BP-320F

 

SOULAGER LA FAIM DANS LE MONDE :
LE LIEN VITAL QUE CONSTITUE L'AGRICULTURE

 

Rédaction :
Sonya Dakers
Division des sciences et de la technologie
Novembre 1992


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

TENDANCES DÉMOGRAPHIQUES HISTORIQUES

LA DEMANDE DE DENRÉES ALIMENTAIRES

DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES ET AMENUISEMENT DE LA BASE DE RESSOURCES

LE RÔLE DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIE

LA RÉACTION DES PAYS DÉVELOPPÉS

L'AGRICULTURE EN TANT QUE MESURE PRINCIPALE
DE LA SANTÉ DE L'ENVIRONNEMENT

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 


SOULAGER LA FAIM DANS LE MONDE :
LE LIEN VITAL QUE CONSTITUE L'AGRICULTURE

INTRODUCTION

Les possibilités que des niveaux de vie satisfaisants à l'échelle mondiale soient atteints sont compromises par la détérioration de l'environnement, surtout dans les pays les plus pauvres, où l'agriculture et les autres activités économiques sont les plus tributaires de la qualité des ressources naturelles(1). Certaines des modifications de l'environnement qui se produisent par suite des efforts qu'on déploie pour améliorer l'alimentation, l'habillement, le logement, le confort et les loisirs peuvent causer des dommages irréversibles à la capacité de la planète de maintenir la vie. Par ailleurs, la croissance démographique effrénée dans certains pays en développement exacerbe la dégradation de l'environnement.

Par le passé, les innovations scientifiques et technologiques réalisées en agriculture ont permis de surmonter les contraintes qui existaient au niveau de ressources. Cependant, il est douteux qu'il soit possible d'augmenter la productivité agricole à un rythme aussi rapide que celui auquel la population s'accroît, tout en protégeant les ressources mondiales et en faisant en sorte que celles-ci fournissent assez de nourriture pour les générations à venir.

Dans le présent document, nous nous penchons sur le rôle que les pays développés peuvent jouer pour promouvoir l'autosuffisance agricole dans le tiers monde grâce au transfert des compétences et de la technologie «appropriée». Nous y examinons les moyens de mesurer les progrès de l'humanité en nous servant de l'agriculture comme indicateur de la santé de la planète et nous y laissons entendre que les méthodes actuelles servant à évaluer les perspectives des disponibilités alimentaires du monde sont insuffisantes.

TENDANCES DÉMOGRAPHIQUES HISTORIQUES

En l'an 1 après J.-C., le monde comptait environ 300 millions de personnes. Plus de 1 500 ans se sont écoulés avant que la population ne double. Au XVIIIe siècle, cependant, le nombre de naissances a commencé à excéder celui des décès et, entre 1750 et 1900, soit en seulement 150 ans, la population a doublé pour atteindre 1,7 milliard d'habitants. De 1900 à 1950, la population s'est accrue au rythme de 1 p. 100 par an, et, au cours des années subséquentes, au rythme de 2 p. 100 par an, ce qui fait que la population double tous les 35 ans(2)(3).

Jusqu'au milieu du XXe siècle, le taux d'accroissement démographique était à peu près le même dans toutes les régions du monde. Par la suite, alors que la population des pays industrialisés a augmenté de moins de 1 p. 100 par an, celle des pays en développement a progressé de près de 3 p. 100 chaque année. En 1990, sur les 5,3 milliards d'habitants du monde, 4,1 milliards, soit 77 p. 100, vivaient dans les pays en développement, tandis que 1,2 milliard demeuraient dans les pays industrialisés(4). L'amélioration des soins de santé et une population plus jeune dans les pays en développement expliquent cet élargissement de l'écart démographique.

D'ici l'an 2000, plus de 90 millions de personnes s'ajouteront tous les ans à la population des pays en développement. Comme le montre le tableau 1, d'ici 2025, les pays en développement compteront environ 84 p. 100 de la population mondiale, et l'écart entre eux et les pays industrialisés sera encore plus évident, même si, selon les projections, une baisse du nombre de personnes qui s'ajouteront chaque année se traduira par une stabilisation de la population mondiale à 11,2 milliards d'habitants en 2100(5).

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Source : Division de la population des Nations Unies, Les perspectives d'avenir de la population mondiale 1990, Nations Unies, New York, 1991, p. 226-233, 244-245, 252-255, 264-265, 274-275 et 582-583, cité dans World Resource Institute, World Resources, 1992-93, New York, Oxford University Press, 1992, p. 76.

Cette stabilisation dépendra dans une large mesure du succès que remporteront les programmes de régulation des populations. Ces programmes ont été relativement couronnés de succès dans les pays qui s'industrialisent rapidement comme la Thaïlande, la République de Corée et la Chine; toutefois comme le montre le tableau 1, les taux de croissance en Afrique continuent de s'accroître(6). L'accès des femmes à la contraception et leurs attitudes à l'égard de la natalité dirigée joueront un rôle important dans la limitation de l'accroissement démographique.

La régulation de la poussée démographique par la planification familiale est au coeur du concept de développement durable; un tel développement n'est en effet possible que s'il existe un équilibre entre les populations humaines et les ressources naturelles dont ils sont tributaires. Une région ne peut accueillir plus d'habitants que sa capacité de peuplement le lui permet; si les humains ne limitent pas volontairement la croissance démographique, ils risquent que les ressources naturelles limitées les obligent à le faire(7).

Dans les sections suivantes du présent document, nous examinons l'équilibre entre la demande et l'offre de denrées alimentaires en vue de déterminer la capacité du village mondial d'accroître sa capacité alimentaire de manière durable pour répondre aux futurs besoins en nourriture.

LA DEMANDE DE DENRÉES ALIMENTAIRES

Le tiers seulement de la population des pays en développement vit sur des terres qui produisent assez de nourriture pour répondre à ses besoins en alimentation(8). Cette équation dépend dans une large mesure du taux d'accroissement de la population. Les pays et les régions dont la croissance démographique est supérieure à la moyenne et dont la croissance agricole et économique générale est insuffisante font face au défi permanent de fournir des disponibilités alimentaires par habitant suffisantes(9).

La taille de la population et la densité démographique ne causent pas en soi la dégradation des ressources naturelles ou la faim. Ces problèmes se posent lorsque la population devient trop nombreuse par rapport à la productivité de la base de ressources. Les parties du monde où la population est faible, comme bien des régions de l'Afrique, sont souvent des régions où les ressources ne permettent pas de subvenir aux besoins d'un grand nombre de personnes. La population est l'un des membres de l'équation, et la productivité du sol est l'autre. En Afrique, par exemple, environ 80 p. 100 des terres du continent ne peuvent être considérées comme cultivables, et seulement 7 p. 100 des terres arables contiennent un sol alluvial riche(10).

Historiquement, le rapport entre population en croissance et terres à mené à une intensification de la production. Le progrès technologique et les facteurs de production modernes (engrais, semences améliorées et irrigation) ont fait plus que compenser les variations défavorables du rapport de la population aux terres. Par conséquent, sur le plan mondial, l'accroissement rapide de la population des dernières décennies a été plus que compensé par des hausses correspondantes de la production agricole. La situation, toutefois, n'est pas aussi encourageante dans tous les pays et toutes les régions. Au cours des deux dernières décennies, la production agricole par habitant a diminué dans de nombreux pays, en particulier en Afrique, où un Africain sur cinq se nourrit maintenant de denrées alimentaires importées. Cela s'est également produit dans des pays où il était possible de maintenir ou d'augmenter le rapport entre la population et les terres. Une infrastructure et des encouragements économiques inadéquats ont empêché l'avènement des progrès technologiques à la base de la croissance dans les autres pays et régions(11). La baisse de la production alimentaire par habitant est un indicateur du fait que l'accroissement démographique excède les ressources foncières(12).

Le problème fondamental de l'alimentation mondiale ne provient pas d'une capacité de production insuffisante, mais plutôt d'une distribution inégale de cette capacité par rapport à la population. Il n'existe pas actuellement de pénurie de denrées alimentaire à l'échelle mondiale, et il n'y en aura pas dans un avenir prochain(13). La production mondiale de grains est plus que suffisante actuellement pour procurer à chaque homme, femme et enfant du monde une ration quotidienne de 3 000 calories et de 65 grammes de protéines. Pourtant, la faim est une réalité évidente dans le monde actuel. Un accroissement de la production mondiale de denrées alimentaires ne résoudrait pas le problème de la répartition et, en soi, ne réduirait pas l'incidence de la faim(14).

L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a prédit que la demande mondiale de denrées alimentaires pourrait s'accroître de 50 p. 100 au cours des deux prochaines décennies et qu'elle doublera au moins d'ici l'an 2050(15). Elle prévoit que, d'ici la fin du siècle, une personne sur six dans les pays en développement (à l'exclusion de la Chine) subsistera sur un régime alimentaire trop faible en éléments nutritifs pour assurer le maintien d'une vie normale. Les pays du sud de l'Asie et de l'Afrique demeureront les plus touchés(16).

DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES ET AMENUISEMENT DE LA BASE DE RESSOURCES

Aucune des ressources de base nécessaires pour accroître la production alimentaire — sol, eau, énergie et engrais — ne peut maintenant être considérée comme abondante ou peu coûteuse. Dans les pays en développement, il s'est produit une dégradation grave des terres arables. Les pressions démographiques ont causé une grave surexploitation des sols. L'irrigation, le surpâturage et la dénudation de vastes régions forestières en vue d'obtenir du bois servant de combustible et de défricher la terre à des fins agricoles ont réduit davantage la capacité de production du sol. Une partie de ces terres se prête difficilement à l'exploitation agricole, les conditions du sol et du climat convenant peu aux récoltes annuelles(17). Cela est d'autant plus vrai là où les terres plus fertiles sont déjà très peuplées et où la population déborde sur les terres à faible rendement. Ces terres ne peuvent qu'enregistrer de faibles rendements et sont plus ou moins susceptibles de se dégrader, selon la qualité de la gestion(18).

Selon le Worldwatch Institute, organisation qui suit l'évolution vers un monde durable, l'érosion du sol mine lentement la productivité du tiers de la surface cultivable du globe. Chaque année, les agriculteurs du monde perdent, selon les estimations, 24 milliards de tonnes de sol arable de plus que le volume de sol nouveau formé(19). Le déboisement entraîne un accroissement du ruissellement pluvial et provoque des inondations qui détruisent les cultures(20). Entre 1970 et 1990, le monde a perdu près de 200 millions d'hectares de couvert végétal, et les déserts se sont étendus de quelque 120 millions d'hectares(21).

Comme l'indique le tableau 2, le département de l'Agriculture des États-Unis a classé les terres agricoles selon leur degré de dégradation. L'étendue de la détérioration dans les pays en développement était déjà apparente même il y a 20 ans. Le cas de l'Afrique est particulièrement troublant, étant donné les pressions démographiques croissantes qui s'exercent sur ce continent. Selon la FAO, l'érosion du sol pourrait réduire du quart la production agricole en Afrique entre 1975 et 2000, si des mesures de conservation ne sont pas adoptées. Les terres sont exploitées toujours plus intensivement à mesure que la population augmente. L'agriculture nomade pratiquée traditionnellement en Afrique pour maintenir la fertilité du sol a commencé à se détériorer sous l'effet des densités démographiques plus élevées à mesure que les agriculteurs retournent cultiver les mêmes terres tous les cinq à dix ans au lieu d'attendre de 20 à 25 ans comme ils avaient coutume de le faire par le passé. À mesure que le cycle de mise en jachère raccourcit et que la couverture végétale du sol s'amenuise, l'érosion du sol et la dégradation des terres s'accélèrent(22).

Des études montrent qu'une perte d'un pouce de sol arable peut, par exemple, réduire le rendement du maïs d'environ 6 p. 100. Si le monde perd 24 milliards de tonnes de sol arable tous les ans (selon les estimations du Worldwatch Institute), on a estimé qu'il en résulterait une perte de grains à récolter variant de 9 à 20 millions de tonnes par an. La salinité, la pollution et la modification du climat à l'échelle planétaire influent également sur la production alimentaire mondiale. Le Worldwatch Institute estime que ces facteurs se conjuguent pour entraîner une perte annuelle de 14 millions de tonnes supplémentaires de grains, soit 1 p. 100 de la production(23). Compte tenu de ces chiffres, l'aide alimentaire annuelle de 10 millions de tonnes à l'échelle mondiale compenserait à peine les pertes de production, et suffirait encore moins à nourrir les populations de plus en plus nombreuses(24).

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Source : Département de l'Agriculture des États-Unis, Service de recherche économique, World Agriculture Situation and Outlook Report, Washington (D.C.), juin 1989, d'après des données rassemblées par Harold E. Dregne dont il est fait état dans Worldwatch Institute, L'état de la planète 1990, R. Brown et al. (éd.), Paris, Economica, p. 98.

La fourniture de denrées alimentaires aux pays pauvres demeurera sûrement un défi de taille pour l'humanité pendant bien des décennies(25). La Commission Macdonald a fait état de deux tendances observées dans l'économie alimentaire mondiale au cours du dernier quart du siècle. Peu de pays peuvent maintenant produire un excédent appréciable de denrées alimentaires; de plus, le monde dépend davantage de l'Amérique du Nord, en particulier des États-Unis pour ses approvisionnements en céréales. Parmi les rares pays qui exportent encore des grains, le Canada figure en tête de liste(26). La production alimentaire est un point d'appui de l'économie actuelle du pays.

Selon l'Agence canadienne de développement international (ACDI), principal organisme gouvernemental canadien chargé de distribuer l'aide à l'étranger, les Canadiens sont, par habitant, les principaux donateurs d'aide alimentaire dans le monde. Entre 1978-1979 et 1986-1987, le Canada a fourni 7,7 millions de tonnes de céréales, ainsi que de l'huile végétale, de la poudre de lait écrémé, des légumineuses et du poisson(27).

Selon une étude(28) publiée par la FAO en 1979, le taux d'accroissement de la production agricole projeté pour les pays en développement s'établissait à un peu moins de 4 p. 100 au cours du dernier quart du siècle. Un tel taux d'accroissement annuel dépendait d'une hausse de 7 p. 100 du produit intérieur brut (PIB). Selon les projections de l'étude de 1979, si ce taux de croissance de 7 p. 100 n'était pas atteint, la demande excéderait l'offre, le déficit net au titre des céréales pouvant atteindre 91 millions de tonnes en 1990 et 153 millions de tonnes en 2000(29). La hausse réelle du PIB s'est chiffrée à 3,5 p. 100(30).

Le taux de croissance souhaité n'a pas été atteint, en grande partie à cause de la récession mondiale. Le déficit projeté en 1988 pour l'an 2000 équivaut, cependant, à peu près à celui prévu par l'étude réalisée en 1979 pour la décennie précédente. Les prévisions plus faibles de la population et de la demande ont entraîné la révision du chiffre du déficit de 95 millions de tonnes d'ici l'an 2000, comme en témoigne le tableau 3(31).

La production alimentaire dans les pays en développement s'est accrue d'environ 3 p. 100 par an au cours des trois dernières décennies — son volume a plus que doublé et elle affiche un taux d'accroissement supérieur d'environ un point de pourcentage à celui qui est observé dans les pays développés, comme l'indiquent les tableaux 4 et 5(32). La croissance a toutefois connu une variation considérable. Alors que des pays comme l'Inde et la Chine ont accru sensiblement leur production, la croissance en Afrique subsaharienne a été faible en raison des conditions climatiques désastreuses, de la situation politique instable et des politiques gouvernementales qui ont freiné la production alimentaire locale. La production alimentaire par habitant a régressé de 20 p. 100 au cours des 20 dernières années. La population a continué de s'accroître annuellement de 3 p. 100 tandis que la croissance de la production alimentaire est tombée à 1,2 p. 100 seulement. Les importations de grains ont absorbé 20 p. 100 des rentrées de devises totales(33).

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Source : Nikos Alexandratos, directeur, World Agriculture Toward 2000, a FAO Study, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 87.

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Source : Nikos Alexandratos, directeur, World Agriculture Toward 2000, a FAO Study, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 33.

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Source : Nikos Alexandratos, directeur, World Agriculture Toward 2000, a FAO Study, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 38.

Jusqu'à maintenant, les progrès technologiques en agriculture ont permis à la production alimentaire d'augmenter plus rapidement que la croissance démographique dans nombre de pays en développement, ce qui a contribué à maintenir en équilibre délicat la capacité de peuplement des terres. Il se pourrait que cela ne soit plus possible, cependant, à moins que le village mondial ne suive des orientations durables. La section suivante porte sur certaines des contraintes qui influent sur la capacité des pays en développement de devenir autosuffisants sur le plan alimentaire.

LE RÔLE DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIE

Les quelque 880 millions de personnes environ du tiers monde qui vivent dans la pauvreté absolue habitent surtout dans des régions rurales et dépendent dans une large mesure de l'agriculture pour mener une existence précaire(34). Que les producteurs de denrées alimentaires comptent parmi les plus mal nourris du monde est particulièrement ironique, mais les données confirment que, même avec les niveaux actuels de technologie agricole et en utilisant entièrement toutes les terres arables existantes, 50 p. 100 des pays en développement n'auront pas les ressources en terres nécessaires pour répondre aux besoins alimentaires de leur population en l'an 2000(35).

Bien que la proportion de la population mondiale vivant dans ces conditions ait diminué au cours de la dernière génération, le nombre des personnes qui subissent ces conditions a en fait augmenté. Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Chambre des communes a qualifié cet état de fait de «[l'] un des grands échecs des programmes de développement»(36).

L'explosion démographique dans nombre de pays en développement exerce des pressions supplémentaires sur un environnement mondial qui subit déjà le contrecoup d'une croissance économique rapide et inconsidérée dans de nombreuses régions du monde. Pour permettre à l'environnement de récupérer, il faut donc répondre aux besoins des populations et des pays les plus pauvres.

Comme la plupart des habitants de ces pays tirent leur gagne-pain et leurs revenus de l'agriculture, c'est par le développement agricole qu'il faut s'attaquer à la source fondamentale de la pauvreté et des bas niveaux de vie(37). Dans le cadre de l'objectif primordial qui consiste à accroître la production agricole globale dans les pays du tiers monde, le but principal doit être d'améliorer le bien-être des familles rurales en augmentant la productivité des petites exploitations agricoles et en favorisant l'accès aux ressources, aux marchés et à l'aide technique(38). L'importance du rôle de ces petits exploitants agricoles dans l'aide au développement agricole a eu tendance à être minimisée.

On a estimé que seulement 15 p. 100 des hausses de production dans les pays en développement résulteront de l'agrandissement des terres cultivables actuelles; par conséquent, l'amélioration de la technologie devrait jouer un rôle prépondérant dans l'accroissement de la production(39).

On mentionne souvent que l'Inde constitue un exemple d'un pays où le transfert de technologie a été couronné de succès; sur une période de 20 ans, ce pays est devenu un exportateur de céréales grâce à l'adoption de progrès technologiques comme des variétés de blé et de riz à haut rendement. Malheureusement, les variétés à haut rendement n'atteignent leur potentiel que si l'on fait appel à l'irrigation, aux pesticides, aux herbicides et à des terres de qualité supérieure pour les cultiver. Si l'un quelconque de ces facteurs est absent, la variété moderne donne généralement des résultats inférieurs à ceux des variétés remplacées. En outre, la diversité génétique est battue en brèche lorsqu'une seule variété remplace les centaines de variétés adaptées à la région. De plus, la monoculture de plantes génétiquement uniformes est extrêmement vulnérable aux épidémies de maladies, alors que la diversité génétique aide les plantes à résister aux ravageurs et leur permet de tolérer les fluctuations du climat. Les agriculteurs traditionnels utilisent la diversité pour prévenir les désastres que risquent d'entraîner les conditions climatiques ou le marché. Produire des cultures qui possèdent des propriétés différentes et croissent dans des conditions différentes réduit le risque. Pour la grande majorité des exploitants agricoles du monde, réduire les risques revêt beaucoup plus d'importance que maximiser la productivité.

Il reste à déterminer pourquoi l'acceptation de souches traditionnelles indigènes n'est pas plus généralisée. Une partie du problème réside dans le fait que certains considèrent les cultures traditionnelles comme rétrogrades et contraires au développement(40). En outre, les politiques des pouvoirs publics peuvent aller à l'encontre du recours aux solutions locales; par exemple, il se peut que des crédits ne soient accordés que pour les variétés à haut rendement et que les variétés traditionnelles ne soient pas approuvées. Le régime foncier peut aussi être un facteur. Préserver le sol en recourant moins aux facteurs de production et davantage aux variétés traditionnelles peut ne pas être un objectif du propriétaire foncier ou du métayer(41).

L'introduction de technologies avancées dans le tiers monde est loin d'avoir été couronnée de succès, surtout en Afrique. La révolution verte, qui s'est révélée très fructueuse dans certaines régions d'Asie, n'a pu s'implanter avec succès en Afrique, où les sols sont fragiles, les climats variables et les besoins en irrigation importants. Les gouvernements d'Afrique ont lancé une gamme de projets dans les années 70 pour accroître la production alimentaire intérieure. Leurs donateurs, qui étaient surtout occidentaux, ont favorisé les projets importants, mécanisés et à capitaux considérables ainsi que des cultures comme le blé, le riz et le sucre que préféraient les consommateurs des villes(42). Au cours de cette période, les pays occidentaux ont accordé une aide au développement économique de 22,5 milliards de dollars à l'Afrique subsaharienne. Pourtant, en 1986, cette région avait besoin de 9,6 millions de tonnes d'aide alimentaire par an parce que seulement 12 p. 100 de l'aide a été versée aux régions rurales, et encore moins aux petits exploitants agricoles, qui sont, croit-on, les agriculteurs les plus productifs de l'Afrique(43).

Ces dernières années, on a mis de plus en plus l'accent sur le développement de l'agriculture par les petites exploitations agricoles, mais il reste à résoudre le problème de l'adoption limitée des technologies introduites, qu'on désigne sous le nom de «retard dans les applications de la technologie»(44).

L'agriculture est façonnée par l'interaction de trois facteurs fondamentaux: la technologie et les ressources; le milieu social, économique et politique de la région et l'organisation socio-économique de l'entreprise agricole(45). En ce qui concerne le transfert de technologie aux petites exploitations agricoles, la compréhension du troisième facteur est essentielle à la viabilité de la technologie «améliorée». Bien des technologies nouvelles ne conviennent tout simplement pas parce que ceux qui les mettent au point et les transfèrent ont une compréhension insuffisante de l'organisation socio-économique et des objectifs du système des petites exploitations agricoles(46).

La FAO prévoit que, dans le cas de toute percée technologique fondamentale, il s'écoulera comme d'habitude une période de 10 à 15 ans entre la réalisation scientifique et l'utilisation généralisée au niveau de l'exploitation agricole(47). Il s'agit d'un problème qui ne se pose pas seulement dans le contexte du développement. Dans une étude récente, on a constaté qu'il y a généralement un dialogue insuffisant entre les scientifiques et les agriculteurs au sujet des solutions technologiques(48). Les scientifiques peuvent être des experts spécialisés dans la multitude de solutions aux problèmes et contraintes agricoles et dans la mise à l'essai de technologies dans des milieux précis. Les familles agricoles connaissent leur milieu physique, économique et social ainsi que leur système d'exploitation agricole. Ils connaissent les objectifs qu'ils essaient d'atteindre, les ressources et les facteurs de production disponibles ainsi que les contraintes et les points de pression critiques influant sur la production.

Unifier les deux systèmes de connaissances n'est pas une mince tâche, et les mécanismes servant à intégrer le petit exploitant agricole dans le processus de conception technologique sont encore à l'état expérimental. Cependant, si le transfert de technologie est accepté comme un processus complexe de changement socio-économique, alors il n'y a pas de véritable solution de rechange(49).

On a constaté que le processus d'intégration comprend quatre étapes distinctes:  connaître le client; intégrer le contexte agricole dans le processus du projet; faire participer la famille agricole et évaluer l'adoption de la technologie(50). Idéalement, il faudrait suivre les quatre étapes dans le transfert de technologie; cependant, n'importe laquelle améliorerait l'intégration de la famille exploitant une petite ferme. Une telle approche permet de définir correctement tout problème, de recueillir tous les renseignements nécessaires et de concevoir une réponse utile.

Intégrer le point de vue des agriculteurs et leurs connaissances à un stade précoce du processus de conception de la technologie aide également à éclaircir les priorités en matière de recherche et de technologie. Concevoir des technologies nouvelles sans tenir compte des systèmes d'exploitation agricole auxquels elles s'appliqueront débouche souvent sur une application qui ne répond pas aux besoins des agriculteurs. Des études de cas montrent, par exemple, que le succès de projets de développement peut être compromis par le fait qu'on ne tient pas compte de la division différente du travail selon le sexe dans l'exploitation agricole à des fins commerciales et de subsistance. Si l'on vise à aider les hommes et que les femmes font tout le travail, ces dernières sont peu encouragées à accroître la production(51). En d'autres termes, «les petits exploitants agricoles ont tendance à évaluer toute technologie introduite en fonction de sa compatibilité avec les objectifs du ménage et des contraintes et possibilités auxquelles fait face le système de ménage intégré»(52).

Former les gens pour qu'ils s'adaptent, innovent et inventent des technologies nouvelles qui leur permettent de répondre à leurs propres besoins et à ceux de leurs sociétés constitue une question connexe importante. Pour que l'adaptation soit couronnée de succès, il faut introduire la technologie lentement, par étapes, tout en maintenant un lien permanent entre la technologie introduite et la collectivité locale; par exemple, la zone locale pourrait fournir certaines ressources, ou le processus pourrait faire appel à certaines connaissances locales(53).

Les émissions polluantes, les effluents, l'érosion du sol et la destruction des forêts tropicales humides font tous ressortir le pouvoir des technologies occidentales périmées de causer des ravages dans les pays du Sud. Cela ne signifie pas que les pays en développement ont besoin d'une technologie occidentale plus perfectionnée. Les observateurs informés soulignent que les dispositifs les mieux à même de produire les gains les plus spectaculaires, surtout en matière de conservation des ressources et de réduction de la pollution, sont incontestablement la technologie rudimentaire et que ceux-ci se paient souvent en moins d'une année ou deux(54).

Par conséquent, le transfert de technologie n'est pas une voie à sens unique. À mesure que les gouvernements du tiers monde et les communautés tribales se rendront compte des possibilités de leurs connaissances traditionnelles, ils disposeront d'un moyen puissant de transfert de technologie(55). La mise au point de produits et de procédés adaptés aux conditions locales, et l'échange d'idées entre pays rendus à des stades semblables de développement, pourraient se révéler un modèle plus prometteur que l'importation aveugle de technologies occidentales étrangères. Envisagées dans cette perspective, les connaissances indigènes sont au moins aussi valables pour les pays du tiers monde que les compétences scientifiques occidentales. La solution consiste à marier les deux(56).

LA RÉACTION DES PAYS DÉVELOPPÉS

Pour pouvoir apporter des améliorations, les gouvernements des pays du tiers monde doivent réviser leurs politiques et accorder davantage la priorité au développement agricole, mais le progrès dépend également de la volonté des pouvoirs publics des pays développés d'accroître leur aide technique et financière aux pays du tiers monde(57).

En 1987-1988, l'Aide publique au développement (APD) s'est chiffrée à 2,7 milliards de dollars, soit environ 0,5 p. 100 du PNB ou environ 2 p. 100 des dépenses du gouvernement fédéral(58). L'objectif est d'atteindre 0,7 p. 100 du PNB d'ici l'an 2000.

En 1984, année où la situation de millions de personnes menacées de famine en Afrique a été portée à l'attention du monde entier, le Canada a répondu généreusement. Les Canadiens reconnaissent que le soulagement de la famine et de la pauvreté généralisées dans les pays moins développés est un aspect critique des relations internationales du pays. Il existait également un consensus selon lequel le développement en Afrique est un problème à long terme qui ne peut être réglé uniquement par une aide d'urgence à court terme(59).

L'aide ne peut plus être considérée comme une mesure temporaire ponctuelle à l'appui d'un modèle simple de développement menant au décollage industriel. Dans la section précédente, nous avons fait ressortir que le développement n'est pas simplement le transfert de biens ou de technologies; des questions d'équité et de participation se posent également. Les pauvres doivent devenir les agents de leur propre développement(60). L'aide est au mieux un moyen permettant d'appuyer le développement et ne saurait remplacer des politiques intérieures et internationales appropriées(61).

Jusqu'à tout récemment, une caractéristique des pays en développement a été d'accorder davantage la priorité au développement industriel et à l'infrastructure connexe qu'au secteur agricole. Depuis la crise alimentaire du début des années 70, un certain nombre de pays en développement se sont rendus compte qu'une croissance trop lente du secteur agricole entrave la croissance économique générale et intensifie les graves problèmes sociaux existants(62).

Même si dans les années 70 les pays donateurs ont adopté, dans leur aide au développement, des approches fondées sur les besoins fondamentaux de la personne, une décennie plus tard jusqu'à 30 p. 100 de l'aide bilatérale était encore destinée aux pays à revenus moyens supérieurs. L'aide a été la moins efficace là où les besoins sont les plus grands — dans les pays et auprès des populations les plus pauvres, notamment en Afrique(63). À l'instar de bien des pays développés, le Canada, lorsqu'il a tenté d'appliquer un programme polyvalent, n'a pas répondu aux attentes dans le secteur qui pouvait le mieux aider les familles agricoles rurales, lesquelles comptent parmi les populations les plus pauvres du monde. Comme le montre le tableau 6, environ 13 p. 100 de l'aide bilatérale de l'ACDI a été consacrée au développement agricole, et un montant comparable a été accordé à l'aide alimentaire(64).

L'aide alimentaire a habituellement été considérée comme un moyen d'action important. Ces dernières années, le Canada a accordé plus de 300 millions de dollars par an au titre de l'aide alimentaire dans le cadre du Programme alimentaire mondial, de l'aide bilatérale et des organisations non gouvernementales canadiennes. L'aide alimentaire a parfois été accusée d'être un programme d'écoulement des excédents qui peut servir de désincitation à la production agricole dans les pays en développement. L'ACDI, toutefois, estime que l'aide alimentaire vient appuyer l'accroissement progressif de la production locale et permet de régler les problèmes humanitaires et de balance des paiements des pays en développement(65).

En outre, le Canada fournit du personnel technique; l'aide technique vient au deuxième rang après l'éducation sur le plan des effectifs. Même si le Canada a accru sensiblement son aide pour ces activités ces dernières années, il est encore possible de mettre davantage l'accent sur la mise en valeur des ressources à l'échelle humaine pour encourager les bénéficiaires à devenir plus autosuffisants, même si cela les met inévitablement en concurrence avec les pays donateurs.

Le développement agricole est un domaine complexe des activités en matière d'aide, tout bien intentionné qu'on soit. Nous avons vu dans l'examen du transfert de technologie l'importance de comprendre le milieu socio-économique de l'exploitation agricole. Les autres éléments clés des programmes d'aide couronnés de succès ont trait aux approches en matière de politique intérieure dans le secteur de l'agriculture et les autres secteurs qui contribuent à atteindre les objectifs de l'agriculture. La capacité d'absorption des pays en développement sur le plan des structures institutionnelles et du personnel formé peut nuire à l'aide au développement agricole. La nécessité d'une organisation efficace au niveau du village pour permettre la participation des producteurs, surtout les petits exploitants agricoles, aux activités de développement a déjà été mentionnée(66).

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Source : ACDI, Rapport annuel, 1990-1991, p. s55-s56.

À long terme, des programmes d'aide bien conçus ont non seulement la capacité de lancer le processus d'autosuffisance dans les pays en développement, mais procureront à des pays comme le Canada — qui dépendent dans une large mesure de la croissance des exportations pour assurer leur survie — de nouveaux marchés pour leurs produits. L'expérience a montré qu'à mesure que le secteur agricole se renforce, accroissant ainsi les revenus, les dépenses de consommation au titre des denrées alimentaires augmentent de façon marquée, ce qui se traduit par une demande beaucoup plus forte de denrées alimentaires que celle à laquelle les augmentations de la production intérieure peuvent répondre.

L'AGRICULTURE EN TANT QUE MESURE PRINCIPALE
DE LA SANTÉ DE L'ENVIRONNEMENT

Il y a des raisons probantes d'insister sur l'accélération de la production alimentaire dans les pays en développement, dont la plupart ne peuvent se permettre de dépendre de l'accroissement rapide des importations de denrées alimentaires provenant des pays développés et ne veulent pas en dépendre. L'exploitation agricole occupe généralement une place si importante dans leurs économies que le revenu national ne peut augmenter de façon satisfaisante que si la performance de l'agriculture est bonne. On dit qu'il est plus facile d'apporter des améliorations dans la distribution lorsque la production augmente fortement que lorsqu'elle stagne(67).

La méthode traditionnelle de mesure du progrès humain et d'évaluation des perspectives futures a consisté à utiliser la performance du PNB fondé sur le revenu (revenu national brut) et du PIB (produit intérieur brut). Depuis l'adoption des systèmes de comptabilité nationale il y a un demi-siècle, le revenu par habitant a été la mesure du progrès économique la plus utilisée. La comptabilité nationale vise à fournir un cadre d'information permettant d'analyser la performance du système économique d'un pays(68).

Aux premiers stades du développement économique, l'accroissement de la production se traduit assez directement dans la hausse des niveaux de vie. Il est devenu habituel d'assimiler le progrès à la croissance économique. Au fil du temps, toutefois, le revenu moyen est devenu moins satisfaisant comme mesure du bien-être. Il n'indique pas comment la richesse supplémentaire est répartie ou la dette environnementale que le monde contracte à mesure que le capital naturel de la terre s'amenuise(69).

Il en résulte une dangereuse asymétrie dans la façon dont les gens mesurent la valeur des ressources naturelles et, par conséquent, la façon dont ils l'envisagent. Les éléments d'actif artificiels, comme les immeubles et le matériel, sont évalués comme capital productif et sont déduits de la valeur de la production à mesure qu'ils se déprécient. Les ressources naturelles ne sont pas évaluées de cette manière: un pays pourrait épuiser ses ressources minérales, raser ses forêts, éroder ses sols, polluer ses réservoirs aquifères et causer l'extinction de ses ressources fauniques et halieutiques sans nuire à son revenu national mesuré. C'est le comble de l'ironie qu'on dise aux pays à faibles revenus qui dépendent le plus des ressources naturelles au titre de l'emploi, des recettes et des rentrées de devises d'utiliser un système de comptabilité nationale et d'analyse macro-économique qui ne tient presque pas compte de leurs principaux éléments d'actif(70).

À quelques exceptions près, seuls les biens et services échangés dans l'économie de marché figurent dans les comptes du revenu national, car les prix du marché offrent un moyen d'établir la valeur. Alors que la dépréciation des immobilisations est défalquée du PIB, l'épuisement d'actifs nationaux comme les forêts ne figure pas comme consommation de capital ou au débit du PIB. Comme la base de la comptabilité consiste à mesurer les écarts dans les comptes en fonction d'intervalles temporels, une telle omission est illogique. L'«amendement» des terres est considéré comme une contribution au revenu enregistré alors qu'en fait il peut se traduire par l'anéantissement du potentiel de revenu par suite de la surexploitation. Comme le dit Repetto, «les comptes nationaux créent ainsi l'illusion du développement alors qu'en fait la richesse nationale est détruite. Par conséquent, un désastre économique se déguise en progrès»(71). Les ressources naturelles, comme le sol dont l'agriculture est tributaire, sont un actif économique et non un don de la nature comme le laisse entendre leur traitement dans les comptes nationaux.

Même si la Banque mondiale, dans son rapport de 1991, a assimilé le développement économique durable à de meilleurs niveaux de vie dans les domaines de l'éducation, de la santé et de la protection de l'environnement, elle continue d'utiliser des formules de développement économique qui découragent l'investissement dans la population, la santé et l'éducation. Le PNB, le PIB, l'inflation, les taux d'intérêt, le chômage et autres indicateurs économiques ont tendance à accréditer la thèse qui consiste à mettre sur le même pied la richesse réelle et l'argent(72).

On reconnaît lentement, mais de plus en plus, qu'il faut trouver de nouvelles façons de mesurer le progrès. Deux événements intéressants se sont produits récemment: l'établissement de l'Indice du développement et du bien-être humain (IDBH), conçu par les Nations Unies et l'Indice du bien-être économique durable (IBED), présenté par H. Daly et J. Cobb dans leur ouvrage intitulé For the Common Good(73). L'IDBH utilise la longévité, la connaissance et la maîtrise des ressources comme indicateurs d'une vie satisfaisante. Les statistiques portent sur l'espérance de vie, l'alphabétisation et le PIB ajusté selon le pouvoir d'achat. Une espérance de vie moyenne élevée, par exemple, indique un accès général aux soins de santé et à des denrées alimentaires suffisantes. Les États-Unis, qui arrivent en première place dans le monde en ce qui concerne le PIB ajusté par habitant, se classent au dix-neuvième rang selon l'IDBH, derrière des pays comme l'Australie, le Canada et l'Espagne(74). L'IDBH tient compte du pouvoir d'achat réel plutôt que du seul revenu monétaire(75).

Selon Lester Brown, du Worldwatch Institute, alors que l'IDBH est une mesure plus satisfaisante du bien-être humain, il ne révèle pas la dégradation de l'environnement. L'IBED, cependant, tient compte de l'épuisement des ressources non renouvelables, de la perte des terres agricoles attribuable à l'érosion du sol et à l'urbanisation, de la perte des terres humides et du coût de la pollution de l'air et de l'eau. À l'heure actuelle, cet indice n'a été calculé que pour les États-Unis, où il indique une hausse du bien-être économique durable par personne de quelque 42 p. 100 entre 1950 et 1976, mais une chute ultérieure de 12 p. 100 à partir de ce niveau en 1988 (voir le graphique 1).

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Source: Écodecision, juin 1992, p. 22.

Le Costa Rica semble être l'un des premiers pays en développement à incorporer la dépréciation des ressources naturelles dans la comptabilité du revenu national. Tout comme dans bien d'autres pays en développement, les ressources naturelles du Costa Rica constituent son actif économique le plus important; pourtant elles ont été sérieusement dégradées. Les pâturages s'étendent sur plus de 35 p. 100 de la superficie du pays bien que 8 p. 100 seulement se prêtent à cet usage. La plus grande partie du territoire ne convient qu'aux forêts, mais le couvert végétal ne s'étend plus que sur 40 p. 100 du pays(76). Sur une période de 20 ans, les actifs représentés par les ressources naturelles dans ce pays correspondant, selon les évaluations, à la valeur du PIB pendant plus d'un an ont disparu. Cela représente une réduction de 30 p. 100 de la croissance économique éventuelle. En 1984, par exemple, la dépréciation du sol correspondait à 9 p. 100 de la valeur ajoutée en agriculture. Le tableau 7 montre comment l'inclusion de la dépréciation des ressources naturelles dans les comptes nationaux donne une meilleure idée de la richesse de l'économie d'un pays. Son inclusion a réduit le PIB de 9 p. 100 en 1989.

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Source : R. Repetto et al., Accounts Overdue: Natural Resource Depreciation in Costa Rica, Washington (D.C.) : World Resources Institute, 1991, cité dans Environment, septembre 1992, p. 43.

Si l'objectif de l'agriculture dans le monde est de répondre aux besoins alimentaires de la génération actuelle sans priver les générations futures, nous devons pouvoir mesurer avec précision si la consommation actuelle épuise les actifs productifs du pays au détriment du revenu des générations futures(77).

Comme le dit Repetto:

Le fait qu'on n'ait pas réussi par le passé à empêcher la dégradation des ressources naturelles a déjà miné les efforts déployés pour développer les économies et réduire la pauvreté. Les décideurs ne reconnaissent pas encore cet effet, cependant, car ils agissent comme si les ressources naturelles étaient sans limite ou comme si la technologie pouvait toujours remplacer les ressources épuisées ou détériorées. Un dialogue accru entre les décideurs et les scientifiques peut aider à dissiper cette idée simpliste de l'environnement naturel. Un système de comptabilité économique qui reflète l'état réel des ressources naturelles fournirait un outil essentiel pour l'analyse intégrée des politiques environnementales et économiques dans tous les secteurs de l'État(78).

Si nous continuons de mesurer le progrès humain selon le PNB et le PIB, nous risquons bientôt de subir un réveil brutal au sujet de notre capacité de nourrir les enfants pauvres du monde. La première étape consiste à déterminer si diverses régions du monde produisent des denrées alimentaires en fonction de la capacité limite de leur base nationale de ressources. L'étape suivante consiste à mettre en place des politiques de développement durable de nos ressources alimentaires de façon à permettre de nourrir les générations futures.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Alexandratos, Nikos, (éd.). World Agriculture: Toward 2000, an FAO Study. Londres, Belhaven Press, 1988.

Brown, Lester B. «Economics versus Ecology: Two Contrasting Views of the World». Écodecision, juin 1992.

Canada, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Chambre des communes. Premier rapport à la Chambre. Qui doit en profiter? Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 26, 20 mai 1987.

Henderson, Hazel. «New Indicators for a Changing World». Écodecision, juin 1992.

Repetto, Robert. «Earth in the Balance Sheet, Incorporating Natural Resources in National Income Accounts». Environment, septembre 1992.

Sands, Deborah M. The Technology Applications Gap: Overcoming Constraints to Small-Farm Development. FAO Research and Technology Paper. Rome, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 1986.

Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 1992, le développement et l'environnement. New York, Oxford University Press, 1992.

World Resource Institute. World Resources, 1992-93. New York, Oxford University Press, 1992.

Worldwatch Institute. L'État de la planète 1990. Lester R. Brown et al. (éd.), Paris, Economica, 1990.

 


(1) Société royale de Londres et Académie des sciences des États-Unis, Population Growth, Resource Consumption and a Sustainable World, déclaration conjointe, printemps 1982, p. 4.

(2) L'Institut Nord-Sud, Population mondiale: les défis qui demeurent, Document de synthèse no 11, Ottawa (Ontario), 1985, p. 2.

(3) Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada (la Commission Macdonald), Rapport, volume un, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, août 1985, p. 89.

(4) World Resource Institute, World Resources, 1992-93, New York, Oxford University Press, 1992, p. 76.

(5) Ibid.

(6) Ibid.

(7) James W. Kirchner et al., « Carrying Capacity, Population Growth, and Sustainable Development », Rapid Population Growth and Human Carrying Capacity : Two Perspectives, Dennis J. Mahar, directeur, Documents de travail du personnel de la Banque mondiale, numéro 690, Washington, Banque mondiale, Washington, 1985, p. 85.

(8) La Commission Macdonald (1985), p. 94.

(9) Nikos Alexandratos (éd.), World Agriculture : Toward 2000, an FAO Study, Londres, Belhaven Press, 1988, p. 72-74.

(10) Kirchner (1985), p. 59-60.

(11) Alexandratos (1988), p. 72-74.

(12) Ibid.

(13) La Commission Macdonald (1985), p. 94.

(14) Paul Sauvé, «Le défi mondial de l'agriculture», Le banquier, no 93, août 1986, p. 6-13.

(15) Ibid.

(16) La Commission Macdonald (1985), p. 95.

(17) Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 1992, Le développement et l'environnement, New York, Oxford University Press, 1992, p. 29.

(18) Kirchner (1985), p. 61.

(19) Worldwatch Institute, L'état de la planète 1990, Lester R. Brown et al. (éd.), Paris, Economica, 1990, p. 97.

(20) Ibid.

(21) Worldwatch Institute, L'état de la planète 1991, Lester R. Brown et al. (éd.), Paris, Economica, 1991, p. 2.

(22) Worldwatch Institute (1990), p. 98.

(23) Ibid., p. 98-104.

(24) Canada, Agence canadienne de développement international (ACDI), Partageons notre avenir, ministre d'Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1987, p. 56.

(25) Ibid., p. 91.

(26) La Commission Macdonald (1985), p. 97.

(27) ACDI, Partageons notre avenir, (1987), p. 56.

(28) Organisation des Nation Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), Agriculture Horizon 2000, réimpression d'Unipub, Rome, juillet 1979.

(29) FAO (1979), p. 182.

(30) Alexandratos (1988), p. 1.

(31) Ibid., p. 85.

(32) Ibid., p. 32 et 36.

(33) M. Waring, If Women Counted, New York, Harper and Row, 1988, p. 179.

(34) Canada, Parlement, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Chambre des communes, Premier rapport à la Chambre, Qui doit en profiter?, Procès-verbaux et témoignages, Fascicule no 26, 20 mai 1987, p. 11.

(35) La Commission Macdonald (1985), p. 96.

(36) Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur, Procès-verbaux et témoignages (1987), p. 11.

(37) Canada, Agence canadienne de développement international, Aide du Canada aux pays du tiers monde en matière d'alimentation et d'agriculture, notes d'information pour le Comité de l'agriculture de la Chambre des communes, non datées.

(38) Deborah M. Sands, The Technology Applicaitons Gap: Overcoming Constraints to Small-Farm Development, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome, 1986, p. 1.

(39) La Commission Macdonald (1985), p. 96.

(40) Jeremy Cherfas, « Farming Goes Back to its Roots », New Scientist, 9 mai 1992, p. 13.

(41) Ibid., p. 13.

(42) Jack Sheppard, «When Foreign Aid Fails», The Atlantic Monthly, avril 1985, no 255, p. 42.

(43) Ibid., p. 43.

(44) Sands (1986), p. 1, 65 (traduction).

(45) Ibid., p. 2.

(46) Ibid.

(47) Alexandratos (1988), p. 12.

(48) Canada, Parlement, Sur la voie d'une agriculture viable et durable, Rapport du Comité permanent de l'agriculture de la Chambre des communes, mai 1992, p. 32.

(49) Sands (1986), p. 65.

(50) Ibid.

(51) Ibid., p. 12-13 et 75.

(52) Ibid., p. 3 (traduction).

(53) Fred Pearce, « The Hidden Cost of Technology Transfer », New Scientist, 9 mai 1992, p. 38.

(54) Ibid., p. 37.

(55) Ibid., p. 39.

(56) Ibid.

(57) Canada, Agence canadienne de développement international, L'agriculture dans les pays du tiers monde, Hull, mai 1984, p. 2

(58) Canada, Agence canadienne de développement international, L'assistance canadienne au développement international — Pour bâtir un monde meilleur, Réponse du gouvernement du Canada au rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, ministre d'Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1987, p. 9.

(59) Canada, Parlement, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur, Document de travail sur les politiques et programmes du Canada en matière d'assistance publique au développement, juillet, 1986, p. 1.

(60) Ibid., p. 5.

(61) Ibid., p. 2.

(62) FAO (1979), p. 6.

(63) Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Chambre des communes, document de travail (1986), p. 5.

(64) Canada, Agence canadienne de développement international, Rapport annuel 1990-1991, ministre d'Approvisionnements et Services Canada, avril 1992, p. S55-56.

(65) ACDI, Partageon notre avenir (1987), p. 60.

(66) ACDI (notes d'information, non datées), p. 2.

(67) FAO (1979), p. 6.

(68) Robert Repetto, «Earth in the Balance Sheet, Incorporating Natural Resources in National Income Accounts», Environment, septembre 1992, p. 13.

(69) Lester B. Brown, «Economics versus Ecology: Two Contrasting Views of the World», Ecodecision, juin 1992, p. 19-21.

(70) Repetto (1992), p. 14 (traduction).

(71) Ibid., p. 15 (traduction).

(72) Hazel Henderson, « New Indicators for a Changing World », Écodecision, juin 1992, p. 60.

(73) H. Daly et J. Cobb, For the Common Good, Boston, Beacon Press, 1989.

(74) Lester R. Brown, « Economics Versus Ecology: Two Contrasting Views of the World », Écodecision, juin 1992, p. 21.

(75) Henderson (1992), p. 60.

(76) Repetto (1992), p. 17.

(77) Ibid., p. 43.

(78) Ibid., p. 44 (traduction).