BP-368F
LA CRIMINALITÉ CHEZ LES JEUNES
:
Rédaction
: Patricia Begin
TABLE
DES MATIÈRES LA
LOI SUR LES JEUNES CONTREVENANTS : LES DIFFÉRENCES PAR LES JEUNES ET LA CRIMINALITÉ AU CANADA C. Affaires renvoyées au tribunal pour adolescents LA CRAINTE SUSCITÉE PAR LA CRIMINALITÉ LES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA LJC A. Divulgation publique de l'identité des jeunes contrevenants B. Peine maximale pour meurtre C. Renvoi à un tribunal pour adultes QUELQUES
PROPOSITIONS EN VUE D'UNE LES FAÇONS DE RÉAGIR À LA CRIMINALITÉ
LA CRIMINALITÉ
CHEZ LES JEUNES : La criminalité en général et, plus particulièrement, la criminalité chez les jeunes et le système judiciaire pour les jeunes, suscitent de plus en plus de colère, de crainte et de frustration chez les Canadiens. Soucieux de donner suite à l'inquiétude et aux demandes du public qui désire être protégé contre les criminels, la plupart des partis politiques ont pris position sur cette question au cours de la campagne électorale fédérale de 1993 et la plupart d'entre eux ont proposé une réforme de la Loi sur les jeunes contrevenants(1). Sans minimiser de quelque façon que ce soit le tort, les dommages et la méfiance causés par les comportements criminels, les criminologues font valoir depuis longtemps qu'il y a un énorme écart entre la perception qu'a le public des taux de criminalité et leur niveau réel. Nombreux sont ceux qui croient que le crime avec violence est un fléau, en particulier chez les jeunes(2), alors que celui-ci ne représente qu'une infime proportion de la criminalité globale. En fait, moins de 15 p. 100 de tous les crimes commis par des jeunes en 1992 étaient de nature violente(3). De plus, même si le taux de criminalité avec violence a augmenté chez les jeunes, l'augmentation notée est en grande partie attribuable à des actes d'agression mineurs entre pairs, qui, selon les analystes en matière de justice, n'auraient pas donné lieu à une intervention du système de justice pénale il y a dix ans. La hausse perçue du nombre de crimes avec violence chez les jeunes en a incité plus d'un à réclamer un raffermissement de l'intervention de l'État à cet égard, grâce à l'adoption de lois plus strictes et de peines plus longues. Cette réaction soulève toutefois une grave question: l'imposition de sanctions pénales plus sévères est-elle une façon efficace de prévenir et de réduire la criminalité? Au cours des 30 dernières années, le nombre d'agents de police, d'avocats, de juges, de gardiens de prison, de pénitenciers et de programmes correctionnels a augmenté en réaction à la criminalité; toutefois, cet élargissement du système de justice pénale n'a pas rendu les collectivités plus sûres(4). Ainsi, il devient de plus en plus évident que les mesures traditionnellement adoptées pour freiner la criminalité ne suffisent pas, malgré leur coût élevé, à enrayer la criminalité et la crainte inspirée par celle-ci. L'idée de tenir compte du contexte social et économique à l'origine de la criminalité et de mettre en oeuvre des programmes et des mesures de développement social axés sur la réduction des situations propices au crime, fait de plus en plus d'adeptes, parce que les organismes de justice pénale, à l'instar de l'ensemble des institutions publiques, doivent fonctionner avec des budgets toujours plus modestes sans pour autant que leur clientèle ou la demande de services ne diminue en conséquence. Voici quelques-unes des idées dont nous traitons dans le présent document. D'abord, nous examinons brièvement l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants et celle qui l'a remplacée, la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous exposons ensuite la situation de la criminalité chez les jeunes au Canada, telle qu'en font foi les statistiques officielles, puis nous abordons la question de la crainte inspirée par la criminalité. Nous passons ensuite en revue les modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants en 1984 et en 1992 ainsi que les autres propositions de réforme de la Loi qu'ont formulées les partis politiques fédéraux au cours de la récente campagne électorale. Enfin, nous proposons deux façons différentes d'aborder le problème de la criminalité ainsi que sa prévention et sa répression. LA
LOI SUR LES JEUNES CONTREVENANTS : LES DIFFÉRENCES PAR La Loi sur les jeunes contrevenants (LJC) est entrée en vigueur en 1984. Elle a pour objet les questions de justice pénale touchant les jeunes de 12 à 17 ans inclusivement. Sa philosophie et ses dispositions se démarquent considérablement de celles de la Loi sur les jeunes délinquants (LJD) qui, de 1908 à 1984, a régi l'administration de la justice pour les jeunes au pays. En vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, l'enfant ou l'adolescent mésadapté était considéré comme un produit de son environnement social, qui avait été «mal dirigé» et avait besoin «d'aide, d'encouragement et de secours». Cette loi ne faisait guère de distinction entre les jeunes en conflit avec la loi et ceux qui étaient considérés comme rebelles ou négligés et maltraités par leur famille. Le juge du tribunal pour adolescents prenait en considération les «meilleurs intérêts» de l'enfant, plutôt que sa culpabilité ou son innocence, au moment de fixer la peine d'un adolescent. En fait, le tribunal faisait office de parent bienveillant. Ses interventions ne visaient pas à punir le contrevenant mais à permettre sa réinsertion sociale. L'article 38 de la LJD témoignait d'ailleurs de cette orientation axée sur le bien-être de l'enfant.
Les analystes et les intervenants en matière de justice pénale reprochaient à la LJD d'accorder un pouvoir arbitraire trop grand aux autorités judiciaires chargées de s'occuper des jeunes. L'urgence d'une réforme de la politique en matière de criminalité chez les jeunes au pays s'est ensuite faite de plus en plus sentir dans les années 60. Selon Bala et Kirvan, l'orientation paternaliste de la Loi sur les jeunes délinquants «créait un système extrêmement discrétionnaire qui donnait énormément de marge de manoeuvre aux policiers, aux juges et aux agents de surveillance pour faire ce qu'ils estimaient être dans les «meilleurs intérêts» de l'enfant»(5). Les adolescents étaient privés des droits et des recours minimaux offerts aux adultes en matière de procédure, comme le droit de consulter un avocat ou d'en appeler d'une décision. Les jeunes envoyés dans des maisons de redressement pour purger leur peine y séjournaient souvent pendant des périodes indéterminées; ainsi, les autorités correctionnelles avaient le pouvoir de détenir un jeune délinquant jusqu'à ce qu'il soit considéré comme apte à réintégrer la société. En outre, les juges nommés au tribunal pour adolescents manquaient souvent de formation juridique. La quasi-inexistence de normes nationales régissant le traitement des adolescents posait un autre problème. Il n'y avait pas non plus d'uniformité, d'une province à l'autre, en ce qui concerne les âges minimal et maximal permettant de déterminer les cas relevant de la compétence du tribunal pour adolescents et le recours aux programmes de déjudiciarisation et d'imposition de peines à purger dans la collectivité(6). L'inefficacité de la Loi sur les jeunes délinquants à prévenir la criminalité chez les jeunes et à faciliter leur réinsertion était également évidente(7). La Loi sur les jeunes contrevenants (LJC), qui a remplacé la LJD, est la loi fédérale qui régit actuellement les questions relatives à la criminalité et à la justice chez les jeunes au Canada. Promulguée en 1984, elle a créé un nouveau cadre juridique pour orienter la réaction de la société face aux jeunes qui contreviennent au droit pénal. Même si la LJC renferme des éléments de la LJD, bon nombre de ses principes et de ses dispositions se fondent sur une démarche légaliste qui insiste sur l'application équitable de la loi et l'obligation pour les jeunes d'assumer la responsabilité de leurs actes. Les grandes orientations de la LJC sont énoncées à l'article 3 de la Loi, qui fait état des principes suivants : les jeunes doivent être tenus responsables de leur comportement criminel, même si leur degré de responsabilité à cet égard ne se compare pas toujours à celui des adultes; le public canadien a la responsabilité de prévenir la criminalité et le droit d'être protégé contre des actes susceptibles de menacer sa sécurité; les jeunes accusés d'un acte criminel ont le droit d'être traité équitablement selon la loi et jouissent d'une protection spéciale à cet égard; et, étant donné leur âge et leur degré de maturité, les jeunes contrevenants ont des besoins spéciaux qui exigent une assistance qui n'existe pas dans le système pour adultes. En fait, la Loi tente de concilier la nécessité de protéger le public contre les adolescents qui contreviennent au droit pénal en obligeant ceux-ci à assumer la responsabilité de leurs actes, et la nécessité de protéger les droits des jeunes contrevenants et de les aider à devenir des adultes productifs et respectueux des lois(8). La Loi sur les jeunes contrevenants a créé un nouveau système judiciaire et correctionnel expressément conçu pour les adolescents de 12 à 17 ans inclusivement. Au Canada, les enfants de moins de 12 ans ne sont pas considérés comme suffisamment mûrs pour pleinement comprendre les conséquences de leurs actes ou la portée des poursuites judiciaires intentées contre eux. Les jeunes qui n'ont pas l'âge d'assumer la responsabilité de leurs actes criminels relèvent des lois provinciales sur la santé mentale et le bien-être de l'enfance. La Loi reconnaît cependant la responsabilité pénale des jeunes de 12 à 17 ans inclusivement; leur degré de responsabilité juridique à cet égard est toutefois moindre que celui des adultes. Lorsqu'un jeune atteint l'âge de 18 ans, les droits et les responsabilités applicables aux adultes, ainsi que la capacité juridique, lui sont reconnus. La plupart des poursuites judiciaires prévues par la Loi sont menées par un tribunal pour adolescents distinct du tribunal pénal pour adultes. Même si les procès du tribunal pour adolescents sont ouverts au public, la Loi interdit aux médias de divulguer l'identité de l'accusé ou des témoins appelés à comparaître. Afin de protéger encore davantage la vie privée des jeunes contrevenants, l'accès à leurs dossiers criminels est restreint. Les jeunes ont le droit d'être représentés par un avocat devant le tribunal pour adolescents; la Loi ne permet toutefois pas la tenue d'une enquête préliminaire ou d'un procès devant jury. Une disposition de la LJC permet aux jeunes accusés d'échapper au processus judiciaire grâce au recours à des mesures de rechange. Conçues comme un moyen d'éviter les formalités associées aux poursuites devant un tribunal pour adolescents, ces mesures sont généralement utilisées dans le cas des contrevenants primaires qui ont admis avoir commis une infraction mineure. La participation à des services communautaires, la restitution ou l'inscription à un programme d'enseignement peuvent constituer des mesures de rechange au processus judiciaire officiel pour les jeunes. La Loi prévoit tout un éventail de peines ou de «décisions» pouvant être imposées à un jeune contrevenant reconnu coupable. Ces possibilités comprennent la libération inconditionnelle, l'amende, la restitution, les services communautaires, le traitement avec consentement, la mise en liberté surveillée et la réclusion assortie d'une surveillance communautaire pouvant durer jusqu'à cinq ans. Les jeunes accusés qui sont soupçonnés d'avoir commis un acte criminel grave et qui ont atteint l'âge de 14 ans peuvent être renvoyés à un tribunal pour adultes. Un jeune contrevenant condamné par un tribunal pour adultes est assujetti aux mêmes sanctions que les adultes. Les demandes de renvoi sont habituellement faites dans les cas où la Couronne juge que la peine maximale de détention prévue par la LJC ne suffit par à assurer la protection du public(9). LES JEUNES ET LA CRIMINALITÉ AU CANADA Selon un récent rapport du ministère de la Justice sur la criminalité avec violence chez les jeunes, «les Canadiens se soucient de la criminalité chez les jeunes davantage aujourd'hui que par le passé»(10). En fait, selon les comptes rendus des médias et les sondages d'opinions, les Canadiens sont nombreux à croire que les crimes avec violence sont devenus un fléau et qu'ils ont toutes les chances d'être les prochaines victimes d'un adolescent. Voici quelques-unes des perceptions largement répandues à propos de la criminalité: les crimes avec violence sont très répandus, les lois sont trop conciliantes, les tribunaux sont trop cléments et les services correctionnels sont impuissants à favoriser la réinsertion sociale. En conséquence, le public exerce de plus en plus de pressions sur les législateurs et les autorités responsables de la justice pénale pour qu'ils procèdent à une refonte du système de justice pénale en vue d'améliorer sa sécurité. Selon les statistiques nationales en matière de criminalité, une minorité de jeunes contrevenants sont impliqués dans des crimes de nature violente. En 1991, 13 p. 100 des accusations portées contre des jeunes en vertu de lois fédérales faisaient suite à des actes de violence(11). Les statistiques montrent aussi que le nombre d'accusations contre des jeunes faisant état de recours à la violence s'est accru ces dernières années, au point de doubler entre 1986 et 1991. Un examen du type d'accusations portées contre les jeunes contrevenants révèle toutefois que sur la période de cinq ans en question, l'augmentation globale du nombre de crimes avec violence est «en grande partie attribuable aux voies de fait mineures»(12). À vrai dire, près de la moitié des accusations de cette nature portées contre des jeunes en 1991 avaient trait à des agressions «de premier niveau» c'est-à-dire, qu'aucune arme n'avait été utilisée pour commettre l'infraction et que la victime n'avait subi aucune blessure corporelle grave. En 1991, environ le quart des accusations portées contre des jeunes pour crime avec violence faisaient suite à des infractions plus lourdes de voies de fait graves (25 p. 100) et de meurtre, d'homicide involontaire et de tentative de meurtre (moins de 1 p. 100). Entre 1986 et 1991, le taux de meurtres (qui est l'indice le plus exact du nombre de crimes graves) est demeuré constant chez les jeunes. De toutes les accusations portées contre des jeunes en 1991 pour une infraction à une loi fédérale, 70 p. 100 faisaient suite à des infractions contre des biens(13). Depuis 1986, le nombre d'accusations liées à des crimes contre des biens commis par des jeunes s'est accru de 17 p. 100. La majorité des jeunes ayant commis des infractions contre des biens ont été accusés de vol d'une valeur de moins de 1 000 $ (42 p. 100) ou d'introduction par effraction (27 p. 100). C. Affaires renvoyées au tribunal pour adolescents La grande majorité des jeunes accusés de crimes avec violence et de crimes contre des biens sont de sexe masculin. Les statistiques en matière de criminalité indiquent toutefois que le nombre de jeunes femmes reconnues coupables de voies de fait simples est en hausse(14). Dix-neuf pour cent des causes entendues par les tribunaux pour adolescents en 1992-1993 portaient sur des infractions commises avec violence et 54 p. 100 sur des infractions contre des biens. Le nombre d'infractions contre des biens a diminué de 7 p. 100 par rapport à 1991-1992, tandis que le nombre d'infractions commises avec violence s'est accru de 9 p. 100. Les deux tiers de cette augmentation sont attribuables à une augmentation du nombre de voies de fait simples(15). La majorité des jeunes contrevenants trouvés coupables de crime avec violence ou de crime contre des biens en 1991 ont été mis en liberté surveillée par le tribunal pour adolescents. Cinquante-cinq pour cent des personnes trouvées coupables de crime avec violence se sont retrouvées dans cette situation. Dans 26 p. 100 des cas, le juge a ordonné que les jeunes contrevenants violents soient placés sous garde en milieu fermé (13 p. 100) ou en milieu ouvert (13 p. 100). La durée moyenne de la peine était de six mois en milieu fermé et de quatre mois en milieu ouvert. Bien entendu, les délits plus graves ont fait l'objet de décisions plus sévères(16). Dans plus de la moitié (53 p. 100) des cas de jeunes trouvés coupables de crime contre des biens, le tribunal pour adolescents a ordonné la mise en liberté surveillée. Environ le quart des jeunes condamnés pour des crimes contre des biens ont fait l'objet d'une peine de réclusion, dont la durée moyenne s'établissait à quatre mois(17). Une analyse des causes entendues par le tribunal pour adolescents au cours de l'exercice 1990-1991 montre que 54 p. 100 d'entre elles mettaient en cause des contrevenants primaires(18). Pour ce qui est des autres, 18 p. 100 avaient fait l'objet de deux condamnations antérieures, 9 p. 100 avaient été condamnés à trois ou quatre reprises auparavant et 19 p. 100 l'avaient été à cinq reprises ou plus. La majorité (67 p. 100) des récidivistes appelés à comparaître devant le tribunal pour adolescents étaient accusés d'infraction contre des biens. Parmi les jeunes contrevenants accusés de crimes avec violence, 16 p. 100 étaient des récidivistes. Le fait d'avoir un dossier au tribunal pour adolescents augmentait les chances d'un jeune contrevenant de faire l'objet d'une peine de réclusion. LA CRAINTE SUSCITÉE PAR LA CRIMINALITÉ Ces dernières années, l'inquiétude des Canadiens à propos de leur sécurité personnelle, à la maison et dans la collectivité, s'est accrue. Selon un sondage national publié en janvier 1993, 50 p. 100 des Canadiens estimaient que leur sécurité personnelle était davantage menacée maintenant que cinq ans auparavant, en raison de la criminalité. Près des deux tiers (64 p. 100) des répondants ont indiqué que le comportement des jeunes dans leur collectivité était devenu la source d'une plus grande inquiétude au cours de cette période, tandis que 66 p. 100 ont déclaré la situation dans leur collectivité s'était aggravée au chapitre de la criminalité avec violence(19). Malgré le niveau marqué de crainte inspirée par la violence, la criminalité au Canada demeure essentiellement un problème de pertes ou dommages matériels. Des données préliminaires sur la criminalité nationale révèlent qu'au-delà de la moitié de toutes les infractions au Code criminel relevées en 1992 mettaient en cause des crimes contre des biens, tandis que les infractions avec violence représentaient 10,8 p. 100 de l'ensemble. En fait, le nombre de crimes contre des biens diminue, tandis que le nombre de crimes avec violence, même s'il est en hausse, s'accroît à un rythme plus lent qu'avant. Au cours des dix dernières années, le nombre de crimes avec violence signalés s'est accru en moyenne de 5 p. 100 par année; en 1992, il a augmenté de 2 p. 100 par rapport à 1991(20), et l'augmentation se limite essentiellement aux agressions sexuelles et aux voies de fait de moindre gravité. Le nombre de crimes graves, comme les meurtres, les homicides involontaires coupables et les voies de fait graves, est demeuré stable ou a diminué au cours de la dernière décennie. Un certain nombre de facteurs alimentent la crainte que suscite la criminalité dans la population. Le phénomène s'explique en partie par la surestimation du niveau de criminalité avec violence au Canada. Selon un sondage d'opinions réalisé en 1990, les trois quarts des Canadiens croyaient que les infractions commises avec violence représentaient plus de 30 p. 100 ou plus de tous les crimes commis au pays(21). En fait, celles-ci comptent pour moins de 10 p. 100 des crimes signalés à la police. De même, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, près de la moitié des accusations portées contre des jeunes pour des crimes avec violence en 1991 faisaient suite à des voies de fait simples commises sans arme et n'ayant entraîné aucune blessure à autrui. Un Canadien sur trois croit faussement que la violence est aussi, sinon plus, répandue au Canada qu'aux États-Unis(22). En fait, le nombre de crimes avec violence commis aux États-Unis dépasse de beaucoup celui qui est enregistré au Canada. Ainsi, en 1991, il y a eu 753 cas d'homicide au Canada, comparativement à 24 000 aux États-Unis. Le niveau démesuré de violence interpersonnelle au sud de la frontière canadienne a fait dire au Comité judiciaire du Sénat américain, en 1991, que les États-Unis étaient le pays le plus violent et le plus autodestructeur au monde(23). Les médias sont souvent accusés d'alimenter le climat de crainte. Leur tendance à s'attarder sur les crimes spectaculaires et sensationnels et à dramatiser les actes les plus insignes de violence montrés à la télévision aurait pour effet de déformer la réalité, de donner l'impression que la criminalité a pris des propositions de fléau et d'exacerber les craintes du public(24). La crainte est également encouragée et renforcée par l'augmentation des statistiques sur la criminalité. Une telle hausse peut cependant être le résultat d'une modification des façons de signaler les crimes plutôt que d'une intensification de l'activité criminelle elle-même. Selon les analystes qui interprètent les données sur la criminalité, la volonté des citoyens de signaler les infractions et celle de la police de porter des accusations influent sur les statistiques officielles sur la criminalité. Ainsi, au cours de la dernière décennie, l'acceptation et la tolérance à l'égard de certains crimes avec violence commis par des connaissances ont considérablement diminué, notamment en ce qui concerne les agressions sexuelles et les voies de fait qui se produisent au foyer. Ces crimes donnent maintenant lieu à des accusations plus souvent que par le passé, tant parce que les victimes sont plus disposées à signaler ces actes de violence que parce que le système judiciaire est davantage prêt à y donner suite. Ce changement a donné lieu à une augmentation du nombre total de crimes avec violence. Cette progression est également attribuable, en partie, à l'intolérance croissante à l'égard de toute forme de violence. Selon les intervenants judiciaires auprès des jeunes, les actes d'agression mineurs sont beaucoup plus fréquemment qu'avant signalés à la police, comme en fait foi la plus grande propension des autorités scolaires à divulguer le nom des jeunes impliqués dans des «bagarre[s] dans une cour d'école»(25). Il y a dix ans, les bousculades, les gifles et les coups de poing entre adolescents donnaient rarement lieu à une intervention du système judiciaire pénal et avaient peu de chance de faire partie des statistiques sur la criminalité; à l'heure actuelle, les voies de fait simples constituent près de la moitié des accusations portées contre des jeunes pour des infractions commises avec violence(26). Certains analystes sont d'avis que le degré de crainte actuellement éprouvé par les Canadiens est en partie lié à l'incertitude économique. Le taux de chômage élevé a contribué à créer un climat d'insécurité et de vulnérabilité et engendré des problèmes sociaux et économiques qui alimentent le sentiment de désintégration sociale. LES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA LJC Depuis l'adoption de la LJC en 1984, certaines de ses dispositions ont fait l'objet de critiques de la part des responsables de l'application de la loi, des groupes de victimes et des professionnels oeuvrant au sein du système judiciaire pour les jeunes, en raison de leur inefficacité à prévenir les crimes graves chez les jeunes. La Loi a donc été modifiée pour permettre la divulgation publique de l'identité des jeunes contrevenants, pour augmenter la peine maximale prévue en cas de meurtre et pour préciser son objectif en ce qui a trait aux renvois à un tribunal pour adultes. A. Divulgation publique de l'identité des jeunes contrevenants La Loi protège la vie privée des jeunes en interdisant aux médias de révéler publiquement l'identité des jeunes accusés qui font l'objet de poursuites pénales ou des jeunes reconnus coupables à la suite de telles poursuites. Selon le raisonnement à l'origine de cette disposition, le fait d'accoler une étiquette de mésadaptés aux jeunes pour des actes commis pendant leur adolescence peut amplifier ce genre de comportement chez eux. Les responsables de l'application de la loi ont exprimé des réserves au sujet de la formulation initiale de cette disposition, parce que celle-ci les empêchaient de mettre en garde le public contre la présence, dans la collectivité, de jeunes considérés comme dangereux. En 1986, des modifications ont été apportées à la Loi afin de permettre la divulgation publique de l'identité d'un jeune accusé ou reconnu coupable d'un crime, lorsque le jeune en question constitue une menace pour le public et que la divulgation en question est nécessaire pour faciliter son arrestation. B. Peine maximale pour meurtre En 1992, la Loi a été modifiée en réponse aux critiques voulant que les peines imposées aux jeunes contrevenants trouvés coupables de meurtre étaient trop clémentes pour avoir un effet dissuasif sur leurs semblables ou pour permettre leur réinsertion sociale. La peine maximale imposée par les tribunaux pour adolescents en cas de meurtre a donc été portée à cinq ans, dont trois doivent être purgés en réclusion et les deux derniers en liberté surveillée au sein de la collectivité. Si le jeune est considéré comme une menace pour la sécurité publique, il peut toutefois être gardé en détention plus longtemps que trois ans. C. Renvoi à un tribunal pour adultes La Loi permet de renvoyer à un tribunal pour adultes les jeunes de 14 ans et plus soupçonnés d'avoir commis un acte criminel grave. Un jeune contrevenant condamné par un tribunal pour adultes est assujetti aux mêmes sanctions que les adultes. En 1992, l'objet de la Loi a été éclairci; il est maintenant précisé que si les peines à la disposition du tribunal pour adolescents ne permettent pas d'assurer la protection du public et la réinsertion sociale du contrevenant, le jeune doit être renvoyé à un tribunal pour adultes. Il existe toutefois des dispositions différentes applicables aux jeunes. Ainsi, ceux qui sont condamné à l'emprisonnement à perpétuité pour meurtre par un tribunal pour adultes n'ont pas droit à une libération conditionnelle avant cinq à dix ans, et le juge du tribunal pour adultes a le choix d'ordonner que le jeune purge sa peine dans un établissement pour jeunes contrevenants. QUELQUES
PROPOSITIONS EN VUE D'UNE Dans une allocution prononcée à Edmonton le 30 août 1993, l'ex-première ministre, Kim Campbell, a fait part de l'intention des Conservateurs de modifier la LJC après l'élection fédérale(27). Ses propositions de réforme visaient notamment à faire en sorte que les peines maximales imposées par les tribunaux pour adolescents pour des crimes graves ayant causé des blessures corporelles soient les mêmes que celles qui sont prévues en cas de meurtre et que la surveillance des jeunes contrevenants bénéficiant d'une libération conditionnelle soit resserrée. Mme Campbell a également fait mention d'autres aspects de la LJC qui préoccupent les Canadiens: par exemple, les âges minimal et maximal permettant de déterminer les cas relevant de la compétence du tribunal pour adolescents et la publication des noms des jeunes contrevenants. En septembre 1993, le ministère de la Justice a publié un document de consultation publique sur la lutte contre la violence et la récidive des jeunes contrevenants. Les provinces, les organismes non gouvernementaux, les groupes communautaires et les simples citoyens de tout le pays ont été invités à faire connaître leurs points de vue au ministère sur la façon de réagir plus efficacement à la criminalité chez les jeunes au Canada. Le document fait état de propositions précises qui font écho aux objections soulevées par le public. En voici quelques-unes: réduire l'âge minimal de la responsabilité pénale prévu dans la LJC de 12 à 10 ans; réduire l'âge maximal de la responsabilité pénale de 18 à 15 ans; renvoyer automatiquement les adolescents accusés d'actes criminels graves au tribunal pour adultes; publier les noms des jeunes reconnus coupables de crime; établir des critères dans la Loi pour inciter les juges du tribunal pour adolescents à ne condamner à la réclusion que les contrevenants dangereux et violents ou encore les récidivistes coupables d'actes criminels graves; et assouplir les dispositions de la Loi relatives à la réinsertion afin de permettre aux jeunes contrevenants d'avoir plus facilement accès à ces services. L'actuel ministre de la Justice, M. Alan Rock, a prolongé la période de consultation publique jusqu'en janvier 1994. Le programme du Parti libéral(28) renferme des propositions visant à accroître les peines maximales imposées par les tribunaux pour adolescents en cas de meurtres au premier et au deuxième degrés; à assouplir l'exigence voulant que les dossiers de la police sur les jeunes contrevenants soient automatiquement détruits après une certaine période; à permettre la divulgation de l'identité de certains jeunes contrevenants violents reconnus coupables de crime; à élargir l'accès aux programmes de réinsertion sociale; et à créer une catégorie de «jeunes contrevenants dangereux» pour les jeunes contrevenants dangereux et multirécidivistes. Le Bloc québécois a indiqué qu'il allait faire connaître sa position sur la Loi sur les jeunes contrevenants, dès qu'il aurait pris connaissance des conclusions de la consultation nationale menée par le ministère de la Justice. Le Parti réformiste(29) est pour sa part d'avis de réduire l'âge minimal de la responsabilité pénale des jeunes à 10 ans et l'âge maximal à 15 ans; de permettre la divulgation de l'identité des jeunes contrevenants de 14 ans et plus et, dans certains cas, de ceux de 10 à 13 ans; de conserver les casiers judiciaires des jeunes; de tenir les parents légalement responsables des actes illégaux de leurs enfants; et d'insister sur l'éducation, les services communautaires, l'acquisition de compétences et la discipline dans les établissements de détention. Dans ses propositions, le Nouveau Parti démocratique(30) réclame, quant à lui, un examen de l'efficacité globale de la LJC et du système judiciaire canadien pour les jeunes. À son avis, certaines questions précises doivent être examinées de près, notamment, les méthodes de détermination des peines, pour s'assurer que les contrevenants violents et récidivistes reçoivent des peines proportionnelles à leurs crimes, et les dispositions de la Loi qui limitent l'intervention professionnelle destinée à faciliter la réinsertion sociale des jeunes contrevenants. LES FAÇONS DE RÉAGIR À LA CRIMINALITÉ La plupart des gens reconnaissent le caractère préoccupant de l'incidence de la criminalité chez les jeunes au Canada, notamment les crimes comportant une agression interpersonnelle, et des coûts qui y sont associés. La criminalité cause du tort aux particuliers et à la collectivité. Elle suscite de la crainte, occasionne des coûts d'environ huit milliards de dollars par année à la seule fin de répression et menace la qualité de vie des voisinages, des collectivités et des villes canadiennes(31). Même s'il semble y avoir un accord tacite sur les répercussions de la criminalité, il s'est avéré difficile d'en arriver à un consensus sur les moyens de la prévenir, en grande partie en raison des façons différentes d'expliquer le problème. Le fait de porter des accusations criminelles après qu'un acte criminel a été commis permet, au mieux, d'offrir un réconfort à court terme, selon les défenseurs de la prévention du crime par l'intervention sociale. Les mesures de lutte contre la criminalité ont un effet punitif, mais elles sont impuissantes à reconnaître et à désamorcer les facteurs à l'origine des crimes contre la personne et contre les biens. Autrement dit, les solutions à la criminalité ne se trouvent pas seulement dans les sanctions ou dans le processus juridique. Il est clair qu'il y a des jeunes violents et des récidivistes qui, en raison de la menace qu'ils représentent pour la sécurité publique, doivent être retirés de la société civile et, grâce aux programmes de réinsertion et d'éducation offerts dans les établissements de détention, se voir offrir la possibilité de devenir des membres productifs de la société. Ces solutions ne constituent toutefois qu'un élément de la stratégie de prévention du crime. Les partisans du développement social recommandent l'adoption de mesures qui permettent de cibler les jeunes à risque et de reconnaître leurs problèmes économiques, sociaux et psychologiques, pour tenter d'y remédier et ainsi prévenir la criminalité chez les jeunes avant qu'elle ne se manifeste. Les criminologues en général reconnaissent qu'il n'existe pas une seule cause à la criminalité; celle-ci est le résultat de l'interaction d'un ensemble de facteurs connexes associés à l'environnement, notamment, le chômage, les mauvais traitements et les sévices sexuels ainsi que la négligence, l'analphabétisme, la faible estime de soi, la toxicomanie, la glorification de la violence et de la pornographie dans les films, les vidéos et les émissions de télévision, la pauvreté, l'échec scolaire, les familles perturbées et les inégalités(32). Il a été démontré que les enfants maltraités deviennent souvent des adultes dangereux. En fait, un examen des antécédents des jeunes contrevenants violents montre de façon assez évidente que le fait d'avoir été soi-même une victime directe ou indirecte de mauvais traitements et de sévices sexuels engendre la violence. Dans une étude réalisée au Manitoba en 1992, on a examiné le cas de 35 agresseurs sexuels, tous âgés de 14 ans, qui, avant d'entreprendre leur traitement, avaient collectivement agressé au-delà de 70 enfants à 750 occasions. En moyenne, les garçons avaient commencé à commettre des agressions sexuelles à partir de l'âge de 12 ans et demi. Plus de la moitié de leurs victimes étaient âgées de sept ans ou moins. Au-delà de 90 p. 100 des garçons avaient eux-mêmes subis des sévices sexuels et étaient issus de familles où la violence physique et sexuelle régnait depuis des générations(33). Selon une étude effectuée à London (Ontario), en 1987, plus de 50 p. 100 des jeunes contrevenants accusés de crimes avec violence ont vu leur père agresser leur mère. D'après une autre étude, la proportion de batteurs de femmes est 1 000 fois plus élevée chez les hommes qui ont été témoins de violence dans leur enfance que chez les autres(34). Les professeurs Steve Hart et Don Dutton respectivement de l'Université Simon Fraser et de l'Université de Colombie-Britannique, en sont arrivés aux conclusions suivantes à la suite de leur recherche sur la violence:
Il est prouvé qu'une intervention précoce et positive dans la vie des jeunes aux prises avec des difficultés sociales, psychologiques et émotives peut empêcher ces derniers d'emprunter la voie de la criminalité et de devenir des récidivistes dangereux(36). L'évaluation des programmes qui mettent l'accent sur de meilleurs services d'aide à l'enfance, l'éducation préscolaire, l'amélioration des compétences parentales et la réduction de la violence dans les écoles, montre qu'il est prudent, tant du point de vue économique que social, d'aider les enfants plutôt que de punir les contrevenants. Par ailleurs, les partisans de la prévention du crime au moyen de lois plus sévères sont d'avis que la lourdeur des peines a un effet dissuasif(37). Cette hypothèse découle de la perception voulant que les jeunes enfreignent la loi parce qu'ils estiment que les avantages qu'ils en retirent (par exemple, biens matériels, gains financiers, sensations fortes) valent amplement les conséquences (par exemple, sanctions) auxquelles ils s'exposent en agissant ainsi. Les défenseurs de la lutte contre le crime soutiennent que le peu d'effet dissuasif de la Loi sur les jeunes contrevenants est l'une des principales causes de la criminalité et de la récidive chez les jeunes. À leur avis, bon nombre de jeunes ne seraient pas tentés par le crime si les comportements illicites faisaient l'objet de sanctions plus sévères. La récente politique adoptée par le ministère de l'Éducation de l'Ontario, qui oblige les directeurs d'écoles publiques de la province à faire immédiatement rapport à la police de tous les incidents violents qui se produisent à l'école, est un exemple de moyen utilisé pour faire échec au crime(38). Les défenseurs de cette mesure, aussi bien que ses opposants, s'entendent pour dire qu'il faut apprendre aux jeunes que la violence interpersonnelle n'est pas tolérable. Ils estiment aussi que l'existence d'un milieu d'apprentissage sûr où les étudiants, les professeurs et le personnel scolaire ne risquent pas de subir de blessures corporelles, est absolument essentielle à l'intégrité du système d'éducation. La politique en question a toutefois fait l'objet de critiques parce qu'elle omet de définir la violence et de distinguer les actes banals des incidents violents graves(39). Les adolescents, en particulier les garçons, contreviennent techniquement au Code criminel de façon régulière en se poussant, se bousculant et se frappant les uns les autres, soulignent les juristes. Dans bien des cas, la mauvaise conduite d'une petite brute à l'école est une question disciplinaire qui peut être réglée plus efficacement au moyen de mesures informelles prises par l'administration de l'école et par les parents, ou de mesures plus officielles comme la médiation ou le counselling. Le fait d'exiger que toutes les manifestations de violence soient signalées à la police aura pour effet, par définition, de criminaliser ces comportements. En conséquence, le nombre d'accusations portées contre des jeunes pour des infractions commises avec violence, les statistiques sur la violence chez les jeunes, le nombre de causes entendues par les tribunaux pour adolescents et les coûts liés à l'infrastructure judiciaire pour les jeunes augmenteront d'autant. De même, l'anxiété et la crainte du public face à la violence chez les jeunes risquent d'être renforcées, aux dires de certains. En réponse à la directive du gouvernement provincial, un certain nombre de conseils scolaires de l'Ontario ont établi des politiques antiviolence qui prévoient notamment l'expulsion à vie de tout étudiant qui utilise une arme ou commet une agression à l'école. Selon deux spécialistes de la violence chez les jeunes, une politique de tolérance zéro pour prévenir la violence risque d'amplifier les comportements violents futurs plutôt que de les prévenir. Dans des situations où la violence chez les jeunes est une réaction aux abus ou à la négligence subis au foyer ou à d'autres problèmes sociaux, le recours à des services de soutien, plutôt qu'à des interventions juridiques, ou la conjugaison des deux, peut être plus indiqué. Comme le soutiennent Tullio Caputo et Richard Weiler:
Un chercheur de Toronto, qui vient de terminer un rapport sur la violence à l'école, propose de recourir à des programmes de counselling par des pairs, de résolution de conflits, de médiation et de prévention de la violence pour lutter contre la violence dans les écoles. Jyl MacDougall s'interroge sur les avantages à long terme de l'expulsion à vie de l'école.
La plupart des gens conviennent que l'adoption d'un comportement agressif pour régler des disputes à l'école ou dans la rue va à l'encontre des normes de conduite jugées acceptables. De même, les analystes en matière de justice pénale et les autres spécialistes sont de plus en plus nombreux à reconnaître que la violence chez les jeunes est beaucoup plus que l'expression d'une simple indifférence à l'égard d'une loi perçue comme peu menaçante, et que des mesures positives doivent être prises pour modifier la façon dont les jeunes réagissent en situation de conflit. Il existe un petit nombre d'exemples à l'appui de la position voulant que bien des jeunes commettent des délits parce qu'ils se disent que les gains tirés de leurs activités illégales seront plus grands que la peine encourue s'ils sont pris. Les criminologues et les intervenants auprès des jeunes contrevenants ont toutefois constaté que les jeunes commettent souvent des délits pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la loi. À leur avis, la majorité des jeunes contrevenants commettent, de façon isolée, de petites infractions contre des biens, qui n'ont rien de bien malin et qui témoignent plus de leur manque de maturité et de leur irresponsabilité, que de leur méchanceté. Les principes qui sous-tendent la LJC sont conformes à ce dernier point de vue. Tout en rendant les jeunes responsables de leurs crimes, la Loi reconnaît aussi que ceux-ci ont des besoins spéciaux en raison de leur niveau de développement. En conséquence, à quelques exceptions près, la criminalité chez les jeunes n'est pas jugée selon les mêmes normes que celles qui sont utilisées pour les adultes. La Loi part, en partie, du principe que la plupart des adolescents vont se débarrasser de leurs attitudes et de leur comportement antisociaux et adopter des valeurs et des relations positives à mesure qu'ils vieilliront et mûriront. Cette position, et la possibilité que l'imposition de peines sévères n'oriente définitivement les jeunes vers la voie du crime, influent sur le cadre établi dans la LJC aux fins de la détermination des peines. En outre, il devient de plus en plus évident que les décisions rendues en vertu de la LJC ne sont pas clémentes, en particulier celles qui sont prises à l'égard des jeunes coupables de crimes violents. Contrairement à la croyance populaire, les juges du tribunal pour adolescents ne font pas simplement que «taper sur les doigts des jeunes contrevenants». Les agents responsables de l'application de la loi, les procureurs et les autres intervenants du système judiciaire ont trouvé, dans un certain nombre de territoires, que les juges utilisaient de façon libérale la peine de détention prévue par la LJC. Une avocate de la Couronne du tribunal pour adolescents du Manitoba a fait remarquer, à l'occasion d'une récente conférence sur la violence chez les jeunes, que les établissements de détention pour les jeunes dans sa province étaient «surpeuplés». «Il est faux de prétendre que le système judiciaire est une porte tournante et que les jeunes sont à peine réprimandés. [...] Les tribunaux réagissent à l'augmentation du nombre de crimes avec violence. Ils imposent des peines de détention à ces jeunes»(42), a-t-elle affirmé. Réagissant aux recommandations faites par les participants à la conférence, notamment en ce qui concerne l'abaissement de l'âge minimal prévu dans la LJC de 18 à 16 ans et l'imposition de peines plus sévères aux récidivistes, un sergent de la police de Winnipeg a dit craindre que le durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants n'exacerbe l'actuel problème de surpopulation dans les établissements correctionnels pour jeunes. Il a de plus ajouté ceci : «Nous devons trouver, dans la collectivité, une solution qui fonctionne. [...] C'est vraiment une triste situation que de tenter de régler le problème en condamnant nos jeunes à gaspiller leur vie en prison»(43). Dans deux études ontariennes des décisions rendues par les tribunaux au cours de la période précédant et suivant l'adoption de la LJC, Leschied et Jaffe ont noté que le nombre de placements sous garde en milieu ouvert et en milieu fermé ordonnés en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants était plus élevé que le nombre de placements dans des centres d'éducation surveillés ordonnés en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants(44). À partir de leurs constatations, ils en sont arrivés à la conclusion qu'«au milieu des philosophies contradictoires de la Loi sur les jeunes contrevenants, la dissuasion par le recours aux punitions comme moyen de lutter contre le crime chez les jeunes contrevenants est maintenant devenue une solution couramment employée»(45). Leschied et Jaffe perçoivent l'orientation de la LJC en faveur de la punition comme une manifestation de la frustration de la société à l'égard des crimes perpétrés par des jeunes. Les politiques énergiques en matière d'arrestation et les peines qui ont pour effet d'augmenter le nombre de jeunes envoyés dans des établissements et de prolonger leur période de réclusion feront en sorte qu'il y aura de plus en plus de jeunes dans le système de justice pénale. La frustration du public ne risque toutefois pas de diminuer, puisqu'il est démontré que les peines de détention ne réduisent pas en fait la criminalité. Selon les recherches effectuées sur les taux de criminalité dans les États américains qui se servent de la «punition comme moyen de dissuasion» pour lutter contre le crime, «il n'y a aucune variation notable des taux de criminalité dans les États où le modèle «lutte contre le crime» est devenu courant»(46). À bien des égards, l'expérience américaine en matière de criminalité et de lutte contre le crime est un exemple éloquent de l'effet limité que peut avoir la sévérité des peines sur la criminalité. Dans son rapport sur la prévention du crime, le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général de la Chambre des communes note que «le pourcentage d'incarcérations y est plus élevé [aux États-Unis] que dans n'importe quel autre pays pour lequel nous avons des statistiques», «le pays consacre annuellement plus de 70 milliards de dollars à la police, aux tribunaux et aux services correctionnels», pourtant en 1990, ils «étaient les premiers au monde pour les meurtres, les viols et les vols qualifiés qui s'y commettaient»(47). La sécurité personnelle et collective est une question de politique sociale et juridique prioritaire au Canada. De façon générale, les gens craignent d'être victimes d'actes de violence gratuits perpétrés par des étrangers. Il peut être rassurant de savoir que l'augmentation du nombre de crimes avec violence au Canada est en grande partie attribuable à la hausse du nombre d'actes d'agression d'un moindre degré de violence commis contre des connaissances et que, comparativement aux États-Unis, le Canada est un pays sûr. Même si les statistiques sur la criminalité tendent à infirmer la croyance voulant que le crime avec violence chez les jeunes soit un fléau au Canada, il n'en reste pas moins que la violence interpersonnelle est une source de préoccupation. Le défi des législateurs confrontés aux pressions croissantes en faveur d'une réforme de la LJC est de trouver une façon de concilier la nécessité de protéger le public contre les jeunes contrevenants et le besoin d'épanouissement des jeunes en conflit avec la loi. Il existe deux points de vue contradictoires sur la meilleure façon de réagir au crime: la méthode axée sur le contrevenant, qui met l'accent sur l'arrestation, la condamnation, la punition et la réinsertion des criminels, et la méthode de développement social, qui insiste sur la résolution des problèmes à l'origine du crime et de la criminalité. L'accroissement de la capacité de punir, grâce à l'adoption de sanctions juridiques plus sévères, peut donner lieu à l'emprisonnement à plus long terme d'un plus grand nombre de jeunes contrevenants dans les établissements de détention. L'avantage de cette solution pour la société est qu'elle la protège à court terme du contrevenant; son application a toutefois pour effet de grever encore davantage les ressources, déjà insuffisantes, consacrées aux infrastructures de détention et de réinsertion des jeunes contrevenants, et suppose une criminalisation accrue, sans que le taux de criminalité ne soit réduit pour autant. Une intensification des mesures traditionnelles de lutte contre la criminalité, conjuguée à des stratégies de prévention du crime de portée globale qui s'attaquent aux causes de la criminalité et réduisent les situations propices au crime, peut faire fléchir les taux de criminalité, améliorer la sécurité personnelle et collective et atténuer la crainte ressentie par le public. Corrado, Raymond. Nicolas Bala, Rick Linden et Marc LeBlanc (éd.). Juvenile Justice in Canada: A Theoretical and Analytical Analysis. Toronto, Butterworths, 1992. Marron, Kevin. Apprenticed in Crime: Young Offenders, the Law and Crime in Canada. Toronto, Seal Books, 1992. Reitsma-Street, Marge, «Canadian Youth Court Charges and Dispositions for Females Before and After Implementation of the Young Offenders Act». Revue canadienne de criminologie, octobre 1993, p. 437-458. Silverman, Peter. Who Speaks for the Children? Toronto, Stoddard Publishing Co., 1989.
(1) Un résumé de la position des divers partis fédéraux au sujet de la réforme de la Loi sur les jeunes contrevenants figure aux pages 14 et 15 du présent document. (2) P.T. Brode, Streets of Fear: The Failure of the Criminal Justice System, The Mackenzie Institute, Toronto, juin 1993. (3) Canada, Objectif : Sécurité communautaire - Lutte contre la violence et la récidive des jeunes, ministère de la Justice, septembre 1993. (4) I. Waller, Introductory Report: Putting Crime Prevention on the Map, Conférence internationale sur la sécurité, les drogues et la prévention de la délinquance en milieu urbain, 18-20 novembre 1991. (5) N. Bala et M. Kirvan, «The Statute: Its Principles and Provisions and Their Interpretation by the Courts», The Young Offenders Act: A Revolution in Canadian Juvenile Justice, A. Leschied, P. Jaffe et W. Willis (éd.), Toronto, University of Toronto Press, 1991, p. 72 (traduction). (6) Ibid., p. 72-73. (7) T. Caputo, «The Young Offenders Act: Children's Rights, Children's Wrongs», Youth Injustice: Canadian Perspectives, T. O'Reilly-Fleming et B. Clark (éd.), Toronto, Canadian Scholar's Press Inc., 1993, p. 6. (8) N. Bala, «The Young Offender's Act: A Legal Framework», J. Hudson, J. Hornick et B. Burrows (éd.), Justice and the Young Offender in Canada, Toronto, Wall et Thompson, 1988, p. 15. (9) Pour un aperçu détaillé du fonctionnement de la Loi sur les jeunes contrevenants, voir P. Rosen, La Loi sur les jeunes contrevenants, CIR 86-13F, Ottawa, Service de recherche, Bibliothèque du Parlement, 18 mai 1993. (10) Canada, Objectif : Sécurité communautaire - Lutte contre la violence et la récidive des jeunes, septembre 1993, p. 3. (11) J. Frank, «Les crimes de violence commis par des jeunes», Tendances sociales canadiennes, n° 26, p. 2 à 9, automne 1992. (12) Ibid., p. 3. (13) Statistique Canada, «Les crimes contre les biens chez les adolescents au Canada», Juristat, vol. 12, n° 14, ministre de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie, Ottawa, août 1992. (14) Canada, Objectif : Sécurité communautaire - Lutte contre la violence et la récidive des jeunes, septembre 1993, p. 4. (15) Statistique Canada, «Statistiques sur les tribunaux de la jeunesse, Faits saillants de 1992-1993», Juristat, vol. 13, n° 6, ministère de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie, Ottawa, décembre 1993. (16) J. Frank, «Les crimes de violence commis par des jeunes», Tendances sociales canadiennes, automne 1992. (17) Statistique Canada, «Les crimes contre les biens chez les adolescents au Canada», Juristat, août 1992. (18) Statistique Canada, «La récidive dans les tribunaux de la jeunesse, 1990-1991», Juristat, vol. 12, n° 2, ministre de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie, Ottawa, janvier 1992. (19) Sondage Maclean's/CTV, «The Fear Index», Maclean's, 4 janvier 1993, p. 24-26. (20) Statistique Canada, «Statistiques de la criminalité, 1992», Le Quotidien, Cat. 11-001F, Ottawa, 30 août 1993, p. 7-8. (21) S. Contenta, «Pushing the Crime Button», Toronto Star, 15 août 1993. (22) C. Abraham, «The Statistical Face of Crime», Ottawa Citizen, 19 avril 1993. (23) Tim Weiner, «The Most Violent Nation on Earth», Ottawa Citizen, 13 mars 1991. (24) J. Roberts et M. Grossman, «Crime Prevention and Public Opinion», Revue canadienne de criminologie, vol. 32, n° 1, janvier 1990. (25) J. Frank, «Les crimes de violence commis par des jeunes», Tendances sociales canadiennes, automne 1992, p. 5. (26) Canada, Objectif : Sécurité communautaire - Lutte contre la violence et la récidive des jeunes, septembre 1993, p. 3. (27) Canada, «Notes pour une allocution de la première ministre Kim Campbell, Chambre de commerce d'Edmonton, Edmonton (Alberta)», Bureau du premier ministre, 30 août 1993. (28) Cabinet du chef de l'Opposition, «Justice et criminalité : Les Libéraux annoncent un train de mesures», Chambre des communes, 22 avril 1993. (29) P. Todd, «Young Offenders: What the Parties Say They'd Do», Toronto Star, 17 octobre 1993. (30) I. Waddell, «La prévention du crime et la sécurité publique», Nouveau Parti démocratique, juillet 1993. (31) Douzième rapport du Comité permanent de la justice et du Solliciteur général, Prévention du crime au Canada: Vers une stratégie nationale, 3e session, 34e législature, 23 février 1993, p. 6-8. (32) Ibid., p. 12-13. (33) R. Teichroeb, «Study Uncovers Cycle of Abuse», Winnipeg Free Press, 12 juin 1992. (34) Rapport du Comité permanent de la santé et du bien-être social, des affaires sociales, du troisième âge et de la condition féminine, La guerre contre les femmes, 3e session, 34e législature, juin 1991, p. 9. (35) Cité dans le Douzième rapport du Comité permanent de la justice et du solliciteur général de la Chambre des communes, Prévention du crime au Canada : Vers une stratégie nationale, février 1993, p. 10. (36) B. MacKillop et M. Clarke, Pour des lendemains plus sûrs, agissons dès aujourd'hui, Conseil canadien de l'enfance et de la jeunesse, Ottawa, 1989. (37) T. Caputo, «The Young Offenders Act: Children's Rights, Children's Wrongs» (1993), p. 11. (38) E. Payne, «Minister Orders Tough Approach to School Crime», Ottawa Citizen, 5 octobre 1993. (39) D. Laframboise, «Are Courts Best Place to Handle Bullies?», Toronto Star, 11 octobre 1993. (40) C. Cobb, «Zero Tolerance in Schools Won't Help Violent Youth, Conference Told», Ottawa Citizen, 20 novembre 1993 (traduction). (41) A. Duffy, «Teach Students to Avoid Violence, Reports Says», Toronto Star, 13 novembre 1993 (traduction). (42) «Youth Jails Bulging at Seams», Winnipeg Free Press, 5 décembre 1993 (traduction). (43) Ibid. (44) A. Leschied et P. Jaffe, «Impact of the Young Offenders Act on Court Dispositions: A Comparative Analysis», Revue canadienne de criminologie, vol. 29, n° 4, octobre 1987. (45) Ibid., p. 425 (traduction). (46) Ibid., p. 426 (traduction). (47) Douzième rapport du Comité permanent de la justice et du Solliciteur général, La prévention du crime au Canada : Vers une stratégie nationale, février 1993, p. 2. |