BP-405F

PROJET DE LOI C-104 :
CONTEXTE JURIDIQUE DE L'ANALYSE
GÉNÉTIQUE À DES FINS MÉDICO-LÉGALES

 

Rédaction :
Jane Allain
Division du droit et du gouvernement
Août 1995


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

HISTORIQUE DU PROJET DE LOI C-104

CONDITIONS RÉGISSANT LA DÉLIVRANCE D'UN MANDAT

EXÉCUTION D'UN MANDAT

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES POUR LES JEUNES CONTREVENANTS

UTILISATION ET DESTRUCTION DES ÉCHANTILLONS ET DES RÉSULTATS

QUESTIONS EN SUSPENS

CONCLUSION


PROJET DE LOI C-104 : CONTEXTE JURIDIQUE DE
L'ANALYSE GÉNÉTIQUE À DES FINS MÉDICO-LÉGALES

INTRODUCTION

L’identification de l’ADN à des fins médico-légales, qui tente de déterminer si des prélèvements biologiques effectués sur des suspects correspondent à des prélèvements biologiques laissés sur les lieux d’un crime, est récemment devenue un important moyen d’enquête pour les corps policiers. Depuis 1988, les juges de première instance au Canada autorisent la production en preuve des empreintes génétiques dans les procédures criminelles parce que cette preuve serait à la fois pertinente et utile au juge des faits, à savoir le jury. Dans la plupart des cas, ce n'est pas la valeur de cette nouvelle technique scientifique qui a été litigieuse, mais la question de savoir si le prélèvement d'un échantillon de substances corporelles par les policiers sans le consentement de l'accusé constituait une saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte. Des éléments de preuve obtenus illégalement peuvent être écartés en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Avant la présentation du projet de loi C-104, il n'y avait aucune loi autorisant la police à prélever du sang, des cheveux, des poils ou des cellules buccales dans le but d'établir l'empreinte génétique d'un prévenu ou d'un condamné.

Même en l’absence de loi, les cours d'appel de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick ont confirmé les décisions des juges de première instance qui avaient conclu à l'admissibilité en preuve d'empreintes génétiques dans des cas où, pourtant, le prélèvement de l'échantillon d'ADN avait nettement porté atteinte aux droits garantis à l'accusé par la Charte (R. c. Baptiste(1), R. c. Légère(2), R. c. Paul(3) et R. c. Stillman(4)). Les tribunaux ont essentiellement conclu que l'utilisation d'éléments de preuve découlant de saisies illégales n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Autrement dit, il ont jugé que l'accusé ne subirait pas un procès inéquitable parce que son empreinte génétique était admise en preuve. Les tribunaux ont fondé leur jugement sur plusieurs facteurs capitaux; ils ont apprécié la gravité de l'atteinte à la Charte et de l'accusation criminelle, la conduite des policiers, et la disponibilité d'autres techniques d'enquête licites. Sans une autorisation législative expresse, il devenait de plus en plus évident que les justifications avancées par les policiers pour demander à un accusé de fournir des échantillons d'ADN n'étaient pas très solides.

À l'automne 1994, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt qui a enclenché les rouages législatifs. Dans R. c. Borden (5), elle a statué qu'un échantillon d'ADN obtenu sans respect des règles ne saurait être admissible en preuve. En l'espèce, du sang avait été prélevé sur l'accusé sans que ce dernier ait donné un consentement valide et éclairé, puisqu'il avait accepté, à la demande des policiers, de fournir un échantillon de sang pour que ses empreintes génétiques soient connues relativement à une accusation d'agression sexuelle précise. Or, la police ne l'avait pas informé qu'elle avait l'intention d'utiliser le même échantillon pour son enquête sur une autre affaire non classée, à savoir une agression sexuelle qui avait été commise plus tôt par un agresseur non identifié. Bien que l'analyse de l'ADN ait confirmé que l'accusé était bel et bien l'agresseur recherché pour le viol précédent, la Cour suprême a convenu avec la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse que la preuve était inadmissible. Dans l'arrêt Borden, la Cour suprême a fait remarquer que la loi n'obligeait pas l'accusé à fournir un échantillon de sang, et que les policiers n'avaient aucun moyen licite d'en obtenir un sans son consentement. Elle a d’ailleurs insisté sur le fait qu'aucune disposition législative ne permettait à la police d'obtenir un mandat pour saisir une substance corporelle d'un accusé aux fins d'une analyse de l'ADN. Selon elle, les avocats de la défense avaient donc raison de conseiller à leurs clients de ne pas se soumettre de leur plein gré à une analyse génétique, car toute action policière ayant pour but de saisir des substances corporelles sans leur consentement serait jugée illégale. Par conséquent, les policiers couraient le risque que le tribunal, après avoir analysé les faits à la lumière du paragraphe 24(2) de la Charte, écarte tout élément de preuve ainsi obtenu(6).

Le projet de loi C-104 règle le problème en établissant un cadre législatif qui permettra aux policiers d'obtenir des mandats en vue de prélever des substances corporelles à des fins d’établissement des empreintes génétiques. Il semble établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée d’une personne et l’intérêt de l’État à identifier les criminels. Cela ne signifie pas, toutefois, que le débat est clos une fois pour toutes; dans l’arrêt Borden, la Cour suprême du Canada a prévenu qu'un tel cadre législatif était lui-même susceptible d'enfreindre la Charte.

HISTORIQUE DU PROJET DE LOI C-104

Les partis politiques, à l'unanimité, ont adopté le projet de loi C-104 à la Chambre des communes le 22 juin 1995. Au moment où celui-ci avait été déposé, le ministre de la Justice avait annoncé que ce n'était que le premier élément d'un train de mesures; il a l'intention de présenter, à l’automne 1995, un deuxième projet de loi qui régira la constitution d'une banque d'empreintes génétiques prélevées dans le cadre d'enquêtes criminelles.

Le Sénat n'a pas étudié le projet de loi aussi vite que la Chambre des communes, mais tout de même assez rapidement. À l'issue de la deuxième lecture, le 27 juin, il l'a renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a tenu deux réunions publiques sur le sujet. La plupart des témoins qui ont comparu devant le Comité et tous ceux qui ont présenté des mémoires ont approuvé le projet de loi en principe. Néanmoins, certains en ont critiqué quelques éléments. Voici les critiques qui revenaient le plus souvent :

  1. la liste des infractions pour lesquelles il sera possible de demander un mandat en vue d'une analyse génétique est trop longue;

  2. l'audition de la demande de mandat aura lieu en l'absence de l'accusé;

  3. il n'est pas précisé que, dans presque tous les cas, la méthode la moins invasive possible doit être utilisée pour prélever un échantillon d'ADN;

  4. l'entreposage à long terme des échantillons d'ADN prélevés n'est pas prévu; et

  5. les adultes, contrairement aux jeunes contrevenants, n'ont pas droit à la présence de leur avocat au moment où l'échantillon d'ADN est prélevé.

Le 11 juillet, le Comité sénatorial permanent a renvoyé le projet de loi au Sénat sans lui avoir apporté d'amendements, mais il a recommandé que le ministre de la Justice envisage d'accorder aussi aux contrevenants adultes le droit d'être accompagnés de leur avocat au moment où l'échantillon d'ADN est prélevé. Le projet de loi C-104 a reçu la sanction royale et a été proclamé en vigueur le 13 juillet 1995.

Au début d'août, les médias ont signalé que la GRC, à son détachement de Richmond (Colombie-Britannique), a été la première force policière au Canada à se fonder sur le projet de loi C-104 pour prélever un échantillon de sang sur un prévenu qui avait déjà été accusé de meurtre au deuxième degré. L’avocat de ce dernier a fait savoir qu'il contesterait la nouvelle loi au motif que la procédure porte atteinte aux droits garantis à son client par la Charte. Il plaidera probablement soit que la procédure équivaut à une fouille et saisie abusive, ce qui contrevient à l'article 8 de la Charte, soit qu'elle viole le droit à la sécurité de la personne de l'accusé, que garantit l'article 7 de la Charte.

CONDITIONS RÉGISSANT LA DÉLIVRANCE D'UN MANDAT

En vertu de la nouvelle loi, un juge de la cour provinciale pourra accorder un mandat autorisant un agent de la paix à saisir un échantillon d'une substance corporelle d'une personne à des fins d’analyse génétique. Ainsi, les policiers seront autorisés à prélever sur un suspect des cheveux ou des poils, des cellules buccales, ou encore des gouttes de sang. Le juge de la cour provinciale entendra la demande ex parte, c'est-à-dire que seule la partie cherchant à obtenir le mandat (la police, en l'occurrence) sera présente pour exposer sa cause. Certains éléments doivent être établis avant qu'un mandat puisse être délivré. Ainsi, toute demande de mandat doit être accompagnée d'une déclaration faite sous serment indiquant que les policiers ont des motifs raisonnables de croire :

  1. qu'une des infractions désignées dans le projet de loi a été perpétrée,

  2. qu'une substance corporelle a été trouvée sur le lieu de l'infraction, sur le corps ou les vêtements de la victime,

  3. que la personne visée par le mandat décerné a participé à l'infraction, et

  4. qu'il faut un échantillon d'ADN de cette personne pour déterminer si son empreinte génétique correspond ou non à celle de la substance corporelle trouvée par la police.

Avant de délivrer le mandat, le juge doit aussi être convaincu qu'obliger l'intéressé à subir une analyse génétique servirait au mieux les intérêts de la justice. Pour prendre sa décision, il devra tenir compte de la nature de l'infraction et des circonstances de sa perpétration, ainsi que de la possibilité qu’un agent de la paix ou une autre personne ayant une formation et une expérience appropriées, effectue le prélèvement d'ADN. Un juge qui décide de délivrer un mandat peut imposer toutes les conditions qu'il estime opportunes pour que la saisie soit raisonnable dans les circonstances.

Comme nous l'avons indiqué précédemment, un mandat ne peut être délivré que dans le cas de certaines infractions désignées du Code criminel, qui sont énumérées dans le projet de loi. Plus d'une trentaine d’infractions sont ainsi mentionnées, à savoir :

  • des infractions relatives à la sécurité maritime et aérienne :

- actes de piraterie (art. 75)
- détournement (art. 76)
- atteinte à la sécurité des aéronefs ou des aéroports (art. 77)
- prise d'un navire ou d'une plate-forme fixe (art. 78.1)

  • des infractions relatives à l'utilisation de substances dangereuses ou d'armes :

- usage d'explosifs (al. 81(2)a))
- décharger une arme à feu dans l'intention de causer des lésions corporelles (art. 244)

  • des infractions à caractère sexuel :

- contacts sexuels avec une personne de moins de 14 ans (art. 151)
- incitation d'une personne de moins de 14 ans à des contacts sexuels (art. 152)
- exploitation d'un jeune à des fins sexuelles (art. 153)
- inceste (art. 155)
- obtention de services sexuels d'un mineur (par. 212(4))
- agression sexuelle (art. 271)
- agression sexuelle armée, menace à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles (art. 272)
- agression sexuelle grave (art. 273)

  • d’autres infractions contre la personne :

- causer la mort par négligence criminelle (art. 220)
- causer des lésions corporelles par négligence criminelle (art. 221)
- meurtre (art. 231)
- homicide involontaire coupable (art. 236)
- défaut d'arrêter lors d'un accident (art. 252)
- voies de fait (art. 266)
- agression armée ou infliction de lésions corporelles (art. 267)
- voies de fait graves (art. 268)
- infliction illégale de lésions corporelles (art. 269)
- torture (art. 269.1)
- voies de fait contre un agent de la paix (al. 270(1)a))
- enlèvement (art. 279)
- prise d'otage (art. 279.1)

  • des infractions relatives à la propriété :

- vol qualifié (art. 344)
- introduction par effraction dans un dessein criminel (par. 348(1))
- incendie criminel : danger pour la vie humaine (art. 433)
- incendie criminel : bien propres (art. 434.1)
- méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens (par. 430(2))

En outre, le projet de loi C-104 désigne plusieurs infractions qui existaient dans des versions antérieures du Code criminel. En effet, avec les années, certaines dispositions du Code ont été modifiées afin de refléter l'évolution de la société. Ainsi, le «viol» a été remplacé par le crime d'«agression sexuelle», un concept beaucoup plus étendu. Or, un principe de droit veut qu'une personne soit accusée et déclarée coupable d'un crime prévu dans la loi en vigueur au moment où elle a commis l'infraction qu'on lui reproche. Autrement dit, si une personne subit en 1995 un procès pour un crime qu'elle aurait commis en 1968, elle ne peut être accusée que de l'infraction telle qu'elle existait en 1968. (Il ne faut pas oublier qu'en règle générale, les poursuites criminelles ne se prescrivent pas au Canada.) Donc, pour être certain que les personnes accusées de crimes perpétrés il y a des années puissent encore être soumises maintenant à une analyse de l'ADN, le projet de loi C-104 étend l'application des dispositions concernant les mandats à certaines infractions du Code criminel aujourd'hui abrogées. Cette liste comprend surtout des infractions à caractère sexuel telles que rapports sexuels avec une belle-fille, viol, rapports sexuels avec une personne mineure de sexe féminin, et rapports sexuels avec une personne faible d'esprit.

EXÉCUTION D'UN MANDAT

Avant de faire quoi que ce soit, la police doit informer la personne visée par le mandat :

  • de la teneur du mandat,

  • de la nature du prélèvement (buccal, sanguin ou pilaire),

  • du but de l'analyse de l'ADN,

  • de la possibilité que les résultats de l'analyse génétique soient présentés en preuve,

  • de son pouvoir d'employer la force nécessaire pour l'exécution du mandat.

Le projet de loi C-104 autorise donc le prélèvement d'une substance corporelle sans l'autorisation du suspect. Lors de l'exécution du mandat, le suspect peut être détenu ou contraint de suivre les policiers, qui doivent veiller à exécuter le mandat dans des conditions respectant sa vie privée autant que faire se peut.

Le fait d'obtenir une substance corporelle sans le consentement de l'intéressé n'est pas problématique en soi. La Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises que prélever des substances intimes, p. ex. le sang, sur un accusé sans une autorisation licite et sans le consentement de l'intéressé constitue une saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte (R. c. Dyment(7) et Pohoretsky c. La Reine(8)). Prélever des échantillons de substances corporelles dans de telles circonstances est considéré comme une atteinte grave à la dignité et à l'intégrité même d'une personne. Cependant, une fouille de cette nature sera permise si la loi l'autorise, si la loi elle-même est raisonnable et si la fouille n'est pas abusive (Collins c. La Reine(9) et R. c. Debot(10)). S'il est exécuté dans les règles, un mandat décerné en vertu du projet de loi C-104 remplirait vraisemblablement les trois conditions. Premièrement, parce qu’il est délivré aux termes du projet de loi C-104, il serait manifestement autorisé par la loi. Deuxièmement, le projet de loi C-104 énonce des critères raisonnables à remplir si l'on veut obtenir un mandat. (En bref, il faut présenter suffisamment d'éléments pour convaincre le juge qu'obliger la personne visée à subir une analyse de l'ADN pour certaines infractions désignées servirait au mieux l'administration de la justice. Un juge peut même imposer certaines modalités supplémentaires aux policiers pour s'assurer que le mandat sera exécuté d'une manière raisonnable.) Troisièmement, si les policiers prélèvent l'échantillon de substance corporelle d'une manière qui respecte à la fois la dignité de la personne et sa vie privée, comme la loi les y oblige, la saisie sera réputée raisonnable.

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES POUR LES JEUNES CONTREVENANTS

Le projet de loi C-104 accorde expressément jeunes contrevenants visés par un mandat la possibilité de consulter leur avocat, leur père ou leur mère. De plus, ils auront le droit d'être accompagnés d'une de ces personnes pendant que le mandat est exécuté. Les adolescents peuvent toutefois renoncer à ce droit, mais leur renonciation doit être enregistrée sur bande audio ou vidéo, ou être faite par écrit. D'après les fonctionnaires qui ont témoigné au nom du ministre de la Justice, l'alinéa 10b) de la Charte garantit aussi aux adultes qui sont détenus le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat lors de l'exécution d'un mandat les intéressant. Cela ne veut pas dire, toutefois, que les adultes auront droit à la présence de leur avocat au moment de l'exécution du mandat, mais plutôt qu'ils pourront s'entretenir avec lui pour déterminer quels sont leurs recours possibles.

UTILISATION ET DESTRUCTION DES ÉCHANTILLONS ET DES RÉSULTATS

Une disposition du projet de loi C-104 prévoit expressément que la substance corporelle prélevée en exécution d'un mandat ne peut servir qu'à une analyse génétique dans le cadre d'une enquête criminelle. Le paragraphe 487.08(2) impose la même restriction à l'utilisation des résultats de l'analyse génétique. Malgré tout, quelques critiques ont trouvé que le libellé du paragraphe n’est pas tout à fait clair. Dans son mémoire au Comité sénatorial permanent, l'Association du Barreau canadien fait remarquer que ce paragraphe semblerait autoriser que les résultats d'une analyse génétique effectuée en vertu d'un mandat pour une enquête sur une infraction désignée servent, sans mandat exprès, à une autre enquête sur une infraction désignée sur le lieu de laquelle on a trouvé une substance corporelle. L'Association du Barreau canadien a suggéré que l'adoption de ce paragraphe soit retardée jusqu'à la présentation de la loi concernant la banque d'empreintes génétiques. Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont discrédité cette observation; selon eux, la police sera obligée d'obtenir un nouveau mandat lorsqu'elle voudra comparer des empreintes génétiques à celles trouvées sur le lieu d'une autre infraction.

Quiconque utilise une substance corporelle ou une analyse génétique à des fins autres que celles énoncées dans la loi est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La peine maximale prévue est relativement légère : six mois de prison et 2 000 $ d'amende. Le Barreau du Québec soutient que l'utilisation illicite des empreintes génétiques devrait être punie plus sévèrement. Dans son mémoire, il recommande que l'infraction soit considérée comme un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans.

Le projet de loi C-104 prévoit la destruction immédiate de la substance corporelle saisie et des résultats de l'analyse génétique quand cette substance ne correspond pas à la substance trouvée ou lorsque l'accusé est acquitté de l'infraction désignée. Cela ne s'applique pas, cependant, si la personne est déclarée non coupable pour incapacité mentale.

En outre, l'échantillon d'ADN et les résultats de l'analyse doivent être détruits un an après :

  • la libération de l'intéressé au terme de l'enquête préliminaire,

  • le rejet ou le retrait des accusations,

  • la suspension des procédures contre l'accusé.

Dans certaines circonstances, l'échantillon et les résultats peuvent ne pas être détruits dans le délai fixé par la loi si un juge de la cour provinciale ordonne qu'il en soit ainsi parce que ceux-ci pourraient être nécessaires à une enquête ou à une poursuite concernant la même personne mais pour une autre infraction désignée. Le Barreau du Québec et l'Association du Barreau canadien ont tous deux soutenu qu'étant donné les risques pour la vie privée de la personne en cause, les policiers ne devraient pas être autorisés à conserver indéfiniment l'échantillon ou les résultats.

QUESTIONS EN SUSPENS

Comme nous l'avons signalé précédemment, le projet de loi C-104 ne porte que sur le prélèvement d'échantillons de substances corporelles en vue de l'analyse de l'ADN à des fins médico-légales. D'autres questions restent à résoudre, notamment celles-ci :

  • Banque d'empreintes génétiques d'ADN — Le ministre de la Justice a fait savoir qu'il présenterait à l’automne 1995, un projet de loi qui réglementera l'entreposage des empreintes génétiques. Reste à voir si c'est l'échantillon même ou seulement les résultats de l'analyse génétique qui seront gardés en dossier. Il n'est pas clair non plus quelles garanties procédurales seront prévues pour s'assurer que les échantillons d'ADN et les résultats d'analyse génétique obtenus et emmagasinés ne servent qu'à des enquêtes criminelles.

  • Analyse de l'ADN des condamnés — Le projet de loi C-104 autorise l'analyse de l’ADN d'une personne soupçonnée d'avoir participé à certaines infractions désignées. Il semble que le projet de loi devrait viser des suspects ou des accusés plutôt que des condamnés, mais le libellé est assez vague. Entreprendre d'établir le code génétique de tous les criminels actuellement incarcérés provoquerait sans doute de multiples contestations fondées sur la Charte, notamment sur le droit à la protection contre les saisies abusives et le droit à la sécurité de sa personne, garantis respectivement par les articles 8 et 7. Le gouvernement serait tenu d'établir qu'il est justifié de porter atteinte à la vie privée des contrevenants pour protéger les intérêts de la société. Étant donné que l'analyse de l'ADN à des fins médico-légales a pour but d'identifier l'agresseur, l'initiative d'analyser seulement l'ADN des détenus condamnés pour des infractions dont on sait que le taux de récidive est élevé pourrait être considérée comme un compromis acceptable.

  • Pratiques des laboratoires — Il n'est pas certain que le gouvernement fédéral présentera une loi pour régir les pratiques et procédures des laboratoires qui font les analyses génétiques à des fins médico-légales. Dans son document de consultation intitulé La collecte et l'entreposage des preuves médicolégales à caractère génétique, le ministère de la Justice se demande si le Parlement devrait légiférer afin de fixer les conditions d'accréditation ou d'octroi des permis pour les laboratoires qui font des analyses génétiques.

CONCLUSION

La plupart des observateurs ont applaudi à l'adoption du projet de loi C-104, que très peu ont contesté. Même ceux qui l'ont critiqué conviennent qu'il a trouvé le juste milieu entre le droit d'une personne au respect de sa vie privée et l'obligation de l'État de trouver et de poursuivre les auteurs des crimes graves. La loi qui sera présentée à l’automne 1995 pour régir une banque d'empreintes génétiques provoquera vraisemblablement un débat bien plus houleux.


(1) (1994), 88 C.C.C. (3d) 211 (C.A. C.-B.).

(2) (1994) 35 C.R. (4th) 1 (C.A. N.-B.).

(3) Dossier n° 205/90/CA, non publié, 12 décembre 1994 (C.A. N.-B.).

(4) Dossier n° 117/93/CA, non publié, 27 février 1995 (C.A. N.-B.).

(5) [1994] 3 R.C.S. 145.

(6) Bien que les tribunaux soient tous tenus d'appliquer les mêmes critères pour déterminer si des éléments de preuve devraient être écartés en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, ils n'arrivent pas tous aux mêmes conclusions. Il faut signaler que toutes les décisions de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick confirmant l'admissibilité en preuve des empreintes génétiques ont été rendues après que la Cour suprême a statué dans l’affaire Borden le 30 septembre 1994, puisque l'arrêt Légère a été rendu le 16 décembre 1994, l'arrêt Paul, le 12 décembre 1994, et l'arrêt Stillman, le 27 février 1995. Il faut donc absolument que le tribunal apprécie les faits en l'espèce pour déterminer s'il y a lieu d'écarter les éléments de preuve obtenus illégalement; une telle évaluation oblige à établir un équilibre entre les droits de l'accusé et les intérêts de la société.

(7) [1988] 2 R.C.S. 417.

(8) [1987] 1 R.C.S. 945.

(9) [1987] 1 R.C.S. 265.

(10) [1989] 2 R.C.S. 1140.