BP-409F

 

LA BIOÉTHIQUE, LES TECHNIQUES MÉDICALES
ET LA SANTÉ DES CANADIENS :  ORIENTATIONS

 

Rédaction :
Nancy Miller Chenier
Division des affaires politiques et sociales
Janvier  1996


 

TABLE DES MATIÈRES

 

CONTEXTE

LES PRINCIPES BIOÉTHIQUES ET LA TECHNOLOGIE

LA BIOÉTHIQUE À TOUS LES STADES DE LA VIE

   A. La fin de la vie
      1. L’euthanasie
      2. Réactions particulières à l’euthanasie

   B. La poursuite de la vie
      1. La transplantation d'organes
      2. Réactions particulières à la transplantation d'organes

   C. Le début de la vie
      1. Les tests génétiques prénatals
      2. Réactions particulières au test génétique

CONCLUSION

 


 

LA BIOÉTHIQUE, LES TECHNIQUES MÉDICALES ET
LA SANTÉ DES CANADIENS : ORIENTATIONS

 

CONTEXTE

Presque tous les jours, les médias donnent aux Canadiens des nouvelles sur les percées technologiques dans le domaine de la médecine et sur leur effet potentiel ou réel sur la santé des êtres humains. Chaque nouvelle fait ressortir les dilemmes que pose l'accroissement du savoir en biologie humaine et soulève la question de savoir s’il faut ou non appliquer les nouvelles technologies aux êtres humains. Dans «Human Trials of Gene Therapy Begin», on décrit les premiers essais d'insertion de matériel génétique altéré chez des sujets humains faits au Canada afin de lutter contre deux formes mortelles de cancer. Dans «A Gift of Life and Death», on examine les problèmes éthiques de la transplantation de tissus foetaux pour traiter la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer, le diabète et le sida. Dans un article intitulé «Can Anencephalic Babies be Used as Organ Donors?», on se demande s’il est permis de considérer comme cliniquement mort un enfant né sans cerveau mais dont tous les autres organes permettent de le maintenir en vie.

Dans l'ensemble, l'application de la technologie aux êtres humains a donné à la société la possibilité de créer la vie, de l'améliorer, de la soutenir et de la prolonger. Au Canada, comme dans de nombreux pays, les gens considèrent maintenant comme normal de contourner l'infertilité, de détecter les tares génétiques, de transplanter des organes et de maintenir des malades en vie. Ces possibilités débouchent sur la question inéluctable : quand, comment et au profit de qui créer, améliorer, maintenir et prolonger la vie? Les Canadiens s'interrogent maintenant sur les avantages et les inconvénients à court et long terme de ces pratiques pour les individus, la population et la société en général. Dans tous les cas, la dimension humaine des décisions est vitale.

Dans les débats publics sur les recours à la biologie et sur leur mauvais usage potentiel, on cherche souvent à faire le lien entre la technologie médicale d’une part et les valeurs de l'individu et de la société d’autre part. On tente présentement d'établir quelles valeurs sociales, culturelles et juridiques partagent les divers segments de la société canadienne. On reconnaît que les opinions varient sur l'importance à accorder à la naissance et à la mort, et sur le moment où il convient d'entreprendre ou de mettre fin à un traitement. Comme nous le laissons entendre dans ce document, les Canadiens commencent à évaluer les particularités de leur milieu culturel, à déterminer la diversité des préoccupations et à choisir des approches reflétant un vaste consensus.

Le lien entre les valeurs humaines et les applications de la médecine remonte à plusieurs milliers d'années. Plus récemment, on a cherché systématiquement à étudier le comportement humain dans le cadre des sciences de la vie, ainsi que les problèmes éthiques découlant de la recherche en biologie et de ses applications en santé humaine. En particulier, les valeurs et principes moraux à l’appui ou à l’encontre de l'application de certaines techniques aux soins de santé sont de plus en plus souvent débattus en public, au Parlement et devant les tribunaux. Dans ce document, nous mettons en lumière certaines des façons dont les Canadiens abordent les questions d’orientation relatives à des pratiques touchant divers stades de la vie, depuis les tests génétiques et la transplantation d’organes jusqu'à l'euthanasie et l'aide au suicide.

LES PRINCIPES BIOÉTHIQUES ET LA TECHNOLOGIE

Les discussions sur l'éthique de la biologie humaine ont longtemps été la chasse gardée des médecins et des universitaires. Aujourd'hui, le public désire de plus en plus évaluer dans quelle mesure les principes bioéthiques influent sur la décision de recourir à la technologie, et sur les gens. Si on parle encore d'éthique «intimiste» ou microéthique, où les malades et leurs familles prennent des décisions personnelles avec un médecin particulier, on reconnaît aussi de plus en plus qu'au sein du système de santé canadien, ces décisions portent la marque d'une éthique sociale plus large, ou macroéthique(1).

Au Canada comme ailleurs, ces discussions sont guidées par certains principes. De nombreux participants font référence à une «triade» de principes : autonomie, bienfaisance et justice. L'autonomie couvre l'autodétermination, la liberté individuelle et la liberté de choix. La justice est liée à la question globale d'équité, c.-à-d. de distribution équitable de ressources restreintes. La bienfaisance cherche à assurer que les interventions ont toutes pour but le bénéfice du malade, et qu'une procédure technique découle d'une préoccupation pour le bien-être du malade et non d'un motif expérimental, économique ou autre.

En 1993, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction (CRNTR) a énoncé huit principes qui, à son avis, doivent orienter les décisions d'intérêt public qui débordent le cadre de la relation entre le médecin et son patient : l'autonomie individuelle, l'égalité, le respect de la vie et de la dignité humaines, la protection des personnes vulnérables, la bonne utilisation des ressources, la non-commercialisation de la reproduction, l'obligation de rendre des comptes et l'équilibre entre les intérêts individuels et collectifs(2). Même si ces principes s'appliquent à l'échelle à la fois de l'individu et de la société, les quatre premiers concernent davantage l'influence des particuliers sur les politiques, tandis que les quatre autres ont une portée sociale plus globale.

Même si ces principes ont été établis pour les techniques de reproduction, ils peuvent s'appliquer à bien d'autres domaines d'intervention en santé et en politique sanitaire. Selon la CRNTR, l'autonomie individuelle signifie que les gens sont libres de choisir comment mener leur vie; l'égalité implique que chaque personne a droit à la même attention et au même respect; le respect de la vie et de la dignité humaines veut dire que toute forme de vie humaine, y compris le tissu humain, doit être traitée avec sensibilité; et enfin, la protection des personnes vulnérables signifie que ceux qui sont moins capables que les autres de prendre soin d'eux-mêmes ou qui sont vulnérables à l'exploitation doivent se voir accorder une attention particulière.

Toujours selon la CRNTR, la non-commercialisation de la reproduction signifie qu'il est mal de se laisser guider par l'argent dans les décisions concernant la reproduction humaine; la bonne utilisation des ressources veut dire qu'avec des besoins nombreux et des ressources limitées, la décision d'appliquer des programmes et d'utiliser des traitements et des techniques doit se prendre en fonction de priorités publiques claires; l'obligation de rendre des comptes implique que ceux qui détiennent le pouvoir doivent réglementer et contrôler les techniques d'une manière qui respecte les valeurs, les principes et les priorités de la société; et, enfin, le principe de l'équilibre entre les intérêts individuels et collectifs signifie qu’il faut protéger ces deux types d’intérêts et ne pas faire primer automatiquement les uns sur les autres.

Cette liste de principes confirme qu’en matière de biologie humaine, ceux qui élaborent les politiques doivent procéder à une étude prudente et complète avant de prendre des décisions. Au Canada, la conscience de ces problèmes ayant débordé le cadre universitaire et professionnel pour s’étendre à l’ensemble de la population, plusieurs organismes visant à faire progresser la compréhension des questions éthiques résultant de la recherche en biologie ont vu le jour, la plupart depuis dix ans.

Le Centre de bioéthique de l'Institut de recherche clinique de Montréal, premier organisme du genre au Canada, a été créé en 1976. Depuis, d'autres centres, tels le Westminster Institute for Ethics and Human Values de l'Université de Western Ontario et le Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill ont été mis sur pied. En 1987, le Conseil de recherches médicales a établi des directives pour la recherche sur les êtres humains. En 1988, la Société canadienne de bioéthique, née de la fusion de deux organismes, a été chargée de promouvoir la recherche et l'enseignement dans le domaine. La même année, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada parrainait la création du Conseil national de la bioéthique en recherche sur les sujets humains et chargeait celui-ci de faire comprendre et de défendre toutes les directives bioéthiques existantes en recherche que font appel à des sujets humains.

LA BIOÉTHIQUE À TOUS LES STADES DE LA VIE

Le progrès des recherches biologiques et sociales soulève une gamme de questions éthiques, qui concernent tous les âges de la vie humaine. Au début de la vie, ces questions ont trait à la conception, à l'utilisation de tissus embryonnaires et foetaux, à l'avortement, au diagnostic prénatal, au counseling et au dépistage génétiques, à la thérapie foetale et aux soins néonatals. À la fin de la vie, elles touchent les soins au mourant, la cessation des traitements et l'aide au suicide. Au milieu de la vie, ce sont les questions de transplantation d'organes, de maternité de substitution, de dépistage génétique et d'accès à divers traitements qui se posent.

Au Canada, divers auteurs ont approfondi les situations de la vie où il faut tenir compte de la bioéthique(3). Au début de la vie, les problèmes surgissent dans diverses circonstances : quand les couples ne parviennent pas à concevoir et qu’ils ont accès aux techniques de production; quand les parents craignent de donner naissance à un enfant difforme et qu’ils peuvent recourir au counseling génétique, au diagnostic prénatal et à la thérapie foetale; lorsque les gens ne veulent pas avoir d'enfant et que l'avortement et l'adoption sont possibles; et lorsque des adultes sont incapables de s'occuper d'enfants à cause d'une déficience intellectuelle et que la stérilisation est accessible.

À d'autres moments, devant les menaces à la santé et à la vie, les questions se posent lorsque survient une épidémie comme le VIH-sida; lorsqu'on diagnostique la maladie mentale et que la personne entreprend un traitement psychiatrique; lorsque les soins deviennent problématiques chez les malades âgés; lorsque les effets d'un nouveau traitement sont mal connus; et lorsqu'il faut répartir équitablement des ressources rares.

À la fin de la vie, le recours au traitement qui prolonge la vie peut être remis en question, et il peut devenir nécessaire de prendre la décision d'arrêter ou de refuser le traitement; les gens peuvent demander l'euthanasie; et la mort d'une personne peut permettre la survie d'une autre grâce au don d'organes.

De nombreuses pratiques biomédicales attirent actuellement l’attention dans le domaine de la gestion des affaires publiques. Certaines font appel à la technologie pour maintenir ou modifier l’état de santé d'un individu. Certaines, comme celles qui font intervenir la génétique, sont assez nouvelles, mais d'autres sont devenues courantes ou font l’objet de discussions depuis des années. Nous examinons ci-après certaines des difficultés que soulève l'euthanasie, en particulier lorsque les techniques médicales permettent de choisir entre la vie et la mort. En outre, nous nous penchons sur la pratique plus courante de la transplantation d'organes et sur celle, nouvelle, du dépistage génétique prénatal.

   A. La fin de la vie

      1. L’euthanasie

De nombreux types d'intervention peuvent influer sur la fin de la vie. Par le passé, les enfants comme les adultes mouraient chez eux, souvent pleinement conscients de leur agonie. Maintenant, ils meurent généralement dans des hôpitaux et d'autres institutions où médicaments, instruments médicaux et moyens de prolonger la vie sont d'un accès facile et où les décisions concernant la mort échappent souvent à leur contrôle. Les décisions concernant le moment où il faut fournir, refuser ou arrêter le traitement pour prolonger ou maintenir la vie font maintenant intervenir la personne concernée, les membres de sa famille, les professionnels de la santé et, de plus en plus souvent, des avocats.

L'euthanasie prend de plus en plus de place dans les discussions sur la mort. Généralement décrite comme un geste humanitaire, à savoir «la pratique qui consiste à mettre fin sans douleur aux jours de personnes atteintes de maladies incurables ou malignes», elle prend cependant des dimensions diverses selon l'auteur du geste(4). On a établi diverses catégories d'euthanasie : active ou passive, volontaire ou involontaire, mettant ou non en jeu le principe du consentement libre et éclairé. L'euthanasie est involontaire lorsqu’on donne la mort à quelqu'un sans son consentement, par exemple en lui refusant un traitement essentiel au maintien de la vie ou en mettant fin à un tel traitement. L'euthanasie est volontaire quand le malade demande qu’il soit mis fin au traitement qui le maintient en vie ou à sa vie même. L'euthanasie active fait appel à un geste délibéré entraînant la mort; l'euthanasie est passive quand on met fin à l’alimentation ou au traitement qui prolonge la vie.

Pour bien des gens, le refus ou la cessation d'un traitement n'est pas la même chose que l'euthanasie et l'aide au suicide. Le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide a proposé les définitions données ci-après. L'aide au suicide est «le fait d'aider quelqu'un à se donner volontairement la mort en lui fournissant les renseignements et les moyens nécessaires, ou les deux»(5). L'euthanasie est définie comme «un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances»(6). L'euthanasie est considérée comme volontaire lorsqu'elle est pratiquée conformément aux voeux d'une personne capable; comme non volontaire lorsqu'elle est pratiquée sans qu'on connaisse le désir du patient, et comme involontaire lorsqu'elle est pratiquée à l'encontre du désir d'une personne capable.

Divers cas ont attiré l'attention sur l'euthanasie. Il y a d’abord les grands blessés qui, grâce aux services d'urgence, survivent à des traumatismes auxquels ils auraient autrement succombé, mais qui, parfois, ont subi des lésions cérébrales permanentes ou demeurent paralysés. Il y a ensuite les victimes de maladies chroniques ou incurables comme la maladie d’Alzheimer, le sida et le cancer, les adultes atteints de malformations congénitales qu'ils ne peuvent plus tolérer et les nouveau-nés et les enfants dont les parents reconnaissent les difficultés réelles et potentielles auxquelles ils devront faire face toute leur vie.

Quatre facteurs sous-jacents à la politique actuelle semblent appuyer l'euthanasie : la réalité biologique de la mort, de plus en plus acceptée par le milieu médical; la priorité de la promotion de la santé sur les soins aux malades; l'insistance croissante sur l'efficacité et l'économie; et enfin, l'incapacité de la médecine à aider les survivants d'une maladie débilitante et les membres de leur famille. Selon un médecin, ces facteurs font que l'euthanasie est percue comme un geste simple, sans douleur pour le patient et économiquement efficace, qui libère des ressources que la société peut consacrer à la promotion de la santé et constitue une issue de secours pour les personnes qu'a sauvées la médecine et qui restent emprisonnées dans une vie insupportable(7).

Pour les décideurs comme pour le public, l'euthanasie sous toutes ses formes soulève de nombreuses questions relativement aux droit des malades. La nécessité de servir le public en offrant des soins de grande qualité à la population peut s'opposer à celle de protéger des malades particuliers et à leur droit de regard sur leur propre traitement. Les professionnels de la santé et les proches peuvent facilement se retrouver dans une situation où ils favorisent une solution que le principal intéressé juge indésirable.

Un certain droit de refus des traitements prolongeant la vie est maintenant établi dans le droit canadien, ce qui témoigne d'un attachement à la dignité et à la qualité de la vie plutôt qu’à l'acharnement thérapeutique. L'écart s'est rétréci entre les mesures «extraordinaires» de maintien de la vie comme la réanimation cardiorespiratoire, l’emploi d’équipement respiratoire, la chimiothérapie et l'hémodialyse d'une part et les mesures plus «ordinaires» comme fournir la nourriture et l'eau d’autre part. Certains ont soutenu que la vraie question est de savoir si l'intervention en cause, qu'il s'agisse d'un soin de base ou d'un soin poussé de maintien de la vie, est à la mesure des aspirations du patient(8).

Cependant, les aspirations du patient et les objectifs de la société en général peuvent encore s'opposer. Si maintenir une personne en vie exige des traitements rares et coûteux, il faut, dans un système de santé publique comme celui du Canada, décider si la demande dépasse la capacité du système. On peut se demander si un consensus social doit primer sur certains droits individuels. Dans le cas de Sue Rodriguez, une femme atteinte de sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gehrig) qui a contesté qu'on lui interdise l'aide au suicide, la Cour suprême a avancé, à la majorité, que cette interdiction reflétait un consensus de la société canadienne, voulant que le principe fondamental du respect de la vie prime sur le choix individuel(9). Dans le cas d'un nouveau-né très fragile placé en unité de soins néonatals intensifs, on se demande qui a le droit de décider d'intervenir ou non; l'administration de l'hôpital, les médecins, les infirmières et les parents peuvent en effet différer d'avis sur ce qui constitue le meilleur intérêt du bébé.

      2. Réactions particulières à l'euthanasie

Les réactions sur cette question sont surtout venues du milieu médical et juridique et, plus récemment, des parlementaires. Outre l'arrêt Rodriguez qu’a rendu la Cour suprême en 1993, d'autres décisions ont été rendues par des tribunaux provinciaux. En 1995, les médecins canadiens ont élaboré, par l’entremise de l'Association médicale canadienne, une position de principe à l'égard de l'aide médicale à la mort. Au cours des années 90, plusieurs projets de loi d'initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre pour demander des modifications au Code criminel en vue de permettre l'aide au suicide. En outre, de février 1994 à juin 1995, un comité du Sénat a étudié la question de l'euthanasie et de l'aide au suicide.

Pour les médecins, plusieurs questions se posent. Un malade, une fois bien informé d'un traitement proposé, a-t-il le droit de le refuser pour mourir dans la dignité? Un médecin devrait-il aider à mourir une personne frappée d'incapacité et souffrante? Pour nombre d'observateurs, le fait d'inclure la mort comme option de traitement pour les médecins modifie en profondeur le rapport médecin-malade. En 1993, l'Association médicale canadienne a fixé certaines balises à ses membres dans une série d'articles où ont été examinées certaines des questions éthiques, juridiques et sociales qui se posent du point de vue d'un médecin. En 1995, l'AMC a publié une politique résumant la position de ses membres sur l’aide au suicide par un médecin; elle y exhorte ces derniers à adhérer aux principes des soins palliatifs et à ne participer ni à l'euthanasie ni à l'aide au suicide(10).

Pour les juristes, l’un des enjeux est la nécessité de protéger les groupes vulnérables tout en défendant le droit des individus de prendre leurs propres décisions. Dans un rapport rendu public en 1983, la Commission de la réforme du droit du Canada a fait état d'un large consensus sur trois principes fondamentaux de la loi : la protection de la vie humaine, le droit à l'autonomie et à l'autodétermination dans les décisions relatives aux soins médicaux, et la reconnaissance des aspects quantitatif et qualitatif de la vie humaine(11). Sur la question de la légalisation de l'euthanasie active, la commission a cerné un certain nombre de problèmes : la possibilité d'un diagnostic erroné, la découverte ultérieure d'un traitement et la possibilité d’abus. Elle a également souligné que les traitements permettant aux malades incurables de mettre fin à leurs jours pourraient également servir à éliminer les personnes considérées comme un fardeau pour la société. Elle s'est beaucoup inquiétée de la difficulté de s'assurer que le consentement d'une personne est donné librement et volontairement. L'Association du barreau canadien a exprimé des opinions semblables devant le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide en 1995.

Lorsque ce Comité s'est penché sur cette question, il a entendu le témoignage d'une vaste gamme de groupes et de personnes représentant les spécialistes des soins palliatifs, les spécialistes de l'éthique médicale, les professionnels de la santé, les travailleurs sociaux, les avocats et les malades. Il a examiné le problème de divers points de vue et il s'est penché sur les motifs physiques, psychologiques et financiers de l'euthanasie, sur les méthodes comme le refus du traitement, le retrait du traitement et le suicide, et sur la question de la capacité et des directives préalables ou «testaments biologiques». Le Comité a exhorté tous les paliers de gouvernement à faire des soins palliatifs une priorité. Il a soutenu que la loi devait être claire en ce qui concerne les pratiques de refus ou de retrait de traitements de maintien de la vie. Sur la question de l'aide au suicide, la majorité de ses membres ont favorisé le maintien des dispositions du Code criminel interdisant l'aide et l'encouragement au suicide. Le Comité a recommandé que l'euthanasie volontaire et non volontaire demeurent des infractions criminelles, mais entraînent des peines moins sévères quand intervient la pitié ou la compassion. Selon le Comité, l'euthanasie involontaire doit continuer d'être considérée comme un meurtre en vertu du Code criminel(12).

Au Canada, l'euthanasie est déjà visée par certaines interdictions de la loi, par divers cas de jurisprudence et par des textes d'orientation émanant des professionnels. Des considérations comme le consentement éclairé à un traitement médical, le droit de refuser un traitement et le droit à la protection de la vie privée s'inscrivent dans un débat public plus large. La question de savoir si les tribunaux constituent la meilleure instance pour traiter des normes générales relatives au «meilleur intérêt» demeure controversée. Certains estiment que l'euthanasie pourrait être pratiquée si certaines directives découlant de la jurisprudence étaient suivies, et ce même dans les cas où elle est considérée comme une infraction criminelle. On pense que les dispositions de la loi sur la déclaration de la méthode utilisée pourraient garantir l'immunité aux médecins qui suivraient certaines procédures précises(13).

Les Canadiens qui réfléchissent au rapport entre la valeur de la vie et la réalité de la mort doivent tenir compte de l'influence du système de santé public sur les décisions relatives à la mort. Sur la question de refuser ou de retirer le soutien à la vie, on a étudié les différences d'attitude entre les Canadiens et les Américains. Au Canada, où les ressources sont affectées sur la base du besoin médical et du bénéfice potentiel, les médecins ont plus de poids dans la décision finale. À l'inverse, aux États-Unis, où l'unité des soins intensifs est une importante source de revenus pour les hôpitaux, les malades et leurs familles ont plus de poids dans le choix des soins extraordinaires, ainsi que dans le retrait du soutien à la vie, si c'est ce qu'ils désirent(14). Comme le rationnement des services de santé prend de plus en plus d'importance dans les discussions sur la politique sanitaire, les décisions relatives à la mort d'une personne ont des conséquences qui méritent une considération complète et informée de la part du public.

   B. La poursuite de la vie

      1. La transplantation d'organes

La transplantation d'organes est devenue une activité de tous les jours dans les grands hôpitaux d'Amérique du Nord et d'Europe. Dans une telle opération, on prélève des tissus d'un corps humain pour les greffer à un autre. On s'attend que les tissus transplantés continuent d'exercer leur fonction chez le receveur. Les substances organiques le plus souvent données ou vendues par des êtres humains sont renouvelables : le sang et le sperme. Parmi les organes, non renouvelables, c’est le rein qui a été le premier à être transplanté à partir d'un sujet vivant, parce que les humains en ont deux. Grâce aux techniques de conservation, il existe aujourd'hui des banques de moelle osseuse, d'yeux et d'embryons.

À mesure que la demande d'organes croît, le coût des transplantations grimpe. Aux États-Unis, on estime qu'une transplantation peut coûter plus de 200 000 $, auxquels s'ajoute le coût des médicaments anti-rejet que le patient doit prendre de façon constante. Cette situation a donné lieu à un débat majeur sur la scène internationale au sujet de «l'équité, pour les services de santé publique, d'investir dans la transplantation lorsqu'il serait plus judicieux, pour la population, d'investir dans la prévention, la promotion de la santé, et la prestation de soins de base»(15). Ainsi, faire baisser la demande pour la transplantation d'organes, par la promotion de la santé et la prévention de la maladie, devient un objectif important dans tout examen de l’orientation à adopter en matière de progrès scientifique et médicale dans ce domaine.

Diverses questions surgissent lorsque le don est rendu possible par un décès, et lorsqu'on prélève les organes sains d'une personne vivante ou d'un foetus après un avortement. Quant à la bioéthique dans le domaine de la transplantation d’organes, on soutient qu'elle vise toutes les étapes du processus, du recrutement du donneur au choix du bénéficiaire, et qu'elle comporte des questions de justice (traitement équitable), de bienfaisance (à qui profitera la transplantation?) et d'autonomie (protection de la liberté de choix de toutes les personnes en cause)(16).

Pour ce qui est des droits à l'autonomie comme l'autodétermination, la liberté personnelle et la liberté de choix, on a souligné que, dans le cas d'un donneur adulte qui vient de mourir, le proche parent doit prendre la décision et que, dans le cas d'un avortement, la décision revient à la porteuse; ces décisions doivent être prises librement, sans tentative de persuasion ou de coercition indue. Le prélèvement des organes et des tissus de toute source soulève la question du gain commercial et de l'exploitation éventuelle. Les récits de Canadiens qui ont payé comptant des organes provenant du tiers monde font surface de temps à autre et suscitent des questions sur la possibilité de contrôler ces pratiques. Même si l'achat d'organes humains est interdit dans la plupart des pays, cette activité continue illégalement car elle est lucrative. En Colombie-Britannique, la société provinciale qui coordonne les transplantations d'organes et distribue les médicaments anti-rejet propose que la province force ceux qui obtiennent un organe en contournant le système provincial à payer les médicaments anti-rejet(17). Elle affirme que cette sanction est requise pour donner aux responsables le contrôle du prélèvement et de la distribution des organes.

On estime que les droits à l'équité sont liés à la juste répartition de ressources rares. Ils comprennent le droit à un accès juste et équitable aux organes et aux tissus nécessaires à la survie, qu’ils soient prélevés sur un foetus ou un adulte. Ils comprennent également une égale absence de coercition pour le don d'organes ou de tissus. Compte tenu que le fait de prolonger la vie par la transplantation d'organes coûte cher, l'intervention nécessaire est rarement à la portée des habitants de nombreux pays du monde. On se demande si l'âge constitue, en soi, une raison acceptable de refuser à quelqu'un une transplantation d'organes. On se demande également si les gens qui ont adopté un mode de vie qui endommage certains organes devraient pouvoir bénéficier de transplantations. Pour les décideurs, tenus d'être financièrement responsables et compatissants en même temps, l'accès illimité aux transplantations est une avenue parsemée d'embûches.

Le droit au bien-être veut faire en sorte que l'opération soit effectuée au seul avantage du malade, c'est-à-dire motivé par son bien-être et non par des intérêts de nature expérimentale, économique, promotionnelle ou autres. Dans le cas des organes ou de tissus prélevés sur des donneurs vivants, la question des besoins de personnes différentes est problématique. La conception d'un enfant dans le but précis d'obtenir des tissus susceptibles de sauver un autre enfant soulève la question de savoir lequel de deux êtres humains prime. L'utilisation des tissus foetaux a suscité un vaste débat public sur la pertinence d'établir une distinction entre le choix de l'avortement et celui de l'utilisation des tissus qui en résulteront, ainsi que sur la façon d'établir cette distinction.

      2. Réactions particulières à la transplantation d’organes

À l'échelle internationale et au pays, les réactions à la transplantation d'organes ont pris diverses formes. La plupart des études proposent des solutions législatives comme élément essentiel de la protection des droits des donneurs et des receveurs. Les questions législatives concernent la possibilité pour les individus de décider du don de leurs propres organes après la mort et, en l'absence d'une décision, de la possibilité pour la famille de décider. Faut-il permettre le don de tissus ou d'organes foetaux? Faut-il interdire la vente, l'achat ou le commerce de certains organes adultes et de tissus foetaux? Faut-il établir des lois ou des codes de conduite pour la transplantation d'organes et de tissus provenant de cadavres? Les règlements de chaque pays devraient-ils aborder des questions comme le délai de prélèvement des organes, les dons provenant de mineurs, la commercialisation et l’indemnisation des donneurs pour les coûts afférents?

L’adoption de directives a également été envisagée. En 1987, l'Organisation mondiale de la santé a reconnu la nécessité d'établir des directives internationales sur la transplantation d'organes et demandé une étude sur les implications juridiques et éthiques de cette question. L’Organisation cherchait à assurer la protection des droits du donneur et du receveur. Selon les Principes directeurs sanctionnés en 1991, il est interdit de donner ou de recevoir de l'argent, à l'exception du remboursement des dépenses effectuées pour le prélèvement, la préservation et la fourniture d'organes. Il est également interdit de faire des prélèvements sur un mineur vivant, à l'exception des tissus régénératifs. L’Organisation insiste aussi sur le fait qu'aucune contrainte ne doit être exercée et sur l'importance d'un consentement éclairé. Les tissus reproducteurs (ovules, spermatozoïdes, ovaires et testicules), les embryons, le sang et les composantes du sang ne sont pas couverts par les directives(18).

Au Canada, la transplantation d'organes est entièrement financée par les régimes de santé provinciaux. En juin 1995, une controverse a éclaté en Alberta lorsqu'on a appris que la régie d’assurance-maladie avait déboursé près d'un demi-million de dollars pour qu'un bébé reçoive un coeur aux États-Unis, alors qu'un service pédiatrique de transplantation existe à Edmonton. Selon la politique adoptée par la plupart des provinces, les transplantations à l'étranger ne sont défrayées que si le service n'est pas offert dans la province. En Alberta, comme dans d'autres provinces d'ailleurs, l'acquisition d'organes a été problématique. En 1989, la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada a élaboré la Loi uniforme sur les dons de tissus humains. Les provinces possèdent des lois équivalentes qui régissent l'acquisition et l'utilisation des tissus humains. En 1992, la Commission de réforme du droit du Canada a publié un document de travail sur l'acquisition et le transfert de tissus et d'organes humains(19). On y insiste sur des réformes juridiques susceptibles d'atténuer la rareté des dons; on se demande également si la vente d'organes ou de substances du corps humain constitue un moyen acceptable d'augmenter l’approvisionnement. Au niveau de la saisie des données, le Registre canadien des insuffisances et des transplantations d'organes, projet conjoint du gouvernement fédéral et des provinces, fournit des statistiques permettant d’établir des comparaisons entre les provinces et de faciliter la prise de décisions en matière de soins de santé(20).

Un obstacle à l'augmentation de l'approvisionnement en organes est la difficulté d'obtenir le consentement. Pour augmenter cet approvisionnement, on a proposé le «consentement présumé» : les organes sont considérés comme disponibles à moins que le don n'ait été expressément refusé. Dans les pays où la loi présume du consentement, comme la Belgique, la France et l'Autriche, on transplante beaucoup plus d'organes par million d'habitants qu'en Allemagne, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, des pays analogues sur les plans culturel, social et économique, mais où le consentement n'est pas présumé(21). Faire du don d'organes une procédure courante diminuerait peut-être l'autonomie et l'altruisme, mais réduirait certainement le fardeau de la décision pour les proches et les médecins.

Récemment, Organ Sharing Canada, un organisme établi par la Canadian Transplant Society et la Canadian Association of Transplantation, a demandé qu'un organisme national coordonne la distribution des organes(22). Il établirait des normes uniformes pour le dépistage des donneurs, des directives standard pour les listes de malades et un accès égal aux organes au niveau national plutôt que provincial comme c'est le cas actuellement. Par la suite, les sous-ministres provinciaux de la Santé ont demandé à leur comité consultatif sur les services de santé d'examiner cette question.

   C. Le début de la vie

      1. Les tests génétiques prénatals

La recherche génétique et ses applications ont évolué rapidement depuis quelques dizaines d'années. Le projet du génome humain témoigne de la recherche en génétique humaine : cet effort international d'envergure vise à déterminer la structure et l'emplacement d'environ 100 000 gènes humains. En 1992, le Canada s'est joint au projet, qui regroupait déjà les États-Unis, le Japon, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Danemark et l'Italie. L'objectif des équipes de recherche disséminées dans le monde est de recueillir de l'information sur l'ADN des cellules humaines, dans l’espoir de mieux connaître et éventuellement de guérir de nombreuses maladies génétiques. Quand cette information sera recueillie, les décideurs devront comprendre comment et quand elle sera utilisée, par qui et pour qui.

Le public canadien s'inquiète du fait que la complexité du domaine et l'interaction restreinte entre les chercheurs et les praticiens limite ses tentatives de faire valoir son point de vue et d'agir en matière d'éthique. Dans les consultations, des particuliers et des groupes «ont exprimé des craintes à propos des possibilités croissantes de déterminer leur patrimoine génétique et de leurs conséquences pour leurs possibilités d'emploi, leur mode de vie, et surtout les soins de santé qu'on leur offre et leurs choix quant à la reproduction»(23). Le recours au savoir et aux techniques de la génétique pour la reproduction humaine soulève d’importantes inquiétudes, en particulier en ce qui concerne le diagnostic prénatal des troubles qui sont présents à la naissance ou au début de l'enfance et les tests présymptomatiques ou prédictifs qui recherchent la présence de gènes susceptibles de nuire à la santé d'une personne plus tard dans sa vie.

Au Canada, les services de diagnostic prénatal sont financés par les provinces. En 1990, les médecins ont envoyé plus de 22 000 femmes subir des tests de ce genre dans 22 centres de génétique. Dans environ 78 p. 100 des cas, elles ont subi ces tests parce qu'elles avaient plus de 35 ans et qu'avec l'âge le risque des aberrations chromosomiques augmente(24). Le coût exact des tests n'est pas connu, mais on sait qu'ils coûtent cher parce qu'ils font appel à du matériel et à du personnel hautement spécialisés. Ces tests révèlent, entre autres, le sexe du foetus.

Avant d’examiner le diagnostic prénatal des anomalies congénitales et des maladies héréditaires, il faut définir ces deux termes. Les anomalies congénitales sont celles qui sont évidentes à la naissance ou que l'imagerie ou le diagnostic utilisés aujourd'hui peuvent détecter dans l'utérus, et qui résultent de déficiences génétiques ou chromosomiques dues à des influences externes transmises par le père ou la mère au moment de la conception ou dans l'utérus. Les maladies héréditaires sont présentes à la conception et héritées de l'un ou des deux parents à cause d'une anomalie des chromosomes et des gènes(25).

Les tests ou les techniques de diagnostic servant à déterminer si le foetus présente une anomalie congénitale ou une maladie héréditaire sont l'amniocentèse, le prélèvement de villosités choriales (PVC) et l'échographie ciblée. L'amniocentèse, le test le plus courant, a normalement lieu entre la 15e et la 17e semaine de grossesse; on prélève dans l'utérus du liquide contenant des cellules foetales et on y recherche des aberrations chromosomiques, des désordres métaboliques héréditaires ou des malformations du tube neural. Le prélèvement des villosités choriales fait appel au prélèvement et à l'analyse d'un échantillon des villosités qui s'étendent des membranes foetales à la paroi de l'utérus. L'échographie ciblée implique un examen détaillé du foetus qui peut durer une heure et permet de diagnostiquer de nombreuses anomalies congénitales. Avant que ces techniques ne fassent leur apparition en obstétrique dans les années 70 et 80, le diagnostic exact des anomalies congénitales et des maladies héréditaires était impossible. Aujourd'hui les nouveaux diagnostics prénatals, y compris ceux réalisés avant l'implantation du foetus et ceux qui s'appliquent aux cellules foetales présentes dans le sang de la femme enceinte, se développent rapidement.

Pour le diagnostic prénatal des affections monogéniques à apparition tardive et des gènes de susceptibilité, il y a deux types de tests. Les affections monogéniques à apparition tardive (maladies déclenchées tard dans la vie par un seul gène) sont des maladies héréditaires récessives ou dominantes : chorée de Huntington, qui donne lieu à une détérioration mentale et physique progressive; polykistose rénale, qui conduit à une réduction progressive de la fonction rénale; et rétinite pigmentaire, qui entraîne une perte progressive de la vision. Les gènes de susceptibilité sont ceux dont la présence laisse supposer qu'un individu peut être plus vulnérable que la population en général à certaines maladies comme le cancer, les maladies cardio-vasculaires et la maladie mentale. La Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction a souligné en 1993 que «le dépistage prénatal des gènes de subtilité ne se fait pas encore au Canada mais il arrive qu'il se pratique chez des adultes appartenant à des familles ayant des antécédents de maladie»(26).

Les progrès de la technologie de l'ADN permettent de déterminer si un foetus est porteur du gène responsable d'une maladie donnée. Ce test présymptomatique peut indiquer si une personne développera ou risque fortement de développer une maladie, des années avant que les symptômes apparaissent ou qu'on puisse faire un diagnostic clinique. Ainsi, les personnes qui héritent du gène défectueux de la chorée d'Huntington, qui se manifeste entre l'âge de 30 et de 45 ans, les femmes prédisposées au cancer du sein et les noirs américains porteurs de l'anémie falciforme peuvent être dépistés très tôt dans leur vie.

Le diagnostic prénatal ne répondra pas à toutes les questions sur la condition actuelle ou la santé future d'un enfant en développement mais cette technologie a toutefois une influence puissante sur les décisions des gens. Certains auteurs affirment que ces dépistages précoces peuvent permettre une insistance plus grande sur la prévention. Ainsi, les personnes qui ont une prédisposition génétique à la maladie coronarienne pourraient modifier leur régime alimentaire, faire plus d'activité physique et contrôler leur taux de cholestérol régulièrement. La forme que prendra la prévention devient une question très importante. Le cancer en est un bon exemple : chez les porteuses du gène du cancer du sein, la prévention pourrait signifier l'ablation de tout le tissu mammaire très tôt dans la vie, avant qu'un cancer se manifeste; si les liens sont établis entre le cancer et l'exposition à certains produits chimiques présents en milieu de travail partout dans le monde, la prévention pourrait signifier l'exclusion de l'emploi. Ces exemples montrent que les tests présymptomatiques peuvent servir de manière négative autant que positive. La possibilité d'une discrimination génétique impliquant l'empiétement sur la vie privée et la confidentialité inquiète également.

      2. Réactions particulières au test génétique prénatal

Le Canada a commencé assez tôt à évaluer la sécurité et l'efficacité des nouveaux diagnostics prénatals utilisés dans les centres de génétique. En 1974, la Société génétique du Canada, la Société canadienne de pédiatrie et la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada ont établi ensemble les premières directives nationales en matière de diagnostics prénatals. En 1976, le Conseil de recherches médicales a parrainé une étude de l'amniocentèse dans plusieurs centres, laquelle a révélé sa sécurité et son efficacité et contribué à l'établissement de normes internationales pour ce test. La collaboration qui s'est poursuivie sur les essais cliniques a été fructueuse.

Cependant, cet effort de la part des organismes professionnels n'a pas satisfait la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, qui a soulevé de nombreuses questions dans son rapport final et dans les documents de recherche d'accompagnement. Elle a conclu que le gouvernement fédéral doit mettre des limites au recours aux nouvelles technologies de reproduction. Elle a recommandé la création d'un organisme de réglementation et de délivrance de permis — la Commission nationale sur les techniques de reproduction — composée de 12 personnes provenant d'horizons très divers. Dorénavant, les services de diagnostic prénatal ne seraient fournis que par des établissements agréés, soumis à des normes nationales et contrôlés par le système de permis. Ainsi, les Canadiens seraient assurés que la reproduction humaine bénéficierait des connaissances génétiques appliquées de façon responsable et dans des limites acceptables.

En juin 1995, la ministre de la Santé a pris une décision provisoire lorsqu’elle a demandé que soit adopté un moratoire volontaire pour neuf techniques et pratiques génétiques de reproduction, dont plusieurs ont trait au diagnostic prénatal(27). Elle a soutenu qu'il était contraire à l'éthique d'effectuer dans des buts non médicaux des traitements comme l'échantillonnage des villosités chorioniques, les biopsies sur l'embryon, l'amniocentèse ou les échographies destinées à établir le sexe du foetus, et pouvant conduire à l'avortement si l'enfant n'était pas du sexe désiré. Elle s'est également opposé aux modifications génétiques sur un foetus chez lequel on aurait diagnostiqué une affection monogénique grave, ou encore dans le but de modifier ou d'améliorer certaines qualités désirées, comme l'intelligence. Selon la ministre de la Santé, cette utilisation des techniques génétiques n'est pas conforme aux valeurs des Canadiens, menace la dignité humaine, présente de graves risques pour la santé et traite les femmes et les enfants comme des marchandises. Le moratoire devait durer jusqu'à la mise en oeuvre d'un régime de gestion permanent.

CONCLUSION

La recherche biomédicale et ses applications ont le pouvoir de changer la société et de modifier non seulement la santé, mais également l'accès à une meilleure qualité de vie. Cela est particulièrement vrai si la recherche et ses applications débouchent sur des connaissances qui démarquent certains individus des autres et donnent lieu à des mesures qui risquent de les exclure des bénéfices de certains services. Les législateurs et les décideurs, que préoccupe la façon dont les découvertes scientifiques et médicales sont appliquées à la biologie humaine au nom d'une santé meilleure, doivent tenir compte de nombreux aspects dans leurs décisions administratives et législatives.

L'enoncé complet de principes bioéthiques, tenant pleinement compte de l'autonomie et de la justice, comprenant l'absence de discrimination et de tort, et faisant la part entre les intérêts individuels et collectifs, constitue une étape importante qui n'est cependant qu'un préalable. Il faut également prévoir et promouvoir un large débat public sur les répercussions médicales, sociales, économiques et juridiques des progrès de la biologie. De nombreux participants, intervenant sur des aspects distincts, ont recommandé une approche nationale et, en particulier, la création d’un organisme national de coordination et de contrôle des progrès dans l'application des techniques médicales à l'être humain. On ne sait pas encore si un seul organisme serait capable de couvrir tout le champ des préoccupations soulevées dans ce domaine par la science et la technologie.

Dans un pays comme le Canada, où le développement autant que l'application des biotechnologies se font à l'intérieur d'un système de santé publique, plusieurs questions se posent. Comment choisir les pratiques que l'on veut appuyer? Peut-on distinguer entre les pratiques véritablement préventives et visant le bien-être général des personnes de celles qui sont curatives et visent à réparer ce qui ne va pas? Comment veiller à ce que tous, quel que soit le statut socio-économique ou l'origine ethnique, aient accès à des pratiques médicales valables? Quels conflits peuvent surgir entre les droits individuels et les droits collectifs? Les Canadiens se colletteront à ces questions, usant de leur sagesse collective, pour décider du rôle qu'ils veulent que la technologie joue dans leur santé et dans leur vie.


(1) Nuala Kenny, présidente, Groupe de travail sur les éthiques et les valeurs, Forum national sur la santé, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la santé, fascicule 23, 21 février 1995, p. 7.

(2) Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur : Rapport final, Ottawa, Services gouvernementaux Canada, 1993, p. 57-67.

(3) David Roy, John Williams, Bernard Dickens, La bioéthique : Ses fondements et ses controverses, Saint-Laurent (Québec), Éditions du renouveau pédagogique, 1995.

(4) Margaret Smith et Sandra Harder, L’euthanasie et l’aide au suicide, bulletin d’actualité 91-9F, Ottawa.

(5) Sénat du Canada, De la vie et de la mort : Rapport du Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et l’aide au suicide, Ottawa, juin 1995, p. 53.

(6) Ibid., p. 75.

(7) James Gordon, «Describing the Slipery Slope», mémoire au Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et l’aide au suicide, 1994.

(8) Roy, Williams, Dickens (1995).

(9) Smith et Harder.

(10) «Sommaire de la politique de l’AMC : L’aide médicale à la mort», Journal de l’Association médicale canadienne, 15 janvier 1995, vol. 152, no 2, p. 248C-248D.

(11) Commission de la réforme du droit du Canada, Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, 20e rapport, Ottawa, 1983.

(12) Sénat du Canada (1995).

(13) Smith et Harder.

(14) A. Whitaker, lettre sur le retrait de l’équipement de survie au Canada et aux États-Unis, American Medical Association Journal, 2 août 1995, p. 5.

(15) Eugene Brody, Biomedical Technology and Human Rights, UNESCO and Dartmouth Publishing, Aldershot (Angleterre) 1993, p. 97 (traduction).

(16) Ibid., p. 99.

(17) Holly Horwood, «Buyers of Organs May Get Drug Bill», 31 janvier 1995, p. A6.

(18) Brody (1993), p. 115.

(19) Commission de réforme du droit du Canada, Prélèvement et utilisation médicale de tissus et d’organes humains, document du travail no 66, Ottawa, 1992.

(20) Pauline Copleston et al., «Le registre canadien des insuffisances et des transplantations d’organes», Rapports sur la santé, vol. 6, no 4, mars 1995, p. 457-68.

(21) Aaron Spital, «The Shortage of Organs for Transplantation, Where Do We Go from Here?», New England Journal of Medicine, vol. 325, no 17, 24 octobre 1991, p. 1245.

(22) Clare Mellor, «National System Urged to Coordinate Organ Transplants», Chronicle Herald (Halifax), 1er novembre 1994, p. 4.

(23) Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction (1993), vol. 2, p. 826.

(24) Ibid., p. 855.

(25) Ibid., p. 842.

(26) Ibid., p. 987.

(27) Santé Canada, «La ministre de la Santé annonce un moratoire sur neuf techniques et pratiques de reproduction», 27 juillet 1995.