BP-407F

 

LA CRISE DES DÉCHETS :
LES SOLUTIONS TRADITIONNELLES

 

Rédaction :
William Murray
Division des sciences et de la technologie
Décembre 1995


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

LA HIÉRARCHIE DES MÉTHODES DE GESTION DES DÉCHETS

   A. La réduction

   B. La réutilisation

   C. Le recyclage

L'ÉNERGIE TIRÉE DES DÉCHETS

LES DÉCHARGES

LES ORIENTATIONS FUTURES DANS LA GESTION DES ORDURES MÉNAGÈRES

   A. L'expérience ontarienne

   B. L'expérience allemande

   C. La déréglementation de la gestion des déchets

ANALYSE


 

 

LA CRISE DES DÉCHETS : LES SOLUTIONS TRADITIONNELLES

 

INTRODUCTION

Dès l'an 500 avant J.-C., la cité-État d'Athènes avait décrété que les déchets devaient être transportés au-delà des murs de la ville pour y être éliminés. L'élimination des déchets constitue donc un défi que l'humanité doit relever depuis des millénaires; toutefois, le problème que pose cette élimination n'est devenu grave qu'au cours des dernières décennies, et il se pose surtout dans les pays développés. Les déchets constituent essentiellement un sous-produit de la prospérité.

Pendant la majeure partie de l'histoire du Canada, l'élimination des déchets n'a pas posé de difficultés. L'existence de vastes espaces ouverts, une population peu nombreuse et principalement agricole et un grand souci d'économie ont fait en sorte qu'il n'était pas nécessaire de centraliser la gestion des déchets, sauf dans quelques grands centres urbains. Ce sens de l'économie, jumelé à l'absence relative de produits de consommation, poussait les gens à réparer de nombreux articles usagés ou encore à les utiliser pour fabriquer de nouveaux produits. Ce qui ne servait plus était composté, brûlé pour obtenir de la chaleur ou encore mis de côté pour le commerçant de ferraille et le « guénillou ».

La fin de la Deuxième Guerre mondiale a marqué le début d'une nouvelle ère de prospérité au Canada et les débuts de la société de consommation. La popularité du marchandisage par libre-service a entraîné l’apparition de nouveaux matériaux d'emballage visant à protéger les produits et à favoriser leur vente. De nos jours, les matériaux d'emballage constituent le tiers des déchets solides. De plus, la métamorphose de l'économie canadienne en une économie de type industriel a favorisé la croissance des villes, petites villes et villages. Aujourd'hui, pratiquement toutes les villes canadiennes, et même les villages, procèdent à des collectes hebdomadaires de déchets. Ce service est financé par les impôts fonciers municipaux, et aucune redevance directe n'est exigée pour l'enlèvement des déchets. Le coût réel de la gestion des déchets est donc caché, et le propriétaire n'est pas financièrement incité à faire preuve d'innovation dans la gestion de ses déchets. Toutefois, de nombreux facteurs sont en train de se conjuguer afin de provoquer la résistance des citoyens et de ralentir la transformation du pays en une « société jetable ». Bon nombre de gens sont tout simplement gênés des grandes quantités de déchets qu'ils placent au bord de la rue chaque semaine. D'autres se rendent compte que bon nombre de leurs « déchets » conservent une certaine valeur (énergie, fibres, métal) et se sentent coupables que ces articles soient enfouis dans les décharges.

Pendant la majeure partie du présent siècle, une grande proportion des déchets urbains étaient incinérés. Les incinérateurs municipaux étaient de simples fours qui n'étaient pas munis des dispositifs antipollution perfectionnés qui existent aujourd'hui. Les zones adjacentes à ces incinérateurs étaient souvent exposées à une pollution atmosphérique en raison de la fumée et du dépôt de particules. Pire, des analyses de sol effectuées dans les zones avoisinant les incinérateurs indiquent qu'il y eu contamination par des métaux lourds et des dioxines. La découverte de composés qui risquent de présenter un danger pour la santé a entraîné la fermeture des vieux incinérateurs et poussé le public à s'opposer par tous les moyens à leur remplacement par de nouveaux dispositifs modernes.

Les décharges suscitent également de la répugnance parce qu'on croit qu'elles sont, comme leurs prédécesseurs, les dépotoirs du village, une source de poussières, de mauvaises odeurs, de fumée et de vermine. Mis à part ces préoccupations d'ordre esthétique, on craint aussi que les déchets liquides ne s'infiltrent dans les sources d'eau souterraine et en compromettent la qualité. Enfin, beaucoup de gens croient que les décharges existantes seront bientôt comblées et qu'on ne dispose pas de l'espace voulu pour en ouvrir de nouvelles. Cette opinion n'est que partiellement vraie; les zones propices à des décharges sont très recherchées, mais il existe encore de nombreux sites possibles. Le problème, c'est que personne ne veut vivre près d'une décharge. Non seulement une décharge risque-t-elle d'entraîner une détérioration du cadre esthétique, mais elle provoque aussi un accroissement du nombre de camions circulant dans le voisinage. De plus, ce genre de projet suscite souvent du ressentiment et une perte de fierté puisque aucune ville ne souhaite être vue comme celle qui accepte les déchets d'autres collectivités. Enfin, et c'est peut-être là le problème le plus important, la valeur des propriétés tend à diminuer plus on s'approche d'une décharge.

LA HIÉRARCHIE DES MÉTHODES DE GESTION DES DÉCHETS

Au début des années 80, les gestionnaires d'ordures ménagères se sont rendu compte que les régions les plus peuplées du Canada seraient bientôt aux prises avec une crise des déchets. Les études menées sur les méthodes de gestion des déchets les plus efficaces ne cessaient de montrer que les pratiques économiques du siècle précédent constituaient les choix les plus prometteurs pour réduire la demande en nouvelles décharges et en incinérateurs. Ce sont ces méthodes qu'on a baptisées les « 3 R » : la réduction de la consommation de produits de consommation jetables, en particulier de matériaux d'emballage, la réutilisation des matériaux lorsque c'est possible, et enfin la transformation ou le recyclage des articles usagés.

Ces « trois R » n'ont toutefois pas tous la même valeur sur le plan de l'environnement. La réduction du volume de biens produits et jetés ensuite à la poubelle constitue la priorité du Canada en matière de gestion des déchets. Vient ensuite la réutilisation des produits. Le recyclage est considéré quant à lui comme l'option la moins attrayante des trois. Les gestionnaires d'ordures ménagères reconnaissent que l'on ne peut se contenter de l'une de ces méthodes. En fait, il existera toujours des matériaux qui ne pourront être réutilisés ou recyclés. Si ces matériaux sont combustibles, on estime qu'ils devraient être incinérés et que l'énergie ainsi libérée devrait servir au chauffage ou à la production d'électricité. Pour les matériaux non combustibles qui ne peuvent être réutilisés ou recyclés, l'enfouissement dans les décharges demeure la seule option possible.

Cette hiérarchie des méthodes de gestion des déchets (réduction, réutilisation, recyclage, incinération, enfouissement dans une décharge) n'est pas nécessairement valable pour toutes les municipalités canadiennes. Le recyclage présente une valeur économique et écologique dans la région ontarienne du « Golden Horseshoe », mais il constitue une méthode peu rentable à Rankin Inlet. À Kirkland Lake, où un grand pourcentage des déchets est formé de débris de bois, l'incinération et la production d'électricité constituent la principale méthode de gestion des déchets.

   A. La réduction

Par « réduction », on entend la réduction de la quantité de déchets produite à la source. Le consommateur peut contribuer à réduire la quantité de déchets à la source en vivant plus simplement, en choisissant de ne pas acheter ou accepter de produits ou d'emballages jetables, et en se plaignant aux fabricants du suremballage. Pour sa part, le fabricant peut concevoir de nouveaux produits en cherchant à réduire la quantité de déchets produits, en utilisant des matériaux d'emballage plus légers ou encore en n'en utilisant pas du tout, et en améliorant les processus industriels de manière à ce qu'ils produisent moins de déchets. Les mesures prises dans ce domaine n'ont toutefois pas permis d'endiguer le flot sans cesse croissant de déchets produits au Canada et on reconnaît maintenant qu'il faudra pour ce faire adopter des politiques provinciales et nationales de réduction des déchets.

En 1988, le Conseil canadien des ministres de l'Environnement (CCME) a étudié cette question et, en 1989, il a fixé un objectif national : réduire de 50 p. 100 les déchets produits d'ici l'an 2000. Sur un plan quantitatif, cet objectif signifie que le 1,8 kg de déchets produits par personne par jour en 1988 devra être ramené à 0,9 kg. Pour favoriser l’atteinte de cet objectif, le CCME, de concert avec toutes les provinces et les territoires, le gouvernement fédéral, les municipalités, les entreprises et les groupes environnementaux, a élaboré le Protocole national sur l'emballage. À l'heure actuelle, il s'agit d'un programme volontaire s'adressant aux consommateurs, aux détaillants et aux fabricants; toutefois, le Protocole précise que des règlements seront mis en oeuvre au besoin afin de veiller à ce que les politiques que ce document contient soient respectées. Un système national de surveillance de l'emballage a été mis sur pied afin de mesurer les progrès réalisés à l'égard des objectifs fixés, soit une réduction de 20, de 35 et de 50 p. 100 des emballages à éliminer (incinération ou enfouissement en décharge) d'ici le 31 décembre 1992, le 31 décembre 1996 et le 31 décembre de l'an 2000 respectivement. Il faut signaler que dans le Protocole national sur l'emballage, « réduction » s'entend de toute mesure qui diminue la quantité de matériaux acheminés vers des incinérateurs ou des décharges; par conséquent, la réutilisation ou le recyclage sont inclus dans la réduction.

   B. La réutilisation

La « réutilisation » suppose qu'un article sert à plusieurs reprises plutôt que d'être jeté à la poubelle. La forme la plus connue de réutilisation est la bouteille de bière consignée, qui est donc reprise par le fabricant. De plus, des organisations comme l'Armée du Salut s'occupent depuis longtemps de la réparation et de la réutilisation des vêtements, des meubles et des appareils ménagers. Les pièces tirées de vieilles automobiles et d'appareils ménagers usagés constituent des exemples de réutilisation.

La réutilisation entraîne une réduction importante des déchets à la source. Lorsqu'on réutilise de vieilles pièces qui sont en bon état, il n'est pas nécessaire d'en fabriquer de nouvelles; on peut ainsi conserver les ressources naturelles (matériaux vierges) et l'énergie requises pour fabriquer de nouveaux produits tout en éliminant les rejets connexes qui polluent l'air, le sol ou l'eau. Le recours à des contenants réutilisables comporte un avantage écologique supplémentaire par rapport au recyclage des emballages. Lorsque le consommateur achète de la bière, il rapporte ses bouteilles vides au magasin par la même occasion; de son côté, le camion qui vient livrer la bière au magasin remporte les bouteilles vides à la brasserie pour qu’elles soient lavées et de nouveau remplies. En d'autres mots, aucun déplacement supplémentaire n'est nécessaire, ce qui permet de réaliser des économies au chapitre du transport. Par contre, les matériaux recyclés doivent être ramassés à chaque domicile par des camions spéciaux, ou le consommateur doit faire un voyage spécial pour les livrer au centre de recyclage du quartier, d'où ils seront expédiés par camion à une usine de recyclage. Après le tri et la mise en ballots, les matériaux sont ensuite transportés à une usine de retransformation qui peut être située à seulement quelques kilomètres ou, au contraire, à des milliers de kilomètres de là.

Étant donné les avantages énergétiques et écologiques que présente la réutilisation par rapport au recyclage, il peut paraître curieux que les gouvernements de tous les paliers n'aient pas facilité la mise en oeuvre des programmes de réutilisation des matériaux par une réglementation ou des subventions. Ce phénomène s'explique par le fait que le système nord-américain de distribution des marchandises, axé sur des déplacements unidirectionnels sur de longues distances, n'encourage pas les programmes de consignation. Ainsi, une usine de transformation des légumes située à Leamington, en Ontario, peut expédier des bouteilles de jus de tomate à Calgary par l'entremise d'une entreprise de camionnage indépendante. Le camion n'est pas ensuite disponible pour ramener à Leamington des bouteilles de jus vides de faible valeur. Il lui faudra peut-être plutôt transporter du boeuf vers Vancouver ou encore aller porter des pièces d'automobiles japonaises à Dallas. Le système de consignation des contenants réutilisables n'est pratique que pour la distribution locale ou régionale de marchandises, par exemple, entre le détaillant et la brasserie ou, comme en Grande-Bretagne, entre les foyers et la laiterie.

L'adoption de règlements visant à promouvoir la réutilisation des matériaux donnerait aux producteurs locaux et indépendants un avantage commercial par rapport aux réseaux de production centralisée et de distribution sur de longues distances. En fait, les grandes multinationales considèrent que les systèmes de consignation obligatoire constituent un obstacle au libre-échange(1). Ainsi, au milieu des années 80, Coca-Cola Ltée et Pepsi-Cola Ltée ont facilité la mise en place du programme ontarien de recyclage en fournissant une contribution unique de 20 millions de dollars. Ce programme encourage la distribution de produits comme des canettes et des bouteilles de plastique à remplissage unique en laissant aux contribuables le soin d'assumer le coût du recyclage. Selon le Financial Times of Canada, « 80 p. 100 des embouteilleurs indépendants de la province ont été achetés ou ont cessé leurs opérations lorsque Coca-Cola et Pepsi-Cola ont centralisé leur production en banlieue de Toronto »(2). L'organisme torontois Pollution Probe estime que l'élimination des contenants consignés permet à ces deux distributeurs de boissons d'épargner entre 60 et 80 millions de dollars par année(3).

Aujourd'hui, au Canada, l'industrie laitière ne distribue plus de produits dans des contenants consignés, les boissons gazeuses sont principalement offertes dans des contenants en plastique ou en aluminium non retournables et la compétition de plus en plus forte livrée par les grandes brasseries centralisées des États-Unis a entraîné une diminution régulière de l'utilisation des bouteilles de bière consignées par les brasseurs canadiens. La progression de la canette de bière en aluminium est particulièrement marquante dans l'Ouest canadien. Donc, au bout de la ligne, la réutilisation constitue, parmi les 3 R, l'option la moins populaire puisque cette stratégie de réduction des déchets est en fait de moins en moins utilisée.

   C. Le recyclage

Du point de vue de l'environnement, la réutilisation constitue une méthode de gestion des déchets nettement supérieure au recyclage. Toutefois, dans les régions les plus densément peuplées du Canada et des États-Unis, le recyclage a fait la preuve qu’il présente de nets avantages économiques et environnementaux par rapport à l'enfouissement dans des décharges ou à l'incinération. Le Tellus Institute, un groupe bostonnais de recherche sur l'environnement s'occupant de défendre l'intérêt public, a étudié le coût du recyclage pour l'ensemble du cycle de vie des produits, transport et retransformation des déchets compris, et l'a comparé au coût de l'enfouissement en décharge ou de l'incinération des mêmes déchets, et de la fabrication de nouveaux produits à partir de matériaux « vierges ». Il en a conclu que le recyclage était plus économique pour l'aluminium, le papier, le verre, le carton et la plupart des autres déchets recyclables. Les plastiques constituent une exception parce qu'ils sont relativement peu coûteux à fabriquer, mais onéreux à recycler parce que bien que bon nombre d’entre eux se ressemblent, ils sont chimiquement incompatibles et doivent donc être triés. Ce problème pourrait être atténué grâce à la mise au point de nouvelles techniques qui permettent de dépolymériser les plastiques et d'ainsi aboutir aux matières premières distinctes. C’est habituellement dans les régions peuplées où les frais de collecte par habitant sont relativement peu élevés et permettent de réaliser des économies d'échelle, où les déchets font l'objet d'un « tri préliminaire » à la résidence, où les distances entre les centres de recyclage et les usines de retransformation sont courtes et où les frais d'enfouissement en décharge sont élevés que le recyclage est le plus rentable.

Au Canada et aux États-Unis, un certain nombre de facteurs se sont conjugués pour faire du recyclage une technique de gestion des déchets populaire. Le concept du recyclage a tout d'abord été adopté avec enthousiasme par le public parce qu'il était « écologiquement correct ». Cet accueil enthousiaste, jumelé à la nécessité de réduire les pressions exercées sur les décharges qui se remplissaient rapidement, a incité un certain nombre de gouvernements à mettre sur pied des programmes de recyclage et à les subventionner jusqu'à ce qu'ils s'autofinancent. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, de grands fabricants de boissons gazeuses ont fourni des fonds afin de faciliter la mise en place des programmes de recyclage régionaux. L'adoption de politiques gouvernementales et de lois afin de créer des marchés pour les matériaux recyclés a toutefois constitué un facteur incitatif important. En effet, de nombreux gouvernements ont établi des politiques d'achat favorisant les produits recyclés, tandis que d'autres ont offert des prêts à taux d'intérêt réduits, des subventions ou des crédits d'impôt aux entreprises fabriquant des produits à partir de matériaux recyclés. Dans les régions des États-Unis où la population est le plus concentrée, de nombreux gouvernement municipaux et d'État ont adopté des lois fixant un contenu minimal en fibres recyclées pour le papier journal afin de diminuer la quantité de papier journal enfoui dans les décharges de plus en plus combles. À son tour, l'industrie canadienne des pâtes et papier a dû s'équiper à toute vitesse afin de pouvoir recycler le papier et de ne pas perdre le marché américain du papier journal. Ces lois ont été si efficaces qu'un nombre de plus en plus grand de gouvernements établissent dorénavant des normes sur la teneur en matériaux recyclés pour les contenants de verre et de plastique.

Selon une étude sur les ordures ménagères réalisée dans une région de l'Ontario, en théorie, un peu plus de 60 p. 100 des déchets pourraient être recyclés ou compostés. Les déchets recyclables sont les suivants : le papier (29,7 p. 100), les plastiques (8,2 p. 100), les métaux ferreux (5,0 p. 100), le verre (2,5 p. 100), les métaux non ferreux (0,8 p. 100) et les déchets de jardin compostables (14,7 p. 100). Le reste des déchets se compose de déchets dangereux (0,3 p. 100) et de déchets organiques et inorganiques (38,8 p. 100) comme les déchets de construction inertes, la céramique, le cuir, les jouets, les déchets de cuisine, etc. Il faudrait toutefois signaler que les déchets végétaux peuvent aussi être compostés.

Même s'il est possible de recycler jusqu'à 60 p. 100 des ordures ménagères, des taux de recyclage de 40 p. 100 sont jugés très bons, même au Japon et dans des pays de d'Europe de l'Ouest où le recyclage se pratique depuis de nombreuses années. Au Canada et aux États-Unis, le taux de recyclage ne dépasse généralement guère 10 p. 100 même s'il atteint près de 20 p. 100 dans certaines régions. Ces taux relativement peu élevés témoignent des difficultés de croissance. Lorsqu'un programme de recyclage est mis en place, la gamme des produits se limite habituellement aux articles faciles à collecter et à trier, pour lesquels il existe un marché important. Par conséquent, les « boîtes bleues » ne recueillaient au début que des journaux, des boîtes de métal et du verre. Maintenant, selon la région, la collecte a été élargie aux matières plastiques « de type 1 » ou à tous les types de plastiques et, lorsque les économies d'échelle le justifient, aux matériaux de carton. Dans les régions urbaines du Canada, la plupart des programmes de recyclage enregistrent un accroissement faible mais constant du volume de déchets recyclés et une amélioration régulière de leur situation financière.

Le recyclage est coûteux. Dans la plupart des administrations, l'adoption d'un programme de recyclage a nécessité l'achat d'un second parc de camions spéciaux. Ainsi, Los Angeles a dû ajouter à ses 1 000 camions à ordures 600 camions de collecte sélective. Dans presque tous les secteurs, les matériaux recyclables sont collectés séparément des ordures, ce qui double la distance à parcourir et accroît grandement les frais de carburant et de main-d'oeuvre. Les matériaux doivent ensuite être triés et mis en ballots dans une usine centrale et être ensuite transportés à une usine de retransformation, ce qui entraîne d'autres frais de main-d'oeuvre, de fonctionnement et d'immobilisations. Waste Management Inc., l'une des plus grandes entreprises de gestion de déchets aux États-Unis, a signalé que, selon l'expérience qu'elle a accumulée auprès de 5,2 millions de ménages répartis dans 600 collectivités(4), il en coûtait 175 $ US (227 $ CDN)(5) la tonne pour collecter et trier les matériaux recyclés. Pire, selon une étude menée en Pennsylvanie, il en coûte aux habitants de Pittsburgh 94 $ US (122 $ CDN) la tonne pour les ordures ménagères habituelles et 470 $ US (611 $ CDN) la tonne pour les matériaux recyclés. Pittsburgh doit probablement assumer les frais de recyclage les plus élevés en Amérique du Nord, et le recyclage d'une tonne de matériaux aux États-Unis coûte généralement de trois à quatre fois plus que son enfouissement dans une décharge. Ce grand écart est en partie attribuable aux frais très bas exigés pour la mise en décharge à l'extérieur des régions peuplées de la côte Nord-Est et aux frais élevés qu'entraînent la collecte de matériaux recyclables mélangés et leur tri ultérieur. Par contre, le recyclage semble être plus rentable au Canada parce que les frais d'enfouissement en décharge sont souvent élevés et que les propriétaires acceptent volontiers de procéder à un premier tri des matériaux recyclables.

Les données recueillies par les services de l'environnement de la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton permettent de se faire une idée d'un programme de recyclage régional qui est sur le point de se révéler avantageux sur les plans économique et écologique. Le tableau 1 ci-dessous fournit des données sur la gestion des déchets pour 1994. Ainsi, le programme de recyclage « boîtes bleues » a permis de recycler 29 921 tonnes de matériaux moyennant des frais de 172 $ la tonne, soit de 63 $ la tonne de plus que si ces matériaux avaient été enfouis dans une décharge au coût de 109 $ la tonne. Les feuilles et les déchets de jardin ont aussi été recueillis, compostés et utilisés dans les parcs et jardins de la ville. De plus, les arbres de Noël ont été collectés et déchiquetés afin de servir pour l'aménagement paysager. Le compostage et le déchiquetage ont permis de ne pas enfouir dans une décharge 8 232,5 tonnes de matières végétales moyennant des frais de 77 $ la tonne, soit une économie de 32 $ la tonne. Par conséquent, environ 21 p. 100 du budget de gestion des déchets de la région a été consacré au recyclage ou au compostage de 16 p. 100 des déchets de la région qui, autrement, auraient été enfouis.

 

Tableau 1 : La gestion des ordures ménagères solides dans la région d'Ottawa-Carleton

   

Frais en $

Type de déchets

tonnes

la tonne

totaux

Ordures ménagères enfouies dans une décharge

201 115

109

21 921 535

Recyclage (« boîtes bleues »)

          29 921

172

  5 147 412

Compostage des feuilles et déchets de jardin et déchiquetage des arbres de Noël

         8 232,5

  77

      633 902

Total

     239 268,5

-

27 702 849

Cette analyse ne tient pas compte des bénéfices financiers que les entreprises privées tirent de la vente des matériaux recyclables. Le tableau 2 montre les tonnes de matériaux transformés et les prix reçus par ces entreprises : pour un mois du début de 1995, 2 852 tonnes ont ainsi été transformées et vendues et ont rapporté un revenu brut de 263 890 $, soit de 92,53 $ la tonne. Si les diverses municipalités d'Ottawa-Carleton n'avaient pas cédé tous ces matériaux recyclables aux entreprises privées, le coût du recyclage aurait pu être inférieur aux frais de 109 $ engagés pour mettre en décharge une tonne de matériaux : 172 $ - (92,53 $ - frais de main-d'oeuvre, de fonctionnement et d'immobilisations). Un grand nombre de municipalités de la région sont d'ailleurs en train de négocier de nouveaux contrats de gestion des déchets, qui leur permettront de toucher une partie ou la totalité des profits tirés de la vente des matériaux recyclables.

À court terme, même avec une amélioration des prix et des marchés, il ne semble pas que la vente des matériaux recyclables permettra d'assumer les frais de collecte; d'un autre côté, des recettes suffisantes pourraient être créées afin de rendre le recyclage moins coûteux que l'enfouissement en décharge. Par conséquent, dans la région d'Ottawa-Carleton, le recyclage, le compostage et le déchiquetage des arbres peuvent déjà permettre d'économiser à la fois l'espace disponible dans les décharges et l'argent des contribuables. Le recyclage est encore plus rentable dans un certain nombre de municipalités de la région du « Golden Horseshoe », en Ontario. Il ne faut toutefois pas en conclure que le recyclage constitue une méthode de gestion des déchets qui convient à toutes les municipalités.

En 1993, l'Ontario a été la première province au Canada à rendre le recyclage obligatoire dans toutes les villes, petites villes et villages de plus de 5 000 habitants. Pour aider à établir une infrastructure de recyclage, la province a réservé une somme de 26,3 millions de dollars par année jusqu'au 31 mars 1996, c'est-à-dire jusqu'au moment où on prévoyait que les municipalités pourraient appliquer des programmes de recyclage rentables.

La petite ville de Kapuskasing, dans le nord de l'Ontario, applique un programme de recyclage qui permet de recueillir les boîtes de conserve, les bouteilles de verre et le papier journal. Le papier journal est mis en ballots et transporté à une usine de recyclage située à Sturgeon Falls, à une distance de 489 kilomètres. Les canettes d'aluminium doivent être transportées sur plus de 1 000 kilomètres jusqu'à l'usine de recyclage d'Oswego, dans l'État de New York, et le marché du verre est limité. Pour Kapuskasing et d'autres villes isolés, le coût du programme de recyclage est plus élevé que le coût de l'enfouissement dans une décharge ou de l'incinération. Pour ces collectivités, le recyclage n'est pas avantageux sur le plan économique ou environnemental. En fait, le programme de recyclage obligatoire de la province de l'Ontario va à l'encontre du concept du développement durable qui est défendu par le gouvernement fédéral et qui prévoit que les décisions doivent être prises à partir d'une analyse des considérations économiques, sociales et environnementales. Dans le budget ontarien de novembre 1995, des coupures ont été annoncées dans les fonds consacrés à la gestion des ordures ménagères, et on a proposé que les municipalités envisagent de recourir à la tarification pour financer la collecte des ordures, ce qui rendrait les frais de recyclage transparents. De leur côté, les gestionnaires locaux d'ordures ménagères devraient être encouragés à trouver de nouvelles façons plus rentables de respecter la réglementation afférente au recyclage obligatoire. Dans certains villages et certaines petites villes, la collecte hebdomadaire pourrait être remplacée par des centres de recyclage régionaux où les citoyens iraient déposer leurs matériaux recyclables. Cette mesure d'économie a déjà été prise par des gestionnaires de la région de Kelowna, en C.-B.

 

Tableau 2 : Tonnes de matériaux recyclables traités à un centre de recyclage d'Ottawa

Produits

Tonnes par
mois

Marché final

$ la tonne

Valeur
totale
en $

Papier journal

1 700

Avenor
Gatineau (Québec)

62

105 400

Verre flint

           330

Consumer's Glass
Toronto (Ontario)

47

      15 510

Verre de couleur

           300

Consumer's Glass
Toronto (Ontario)

42

      12 600

Boîtes de conserve

           180

Metal Recovery
Hamilton (Ontario)

93

      16 740

Aluminium

             35

Alcan
Oswego (New-York)

    2 006

      70 210

P.E.T. (polyéthylène)

             20

Plastrek
Berthierville (Québec)

       350

        7 000

Textiles

               5

Recycling Together
Ottawa (Ontario)

Don

0

Annuaires téléphoniques

             30

Thermo-Cell
Gloucester (Ontario)

0

0

Sacs en papier Kraft

             55

APC Paper Co.
Clairmont (N.H.)

      100

        5 500

Fibres mélangées

           190

MacMillan Bloedel
Sturgeon Falls (Ontario)

      165

      31 350

Plastiques mélangés

               7

Everwood
Aylmer (Ontario)

      -60

         -420

TOTAL

        2 852

   

263 890

 

L'ÉNERGIE TIRÉE DES DÉCHETS

Les nouveaux incinérateurs sont construits non seulement pour brûler les déchets, mais aussi pour récupérer et utiliser l'énergie ainsi libérée. Les usines sont maintenant équipées de fours à haute température, d'épurateurs et d'autres dispositifs de réduction de la pollution perfectionnés. On brûle les déchets combustibles afin de produire de la vapeur qui produit de l'électricité, chauffe des pièces ou est utilisée dans divers procédés industriels. On trie les ordures afin d'éliminer les matériaux non combustibles ou les matériaux ayant une forte teneur en humidité. La partie combustible qui reste se compose principalement de papier, de carton, de plastiques, de bois et de caoutchouc. Les combustibles fossiles sont les matières premières utilisées pour la fabrication de la plupart des plastiques et des pneus; par conséquent, ces déchets ont une très grande valeur énergétique. Poids pour poids, la valeur énergétique des déchets de caoutchouc est de 15 à 20 p. 100 supérieure à celle du charbon; la récupération de l'énergie contenue dans les pneus libère moins de contaminants par unité d'énergie que la combustion de charbon dans des centrales thermoélectriques(6).

Au Canada, l'avenir des nouveaux incinérateurs produisant de l'énergie n'est guère prometteur. Il n'y a pas si longtemps, les incinérateurs d'ordures n'étaient pas munis de dispositifs antipollution et constituaient d'importantes sources de pollution atmosphérique. Par conséquent, toute forme d'incinération inquiète dorénavant la population. De plus, les incinérateurs perfectionnés sont extrêmement chers puisqu'ils peuvent coûter jusqu'à 650 millions de dollars à construire. Enfin, ils produisent des cendres qui sont contaminées par les dioxines et divers métaux lourds et qui constituent donc des déchets dangereux qui doivent être éliminés dans des décharges coûteuses, perfectionnées et chimiquement sécuritaires. Enfin, les incinérateurs et les programmes de recyclage à grande échelle se font concurrence pour le papier, le plastique et les autres matériaux recyclables ayant une grande valeur énergétique. Dans les régions urbaines du Canada où des programmes de recyclage sont déjà bien établis et présentent des avantages économiques et environnementaux, il est peu probable que les gestionnaires responsables des ordures ménagères proposent l'incinération ou que les contribuables acceptent cette solution. D'un autre côté, l'incinération ne doit pas être écartée totalement; dans des circonstances précises, elle demeure la meilleure méthode de gestion des déchets. Ainsi, la teneur énergétique des pneus usés permet aux fours à ciment de réduire leur consommation de charbon sans compromettre la qualité de l'environnement. Comme nous l’avons déjà mentionné, la petite ville ontarienne de Kirkland Lake produit de l'électricité en incinérant des déchets principalement composés de débris de bois.

LES DÉCHARGES

La forte opposition du public empêche l'ouverture de nouvelles décharges, en particulier lorsqu'on propose la création d'une décharge régionale ou d'une « mégadécharge ». Les décharges qui sont bien localisées, aménagées, exploitées et surveillées ne présentent pratiquement aucun risque pour la santé et ne réduisent que peu la qualité esthétique de l'environnement. Malheureusement, ces décharges sont très coûteuses et ne sont habituellement réalisables que grâce aux économies d'échelle que permettent de réaliser les grandes installations régionales. Par conséquent, du point de vue de la santé, de la sécurité et de la préservation de l'environnement, il est préférable d'aménager de grandes décharges.

Bon nombre de matériaux déposés dans les décharges, comme les plastiques et le béton, les briques et le placoplâtre des déchets de construction, sont inertes; toutefois, des matières organiques (papier, déchets de jardin, bois, déchets de cuisine) se mélangent avec l'eau de pluie et se biodégradent lentement jusqu'à former un liquide qu'on appelle lixiviat. Ce liquide se compose principalement d'acides organiques ainsi que d'ions métalliques et de sels dissous. Des lixiviats contenant des acides organiques, comme l'acide acétique, l’acide propionique, l’acide butyrique et l’acide lactique, peuvent s'échapper d'une décharge et contaminer la nappe phréatique. Une faible concentration de ces acides peut donner à l'eau un goût désagréable sans la rendre toutefois toxique. Ce qui est le plus inquiétant, c'est que des métaux comme le cadmium, le chrome, le cuivre, le plomb et le zinc peuvent se dissoudre dans le lixiviat acide et éventuellement entraîner une contamination de la nappe phréatique par les métaux lourds.

Dans une décharge bien aménagée, le lixiviat est rassemblé au bas de la cuve, où les acides organiques continuent à se biodégrader de manière à donner du méthane, du dioxyde de carbone et de l'hydrogène sous forme de gaz. Le dioxyde de carbone est inerte et l'hydrogène est habituellement présent en de très faibles concentrations; toutefois, le méthane peut poser un problème à moins qu'il ne réussisse à s'échapper de la décharge. En effet, le méthane peut être emprisonné et chercher à sortir par des failles latérales, ce qui peut créer un danger d'explosion s'il se concentre dans les sous-sols d'immeubles avoisinants. Par conséquent, il est essentiel que les décharges soient bien aménagées afin qu'elles ne présentent pas de risques pour les gens, les animaux et les biens.

Les principaux critères de sélection des nouveaux sites pour les décharges tiennent compte de la distance par rapport aux immeubles les plus près, de la composition du sol et des conditions hydrologiques. Dans l'ensemble, un site est idéal si la nappe phréatique est profonde et si l'on y trouve une barrière souterraine d'argile de quatre pieds d'épaisseur. Les décharges peuvent aussi être munies d’une double membrane de plastique épais située au fond de la cuve et construite de telle façon que le lixiviat s’accumule dans un réservoir central. Ce lixiviat peut ensuite être extrait de la décharge et être traité comme les eaux usées habituelles. L'eau ainsi traitée peut ensuite être déversée sur les ordures afin de les humidifier et d'accélérer leur biodégradation ou être rejetée dans le réseau d'égout municipal. Lorsqu'une partie de la décharge est remplie, des canalisations d'aération sont forés dans la masse de déchets afin de permettre au méthane de s'échapper. À la fermeture d'une décharge, celle-ci est comblée par une couche de terre et le méthane peut ensuite être recueilli et brûlé; dans le cas des très grandes décharges, il arrive souvent qu'on récupère le méthane et qu'on l'achemine à une usine en vue de la production de vapeur industrielle ou d'électricité.

On surveille l'accès aux décharges modernes de manière à s'assurer que seules des ordures ménagères non dangereuses y sont déversées. Les citoyens sont encouragés à recycler leurs déchets et à séparer les matériaux dangereux de leurs ordures, qui feront l'objet de collectes spéciales ou encore seront déposés à des centres de collecte des déchets dangereux. Afin de maximaliser l'espace disponible dans les décharges, les ordures ménagères sont compactées; à la fin de chaque jour, on répand une fine couche de terre sur le tas afin d'éliminer les odeurs, d'éloigner la vermine et d'accélérer la biodégradation grâce à l'apport de micro-organismes. Durant les périodes sèches, on peut pulvériser de l'eau sur la décharge afin d'empêcher le vent de soulever la poussière. On recueille régulièrement de l’eau qui s’accumule dans une série de puits aménagés autour de la décharge afin de la soumettre à des épreuves biologiques et chimiques permettant d'en garantir l'innocuité.

Dans de nombreuses décharges maintenant fermées, le chapeau de sol empêche apparemment l'eau de pluie de se rendre aux déchets en dessous, ce qui retarde grandement la décomposition de ceux-ci. Ce n’est pas nécessairement un problème puisque les déchets enterrés il y a plus de 40 ans peuvent toujours être intacts et conserver une bonne partie de leur valeur énergétique, fibreuse ou minérale originelle. Par conséquent, certains ont proposé l'exploitation de ce type de décharge. Ainsi, la décharge serait éventrée, les déchets triés et tous les matériaux de valeur récupérés. Selon la stabilité du marché et la demande, une telle mise en valeur des décharges pourrait s'autofinancer, et ce type de mesure pourrait permettre de réouvrir des décharges utiles et d'y installer des membranes d'étanchéité et des collecteurs de lixiviat.

Les décharges demeurent la méthode de gestion de déchets la moins souhaitable; toutefois, on continuera à en avoir besoin tant qu'on produira des matériaux qui ne peuvent être réutilisés, recyclés, compostés ou incinérés. Les gestionnaires d'ordures ménagères devront pour leur part continuer à exploiter les décharges d'une manière sécuritaire et écologique, à encourager le recours à d'autres solutions et à participer à un processus de planification permanent de manière à garantir que les décharges continuent à suffire à la demande.

LES ORIENTATIONS FUTURES DANS LA GESTION DES ORDURES MÉNAGÈRES

Au Canada, deux écoles de pensée existent au sujet de la gestion des déchets. D'une part, certains se félicitent que les gouvernements aient pris l'initiative d'établir et d'appliquer des règlements sévères en matière de gestion des déchets. D'autre part, de plus en plus de gens favorisent une certaine déréglementation, qui permettrait que les décisions en matière de gestion des déchets soient prises en fonction des véritables coûts écologiques et économiques de l'élimination des déchets.

   A. L'expérience ontarienne

Le programme de récupération obligatoire de l'Ontario constitue un exemple de gestion des ordures ménagères dictée par une politique gouvernementale. On ne peut nier que ce programme ait connu du succès dans les régions urbaines, où il pourrait maintenant éviter que des matériaux recyclables soient envoyés dans les décharges et ainsi permettre aux contribuables d'épargner de l'argent. Les décideurs n'ont toutefois pas tenu compte des coûts économiques et environnementaux que ce programme imposerait aux petites villes isolés qui géraient auparavant leurs ordures ménagères à un coût beaucoup moindre. Le programme a aussi eu pour effet de favoriser le recyclage au détriment d'autres solutions plus écologiques. On peut même soutenir que faire la promotion de ce programme de récupération parce qu'il est écologiquement correct tout en cachant son coût véritable dans les impôts fonciers a en fait entraîné un accroissement de la production des matériaux d'emballage non réutilisables.

   B. L'expérience allemande

Le gouvernement allemand a pris de nombreuses initiatives dans la réglementation de la gestion des ordures ménagères. En 1991, l'Allemagne a en effet adopté l'Ordonnance sur la limitation des déchets d'emballage, une loi qui oblige les fabricants, les distributeurs et les détaillants à assumer l'entière responsabilité de leurs matériaux d'emballage. En vertu de cette loi, les fabricants et distributeurs doivent reprendre tous les matériaux d'emballage utilisés pour le transport des produits, et les détaillants doivent reprendre tous les matériaux d'emballage secondaires comme par exemple les boîtes de tubes à pâte à dents. L'ordonnance précisait des taux de recyclage provisoires pour 1993 à l'égard de sept types d'emballage et fixait à 80 p. 100 le taux de collecte de ces matériaux en juillet 1995. Afin de se conformer à cette loi, environ 600 entreprises oeuvrant au sein de la chaîne de distribution ont établi une entreprise indépendante, le Duales System Deutschland (DSD) afin de gérer les déchets d'emballage. Chaque compagnie participante doit payer à la DSD des droits établis en vertu du type d'emballage utilisé, ce qui lui permet de placer un point vert sur le matériel d'emballage qui doit être collecté, trié et préparé pour le recyclage par la DSD.

Ce mode de gestion des déchets d'emballage, qui semble respecter le principe bien connu du « pollueur-payeur », s'est mérité des éloges dans de nombreux milieux et a même été décrit comme un modèle pour les autres pays. Il a toutefois un inconvénient énorme : son coût phénoménal. Ainsi, alors que le programme de recyclage d'Ottawa-Carleton coûte 172 $ la tonne, le programme de la DSD coûte plus de 603 $ la tonne(7). Que le fabricant allemand absorbe ces frais liés au point vert ou les transmette aux consommateurs, ce fardeau financier le désavantage par rapport aux producteurs étrangers qui ne sont pas assujettis à la loi allemande. De plus, l'Allemagne ne peut interdire les produits étrangers ou exiger que les fabricants étrangers participent à ce programme puisqu'une telle mesure serait considérée comme une restriction commerciale déloyale.

En Allemagne, le coût de la collecte des ordures ménagères n'est pas dissimulé dans l'impôt foncier. Les propriétaires paient un montant donné pour un contenant d'ordures et doivent payer des frais supplémentaires pour toutes les autres ordures. Les citoyens allemands ont accepté avec enthousiasme de retourner les matériaux d'emballage à la DSD et les taux de recyclage dépassent donc de beaucoup les pourcentages inclus dans la loi. L'Allemagne ne dispose pas encore de la capacité de recyclage lui permettant de traiter tous ces déchets d'emballage; ce phénomène a donc causé une grave distorsion sur les marchés des déchets de l'Allemagne et des pays voisins où les déchets d'emballage allemands sont dirigés(8). La situation est devenue si grave qu'en décembre 1994, le Parlement de l'Union européenne a adopté la Directive relative à l'emballage et aux déchets d'emballage qui est venu remplacer la loi allemande; cette directive exige des 15 pays membres qu'ils recyclent au moins 25 p. 100, mais au plus 45 p. 100 de leurs déchets d'emballage d'ici l'an 2000(9).

   C. La déréglementation de la gestion des déchets

La théorie sous-jacente à une déréglementation de la gestion des déchets est que le marché et les coûts environnementaux peuvent être utilisés afin de régir un système de gestion des déchets qui est à la fois efficient, économique et le moins nocif possible pour l'environnement. La première étape est de ne plus inclure dans l'impôt foncier le coût de l'élimination des déchets et d'exiger de chaque foyer qu'il paie des frais progressifs pour l'élimination des déchets établis en fonction de la hiérarchie des méthodes de gestion des déchets. Les frais les plus élevés sont exigés pour les déchets enfouis dans une décharge et des frais supplémentaires sont imposés lorsque plus d'un contenant de déchets est collecté par semaine. Des frais moindres sont exigés pour chaque contenant de matériaux destinés au recyclage. Ainsi, les citoyens sont financièrement incités à envoyer le moins de matériaux possible à la décharge et à limiter la quantité de matériaux destinés au recyclage. Un tel système encourage le compostage domestique des déchets de végétaux, le don de matériaux réutilisables aux organismes de charité et, ce qui est le plus important, une plus grande participation aux programmes de consignation et de réutilisation des contenants.

Ce système comporte cependant des inconvénients. Il est difficile à appliquer aux résidants d'immeubles de rapport, en particulier aux locataires; il encourage les décharges sauvages et illégales; il entraîne des frais de main-d'oeuvre plus élevés étant donné que chaque foyer doit être facturé directement pour l'élimination des déchets; et il pourrait nécessiter une application plus stricte des règlements interdisant le déversement de déchets. Malgré ces inconvénients, ce système commence à être utilisé à un certain nombre d'endroits, principalement en Europe et dans certaines villes des États-Unis. Par exemple, la ville de Seattle exige des frais directs pour chaque sac d'ordures et des frais supplémentaires lorsqu'une certaine limite est dépassée. Aucun frais n’est toutefois exigé pour les matériaux recyclables parce qu'on craignait que cette mesure ne nuise aux efforts déjà déployés dans ce domaine.

ANALYSE

Au Canada, de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'au milieu des années 80, la gestion des ordures ménagères se limitait à leur enfouissement dans une décharge. Le remplissage rapide des décharges et la forte opposition du public à l'ouverture de nouvelles décharges ont entraîné une réorientation de la gestion des déchets. Le recyclage est très populaire auprès du public, mais le recyclage obligatoire ne constitue vraisemblablement qu'une solution partielle. En effet, promouvoir le recyclage sans tenir compte de toutes les conséquences économiques et écologiques peut en fait nuire à certaines autres techniques de gestion des ordures ménagères qui se révèlent plus valables. Pour réussir à bien gérer les ordures ménagères à long terme, il faudra tout probablement opter pour un système mixte qui reconnaît la valeur d'un choix éclairé des consommateurs, fait appel à une conception écologique des produits et de leur emballage, permet la réutilisation, le recyclage et l'incinération à des fins énergétiques, et continue à miser sur des décharges. « Pour parvenir à utiliser de façon réfléchie les ressources et à améliorer la qualité de l'environnement, il faudra absolument trouver une façon de fixer le coût des diverses options en tenant compte de tous les frais qu'elles entraînent de manière à ce que les décisions soient décentralisées et facilement modifiables »(10).

 


(1) S. Fairlie, « Long Distance, Short Life, Why Big Business Favours Recycling », The Ecologist, vol. 22, 1992, p. 276-283.

(2) B. Reguly, « Blue Boxes: Why They Don't Work », Financial Times of Canada, vol. 80, 3 février 1992, p. 1,4 (traduction).

(3) Ibid.

(4) C. Hendrickson, et al., « Time to Dump Recycling? », Issues in Science and Technology, vol. 11, 1995, p. 79-84.

(5) Facteur de conversion : 1 $ US = 1,30 $ CDN

(6) Ministère de l’environnement du Manitoba, Direction de la réduction des déchets et de la prévention, Report of the Waste Reduction and Prevention Committee on Used Tires, avril 1991, p. 5-7.

(7) C. Boerner and K. Chilton, « False Economy: The Folly of Demand-Side Recycling », Environment, vol. 36, 1994, p. 6-33.

(8) J. Rose, « New European Recycling Rules to Curb German Efforts », Environmental Science and Technology, vol. 29, 1995, p. 74A.

(9) Ibid.

(10) Hendrickson (1995) (traduction).