BP-406F ACTIVITÉ AU PLAN CONSTITUTIONNEL
:
Rédaction : TABLE
DES MATIÈRES PARTIE 1 : PRÉLUDE À L'ACCORD DU LAC MEECH PARTIE 2 : LES CINQ CONDITIONS DU QUÉBEC A. Le processus de négociation du lac Meech C. La formule de modification : un droit de veto ou un droit de compensation en cas de retrait F. La nomination des juges à la Cour suprême du Canada PARTIE 3 : APRÈS L'ACCORD DU LAC MEECH A. Discussions au niveau fédéral ACTIVITÉ AU PLAN CONSTITUTIONNEL
: Comme certains le font souvent remarquer, il semble que le débat constitutionnel soit la seule grande préoccupation du Canada. La pérennité et l'intensité de ce débat sont tels qu'il arrive souvent que l'on perde de vue ce qui s'est passé, même dans un passé relativement récent. Dans le présent document, nous nous proposons de comparer brièvement certaines des options et propositions qui ont été avancées au cours des quinze dernières années, principalement dans le contexte du débat entourant l'Accord du lac Meech et les cinq conditions posées par le Québec pour adhérer à la Loi constitutionnelle de 1982, qui faisaient l'objet de l'Accord. Le document est divisé en trois parties. Dans la première, nous présentons un résumé des événements qui ont eu lieu depuis la veille du référendum québécois de 1980, jusqu'à la signature de l'Accord du lac Meech en 1987, en passant par le rapatriement de la Constitution. Dans la deuxième, nous nous penchons sur l'Accord du lac Meech, y compris sur la réponse aux cinq conditions énonçées dans celui-ci, et passons en revue les événements de juin 1990, date à laquelle les délais accordés pour la ratification de l'Accord ont expiré. Nous y examinons aussi comment les propositions fédérales de septembre 1991, le Rapport Beaudoin-Dobbie de février 1992, l'Accord de Charlottetown d'août 1992 et le projet de texte juridique qui accompagnait celui-ci ont tenté de satisfaire les cinq conditions du Québec(1). La troisième partie traite des événements qui se sont produits entre l'échec de l'Accord du lac Meech et le référendum de 1992 sur l'Accord de Charlottetown. Comme notre étude est descriptive et rétrospective, le lecteur n'y trouvera pas d'analyse ou de conclusions détaillées. Nous avons mis l'accent sur les cinq conditions posées par le Québec pour adhérer à la Loi constitutionnelle de 1982 simplement parce qu'il y a tout lieu de croire que ces conditions, qui ont sont apparues par la première fois dans l'Accord du lac Meech, sont au coeur du dilemme constitutionnel :
Nous employons l'expression « Canada de la common law » pour désigner le Canada sans le Québec. En effet, le Québec est régi par des concepts de droit civil, et par le Code civil. Le droit civil se fonde sur une série de principes écrits clairement exprimés, à partir desquels les tribunaux peuvent appliquer le droit à toutes les situations particulières. Selon l'interprétation civiliste du droit constitutionnel, il serait tout à fait logique que les principaux changements au régime constitutionnel soient incorporés au document écrit. Au contraire, comme la common law se fonde sur des précédents, le droit constitutionnel dans ce régime découle de l'interprétation d'une série de décisions traitant de situations de faits particulières. Les modifications au texte constitutionnel, comme celles qu'a entraînées l'adoption la Charte canadienne des droits et libertés, créent une période d'incertitude juridique qui dure tant que la Cour suprême du Canada n'en a pas fixé les limites d'interprétation. Alors que le droit civil préconise précision et clarté, la common law, comme la langue à laquelle elle est associée, excelle dans la flexibilité (et parfois l'ambiguïté). Un dessin humoristique bien connu illustre ces deux perceptions du monde. Le civiliste cherche à l'aide d'un télescope à découvrir les principes régissant l'univers. L'avocat de common law, penché sur une loupe, parcourt la terre à la recherche d'indices se rapportant spécifiquement à la situation qui le préoccupe(2). Il n'est peut-être donc pas surprenant de constater que deux approches aussi différentes à l'égard de la Constitution engendrent un certain nombre de malentendus et de frustrations. Il va sans dire que toute tentative de résumé des événements qui se sont déroulés depuis quinze ans ne peut être que simpliste. Pour compenser cette faiblesse, nous faisons référence au besoin dans le document à d'autres textes qui traitent en détail de sujets précis. PARTIE 1 : PRÉLUDE À L'ACCORD DU LAC MEECH En 1967, le Canada célébrait le centenaire de son existence en tant que pays. La ferveur nationaliste qui s'est manifestée au cours de cette année-là a, pour de nombreuses personnes, mis en relief le fait que le Canada était la seule démocratie moderne à être privée du pouvoir de modifier sa propre Constitution. En 1867, n'ayant pas réussi à s'entendre sur une formule de modification, les pères de la Confédération avaient tout simplement mis cette question de côté. En 1931, le Statut de Westminster, qui confirmait l'indépendance des anciennes colonies britanniques, a offert la possibilité de remédier à la situation, mais encore une fois les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ne sont pas parvenus à s'entendre sur une formule de modification. Au contraire, le gouvernement fédéral a demandé que soit inscrit dans la Constitution un article précis confirmant le statu quo (article 7). Jusqu'en 1982, toutes les modifications à la Constitution canadienne, autres que celles ayant trait à l'organisation interne du gouvernement fédéral, devaient être adoptées par le Parlement britannique. À partir de 1968, les gouvernements fédéral et provinciaux ont entrepris de revoir en profondeur la Constitution, processus qui s'est déroulé en plusieurs étapes jusqu'en 1980. Bien que cet examen ait permis de discuter de nombreuses questions, le rapatriement de la Constitution accompagné d'une formule de modification canadienne a toujours été au centre du débat. En 1980, René Lévesque, qui était alors premier ministre du Québec, a tenu un référendum en vue d'obtenir le mandat de négocier la souveraineté-association entre le Québec et le reste du Canada. En mai 1980, les Québécois ont rejeté cette proposition dans une proportion d'environ 60 p. 100 contre 40 p. 100. Le 10 juin 1980, le gouvernement du Canada a déposé à la Chambre des communes le document intitulé Priorités pour une nouvelle Constitution canadienne, qui a donné lieu à d'intenses négociations fédérales-provinciales pendant les mois d'été. La Conférence des premiers ministres fédéral et provinciaux qui a suivi en septembre 1980 n'a pas permis de dégager le consensus souhaité. Le 6 octobre 1980, le gouvernement du Canada a déposé à la Chambre des communes le Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada. La proposition fédérale de rapatriement unilatéral comprenait une charte des droits et libertés, un engagement à respecter les principes de la péréquation, une formule de modification provisoire, en attendant la tenue d'un référendum, et une formule de modification définitive. À l'exception de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, les provinces ne tenaient pas à laisser au gouvernement fédéral l'initiative du rapatriement. Six provinces, auxquelles se sont jointes plus tard deux autres, ont donc contesté cette méthode en demandant, comme elles étaient en droit de le faire, à trois Cours d'appel provinciales de se prononcer sur la question. Au début de 1981, la confrontation s'est rapidement aggravée. Comme le gouvernement Trudeau essayait d'accélérer l'adoption de sa résolution par le Parlement et que le lobbying fédéral et provincial s'intensifiait à Westminster, le recours aux trois Cours d'appel provinciales s'est soldé par un verdict neutre sur la question de savoir si la proposition du gouvernement fédéral était constitutionnellement valide. Le 13 avril 1981, le gouvernement Lévesque a été réélu au Québec, et trois jours plus tard, le premier ministre Lévesque a rencontré les sept autres premiers ministres opposés au rapatriement unilatéral. Le 16 avril 1981, les huit provinces dissidentes ont émis un communiqué décrivant « l'Accord constitutionnel : le plan de rapatriement canadien » et la formule de modification connexe et dans lequel il était indiqué ce qui suit :
En échange de l'abandon du droit de veto du Québec, le premier ministre Lévesque obtenait la garantie constitutionnelle d'une compensation financière en cas de retrait(3) :
En septembre 1981, la Cour suprême du Canada a statué que la demande de rapatriement unilatéral envisagée par le gouvernement fédéral, sans l'accord des provinces, était légale, mais non constitutionnelle parce qu'elle contrevenait à une convention constitutionnelle. Les conventions constitutionnelles jouent un rôle important dans une fédération de common law comme le Canada. Le meilleur exemple d'une telle convention est probablement celui qu'un gouvernement défait aux élections doit démissionner; aucune règle de droit n'oblige un gouvernement défait aux élections à remettre les rênes du pouvoir, mais de toute évidence le refus de le faire déclencherait une grave crise dans la société. Ainsi donc, la déclaration de la Cour suprême selon laquelle le gouvernement fédéral agissait en toute légalité bien qu'à l'encontre d'une convention constitutionnelle était concluante. Abstraction faite de toute autre question, il était manifeste que le Parlement britannique, qui était en fait à l'origine de cette convention constitutionnelle de common law, n'accéderait jamais à une demande qui, selon la Cour suprême du Canada, violait les conventions constitutionnelles canadiennes. En fait, c'est l'opposition à l'adoption d'une Charte qui a réuni les premiers ministres des provinces de common law et le premier ministre Lévesque. Comme ce dernier l'a écrit plus tard dans Attendez que je me rappelle, la Charte avait :
Comme les événements l'ont démontré par la suite, toutefois, il n'existait pas de consensus semblable sur la question des référendums, traditionnellement associés à l'exercice d'une démocratie directe, comme elle existe aux États-Unis et en Suisse, plutôt qu'à celui d'une démocratie représentative qui, jusqu'aux années 80, était le modèle privilégié au Canada. Les premiers ministres des provinces de common law hésitaient particulièrement à affronter le gouvernement fédéral dans un référendum portant sur une Charte des droits et libertés, à laquelle ils s'opposaient en raison de principes constitutionnels de common law, parce qu'ils savaient fort bien qu'elle serait appuyée par une majorité de la population. Pour tenter de résoudre ce qui était en fait une impasse, une Conférence des premiers ministres s'est tenue le 2 novembre 1981. Le matin du 4 novembre 1981, la tension était à son comble. Tous s'accordent à dire que le premier ministre Trudeau et le premier ministre Lévesque se livraient une lutte pour déterminer qui parlait pour le Québec. À la fin de la matinée, le premier ministre Trudeau a mis le premier ministre Lévesque au défi d'accepter un référendum une véritable abomination pour les autres premiers ministres. Le premier ministre Lévesque a accepté, et le premier ministre Trudeau a immédiatement annoncé à la presse impatiente :
Se rendant bien compte que le premier ministre Trudeau et le premier ministre Lévesque ne signeraient jamais le même document constitutionnel, certains représentants provinciaux ont entamé d'intenses négociations avec leurs homologues fédéraux. Au cours de la nuit, d'autres provinces se sont ralliées par groupes de deux ou trois. Au matin, le premier ministre Lévesque était le seul à ne pas avoir été consulté sur le compromis proposé et donc à ne pas l'avoir accepté. L'entente signée par Ottawa et les neuf autres provinces le 5 novembre 1981, était essentiellement un amalgame de la « Déclaration des droits » proposé par le premier ministre Trudeau et de la formule de modification suggérée par les provinces. Le droit à la compensation financière en cas de retrait avait été abandonné, ce qui était une pilule particulièrement amère pour le premier ministre Lévesque(5), mais il a par la suite été rétabli pour les questions d'éducation et de culture (article 40, Loi constitutionnelle de 1982). Le 1er décembre 1981, l'Assemblée nationale du Québec a adopté une résolution déclarant qu'elle n'accepterait pas le plan de rapatriement de la Constitution, à moins que certaines conditions soient réunies :
Le Québec a ensuite entrepris sa propre contestation constitutionnelle, en proclamant qu'il disposait d'un droit de veto historique. Dans le Renvoi : Opposition à une résolution pour modifier la Constitution (portant sur le droit de veto du Québec), la Cour suprême du Canada a toutefois confirmé la décision qu'elle avait rendue dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution en 1981, à savoir que, selon la convention, les modifications constitutionnelles n'exigent pas un degré appréciable de consentement provincial. Elle a affirmé qu'aucune province en particulier n'a de droit de veto. Même s'il est vrai que les questions autochtones ont été au centre des conférences constitutionnelles des quelques années qui ont suivi, il est raisonnable de prétendre que les préoccupations du Québec ont continué de mijoter et que le gouvernement québécois attendait son heure pour attirer l'attention du Canada sur ses revendications. Le 9 mai 1986, Gil Rémillard, alors ministre des Affaires inter-gouvernementales du Québec, a prononcé une allocution au cours d'une conférence tenue au Mont-Gabriel (Québec), qui est généralement considérée comme le début de la « Ronde Québec » des négociations constitutionnelles. C'était la première fois que les « cinq conditions » étaient énoncées publiquement :
Le 12 août 1986, à la 27e Conférence annuelle des premiers ministres, qui s'est tenue à Edmonton (Alberta), les premiers ministres ont déclaré ce qui suit : « Les premiers ministres reconnaissent unanimement que la priorité ultime en matière constitutionnelle est d'entamer immédiatement un processus de discussion fédéral-provincial ayant comme point de départ les cinq propositions du Québec, afin de susciter la participation pleine et active du Québec à l'intérieur de la fédération canadienne ». Comme James Hurley, directeur des Affaires constitutionnelles au Bureau du Conseil privé, le signale dans son document (qui figure sur la liste ci-après), d'une très grande utilité, cette déclaration n'était pas le fruit d'une pure coïncidence :
Tout était donc en place pour les négociations de l'Accord du lac Meech.
PARTIE 2 : LES CINQ CONDITIONS DU QUÉBEC A. Le processus de négociation du lac Meech Le 30 avril 1987, les premiers ministres se sont réunis au lac Meech, près d'Ottawa, et ont approuvé un projet de document traitant des cinq conditions du Québec. Le texte de l'entente initiale figure à l'annexe 3. Ce qui est remarquable dans ce document, c'est que la majorité des dispositions sont encore à l'état de brouillon, alors que la condition primordiale, soit la reconnaissance du Québec comme société distincte, en tant que règle d'interprétation de l'ensemble de la Constitution, y est déjà rédigée dans les termes juridiques qui resteront essentiellement les mêmes dans le document final. Les premiers ministres se sont de nouveau réunis à Ottawa les 2 et 3 juin 1987 pour confirmer le texte définitif de l'Accord et, le 3 juin 1987, le document était déposé à la Chambre des communes. Le 23 juin 1987, l'Assemblée nationale du Québec adoptait, par 95 voix contre 18, une résolution favorable à l'Accord du lac Meech, malgré la dissidence du Parti québécois, qui était alors le parti d'opposition. Le compte à rebours du délai de trois ans concernant les modifications constitutionnelles contenues dans la Loi constitutionnelle de 1982 venait de commencer. Comme toutes les provinces et le Parlement devaient adopter une résolution contenant un libellé identique, le texte de la modification ne pouvait qu'être immuable, à défaut de quoi le Québec devrait adopter une deuxième résolution. Au 23 juin 1987, il était devenu pratiquement impossible de corriger même ce qui allait être qualifié « d'erreurs énormes ». Dans les trois années qui ont suivi, l'Accord du lac Meech a été au centre d'un débat national auquel ont participé les comités constitutionnels établis dans la plupart des provinces, et d'un débat de plus en plus rancunier sur la procédure appropriée à suivre pour modifier la Constitution. Après un effort ultime pour sauver l'Accord en juin 1990, l'échec a été consacré quand l'Assemblée législative du Manitoba a manqué de temps pour adopter sa résolution, en grande partie à cause de problèmes de procédure. L'assemblée législative de Terre-Neuve, qui avait prévu de tenir un scrutin sur cette résolution avant la date limite du 23 juin 1990, a décidé de ne pas se prononcer sur une question aussi contestée puisqu'il n'y avait plus aucune chance que l'Accord soit approuvé à l'unanimité.
La première clause de l'Accord du lac Meech traitait du concept de « société distincte ». Du point de vue constitutionnel, il y a trois façons d'aborder ce concept de la spécificité du Québec. Premièrement, le reste du pays peut reconnaître, par une simple déclaration dans la Constitution qui, d'après l'opinion majoritaire, ferait partie du préambule, que le Québec est en fait distinct du reste du Canada parce qu'il a un système juridique différent, qu'il est la seule province majoritairement d'expression française, et que sa culture et ses institutions sont uniques. La deuxième façon de traiter cette question, c'est d'en faire une règle d'interprétation de la Constitution, qui influerait sur les décisions des tribunaux en matière de partage des pouvoirs, et au sujet des questions de stricte compétence provinciale, comme l'éducation et la langue. Cette règle d'interprétation pourrait éventuellement avoir une portée sur les droits garantis par la Charte, selon la manière dont elle serait formulée. La troisième possibilité consisterait à associer le concept de société distincte au principe d'égalité des deux peuples fondateurs. Bien que, traditionnellement, le concept des « deux peuples fondateurs » ait surtout servi à promouvoir la reconnaissance d'un droit de veto pour le Québec, sa portée s'étend également au principe de l'égalité et au caractère distinct du partenaire québécois dans ses rapports avec les neuf autres provinces. L'Accord du lac Meech retenait la deuxième de ces trois possibilités, c'est-à-dire que le Québec est une société suffisamment distincte pour influer sur l'interprétation de la Constitution. Il incomberait au gouvernement fédéral de protéger le bilinguisme pancanadien, alors que l'Assemblée législative et le gouvernement du Québec auraient la responsabilité de protéger et de « promouvoir » le concept d'une « société québécoise distincte ». Le mot « promouvoir » a fait surgir le spectre des pouvoirs spéciaux, ou d'un statut constitutionnel spécial pour le Québec, ce qui a largement contribué à l'échec de l'Accord du lac Meech. Au bout du compte, les provinces opposées à l'Accord du lac Meech ont soit tenu des audiences constitutionnelles (Manitoba et Nouveau-Brunswick), soit déposé une proposition de remplacement pour la réforme constitutionnelle (Terre-Neuve). Le groupe de travail du Manitoba a conclu que c'était la clause de société distincte qui « a engendré le plus de controverse et de débat au cours des audiences publiques ». On craignait que ce concept divise le Canada en deux communautés linguistiques, que l'octroi d'un statut spécial au Québec crée deux catégories de citoyens et que des « termes vagues et non définis » soient inscrits dans la Constitution. Le groupe de travail a suggéré d'employer l'expression « clause Canada » chaque fois qu'il serait fait référence à une règle d'interprétation, et que celle-ci reflète une reconnaissance beaucoup plus diversifiée de la société canadienne. La proposition faite par Terre-Neuve en novembre 1989 aurait jumelé la clause Canada à la clause de société distincte dans le préambule de la Constitution. La proposition de Terre-Neuve reconnaissait que le Québec est distinct des autres provinces du fait de sa langue, de sa culture et de son système juridique, mais pas du point de vue de son statut et de ses droits en tant que province. En mars 1990, la Chambre des communes a établit un comité spécial chargé d'analyser l'Accord du lac Meech; il était présidé par Jean Charest. Dans son rapport, déposé le 17 mai 1990, le comité Charest accordait une attention particulière à une « résolution d'accompagnement » à l'Accord du lac Meech, adoptée par l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick le 21 mars 1990. À l'exception de la proposition d'inscrire dans la Constitution l'égalité de ses collectivités francophones et anglophones, le Nouveau-Brunswick recommandait dans son rapport que le gouvernement fédéral ait le même droit de « promouvoir » la dualité linguistique fondamentale du Canada que celui conféré au Québec de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. Le comité Charest a endossé la recommandation selon laquelle le Parlement devrait être chargé de promouvoir la dualité linguistique du Canada. Les propositions fédérales de septembre 1991 comprenaient une « clause Canada », comme celle que prévoyait le groupe de travail du Manitoba; elle consistait en un certain nombre de déclarations « d'intention », notamment la « responsabilité spéciale qui revient au Québec de protéger et de promouvoir sa culture distincte ». Le rapport Beaudoin-Dobbie, en date de février 1992, a proposé une règle d'interprétation qui, parmi les nombreuses autres clauses, aurait fait référence aux « colons français et britanniques, qui nous ont légué leurs propres langues et cultures, en plus de forger des institutions politiques qui ont renforcé notre union et permis au Québec de s'épanouir comme société distincte au sein du Canada ». Finalement, le Rapport du consensus sur la Constitution, connu sous le nom d'Accord de Charlottetown du 28 août 1992, indiquait que toute interprétation de la Constitution du Canada devrait « concorder » avec huit différentes « caractéristiques fondamentales », dont l'une indiquait que le « Québec forme au sein du Canada une société distincte, comprenant notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil ». Le projet de texte juridique, publié le 9 octobre 1992, n'apportait aucun changement à cette proposition. Toutefois, les deux documents ajoutaient un paragraphe (2) à cette règle d'interprétation, qui reprenait les mots utilisés dans l'Accord du lac Meech en affirmant que la l'assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte. Le rapport entre la Charte et la promotion d'une société distincte n'avait pas été clairement établi pendant le débat sur l'Accord du lac Meech. Une clause distincte dans l'Accord du lac Meech (article 16) indiquait qu'aucun élément de ce nouvel article d'interprétation n'aurait pour effet de porter atteinte aux règles d'interprétation existantes protégeant les droits des autochtones et le patrimoine multiculturel (articles 25 et 27 de la Charte), les droits autochtones ancestraux ou issus de traités reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou la compétence fédérale sur les Indiens et les terres indiennes conférée par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, plusieurs groupes qui croyaient être protégés par la Charte, et les groupes de femmes en particulier, se sont demandés si la clause de société distincte pourrait porter atteinte à leurs droits à l'égalité. Le comité Charest a cité des témoignages d'experts qui indiquent que la clause de société distincte ne porterait pas atteinte aux droits garantis par la Charte, mais qu'elle pourrait avoir une certaine influence si ces droits étaient assujettis à des limites raisonnables dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dans les propositions fédérales de 1991 et le rapport Beaudoin-Dobbie, il était suggéré qu'une règle d'interprétation soit ajoutée à la Charte, pour faire référence à la société distincte du Québec et à la dualité linguistique du Canada. Dans le consensus de Charlottetown, il était clairement indiqué que la « clause Canada » et le rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale du Québec dans la protection et la promotion du caractère distinctif de la société québécoise s'appliquerait à la Charte, aussi bien qu'au reste de la Constitution. C. La formule de modification : un droit de veto ou un droit de compensation en cas de retrait Au cours des différentes négociations fédérales-provinciales portant sur l'adoption d'une formule de modification canadienne permettant le rapatriement de la Constitution, deux grandes avenues ont été explorées : une formule qui aurait exigé le consentement de chacune des quatre régions, et une autre qui aurait exigé le consentement d'une majorité substantielle des provinces représentant un certain pourcentage de la population canadienne. La proposition fédérale de 1980 reposait sur une formule de modification par région, communément appelée la « formule de Victoria »(6), qui aurait exigé le consentement de toute province comptant, ou ayant déjà compté, 25 p. 100 de la population (Ontario et Québec), de deux des provinces de l'Est, et de deux des provinces de l'Ouest représentant au moins 50 p. 100 de la population totale de l'Ouest du Canada. La Constitution aurait pu être modifiée par un référendum au cours duquel les modifications proposées auraient dû être approuvées à la fois par une majorité des électeurs canadiens et par une majorité des électeurs des provinces ayant accepté les modifications. Les premiers ministres opposés à la formule de Victoria ont proposé que la plupart des modifications soient soumises à la « formule de Vancouver », qui exigeait le consentement de deux tiers des provinces représentant au moins 50 p. 100 de la population. L'unanimité n'aurait été exigée que pour certaines questions :
Lorsqu'une modification est faite au moyen de la « procédure générale », soit la formule 7/50, une province peut exercer son droit de retrait en adoptant une résolution exprimant sa dissidence si la modification porte atteinte au pouvoir législatif ou aux droits de propriété des provinces, ou à tous autres droits ou privilèges d'une assemblée législative ou d'un gouvernement provincial. Comme il en a été question dans la Partie 1, cette formule de modification a été tout d'abord approuvée par l'ancien premier ministre du Québec et elle a finalement été incorporée dans la Loi constitutionnelle de 1982. L'appui accordé par le premier ministre Lévesque à la formule de Vancouver s'accompagnait toutefois de l'ajout d'une disposition indiquant que toute province qui exercerait son droit de retrait recevrait pleine compensation. Cette disposition a été abandonnée dans l'entente de novembre que le gouvernement fédéral a conclu avec les neuf provinces restantes, bien qu'elle ait été partiellement rétablie par la suite sous la forme d'une garantie de juste compensation si une province décidait d'exercer son droit de retrait relativement à une modification transférant un pouvoir de compétence provinciale sur la culture ou l'éducation au gouvernement fédéral (article 40). Étant donné que l'appui du premier ministre Lévesque au droit de compensation en cas de retrait, en échange de l'abandon du droit de veto, a récemment fait l'objet d'une controverse, il est utile de rappeler son opinion sur la question, telle qu'il l'expose dans son livre Attendez que je me rappelle :
L'Accord du lac Meech aurait abordé la question du droit de veto de deux façons différentes. Il aurait rétabli le droit à une pleine compensation en cas de retrait pour des modifications transférant des pouvoirs législatifs des provinces au gouvernement fédéral, et il aurait exigé l'unanimité pour les modifications à un groupe additionnel de questions qui sont actuellement incluses à l'article 42 :
La règle de l'unanimité exigée pour la création de nouvelles provinces a été l'élément le plus controversé, et le rapport du Nouveau-Brunswick aussi bien que le rapport Charest ont recommandé que les territoires puissent devenir des provinces par adoption d'une loi fédérale à cet effet. D'autres intervenants, notamment le groupe de travail du Manitoba et Terre-Neuve, croyaient que la multiplication des modifications exigeant l'unanimité aurait pour résultat de figer le processus de renouvellement constitutionnel ou, en fait, de lui enlever toute valeur. Les propositions fédérales de 1991 laissaient entendre que le gouvernement du Canada était prêt à reprendre la formule de modification du lac Meech, « si un consensus se dégageait sur cette question » et si un nouveau dossier constitutionnel exigeait un consentement unanime. La seule exception précisait que l'accession des territoires existants au statut de provinces continuerait d'être régie par la formule de modification en vigueur. Dans son rapport, le Comité Beaudoin-Dobbie exhortait les premiers ministres à examiner un certain nombre d'améliorations à la formule de modification et insistait sur le fait que « cette question devrait figurer parmi les priorités absolues de la présente série de négociations constitutionnelles afin de trouver une procédure de modification qui réponde aux besoins du Québec ». Le consensus de Charlottetown, et le projet de texte juridique, auraient rétabli le principe de la juste compensation pour toute province refusant de participer au transfert de pouvoirs législatifs de la législature d'une province au Parlement fédéral, en utilisant un langage identique à celui de l'Accord du lac Meech. Des provinces auraient pu être créées à même un territoire existant au moyen d'une loi fédérale, après consultation avec les provinces, mais ces nouvelles provinces n'auraient pas eu le droit d'intervenir dans les modifications constitutionnelles à venir. De même, les territoires, moyennant leur consentement, auraient pu être rattachés en tout ou en partie aux provinces en vertu d'une loi fédérale. Le mode de sélection des juges de la Cour suprême aurait pu être modifié au moyen de la formule 7/50; autrement, c'est la règle de l'unanimité prévue dans l'Accord du lac Meech concernant la Cour suprême et le Sénat qui se serait appliquée.
L'Accord du lac Meech incluait un accord politique qui, entre autres, comportait un engagement du gouvernement fédéral à conclure une entente avec le gouvernement du Québec qui aurait :
Un accord semblable à celui prévu dans l'Accord du lac Meech, conclu par les ministres fédéral et québécois de l'Immigration, est entré en vigueur le 1er avril 1991; il était conforme à l'entente Cullen-Couture sur la plupart des points. Contrairement à l'entente Cullen-Couture, mais comme le prévoyait l'accord politique du lac Meech, cet accord traitait de la prestation des services de réception et d'intégration. Il prévoyait également le montant exact de la compensation qui serait versée au Québec pour les services d'établissement et de formation linguistique. Ce montant, fixé à 75 millions de dollars pour 1991-1992, augmentait jusqu'à 90 millions de dollars pour 1994-1995 et les années subséquentes. En 1990-1991, les dépenses engagées par le gouvernement fédéral au Québec pour les services visés étaient d'environ 46,3 millions de dollars. Cet accord renferme des clauses de modification, moyennant le consentement des deux parties, mais pas de façon d'y mettre fin. À l'heure actuelle, les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent légiférer en matière d'immigration (article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867), mais les lois fédérales ont priorité en cas de conflit. La modification constitutionnelle proposée par l'Accord du lac Meech aurait obligé le gouvernement fédéral à négocier sur demande, avec une province, des ententes concernant l'immigration et les aubains. Bien que la majorité des provinces ait déjà conclu des ententes fédérales-provinciales en matière d'immigration, en vertu des dispositions en vigueur de la Loi sur l'immigration, les nouvelles dispositions (articles 95A à 95E) auraient soustrait ces ententes à la procédure de modification législative unilatérale fédérale en leur accordant la priorité sur les pouvoirs fédéraux existants en matière d'immigration (article 95), et en matière de naturalisation et d'aubains (paragraphe 91(25)). Le gouvernement fédéral aurait ultimement conservé le contrôle sur les « normes et objectifs nationaux relatifs à l'immigration et aux aubains, notamment en ce qui concerne l'établissement des catégories générales d'immigrants, les niveaux d'immigration du Canada et la détermination des catégories de personnes inadmissibles au Canada ». Ces dispositions en matière d'immigration n'ont pas beaucoup changé de l'Accord du lac Meech à l'Accord de Charlottetown, à l'exception de l'ajout ou du retrait d'une ou deux dispositions mineures. L'une de ces dispositions portait sur la clause « d'égalité de traitement » garantissant à toutes les provinces qu'elles seraient traitées sur le même pied que toute autre province ayant déjà conclu un accord, en adaptant ce nouvel accord « [à ses] besoins et à [sa] situation ». L'Accord du lac Meech et les propositions constitutionnelles subséquentes faisaient tous clairement ressortir qu'aucune disposition de l'Accord Canada-Québec ne devait être interprétée comme interdisant la négociation d'ententes similaires avec d'autres provinces en matière d'immigration ou d'admission temporaire des aubains. Il va de soi, cependant, que l'Accord Canada-Québec, qui garantit au Québec jusqu'à concurrence de trente pour cent des immigrants, ainsi qu'une part substantielle et irréductible du budget fédéral en matière d'établissement, empêche la conclusion d'ententes aussi généreuses avec d'autres provinces.
La notion du « pouvoir de dépenser » du gouvernement fédéral est un fait constitutionnel relativement récent. En versant des fonds, soit unilatéralement, soit en collaboration avec les provinces, pour divers programmes de santé, d'éducation et de développement social, le gouvernement fédéral a radicalement modifié la façon dont on abordait, au Canada, certaines questions qui étaient essentiellement de la compétence des provinces. Le pouvoir de dépenser est donc devenu le principal instrument d'influence du gouvernement fédéral dans des domaines relevant juridiquement des provinces, tels que les soins de santé, l'éducation, le bien-être et le développement régional. En versant des contributions financières pour certains programmes provinciaux, le gouvernement fédéral pouvait influer sur les politiques et les priorités provinciales, ainsi que sur les normes applicables aux programmes. Jusqu'aux années 60, la plupart des provinces ont accepté cette influence fédérale accrue, mais le Québec s'y est opposé et a refusé d'accepter certaines contributions. Pendant les années 60, les objections du Québec se sont cristallisées et d'autres provinces ont commencé à juger inadmissible la présence fédérale accrue. En conséquence, en 1964, les provinces ont reçu le droit de « se retirer » des programmes financés par le gouvernement fédéral en contrepartie d'abattements fiscaux, à titre de compensation, mais seul le Québec s'est prévalu de cette disposition. Les provinces opposées à l'utilisation du pouvoir de dépenser ont fait valoir que le gouvernement fédéral ne devait pas détenir le pouvoir de lancer des programmes à frais partagés sans obenir le consentement unanime des provinces, parce que l'administration de ces programmes incombait à ces dernières, que les programmes à frais partagés forçaient les provinces à modifier leurs priorités en matière de dépenses et de fiscalité, et que les citoyens des provinces qui avaient choisi de « se retirer » étaient assujettis à une « taxation sans en tirer d'avantages ». Le gouvernement fédéral a insisté sur l'importance du pouvoir de dépenser pour que l'on puisse offrir des chances égales à tous les Canadiens (par exemple, par le versement d'allocations familiales), uniformiser les services publics provinciaux et administrer des programmes de portée nationale. L'Accord du lac Meech aurait constitutionnalisé le principe selon lequel une province peut se retirer des nouveaux programmes à frais partagés sans peine fiscale :
Bien que certains intervenants, dont le comité spécial du Nouveau-Brunswick, aient estimé que cette nouvelle disposition conférait une reconnaissance constitutionnelle au pouvoir de dépenser, plusieurs petites provinces ont craint qu'elle puisse menacer l'existence des programmes nationaux cofinancés. Le groupe de travail du Manitoba a entendu des opinions indiquant que cette nouvelle disposition menacerait l'avenir de programmes tels que celui concernant la garde d'enfants, qu'elle réduirait la capacité du gouvernement fédéral d'offrir des programmes nationaux de santé et de bien-être social, et qu'elle accentuerait les disparités régionales dans le domaine des services sociaux. Le Groupe de travail a donc recommandé qu'elle soit supprimée. Terre-Neuve craignait, comme le Québec, que l'intervention unilatérale du fédéral empiète sur la compétence exclusive d'une province, mais estimait par ailleurs que l'article 106A pourrait affaiblir la capacité du gouvernement fédéral d'établir des programmes assortis de normes nationales minimales ou de redresser les disparités régionales. Comme le paragraphe 36(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 énonce les engagements visant à promouvoir l'égalité des chances, à réduire les inégalités régionales et à fournir les services publics essentiels, Terre-Neuve a suggéré que les programmes nationaux visant expressément la réalisation de ces engagements soient exemptés des dispositions de l'article 106A. Dans ses propositions fédérales de 1991, le gouvernement fédéral s'engageait à ne pas adopter de nouveaux programmes pancanadiens à frais partagés, à ne pas faire de transferts conditionnels dans des domaines de compétence provinciale exclusive sans l'approbation de sept provinces, représentant 50 p. 100 de la population. Cette disposition aurait été inscrite dans la Constitution. Dans son rapport, le comité Beaudoin-Dobbie était également favorable à l'article 106A, mais il aurait ajouté une disposition en vertu de laquelle tout nouveau programme pancanadien à frais partagés aurait bénéficié d'une protection contre les changements unilatéraux pendant une période mutuellement convenue. Il faut présumer qu'il s'agissait là d'une réponse au tollé qu'a soulevé dans les provinces l'annonce des restrictions imposées par le gouvernement fédéral aux augmentations des contributions du Régime d'assistance publique du Canada aux trois provinces « bien nanties ». Le consensus de Charlottetown a adopté l'article 106A, mais il aurait également obligé le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux à établir un cadre devant guider l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans des sphères de compétence provinciale exclusive de façon :
F. La nomination des juges à la Cour suprême du Canada La Cour suprême du Canada a été établie par une loi fédérale ordinaire et elle pourrait, en théorie, être supprimée de la même manière. Si l'Accord du lac Meech avait été adopté, la Cour suprême aurait été désignée, dans la Constitution, comme le plus haut tribunal d'appel du Canada. L'Accord aurait également fixé à neuf le nombre de juges de la Cour suprême, dont trois auraient nécessairement été choisis au Québec. Bien que cette disposition n'aurait rien changé à la situation actuelle, certains intervenants ont estimé qu'il n'était pas sage d'exiger l'unanimité des provinces pour augmenter le nombre des juges siégeant à la Cour. Ce qui est plus important, toutefois, c'est que l'Accord exigeait que le gouverneur général nomme les juges à partir de listes de candidats fournies par les provinces. Aucune disposition n'était cependant prévue au cas où le gouverneur général ne trouverait aucun candidat acceptable. En outre, comme aucune disposition ne prévoyait qu'un territoire puisse fournir des listes de candidats potentiels, les avocats des deux territoires auraient en fait été empêchés de siéger à la Cour suprême du Canada. Les propositions fédérales de 1991 reprenaient la même procédure de nomination des juges que celle prévue dans l'Accord du lac Meech, bien que des dispositions spécifiques auraient été prévues pour que les territoires puissent eux aussi présenter des listes de candidats. Le gouvernement était disposé à inscrire dans la Constitution l'existence de la Cour et sa composition, pourvu qu'il ne s'agisse pas de la seule disposition soumise à la règle de l'unanimité dans le nouveau dossier constitutionnel. Dans son rapport, le Comité Beaudoin-Dobbie a également endossé la nomination des juges à partir de listes provinciales, mais proposé que le juge en chef du Canada soit habilité à nommer à titre temporaire un juge suppléant si les gouvernements fédéral et provinciaux ne pouvaient s'entendre sur le choix d'un candidat. Il a aussi recommandé que soit inscrite dans la Constitution l'existence de la Cour suprême et sa composition actuelle, dont trois juges en provenance du Québec. Le consensus de Charlottetown renfermait fondamentalement les mêmes dispositions. PARTIE 3 : APRÈS L'ACCORD DU LAC MEECH Après l'échec de l'Accord du lac Meech, les discussions constitutionnelles se sont poursuivies sur plusieurs questions, tant au niveau fédéral qu'au niveau du Québec. A. Discussions au niveau fédéral Au niveau fédéral, le gouvernement a annoncé, le 1er novembre 1990, la création de la Commission connue sous le nom Commission Spicer. Dans son rapport déposé en juin 1991, constatant un désenchantement généralisé de la chose politique, la Commission Spicer a concentré ses recommandations sur des changements de procédure plutôt que sur des changements de fond à la Constitution. Le Comité Beaudoin-Edwards, Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes, a été mis sur pied en décembre 1990 pour examiner la formule de modification. En juin 1991, le comité a recommandé que l'on revienne à la formule de Victoria, proposition qui a été tièdement accueillie par plusieurs provinces. En septembre 1991, le gouvernement fédéral a publié un ensemble de propositions visant le renouvellement de la Constitution sous le titre Bâtir ensemble l'avenir du Canada. Seules des modifications constitutionnelles pouvant être approuvées selon la formule 7/50 (sept provinces représentant 50 p. 100 de la population) ont été activement proposées. Le gouvernement était disposé à approuver des modifications exigeant l'unanimité, si un consensus se dégageait à cet égard, mais il hésitait à accepter un ensemble de modifications dont certaines auraient été approuvées selon la formule 7/50 alors que d'autres auraient exigé l'unanimité. Personne ne souhaitait revivre la situation à l'origine de l'échec de l'Accord du lac Meech, où un certain nombre de modifications avaient été approuvées selon la formule 7/50, mais ne pouvaient être adoptées parce qu'il était impossible de les dissocier d'autres modifications exigeant l'unanimité. En juin 1991, le Parlement a établi le Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada, comme sous le nom de Comité Beaudoin-Dobbie, qui a déposé son rapport le 28 février 1992. À l'automne de 1991, le gouvernement du Canada a également accepté de financer un processus de consultation parallèle tenu par les quatres associations autochtones.
C'est alors que le ministre des Affaires constitutionnelles, Joe Clark, a entamé un nouveau processus multilatéral en mars 1992; ces réunions multilatérales sur la Constitution ont regroupé des ministres fédéraux et provinciaux, ainsi que des représentants des territoires et des quatre associations autochtones. Le Québec n'était pas représenté. Quatre groupes de travail se sont penchés sur les questions suivantes :
Le 11 juin 1992, les délégations ont mis fin à leurs travaux sans parvenir à résoudre certaines questions, dont la réforme du Sénat. Le 7 juillet, M. Clark a rencontré les premiers ministres provinciaux ainsi que les représentants autochtones et territoriaux. Ils se sont entendus sur un ensemble de dispositions portant, notamment, sur le droit inhérent des autochtones à l'autonomie gouvernementale, la reconnaissance de la société distincte du Québec, une clause Canada, un Sénat égal, un droit de veto accordé à toutes les provinces concernant la réforme subséquente des institutions, à l'exception de la création de nouvelles provinces dans les territoires, et un renforcement de la compétence législative des provinces. Toutefois, étant donné que ni le premier ministre Bourassa du Québec, ni le premier ministre Mulroney n'étaient présents à cette rencontre du 7 juillet, l'entente est demeurée provisoire. En février 1990, le Conseil général du Parti libéral du Québec a adopté une résolution donnant au Comité Allaire, officiellement connu sous le nom de Comité constitutionnel du Parti libéral du Québec, le mandat de préparer « le contenu politique d'une deuxième ronde de négociations au cas de ratification de l'Accord [du lac Meech] » ou, subsidiairement, « des scénarios alternatifs afin de parer à l'éventualité d'un échec de l'Accord du lac Meech ». Le rapport Allaire a été déposé en janvier 1991 et, après quelques modifications très mineures, est devenu la politique du Parti libéral du Québec. D'après le rapport, il était évident que la crise constitutionnelle était largement attribuable à l'incapacité du Canada de la common law à maintenir une vision de deux peuples fondateurs égaux :
Dans son rapport, le comité insistait également sur le fait que, du point de vue du Québec, l'autonomie provinciale et la décentralisation étaient au coeur de la volonté de demeurer au sein de la confédération. Le comité suggérait des modifications importantes au partage des pouvoirs, laissant ainsi au gouvernement fédéral le pouvoir exclusif uniquement sur les questions de défense, de douanes et tarifs, de monnaie et de dette commune, et sur la péréquation. Dans son rapport, le Comité Allaire recommandait la tenue d'un référendum au Québec avant la fin de l'automne 1992, soit sur la question de l'accession du Québec à la souveraineté, soit sur une nouvelle réforme constitutionnelle Québec-Canada se fondant sur les propositions du rapport. La Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, généralement connue sous le nom de Commission Bélanger-Campeau, a été créée par l'Assemblée nationale du Québec en septembre 1990, avec l'accord unanime de tous les partis. La Commission avait pour mandat « d'étudier et d'analyser le statut politique et constitutionnel du Québec et de formuler à cet égard des recommandations ». La Commission a déposé son rapport en mars 1991. Dans son rapport, la Commission Bélanger-Campeau a conclu qu'il n'y a que deux solutions possibles à l'impasse constitutionnelle : la modification en profondeur du fédéralisme, ou la souveraineté du Québec. La Commission a également recommandé la tenue d'un référendum le 26 octobre 1992, et suggéré des projets de dispositions législatives en vue d'établir un processus aux termes duquel le Québec pourrait déterminer son avenir politique et constitutionnel. Le projet de loi 150, Loi sur le processus de détermination de l'avenir politique et constitutionnel du Québec, a été déposé à l'Assemblée nationale à la mi-mai 1992 pour mettre en oeuvre ces recommandations. Le premier ministre Bourassa, après avoir conclu que « l'essence » de l'Accord du lac Meech était repris dans l'accord du 7 juillet 1992, s'est joint aux autres premiers ministres du Canada pour des discussions informelles le 4 août. Après d'autres négociations à Ottawa et à Charlottetown, une entente unanime est intervenue le 28 août 1992 sur le texte du Rapport du consensus sur la Constitution. Les premiers ministres ont accepté de tenir deux référendums le 26 octobre 1992 : le premier au Québec, régi par la loi québécoise, afin de se conformer au projet de loi 150; et l'autre dans le reste du Canada qui se tiendrait en vertu des dispositions de la nouvelle Loi concernant les référendums sur la Constitution du Canada. Tous les gouvernements ont accepté de poser la question suivante : « Acceptez-vous que la Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente intervenue le 28 août 1992? » Le 26 octobre 1992, l'Accord de Charlottetown a été rejeté par une majorité de Canadiens dans la majorité des provinces, y compris par une majorité de Québécois et une majorité d'Indiens vivant dans les réserves. Ainsi donc, les consultations les plus importantes et les plus longues qui eussent jamais été entreprises se sont terminées par le rejet très majoritaire de l'Accord par la population canadienne.
ANNEXE
1 Pour obtenir une copie des annexes,
ANNEXE
3
(1) Voir, à l'annexe 1, un tableau comparatif des réponses aux cinq conditions. (2) Voir l'annexe 2. (3) L'opinion du premier ministre Lévesque sur le droit de veto, au regard de la compensation financière, est discutée plus en détail dans la section qui traite de la formule de modification. (4) Attendez que je me rappelle, page 429. (5) Le premier ministre Lévesque avait d'abord décrit sa frustration sur la façon dont les autres premiers ministres insistaient pour que l'exercice « du droit de retrait [fut] rendu malaisé. D'ailleurs, même si l'attitude de Trudeau les mettait hors de leurs gonds, ils n'en étaient pas moins attachés eux aussi à cette « unité nationale » qui pour l'Anglo-Canadien, se situe en dernière analyse au-dessus de l'autonomie de sa province ». (Attendez que je me rappelle, pages 438-439). (6) L'expression « formule de Victoria » découle du fait que cette formule a été acceptée à la Conférence de Victoria qui s'est tenue en 1971, où elle a été approuvée provisoirement par toutes les provinces. Toutefois, la Saskatchewan et le Québec, pour des raisons différentes, n'ont pas entériné leur approbation avant la date limite fixée au 28 juin 1971. (7) Hurley (1994), page 21. |