BP-316F

 

RÉFORME DU SÉNAT : ÉTUDE COMPARATIVE
DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

 

Rédaction :
Jack Stilborn
Division des affaires politiques et sociales
Novembre 1992


TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION

APERÇU HISTORIQUE

PROPOSITIONS RÉCENTES

MODE DE SÉLECTION

   A. Propositions pour un Sénat nommé

   B. Propositions pour un Sénat élu

   C. Le projet de Charlottetown

   D. Commentaire

SYSTÈMES ÉLECTORAUX

   A. Canada West Foundation (1981)

      1. Mode de scrutin

      2. Circonscriptions

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

   B. Le Rapport Molgat-Cosgrove (1984)

      1. Mode de scrutin

      2. Circonscriptions

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

   C. Le comité spécial de l'Alberta (1985)

      1. Mode de scrutin

      2. Circonscriptions

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

   D. La Commission Macdonald (1985)

      1. Mode de scrutin

      2. Circonscriptions

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

   E. Le Rapport Beaudoin-Dobbie (1992)

      1. Mode de scrutin

      2. Circonscriptions

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

   F. Le projet de Charlottetown (1992)

   G. Commentaire

RÉPARTITION DES SIÈGES

   A. Propositions pour un Sénat nommé

   B. Propositions pour un Sénat élu

      1. Canada West Foundation(1981) et Comité spécial de l'Alberta (1985)

      2. Comité Molgat-Cosgrove (1984), Commission Macdonald (1985) et
      Comité Beaudoin-Dobbie

   C. Le projet de Charlottetown (1992)

   D. Commentaire

POUVOIRS

   A. Propositions pour un Sénat nommé

   B. Propositions pour un Sénat élu

      1. Canada West Foundation (1981)

      2. Comité Molgat-Cosgrove (1984)

      3. Comité spécial de l'Alberta (1985)

      4. Commission Macdonald (1985)

      5. Comité Beaudoin-Dobbie (1992)

   C. Le projet de Charlottetown (1992)

   D. Commentaire

OBJECTIFS ET ASPIRATIONS : QUELQUES CONCLUSIONS PROVISOIRES

   A. Propositions pour un Sénat nommé

      1. Modèles de nomination mixte

      2. Nomination par les provinces

   B. Propositions pour un Sénat élu

   C. Le projet de Charlottetown

   D. Commentaire


RÉFORME DU SÉNAT : ÉTUDE COMPARATIVE
DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

INTRODUCTION

Le présent document porte sur une sélection représentative des principales propositions touchant la réforme du Sénat canadien; nous tentons d'y faire le point sur les résultats auxquels ont donné lieu jusqu'ici les nombreuses initiatives d'ordre public et politique que cette question a engendrées.

Malgré la gamme étendue des solutions envisagées en ce qui concerne, par exemple, le mode de sélection, la répartition des sièges et les pouvoirs, ces domaines ne sont pas les seuls ni nécessairement les plus importants à être ressortis des toutes premières réflexions. Celles-ci ont produit un éventail de considérations et d'arguments utiles à l'évaluation des propositions les plus récentes, et les auteurs de futures propositions auraient tort d'en faire abstraction. Tout compte fait, les propositions que nous avons retenues sont fort révélatrices des objectifs qui se sont peu à peu dessinés ainsi que des hypothèses implicites qui ont marqué le débat public en cette matière et qui continueront vraisemblablement de le faire.

Après avoir tracé un aperçu historique des projets de réforme du Sénat canadien, nous nous arrêtons à certaines des importantes propositions pour les comparer sous quatre chefs : mode de sélection, système électoral, répartition des sièges et pouvoirs. Puis, en guise de conclusion, nous faisons état de l'évolution de l'opinion sur l'utilité du Sénat et nous apportons des observations générales sur les tendances qui se manifestent dans diverses régions du Canada en ce qui concerne les hypothèses et les aspirations des Canadiens à propos du Sénat.

Les toutes dernières propositions à s'ajouter au « répertoire » national des grandes tentatives en vue de réformer le Sénat font, dans le corps de notre étude, l'objet d'une attention particulière. Il s'agit du projet de réforme inscrit dans l'Accord de Charlottetown du 28 août 1992. Ce document ne fait que reproduire la décision des premiers ministres, sans fournir de justification au projet de réforme du Sénat. En plaçant celui-ci dans le contexte d'autres propositions faites ces dernières années, il est néanmoins possible de tirer des conclusions quant à son bien-fondé et d'étendre la réflexion sur la « sagesse traditionnelle » qui se dégage au Canada sur la question du Sénat. Ces conclusions jettent à leur tour un éclairage sur l'orientation actuelle du débat touchant la réforme du Sénat et la voie qu'elle suivra vraisemblablement à l'avenir.

APERÇU HISTORIQUE

L'idée de réformer le Sénat n'a rien de neuf au Canada. À vrai dire, le projet contenu dans les propositions constitutionnelles sur lesquelles les premiers ministres se sont entendus le 28 août 1992 à Charlottetown s'inscrit tout bonnement dans une tradition de débat public qui remonte au moins aussi loin qu'en 1874. En effet, sept ans à peine après l'adoption de l'AANB, la Chambre des communes était saisie d'une résolution tendant à modifier la Constitution pour permettre à chaque province de choisir des sénateurs. Les années suivantes ont amené leur lot de propositions ayant pour objet soit de limiter le mandat des sénateurs (à l'origine nommés à vie), soit d'abolir le Sénat, et dès 1909, l'institution débattait pour la première fois de sa réforme. Une proposition visant l'élection des deux tiers des sénateurs et à sept ans le mandat de ces derniers a alors été rejetée(1).

La question de la réforme du Sénat est devenue plus actuelle à compter des années 60. La recrudescence de l'intérêt public et gouvernemental a coïncidé d'une part avec la Révolution tranquille, qui a accru les pressions autonomistes au Québec, et d'autre part avec le ressentiment accru de l'ouest du Canada à l'égard des institutions centrales jugées insensibles aux besoins de cette région.

De façon plus générale, la faveur accordée à la réforme du Sénat dans les années 60 reflétait la créativité du gouvernement fédéral de l'époque et son intérêt caractéristique pour les institutions et les processus. L'indépendance affichée par les provinces dans leur prise de décisions politiques a aussi modifié globalement les relations fédérales-provinciales.

En trois décennies de débats sporadiques sur la réforme du Sénat, d'importantes tendances se sont dessinées quant au contenu des propositions. Au cours des années 60 et 70, il s'agissait surtout de redorer le blason du Sénat nommé, en accordant aux provinces une certaine voix au chapitre.

Un groupe de propositions aurait permis aux provinces de nommer la moitié des sénateurs, l'autre moitié des nominations demeurant l'apanage exclusif du gouvernement fédéral(2). Un second groupe de propositions en faveur d'un Sénat nommé avait essentiellement pour modèle le Bundesrat de l'Allemagne fédérale et aurait accordé aux provinces l'exclusivité des nominations(3). Le Sénat serait devenu en quelque sorte l'instrument des gouvernements provinciaux, et il était à craindre que le moyen tout désigné pour donner droit aux préoccupations provinciales dépasse les relations intergouvernementales et les conférences des premiers ministres pour se situer au coeur même du processus législatif fédéral. La controverse sur l'opportunité de cette perspective a pris un caractère crucial dans le débat touchant ces propositions, et certains défenseurs de la décentralisation se sont opposés à un Sénat inspiré du Bundesrat sous prétexte que cela renforcerait le pouvoir du gouvernement fédéral et réduirait l'indépendance des provinces.

PROPOSITIONS RÉCENTES

Au début des années 80, les propositions en vue de réformer le Sénat ont pris une nouvelle tournure. Peu à peu, on en est venu à adopter pour hypothèse l'équation entre élection et légitimité, d'où la nécessité, pour que le Sénat puisse jouer un rôle majeur et durable dans le processus législatif, qu'il soit comme la Chambre des communes l'expression d'un choix électoral démocratique.

L'élection du Sénat figure dans des projets de réforme importants dont celui de la Canada West Foundation, en 1981, qui jette le fondement de la revendication dite « triple E »; le rapport d'un comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes, en 1984; le rapport de la Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, en 1985; le rapport du comité spécial de l'Alberta (Alberta Select Special Committee) sur la réforme de la Chambre haute, en 1985 et, plus récemment, le rapport du Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada, en 1992(4). À signaler que ces dernières propositions reflétaient assez fidèlement les critères et objectifs établis dans le cadre d'un projet général que le gouvernement fédéral avait fait connaître en septembre 1991 et pour l'étude duquel le comité avait été créé(5).

Ainsi que nous le verrons, le projet sur lequel on s'est entendu le 28 août à Charlottetown épouse d'assez près la tradition de ceux qui, au début des années 80, favorisaient un Sénat élu(6). Sa principale nouveauté tient au fait qu'il associe bon nombre des solutions en matière de procédure et d'organisation qui avaient semblé auparavant contradictoires.

MODE DE SÉLECTION

   A. Propositions pour un Sénat nommé

Les propositions des années 60 et 70 en vue de réformer le Sénat nommé ne rejettent pas de façon absolue l'élection de la Chambre haute. Elles montrent plutôt que cette élection est incompatible avec le parlementarisme ou qu'elle sacrifierait des attributs dont la perte ne saurait être compensée par les avantages acquis.

Ainsi, dans un document de 1978 conçu pour justifier le projet de loi C-60, le gouvernement du Canada fait valoir que l'élection de la Chambre haute est une solution valable dans un régime comme celui du Congrès américain, fondé sur la séparation du pouvoir(7). Toutefois, il précise que dans le système parlementaire, le fait que l'exécutif dépende de la confiance mise en lui par la Chambre basse, qui est élue, rend inopportune l'élection de la Chambre haute. À son avis, l'élection du Sénat minerait à elle seule la suprématie de la Chambre des communes et sèmerait la confusion. De plus, l'élection des deux chambres compliquerait la question de la prépondérance et saperait par conséquent le régime parlementaire.

Dans son rapport de 1979, la Commission Pepin-Robarts justifie de la même façon son rejet d'un Sénat élu(8). Elle évoque l'expérience australienne (la grave paralysie des travaux des deux chambres dans les années 70) pour illustrer les problèmes qui peuvent affliger le système parlementaire lorsque deux chambres élues au suffrage populaire se trouvent aux prises. À son avis, le processus électoral tend à rehausser le rôle des partis politiques, si bien que des sénateurs élus risqueraient de se préoccuper davantage des intérêts de leur parti que de ceux de leur région.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a aussi invoqué ces arguments en 1978(9). Il estime également que le fait de consentir de faibles pouvoirs à un Sénat élu (peut-être sous forme d'un veto suspensif) ne constituerait pas nécessairement une solution permanente au problème des différends qui opposent les deux chambres. En effet, les sénateurs élus pourraient à juste titre réclamer des pouvoirs illimités et exercer, pour les obtenir, des pressions soutenues.

Dans son rapport de 1972, le Comité Molgat-McGuigan adopte une autre approche. Un Sénat élu lui semble moins en mesure qu'un Sénat nommé de représenter les minorités et la diversité canadienne(10); selon lui, il est possible de nommer systématiquement au Sénat des représentants des minorités ethniques et autres, même les moins nombreuses, alors que le processus électoral serait moins susceptible d'assurer la représentation de ces dernières.

   B. Propositions pour un Sénat élu

Les premières propositions tendant à l'élection du Sénat s'accordent sur cette nécessité pour l'exercice légitime du pouvoir, et certaines comportent une revendication expresse à cet égard. Dans son rapport de 1985, par exemple, le comité spécial de l'Alberta prétend que seul un Sénat élu directement jouirait de la légitimité nécessaire et serait en mesure d'exercer pleinement les pouvoirs politiques et législatifs importants qu'il faut pour apporter une contribution valable au Parlement canadien(11). Le Comité Molgat-Cosgrove épouse un point de vue semblable dans son rapport de 1984 lorsqu'il affirme que l'objectif primordial d'une meilleure représentation régionale ne peut être atteint que grâce à une réforme qui « garantit que les sénateurs auront plus d'autorité politique »(12).

L'hypothèse qui lie intimement la légitimité de la représentation au fait d'être élu fonde aussi les propositions de la Commission Macdonald en 1985, laquelle s'exprime ainsi :

Le Sénat fait partie du Parlement et le Parlement est avant tout un organisme représentatif. C'est pour cette raison [...] que nous nous joignons à ceux qui prétendent que le Sénat devrait être un organe élu(13).

En 1992, le Comité Beaudoin-Dobbie s'appuie expressément sur les arguments favorables à l'élection, contenus dans les propositions du début et de la fin des années 80. Voici sa conclusion :

Si nous voulons une institution forte et efficace pour rendre le gouvernement central sensible aux besoins des régions, il faut lui donner la légitimité que lui assure l'élection directe(14).

   C. Le projet de Charlottetown

Le projet de Charlottetown accordait aux gouvernements provinciaux le choix entre deux modes de sélection des sénateurs : l'élection par la population des provinces ou par les assemblées législatives provinciales(15).

La première option — l'élection directe par la population des provinces — figure dans les propositions importantes de réforme du Sénat depuis le début des années 80. Comme elles, elle tient pour acquis que pour être efficace, un Sénat réformé doit pouvoir participer activement au processus législatif, c'est-à-dire modifier de temps à autre les projets de loi de la Chambre des communes ou les rejeter. Les sénateurs élus au suffrage provincial auraient suffisamment de légitimité pour agir de la sorte.

La seconde option — l'élection par les assemblées législatives provinciales — a été ajoutée dans les dernières étapes de la négociation afin d'obtenir l'accord du Québec. Un Sénat conforme à l'Accord de Charlottetown comporterait sans doute, par conséquent, deux catégories de sénateurs : les membres élus par voie indirecte, provenant (au moins) du Québec, et les membres élus directement par la population des autres provinces.

Afin de concilier les deux façons de concevoir la représentation sénatoriale découlant de l'Accord de Charlottetown, on peut prétendre que les assemblées législatives (du moins celle du Québec) représentent la population de la province dans les questions tant d'intérêt national que provincial. En l'occurrence, les sénateurs élus indirectement auraient même qualité que leurs collègues élus directement pour représenter les habitants de leur province dans des questions de compétence fédérale. On peut donc affirmer qu'un Sénat conforme aux dispositions de l'Accord de Charlottetown représenterait la population des provinces selon deux modes de sélection mais non deux modes de représentation.

Par contre, on peut se rendre à l'argument invoqué dans d'autres propositions récentes, qui établit une importante distinction entre le fait de représenter les assemblées législatives ou les gouvernements provinciaux (mandatés pour traiter de questions de compétence provinciale) et celui de représenter la population des provinces dans la prise de décisions d'intérêt national. L'acceptation de cette distinction pousse à mettre en doute la légitimité de sénateurs élus indirectement, en particulier lorsqu'il s'agit de voter une loi fédérale hors du champ de compétence des provinces. De manière plus générale, la légitimité de sénateurs élus indirectement semble inévitablement mise en doute par la justification donnée à l'élection directe d'autres sénateurs.

En pratique, le caractère représentatif de sénateurs élus indirectement déprendrait en partie du mode d'élection retenu. Ils pourraient être choisis selon un processus garantissant que les sénateurs d'une province reflètent sa diversité politique. Par contre, si cette fonction devait relever entièrement de la majorité gouvernementale, ces sénateurs risqueraient de n'être que les porte-parole du gouvernement provincial. L'Accord de Charlottetown n'interdit aucune de ces possibilités. La représentation des populations provinciales au Sénat pourrait donc être de nature fort diverse.

   D. Commentaire

La grande nouveauté des propositions pour le choix des sénateurs réside dans le penchant en faveur du régime d'élection plutôt que de nomination, qui se dessine résolument dès le début des années 80. Il ne faut pas y voir le résultat de la révélation soudaine du rapport entre élection et légitimité. Ce lien allait de soi pour les auteurs des propositions prévoyant la nomination, qui voyaient dans ce mode de sélection le moyen d'atteindre les résultats escomptés sans mettre en péril le gouvernement responsable. Par conséquent, il a dû se passer quelque chose d'autre que la reconnaissance de l'existence d'une relation entre élection et légitimité, au début des années 80, pour renverser la vapeur en faveur d'un Sénat élu. Nous y reviendrons au moment d'apporter nos conclusions.

SYSTÈMES ÉLECTORAUX

Divers modes d'élection ressortent des propositions antérieures en vue d'un Sénat élu. Pour les justifier, on invoque en général leur aptitude à refléter la diversité de l'opinion politique au sein de l'électorat, leur facilité de compréhension pour les électeurs et la complexité administrative.

   A. Canada West Foundation (1981) (16)

      1. Mode de scrutin

Dans une étude publiée en 1981, la Canada West Foundation propose le vote unique transférable — variante de la représentation proportionnelle, où les électeurs accordent un ordre de préférence aux candidats et où la victoire est acquise, selon une certaine formule, à ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats. L'organisme estime que le choix d'un système électoral doit reposer sur un critère essentiel, c'est-à-dire la mesure où ce système contribue à donner aux sénateurs le rôle de membres d'une chambre vouée à la représentation régionale. Par conséquent, il convient d'écarter notamment les systèmes qui mettraient l'accent sur leur rôle de représentants d'un parti politique.

Les systèmes majoritaires uninominaux, qu'ils aient pour effet d'élire un seul ou plusieurs représentants par circonscription, tendraient à faire élire des groupes de représentants régionaux placés sous la domination d'un parti et seraient donc trop sensibles à l'allégeance politique. De même, comme la plupart des systèmes de représentation proportionnelle dépendent de l'organisation centrale des partis pour l'établissement des listes, ils seraient trop placés sous la coupe de ces derniers et n'accorderaient pas suffisamment d'autonomie aux organisations locales pour le choix des candidats. Cette formule décourage aussi les candidatures indépendantes, facteur tenu pour négatif quand un système a pour objet de favoriser la représentation régionale et non celle des partis.

L'organisme préconise le vote unique transférable parce qu'il permet aux électeurs d'accorder leur appui à des candidats affiliés à un parti ou à un groupe de candidats appartenant à divers partis (ou sans allégeance) et qui seraient choisis en fonction de leurs attributs personnels. Les électeurs pourraient d'autre part choisir les candidats d'une formation particulière. Ce système inciterait les candidats à des prises de position personnelles. Les auteurs de l'étude font valoir que la complexité du système ne l'a pas empêché de fonctionner dans des pays comme la République d'Irlande, et qu'il pourrait être adopté au Canada.

      2. Circonscriptions

La Canada West Foundation recommande en outre d'étendre la circonscription à l'échelle de la province. La subdivision provinciale exigerait que les circonscriptions sénatoriales soient redistribuées après chaque recensement décennal, et les électeurs s'en trouveraient confondus. Fondamentalement, le fait d'avoir une circonscription par province soulignerait la différence entre le rôle des députés qui représentent des localités, et celui des sénateurs qui devraient représenter les intérêts régionaux.

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

La Canada West Foundation préconise la simultanéité des élections au Sénat et à la Chambre des communes, du fait que les sénateurs sont censés être des porte-parole régionaux dans des questions d'intérêt national. Si les élections sénatoriales coïncidaient avec les élections provinciales, les campagnes provinciales tendraient à prendre le dessus et à réduire la crédibilité des sénateurs en matière d'intérêt national. Étant donné aussi que certaines provinces n'ont pas les mêmes partis aux niveaux provincial et fédéral, la simultanéité des élections sénatoriales et provinciales risquerait de confondre les électeurs. En outre, le Sénat devrait ajourner ses travaux pour la tenue d'élections provinciales qui obligeraient les sénateurs à s'absenter pour faire campagne (ou à renoncer à démissionner). Bien que des élections distinctes offrent certains avantages (comme celui d'attirer l'attention sur les questions régionales), elles provoqueraient un surcroît de dépenses et des ennuis pour le public.

   B. Le Rapport Molgat-Cosgrove (1984) (17)

      1. Mode de scrutin

Le rapport Molgat-Cosgrove préconise des circonscriptions uninominales et le scrutin majoritaire parce que, d'abord, la représentation proportionnelle en vertu de laquelle les candidats sont élus d'après une liste dressée par leur parti politique accentuerait la dépendance des candidats à l'égard du parti. Il serait alors plus difficile pour les sénateurs d'adopter une attitude non partisane au Sénat, et la probabilité que lors des votes, les intérêts du parti prennent préséance sur ceux de la région s'en trouverait accrue. Les auteurs du rapport font aussi valoir qu'il s'agit d'un système inédit pour la plupart des Canadiens et que pour les électeurs, son fonctionnement ne serait pas apparent. Cela pourrait par conséquent miner la légitimité d'un Sénat réformé.

      2. Circonscriptions

Selon le rapport Molgat-Cosgrove, les circonscriptions uninominales devront être établies avec soin en tenant compte des facteurs géographiques, communautaires, linguistiques et culturels afin qu'elles englobent des collectivités naturelles. Pour ce comité, le caractère souhaitable de cette formule saute aux yeux.

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

Le rapport Molgat-Cosgrove propose le renouvellement du Sénat par tiers tous les trois ans. Les élections se tiendraient à date fixe. Selon le rapport, les élections distinctes sont préférables parce que si elles devaient coïncider avec les élections nationales, la campagne en vue d'élire le gouvernement serait à l'avant-plan, tandis que des élections sénatoriales séparées accorderaient plus d'autorité aux sénateurs comme représentants régionaux. Elles donneraient également de meilleures chances de succès à des candidats sans parti.

   C. Le comité spécial de l'Alberta (1985) (18)

      1. Mode de scrutin

Le comité spécial de l'Alberta recommande le scrutin majoritaire uninominal et une circonscription plurinominale par province. Selon le comité, ce système a l'avantage d'être fidèle à la tradition électorale canadienne. L'élection des sénateurs serait un changement assez radical en soi sans qu'on mette aussi à l'essai un autre mode de scrutin. Le comité fait en outre valoir que diverses provinces ont essayé puis écarté la représentation proportionnelle.

      2. Circonscriptions

Le comité préconise des circonscriptions à l'échelle de chaque province parce qu'avec des circonscriptions plus petites, il serait plus difficile de distinguer les sénateurs des députés; par ailleurs, les provinces seraient mieux représentées en tant que telles par des sénateurs qui ne sont pas associés à des localités ou distraits par des préoccupations à caractère local.

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

Pour le comité albertain, les élections sénatoriales devraient se dérouler en même temps que les élections provinciales. Le comité fonde son argument sur la prééminence que prennent les perspectives provinciales dans l'attention du public lors des élections provinciales, prééminence qui serait décuplée dans les élections sénatoriales. Le comité soutient aussi que si les élections au Sénat coïncident avec celles de la province, les liens qui unissent les sénateurs aux partis politiques fédéraux s'en trouveront réduits, de sorte que les sénateurs seront sans doute plus portés à défendre les intérêts de leur région que la position de leur parti politique.

   D. La Commission Macdonald (1985) (19)

      1. Mode de scrutin

La Commission préconise la représentation proportionnelle afin de redresser la tendance que comporte le scrutin majoritaire uninominal à sous-représenter les partis minoritaires. Elle souligne combien il est fréquent, à la Chambre des communes, que des partis ne fassent élire que très peu de députés dans certaines régions bien que leur vote populaire, dans ces dernières, ne soit pas tellement inférieur à celui des partis victorieux. Il peut en résulter des cabinets où certaines régions ne sont pas représentées adéquatement. Les circonscriptions sénatoriales relativement vastes prévues dans les propositions de réforme auraient en outre pour effet d'exagérer ces distorsions si le système électoral était celui du scrutin majoritaire uninominal. Dans ces conditions, la réforme du Sénat pourrait faire reculer la représentation.

La Commission reconnaît que souvent, l'élection des sénateurs par mode de représentation proportionnelle n'accorderait pas la majorité des sièges au parti politique qui serait majoritaire à la Chambre. Pour régler ce problème, il s'agirait essentiellement de réduire les pouvoirs du Sénat de manière à ce que la Chambre soit prépondérante. Avec un système électoral distinct, les sénateurs pourraient, aux yeux des Canadiens, faire concurrence aux députés en matière de légitimité, ce qui pourrait à la longue avoir des conséquences intéressantes.

      2. Circonscriptions

La Commission Macdonald recommande des circonscriptions électorales à six sièges, nombre suffisant pour que le système de représentation proportionnelle puisse fonctionner.

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

Le rapport de la Commission Macdonald prévoit que les élections au Sénat et à la Chambre se tiennent en même temps. Selon le rapport, cette simultanéité réduirait le danger de contrastes majeurs dans la composition des partis au sein des deux institutions, et donc toute « paralysie » découlant du fait que la Chambre, dominée par les députés d'un parti, devrait affronter un Sénat dominé par les représentants d'un autre parti.

   E. Le Rapport Beaudoin-Dobbie (1992) (20)

      1. Mode de scrutin

Le Comité Beaudoin-Dobbie recommande un système de représentation proportionnelle où a) les partis présentent leurs listes de candidats; b) des candidats indépendants peuvent se présenter; c) les partis font la promotion de l'égalité des sexes et de la représentation de la diversité canadienne et d) les électeurs peuvent élire des candidats inscrits sur l'une ou l'autre liste des partis. Le Comité justifie ainsi sa position : la composition des partis au Sénat risquerait moins d'être la copie conforme de celle de la Chambre; cela donnerait un reflet plus fidèle des préférences que les électeurs des diverses régions accordent aux partis politiques et éviterait de transformer le vote régional en un bloc monolithique de sénateurs du même parti, et les minorités s'en trouveraient mieux représentées.

      2. Circonscriptions

Le Comité Beaudoin-Dobbie fait valoir que les circonscriptions aux dimensions très vastes éloignent les candidats des électeurs et accentuent l'allégeance partisane de ces derniers. D'autre part, les candidats dépendent davantage de l'aide offerte par les partis, ce qui favorise les vedettes et crée des obstacles aux candidatures indépendantes. Le Comité recommande donc que les circonscriptions ne soient pas plus grandes que ne l'exige le bon fonctionnement de la représentation proportionnelle, soit des circonscriptions plurinominales d'au moins quatre sièges.

      3. Tenue du scrutin et durée du mandat

Le Comité Beaudoin-Dobbie recommande un mandat fixe et des élections distinctes de celles de la Chambre des communes et des assemblées législatives provinciales. À son avis, les décisions concernant le moment du scrutin et la durée du mandat doivent avoir pour critère principal de porter au maximum l'efficacité de la représentation régionale, et des élections distinctes dissocieraient le Sénat de la Chambre, elles seraient de nature moins partisane et le comportement législatif des sénateurs dépendrait moins d'un parti pris politique.

Le Comité s'oppose aux mandats échelonnés parce que cela réduirait le nombre de sénateurs à élire à chaque fois et nuirait au fonctionnement de la représentation proportionnelle. Elle recommande de fixer à six ans la durée du mandat non échelonné afin d'éviter que les sénateurs ne soient isolés de leurs électeurs comme dans le cadre de systèmes où le mandat dure plus longtemps.

   F. Le projet de Charlottetown (1992)

L'entente de Charlottetown ne prévoit pas de système électoral pour le Sénat proposé. Elle recommande simplement la tenue d'élections simultanées au Sénat et à la Chambre et veut que la législation électorale fédérale soit « suffisamment souple » pour permettre aux provinces et aux territoires de favoriser l'égalité des sexes parmi leurs cohortes de sénateurs(21).

Comme il n'y a pas de système électoral de proposé, on ne saurait dire quels arguments des propositions antérieures pourraient s'appliquer à l'Accord de Charlottetown. Il est toutefois à signaler que trois grandes raisons ont déjà été invoquées pour justifier la simultanéité des élections au Sénat et à la Chambre : l'économie (cela coûterait moins cher que des élections séparées); le caractère pratique (on éviterait les problèmes associés à l'élection de sénateurs par cohortes provinciales — ou par cohortes particulières — pendant que siège le Parlement); la justesse des thèmes (les sénateurs seraient élus dans le contexte d'une campagne menée par les partis sur des questions d'intérêt national plutôt que dans celui d'élections provinciales portant sur des questions d'intérêt provincial).

En matière de simultanéité, l'entente de Charlottetown ne fait pas d'exception pour les provinces dont les sénateurs seraient élus par l'assemblée législative. À cet égard, la troisième justification mentionnée ci-dessus (les questions d'intérêt national) pourrait revêtir une importance particulière. Le fait que des assemblées législatives choisissent les sénateurs provinciaux lors d'une campagne électorale nationale pourrait contribuer à donner à cette sélection un sens fédéral et atténuer les préoccupations éventuelles (évoquées dans la section précédente) au sujet de la représentativité des sénateurs de cette catégorie.

   G. Commentaire

Les préoccupations relatives à la partisanerie au sein d'un organisme censé représenter les intérêts régionaux ont donné lieu à des approches différentes touchant la conception du système électoral dans les propositions récentes en vue de réformer le Sénat.

Pour la Canada West Foundation et le Comité Molgat-Cosgrove, le fait que les sénateurs votent selon leur allégeance politique nuirait à la défense des préoccupations et des intérêts régionaux; c'est pourquoi selon eux, il faut trouver le moyen de réduire l'importance des partis au sein de la politique sénatoriale.

Le comité spécial de l'Alberta adopte une perspective quelque peu différente. Tout en voulant soustraire les sénateurs à l'influence des partis politiques nationaux, il semble tenir pour acquis que leur allégeance envers les partis provinciaux favoriserait la défense des intérêts et des préoccupations des provinces.

La Commission Macdonald est d'avis contraire. Elle soutient qu'au Canada, les partis politiques sont des instruments de représentation importants et profondément enracinés et qu'on devrait, dans le cadre d'un Sénat réformé, s'en prévaloir afin de rehausser la représentation régionale au lieu de chercher à réduire leur influence.

Le rapport Beaudoin-Dobbie n'aborde pas cette question de front. Toutefois, il souligne la valeur de la représentation proportionnelle en faisant la distinction entre la composition du Sénat et celle de la Chambre. Pour le Comité, le choix d'un système électoral repose sur un élément décisif, la capacité qu'a ce dernier d'assurer la représentation proportionnelle tout en reflétant fidèlement les préférences partisanes. Le Comité n'aurait pas pris cette position s'il avait pensé que dans un Sénat réformé, les allégeances partisanes auraient été estompées.

Étant donné que l'Accord de Charlottetown ne recommande pas de système électoral, celui-ci ne vient donc pas confirmer la tendance, quoique légère, à favoriser les partis politiques au lieu de remplacer l'allégeance au parti par l'allégeance à la région. La manière dont cette question sera réglée demeure toutefois primordiale pour la crédibilité d'un Sénat qui aurait pour mission, à l'avenir, d'accroître la représentation régionale.

RÉPARTITION DES SIÈGES

   A. Propositions pour un Sénat nommé

Beaucoup de propositions faites au cours des années 60 et 70 en vue d'un Sénat réformé où les sénateurs seraient nommés prévoyaient une nouvelle répartition des sièges. Elles étaient cependant avares d'explications à cet égard. On semble tenir pour évidente la nécessité de redistribuer les sièges de façon à tenir compte de la croissance démographique des provinces de l'Ouest, pourvu que la formule demeure acceptable aux autres sur le plan politique. Les répartitions du tableau ci-dessous témoignent de cette hypothèse.

 

Rapport Molgat- McGuigan

Projet de loi C-60

Rapports de l'Ontario (1980)

Livre beige

Rapport Lamontage

Rapport Pepin- Robarts

Ontario

24 24 26        20 24       12

Québec

24 24 30        20 24       12

C.-B.

12 10 12 9 12 8

Alberta

12 10 10 8 12 6

Sask.

12           8           8 5 10 4

Manitoba

12           8           8 5 10 4

N.-É.

10 10 10 4 10 4

N.-B.

10 10 10 4 10 4

T.-N.

          6           8           6 3             8 4

Î.-P.-É.

          4           4           4 2             8 2

T. N.-O.

          2           1           1 *             1 0

Yukon

          2           1           1 *             1 0

Total

      130       118       126        80         126       60

* Le Livre beige ne donne cette répartition qu'à titre d'illustration, afin d'établir des proportions. Il prévoit le droit de vote plein et entier pour les territoires mais sans en préciser le nombre de sièges.

Dans sa proposition de 1978, le gouvernement de la Colombie-Britannique estimait que l'égalité de la représentation régionale constituait la meilleure base pour la répartition des sièges au Sénat mais qu'il fallait reconnaître l'émergence de cette province en tant que région et en tenir compte. Par contre, il ne présentait pas de répartition numérique.

   B. Propositions pour un Sénat élu

Les propositions les plus récentes en vue d'un Sénat élu se divisent en deux groupes en fonction du critère employé pour la répartition. Celles du premier groupe tendent à modifier la répartition actuelle selon la réalité démographique qui s'est transformée depuis 1867. Celles du second groupe proposent un nombre égal de sièges par province. Le tableau suivant fait ressortir le contraste entre les deux groupes.

 

Rapport Molgat- Cosgrove

Rapport de la Commission Macdonald

Rapport de la Can-West Foundation*

Rapport du comité spécial de l'Alberta

Rapport Beaudoin- Dobbie**

Situation actuelle***

Ontario

24 24 6-10 6 30 / 20        24

Québec

24 24 6-10 6 30 / 20        24

C.-B.

12 12 6-10 6 18 / 12 6

Alberta

12 12 6-10 6 18 / 12 6

Sask.

12 12 6-10 6

     12 / 8

6

Manitoba

12 12 6-10 6

     12 / 8

6

N.-É.

12 12 6-10 6      10 / 8        10

N.-B.

12 12 6-10 6      10 / 8        10

T.-N.

12 12 6-10 6        7 / 6 6

Î.-P.-É.

         6             6 6-10 6        4 / 4 4

T. N.-O.

         4             4           1-2 2        2 / 2 1

Yukon

         2             2           1-2 2        1 / 1 1

Total

     144         144     62-104       64 154/ 109      104

* La proposition fixe une portée et prévoit que toutes les provinces auront le même nombre de sièges.
** La proposition prévoit deux répartitions possibles (une troisième figure dans un rapport
     minoritaire du Parti libéral).
*** Il s'agit de sièges permanents.

      1. Canada West Foundation (1981) et comité spécial de l'Alberta (1985) (22)

La Canada West Foundation s'étend longuement sur ce que serait l'unité géopolitique idéale de la représentation dans un Sénat réformé. Elle affirme que les provinces sont devenues les véritables régions constituantes du Canada et que tout projet de représentation qui ne tiendrait pas compte de cette « réalité politique » serait accueilli à juste titre avec scepticisme par les Canadiens. Selon elle, un grand nombre de régimes fédéraux épousent le principe de la représentation égale, et tout régime qui s'en écarte ne saurait accorder de représentation convaincante ni protéger les intérêts de toutes les régions.

Dans son rapport, le comité spécial de l'Alberta présente des arguments négatifs et positifs en faveur de la répartition égale des sièges entre les provinces. Selon lui, du point de vue négatif, la représentation selon la population ferait du Sénat le double de la Chambre des communes et ne pourrait rétablir l'équilibre entre les positions des provinces. Le comité soutient en outre que la représentation égale des régions repose sur l'hypothèse selon laquelle l'unité constituante est la région. Or, il rejette cette hypothèse parce qu'elle assimile la région à un rassemblement purement « artificiel » de provinces.

La solution retenue — la représentation selon la province — est justifiée pour des raisons analogues à celles qui ont inspiré la Canada West Foundation quatre ans auparavant. Le comité soutient que les Canadiens s'identifient plutôt à leur province qu'à leur région. Il revendique la représentation égale des provinces, seule formule capable, selon lui, d'assurer aux Canadiens un traitement équilibré au sein du gouvernement fédéral.

      2. Comité Molgat-Cosgrove (1984), Commission Macdonald (1985) et
          Comité Beaudoin-Dobbie (1992)
(23)

Les propositions de ces comités et de cette commission s'opposent à l'égalité des provinces au Sénat. Le Comité Molgat-Cosgrove souligne qu'au Canada, le déséquilibre numérique entre les unités constituantes les plus peuplées et les moins peuplées est beaucoup plus prononcé qu'aux États-Unis où, par exemple, l'État le plus peuplé ne renferme qu'environ 10 p. 100 de la population. L'égalité des sièges accorderait une représentation démesurée aux petites provinces. Le comité juge souhaitable une certaine surreprésentation significative, à condition que la répartition soit mieux adaptée à la réalité canadienne et qu'elle repose sur le principe d'égalité pondéré par la démographie.

La Commission Macdonald retient la distribution des sièges prévue dans le rapport Molgat-Cosgrove, mais sans fournir de justification particulière à cet égard.

Le Comité Beaudoin-Dobbie adopte la position de la Canada West Foundation et du comité spécial de l'Alberta, selon laquelle les sièges au Sénat doivent être répartis essentiellement en fonction de la province (ou du territoire) plutôt que de la région. Puisque l'élection des sénateurs au suffrage direct a pour objet de représenter les habitants des diverses provinces, elle estime que la répartition des sièges ne peut faire carrément abstraction du principe de la représentation selon la population. Il faudrait plutôt, à son avis, chercher au moyen de la répartition le juste équilibre entre les exigences de ce principe et le besoin de mieux représenter la population des petites provinces.

Le Comité fait aussi valoir que le fédéralisme ne comporte pas de principe général sur l'égalité des provinces à la Chambre haute et que, pour que pareil principe soit appliqué de façon cohérente lorsque le Sénat est élu directement, il faudrait que les territoires disposent d'un nombre de sièges égal à celui des provinces. Il recommande donc deux formules de répartition qui lui semblent répondre aux objectifs dont doit tenir compte toute distribution des sièges qui répond à un souci de justice envers tout le monde.

   C. Le projet de Charlottetown (1992)

L'entente de Charlottetown prévoit un Sénat où les sièges sont répartis sur la base de l'égalité des provinces; elle accorde à chaque province six sièges et un chacun aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon.

Il y aurait deux fondements à l'adoption de la répartition égale des sièges proposée à Charlottetown pour la réforme du Sénat. Cette disposition pourrait, comme l'ont fait les artisans de la Constitution américaine lorsqu'ils ont adopté la répartition égale des sièges au Sénat, exprimer un intérêt essentiellement politique envers les unités constituantes les moins peuplées(24). Par ailleurs, elle pourrait témoigner d'une conviction quant à l'importance de l'égalité, qu'il s'agisse d'une question de principe ou d'un avantage pratique pour les provinces moins nombreuses.

Bien que l'entente de Charlottetown n'offre pas de justification à l'égalité des sièges, la position suivante figure dans les notes de travail que le gouvernement fédéral a rendues publiques par la suite :

Cette entente respecte et concilie trois visions du Canada, c'est-à-dire l'égalité des citoyens, l'égalité des provinces et l'égalité des communautés linguistiques et culturelles fondatrices française et anglaise(25).

Ces propos laissent entendre que le projet de Charlottetown pourrait signaler un appui aux arguments qui fondaient les propositions antérieures, favorables à l'égalité des provinces, au lieu de constituer simplement un bon geste de la part des provinces les plus peuplées. Cette possibilité se trouve renforcée par l'engagement explicite envers « le principe de l'égalité des provinces », contenu dans la clause Canada proposée dans l'entente de Charlottetown.

   D. Commentaire

Pour constater l'évolution des attitudes touchant la répartition des sièges dans un Sénat réformé, il suffit de comparer le nombre de sièges que prévoyaient pour les régions les propositions antérieures en vue d'un Sénat nommé avec celui des propositions les plus récentes en vue d'un Sénat élu.

Pourcentage des sièges du Sénat accordés aux régions selon deux groupes de propositions

 

Centre

Atlantique

Ouest

Sénat actuel

46 29 23

Propositions pour un Sénat nommé

42 24 34

Propositions pour un Sénat élu

27 32 37

Les propositions des années 60 et 70 pour un Sénat nommé auraient enlevé peu de sièges au centre du Canada pour les attribuer à la périphérie. Elles auraient accru la proportion des sièges de l'Ouest en réduisant davantage celle de la région de l'Atlantique que celle de la région centrale. Par contre, les propositions des années 80 pour un Sénat élu favorisent les régions périphériques aux dépens du centre et font grimper la proportion des sièges attribués tant à la région de l'Atlantique qu'à celle de l'Ouest.

Il convient toutefois de signaler que la tendance apparente à la suppression radicale de sièges dans le centre du Canada n'est pas parfaitement uniforme. Les avant-dernières propositions étudiées en faveur d'un Sénat élu — celles du Comité Beaudoin-Dobbie — attribuent 40 ou 37 p. 100 des sièges à la région du centre, 20 ou 24 p. 100 à celle de l'Atlantique et 39 ou 37 p. 100 à celle de l'Ouest, ce qui produit un résultat très semblable à ceux des premières propositions en faveur d'un Sénat nommé.

L'écart entre les propositions du Comité Beaudoin-Dobbie et les autres projets de réforme récents est peut-être attribuable au fait que cette commission, à l'encontre des autres, critique l'hypothèse selon laquelle il y aurait, en pratique, une différence significative entre une répartition égale des sièges entre les provinces et une autre où les petites provinces jouiraient d'un moins grand degré de surreprésentation. Le Comité Beaudoin-Dobbie soutient que dans un cas comme dans l'autre, les sénateurs d'une seule province ne pourront pas déterminer le cours d'une mesure législative. Leur succès à titre de représentants régionaux (et donc l'efficacité d'un Sénat réformé dans l'exercice de ce rôle) dépendra par conséquent plutôt de leur aptitude à gagner l'appui de sénateurs d'autres provinces et à créer des coalitions interprovinciales au moment du vote que de leur nombre.

POUVOIRS

   A. Propositions pour un Sénat nommé

Les propositions des années 60 et 70 en vue de réformer le Sénat nommé comportent des pouvoirs assez semblables. Celles qui prévoient la nomination par les gouvernements tant fédéral que provinciaux préconisent le veto suspensif qui va de 60 jours, dans le cas du projet de loi C-60, à six mois dans celui du rapport Molgat-Cosgrove(26). Le projet de loi C-60 lance aussi l'idée de la majorité double pour les votes touchant des mesures linguistiques. Il est proposé que ces mesures exigent la majorité des voix des sénateurs francophones, d'une part, et anglophones, d'autre part, et qu'en cas de rejet par le Sénat, les projets de loi de cet ordre aient besoin d'être adoptés ultérieurement par une majorité spéciale de la Chambre pour prendre force de loi.

L'orientation générale des propositions de style « Bundesrat » (nomination par les provinces) ressemble à celle des projets antérieurs. Ces propositions tendent à remplacer le droit de veto inclusif à l'égard des projets de loi par un veto suspensif qui s'accompagnerait, dans certaines d'entre elles d'un veto absolu touchant une catégorie restreinte de projets de loi. La Commission Pepin-Robarts recommande, par exemple, que l'approbation de la Chambre haute ne soit pas obligatoire pour des mesures de compétence exclusivement fédérale; que le veto suspensif puisse s'exercer sur des questions qui relèvent à la fois du gouvernement fédéral et des provinces; et que l'approbation de la Chambre haute soit nécessaire à l'égard de traités touchant des questions de compétence provinciale ou (à la majorité des deux tiers) pour l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence fédérale(27). L'examen des nominations fédérales, confié à la seconde chambre, constitue aussi une proposition populaire.

La justification de ces pouvoirs concorde avec celle que renferment les propositions les plus récentes. Les propositions en vue de réformer le nommé Sénat tout comme les dernières, en faveur d'un Sénat élu, tendent à remplacer les pouvoirs étendus (bien que normalement peu utilisés) du Sénat actuel par des pouvoirs plus restreints mais dont il se prévaudrait entièrement et qui seraient généralement acceptables.

Dans la plupart des propositions, on fait valoir que les pouvoirs recommandés rendraient le Sénat efficace sans toutefois qu'il devienne en mesure de paralyser le processus législatif ou de compliquer la pratique d'un gouvernement responsable.

Ces thèmes sont repris dans les propositions les plus récentes.

   B. Propositions pour un Sénat élu

      1. Canada West Foundation (1981) (28)

En vertu de ce projet, le Sénat réformé jouirait des pouvoirs suivants :

  • pouvoirs semblables à ceux de la Chambre en matière de projets de loi ordinaires, mais sur lesquels la Chambre aurait préséance par l'exercice d'une majorité spéciale;

  • pouvoir de rejeter les projets de loi de crédits ou de les réviser à la baisse (la Chambre ayant préséance), mais non de les réviser à la hausse ou de présenter pareils projets de loi;

  • pouvoir de ratifier (ou de rejeter) :

  • les modifications à la Constitution,

  • les nominations auprès des commissions, tribunaux ou organismes nationaux,

  • la prolongation de mesures d'urgence au-delà du délai prévu par la Constitution,

  • le recours au pouvoir déclaratoire fédéral, et

  • le recours aux pouvoirs fédéraux de réserve et de désaveu.

Il est aussi proposé que le Sénat ne puisse être saisi d'une motion de défiance ni être en mesure de ratifier les traités avec des pays étrangers ou la nomination des ambassadeurs et des juges de la Cour suprême.

Deux principes sous-tendent les propositions de la Canada West Foundation : d'abord, que le gouvernement ne soit redevable qu'envers la Chambre des communes parce qu'il ne pourrait fonctionner si les deux chambres étaient responsables; ensuite, étant donné qu'un Sénat élu représente la population des provinces et non leur gouvernement, qu'il n'ait pas de pouvoirs spéciaux en ce qui concerne les questions intergouvernementales. Les auteurs du rapport soutiennent que la Chambre haute a pour rôle de veiller à ce que la politique nationale soit sensible aux préoccupations régionales, et qu'elle ne doit pas servir d'« instrument » aux premiers ministres provinciaux qui sont parfaitement capables de défendre leurs intérêts dans les tribunes intergouvernementales. Par conséquent, le Sénat doit, à leur avis, exercer ses pouvoirs à l'égard de projets de loi nationaux, domaine où, à titre d'organisme élu, il jouit de pouvoirs semblables à ceux de la Chambre des communes et qui lui sont nécessaires pour accomplir son rôle fondamental de manière efficace. Ses pouvoirs ne doivent pas se limiter aux questions intergouvernementales (ni y être expressément centrés).

Les auteurs estiment en outre qu'un Sénat élu ne doit pas pouvoir ratifier 1) les traités internationaux (parce qu'au Canada, le gouvernement fédéral n'a pas le pouvoir absolu de conclure des traités); 2) la nomination des ambassadeurs (parce que cette question ne revêt pas un caractère régional particulier) et 3) les nominations à la Cour suprême (parce que les provinces devraient avoir leur mot à dire).

      2. Comité Molgat-Cosgrove (1984) (29)

Il est recommandé qu'un Sénat réformé jouisse des pouvoirs suivants :

  • un veto suspensif de 120 jours de séance qui s'applique à tous les projets de loi sauf ceux de subsides, lesquels ne doivent pas être retardés;

  • le pouvoir de modifier tout projet de loi sauf ceux de subsides (la Chambre des communes pourrait rejeter tout amendement, de telle sorte que la mesure initiale puisse être adoptée après un délai d'au moins 60 jours de séance);

  • le pouvoir de présenter des projets de loi touchant des questions internes (dont le budget du Sénat), alors que les autres projets de loi de subsides ne peuvent émaner que de la Chambre;

  • un veto absolu sur les projets de loi et autres initiatives touchant les langues officielles (au moyen de la double majorité pour la tenue des votes, soit celle de l'ensemble des sénateurs et celle des membres francophones);

  • le pouvoir de ratifier, dans les 30 jours, les nominations par décret auprès des organismes fédéraux dont les décisions ont des répercussions régionales importantes.

Après avoir posé pour principe que le Sénat ne doit pas être une chambre dotée d'un vote de confiance, le Comité Molgat-Cosgrove soutient dans son rapport que le veto absolu sur les projets de loi ordinaires rendrait en fait le gouvernement responsable envers les deux chambres. Le régime parlementaire s'en trouverait profondément compliqué parce que le gouvernement devrait servir deux maîtres (dont les volontés peuvent être, à l'occasion, diamétralement opposées).

Les auteurs du rapport citent l'Australie en exemple pour montrer que le veto absolu risque de paralyser les institutions parlementaires. Ils recommandent le veto suspensif afin d'éviter ce danger et celui de la double dissolution provoquée par le blocage continuel (ce qui multiplierait les consultations électorales).

Pour les auteurs du rapport, le pouvoir de retarder les projets de loi de subsides pourrait paralyser l'administration publique, et comme le Sénat ne doit pas pouvoir renverser le gouvernement, il faut lui refuser le veto même suspensif à l'égard des mesures portant affectation de crédits.

Les auteurs du rapport proposent un veto absolu sur les projets de loi d'intérêt linguistique, de concert avec la double majorité lors du vote, proposition fondée sur la nécessité d'assurer une « protection supplémentaire à la langue et à la culture françaises » — l'une des raisons d'être initiales du Sénat.

      3. Comité spécial de l'Alberta (1985) (30)

Il est recommandé d'accorder au Sénat les pouvoirs suivants :

  • le pouvoir de présenter des projets de loi (à l'exception des projets de loi fiscale ou de crédits, sauf ceux qui touchent le budget de dépenses interne);

  • un veto suspensif de 180 jours à l'égard des projets de loi ordinaires ou des modifications à la Constitution;

  • un veto suspensif de 90 jours à l'égard des projets de loi fiscale ou de crédits;

  • le pouvoir de modifier toute mesure législative (que la Chambre peut outrepasser en adoptant à nouveau la mesure dans une plus forte proportion des voix que la majorité qui a adopté la modification au Sénat);

  • le pouvoir de rejeter tout projet de loi sauf ceux qui portent affectation de crédits (la Chambre peut annuler à la majorité simple le rejet d'un projet de loi fiscale ou de crédits), et

  • le pouvoir de ratifier les traités autres que militaires.

Le comité albertain justifie ses propositions de la même manière que la Canada West Foundation. Il estime que le veto suspensif ne permet pas à lui seul au Sénat d'exercer suffisamment d'influence sur le processus législatif et que si le Sénat devait devenir électif, la raison essentielle de limiter ainsi son pouvoir s'en trouverait supprimée.

La modification de la Constitution n'échappe pas à cet argument. Pour le comité, la formule de modification garantit la protection des intérêts provinciaux, ce qui rend inutile toute protection supplémentaire.

Le pouvoir de ratifier les traités autres que militaires repose sur les incidences socio-économiques que ces derniers peuvent avoir dans certaines provinces. Les traités militaires font toutefois exception à la règle parce que tout retard dans ce domaine peut mettre en péril la sécurité nationale. Selon le rapport, d'autres pouvoirs comme celui de ratifier les nominations à la fonction publique et au sein des tribunaux relèvent plus convenablement « d'autres organismes fédéraux ».

Enfin, le comité albertain soutient que le Sénat a un rôle à jouer afin de protéger les droits linguistiques et culturels et que, pour y parvenir, la plupart des témoins qu'il a entendus étaient favorables à la règle de la majorité double pour la tenue des votes.

      4. Commission Macdonald (1985) (31)

En vertu de ce projet, un Sénat réformé disposerait :

  • d'un veto suspensif de six mois pour toutes les lois ordinaires, et

  • d'un veto absolu sur les questions linguistiques d'importance (qui seraient adoptées à la majorité double, soit la majorité des voix du Sénat ainsi que la majorité des voix des membres francophones).

En déclarant que la réforme du Sénat doit tendre à satisfaire les besoins des régions et à adoucir la règle de la majorité, non à déclasser le principe du gouvernement responsable, la Commission Macdonald soutient que si les pouvoirs actuels du Sénat étaient tous mis en oeuvre, la pratique du gouvernement responsable pourrait s'en trouver gravement compliquée. À son avis, le veto suspensif permettrait au Sénat de contribuer à satisfaire les besoins régionaux, et un veto de six mois serait suffisant pour tenir pleinement compte des points de vue des régions et pour faire patienter des majorités toutes puissantes à la Chambre des communes.

La Commission Macdonald estime en outre que le Sénat peut très bien fonctionner comme chambre régionaliste et dualiste, et que selon ce dernier mode, il peut contribuer à représenter et à concilier les intérêts des Canadiens d'expression française et anglaise. Elle propose un veto absolu sur les projets de loi ayant une importance linguistique (de concert avec la règle de la majorité double lors du vote) comme moyen de permettre au Sénat de s'acquitter de ce second rôle.

      5. Comité Beaudoin-Dobbie (1992) (32)

En vertu de ce projet de réforme, le Sénat pourrait :

  • modifier ou rejeter les projets de loi ordinaires, avec prépondérance accordée à la Chambre des communes en cas de blocage et la double majorité des voix pour les mesures touchant la langue ou la culture française;

  • retarder jusqu'à concurrence de 180 jours l'adoption des projets de loi ordinaires qui seraient tenus pour avoir été adoptés si le Sénat ne s'est pas prononcé dans ce délai;

  • modifier ou rejeter les projets de loi de crédits (avec prépondérance de la Chambre par un vote à la majorité simple), et/ou en retarder l'adoption par un veto suspensif de 30 jours, et

  • ratifier les nominations au poste de gouverneur de la Banque du Canada ainsi qu'à la direction des institutions culturelles nationales et des commissions et organismes de réglementation.

Il est prévu que ces pouvoirs s'exercent de concert avec d'autres éléments de la réforme du Sénat, de manière à défendre efficacement les intérêts régionaux tout en évitant les dangers d'une impasse qui paralyse le Parlement. Pour atteindre cet équilibre, le Sénat jouirait de pouvoirs relativement illimités en vue de modifier ou de rejeter les projets de loi, alors que l'impasse serait écartée grâce à la prépondérance législative et aux contraintes imposées au pouvoir de suspension. Tout au long de son argumentation, la Commission rappelle que son projet s'inscrit dans la lignée des propositions du milieu des années 80 relatives à un Sénat élu.

La Commission justifie sa proposition d'assujettir les projets de loi touchant la langue ou la culture française à la règle de la double majorité lors du vote, par le consensus manifesté à cet égard dans les rapports antérieurs et ressenti parmi les Canadiens. Quant à son projet de doter le Sénat du pouvoir de ratifier les nominations, il repose sur les répercussions importantes des organismes en cause dans toutes les régions du Canada.

   C. Le projet de Charlottetown (1992) (33)

Pour la réforme du Sénat, l'Accord de Charlottetown prévoit les pouvoirs suivants :

  • le pouvoir de suspendre les projets de loi ordinaires jusqu'à concurrence de 30 jours de séance, de les rejeter ou de les modifier ce qui, sauf exception (voir ci-dessous), déclencherait la tenue d'une séance mixte de la Chambre et du Sénat (dont le résultat dépendrait d'un vote à la majorité simple);

  • le pouvoir de suspendre les projets de loi traitant des recettes et des dépenses jusqu'à concurrence de 30 jours civils, de les rejeter ou de les modifier (la Chambre pourrait les adopter de nouveau au moyen d'un vote à la majorité simple);

  • le pouvoir de modifier ou de rejeter, par un vote à la majorité double (celle des sénateurs participant au vote et celle des sénateurs francophones participant au vote), les projets de loi touchant de façon importante à la langue ou à la culture française (sans que la Chambre ne puisse renverser la décision);

  • le pouvoir de modifier ou de rejeter, à la majorité simple, des projets de loi supposant « des changements d'orientation fondamentaux du régime fiscal liés aux ressources naturelles » (sans que la Chambre ne puisse renverser la décision);

  • le pouvoir de présenter des projets de loi, à l'exception des projets de loi de crédits, et

  • le pouvoir, établi dans un futur projet de loi, de ratifier les nominations fédérales après un délai maximum de 30 jours de séance de la Chambre.

En matière de pouvoirs sénatoriaux, le projet de Charlottetown établit certaines distinctions entre les mesures législatives et tente d'accorder ces pouvoirs aux diverses catégories.

Il s'agit d'une approche prometteuse pour assurer au Sénat une influence relative sur le sort des projets de loi fédéraux d'un certain ordre tout en faisant en sorte que la Chambre ait préséance dans d'autres domaines. Bien que cette approche soit défendable dans l'ensemble, du fait qu'elle maintient la suprématie de la Chambre basse, il convient aussi de justifier les pouvoirs consentis à l'égard des catégories particulières de projets de loi. Nous verrons ci-dessous, dans notre conclusion, que certaines de ces catégories peuvent servir d'indice aux aspirations que les artisans de l'Accord de Charlottetown souhaitaient combler en ce qui concerne le Sénat.

Les pouvoirs proposés dans l'Accord de Charlottetown comportent un autre élément digne d'intérêt : le recours aux séances mixtes de la Chambre et du Sénat comme ultime moyen pour décider du sort de la plupart des projets de loi. En vertu de cette formule, les sénateurs jouiraient d'un pouvoir considérable dans le cas d'un gouvernement minoritaire ou ne possédant qu'une faible majorité, mais leur influence serait réduite dans celui d'un gouvernement fortement majoritaire. Le Sénat étant moins nombreux, il serait incapable, en séance mixte, de contrecarrer une puissante majorité gouvernementale à la Chambre, même si le résultat d'un vote pris au Sénat différait sensiblement de celui de la Chambre.

Cette proposition qui aurait pour effet de revêtir le Sénat d'une influence différente selon la majorité que possède le gouvernement pourrait se défendre en vertu de la nécessité de restreindre de façon particulièrement rigoureuse le pouvoir d'un gouvernement mal soutenu à l'échelle nationale ou qui n'a peut-être qu'un support minime dans certaines régions minoritaires, lorsqu'il s'agit d'adopter des mesures touchant ces régions. On peut par contre soutenir que telle est déjà la situation des gouvernements minoritaires ou à faible majorité, et qu'un Sénat conforme à l'entente de Charlottetown serait le moins efficace dans les situations où il devait être le plus utile, celles des gouvernements fortement majoritaires à la Chambre.

   D. Commentaire

En matière de pouvoir, la tendance la plus précise qui se dégage des projets de réforme présentés au cours des trois dernières décennies est l'accroissement progressif du pouvoir législatif dont le Sénat a besoin pour être efficace. De façon générale, les propositions antérieures en faveur d'un Sénat nommé préconisent le veto suspensif, accompagné parfois d'un délai, pour rendre le processus législatif fédéral plus sensible aux intérêts des régions. Dans celles qui s'inspirent du Bundesrat, le veto absolu à l'égard de catégories très précises de projets de loi qui mettent en cause la compétence des provinces vient s'ajouter au veto suspensif ou, dans certains cas, le remplacer. À quelques exceptions près, les propositions en vue d'un Sénat élu élargissent le champ d'application de son veto suspensif mais font en sorte que la Chambre basse conserve sa prépondérance et reste dépositaire du gouvernement responsable.

Le renforcement de pouvoir le plus significatif qui ressorte des projets tendant à l'élection du Sénat concerne toutefois des catégories précises de mesures législatives. L'une d'elles, touchant les langues officielles du Canada, est proposée dès 1978 dans le projet de loi C-60, bien que la disposition accorde aussi à la Chambre des communes le pouvoir de renverser le veto absolu du Sénat au moyen d'une majorité spéciale. Tous les projets des années 80 en vue d'un Sénat élu, sauf celui de la Canada West Foundation, préconisent le veto absolu du Sénat à l'égard des projets de loi relatifs aux langues officielles (ou à la langue et à la culture françaises), assorti de la majorité double lors du vote et sans que la Chambre des communes ne puisse renverser la décision.

L'entente de Charlottetown prévoit aussi des pouvoirs particuliers en ce qui concerne la langue et la culture françaises et reprend les distinctions, devenues d'usage, entre les projets de loi ordinaires, les projets de loi de crédits et la ratification des nominations, mais elle établit une nouvelle catégorie, celle des projets de loi de politique fiscale en matière deressources naturelles. Dans ce domaine, le Sénat aurait prépondérance sur la Chambre des communes puisque l'entente ne prévoit pas que celle-ci puisse renverser le veto sénatorial.

Ce projet tendant à consentir à l'Alberta l'essentiel de ce qu'elle revendique sous l'égide du mouvement en faveur du Sénat « triple E » représente une étape importante dans l'évolution qui cherche peu à peu, ainsi qu'en témoignent les projets antérieurs, à accroître les pouvoirs du Sénat. Il laisse aussi entrevoir la possibilité de dispositions analogues dans des secteurs qui revêtiraient pour d'autres régions une importance cruciale. Qu'un futur projet de réforme réclame à son tour pour le Sénat un droit de regard sur la politique fiscale en matière de ressources naturelles, et on ne tardera pas, à moins de réussir à établir que ce domaine constitue un cas unique en soi, à ressentir de vives pressions en vue de créer une catégorie particulière pour les projets de loi relevant d'un autre domaine.

OBJECTIFS ET ASPIRATIONS : QUELQUES CONCLUSIONS PROVISOIRES

Dans l'ensemble, les projets de réforme du Sénat canadien n'ont fait qu'effleurer l'objet même de l'existence du Sénat pour passer aussitôt aux questions de détail. Un domaine d'importance primordiale n'a donc pratiquement pas été exploré, celui des problèmes que la réforme du Sénat devrait résoudre et des aspirations qui ont animé les artisans de ces projets. Dans la conclusion que voici, nous nous penchons sur les objectifs que les divers projets de réforme étaient censés réaliser afin de jeter un éclairage sur les aspirations et les hypothèses des réformateurs du Sénat.

   A. Propositions pour un Sénat nommé

      1. Modèles de nomination mixte

D'après le rapport Molgat-McGuigan publié en 1972, des facteurs comme l'aliénation de certaines régions, l'émergence du séparatisme ailleurs et l'inquiétude devant la domination des provinces centrales renforcent les thèses traditionnelles en faveur d'un Sénat qui soit représentatif des régions(34). En 1978, le projet de loi C-60 adoptait une approche semblable. L'objectif envisagé pour la Chambre haute était de représenter les provinces et les régions et de protéger leurs intérêts(35).

Pour les auteurs de ces projets, des sénateurs nommés sont à même d'exercer suffisamment d'influence sur le processus législatif pour être perçus comme les représentants efficaces des régions grâce au simple pouvoir du veto suspensif. Pour être efficace, la représentation régionale ne semblait donc avoir besoin que d'une modification relativement légère du statu quo. La simplicité des intentions et des aspirations se laisse encore deviner par le peu d'ampleur de la redistribution des sièges (signe peut-être qu'un semblant de pouvoir suffirait aux régions périphériques), et du fait que le gouvernement fédéral continuerait à nommer la moitié des sénateurs.

Le caractère mixte de la nomination laisse entendre que ces modèles ne conçoivent pas la représentation régionale comme l'objectif principal du Sénat. Ces derniers auraient sans doute eu pour effet de modifier légèrement au Sénat même (et par conséquent au sein du processus législatif) la pondération des perspectives fédérales et provinciales. Ils n'auraient pas transformé le Sénat en défenseur d'une seule et unique cause à Ottawa, celle des intérêts régionaux. Cette nécessité ne s'était pas encore vraisemblablement imposée.

      2. Nomination par les provinces

La représentation régionale acquiert de l'importance en tant qu'objectif particulier du Sénat dans les propositions qui confieraient aux provinces le soin de nommer les sénateurs. En 1979, la Commission Pepin-Robarts fait valoir, par exemple, qu'un conseil nommé par les gouvernements provinciaux pourrait conjuguer la représentation des intérêts régionaux et l'institutionnalisation du fédéralisme exécutif; les membres de ce conseil pourraient servir d'instrument de leur gouvernement provincial dans des questions relevant de la compétence des provinces(36). Dans son Livre beige publié en 1980, le Parti libéral du Québec adopte une position analogue; il estime que l'interdépendance fonctionnelle accrue entre les niveaux de gouvernement crée la nécessité d'une institution par laquelle les provinces pourraient influer sur les initiatives fédérales qui mettent en cause leur compétence(37).

Dans certains des projets prévoyant la nomination par les provinces, l'équation entre représentation régionale et représentation provinciale est explicite. Ainsi, le gouvernement de la Colombie-Britannique soutient, dans son rapport de 1978, que l'objectif énoncé en toutes lettres par les Pères de la Confédération était de représenter les intérêts des provinces lors de l'adoption de lois nationales(38). Il reproche au Sénat de ne pas s'être acquitté comme il se devait de cette fonction.

L'abandon du modèle des nominations mixtes en faveur des nominations provinciales ainsi que le rôle dévolu aux gouvernements provinciaux (dans plusieurs de ces projets) pour la sélection des sénateurs révèlent un déplacement sensible de l'objectif sous-jacent du Sénat. La formule du "Bundesrat" n'offre pas de contrepoids à la représentation régionale. Celle-ci constitue la fin première et les autres objectifs sont parfaitement secondaires. Par ailleurs, la représentation régionale est nettement synonyme de représentation provinciale, ce qui équivaut, dans ces modèles, à la représentation des gouvernements plutôt que de la population des provinces.

Deux éléments viennent atténuer la portée que pourrait avoir le Sénat nommé par les provinces : les sénateurs nommés ne jouissent (dans la majorité des projets) que d'un veto suspensif et l'augmentation de leur pouvoir à ce titre (suspension plus longue et, dans certains cas, veto absolu) est confinée à des catégories de lois fédérales qui touchent à la compétence des provinces. Ces facteurs et le fait que la redistribution des sièges, lorsqu'elle est importante, enlève des sièges aux provinces de l'Atlantique pour les donner à celles de l'Ouest au lieu de priver les grosses provinces au profit des petites sont révélateurs du sens qu'aurait pris la représentation régionale dans un Sénat formé selon le modèle du Bundesrat.

En pratique, la « représentation régionale » se serait résumée à une faible hausse de l'influence collective des gouvernements provinciaux dans le régime législatif fédéral. L'influence provinciale en matière de lois fédérales ayant une incidence sur la compétence des provinces aurait toutefois été plus sensible. Mais le nombre relatif de sénateurs provenant du centre du Canada et des régions « périphériques » n'aurait pas été fortement modifié (malgré un déplacement de poids de l'Est vers l'Ouest dans la représentation).

Comme pour les modèles de nomination mixte, le sens de la « représentation régionale » qui découle des modèles inspirés du Bundesrat nous renseigne sur ce qui paraissait nécessaire à leurs créateurs. Le principal problème réside à leurs yeux dans le peu d'influence que les gouvernements des provinces, grandes et petites, sont en mesure d'exercer à Ottawa. Essentiellement, on pensait pouvoir régler les problèmes causés par le sentiment d'aliénation ou d'exclusion éprouvé par la population des régions en accordant plus d'influence aux provinces, surtout en ce qui concerne les effets des lois fédérales touchant la compétence provinciale.

   B. Propositions pour un Sénat élu

Les propositions ultérieures tendant à l'élection des sénateurs continuent à présenter comme raison fondamentale de la réforme du Sénat la nécessité de rehausser la représentation régionale. Fait intéressant, certains projets définissent ce qu'est la représentation régionale et expliquent pourquoi elle est nécessaire. Leurs auteurs étaient sans doute conscients de s'écarter de la tradition et d'exprimer sur l'objectif du Sénat une notion nouvelle et susceptible de porter à controverse.

Selon l'étude de 1981 parrainée par la Canada West Foundation, à l'origine, le Sénat a été créé pour assurer la représentation régionale mais il n'y est pas parvenu car, étant nommé, sa légitimité s'est trouvée compromise. Les auteurs soutiennent en outre que les quatre divisions prévues dans la Loi constitutionnelle de 1867 ne sont pas suffisamment unies par des liens d'association historique, de culture et de ressemblances économiques ou géographiques pour former autre chose que des régions arbitraires; la représentation régionale doit donc être assimilée à la représentation provinciale. Par conséquent, pour le rendre conforme à son principe initial, le Sénat doit être réformé afin qu'il assure une représentation fondée sur la province(39).

Dans le rapport de 1984 du Comité Molgat-Cosgrove, le rapport du comité spécial de l'Alberta de 1985 et le rapport de la Commission Macdonald, la même année, on invoque essentiellement le même argument. L'objectif principal du Sénat est la représentation régionale, qui équivaut à la représentation des provinces et non à celle des régions canadiennes traditionnelles. Les trois rapports soulignent que la représentation selon la province ne signifie pas la représentation des gouvernements provinciaux; la représentation au sein du processus législatif fédéral est perçue comme un risque pour le processus intergouvernemental (Comité Molgat-Cosgrove, comité de l'Alberta), et on lui reproche d'utiliser à tort les gouvernements provinciaux au lieu des députés fédéraux et des sénateurs dans le but de représenter les intérêts régionaux à l'égard de questions nationales (Commission Macdonald). Les rapports ne concordent toutefois pas sur la question de savoir si la représentation selon la province exige la représentation égale; le Comité Molgat-Cosgrove et la Commission Macdonald sont d'avis que non(40).

Les observations sur l'objectif du Sénat contenues dans le projet du Comité Beaudoin-Dobbie de 1992 reflètent tant les réflexions présentées dans les études précédentes que les hypothèses sur lesquelles repose le projet que le gouvernement fédéral avait fait connaître en 1991 et que le Comité avait pour mission d'examiner. Essentiellement, celui-ci soutient que la représentation régionale doit être l'objectif primordial du Sénat et que cette représentation doit être améliorée, surtout celle des régions périphériques auprès du gouvernement central, car il s'agit d'un besoin majeur au Canada. Comme il est difficile en raison des différences qui marquent les provinces de représenter de manière satisfaisante les populations provinciales sur la base des régions traditionnelles, la représentation régionale doit être comprise comme la représentation selon la province. Enfin, le Comité estime que les gouvernements provinciaux n'ont pas vraiment le mandat de s'occuper des questions d'intérêt national qui touchent leur population et que la représentation idéale exige, dans le cadre d'un Sénat réformé, que les sénateurs représentent la population plutôt que les gouvernements des provinces(41).

Les dispositions proposées en matière d'organisation dans les projets ci-dessus viennent confirmer les propos touchant l'objectif du Sénat. L'élection des sénateurs, ainsi recommandée, signale une redéfinition du problème de la représentation que doit redresser la réforme du Sénat. L'accent porte maintenant sur la population des provinces et non sur leur gouvernement, et le Sénat est perçu comme un mécanisme institutionnel capable de remédier au sentiment populaire d'aliénation et d'exclusion.

En ce qui concerne la répartition des sièges, les auteurs des projets invoquent l'équité envers les populations des diverses provinces pour justifier leurs recommandations à cet égard, et ils rejettent les revendications fondées sur le traitement des régions traditionnelles. Voilà sans doute pourquoi les projets en cause prévoient une redistribution plus radicale aux dépens du centre du Canada. La plus grande représentativité qu'auraient les sénateurs élus se reflète dans les recommandations des projets ci-dessus touchant leurs pouvoirs qui seraient, de façon générale, supérieurs à ceux qu'envisageaient les propositions antérieures.

Bref, bien que les projets de réforme prévoyant l'élection des sénateurs conservent les termes de « représentation régionale » utilisés traditionnellement pour définir l'objectif de la Chambre haute, ils s'écartent sensiblement de l'idée qu'on se faisait jusqu'ici des fonctions législatives du Sénat. Cet écart se manifeste encore dans le projet de réforme qui fait partie de l'entente de Charlottetown.

   C. Le projet de Charlottetown

Le projet de Charlottetown ne s'étend pas sur l'objectif à atteindre. Un feuillet d'information remis par le gouvernement fédéral en septembre 1992 affirme cependant que la Chambre haute « vise à donner aux régions les moins peuplées un plus grand droit de regard dans l'élaboration des politiques du gouvernement du Canada », et que le Sénat proposé accorderait « aux provinces moins peuplées une plus grande influence au sein du processus législatif »(42).

L'organisation du Sénat prévue dans l'entente de Charlottetown montre que l'objectif sous-jacent est la représentation régionale, assimilée à la représentation des provinces. Les sièges seraient répartis selon les provinces et non selon les régions comme en 1867. La recommandation tendant à accorder à toutes les provinces le même nombre de sièges s'oppose évidemment à la tentative persistante de maintenir un certain degré d'égalité entre les régions traditionnelles, qui caractérisait bon nombre des propositions récentes.

Comme les autres projets de ces dernières années, celui de Charlottetown reflète l'hypothèse que la représentation régionale ne saurait être vraiment efficace que si les représentants peuvent exercer une véritable influence sur le processus législatif. Il prévoit l'élection directe des sénateurs et, donc, une plus grande légitimité pour eux comme représentants des intérêts régionaux.

Le projet de Charlottetown s'écarte des précédents en ce qu'il prévoit, outre l'élection directe, une élection par les assemblées législatives provinciales. Cela offre aux provinces et aux territoires la possibilité de fonder la sélection de leurs sénateurs sur une conception de la représentation régionale qui ressemble à celle des modèles inspirés du Bundesrat alors que dans ses autres aspects, le projet s'appuie sur une conception différente de la représentation régionale. Un Sénat conforme aux dispositions du projet de Charlottetown comporterait donc diverses formes de représentation, ce qui doterait son objectif général de représentation régionale d'une pluralité de sens.

L'idée que l'expression « représentation régionale » englobe des objectifs multiples se trouve renforcée par la manière dont le projet de Charlottetown traite la question des pouvoirs. Ainsi que nous l'avons signalé, un nouveau jalon a été posé du fait que les catégories de lois ont augmenté en nombre et que les pouvoirs législatifs correspondants ont été accrus. En ce qui a trait notamment aux pouvoirs touchant les projets de loi de politique fiscale en matière de ressources naturelles, le projet de Charlottetown donnerait un Sénat plus puissant que celui qui découlerait des autres projets ci-dessus. Par contre, en matière de « lois ordinaires », il semble qu'un Sénat conforme au projet de Charlottetown jouirait d'un peu moins d'influence que ne le prévoyaient d'autres projets récents qui auraient établi des vetos suspensifs de longue durée et/ou exigé de la Chambre des majorités spéciales pour renverser les décisions du Sénat.

Si le modèle de Charlottetown est perçu comme le moyen d'atteindre l'objectif de la représentation régionale, on peut alors dire qu'il ajoute du nouveau aux propositions précédentes. En effet, il laisse plus clairement entendre que l'expression « représentation régionale » évoque des aspirations tellement particulières et divergentes qu'une institution qui traiterait toutes les questions relatives aux régions de la même manière ne parviendrait pas à les satisfaire.

   D. Commentaire

Les projets de réforme du Sénat ont toujours fait ressortir, on l'a vu, la représentation régionale en tant qu'objectif fondamental de la Chambre haute. Toutefois, au-delà de la continuité linguistique, des changements significatifs se sont produits dans les aspirations concrètes. L'objet de la représentation qu'un Sénat réformé devrait assurer est passé des régions traditionnelles du Canada aux Canadiens eux-mêmes sur une base provinciale et, dans la plupart des projets, des gouvernements provinciaux (ou, rarement, des assemblées législatives) à la population des provinces, à l'aide de représentants élus directement.

Ce dernier changement, en particulier, témoigne d'aspirations beaucoup plus élevées au sujet de ce que le Sénat et sa réforme peuvent offrir. La nature même de cette évolution montre que le Sénat soulève de plus fortes aspirations, puisque son rôle dépasse la tribune intergouvernementale où l'auraient confiné en bonne partie les projets inspirés du Bundesrat. Par ailleurs, le ressentiment régional semble s'être constamment aggravé pendant la première moitié des années 80, au moment où la plupart des projets en vue d'un Sénat élu ont été mis au point. Il devenait d'autant plus urgent et difficile de relever par la modification du Sénat, comme le souhaitaient les promoteurs des réformes, le défi posé aux institutions fédérales existantes.

Ce n'est sans doute pas non plus l'effet du hasard si le vent a tourné au début des années 80, quand l'insatisfaction causée par le Programme énergétique national (PEN) était à son comble dans l'Ouest, et que les projets de réforme se sont mis à porter non sur un Sénat nommé et doté de minces pouvoirs mais sur un Sénat élu et jouissant, dans certains cas, de pouvoirs semblables à ceux de la Chambre des communes. Le mouvement en faveur d'un Sénat « triple E », notamment, qui s'est cristallisé autour du projet du comité spécial de l'Alberta de 1985, montre à quel point le rejet du PEN par l'Alberta a jeté une ombre immuable sur la réflexion ultérieure concernant la réforme du Sénat. Quand les défenseurs du Sénat « triple E » emploient les termes familiers de représentation régionale, ils semblent exprimer un souhait tout à fait nouveau, celui que les provinces périphériques puissent empêcher l'adoption de toute loi fédérale qu'ils estiment aller à l'encontre de leurs intérêts profonds.

Ce changement présente peut-être la leçon la plus importante à tirer d'une étude sur l'objectif du Sénat tel qu'il est exprimé par les projets de réforme successifs. Derrière l'affirmation maintes fois reprise selon laquelle cet objectif est la représentation régionale, se cachent des aspirations de plus en plus précises et intenses. Alors qu'au début des années 70, les propositions tendaient à accroître quelque peu une représentation régionale mal définie, elles en sont venues au fil des ans à prévoir des méthodes de plus en plus ambitieuses d'accorder plus d'influence aux citoyens des régions éloignées, celles des provinces de l'Ouest faisant preuve d'une tendance encore plus affirmée à cet égard. Le projet de Charlottetown reflète cette réalité : la divergence est maintenant considérable entre les régions sur ce qu'il faut attendre du Sénat canadien.

Sans pouvoir prédire l'orientation que prendra le débat sur la réforme du Sénat, il est peu probable que les aspirations qui ont propulsé jusqu'ici les projets de réforme tombent d'elles-mêmes. Il est plutôt à prévoir qu'elles vont s'accentuer et que les futurs projets de réforme du Sénat refléteront cette évolution tout en la favorisant.


(1) Janet Marie McCauley, « The Senate of Canada : Maintenance of a Second Chamber Through Functional Adaptability », thèse de doctorat (inédite), Pennsylvania State University, mai 1983, p. 53-54.

(2) C'est ce que prévoyaient un Livre blanc (Gouvernement du Canada, La constitution canadienne et le citoyen, 1969); le projet de loi C-60 déposé en 1978 (en quelque sorte la transposition tardive du Livre blanc en langage législatif); le rapport du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la constitution du Canada, déposé en 1972 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport Molgat-MacGuigan), et le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, déposé en 1980 et intitulé Rapport sur certains aspects de la constitution canadienne (désigné ci-dessous sous le nom de rapport Lamontagne).

(3) Des variations de ce modèle se trouvent dans le rapport de la Colombie-Britannique intitulé Reform of the Canadian Senate, publié à Victoria en 1978 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport de la C.-B.); le rapport de la Commission de l'unité canadienne, Se retrouver : observations et recommandations, déposé à Ottawa en 1979 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport Pepin-Robarts); les rapports de 1978 (premier et second) du comité consultatif de l'Ontario sur la Confédération (désigné ci-dessous sous le nom de rapports de l'Ontario), ainsi que le rapport de la Commission constitutionnelle du Parti libéral du Québec, Une nouvelle fédération canadienne, publié en 1980 (désigné ci-dessous sous le nom de Livre beige). Toutes ces propositions préconisaient un Sénat nommé et révoqué par les provinces, et qui agit selon leurs directives.

(4) Voir, respectivement, Peter McCormick, Ernest C. Manning et Gordon Gibson, Regional Representation : The Canadian Partnership, Canada West Foundation, septembre 1981 (désingé ci-dessous sous le nom de rapport de la Canada West Foundation); Parlement du Canada, Rapport du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la réforme du Sénat, Imprimeur de la Reine, Ottawa, janvier 1984 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport Molgat-Cosgrove); Canada, Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, Rapport, volume III, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1985 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport de la Commission Macdonald); Alberta, rapport du comité spécial de l'Alberta sur la réforme de la Chambre haute, Strengthening Canada : Reform of Canada's Senate, Edmonton, mars 1985 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport du comité spécial de l'Alberta), et Parlement du Canada, Rapport du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur le renouvellement du Canada, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 28 février 1992 (désigné ci-dessous sous le nom de rapport Beaudoin-Dobbie).

(5) Voir Gouvernement du Canada, Bâtir ensemble l'avenir du Canada — Propositions, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1991, p. 17 et suivantes.

(6) Voir Rapport du Consensus sur la Constitution, Charlottetown, 28 août 1992 et Projet de texte juridique, 9 octobre 1992.

(7) Canada, La Chambre de la fédération, Ottawa, 1978, p.

(8) Rapport Pepin-Robarts, p. 102.

(9) Rapport de la C.-B., p. 20 et suivantes.

(10) Rapport Molgat-McGuigan, p. 35.

(11) Rapport du comité spécial de l'Alberta, p. 24.

(12) Rapport Molgat-Cosgrove, p. 11.

(13) Rapport de la Commission Macdonald, p. 97.

(14) Rapport Beaudoin-Dobbie, p. 42.

(15) Accord de Charlottetown, p. 4.

(16) Voir Rapport de la Canada West Foundation, p. 111 et suivantes.

(17) Voir le Rapport Molgat-Cosgrove, p. 26 et suivantes.

(18) Voir le rapport du Comité spécial de l'Alberta, p. 27 et suivantes.

(19) Voir le rapport de la Commission Macdonald, p. 97 et suivantes.

(20) Voir Rapport Beaudoin-Dobbie, p. 42 et suivantes.

(21) Accord de Charlottetown, p. 4.

(22) Voir Rapport de la Canada West Foundation, p. 110-111, et Rapport du Comité spécial de l'Alberta, p. 26 et suivantes.

(23) Voir Rapport Molgat-Cosgrove, p. 30 et suivantes, Rapport de la Commission Macdonald, p. 100 et Rapport du Comité Beaudoin-Dobbie, p. 48.

(24) Jacob E. Cooke (éd.), The Federalist, Middletown (Connecticut), Wesleyan University Press, 1961, p. 416-417.

(25) Gouvernement du Canada, Notre avenir ensemble — Feuillet d'information : Des institutions réceptives aux besoins de la population canadienne, 1992, p. 2.

(26) Voir le projet de loi C-60, 1978, art. 67 et le rapport Molgat-Cosgrove, p. 39.

(27) Voir le rapport Pepin-Robarts, p. 105.

(28) Voir le rapport de la Canada West Foundation, p. 118 et suivantes.

(29) Voir le rapport Molgat-Cosgrove, p. 29 et suivantes.

(30) Voir le rapport du comité spécial de l'Alberta, p. 31 et suivantes.

(31) Voir le rapport de la Commission Macdonald, p. 100.

(32) Voir le rapport du Comité Beaudoin-Dobbie, p. 50 et suivantes.

(33) Voir l'Accord de Charlottetown, p. 5, et Projet de texte juridique, p. 5 et suivantes.

(34) Rapport Molgat-McGuigan, p. 34.

(35) Voir Gouvernement du Canada, La constitution canadienne et le citoyen, Ottawa, p. 30 et suivantes.

(36) Rapport Pepin-Robarts, p. 102.

(37) Livre beige, p. 52.

(38) Rapport de la C.-B., p. 9.

(39) Voir Rapport de la Canada West Foundation, p. 108-110.

(40) Voir, respectivement, le rapport Molgat-Cosgrove, p. 21; le rapport du comité spécial de l'Alberta, p. 14 et suivantes; et le rapport de la Commission Macdonald, p. 97 et suivantes.

(41) Rapport Beaudoin-Dobbie, p. 39 et suivantes.

(42) Notre avenir ensemble — Feuillet d'information, « Des institutions réceptives aux besoins de la population canadienne », p. 1 et 2.