BP-332F
LES DROITS DE LA PERSONNE
:
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES B. Travail et prostitution des enfants LES
DROITS DE LA PERSONNE :
La mondialisation de plus en plus grande des échanges et la nécessité dinvestir dans de nouveaux marchés amènent certaines personnes à sinterroger sur les violations des droits de la personne dans certaines des économies en pleine croissance, en particulier dans la région de lAsie-Pacifique. Selon certains, il est irréaliste de vouloir imposer les notions occidentales en matière de droits de la personne à dautres cultures, tandis que selon dautres, les gouvernements de lOuest doivent chercher plus activement à obtenir de leurs partenaires commerciaux des garanties dans ce domaine avant de faire des affaires avec eux. Dans ce document, nous examinons le débat qui fait rage à cet égard. Depuis quelques années, on entend beaucoup parler du «nouvel ordre mondial». Ce que cela pourrait vouloir dire a donné lieu à des spéculations de plus en plus pragmatiques, mais un sentiment général demeure : les nations voient souvrir devant elles des possibilités sans précédent. Les pays de lancienne Union soviétique attendent encore les signes dune prospérité économique et dune liberté politique manifestes. Dautres voudront que leurs gouvernements concentrent leurs efforts sur le renouveau économique et social pour mieux faire face aux exigences de la mondialisation des échanges. Pour certains, ce nouvel ordre mondial pourrait annoncer à peine plus que de modestes progrès dans la lutte pour saffranchir de siècles de dénuement et de discrimination. Ne serait-ce que cela, la fin de la guerre froide a permis de nourrir un certain optimisme à légard de lavenir des relations entre les États et de leurs populations respectives. Et si les Nations Unies nont finalement pas été un remède universel en matière de médiation des conflits, elles ont tout de même élaboré toute une série d«ententes» qui peuvent servir de guide et de normes. La rivalité idéologique entre les superpuissances ne structure plus le monde, et il nest plus nécessaire de sacrifier les «droits» et la «justice» sur lautel des intérêts des blocs. Dans un monde de plus en plus interdépendant, les nations ne peuvent plus soffrir le luxe dêtre les seules à juger de leurs actes. Les gestes quelles posent et les progrès quelles font dans le domaine des droits de la personne seront jugés par le tribunal de lopinion publique internationale, par des organisations non gouvernementales et selon les normes que, par lintermédiaire des Nations Unies, lhumanité est venue à considérer comme celles dun comportement civilisé. À cet égard, quelques jalons viennent aussitôt à lesprit :
Les cyniques, bien entendu, dénoncent ces accords en prétendant que, bien que leur intention soit non noble, il est impossible de les faire respecter. Largument est indiscutable. Mais, tout en ladmettant, il faut rappeler que ces déclarations et ces conventions ont fini par constituer un ensemble identifiable de normes internationales sur la bonne conduite des relations entre les gouvernements et les administrés. Et avec le temps, les déclarations dintention ont fini par se concrétiser dans des éléments du droit coutumier international. Il y a aussi ceux qui affirment que les principes associés aux droits de la personne, qui sont énoncés dans les documents des Nations Unies et les mesures que lOrganisation a prises, représentent des valeurs «occidentales» qui ne sauraient sappliquer facilement aux cultures non occidentales. Cest ainsi que les observateurs asiatiques attirent lattention sur le caractère unique des valeurs de lExtrême-Orient et mettent laccent sur les différences qui, selon eux, ne permettent pas dappliquer des normes morales dorigine occidentale à leur culture. Largument est parfois présenté sous forme de droits collectifs par opposition aux droits individuels, les premiers étant censés être plus caractéristiques des cultures de lAsie. Mais cette distinction nest pas nouvelle. En effet le discours des droits de la personne fait depuis longtemps la distinction entre deux catégories de droits :
Les premiers (les droits civils et politiques) sont issus des anciennes luttes pour la liberté individuelle et la démocratie. Les droits défendus en loccurrence étaient, entre autres, lextension du droit de vote, la primauté du droit et la liberté dexpression et dassociation. Les seconds (les droits collectifs) sont issus des tentatives des syndicats et des groupes de citoyens pour compenser les excès du capitalisme sauvage. Il sagissait daméliorer la qualité générale de la vie de tous les citoyens. Les droits défendus étaient, entre autres, le droit des ouvriers à former librement des syndicats et à négocier, laccès universel à linstruction, laccès aux soins médicaux et aux programmes sociaux et le droit au travail. Bien quon puisse distinguer les deux traditions, les droits collectifs ne sont en aucun cas censés sopposer aux droits individuels ou supplanter ceux-ci : ces deux types de droits sont complémentaires. En réalité, les droits collectifs contribuent à favoriser la mise en place des droits individuels. Cest ainsi quune population plus instruite sera plus encline à participer à la vie démocratique et à en reconnaître la valeur. Les citoyens qui ont accès à des services sociaux acceptables seront mieux en mesure de faire face aux changements économiques et ils auront une opinion plus positive à légard de leur société et de ses institutions. Une population instruite et «protégée» sera moins encline à tolérer les injustices à légard dautrui. La Déclaration de Bangkok (1993) réaffirme le «droit au développement» comme droit universel et inaliénable. Les signataires de la Déclaration ont donc reconnu que la pauvreté est «lun des principaux obstacles à la pleine jouissance des droits de la personne». Le développement est considéré comme un préalable nécessaire à lévolution et à lamélioration des droits et libertés individuels. Là encore, les droits collectifs et les droits individuels sont complémentaires, puisque les seconds nont guère de sens pour ceux qui ne font que subsister. Cependant, les États ne peuvent invoquer le «droit (collectif) au développement» pour refuser daccorder à leurs citoyens la jouissance de droits civils et politiques individuels. Les droits individuels se concrétiseront mieux et seront mieux défendus par une population qui regarde lavenir avec optimisme, mais ils ne doivent jamais être sacrifiés sous le prétexte quil faut avoir atteint un certain degré de développement avant de pouvoir être accordés. Si lon admet que la notion de droits collectifs ne devrait jamais justifier le déni des droits individuels, on peut invoquer le même raisonnement pour ce qui est de la notion de souveraineté. Il est arrivé trop souvent que des gouvernements ont abrogé les droits de la personne, puis revendiqué limmunité en invoquant le principe du droit international qui interdit lingérence dans les affaires intérieures dun État reconnu. Sans renoncer à ce principe, on peut aujourdhui faire valoir que le droit international protège les peuples souverains et non leurs gouvernements. Pour trouver des précédents, il suffit de considérer les résolutions et les sanctions des Nations Unies à légard de lAfrique du Sud, toutes fondées sur le principe que le système juridique des relations raciales de ce pays constituait une menace pour la paix. Laction des Nations Unies a donc établi le principe que la politique intérieure a des répercussions sur la sécurité internationale. De même, lOrganisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a inscrit les droits de la personne dans une entente internationale, leur garantissant ainsi de figurer à lordre du jour de la sécurité régionale européenne. Ce genre dentente a des répercussions aussi bien sur les gens qui défendent les droits de la personne que sur les régimes qui les bafouent(1). À lheure actuelle, la «sécurité» est plus que la seule sécurité militaire ou la sécurité des frontières, comme cela a été historiquement le cas. On peut aujourdhui valablement parler de sécurité coopérative pour englober non seulement les aspects militaires, mais aussi les aspects sociaux et économiques. On estime que sil est essentiel que des mesures dinstauration de la confiance sur le plan militaire existent, il faut aussi tenir compte de toutes sortes datteintes non traditionnelles à la sécurité. Beaucoup de ces atteintes, par exemple la détérioration de lenvironnement ou la gestion des ressources, ont des répercussions transfrontalières. La véritable sécurité a donc plusieurs aspects et ne peut être obtenue que si les nations tiennent compte de limportance des questions socio-économiques et des préoccupations relatives à lenvironnement et aux droits de la personne. Toute sécurité qui sacrifie les droits de la personne nest pas une véritable sécurité. Il nest pas possible dobtenir de stabilité à long terme en adoptant des stratégies qui aliènent et déshumanisent des pans entiers dune nation. En fin de compte, les États sont responsables des dangers quils constituent pour leurs propres citoyens. À ceux qui prétendent que la tradition internationale des droits de la personne nest quune tentative de lOuest pour imposer «son» système hégémonique de valeurs aux autres, il convient simplement de rappeler ce qui suit :
Au sens réel, toutes les valeurs sont «culturelles» au sens où elles sont «contextuellement définies et dépendantes dun réseau incontournable de relations socio-culturelles qui leur donnent sens et importance». Mais nous savons aussi, ne serait-ce quintuitivement, que les choix moraux ont, par-dessus tout, à voir «avec ce qui est bon en soi, objectivement, et pour tout le monde. Il y a des droits et des devoirs moraux qui existent indépendamment de la race, de la culture, de la tradition ou de la forme de gouvernement». Ces droits et devoirs, en ce qui concerne la pratique et laction, définissent les être humains comme êtres humains et non comme membres de telle ou telle société(3). Il y aura toujours une tension entre l«éthique universaliste» et les coutumes et croyances locales. Cette tension est inévitable, et, à long terme, lhumanité en tirera plus de profit si elle la considère comme positive. La coutume sera toujours critiquée par les tenants de léthique universaliste, cest-à-dire, dans le contexte examiné ici, la tradition des droits de la personne. Mais un principe universel qui ne respecte pas les coutumes très anciennes et les convictions qui sy rattachent risque de devenir lui-même une abstraction vide, sinon intéressée. Les droits de la personne sont à lordre du jour de la politique internationale, et ils y sont pour y rester. Il nest plus possible aujourdhui de parler dordre mondial sans tenir compte de la protection des droits de la personne ni remédier aux torts causés par leur violation. Mais ceux qui veulent bien faire doivent se rappeler que, pour une grande partie de lhumanité, la question nest pas de choisir parmi des biens concurrentiels, mais entre différents degrés de misère. Lironie veut que même cette dernière alternative puisse avoir des effets salutaires. Ces dernières années, la situation des femmes et la défense de leurs droits ont été à lavant-plan. Il reste toutefois beaucoup à faire. La Déclaration de Beijing et la Plate-forme daction ont engagé les gouvernements à prendre des mesures précises pour mettre fin à la violence à légard des femmes, invité les Nations Unies à intégrer les femmes au processus décisionnel, demandé instamment lélimination des pratiques traditionnelles nocives comme la mutilation des organes génitaux et abordé les questions de discrimination sexuelle(4). La Conférence de Beijing a attiré lattention sur les droits politiques, civils et juridiques des femmes, qui continuent à être considérablement sous-représentées dans la plupart des institutions politiques du monde. Les femmes de nombreux pays sont assujetties à des restrictions discriminatoires à légard de leurs libertés fondamentales, quil sagisse du droit de vote, du mariage, des déplacements, du droit de propriété, des pratiques successorales, de la garde des enfants, de la citoyenneté ou du témoignage en cour. Les femmes subissent également une discrimination dans laccès à léducation, à lemploi, aux soins médicaux et aux services financiers, notamment au crédit. Parmi les autres violations classiques de leurs droits, signalons la violence conjugale, lexploitation sexuelle, le harcèlement, lexploitation et le trafic des femmes(5). Les droits sociaux et politiques des femmes, lorsquils existent, nont pas été faciles à obtenir. En fait, du point de vue de la participation égale des femmes à la vie des institutions politiques et socio-économiques, il y a encore beaucoup à faire, même dans les pays dits développés. La violence conjugale, le harcèlement sexuel et la discrimination des salaires sont des problèmes qui se posent partout. Il est indispensable que les gouvernements se montrent à la hauteur de leurs engagements internationaux pour ce qui est des droits des femmes et que tout le travail des organisations non gouvernementales (ONG) soit à cet égard soutenu. Les femmes participent de plus en plus et activement à ces tribunes, y trouvant non seulement une cause commune, mais un moyen important de sexprimer collectivement. B. Travail et prostitution des enfants LOrganisation internationale du travail (OIT) estime que, à léchelle mondiale, plus de 250 millions denfants de cinq à quatorze ans sont au travail. Toujours selon lOIT, lexploitation des enfants dans des emplois industriels dangereux et dans le commerce sexuel augmente. Selon les estimations, 61 pour cent des jeunes travailleurs (soit 153 millions) sont en Asie, 32 pour cent (80 millions), en Afrique (où lon trouve le plus fort pourcentage denfants au travail) et 18 millions, en Amérique latine(6). Les conditions de travail rudes, et parfois intolérables, de ces enfants sont connues : il ny a donc pas lieu de les rappeler ici. La question, pour les décideurs, est celle-ci : Que peut-on faire, concrètement, pour mettre fin au travail et à lexploitation des enfants? Un brève réflexion révèle que la question est complexe et quil faudra des années, sinon des générations, avant que la question soit réglée. Dans son essence, le travail des enfants est un problème à la fois moral et structurel. Il est moral au sens où lon ne pourra jamais justifier valablement lexploitation des faibles, surtout sil sagit denfants. Il est structurel au sens où les facteurs qui favorisent le travail des enfants sont multiples et échappent à un seul et même pouvoir, quil sagisse dun gouvernement ou dun organisme. Les enfants contraints de travailler sont soumis à des pressions de toutes sortes :
On ne se surprendra pas que les caractéristiques du travail des enfants soient principalement déterminées par la pauvreté. Dans certains cas, la situation est empirée par la conviction que la servitude pour dettes est une réalité naturelle et incontournable, quelle a toujours fait partie des moyens de faire face aux misères de la vie marginale et quil en sera toujours ainsi. Si le travail des enfants est considéré comme faisant partie de l«ordre naturel» des choses, la détermination à le combattre viendra plus difficilement. Ce genre de conviction continue de nourrir la résignation parmi les malheureux qui ne savent pas quil existe de meilleures conditions et de favoriser leur exploitation cynique par certains de ceux qui le savent. Pour de nombreux enfants prisonniers du cycle sans fin de la pauvreté, la seule solution est daccepter des conditions dexploitation par le travail ou de tomber dans la prostitution. Là encore, il ne sagit pas de choisir entre des biens concurrentiels. Entre gagner deux dollars par jour à coudre des ballons de soccer pour le sous-traitant dune multinationale, être contraint à la prostitution ou mourir de faim, la première solution serait sûrement préférable(7). Les failles sociales provoquées par une grave pauvreté sont profondes, et ce nest pas dans les choix individuels que se trouve leur solution. Pour poser correctement le problème et envisager ses solutions, il faut considérer les institutions politiques et économiques de la société et non seulement la situation personnelle et la personnalité de quelques personnes dispersées. Pour être efficace sur le plan politique, et donc répondre à ses besoins, un groupe social doit être en mesure de transformer ses problèmes personnels en questions sociales. Les personnes touchées doivent finir par comprendre que ces questions ne peuvent être réglées par des particuliers, mais uniquement par des modifications de la structure locale dans laquelle ils vivent, voire de la structure sociale tout entière. Le sentiment dimpuissance nourrit non seulement le désespoir, mais aussi le cynisme. Et le cynisme est plus destructeur encore que le désespoir car il répand une image de la réalité qui le justifie. Si lon dit suffisamment souvent aux gens que leur «milieu» est leur lot naturel, ils sy habitueront et laccepteront. Ils ne trouveront bientôt plus dautre consolation que dans le sentiment de la fatalité et le désespoir quil nourrit. Pour régler le problème du travail des enfants, il faudra que les gouvernements, les ONG, les grandes sociétés nationales et multinationales et les collectivités locales interviennent de façon active. Il faut au moins que les gouvernements sassurent que les lois réglementant le travail des enfants sont respectées. La simple survie contraindra parfois les enfants à travailler pour contribuer au revenu familial. Mais ce travail ne doit pas échapper à la réglementation, et le fait davoir des lois sans les assortir de mécanismes dexécution revient à détourner la tête. Les intérêts économiques incitent les collectivités à accueillir les investissement des sociétés multinationales. Il y a bien entendu une communauté dintérêts dans ces relations, mais il sy rattache aussi des responsabilités. Il nest pas déraisonnable dinviter les sociétés à jouer un rôle en essayant de garantir des conditions de travail «acceptables» pour ceux qui produisent leurs biens. Ce nest pas une tâche aisée. Le travail sous-traité à des entreprises locales est souvent sous-traité encore à toutes sortes de petits producteurs à léchelle des villages. La question est alors de savoir jusquà quel point les sociétés devraient intervenir pour réglementer ou contrôler les producteurs locaux et si elles sont bien placées pour cela. En fin de compte, ce sont les gouvernements nationaux et locaux des pays hôtes qui ont à mettre en place des lois et des mécanismes dexécution. Certains gouvernements sont disposés à ne pas assumer cette responsabilité, soit par indifférence, soit parce que les exigences économiques les contraignent à prendre toutes les mesures voulues pour développer le pays et créer des emplois. Les ressources et les conditions concrètes limitent les bonnes intentions des gouvernements tout comme elles limitent les possibilités des particuliers. Il convient de signaler que certaines sociétés adoptent volontairement un code de déontologie. La NIKE Inc., par exemple, signe un protocole dentente (PE) avec toutes les usines de fabrication de chaussures NIKE. Lentente comporte des clauses contraignant les sous-traitants et les fournisseurs à respecter tous les règlements des gouvernements locaux concernant le salaire minimum, les heures supplémentaires, le travail des enfants, les prestations obligatoires de retraite, etc. De plus, tous les fournisseurs de la société doivent accepter de ne pas recourir au travail forcé, de conserver tous les registres utiles pour justifier quils respectent le PE et de présenter ces registres aux inspecteurs de la NIKE sur demande(8). Ces codes présentent certains avantages. Ils fournissent des directives administratives à tous les employés de la société dans toutes les sphères dexploitation et énoncent en termes clairs, pour les sociétés étrangères affiliées et pour les autres, les normes que la société est disposée à appliquer dans la conduite de ses affaires. Cest ainsi que, en 1992, Sears, Roebuck and Co. a annoncé quelle avait adopté une politique officielle garantissant que ses importations en provenance de la République populaire de Chine ne contenaient pas de produits fabriqués par des détenus. Cette politique exige que tous les contrats signés par Sears pour limportation de produits en provenance de Chine comporte une clause interdisant quaucun des biens importés dans le cadre du contrat ait été fabriqué par des détenus. La politique stipule également que «les employés de Sears peuvent de temps à autre procéder à des inspections impromptues dans les usines de fabrication de la Chine continentale pour vérifier leur conformité aux lois américaines quant au recours au travail forcé ou au travail des détenus». De plus, la politique exige que Sears tienne à jour des listes des usines de production de ses fournisseurs chinois et les compare à la liste quelle dresse des adresses des usines de travail forcé de la République populaire de Chine(9). Dautres entreprises ont adopté des directives semblables, preuve que si lon a la bonne volonté et le désir de bien faire, la législation internationale des droits de la personne peut fournir une norme valable de mesure des pratiques commerciales. Conjuguées à la sensibilisation des consommateurs aux conditions de la production, les directives volontaires de ce type peuvent se révéler extrêmement efficaces. Il est tout à fait possible dinviter les consommateurs à ne pas tenir compte seulement du prix lorsquils font leurs achats. Sil y a un groupe dont le travail continuera dêtre irremplaçable dans le règlement de la question du travail des enfants, cest la collectivité des ONG. En poursuivant leurs recherches et en élargissant leurs réseaux, les organisations non gouvernementales peuvent faire beaucoup pour accroître la transparence des violations des droits de la personne. Ce sont eux qui sont le mieux placés pour être la conscience, non seulement des gouvernements nationaux, mais de la collectivité internationale tout entière. Le travail proactif de ces groupes a toujours besoin dappui, et il est indispensable de faire en sorte que les gouvernements nationaux ne puissent les affaiblir. Le travail sur le terrain des ONG est sans prix, non seulement parce quil est efficace, mais parce quil est la meilleure preuve de luniversalité des droits de la personne. Cest précisément parce que les ONG sont profondément enracinés dans les sociétés et les cultures locales et quils jaillissent de leurs propres collectivités que leur travail a une authenticité et une légitimité indéniables. Les gens de conscience ont toujours combattu lexploitation des êtres humains les uns par les autres, quil sagisse de groupes ou de particuliers. La plupart voudraient croire que des progrès importants ont été réalisés à cet égard, mais, lorsquon essaie de régler la question actuelle de lexploitation sexuelle des enfants, on ne peut que sinterroger et se dire que le vernis de civilisation qui recouvre les comportements est en réalité bien mince. Dans ce cas, les coupables ne sont pas toujours ce quon appellerait des éléments criminels : il sagit de plus en plus de petits bourgeois en vacances, à la recherche dexcitation ou dune forme de gratification perverse que seul Freud pourrait espérer comprendre. Si les estimations relatives à la prostitution enfantine sont à peu près exactes, elles sont terrifiantes. Qui plus est, aucune région du monde nen est à labri. Les enfants prostitués sont au nombre de 70 000 en Zambie, de 200 000 en Thaïlande, de 40 000 au Vénézuela, de 25 000 en République dominicaine et de 500 000 en Inde. En Amérique, entre 100 000 et 300 000 enfants sont exploités sexuellement (prostitution et pornographie). En Europe de lEst, la situation est sinistre : même lEstonie, avec une population équivalant à un quart de celle de Londres, emploie quelque 1 500 enfants, certains à peine âgés de 10 ans, dans lindustrie du sexe(10). La nature exacte de lexploitation diffère dun pays à lautre. En Asie, par exemple, le commerce sexuel des enfants prend classiquement la forme de relations entre des hommes du lieu et de jeunes prostitués ou encore du «tourisme sexuel». Les enfants sont parfois vendus par la famille ou les amis, parfois en connaissance de cause, parfois avec la conviction que les enfants seront employés comme domestiques ou gagneront autrement de largent pour la famille. Dautres sont enlevés et expédiés clandestinement à létranger ou dans les villes et déplacés dun endroit à lautre, de telle sorte quils «disparaissent» effectivement(11). En Europe, le trafic des enfants se fait dun pays à lautre du continent; les enfants passent des pays pauvres de lEst aux pays plus riches où le marché est alimenté par des cercles de pédophiles organisés et des services dinformation de pointe. On constate aussi une augmentation de la prostitution enfantine pour des raisons de consommation : une consommation effrénée et la pression de la publicité et du désir poussent des jeunes à se prostituer pour acheter des biens très coûteux ou de la drogue. Ce phénomène existe également au Canada, aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni(12). En Amérique du Sud, linformation nous vient surtout des gens qui travaillent avec les enfants déjà contraints de travailler dans la rue et qui peuvent finir par décider de se prostituer ou y être forcés. Étant donné la précarité de leur situation, ils deviennent facilement la proie des proxénètes et dautres éléments criminels qui les exploitent en leur vendant une «protection» qui dissimule lexploitation, souvent la violence et trop souvent la dépendance à légard de la drogue. Il arrive aussi quils se prostituent «volontairement», espérant obtenir plus du commerce sexuel que des autres formes de travail dans la rue, pour financer une toxicomanie, acheter des biens de consommation qui seraient autrement hors de leur portée ou simplement pouvoir manger(13). Les causes de lexploitation sont nombreuses : précarité économique, migration et urbanisation à grande échelle, désintégration familiale, consommation effrenée et valeurs culturelles de discrimination à légard des femmes et des filles. Ce qui est particulièrement troublant, cest que des «clients» traversent des continents dans le but explicite davoir des relations sexuelles avec des enfants. On sait quil existe des entreprises de tourisme sexuel développées aux Philippines, au Cambodge et en Thaïlande. Plus récemment, le nombre des voyages dagrément sexuel ont augmenté de lAmérique du Nord vers le Brésil et la République dominicaine, et il semblerait que le phénomène samplifie également en Europe de lEst(14). Tout comme le travail des enfants, la prostitution des enfants dans le cadre du tourisme sexuel nest pas un problème facile à régler. Certaines agences de voyage ont accepté de prendre leurs responsabilités et commencent à éduquer leurs clients. La compagnie de vols nolisés allemande Condor présente à ses passagers en route vers le Sri Lanka un film contenant un passage sur la vie misérable des «garçons de plage», qui sont souvent la cible des pédophiles étrangers. Certaines agences de voyages sengagent également à annuler les contrats avec les hôtels qui permettent la prostitution enfantine dans leur établissement. LAustralie a montré la voie dans une législation extra-territoriale qui permet à ses nationaux dêtre poursuivis à leur retour pour des crimes sexuels commis contre des enfants à létranger. Une législation du même ordre est actuellement à létude au Parlement canadien(15). Ce sont là des mesures positives, mais il faut plus encore. Il faudra faire plus en matière déducation et de contrôle policier. Il faut promouvoir, aux échelles nationale et locale, les projets daide et de développement qui permettent de réduire la misère qui pousse souvent les parents et les enfants à faire ce quils auraient considéré autrement comme des solutions inacceptables. Les solutions aux problèmes que nous venons de soulever napparaîtront pas brusquement du jour au lendemain : elles procéderont par étapes, et la frustration sy mêlera constamment. Mais si nous pouvons en arriver à reconnaître la légitimité des droits de la personne à léchelle internationale, au moins en tant que norme de mesure des actions, alors il y a de lespoir.
(1) Enquête stratégique 1993 - 1994, Institut international détudes stratégiques, 1994, p. 38. (2) Gerhold K. Becker, «Asian and Western Ethics: Some Remarks on a Productive Tension», Eubios Journal of Asian and International Bioethics, no 5, 1995, p. 33. (3) Ibid., p. 31. (4) Overview Of Human Rights Practices, 1995, Département dÉtat américain, mars 1996. (5) Ibid. (6) Guardian Weekly, 17 novembre 1996. (7) John Stackhouse, «Youngsters Paid $1 For Making $50 Balls», Globe and Mail (Toronto), 20 novembre 1996. (8) «The Global Sweatshop», Far Eastern Economic Review, 9 septembre 1996, p. 5. (9) Diane F. Orentlicher et Timothy A. Gelatt, «Public Law, Private Actors: The Impact of Human Rights on Business Investors in China», Northwestern Journal of International Law and Business, vol. 14, no 1, automne 1993, p. 107. (10) John Henley, «World Congress Addresses Spiralling Child Sex Abuse», The Guardian Weekly, 8 septembre 1996. (11) World Congress Against Commercial Sexual Exploitation of Children, Overview, 1996. (12) Ibid. (13) Ibid. (14) Ibid. (15) Henley (1996). |