qui en est saisie comme sil agissait dun appel interjeté par la personne déclarée coupable ou condamnée à la détention préventive. Cest pourquoi il incombe à cette personne, par la procédure et la preuve, de convaincre la cour dappel quelle a été reconnue coupable ou condamnée à la détention préventive à tort. Pour ce faire, elle peut soutenir quil y a eu une erreur didentification ou des anomalies dans la preuve par expertise légale, ou alors que depuis sa condamnation initiale, de nouveaux éléments de preuve ont été mis au jour ou que des témoin-clés se sont rétractés. Vu la rigidité des règles de preuve, la cour dappel nadmettra que les éléments de preuve qui nexistaient pas ou qui nauraient pas pu être raisonnablement découverts au moment de la condamnation initiale. Mais en raison de la nature extraordinaire du recours prévu à lart. 690 C.cr., ces règles reçoivent une application relativement souple(13). Les pouvoirs de la cour dappel en ce qui concerne laudition des appels sont énoncés à lart. 686 du C.cr.. Celle-ci peut admettre tout appel si le verdict est déraisonnable ou quil ne peut pas sappuyer sur la preuve, si le jugement du tribunal de première instance doit être écarté pour le motif quil constitue une décision erronée sur une question de droit, ou encore, si, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire. En pareilles circonstances, la cour annule la condamnation et soit rend un verdict dacquittement, soit ordonne la tenue dun nouveau procès. Par contre, la cour dappel peut rejeter tout appel si elle estime que laccusé a été régulièrement déclaré coupable sur un des autres chefs de lacte daccusation, si elle estime quaucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne sest produit, ou encore, si laccusé na subi aucun préjudice en dépit dune irrégularité de procédure. Dans une telle situation, la cour peut rendre le verdict qui aurait dû être rendu et soit confirmer la peine prononcée, soit infliger la peine adéquate, soit renvoyer laffaire devant le tribunal de première instance en lui ordonnant dinfliger une peine justifiée en droit. Toute décision rendue par une cour dappel peut faire lobjet dun appel à la Cour suprême du Canada, si celle-ci lautorise. Aux termes de lal. 690c) du C.cr., le ministre de la Justice renvoie devant la cour dappel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire son assistance, et la cour donne son opinion en conséquence. Le ministre de la Justice nest pas lié par lopinion quil reçoit de la cour dappel. Vu quil sagit dun renvoi pour opinion judiciaire, la cour dappel applique les règles de procédure et de preuve avec beaucoup plus de souplesse que sil sagissait dun appel ordinaire. Par contre, comme il sagit dun opinion sans effet obligatoire, on ne saurait prétendre à coup sûr quil peut faire lobjet dun appel devant la Cour suprême du Canada. Lart. 690 du C.cr. est cependant loin davoir donné lieu à une jurisprudence abondante. Cole et Manson résument les décisions rendues en vertu de cet article :
Comme lindiquent Cole et Manson, les demandes adressées au minstre de la Justice sur le fondement de lart. 690 du C.cr. ne peuvent être faites que par les condamnés qui ont épuisé toutes les autres voies dappel prévues par la législation. Seules un petit nombre des demandes fondées sur lart. 690 du C.cr. qui sont présentées au Ministre donnent lieu à une intervention. Le tableau suivant le montre : Demandes de clémence (art 690 C.cr.)(15)
Les chiffres pour lexercice 1990-1991 nétaient pas disponibles au moment de la rédaction du présent document. La ministre de la Justice est intervenue dans laffaire Nepoose (où étaient en cause des rétractions de témoignages) en application de lal. 690b) du C.cr., le 15 juin 1991, renvoyant laffaire devant la Cour dappel de lAlberta(16). Cette affaire figurera sans nulle doute dans le Rapport annuel du minstère de la Justice de 1991-1992(17). Ces données statistiques sont certes utiles, mais, considérées isolément, elles peuvent être trompeuses. Elles ne reflètent pas la nature et la complexité des demandes de clémence adressées au Ministre. Certaines requêtes ne sont fondées que sur un minimum dinformation et de pièces justificatives. Les enquêtes peuvent être longues et se heurter à des questions de preuve et dexpertise légale qui doivent être pleinement analysées. Dans certains cas, retrouver les témoins et les pièces peu exiger un temps considérable. Ce ne sont pas toutes les demandes dont lenquête est menée à terme au cours du même exercice. Le ministère de la Justice ne dispose ni de règles de procédure, ni de directives ni de formules de demande en ce qui concerne les demandes de clémence au Ministre(18). Le Ministère part de la prémisse quune demande sur le fondement de lart. 690 du C.cr. est une voie de recours auprès de lExécutif exercée après que toutes les autres voies de recours ont été épuisées; il ny voit ni un appel ni un nouveau procès. Comme critère, le ministère de la Justice pose la question suivante : « Y-a-t-il un motif raisonnable de conclure quil a probablement eu erreur judiciaire »? Deux points primordiaux sont soulevés par la plupart des demandes de clémence présentées au Ministre. Il sagit de la présentation déléments nouveaux de preuve non disponibles au moment où la déclaration de culpabilité a été prononcée et de lexamen de nouveaux développements survenus dans les sciences et techniques dexpertise légales qui pourraient amener à apprécier différemment les preuves rapportées lors de la déclaration de culpabilité. Les demandes sont présentées au Ministre sous des formes très variées, de la lettre de deux pages dun détenu au mémoire exhaustif appuyé de documents émanant de lavocat du délinquant. Il est de règle que le ministère de la Justice réclame des requérants les pièces suivants : a) la transcription des notes sténographiques du procès; b) les mémoires produits lors des appels et pourvois; c) les motifs des arrêts rendus lors des appels et pouvoirs; d) un mémoire exposant les fondements
probatoires et légaux sur lesquels la requête présentée
Si une question de preuve par expert légal est soulevée dans une demande, telle une nouvelle analyse de spécimen dADN, il sera demandé au requérant de fournir au Ministère le rapport des experts. Il sera également demandé aux requérants de transmettre au Ministère le nom et ladresse des témoins à interroger, ainsi quun résumé synoptique de ce quon peut penser quils révéleraient aux enquêteurs. Cest un avocat de la Direction du droit pénal du ministère de la Justice qui sera chargé de lenquête quentraîne la requête; il peut faire appel à la GRC, au service de police local et à des scientifiques médico-légaux ou à dautres experts. Un avocat agit à plein temps à titre de coordonnateur des enquêtes ouvertes au regard de lart. 690 du C.cr.; il peut avoir recours aux services de sept autres avocats qui, au besoin, lui consacrent une partie de leur temps. Le ministère de la Justice ne considérant pas les demandes aux termes de lart. 690 du C.cr. comme participant de la procédure contradictoire, il sait faire preuve de souplesse. Si une demande est incomplète ou si la déposiiton dun témoin diffère de ce qua indiqué le demandeur, lavocat du Ministère responsible de lenquête demandera des informations supplémentaires au demandeur; il ira même jusquà rencontrer le demandeur ou son défenseur. Ces rencontres ont un cadre officieux; il ne sagit pas dauditions et ni le requérant ni son avocat ne peuvent consulter les documents ou les rapports du Ministère. Enfin, ne sont pas officiellement communiquées au requérant les constatations militant contre lui et il ne lui est pas donné loccasion de présenter des éléments de preuve avant quun rapport soit remis au Ministre pour examen. Comme il a déjà été dit, une requête sur le fondement de lart. 690 nest ni une voie dappel ni une procédure de révision du procès. Lorsque lavocat responsible a terminé son enquête, il rédige un rapport. Celui-ci expose les faits, décrit le déroulement de lenquête, énonce les points soulevés, analyse le droit applicable, donne les conclusions quentraînent les faits et fait une recommandation. Ce « rapport préliminaire » emprunte alors la voie hiérarchique au Ministère, passant de lavocat général principal, droit pénal, au sous-procureur général adjoint, au sous-ministre délégué de la Justice pour se rendre, finalement, au sous-minstre de la Justice. À chaque palier, le rapport peut être soit accepté, soit rejeté, soit renvoyé pour réexamen du droit applicable, des preuves rapportées ou pour reprise de lenquête. Une fois approuvé à tous ces niveaux, le rapport du Ministère et les pièces justificatives sont remis au ministre de la Justice, accompagnés dune recommandation qui peut être acceptée ou rejetée, ou le rapport peut être retourné pour reprise des analyses et enquêtes. Lorsque le Ministre a statué sur un rapport, une lettre portant la signature du Ministre et adressée au demandeur répond point par point aux questions soulevées par la demande. La longueur et la nature de la réponse du Ministre peut dépendre de la nature et de limportance de la demande de clémence. PROBLÈMES POSÉS PAR LE DROIT ET LES USAGES ACTUELS Dans cette partie, nous examinons certaines des difficultés que posent tant lart. 690 du C.cr. que la manière dont il est appliqué par le ministère de la Justice. Il sagit de problèmes auxquels font face tant les personnes qui demandent la clémence au ministre de la Justice que les conseillers juridiques qui agissent en leur nom(19). Comme nous lavons indiqué précédemment, le ministre de la Justice peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère lart. 690 en ordonnant un nouveau procès, en renvoyant laffaire devant la cour dappel comme sil sagissait dun appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condmanée à la détention préventive, ou en demandant à la cour dappel son avis sur toute question sur laquelle il désire son assistance. La voie choisie déterminera quel sera la charge de la preuve, la nature des preuves qui peuvent être administrées, limportance de lenquête et les droits des parties au regard déventuels appels. La question sest posée dans laffaire Donald Marshall, le ministre de la Justice ayant ordonné de porter laffaire en appel (al. 690b) du C.cr.) devant la Cour dappel de Nouvelle-Écosse au lieu de demander un avis (al 690c) du C.cr.) à celle-ci. Cela voulait dire que la victime de lerreur judiciaire, Donald Marshall, avait la charge de la preuve à titre dappelant, et que la Cour dappel avait un mandat plus étroit que si un avis lui avait été dmandé sur une série de questions reliées à laffaire(20). Labsence de règles de procédure bien établies contrarie certains avocats. Aussi nont-ils pas toujours su, au moment de déposer une requête sur le fondement de lart. 690 du C.cr., de quels documents et de quels éléments de preuve ils devaient saisir le ministère de la Justice. Ils ont surmonté cette difficulté en communiquant, de manière officieuse, avec lavocat du ministère de la Justice, en faisant appel à leur expérience daffaires ayant des points communs ou en conversant avec des avocats ayant présenté des demandes en application de lart. 690 du C.cr.. Il y a également incertitude en ce qui concerne la qualité de la preuve que doivent faire les demandeurs pour convaincre le ministre de la Justice dintervenir en vertu de lart. 690 du C.cr. Doivent-ils soulever un doute raisonnable au sujet de leur condamnation, ou doivent-ils prouver leur demande par prépondérance de preuves? Comme il a été dit précédemment, la preuve, aux yeux des avocats du ministère de la Justice responsables de ces enquêtes, doit leur permettre répondre à la question : « Y a-t-il des motifs raisonnables de conclure quil y a probablement eu erreur judiciaire »? Lun des avocats interrogés estime que cest là une obligation de preuve trop élevée et quil faudrait se demander plutôt si lon a soulevé « de graves questions au sujet de la déclaration de culpabilité ou de la condamnation à la détention préventive ». Certains des avocats agissant pour les demandeurs sinterrogent sur le genre de preuves et de documents que réunit le Ministère et sur la nature du rapport qui est remis au ministre de la Justice. Ils se montrent aussi préoccupés de ce que les constatations défavorables faites par le Ministère ne leur sont pas communiquées et quil ne leur est pas permis dy répondre par dautres arguments sur le droit ou par ladministration dautres preuves avant que la rapport de lenquête ne soit remis au minstre de la Justice. Certes les avocats du Ministère chargés des enquêtes communiquent avec lavocat du demandeur pour obtenir des clarifications et rechercher déventuelles avenues dinvestigation supplémentaires, mais cela ne va pas plus loin. Certains avocats représentant des demandeurs font observer que la lettre de réponse du ministre de la Justice à la demande de clémence peut ne pas indiquer suffisamment en détail les motifs pour lesquels la demande est rejetée. Cela, et le fait que les avocats des demandeurs ignorent quels ont été les documents et quelle est la nature du rapport qui ont été remis au ministre de la Justice, leur permet difficilement détablir sil existe des motifs suffisants denvisager une demande de contrôle judiciaire de lexercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Un dernier point préoccupe les avocats des demandeurs : labsence daide financière permettant aux condamnés des demander la clémence du ministre de la Justice sur le fondement de lart. 690 du C.cr. Dans plusieurs cas, les régimes daide juridique provinciaux ont refusé toute aide aux requérants invoquant lart. 690 au regard de leurs frais davocat et de justice. Dans certains cas, des avocats ont accepté le dossier pro bono, assumant eux-mêmes des frais de milliers de dollars, et dans certains autres cas, des organisations non gouvernementales ont assumé les frais des demandes. Le nombre de propositions de révision de lart. 690 du C.cr. nest guère élevé. Deux de celles-ci seront brièvement exposées dans cette partie. Lune est tirée du Rapport de lenquête Marshall de décembre 1989 et lautre, dans deux variations sur le même thème, figure dans les projets de loi dinititiative parlementaire C-230 et C-239, adoptés en première lecture par la Chambre des Communes en juin 1991. La Commission denquête sur laffaire Marshall a proposé que le ministre de la Justice du Canada et les procureurs généraux des provinces entament des pourparlers sur la constitution éventuelle dun organe chargé des reprises denquêtes dans les cas dallégations derreur judiciaire. Elle a également recommandé quun tel organe dispose de pleins pouvoirs denquête, de telle sorte quil puisse interroger les témoins et réunir les preuves nécessaries. Enfin, comme dernier élément, elle a recommandé que des mesures soient prises afin que puissent être pleinement indemnisées les victimes derreur judiciaire(21). Ces recommandations ont été acceptées par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, qui avait ordonné cette enquête, le 7 février 1990(22), et elles ont été étudiées lors de la rencontre fédérale-provinciale des ministres responsables de la justice du 15 juin 1990(23). Le projet de loi C-230 a été adoptée en première lecture par la Chambre des communes le 10 juin 1991, et le projet de loi C-239 le 18 juin 1991. Ces deux projets de loi dinitiative parlementaire modifieraient lart. 690 du C.cr.. Le projet loi C-230 ajouterait des paragraphes (2) à (18) à lart. 690 du C.cr., afin de permettre au ministre de la Justice de saisir de toute demande de clémence un avocat chargé spécialement de faire enquête et de formuler des recommandations. Le projet de loi C-239 ajouterait les art. 690.1 à 690.3 après lart. 690 du C.cr., afin de permettre au ministre de la Justice de saisir de toute demande de clémence une commission dexamen des condamnations chargée de faire enquête et de formuler des recommandations. Selon les deux projets de loi, ceux qui seraient chargés de lenquête à la suite dune demande devraient navoir eu aucun lien avec laffaire en cause et ils auraient pour instructions de ne pas se limiter à lappréciation des preuves présentées lors du procès. Selon les deux projets, lavocat responsable ou la Commission pourrait recommander et le Ministre devrait accorder toute aide financière nécessaire au demandeur. Enfin, les deux projets exigeraient que le ministre de la Justice communique au demandeur copie du rapport et des documents étudiés par lavocat responsable ou la commission, de sorte que le demandeur puisse être entendu avant que le Ministre ne prenne une décision en vertu des art. 690 ou 749 du C.cr.. Les recommandations de la Commission denquête et les projets de loi traitent des demandes présentées en vertu de lart. 690 du C.cr. et des enquêtes quelles entraînent. Aucune de ces propositions de réforme ne traite de lart. 690 du C.cr. lui-même, des trois aspects du pouvoir discrétionnaire dont dispose le ministre de la Justice, ou des conséquences de chacun de ceux-ci au plan du droit de la preuve et des droits dappel. Les demandes adressées au ministre de la Justice sur le fondement de lart. 690 du C.cr. diffèrent fondamentalement des recours en grâce où il est fait appel à la prérogative royale (de clémence), ou aux recours exercés au titre du pardon, absolu ou conditionnel. Les demandes en révision sur le fondement de lart. 690 portent dhabitude sur des cas où la validité dune condamnation au pénal est mise en doute. Les demandeurs soutiennent quil y a eu erreur judiciaire et que la déclaration de culpabilité devrait être révisée, soit lors dun nouveau procès, soit par une cour dappel. Les recours en grâce des autres genres impliquent lacceptation de la validité de la déclaration de culpabilité; le demandeur demande alors de pouvoir échapper au moins en partie à ses conséquences. À lheure actuelle, une demande aux termes de lart. 690 du C.cr. est présentée au ministre de la Justice. Les avocats du ministère de la Justice font enquête à son sujet et ils font des recommandations au Ministre, lequel prend la décision finale. Le droit et la pratique actuels mettent le Ministre et le ministère de la Justice dans une position difficile. Le ministre de la Justice et le procureur général du Canada sont une seule et même personne, quoique leurs fonctions soient différentes et potentiellement contradictoires. Le ministre de la Justice donne des avis sur les politiques à adopter; le procureur général donne des avis juridiques au gouvernement. Tant le rôle de conseil en matière de politique pénale du ministre de la Justice que le rôle de partie poursuivante du procureur général peuvent intervenir en matière de développement du droit pénal. Le ministre de la Justice nomme les juges devant lesquels le procureur général du Canada, ou ses substituts, comparaissent. Le ministre de la Justice doit sassurer que la législation respecte la Charte canadienne des droits et libertés, alors que le procureur général du Canada peut avoir à justifier les irrégularités de la législation. Ce ne sont là que quelques-uns des conflits potentiels de lexercice de ces deux fonctions par un seul et même ministre(24). Le conflit entre ces rôles influe sur la façon dont sont perçus, à tout le moins, limpartialité et le soin avec lesquels les demandes fondées sur lart. 690 du C.cr. font lobjet dune enquête et sont étudiées par le ministère de la Justice. Il est possible de soutenir que le préjugé favorable du Ministère en faveur de la partie poursuivante peut entretenir un trop grand respect pour les décisions judiciaires déclaratives de culpabilité et conduire à une remise en question insuffisamment rigoureuse des fondements des condamnations au pénal. Tout sentiment de ce genre, bien ou mal fondé, entache la procédure de révision de lart. 690 du C.cr. aux yeux de ceux pour qui elle importe le plus : les demandeurs. Toute proposition de modification de la procédure doit mettre un terme à ces craintes de partialité. Il serait possible dy arriver en prévoyant que ce sera une commission ou une agence indépendante du ministère de la Justice ou du gouvernement, nayant à rendre compte quau Parlement, qui sera saisi des demandes en révision fondées sur lart. 690 du C.cr. et qui fera enquête à cet égard. Cette commission ou agence devrait son existence et son indépendance à la loi seule, et il devrait disposer des ressources voulues pour procéder aux enquêtes nécessaires. Elle devrait se donner des règles de procédure et de preuve de façon à sassurer que les éléments probatoires réunis sont communiqués aux demandeurs et que ceux-ci ont le droit dêtre entendus. Il pourrait également être prévu quune aide à la fois financière et juridique sera fournie aux demandeurs, lorsquils ne peuvent en obtenir dautres sources. Cette commission ou agence pourrait également avoir le pouvoir soit de statuer elle-même sur les demandes en révision dune déclaration de culpabilité, soit de recommander au Cabinet ou au ministre de la Justice dans quel sens statuer sur celles-ci. Que ce soit la commission ou lagence, ou le Cabinet ou le ministre de la Justice, qui prenne la décision finale, les trois voies de recours existantes à lheure actuelle aux termes de lart. 690 du C.cr. pourraient être conservées, ou lune ou plusieurs dentre elles pourraient être éliminées. Également, une toute nouvelle voie de recours pourrait être instaurée. Quelle que soit la forme que prendrait une proposition de modification du système, elle devrait faire en sorte que le mode de présentation des requêtes en révision des condamnations au pénal et le mode denquête soient justes et complets, et quils soient perçus comme tels. Dans cet examen de la procédure de révision des condamnations au pénal, nous avons abordé lexpérience actuelle et certains des points que les propositions de modification du système doivent résoudre. La révision dune déclaration de culpabilité constituera toujours un événement exceptionnel quelle que soit la réforme à laquelle il aura été procédé; un système efficace à cet égard renforcera lefficacité et limpartialité du système de justice pénale.
(1) Commission royale sur les poursuites intentées contre Donald Marshall fils, Rapport, Nouvelle-Écosse, décembre 1989. (2) Sam Chaiton et Terry Swinton, Lazarus and the Hurricane : The Untold Story of the Freeing of Rubin "Hurricane" Carter, Toronto, Viking, 1991 (3) Jim Middlemiss, « Guilty Until Proven Innocent », Canadian Lawyer, novembre 1991, p. 20-25. (4) H. Archibal Kaiser, « When Justice is a Mirage : A Primer on Wrongful Conviction », document présenté dans le cadre de la conférence sur les personnes ayant subi une peine demprisonnement par suite dune erreur judiciaire, Human Rights Centre, University college of Cape Breton, le 24 juin 1991. Voir également James McCloskey, « Convicting the Innocent », Criminal Justice Ethics, hiver-printemps 1989, p. 2 et 54-59, où lauteur traite de la plupart des mêmes facteurs. M. McCloskey est le chef du groupe (Centurion Ministries) qui a mené une enquête sur laffaire David Milgaard. (5) L.R.C. (1985), c. C-46. (6) Voir David P. Cole et Allan Manson, Release from Imprisonment : The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review, Toronto, Carswell, 1990, p. 399-409. (7) L.R.C. (1985), c.C-47. (8) S.R.C. (1886), c. 181, art. 38 et 39. (9) S.C. (1892), c. 29, art. 748. (10) S.C. (1923), c. 41, art. 9. (11) S.C. (1953-1954), c. 51, art. 596. (12) S.C. (1968-1969), c. 38, art. 62. (13) Renvoi relatif à Regina c. Gorecki (n° 2) 32 C.C.C. (2d) 135 et R. c. Marshall (1983) 57 N.S.R. (2d) 286. (14) Cole et Manson (1990), p. 409 et 410 (traduction); les renvois à la jurisprudence ont été supprimés de la citation par lauteur du présent document. (15) Information provenant des Rapports annuels du ministère de la Justice pour les exercices 1985-1986 à 1989-1990. (16) Lettre du 17 juin 1991 adressée par la ministre de la Justice à lavocat de Nepoose, et communiqué du ministère de la Justice du 19 juin 1991. (17) Le 29 novembre 1991, un décret saisissait la Cour suprême du Canada, sur le fondement de lart. 53 de la Loi sur la cour suprême, L.R.C. 1985, c. S-26, de laffaire David Milgaard, une requête fondée sur lart. 690 du C.Cr.. (18) Cette description de la procédure suivie au minstère de la Justice dans les cas de demandes de clémence fondées sur lart . 690 du C.cr. est le fruit dune entrevue accordée à lauteur par un fonctionnaire du Ministère le 10 juillet 1991. (19) Cette partie est fondée en partie sur des entrevues données à lauteur par les conseillers juridiques affectés à quatre requérants sétant prévalu de lart. 690 du C.cr. les 9, 10, 17 et 18 juillet 1991. (20) Commission royale sur les poursuites intentées contre Donald Marshall fils, Rapport, Nouvelle-Écosse, décembre 1989, p. 113-115. (21) Ibid., p. 143-148. (22) Governement of Nova Scotia Response to the Recommendations of the Royal Commission on the Donald Marshall Jr. Prosecution, p. 1 et 2. (23) Ministère de la Justice, Communiqué, p. 2. Un comité de fonctionnaires a été chargé détudier les recommandations et de rendre compte à leurs ministres. Il nest pas fait mention de cette question dans le communiqué de presse distribué le 5 septembre 1991, après la rencontre fédérale-provinciale-territoriale des ministres responsables de la Justice, tenue à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest). (24) Il est traité plus en profondeur de cette question dans : Commission de réforme du droit du Canada, Poursuites pénales : les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la Couronne, Document de travail 62, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1990, p. 1-41. |