BP-319F

L'ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE :
UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE POUR
L'AVENIR DU CANADA

 

Rédaction :
Odette Madore
Division de l'économie
Novembre 1992


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

JUSTIFICATION DE L’INTERVENTION GOUVERNEMENTALE DANS
L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE

AVANTAGES DE L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE POUR LES
PARTICULIERS ET LA SOCIÉTÉ

   A. Avantages pour les particuliers

   B. Avantages pour les entreprises, les gouvernements et la société

   C. Avantages de l’innovation

QUELQUES FAITS RELATIFS AU SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT
POSTSECONDAIRE

RESPONSABILITÉS

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


 

 L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE :
UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE POUR L’AVENIR DU CANADA

 

INTRODUCTION

Le Canada doit relever les défis que pose la mondialisation de l’économie s’il veut atteindre la prospérité sur les marchés intérieurs et la compétitivité sur la scène internationale. Il est bien reconnu qu’il ne peut pas compter seulement sur ses activités traditionnelles, fondées sur l’exploitation de ses richesses naturelles. En outre, il est généralement admis que, pour réussir à s’adapter à la concurrence mondiale croissante, le Canada doit pouvoir profiter pleinement d’une population plus scolarisée et d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée. Par conséquent, l’enseignement postsecondaire apparaît comme essentiel à sa croissance future.

Au Canada, l’enseignement postsecondaire est financé en majeure partie par les gouvernements. Ces investissements publics entraînent, tant pour les particuliers et les entreprises que pour l’ensemble de la société, toute une gamme d’avantages qui justifient les efforts d’amélioration de l’enseignement postsecondaire. Cependant, le système canadien d’éducation supérieure connaît certains problèmes, que devront résoudre non seulement les gouvernements, mais tous les intervenants dans ce domaine.

Dans le présent document, nous examinons diverses questions théoriques et pratiques pouvant aider à comprendre l’importance grandissante de l’enseignement postsecondaire. Dans la première partie, nous examinons les arguments qui militent en faveur de l’intervention des gouvernements dans ce secteur et, dans la deuxième, les divers avantages découlant de cette participation. Dans la troisième partie, nous mettons en lumière certains faits - tant positifs que négatifs - relatifs au système canadien d’enseignement postsecondaire. Enfin, dans la dernière partie, nous résumons les mesures qu’il serait possible de prendre pour améliorer ce système et accroître la scolarité des Canadiens.

JUSTIFICATION DE L’INTERVENTION GOUVERNEMENTALE
DANS L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE

Les arguments invoqués pour justifier l’intervention des gouvernements dans des fonctions qui reviennent normalement au secteur privé sont nombreux. Dans le cas de l’enseignement postsecondaire, cette intervention se fait généralement au nom de la répartition efficace des ressources, ainsi que de la justice sociale ou de l’équité économique. Mais ces arguments soulèvent la controverse et donnent lieu à de nombreuses différences d’interprétation.

Selon l’argument portant sur la répartition des ressources, le gouvernement serait plus efficace que le secteur privé pour affecter les ressources disponibles aux usages les plus productifs. Cette constatation découle avant tout des échecs du secteur privé sur deux plans: d’une part, celui-ci manquerait d’information et serait incapable d’agir assez rapidement, et d’autre part, il ne tiendrait pas compte des divers facteurs externes qui entraînent souvent des avantages sociaux. Par conséquent, certains observateurs soutiennent que l’intervention gouvernementale est le meilleur moyen de veiller à ce que le système d’enseignement postsecondaire dispose de ressources suffisantes, du point de vue de la société.

Quant à ceux qui avancent l’argument relatif à la justice sociale et à l’équité économique, ils soutiennent que, dans un système de libre marché, tout le monde devrait payer le même prix pour s’instruire, quel que soit son revenu; les économiquement faibles devraient donc consacrer à cette fin une part proportionnellement plus grande de leur revenu, ce qui pourrait entraîner des disparités dans la disponibilité de l’enseignement postsecondaire et l’accessibilité à celui-ci. Par conséquent, en favorisant un système public, les gouvernements contribuent, selon eux, à réduire ces disparités.

Le rôle que devraient jouer les divers niveaux de gouvernement dans ce domaine ne fait toutefois pas l’unanimité au Canada. En outre, les avis sont partagés au sujet des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui a trait au financement de l’enseignement postsecondaire.

Bien que la Constitution canadienne confie aux provinces la responsabilité de l’enseignement postsecondaire, les activités fondamentales des collèges et universités, par exemple le développement de l’économie et l’encouragement à la recherche et au développement, sont étroitement liées à de nombreux domaines qui sont clairement de compétence fédérale ou de compétence partagée. Tout en reconnaissant la compétence exclusive des provinces en cette matière, le gouvernement fédéral affirme qu’il a pour « rôle au sein de la fédération de promouvoir l’excellence et d’appuyer les objectifs et les efforts des provinces »(1) pour favoriser l’acquisition des connaissances et des compétences. De fait, au cours des dernières décennies, le gouvernement fédéral en est venu à jouer un rôle important dans le domaine de l’éducation, en particulier au niveau postsecondaire. Il contribue à financer l’éducation et la formation, surtout en versant des paiements de transfert aux provinces, et des subventions et des contributions aux établissements postsecondaires. En outre, certains aspects de son activité visent à veiller à ce que le bassin de personnel scientifique soit suffisant au Canada.

Il existe toutefois des contraintes à l’élaboration d’une politique cohérente en matière d’enseignement postsecondaire au Canada. Certains experts affirment que la force politique du régionalisme et l’importance accordée aux différences de priorités et d’intérêts entre les diverses provinces rendent particulièrement difficile toute entente sur une politique nationale cohérente(2).   D’autres estiment en revanche que, par sa nature même, l’enseignement postsecondaire est une question nationale et qu’il incombe au gouvernement fédéral de veiller à ce que le pays dispose de réserves suffisantes de personnel hautement qualifié, à ce que les jeunes Canadiens jouissent tous de chances sensiblement égales, peu importe l’endroit où ils vivent, et à ce que le Canada possède les connaissances nécessaires à sa croissance économique, à sa prospérité et à sa compétitivité sur la scène internationale(3).

Nous n’avons pas l’intention de discuter ici du partage des compétences. Quel que soit le niveau de gouvernement en cause, il est clair que les investissements publics dans le domaine de l’enseignement postsecondaire comportent de nombreux avantages qui, s’ils sont exploités convenablement, peuvent sans aucun doute contribuer à l’innovation, à la productivité et à la prospérité. Mais quels sont donc ces avantages, et qui sont ceux qui en profitent?

AVANTAGES DE L’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE
POUR LES PARTICULIERS ET LA SOCIÉTÉ

L’éducation comporte de nombreux avantages pour les particuliers, les entreprises et les gouvernements(4); les investissements en la matière peuvent entraîner des salaires plus élevés pour les particuliers, une augmentation de productivité pour les entreprises, des recettes fiscales accrues pour les gouvernements et un meilleur niveau de vie pour l’ensemble de la société. Bien qu’il soit difficile de mesurer les avantages nets d’une meilleure scolarisation pour les particuliers et la société, il est possible de faire quelques observations intéressantes à ce sujet.

   A. Avantages pour les particuliers

Diverses études révèlent que le revenu des travailleurs augmente généralement avec leur niveau de scolarité. Cette constatation a donné lieu à une interprétation économique connue sous le nom de « théorie du capital humain », selon laquelle les investissements dans les ressources humaines visent à améliorer la productivité des travailleurs et, partant, leur revenu. Les coûts engagés pour l’éducation dans l’espoir d’avantages futurs tiennent compte à la fois des coûts directs, par exemple les manuels et les frais de scolarité, et des coûts de renonciation, c’est-à-dire du manque à gagner lié à l’augmentation du capital humain. Cette théorie suppose que les salaires mesurent le produit marginal de la main-d’oeuvre et que les possibilités perdues, que viennent d’ailleurs compenser les salaires plus élevés gagnés plus tard, sont le prix à payer pour l’éducation. En outre, les particuliers continuent généralement à investir dans leur capital humain après leur entrée sur le marché du travail, en poursuivant leur formation sur le tas et en acquérant de l’expérience de travail. Par conséquent, ce sont à la fois la scolarisation et l’expérience de travail qui augmentent la productivité et les revenus(5).

La plupart des études sur le rendement monétaire des investissements en éducation montrent que ce rendement est substantiel. Par exemple, les statistiques révèlent que, en 1987, les diplômés de niveau collégial gagnaient en moyenne 1 000 $ de plus que le travailleur type âgé de 25 à 35 ans. Les diplômés d’université disposaient pour leur part d’un revenu d’emploi supérieur d’environ 10 000 $ à la moyenne nationale, pour le même groupe d’âge(6).

Les recherches révèlent également que le taux de participation à la population active augmente sensiblement avec la scolarité, comme le montre clairement le graphique 1. Par exemple, 85 p. 100 des adultes détenant un diplôme universitaire faisaient partie de la population active en 1991, comparativement à 34 p. 100 de ceux qui comptaient moins de neuf années de scolarité. Par ailleurs, les études sur le lien entre le niveau de scolarité et le chômage permettent en général de croire que les travailleurs les plus scolarisés sont moins susceptibles que les autres d’aller grossir les rangs des chômeurs(7). Comme le montre le graphique 2, la probabilité de se retrouver sans emploi décroît à mesure que croît le niveau de scolarité. En 1991, le taux de chômage était trois plus élevé chez les travailleurs comptant moins de neuf années de scolarité que parmi les diplômés d’université. On a observé que la différence du taux de chômage entre les travailleurs plus scolarisés et moins scolarisés augmente en général pendant les périodes de ralentissement économique(8). En outre, les travailleurs plus scolarisés et mieux formés ont plus de chances de se replacer dans un nouvel emploi quand ils se retrouvent en chômage(9).

 

 

 

 

B. Avantages pour les entreprises, les gouvernements et la société

L’éducation profite non seulement aux particuliers, mais également aux entreprises et aux gouvernements. Pour les entreprises, elle entraîne une productivité accrue, une utilisation plus efficace des ressources humaines et une augmentation des bénéfices, en plus d’une amélioration de la qualité des produits et d’une baisse des dépenses de supervision. Elle leur ouvre également des perspectives élargies sur les progrès technologiques et sur leurs conséquences socio-économiques(10).  Quant aux gouvernements, des études empiriques montrent qu’ils retirent de l’éducation davantage qu’ils y investissent(11). Les retombées des investissements publics dans le domaine de l’enseignement postsecondaire ne se limitent pas au supplément de taxes que paient les diplômés des établissements postsecondaires en raison de leur revenu plus élevé; les activités de ces établissements entraînent en effet d’autres bénéfices externes. Par exemple, les établissements postsecondaires s’occupent de recherche et de développement, activités qui profitent largement à la société et qui constituent une source indépendante de compétences dans de très nombreux domaines, tant pour les gouvernements que pour la société tout entière(12).

La société profite de bien des façons de la scolarisation de sa population et de sa main-d’oeuvre. Premièrement, la hausse de productivité se traduit par des revenus plus élevés et, par conséquent, par un meilleur niveau de vie. Deuxièmement, une main-d’oeuvre plus scolarisée est moins susceptible de se retrouver au chômage, et la société est donc moins vulnérable aux ralentissements économiques et aux problèmes de pauvreté. Troisièmement, cette main-d’oeuvre peut produire une vaste gamme de produits et de services de haute qualité, offrant ainsi un meilleur choix à la société. En outre, les recettes fiscales plus élevées aident les gouvernements à maintenir ou à améliorer divers programmes sociaux comme l’assurance-maladie. Enfin, un personnel plus scolarisé tend à susciter plus d’activité de recherche et de développement, ce qui comporte aussi des avantages pour la société.

   C. Avantages de l’innovation

Aujourd’hui plus que jamais, l’éducation supérieure est considérée comme un moyen de créer une société fondée sur l’innovation. Le premier avantage d’une scolarisation poussée, c’est qu’elle permet aux travailleurs de maîtriser les techniques nouvelles et d’être assez innovateurs pour mettre de l’avant de nouvelles idées; autrement dit, ils sont en mesure de comprendre, de mettre au point ou d’adapter la technologie de pointe. Il est reconnu que l’innovation est de plus en plus importante pour la performance économique, la productivité et la compétitivité. Le deuxième avantage que procurent des travailleurs scolarisés et compétents, c’est qu’ils peuvent attirer les entreprises de haute technologie. Par exemple, une étude montre que l’accès à une main-d’oeuvre qualifiée (diplômés d’université et travailleurs de production spécialisés) dans des industries établies est un facteur décisif pour les entreprises de haute technologie qui cherchent où s’installer(13).

De fait, on reconnaît de plus en plus que le savoir constitue un atout de premier plan dans l’économie mondiale et que le système d’enseignement postsecondaire peut en ce sens procurer un très net avantage sur la concurrence. Mais est-il vraiment possible d’affirmer que le Canada est avantagé sur le plan de l’enseignement postsecondaire, et prêt à relever le défi de la mondialisation?

QUELQUES FAITS RELATIFS AU SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRE

À prime abord, la situation semble plutôt satisfaisante. Le Canada consacre à l’éducation une part plus importante de son produit intérieur brut (PIB) que certains autres pays(14). Par exemple, en 1988, la dernière année pour laquelle il existe des données comparables à ce sujet, les budgets d’éducation représentaient 7,2 p. 100 du PIB au Canada, 6,2 p. 100 en Allemagne, 5,7 p. 100 en France et aux États-Unis, et 4,9 p. 100 au Japon(15). La même année, le Canada consacrait en outre à l’enseignement postsecondaire la part la plus importante de son budget total en éducation, soit 37 p. 100, comparativement à 17,6 p. 100 pour le Japon et 13,9 p. 100 pour la France(16). En outre, le Canada se classe au deuxième rang au niveau international en ce qui concerne le pourcentage des jeunes de 20 à 24 ans inscrits dans des établissements postsecondaires(17).

Cependant, ces dépenses plus élevées ne se traduisent pas nécessairement par des résultats plus satisfaisants. En fait, le système d’éducation au Canada connaît de sérieuses difficultés. Premièrement, le haut taux de décrochage au niveau secondaire (environ 33 p. 100) mine les possibilités de scolarisation de la population et de spécialisation de la main-d’oeuvre. Par comparaison, le taux de décrochage n’est que de 2 p. 100 au Japon et de 10 p. 100 en Allemagne(18). Deuxièmement, les diplômés des écoles secondaires qui ont de la difficulté à lire des textes simples représentent environ 38 p. 100 du total, tout comme ceux dont les connaissances de base en arithmétique laissent à désirer(19). Tous ces décrocheurs et ces gens qui éprouvent des difficultés en lecture et en mathématiques pourraient en définitive constituer un groupe de travailleurs analphabètes fonctionnels et difficiles à former. Troisièmement, bien que l’accès aux études postsecondaires soit sensiblement plus élevé au Canada qu’ailleurs, les disciplines scientifiques, qui revêtent une extrême importance pour l’avenir, attirent proportionnellement moins d’étudiants que dans beaucoup d’autres pays(20). Comme le montre le tableau 1, les inscriptions dans les disciplines scientifiques et techniques sont en déclin au pays, tant dans les universités que dans les collèges techniques; les jeunes délaissent les carrières en sciences et en génie, en partie parce que celles-ci sont mal connues du grand public et sont jugées inaccessibles(21). Quatrièmement, le nombre de scientifiques et d’ingénieurs qui font de la recherche au Canada vient loin derrière celui de certains autres pays(22). Ensemble, ces facteurs devraient avoir dans un proche avenir un effet considérable sur l’offre de main-d’oeuvre qualifiée.

On prévoit que les deux tiers environ des emplois qui seront créés au cours des dix prochaines années exigeront au moins douze années de scolarité et que la moitié en nécessiteront dix-sept ou plus(23). Par conséquent, le Canada risque de se retrouver à court de personnel scientifique et technique qualifié(24).Et cette pénurie pourrait bien se produire au moment même où les experts envisagent pour un proche avenir une demande croissante de travailleurs hautement scolarisés et spécialisés. En particulier, d’après un rapport de recherche sur la question, on a noté au cours des deux dernières décennies un relèvement du niveau des exigences d’emploi en matière de compétences, même si l’on continue à créer dans l’économie canadienne de nombreux emplois ne demandant que peu de compétences(25).  Les statistiques montrent que, entre 1971 et 1986, la part des emplois exigeant des études postsecondaires ou l’équivalent a augmenté de 3 p. 100, alors que la proportion de ceux pour lesquels une scolarité moins longue était suffisante a chuté de plus de 4 p. 100(26).

Dans l’ensemble, il serait peut-être plus juste de parler de nécessité plutôt que d’avantages lorsqu’on se penche sur les nouveaux enjeux de l’enseignement postsecondaire au Canada. On constate déjà une tendance vers l’augmentation du niveau de scolarité requis, à mesure que les produits et services de l’industrie font appel à des techniques de plus en plus complexes. Que faut-il donc faire?

 

TABLEAU 1

INSCRIPTIONS À PLEIN TEMPS DANS LES DISCIPLINES SCIENTIFIQUES
ET TECHNIQUES, COLLÈGES COMMUNAUTAIRES,
CÉGEPS ET UNIVERSITÉS (PREMIER CYCLE) DU CANADA, 1984-1990

 

Nombre

Proportion du total des inscriptions (En Pourcentage)

1984-1985 Collèges communautaires et cégeps
Universités


75 038
99 204


33,2
24,4

1985-1986 Collèges communautaires et cégeps
Universités


70 724
97 545


31,5
23,7

1986-1987 Collèges communautaires et cégeps
Universités


64 479
96 088


29,2
23,0

1987-1988 Collèges communautaires et cégeps
Universités


59 828
93 592


27,4
21,9

1988-1989 Collèges communautaires et cégeps
Universités


57 784
93 293


26,7
21,2

1989-1990 Collèges communautaires et cégeps
Universités


57 290
93 085


26,7
20,6

Source: Conseil économique du Canada, Agir ensemble - Productivité, innovation et commerce, 1992, p. 46.

 

RESPONSABILITÉS

Puisque les avantages de l’enseignement postsecondaire ne sauraient être mis en doute, il est absolument essentiel que le Canada améliore son système d’éducation. Bien que les gouvernements assument la majeure partie du financement de l’enseignement postsecondaire, d’autres protagonistes participent également à l’amélioration de l’éducation supérieure au pays: les collèges et universités, qui assurent l’éducation des travailleurs de demain; le secteur privé, qui devrait exiger à l’avenir une main-d’oeuvre de plus en plus scolarisée et spécialisée; et surtout, les particuliers et les familles.

Le consensus qui semble se dégager des études récentes, c’est qu’il faut changer les attitudes des citoyens et de la société envers l’éducation, les sciences et la technologie. Bien que l’enseignement postsecondaire soit vital pour l’avenir du Canada, tous s’accordent pour dire que ces changements doivent commencer plus tôt, c’est-à-dire aux niveaux primaire et secondaire, dont les élèves constituent le bassin de clientèle des établissements postsecondaires. Les rapports récents insistent beaucoup sur la participation accrue des parents et des collectivités au système scolaire régulier, parce qu’une population mieux informée est plus consciente de la valeur de l’éducation et plus susceptible de faire les bons choix parmi les options qui lui sont offertes(27).

Quant à l’éducation primaire et secondaire, certains estiment que c’est tout le système scolaire qui doit être renouvelé en profondeur. Par conséquent, on a suggéré des normes nationales(28), ainsi qu’une amélioration de la qualité de l’enseignement, en particulier en sciences et en mathématiques(29), et de la qualité des installations et de l’équipement des écoles.

Il faut également modifier la perception de l’enseignement postsecondaire. Par exemple, certains affirment que la société canadienne valorise indûment les diplômes universitaires au détriment des programmes techniques de niveau postsecondaire, qui sont considérés comme un pis-aller. Pour cette raison, on a suggéré de réexaminer la mission des universités, des collèges communautaires et des instituts techniques(30), et de revaloriser les carrières techniques(31). En outre, certains observateurs affirment que les établissements canadiens de niveau postsecondaire n’offrent pas de programmes hautement spécialisés. Par exemple, Porter décrit deux grands obstacles à la spécialisation des ressources humaines(32). Premièrement, il souligne qu’en raison de la réglementation des frais de scolarité exigés par les établissements postsecondaires, ceux-ci sont incapables de récupérer les coûts supplémentaires des programmes très spécialisés. Deuxièmement, il maintient que les mécanismes de financement des établissements postsecondaires empêchent la coordination des programmes d’études entre les provinces et entre les établissements. C’est pourquoi, poursuit-il, les compétences spécialisées et les capacités du corps enseignant sont dispersées aux quatre coins du pays.

En outre, le monde des affaires estime que les établissements d’enseignement postsecondaire devraient améliorer leurs programmes d’études et augmenter l’efficacité de leurs services(33). Les entreprises soutiennent que le resserrement de leurs liens avec ces établissements permettrait un enseignement mieux adapté aux besoins du secteur privé, et assurant par conséquent une meilleure préparation au marché du travail.

Les auteurs de rapports récents recommandent fortement la création d’un organisme national ayant pour mission de surveiller tous ces changements(34). Ce nouvel organisme ne devrait pas créer un nouveau palier de bureaucratie, mais plutôt coordonner l’action de tous ceux qui veulent participer à l’amélioration du système d’éducation.

Enfin, les gouvernements ont eux aussi un rôle à jouer dans le « renouvellement » du système d’éducation au Canada. Les membres d’un groupe de travail recommandaient récemment un examen du financement de l’enseignement postsecondaire(35), qui devrait accompagner toute réforme du système. Ceux qui croient que les établissements postsecondaires ont besoin d’un meilleur soutien gouvernemental affirment également que ce soutien ne devrait pas être considéré comme un droit absolu, mais qu’il devrait au contraire s’assortir d’une obligation de rendre des comptes(36). D’autres soutiennent que, même si les besoins financiers sont évidents, la solution aux problèmes que connaissent les établissements postsecondaires canadiens n’est pas simplement une question d’argent; elle nécessitera aussi plus d’imagination et une saine gestion de toutes les ressources disponibles(37). Quoi qu’il en soit, étant donné les sommes déjà consacrées à l’éducation et les contraintes budgétaires auxquelles doivent aujourd’hui faire face les gouvernements de tous les niveaux, il est permis de se demander s’il serait possible d’accroître ces sommes. Bien que certains favorisent de nouvelles ententes de financement de l’enseignement postsecondaire, aucune proposition de réforme détaillée n’a encore été mise de l’avant.

CONCLUSION

En bref, les Canadiens doivent clairement reconnaître l’importance de l’enseignement postsecondaire pour la prospérité future du pays. Il faut faire de l’éducation supérieure une priorité, et dès maintenant. Si le Canada ne renouvele pas de fond en comble son système d’éducation, il mettra en péril sa capacité de soutenir la concurrence sur un marché qui se mondialise. Et les efforts en ce sens doivent être concertés: le soutien et l’appui de tous - particuliers, milieux de l’enseignement, industrie et gouvernements - sont essentiels à la réussite de cette tâche. C’est le défi que les Canadiens ont à relever aujourd’hui.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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Watts, Ronald L. « Introduction ». Post-Secondary Education: Preparation for the World of Work. Délibérations d’un colloque Canada/R.U. L’Institut de recherches politiques, 1990, p. 1-7.

 


(1) Gouvernement du Canada, « Bien apprendre... Bien vivre - Document de consultation: Les enjeux », Initiative Prospérité, Ottawa, 1991, p. xii.

(2) À ce sujet, on peut notamment consulter Ronald L. Watts, « Introduction », Post-Secondary Education: Preparation for the World of Work, Délibérations d’un colloque Canada/R.U., L’Institut de recherches politiques, 1990, p. 4.

(3) Thomas H.B. Symons, « Ontario Universities in a Broader Context: The Need for a National Strategy in Canadian Higher Education and Research », Ontario Universities: Access, Operations and Funding, Délibérations de conférence, Conseil économique de l’Ontario, 1985, p. 265; Enid Slack, « The Implications of Federalism for Post-Secondary Education », Ontario Universities: Access, Operations and Funding, Délibérations de conférence, Conseil économique d el’Ontario, 1985, p. 365-366; Gouvernement du Canada, « Bien apprendre... Bien vivre - Document de consultation:   Les enjeux  », Initiative Prospérité, Ottawa, 1991, p. i.

(4) Pour un bref résumé des études canadiennes sur le taux de rendement privé et public de l’éducation, on peut consulter François Vaillancourt, Rendement pécuniaire individuel et collectif de la scolarité au Canada, 1985, Document de travail no 35, Conseil économique du Canada, 1992.

(5) Il convient de noter que le lien entre éducation et revenus demeure controversé. Le débat sur cette question repose essentiellement sur l’hypothèse selon laquelle l’éducation supérieure peut agir comme un filtre, en permettant aux travailleurs plus compétents de se démarquer plutôt qu’en augmentant directement la productivité. La théorie du filtre met implicitement en doute les investissements publics dans le domaine de l’éducation supérieure. Les tests empiriques visant à vérifier cette hypothèse ne sont pas concluants.

(6) Conseil économique du Canada, « La scolarité, un facteur clef », Au Courant, vol. 12, no 1, 1991, p. 6 et 7.

(7) Michael Krashinsky, « The Returns to University Schooling in Canada: A Comment », Analyse de politiques, no 2, juin 1987, p. 218-221.

(8) W.J. Howe, « Education and Demographics: How Do They Affect Unemployment Rates? », Monthly Labour Review, janvier 1988, p. 3-9.

(9) Conseil économique du Canada, « La scolarité, un facteur clef » (1991), p. 6 et 7.

(10) Groupe de travail de l’AMC sur les relations entre l’entreprise et l’université, Assurer la compétitivité du Canada: l’importance de l’enseignement post-secondaire, L’Association des manufacturiers canadiens, partie 2, avril 1987, p. 1.

(11) Clément Lemelin et Jean Perrot, « Les dépenses publiques pour l’enseignement universitaire et le taux de rendement fiscal: le cas du Québec », L’Actualité économique, vol. 66, no 2, juin 1990, p. 193-217.

(12) Michael Krashinsky (1987), p. 220 et 221.

(13) Harald Bathelt et Alfred Hecht, « Key Technology Industries in the Waterloo Region: Canada’s Technology Triangle », Géographe canadien, vol. 34, no 3, automne 1990, p. 225-234.

(14) Karin Treff, « Education Financing in Canada », Canadian Tax Journal, vol. 40, no 2, 1992, p. 502.

(15) Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement, Regards sur l’éducation - Les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE, 1992, p. 40.

(16) Ibid.

(17) Keith Newton, « Highly Qualified Personnel: A Key to Success in Global Competition », Besoins futurs du Canada en personnel scientifique et technique hautement qualifié, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, mai 1989, p. 7.

(18) Conseil économique du Canada, Agir ensemble: Productivité, innovation et commerce, 1992, p. 45.

(19) Karin Treff (1992), p. 503.

(20) Conseil économique du Canada, Les chemins de la compétence - Éducation et formation professionnelle au Canada, 1992, p. 46.

(21) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes, Innover pour prospérer - Rapport de synthèse, Initiative Prospérité, 1992, p. 6.

(22) Groupe de travail de l’AMC sur les relations entre l’entreprise et l’université, Assurer la compétitivité du Canada: l’importance de l’enseignement secondaire, L’Association canadienne des manufacturiers, avril 1987.

(23) Conseil consultatif national des sciences et de la technologie, Sciences et technologie, innovation et prospérité nationale: le virage nécessaire, Rapport présenté au premier ministre du Canada, avril 1991, p. 27.

(24) Robert J. Kavanagh, « The Future Supply of Highly Qualified Engineers and Scientists and the Role of NSERC », Besoins futurs du Canada en personnel scientifique et technique hautement qualifié, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, mai 1989, pp. 163-192.

(25) Conseil économique du Canada, « Un relèvement global du niveau des compétences  », Au Courant, vol. 12, no 1, 1991, p. 5.

(26) Ibid.

(27) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes (1992), p. 18; Comité directeur de la prospérité, Innover pour l’avenir: Un plan d’action pour la prospérité du Canada, octobre 1992, p. 55 et 56.

(28) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes (1992), p.11; Michael E. Porter, Le Canada à la croisée des chemins - Les nouvelles réalités concurrentielles, 1991, p. 246 et 247.

(29) Comité directeur de la prospérité (1992), p. 39.

(30) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes (1992), p. 16.

(31) Ibid., p. 11.

(32) Michael E. Porter (1991), p. 210 et 211.

(33) Groupe de travail de l’AMC sur les relations entre l’entreprise et l’université (1987), partie 3, p. 1.

(34) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes (1992), p. 20; Comité directeur de la prospérité (1992), p. 42.

(35) Groupe de travail sur les défis posés par les sciences, la technologie et les domaines connexes (1992), p. 19.

(36) Groupe de travail de l’AMC sur les relations entre l’entreprise et l’université (1987), partie 1, p. 3.

(37) Geraldine A. Kenny-Wallace, « The Challenge of Change for 2001: The Canadian University in a Knowledge-Intensive Society », Post-Secondary Education: Preparation for the World of Work, Délibérations d’un colloque Canada/R.-U., L’Institut de recherches politiques, 1990, p, 13.