BP-382F

 

LES RELATIONS FISCALES
FÉDÉRALES-PROVINCIALES AU CANADA :
DEUX PROPOSITIONS DE RÉFORME

 

RédactionMarion G. Wrobel
Analyste principal
Février 1994


TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION

DÉSÉQUILIBRE FISCAL

NOUVEAU PARTAGE DES POUVOIRS D'IMPOSITION ET DE TAXATION

   A. Avantages
   B. Difficultés

RENFLOUAGE DES PROVINCES PAR LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

   A. Avantages et inconvénients
   B. Effet sur les déficits totaux

CONCLUSION


LES RELATIONS FISCALES FÉDÉRALES-PROVINCIALES AU CANADA :
DEUX PROPOSITIONS DE RÉFORME

INTRODUCTION

La dernière ronde de discussions constitutionnelles a incité une fois de plus les Canadiens à se demander quel rôle doit jouer chacun de leurs paliers de gouvernement. À l'époque, les discussions ont porté essentiellement sur une nouvelle répartition des pouvoirs de dépenser et de réglementer; il faut toutefois comprendre qu'une redistribution des pouvoirs d'imposition et de taxation découlerait logiquement de tout nouveau partage des responsabilités.

Au Canada, ce partage des pouvoirs n'est pas resté statique, même si les changements constitutionnels ont été rares et ardus. À mesure que les conditions économiques et politiques ont évolué et que les citoyens ont réclamé plus de biens et de services publics, la taille relative des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral s'est modifiée. Ainsi, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral recevait environ 80 p. 100 de toutes les recettes gouvernementales du Canada; sa part a baissé depuis, au point qu'il touche désormais moins de la moitié de toutes les recettes gouvernementales.

L'évolution de la situation économique et financière en amène certains à réclamer une révision des rôles économiques des deux paliers de gouvernement. Les décisions que ceux-ci ont prises — et qu'ils prennent actuellement — dans le domaine fiscal ont créé des difficultés qui nécessitent un nouveau partage des pouvoirs d'imposition et de taxation. En outre, si l'on se fie aux tendances actuelles, les arrangements en vigueur ne sont peut-être pas optimaux, ni même viables.

Le présent document porte sur deux propositions récentes de restructuration des rôles économiques fédéraux-provinciaux, fondées toutes deux sur des facteurs purement économiques. Ni l'une ni l'autre ne modifierait sensiblement la répartition actuelle des pouvoirs de dépenser. La première ne ferait que repartager les pouvoirs d'imposition et de taxation, tandis que l'autre consisterait en de gros prêts consentis par le gouvernement fédéral aux provinces et assortis de conditions applicables aux réductions des paiements de transfert et au financement des déficits provinciaux. Les deux propositions peuvent être considérées comme des réactions à un déséquilibre vertical imminent des ressources dont disposent les deux paliers de gouvernement.

DÉSÉQUILIBRE FISCAL

Quel que soit le palier de gouvernement envisagé, on peut définir le déséquilibre structurel en déterminant si l'augmentation future des recettes et des dépenses des systèmes en vigueur (c.-à-d. dans lesquels la politique ne change pas) tend à l'équilibre fiscal, à l'augmentation du déficit ou à l'augmentation des surplus. Pour conclure au déséquilibre vertical, par contre, il faut se fonder sur l'équilibre structurel des deux paliers de gouvernement. Si au palier fédéral, il y a un déséquilibre structurel qui évolue dans un sens et, au palier provincial, un déséquilibre structurel qui évolue en sens inverse, il y a déséquilibre vertical. Cela signifie tout simplement que les pouvoirs d'imposition et de taxation des deux sont mal répartis, compte tenu des dépenses dont chacun est responsable.

On croit qu'il existe un déséquilibre vertical de ce genre au Canada parce que les provinces sont responsables des programmes axés sur le service à la population (santé, éducation, services sociaux, etc.), qui ont des taux de croissance intrinsèque élevés, alors qu'elles doivent financer leurs dépenses grâce à un ensemble de taxes qui ne peuvent pas augmenter en proportion des dépenses. Par contre, le gouvernement fédéral dispose d'un ensemble de mesures fiscales susceptibles de générer des recettes qui augmentent plus vite que ses programmes ne l'obligent à dépenser. Telles sont les conclusions d'une série d'études de Ruggeri et autres(1), qui proposent une solution à ce qu'ils estiment être le déséquilibre vertical de la structure fiscale du Canada.

Une si mauvaise répartition des pouvoirs d'imposition et de taxation peut avoir une foule de conséquences néfastes. Les gouvernements provinciaux aux prises avec des déficits croissants devront imposer des compressions de programmes nécessaires ou accroître le fardeau fiscal. Le gouvernement fédéral, quant à lui, pourrait être tenté de chercher de nouveaux programmes où dépenser en raison de l'importante augmentation — dont il n'a pas besoin — de ses recettes. La taille globale du secteur gouvernemental pourrait donc croître alors que celle du secteur gouvernemental provincial serait ramenée en-deçà de l'optimum. Les auteurs craignent que le déséquilibre fiscal plutôt que des raisons politiques et économiques soit le moteur des décisions futures de dépenser.

Michael Mendelson, un haut fonctionnaire ontarien, a lui aussi conclu à l'existence d'un déséquilibre structurel aux paliers provincial et fédéral, et il estime que ce déséquilibre est plus prononcé au palier provincial. Dans un document rédigé en octobre 1993(2), il a prédit que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux subiront des pressions plus intenses que jamais pour réduire leurs dépenses au titre des programmes, parce que les coûts du service de leur dette continueront à augmenter en dépit des contrôles rigoureux imposés sur les dépenses effectivement consacrées aux programmes. Mendelson prédit une augmentation très lente des recettes (les trois quarts de celle des revenus) pour les années à venir, contrairement à Ruggeri et autres, pour qui les recettes totales augmenteraient plus rapidement que la production, largement en raison de l'importance des rentrées de l'impôt sur le revenu des particuliers.

La situation du service de la dette varie énormément selon la province. Il est prédit que le coût des intérêts représentera une part croissante des recettes des gouvernements ontariens et néo-écossais, mais que cette part diminuera dans les autres provinces. Néanmoins, c'est pour le gouvernement fédéral que le problème est le plus critique.

NOUVEAU PARTAGE DES POUVOIRS D'IMPOSITION ET DE TAXATION

Selon les propositions de partage des pouvoirs fiscaux de Ruggeri et autres, le gouvernement fédéral assumerait la responsabilité exclusive des taxes de vente ainsi que de l'impôt sur les sociétés et sur les gains en capital. (Actuellement, les provinces ont des pouvoirs dans les deux domaines; en fait, elles occupent la position dominante dans celui des taxes de vente.) En contrepartie, les provinces assumeraient le pouvoir exclusif en matière d'impôt sur le revenu des particuliers, domaine actuellement partagé entre les deux paliers de gouvernement, bien que le gouvernement fédéral y domine clairement.

L'impôt sur le revenu des particuliers génère tant de recettes que, selon les auteurs, cette réforme donnerait à l'ensemble du secteur provincial plus de ressources financières qu'il ne lui en faut pour financer les dépenses de ses programmes. Ruggeri et autres proposent donc que les provinces remettent au gouvernement fédéral environ 5 p. 100 de leurs recettes générées par cet impôt.

Ce nouveau partage des pouvoirs laisserait au gouvernement fédéral des ressources suffisantes pour financer ses propres programmes de dépenses. Les auteurs sont convaincus qu'il stabiliserait les ratios du déficit et de l'endettement par rapport au PIB des deux paliers de gouvernement et mènerait à la fin des paiements de transfert du gouvernement fédéral aux provinces au titre du Régime d'assistance publique du Canada et du Financement des programmes établis. En outre, selon eux, le programme de péréquation pourrait aussi être modifié de façon que les provinces « riches » puissent transférer leur surplus de recettes fiscales directement aux provinces « pauvres ».

   A. Avantages

Cette proposition favoriserait une stabilité financière et fiscale accrue. Qui plus est, elle éliminerait le déséquilibre fiscal vertical. Les provinces, c'est-à-dire le palier ayant le plus besoin d'augmenter ses dépenses de programmes, auraient les moyens de générer les recettes nécessaires au financement de ces dépenses.

Si le gouvernement fédéral devait avoir des pouvoirs exclusifs en matière d'impôt sur les sociétés et sur les gains en capital, il ne serait plus en concurrence avec les provinces dans ce domaine. L'impôt sur les sociétés pourrait être harmonisé et simplifié, ce qui favoriserait l'efficience économique. Le capital est le facteur le plus mobile de la production, et l'adoption d'un seul et même impôt sur les gains en capital serait favorable à une répartition géographique du capital et de la production fondée uniquement sur des facteurs économiques plutôt que sur des règles d'impôt.

De même, l'existence d'une seule taxe de vente réduirait les coûts d'application et d'administration du régime de taxation et rendrait possible la perception de la taxe à la frontière par les autorités fédérales. Tous ces facteurs sont source de controverse depuis que la TPS est venue s'ajouter aux neuf taxes provinciales sur la vente au détail.

Enfin, les propositions de Ruggeri et autres faciliteraient la comptabilité du régime d'imposition et de taxation. Avec l'élimination des chevauchements et autres dédoublements, les Canadiens sauraient bien mieux à qui sont dues les augmentations de taxes et d'impôt. Si la taxe de vente devait augmenter, ils sauraient que c'est le gouvernement fédéral qui en a décidé ainsi. Et si l'impôt sur le revenu des particuliers augmentait, ils pourraient blâmer le gouvernement provincial responsable. En outre, avec la fin des paiements de transfert fédéraux-provinciaux, ils auraient bien moins de chances d'entendre un palier de gouvernement accuser l'autre de l'avoir contraint à augmenter les taxes ou les impôts.

Chaque palier de gouvernement imposerait des taxes ou des impôts pour financer ses propres programmes. Les citoyens et les électeurs auraient une vue plus claire des conséquences fiscales qu'entraineraît toute réclamation de nouveaux programmes exigeant des dépenses gouvernementales.

   B. Difficultés

Les propositions ne sont pas exemptes de difficultés. Le retrait complet du gouvernement fédéral du secteur de l'impôt sur le revenu des particuliers, qui est de loin le plus important des secteurs d'imposition et de taxation du Canada, pourrait aboutir à une désintégration du système actuel très harmonisé de l'impôt sur le revenu des particuliers. Il en résulterait une augmentation des dépenses d'application et d'administration de cet impôt et, dans une certaine mesure, une mauvaise utilisation des ressources. Bien que les particuliers ne soient pas aussi mobiles que le capital, l'harmonisation a de réels avantages économiques qui risqueraient d'être perdus. En outre, l'impôt provoque déjà une certaine mobilité des particuliers, et cette mobilité pourrait s'accroître en raison du changement de régime.

Sauf en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, les propositions sont contraires aux principes reconnus en matière de finances publiques(3). Par exemple, on dit souvent que les taxes de vente sont bien adaptées aux gouvernements provinciaux parce qu'elles sont censées taxer la consommation et ne causent que très peu de mouvements outre-frontière. (Cela vaut nonobstant ce que bien des gens considèrent comme les effets de la TPS.) Il est dit que, moins une taxe ou un impôt favorise la mobilité, plus le palier de gouvernement qui devrait l'appliquer doit être bas. Pourtant, la proposition de Ruggeri et autres donnerait au gouvernement fédéral un pouvoir exclusif dans ce secteur de taxation.

L'impôt sur le revenu des particuliers est le cheval de labour du système fiscal, et c'est celui qui est le plus propice à la réalisation des objectifs de répartition. Étant donné que les Canadiens considèrent généralement ces objectifs comme nationaux plutôt que strictement provinciaux, ils estiment normalement qu'une forte présence fédérale est désirable dans ce secteur. En outre, les transferts fédéraux aux personnes sont de plus en plus structurés comme des impôts négatifs. Des conflits et des incompatibilités des programmes sont à craindre s'il fallait que le gouvernement fédéral se retire du secteur de l'impôt sur le revenu des particuliers tout en continuant d'assumer la responsabilité de la plupart des transferts à ces mêmes particuliers.

En outre, il y a une question plus fondamentale en jeu. Sous bien des aspects, le déséquilibre vertical que connaît le Canada a été provoqué à dessein, et il est souhaitable de certaines façons. En effet, il permet au gouvernement fédéral de verser des paiements de transfert aux provinces. Ces paiements de transfert sont faits de façon à favoriser l'équité et l'efficience. Ils empêchent une certaine mobilité des ressources fondée sur des motifs fiscaux et donnent aux provinces les moyens de financer des programmes avantageux pour les Canadiens d'autres provinces; enfin, ils pourraient être utilisés pour promouvoir l'intégrité du marché commun interne. S'il n'y avait pas d'écart fiscal, il y aurait des différences entre les avantages fiscaux nets résultant des activités budgétaires des provinces, et ces différences pourraient être très importantes. Elles mèneraient à une violation du principe d'équité horizontale dans l'ensemble de la fédération, autrement dit à ce qu'on appelle des iniquités fiscales, et, dans la mesure où la main-d'oeuvre est mobile, elles causeraient une répartition inefficiente de cette ressource(4). Sans participation du gouvernement fédéral, il est peu probable que les gouvernements provinciaux puissent arriver à un système de péréquation capable de réduire suffisamment l'écart entre les avantages fiscaux nets.

RENFLOUAGE DES PROVINCES PAR LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

Pour sa part, Mendelson propose un ensemble de réformes fiscales en trois volets. Premièrement, le gouvernement fédéral assumerait une très grande partie de la dette actuelle des gouvernements provinciaux (de 100 à 200 milliards de dollars). À cette fin, il prêterait sans intérêt à chaque province une somme équivalente per capita, pour un très long terme. Le prêt équivaudrait à des paiements annuels de transfert aux provinces, ce qui permettrait à ces dernières de payer une grande partie, sinon la totalité des frais du service de leur dette. Toutefois, le prêt constituerait à toutes fins utiles le remboursement complet ou partiel de la dette de chaque gouvernement provincial. Il serait accordé à condition d'être intégralement remboursé dans l'éventualité où une province se retirerait de la Confédération.

Deuxièmement, les provinces devraient s'engager, en vertu de la Constitution, à équilibrer leur budget en peu de temps et à présenter des budgets équilibrés chaque année par la suite. Mendelson ne précise pas si les provinces devraient atteindre un équilibre budgétaire total ou si elles ne devraient qu'équilibrer le budget en cours ou un autre élément budgétaire, et il ne précise pas non plus le délai qu'elles devraient respecter pour parvenir à l'équilibre budgétaire. Troisièmement, une modification constitutionnelle serait adoptée afin de limiter radicalement (sinon abroger complètement) le pouvoir du gouvernement fédéral de changer unilatéralement les formules des paiements de transfert.

   A. Avantages et inconvénients

En raison de leurs problèmes financiers actuels, les gouvernements provinciaux ont énormément de difficultés à financer les programmes dont l'administration leur incombe. Le service de la dette absorbe une part sans cesse croissante de leurs recettes, dont l'augmentation a été freinée par la récession, tandis que les pressions démographiques et économiques font augmenter leurs dépenses de programmes. Bref, les gouvernements provinciaux arriveraient beaucoup plus facilement à satisfaire à la demande de programmes si le fardeau du service de leur dette n'était pas si lourd, ce qui, bien entendu, vaut aussi pour le gouvernement fédéral.

Le plan Mendelson ne ferait pas disparaître le fardeau de la dette, mais le transférerait simplement d'un palier de gouvernement à un autre. Ce transfert présente un avantage financier, parce qu'il en coûte moins cher pour emprunter au gouvernement fédéral qu'aux gouvernements provinciaux. Par conséquent, grâce au transfert, le total des ressources nationales consacrées au paiement des intérêts pourrait être réduit, de sorte qu'il serait possible de canaliser une plus grande partie des recettes fiscales dans les programmes.

Mendelson s'inquiète par ailleurs de l'instabilité de la capacité fiscale des provinces. La migration d'une province à une autre est aussi courante que facile. Or, une émigration massive peut éroder l'assiette fiscale d'une province et aggraver beaucoup ses problèmes d'endettement. Terre-Neuve et la Saskatchewan sont particulièrement vulnérables à cet égard. L'émigration est un problème beaucoup moins grave à l'échelle nationale, et c'est ce qui explique pourquoi les coûts du service de la dette sont plus élevés pour les gouvernements provinciaux que pour le fédéral.

D'après Mendelson, l'élimination des coûts élevés du service de la dette des budgets provinciaux ferait diminuer ce genre de migration inefficiente; en réalité, ce n'est pas tout à fait vrai. Les provinces continueraient à avoir des capacités fiscales différentes. Certaines auraient des taxes moins élevées et certaines présenteraient de plus grands avantages que les autres. Ces facteurs risquent d'être toujours favorables à la migration pour des raisons fiscales. En outre, le fait de songer à émigrer pour ne pas payer sa part de la dette repose sur le postulat que la province n'offre pas d'avantages durables résultant des politiques qui l'ont endettée. Il s'ensuit que les budgets déficitaires serviraient à financer la consommation courante ou l'accumulation de capitaux privés. Dans ces conditions, les tendances à la migration pourraient bien refléter la piètre qualité des politiques financières des gouvernements en cause.

Les gouvernements provinciaux font bien plus appel que le gouvernement fédéral à des sources de financement de l'extérieur. Ils paient de l'intérêt à des étrangers, alors que le gouvernement fédéral en paie aux Canadiens, lesquels paient des impôts et des taxes au Canada, aux paliers fédéral et provincial. Cela est vrai, mais sans aucune importance. En effet, faire passer le fardeau de la dette au gouvernement fédéral ne contribuerait nullement à réduire la dette extérieure du pays. Les Canadiens doivent emprunter à l'étranger parce que leur économie ne génère pas assez d'épargne pour répondre aux besoins des secteurs privé et gouvernemental. Si ce dernier secteur tentait de tirer une plus grande partie de son financement du marché canadien de l'épargne, le secteur privé devrait se tourner vers les marchés étrangers des capitaux. Autrement dit, la situation individuelle des débiteurs pourrait changer, mais la situation globale de l'endettement resterait la même. Les pertes du compte courant ne diminueraient donc pas, comme Mendelson le prétend(5).

Le plan de Mendelson aurait, selon certains, l'avantage de concentrer toute la politique fiscale sous la responsabilité du palier de gouvernement qui contrôle en définitive la politique monétaire. En fait, Mendelson a pu dire que sa proposition ne ferait baisser les coûts des intérêts avec le temps qu'en raison de son postulat inhérent d'une politique monétaire plus souple qui réduirait très nettement les coûts du service de la dette(6). C'est une proposition potentiellement très dangereuse, étant donné que Mendelson est venu bien près d'avancer l'idée qu'une partie de la dette devrait être monétisée.

Mendelson considère comme un avantage le fait que seul le gouvernement fédéral pourrait s'occuper de stabilisation de l'économie, ce qui rendrait plus facile la coordination des politiques monétaires et fiscales. En fait, le gouvernement fédéral a bel et bien préconisé une coordination fiscale accrue entre les provinces et lui-même. Malheureusement, une politique centralisatrice pareille a ses inconvénients.

On reconnaît depuis longtemps que les politiques de stabilisation locales sont moins efficaces que les politiques nationales en raison des pertes importantes d'une région à une autre. Par exemple, quand une province veut stimuler l'activité économique locale, une grande partie des dépenses accrues qu'elle engage à cette fin est consacrée à des biens ou des services importés de l'extérieur de son territoire. Ce phénomène est cependant le même, que l'activité de stabilisation soit entreprise par un gouvernement provincial ou par le gouvernement fédéral.

La mesure dans laquelle les politiques de stabilisation locales entraînent des fuites de capitaux à l'extérieur de la région qui les applique est fonction de la taille de la région, de sa composition économique et de la nature des politiques de stabilisation elles-mêmes. Par exemple, alors que 75 p. 100 des effets fiscaux multiplicateurs des provinces de l'Atlantique sont cantonnés dans cette région, le pourcentage équivalent pour l'Ontario s'élève à 92 p. 100(7). Il semble aussi que les pertes de capitaux soient plus importantes quand la politique fiscale est dominée par les changements du régime d'imposition ou de taxation que lorsqu'elle est concentrée sur les dépenses.

Bien que les paiements de transfert fédéraux qui avantagent ou désavantagent une région assurent un certain degré de stabilisation en fonction de la situation régionale, il reste peut-être de la place pour d'autres initiatives provinciales. Le professeur Edward Gramlich soutient à cet égard que la méfiance traditionnelle à l'égard des politiques fiscales sous-nationales est désormais une erreur(8). Selon lui, la source des cycles des affaires semble maintenant être le volet réel de l'économie, et les économies régionales sont assez différentes pour qu'il soit logique d'adopter des politiques de stabilisation adaptées à chaque région. De plus, les fuites de capitaux ont baissé par suite de l'importance accrue des services locaux qui ne sont pas offerts commercialement.

Prenons l'exemple de l'Ontario. La dernière récession a été un phénomène largement ontarien, contrairement à celle du début des années 80. De plus, la province avait connu un boom sans précédent à la fin de cette décennie-là, ce qui avait amené la Banque du Canada à resserrer sa politique monétaire de façon à juguler les effets inflationnistes du boom. Comme cette politique monétaire est d'envergure nationale, elle a fait supporter certains coûts par d'autres secteurs de l'économie, même si ceux-ci n'étaient pas la source du problème, et même si d'autres régions du Canada que l'Ontario étaient en proie à de mauvaises conditions économiques. Les instruments fiscaux fédéraux ont été par ailleurs largement impuissants : le système de l'impôt et celui des paiements de transfert ont canalisé des ressources économiques au-delà des frontières de la province, mais en quantité insuffisante pour faire baisser la demande. Il fallait de toute évidence que le gouvernement de l'Ontario resserre sa politique fiscale.

La difficulté n'était pas due à l'incapacité du gouvernement provincial de contribuer à la stabilisation de l'économie locale, mais bien à son refus de le faire. Les mesures fiscales que l'Ontario a prises en 1988 et en 1989 ont d'ailleurs contribué à accroître le boom plutôt qu'à l'atténuer(9). Si le gouvernement ontarien avait eu une politique fiscale plus rigoureuse à la fin des années 80, les énormes déficits qu'il a accumulés au début des années 90 ne seraient peut-être pas si inquiétants qu'ils le sont, parce que la dette accumulée serait moins grosse. En outre, et c'est là un facteur tout aussi important, si la province avait adopté une politique fiscale contracyclique et si la Banque du Canada avait pu par conséquent éviter de faire preuve d'autant d'austérité à la fin des années 80, l'impact de la récession sur le pays et sur l'Ontario aurait pu être réduit(10).

   B. Effet sur les déficits totaux

Si le gouvernement fédéral assumait la dette des provinces per capita sur une base égale quelconque, les effets seraient bien différents d'une province à l'autre, étant donné que l'endettement provincial varie énormément, qu'il soit exprimé per capita ou en pourcentage du Produit intérieur brut provincial. De plus, certaines provinces ont des budgets excédentaires alors que d'autres ont des déficits de fonctionnement. Bref, quel que soit le montant per capita assumé, certaines provinces auraient des surplus budgétaires, tandis que d'autres resteraient déficitaires. Par exemple, même si le gouvernement fédéral assumait des dettes provinciales de 200 milliards de dollars, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse auraient encore une dette qui leur imposerait un déficit annuel dépassant 200 $ per capita. Les autres provinces auraient des surplus budgétaires, sauf le Québec, qui aurait un petit déficit per capita. Dans certains cas, les surplus seraient importants. D'après Mendelson, ils s'élèveraient, per capita, à 200 $ à Terre-Neuve, à 300 $ au Manitoba, à 400 $ en Saskatchewan et à environ 650 $ à l'Île-du-Prince-Édouard.

En outre, même si le gouvernement fédéral assumait la totalité des dettes des provinces, certains gouvernements provinciaux, par exemple ceux de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse, continueraient à avoir des budgets déficitaires, parce que leurs recettes actuelles ne sont même pas suffisantes pour financer le coût de leurs programmes.

Pour qu'un gouvernement provincial puisse présenter par la suite des budgets équilibrés, quelle part de la dette provinciale le gouvernement fédéral devrait-il assumer? Par exemple, un prêt total aux provinces équivalant à 100 milliards de dollars laisserait sept des dix provinces avec des déficits d'au moins 100 $ per capita. Celui de la Nouvelle-Écosse dépasserait 600 $ per capita et celui de l'Ontario, 500 $ per capita. Ces provinces accepteraient-elles de se plier à l'obligation constitutionnelle d'équilibrer leurs budgets?

Si le gouvernement fédéral devait consentir un prêt de 200 milliards de dollars ou plus, certains gouvernements provinciaux se retrouveraient avec des surplus considérables. Le total des déficits gouvernementaux resterait stable si les provinces étaient tenues de conserver leur surplus au fil des années, par exemple en créant, de concert avec le gouvernement fédéral, un fonds qui servirait à rembourser la totalité du prêt. Par contre, si les provinces réduisaient leurs taxes ou leurs impôts en proportion ou qu'elles dépensaient les surplus ainsi obtenus, le déficit total du secteur gouvernemental augmenterait, même si les gouvernements provinciaux respectaient à la lettre toutes leurs obligations de déposer des budgets équilibrés. Il s'ensuit que la proposition de Mendelson pourrait mener tout droit à l'expansion du secteur gouvernemental et à l'augmentation des déficits.

La réduction des déficits n'est possible que grâce à des mesures gouvernementales de contrôle des dépenses et d'augmentation des recettes. Par le passé, les gouvernements provinciaux ont adopté des politiques fiscales sensibles aux cycles économiques. Les gros déficits provinciaux se sont révélés plus temporaires que le déficit fédéral. Dans leur budget de 1993, les gouvernements provinciaux se sont engagés à réduire en un an leur déficit de l'équivalent de 1 p. 100 du PIB, alors que, sur la même période, le déficit fédéral est censé augmenter d'environ 0,4 p. 100 du PIB (voir le graphique 1). En outre, deux provinces, l'Alberta et le Nouveau-Brunswick, ont adopté des lois rendant obligatoire le dépôt de budgets équilibrés, et trois autres provinces prédisent qu'elles auront des budgets équilibrés d'ici quelques années. Et tout cela s'est fait sans qu'on éponge leur dette actuelle.

Les provinces se donnent déjà les politiques fiscales qui s'imposent pour la réduction de leur déficit; si l'expérience du passé se répète, elles y réussiront probablement mieux que le gouvernement fédéral. Elles risquent d'avoir moins besoin de prendre des mesures pour assainir leurs finances si leur dette devait être épongée.

CONCLUSION

Aujourd'hui, tous les gouvernements ont un grand défi fiscal à relever, car ils accumulent des dettes à un rythme que la plupart des Canadiennes et des Canadiens jugent inacceptable. Cela dit, la capacité d'imposition et de taxation des provinces, prises collectivement, est insuffisante pour qu'elles puissent financer les programmes dont elles sont responsables. Une partie des recettes qui leur manquent est compensée par les paiements de transfert du gouvernement fédéral. Toutefois, depuis plusieurs années, ni l'un ni l'autre des deux paliers de gouvernement n'est entièrement satisfait de ce régime de transfert. Pour résumer, il faut dire que les provinces sont responsables de programmes dont le coût augmente rapidement, alors que le gouvernement fédéral a la haute main dans le secteur de l'impôt sur le revenu des particuliers, le seul outil fiscal ayant un grand potentiel inhérent d'augmentation des recettes.

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Il est vraisemblable que les relations fiscales fédérales-provinciales changeront en réaction aux pressions économiques du genre de celles que nous avons décrites dans ces pages. Les deux propositions que nous avons étudiées ont été formulées pour résoudre les problèmes actuels qui résultent d'une mauvaise répartition des recettes entre les deux premiers paliers de gouvernement. L'une est très centralisatrice, fondée sur le renflouage des gouvernements provinciaux déficitaires, ceux-ci devant en contrepartie céder virtuellement tous les pouvoirs de stabilisation de l'économie au gouvernement fédéral. L'autre proposition est diamétralement opposée, car le nouveau partage des pouvoirs d'imposition et de taxation et l'élimination de l'écart fiscal vertical qu'elle prévoit permettraient aux gouvernements provinciaux de devenir beaucoup plus indépendants dans la conduite de leurs affaires fiscales. Par conséquent, le gouvernement fédéral perdrait une grande partie de son influence. Des aspects qui semblent à première vue tout à fait théoriques et techniques de la répartition des pouvoirs d'imposition et de taxation peuvent donc influer très profondément sur le mode de gouvernement du pays, et cela sans nécessiter le moindre changement constitutionnel d'importance.


(1) G.C. Ruggeri, R. Howard, G.K. Robertson et D. Van Wart, « Rebalancing Canada's Fiscal Structure », Options Politiques, décembre 1993, p. 27-30; et C.G. Ruggeri, R. Howard et D. Van Wart, « Structural Imbalances in the Canadian Fiscal Systems », Canadian Tax Journal/Revue fiscale canadienne, vol. 41, no 3, 1993, p. 454-472.

(2) Michael Mendelson, Fundamental Reform of Fiscal Federalism, miméographie, 14 octobre 1993.

(3) Pour un exposé sur ces principes économiques classiques, voir R.W. Boadway et P.A.R. Hobson, Intergovernmental Fiscal Relations in Canada, Canadian Tax Paper No. 96, Toronto, Association canadienne d'études fiscales, 1993. Cet exposé est compatible dans l'ensemble avec celui qui figure dans I.K. Ip et J.M. Mintz, Dividing the Spoils: The Federal-Provincial Allocation of Taxing Powers, Toronto, Institut C.D. Howe, 1992.

(4) Boadway et Hobson (1993), p. 150.

(5) Mendelson (1993), p. 12.

(6) Ibid.

(7) Y. Rabeau, « Stabilisation régionale au Canada », dans J. Sargent, coordonnateur de recherche, Politique fiscale et monétaire, vol. 21 de la série de rapports d'étude commandés pour la Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, Ottawa, 1986.

(8) E.M. Gramlich, « A view from the Outside: The Relevance of Foreign Experience », communication présentée à la conférence sur les finances provinciales de l'Association canadienne d'études fiscales, Toronto, 30 et 31 mai 1989.

(9) T.J. Courchene, Rethinking the Macro Mix: The Case for Provincial Stabilization Policy, SPS Working Paper, n°  90-01, School of Policy Studies, Université Queen's, Kingston (Ontario), 13 février 1990.

(10) Ibid., p. 36 et 37.