BP-417F

 

LES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

 

Rédaction :
Jean-Luc Bourdages
Division des sciences et de la technologie
Mai 1996


TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION

VUE D’ENSEMBLE DE LA BIODIVERSITÉ

   A. La biodiversité

   B. Les conséquences de la perte de biodiversité au Canada

LES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

LA PROTECTION DES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

   A. Au palier fédéral

      1. Les lois existantes

      2. Le Comité de rétablissement des espèces canadiennes en péril

   B. Au palier provincial

LES LOIS SUR LES ESPÈCES EN PÉRIL DANS D’AUTRES PAYS

   A. La loi américaine sur les espèces menacées (1973 Endangered Species Act)

      1. Les divers aspects de la loi

      2. La réévaluation de la loi

   B. La loi australienne sur les espèces en péril (1992 Commonwealth’s Endangered Species
  
Protection Act)

   C. La directive « Habitats » de l’Union européenne

LES INITIATIVES CANADIENNES AU NIVEAU FÉDÉRAL EN MATIÈRE DE PROTECTION DES ESPÈCES EN PÉRIL

   A. Les projets de loi d’initiative parlementaire

   B. La proposition législative d’Environnement Canada

CONCLUSION


LES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

INTRODUCTION

Dès 1980, l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN), de concert avec le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et le World Wildlife Fund (WWF), a élaboré une stratégie mondiale de la conservation des ressources vivantes au service du développement durable(1). Cette stratégie était basée sur trois grands objectifs :

  • le maintien des processus écologiques essentiels et des systèmes entretenant la vie;

  • la préservation de la diversité génétique; et

  • l'utilisation durable des espèces et des écosystèmes.

Quelques années plus tard, la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, mieux connue sous le nom de Commission Brundtland, faisait davantage connaître la notion de développement durable dans un rapport(2) qui demeurera sans doute l'élément déclencheur d'un engagement collectif de la communauté internationale envers la protection accrue de l'environnement et des ressources naturelles. Alors que de nombreux pays adhéraient à l'idée du développement durable et élaboraient des politiques devant assurer sa mise en oeuvre, on a eu tendance à accorder peu d'attention à la sauvegarde des espèces et de leurs habitats. Pourtant, le rapport Brundtland, comme la Stratégie modiale de la conservation en 1980, a établi que la protection des espèces et des écosystèmes constitue une condition indispensable à la réalisation du développement durable.

Dans les années qui ont suivi la publication du rapport Brundtland, l'Organisation des Nations Unies a tenu, à Rio de Janeiro, au Brésil, une importante conférence sur l'environnement et le développement (CNUED), à laquelle ont participé les chefs de 105 pays. Outre l'élaboration de « l'Agenda 21 » et l'adoption de la Convention-cadre sur les changements climatiques, le « Sommet de la Terre » a mis la conservation de la biodiversité au premier plan de ses délibérations, ce qui s'est traduit par l'adoption d'une Convention internationale sur la diversité biologique. Un an après le Sommet de Rio, 168 pays avaient signé la Convention, et 114 pays l'ont ratifiée depuis, le Canada ayant été le premier à le faire. En vertu de la Convention, les pays se sont engagés à protéger les espèces et les habitats menacés de disparition. De fait, l'article 8k stipule que chaque pays signataire « formule ou maintient en vigueur les dispositions législatives et autres dispositions réglementaires nécessaires pour protéger les espèces et les populations menacées »(3).

Le Canada se préoccupe depuis fort longtemps de la protection de son patrimoine naturel et historique. Par exemple, voilà déjà 110 ans, il a jeté les premiers jalons d'un réseau national de parcs et de sites naturels. Ces territoires protégés assurent, pour les générations passées, présentes et futures, la conservation des plus beaux paysages du pays. Tout comme plusieurs autres lois — la Loi sur les pêches, la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs, la Loi sur les espèces sauvages du Canada et la Loi concernant la protection d'espèces animales et végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial —, la Loi sur les parcs nationaux protège aussi certaines espèces en péril et leurs habitats. Toutes ces lois jouent un rôle important en matière de conservation des écosystèmes naturels et des espèces vivantes qui les caractérisent, mais leur existence n'a pas empêché la disparition d'espèces qui occupaient jadis le territoire canadien. L'engagement pris par le Canada en 1992 dans la foulée du Sommet de Rio s'avérait donc justifié et il devrait permettre d'entreprendre les actions nécessaires à une protection plus efficace des espèces et des écosystèmes actuellement en péril.

Dans le présent document, nous dressons d’abord un portrait d'ensemble de la protection des espèces en péril au Canada et dans d'autres pays en procédant principalement à un survol du concept général de biodiversité et de son importance au niveau mondial et au niveau canadien, puis en examinant les conséquences de la perte de biodiversité au Canada. Nous présentons ensuite les différentes approches et actions mises en oeuvre au Canada, tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial, pour assurer la conservation et le rétablissement des espèces en péril. Nous faisons également référence à l'expérience acquise à cet égard dans certains pays, particulièrement aux États-Unis qui, dès 1973, se sont dotés d'une loi spécifique à la protection des espèces en péril. Enfin nous abordons les plus récents projets législatifs présentés au niveau fédéral en cette matière.

VUE D’ENSEMBLE DE LA BIODIVERSITÉ

   A. La biodiversité

Le terme biodiversité — ou diversité biologique — peut être défini comme la variété de la vie et de ses processus. Cela comprend la variété des organismes vivants, les différences génétiques parmi ceux-ci, les communautés et écosystèmes où ils se trouvent, ainsi que les processus écologiques et évolutionnaires qui leur permettent de fonctionner, voire de changer et de s'adapter(4). Plus simplement, la biodiversité correspond à l'ensemble des gènes, des espèces et des écosystèmes, soit toutes les formes de vie qu’on trouve sur terre. Chacun des niveaux d'organisation biologique est important, et tous sont reliés entre eux. Les gènes sont les éléments qui permettent la caractérisation de chacune des espèces vivant sur terre, et un ensemble d'espèces interreliées entre elles dans un environnement donné forment un écosystème. Le niveau d'organisation biologique qui nous préoccupe tout particulièrement dans ce document, c.-à-d. celui des espèces, peut être défini comme la variété des formes de vie sur terre, représentées par chacune des espèces. Les scientifiques parlent alors de diversité spécifique plutôt que de diversité génétique.

La diversité des formes de vie sur terre constitue la base de l’environnement humain et fait en sorte que la planète est habitable. Ce sont ces formes de vie qui maintiennent les fonctions écologiques essentielles à la survie de l’humanité. Ainsi, l'interaction de plusieurs espèces permet la production d'oxygène, la conversion de l'énergie du soleil en hydrates de carbone et en protéines, la purification des eaux douces et la régulation du climat. Ces formes de vie produisent également le sol qui supporte les productions agricoles et elles purifient l'air(5). La diversité biologique contribue également au bien-être de l’humanité et à la satisfaction de ses besoins. Ainsi, la plupart des aliments proviennent de sources naturelles. Sur les 80 000 plantes comestibles dans le monde, environ 20 espèces, comme le riz, le maïs et le blé, comblent les besoins de l’humanité à 90 p. 100(6). Même si l’homme utilise seulement quelques milliers de plantes, il compte sur les espèces sauvages pour améliorer sa production agricole. Plusieurs médicaments viennent aussi d'espèces sauvages. En Amérique du Nord, la moitié des médicaments prescrits sont tirés de source naturelle, comme l'aspirine dont l'agent actif a été découvert chez le Saule blanc(7). De même, la Pervenche de Madagascar est indispensable à la guérison de certains types de leucémie, comme celle qui a affligé le joueur de hockey Mario Lemieux il y a quelques années. Enfin, les retombées économiques de la diversité biologique sont immenses, autant au niveau de l'exploitation des ressources comme la forêt, les pêches et l'agriculture qu'au niveau de la pharmacologie, de la biotechnologie et de l'écotourisme.

Le Canada assume de lourdes responsabilités en matière de sauvegarde des ressources biologiques parce que son territoire est de 13 millions de kilomètres carrés (terres et eaux) et qu’il possède le plus long littoral au monde, soit près de 244 000 kilomètres de côtes sur les océans Atlantique, Pacifique et Arctique. Il abrite en effet près de 20 p. 100 de la vie sauvage de la planète, 24 p. 100 de ses milieux humides, 20 p. 100 de ses eaux douces et près de 10 p. 100 de ses forêts(8). Pas étonnant, alors, que la diversité des espèces sauvages fasse partie intégrante de l’héritage et de l’identité du pays. Elle donne aussi naissance à de nombreuses activités de loisirs comme la chasse, la pêche et le tourisme, qui rapportent des milliards de dollars et procurent de l'emploi à de nombreux Canadiens. Ce qui est ironique, c’est que plusieurs des espèces favorites des touristes sont des espèces en péril, comme l'Ours grizzly, le Bison des bois, le Béluga du Saint-Laurent, la Loutre de mer, le Canard arlequin et la Grue blanche d'Amérique(9).

Pour satisfaire ses besoins futurs, l’humanité devra, comme par le passé, se tourner vers la nature pour obtenir de nouvelles sources de médicaments, ou de produits chimiques, ou pour améliorer sa production agricole. Si elle échore dans sa tentative de conserver la biodiversité, elle risque de voir disparaître toutes ces possibilités. Une découverte récente dans le secteur pharmacologique et médical, celle du taxol, montre de façon éloquente l'importance d'atteindre l’objectif du maintien de la biodiversité et indique également que le problème ne concerne pas seulement les zones tropicales. Le taxol est un agent anticancérigène découvert dans l'écorce de l'If du Pacifique, que l'on retrouve sur la côte ouest du Canada et des États-Unis. On a aussi découvert récemment une puissante substance insectifuge, le trans-pulégol, dans une plante en péril, de la famille de la menthe(10). De plus, chaque espèce étant une source d'information génétique unique, l'avenir de la recherche dans le domaine de la génétique, tout comme dans le domaine de la biotechnologie, dépendra des informations qui seront disponibles. Enfin, la diversité biologique garantit un bon éventail d'options futures pour réagir à des conditions environnementales changeantes et imprévues.

Malgré l'importance de la biodiversité pour l'humanité, son déclin à l'échelle du globe est maintenant reconnu comme un des plus graves problèmes environnementaux auquel il faut faire face(11). L’extinction des espèces demeure certes un phénomène naturel :  en effet, de nouvelles espèces voient le jour, tandis que d’autres s’éteignent à tout jamais. Jusqu'à il y a plusieurs dizaines d'années, on observait une tendance générale à plus de diversité, les pertes étant largement compensées par l'évolution de nouvelles espèces, mais depuis les dernières décennies on assiste à une réduction considérable de la biodiversité, en grande partie en raison des activités humaines associées au développement industriel, agricole et urbain. Certains chercheurs estiment que les impacts humains sur les forêts et les milieux riches au plan biologique sont devenus si intenses que les pertes d’espèces ont atteint un rythme de 1 000 à 10 000 fois plus rapide que le taux naturel d’extinction qui prévalait avant l’apparition de l’homo sapiens(12).

Personne ne sait exactement combien il y a d'espèces sur terre; toutefois, selon le premier rapport des Nations Unies sur la biodiversité, rendu public à la fin de 1995, le nombre total d'espèces dans le monde serait de 13 à 14 millions, dont seulement 1,75 million ont été identifiées. Toujours selon ce rapport, 484 espèces animales et 654 espèces de plantes ont disparu depuis les derniers quatre cent ans et plus de 30 000 espèces sont en danger d'extinction(13). Le US National Science Board estime pour sa part que 25 p. 100 des espèces actuellement présentes sur terre pourraient disparaître d'ici un quart de siècle(14); il s’agit là du plus grave des changements globaux, surtout en raison du caractère irréversible de la perte de biodiversité.

Il est reconnu que la diversité biologique est plus grande sous les zones tropicales que sous les climats tempérés et plus froids. Cela ne signifie toutefois pas que la protection de la biodiversité n’est pas tout autant cruciale au Canada qu’ailleurs puisque chaque espèce est importante pour le bon fonctionnement de l'écosystème dans lequel elle évolue. Comme l'illustre le tableau 1, on a recensé à ce jour 71 895 espèces au Canada. Les scientifiques présument par ailleurs de l'existence de 53 780 autres espèces qu'il reste encore à identifier et à décrire. Les insectes constituent le groupe le plus abondant, tant au niveau des espèces répertoriées que des espèces présumées.

   B. Les conséquences de la perte de biodiversité au Canada

Dans le rapport des Nations Unies sur la biodiversité, on fait état de plusieurs facteurs pour expliquer le déclin de la biodiversité. Parmi ceux-ci, citons l'augmentation de la population et du développement économique qui, à leur façon, contribuent à l'épuisement des ressources biologiques. L'homme a également échoué dans sa tentative d'évaluer les effets à long terme des gestes qui entraînent une destruction des habitats, de l’exploitation des ressources naturelles et de l’introduction d’espèces exotiques. L'incapacité des lois du marché économique de reconnaître la valeur du maintien de la biodiversité est un autre facteur. L'augmentation des migrations humaines, des voyages et du commerce international constitue aussi une menace pour la biodiversité, tout comme l'accroissement de la pollution(15).

Tableau 1 :
La biodiversité des espèces sauvages au Canada

Groupes de plantes
et d’animaux

Nombre d’espèces
connues(a)

Nombre d’espèces présumées(a)

Algues et diatomées

5 323

2 800

Myxophytes, champignons et lichens

                   11 400

3 600

Mousses et hépatiques

                        965

                        50

Fougères et plantes associées

                        141

                        15

Plantes vasculaires

                4 187(b)

                      100

Mollusques

1 121

                      100

Crustacés

3 008

1 100

Insectes

                   33 755

                 32 800

Araignées, acariens et tiques

3 171

7 700

Autres invertébrés

6 879

5 000

Requins, poissons osseux et lamproies

1 091

                     513

Amphibiens et reptiles

                          83

                         2

Oiseaux

                        578

                         0

Mammifères

                        193

                         0

Total

                  71 895

              53 780

(a) Les « espèces connues » sont celles qui ont déjà été désignées et décrites, tandis que les « espèces présumées » sont celles qui existeraient mais qui n’ont pas encore été désignées et décrites.

(b) Parmi toutes les plantes vasculaires, 3 269 sont des espèces indigènes et 918 sont introduites ou exotiques.

Source : Environnement Canada, L'état de l'environnement au Canada - 1991, Le Plan vert du Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, 1991, c. 6, p. 5.

Au Canada, la première cause de la diminution de la biodiversité est la perte d'habitats. On estime en effet à 80 p. 100 le pourcentage du déclin des espèces attribuable à la perte d'habitats au pays(16). La chasse à outrance, comme dans le cas de l'Ours grizzly, ainsi que la surpêche, la pollution et l'introduction d'espèces exotiques comme la Moule zébrée sont les autres principales causes de la perte de biodiversité au Canada.

Environnement Canada a tenté d'estimer le nombre de régions écologiques à risque élevé de perte de biodiversité. Sur les 177 régions écologiques terrestres identifiées au Canada, 14, soit 7 p. 100 du territoire canadien, sont considérées à risque élevé, principalement en raison de changements de vocation des terres à des fins agricoles ou urbaines. Ainsi, il ne reste plus que 13 p. 100 des prairies à herbes courtes, 19 p. 100 des prairies mixtes, 16 p. 100 des tremblaies et seulement quelques hectares de prairies à herbes longues. Quant à l'urbanisation, elle est concentrée dans le corridor Québec-Windsor, où l'on trouve les écosystèmes les plus riches en espèces. Dans ces régions habitées, qui abritent presque la moitié des espèces menacées ou en voie d'extinction du Canada, les terres humides ont été réduites de près de 90 p. 100. De même, il ne reste plus que de petites parcelles de la forêt carolinienne, à l'extrémité sud de l'Ontario(17).

L'exploitation forestière est aussi une utilisation du territoire qui a grandement contribué à la perte d'habitats. Les forêts couvrant presque la moitié de la superficie du Canada, il demeure difficile de protéger la biodiversité sans assurer la protection des écosystèmes forestiers et des espèces qu'ils renferment. Malheureusement, il y a de moins en moins de forêts pluviales tempérées qui soient encore vierges sur la Côte ouest; dans les trois provinces Maritimes, les vieux peuplements occupent de très faibles superficies et sont dispersés çà et là sur le territoire; et, seulement quelques petits peuplements de vieux pins rouges et de vieux pins blancs subsistent dans le centre du Canada(18).

Les systèmes aquatiques et marins du Canada ont également subi des changements importants. L'écosystème des Grands Lacs est fortement perturbé par suite d'une pêche intensive et des invasions successives de diverses espèces, auxquelles s'ajoutent la pollution et l'altération des habitats. La disparition du Doré bleu du Lac Érié est un exemple de surpêche. Dans les eaux côtières de l'Atlantique, l'exploitation à outrance de l'écosystème du banc Georges entre 1963 et 1986 a fait chuté les prises de morues de 55 à 11 p. 100, tandis que celles des Chiens de mer est passée de 2 à 41 p. 100(19).

Quant aux espèces exotiques introduites, mentionnons le champignon responsable de la maladie hollandaise de l'orme, qui a supprimé presque tous les ormes adultes de plusieurs régions. D'autres espèces sont en progression, comme le Goéland à bec cerclé qui envahit les villes de la région du Saint-Laurent et de celle des Grands Lacs(20). Les écosystèmes ne sont pas statiques, de sorte qu'il est normal que des changements se produisent dans leur composition, mais il faut faire attention de ne pas accélérer le processus, ni de créer des conditions pouvant entraîner le déplacement des espèces indigènes.

Le seul moyen de conserver une portion significative de la diversité biologique consiste à diminuer l'impact des activités humaines sur l’environnement global. Le premier pas dans cette direction demeure toutefois l'établissement de stratégies visant l'aménagement des espèces en péril. L'importance de cette mesure tient au fait que les plantes et les animaux, notamment les oiseaux et les mammifères, sont considérées comme d'excellents indicateurs de l'état général de l’environnement. L’un des exemples les plus connus est sans doute celui du DDT; ce produit s'était bio-accumulé à un point tel dans la chaîne alimentaire que, même après son interdiction, les oiseaux prédateurs comme le Faucon pèlerin et l’Aigle à tête blanche ont vu leur survie grandement menacée en raison de problèmes de reproduction directement liés à la présence du pesticide dans l'environnement. Lorsqu'une espèce s'éteint ou est mise en péril, cela signifie bien souvent que la pression humaine sur l'écosystème dont elle fait partie est trop grande.

Tableau 2 : 
Statuts de précarité des espèces sauvages utilisés par le CSEMDC

Statut

Définition

Espèce

Désigne toute espèce, sous-espèce ou population géographiquement isolée

Espèce vulnérable

Espèce particulièrement fragile à cause de son nombre insuffisant ou en déclin, de son aire restreinte ou d'autres raisons, mais qui n'est pas menacée

Espèce menacée

Espèce qui peut devenir en danger de disparition au Canada si les facteurs qui la rendent vulnérables ne sont pas contrés

Espèce en danger de disparition

Espèce qui risque l'extinction ou la disparition imminente dans l'ensemble ou une partie de son aire de distribution au Canada

Espèce disparue au Canada

Espèce qui n'existe plus à l'état sauvage au Canada, mais que l'on trouve ailleurs

Espèce disparue

Espèce, autrefois indigène au Canada, qui n'existe plus nulle part

Espèce non en péril

Espèce, qui après évaluation, n'a pas été jugée comme étant en péril

Espèce au statut indéterminé

Espèce sur laquelle on ne dispose pas de données scientifiques suffisantes pour lui attribuer une désignation

Source : Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada, Espèces canadiennes en péril - avril 1994, Ottawa, 15 p.; et Mise à jour sur les espèces en péril au Canada, communiqué de presse, 18 avril 1996, Ottawa, 2 p.

LES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

Depuis près de 20 ans, le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada (CSEMDC) attribue un statut de précarité aux espèces sauvages, aux sous-espèces et aux populations isolées à l'échelle canadienne (voir les définitions des statuts au tableau 2). Le CSEMDC est formé d'experts scientifiques indépendants provenant de chacun des organismes provinciaux et territoriaux de gestion des espèces sauvages, de quatre organismes fédéraux et de trois organisations non gouvernementales de conservation. Au fil des ans, ce Comité a dressé une liste d'espèces canadiennes en péril crédible et reconnue, reposant sur une solide base scientifique. Les espèces étudiées se trouvent chez les oiseaux, les mammifères, les poissons, les amphibiens, les reptiles et les plantes vasculaires. En 1994, le mandat du CSEMDC a été élargi pour englober environ 4 600 espèces de papillons et de papillons de nuit, 1 400 espèces de coquillages, 1 000 espèces de mousses et environ 11 000 espèces de lichens et de champignons(21). Sur un total de près de 72 000 espèces, 22 000 sont maintenant étudiées par le Comité, soit environ 30 p. 100 des espèces connues au Canada.

En avril 1996, la liste du CSEMDC comptait 275 espèces en péril dont 125 espèces vulnérables, 65 espèces menacées, 64 espèces en danger de disparition, 11 espèces disparues au Canada et 10 espèces disparues (tableau 3). Comparativement à 1995, 11 espèces en péril ont été ajoutées à la liste, dont une espèce de mollusques disparue depuis 1929. Quatre espèces d'oiseaux en péril en 1995 sont maintenant considérées non en péril, soit le Merle-bleu de l'Est, qui a bénéficié d'un programme efficace d'installation de nichoirs, l'Épervier de Cooper, la Chouette cendrée et le Cygne trompette. Par contre, d'autres espèces, comme la Martre de l'île de Terre-Neuve et la Paruline orangée, ont vu leur situation se détériorer. Enfin, dans les forêts de Chêne de Garry du sud de l'île de Vancouver, quatre espèces de plantes ont été désignées en danger de disparition et une espèce a été désignée menacée(22).

Tableau 3 : 
Espèces en péril au Canada en date d’avril 1996 selon le CSEMDC

Catégorie

Mammifères

Oiseaux

Poissons

Amphibiens et Reptiles

Mollusques

Plantes vasculaires

Lichens

Total de la catégorie

Disparue

2

3

4

0

1

          0

0

10

Disparue au Canada

5

1

2

1

 

          2

0

11

En danger de disparition

12

    16

4

4

 

27

1

64

Menacée

9

6

     12

3

 

35

0

  65

Vulnérable

         25

     20

     38

8

 

31

3

      125

Total

         53      46      60         16  

95

4

      275

Source : Environnement Canada, Service canadien de la faune, La Loi sur la protection des espèces en péril au Canada :  Proposition législative, 1995, p. 4; et, Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada (CSEMDC), Espèces canadiennes en péril - avril 1996, Ottawa, 18 p.

Le Grand pingouin et la Tourte sont deux exemples bien connus d'espèces disparues. Quant au Renard véloce, qui n'existait plus à l'état sauvage au Canada, il a été réintroduit tout récemment dans les Prairies. Parmi les espèces en danger de disparition, mentionnons la Marmotte de l'île de Vancouver et le Caribou de Peary. Dans l'est du Canada, le Pluvier siffleur est en danger de disparition parce qu'il est souvent dérangé par divers véhicules motorisés sur les lieux de nidification. Une autre espèce d'oiseau, la Grue blanche d'Amérique, survit surtout dans le Parc national Wood Buffalo. Ajoutons, également, dans ce groupe, trois espèces végétales, la Platanthère blanchâtre de l'Ouest, la Raquette de l'Est, un cactus du sud de l'Ontario, et une orchidée, le Cypripède blanc. Jusqu'à tout récemment, la Martre de l'île de Terre-Neuve faisait partie des espèces menacées, mais elle est maintenant considérée en danger de disparition(23). Il s'agit d'un exemple éloquent d'une espèce en péril dont la précarité s'est accentuée au Canada parce que les facteurs qui la rendent vulnérable n'ont pas été contrés.

Dans le groupe des espèces menacées, le Béluga du Saint-Laurent est un exemple bien connu d'une espèce qui peut devenir en danger de disparition au Canada, surtout en raison de la pollution toxique qui sévit dans les Grands Lacs et dans la Voie maritime du Saint-Laurent. Une autre espèce menacée, le Crotale massasauga de l'est est aussi dans une situation précaire en raison de la fragmentation de son habitat dans la région de la baie Georgienne. Deux plantes font également partie de ce groupe, le Frêne bleu et le Ginseng. Enfin, l'Ours polaire, le Carcajou, le Faucon pèlerin, l'Esturgeon vert, l'Aster du golfe du St-Laurent et le Lichen cryptique ne sont que quelques-unes des nombreuses espèces vulnérables au Canada. Parmi celles-ci, le faucon pèlerin est davantage connu puisqu'il a fait l'objet d'un repeuplement dans certaines provinces, notamment au Québec, où on a élevé de jeunes faucons en captivité, que l'on a ensuite relâchés autant en milieu naturel qu'en milieu urbain.

LA PROTECTION DES ESPÈCES EN PÉRIL AU CANADA

   A. Au palier fédéral

Au Canada, il n'existe pas encore de loi fédérale spécifique à la protection des espèces en péril. Il existe par contre plusieurs lois accordant, directement ou indirectement, une certaine protection à la faune et à la flore en péril. Le Canada possède aussi un programme pour la mise en oeuvre de plans de rétablissement (RESCAPÉ), en plus du comité établissant la liste des espèces en péril (CSEMDC). Quelques initiatives de groupes de conservation ont aussi été entreprises au Canada dans le but de sauver quelques-unes des espèces en péril.

      1. Les lois existantes

Au plan intérieur, la Loi sur les pêches et la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs protègent de façon générale un ensemble d'espèces, mais ne renferment pas de dispositions spécifiques pour les espèces en péril. Par contre, la Loi sur les espèces sauvages du Canada et la Loi sur les parcs nationaux contiennent des dispositions précises concernant les espèces en péril, en plus de viser un mandat plus large. Ajoutons que ces quatre lois protègent aussi certains habitats qui sont essentiels à la survie d'espèces en péril. Au plan du commerce intérieur et du commerce extérieur, la Loi concernant la protection d'espèces animales et végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial vise l'ensemble des espèces, mais contient aussi des mesures concernant la protection des espèces en péril.

La Loi sur les pêches donne au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer tout ce qui concerne la pêche, dont la conservation et la protection des poissons et de leurs aires de fraie. Le mot poisson comprend ici les coquillages, les crustacés, les animaux marins, ainsi que leurs oeufs et tous les stades juvéniles. Cette loi assure donc une protection pour toutes les espèces de poissons, mais aussi une protection rigoureuse de leurs habitats, y compris les plantes marines.

En 1916, le Canada a signé avec les États-Unis la Convention sur les oiseaux migrateurs, qui réglemente la chasse, prévient le commerce et la commercialisation, contrôle l'utilisation des oiseaux migrateurs à l'aide de permis et permet la création de sanctuaires pour contrôler et aménager des aires de protection. Il existe 101 sanctuaires d'oiseaux migrateurs, qui protègent approximativement 11,3 millions d'hectares. La Convention a été révisée, en 1994, pour protéger le sperme, les embryons et les cultures de tissus des oiseaux migrateurs, en plus des oiseaux et de leurs oeufs. En protégeant tous les oiseaux migrateurs, la Convention protège d’une certaine façon des espèces en péril telles que le Courlis esquimau, le Canard arlequin, le Pluvier siffleur, le Faucon pèlerin, la Chouette tachetée et la Grue blanche. Il n’y a toutefois pas de loi qui protège spécifiquement ces espèces.

En 1973, le Canada a adopté la Loi sur la faune du Canada (maintenant Loi sur les espèces sauvages du Canada) dans le but d'engager des recherches sur les espèces sauvages, tout particulièrement les espèces fauniques de forte dimension, et aussi de réaliser, en collaboration avec les provinces, un ensemble d'activités de conservation et de récréation touchant les espèces sauvages et leurs habitats. Cette loi a été modifiée, en 1994, de façon à inclure toutes les espèces de flore et de faune terrestres ainsi que celles se trouvant dans les limites des 200 milles nautiques le long des côtes. L'habitat de toutes ces espèces est également protégé par la loi, et des mécanismes de protection d'espèces sauvages en danger d'extinction sont prévus.

Deux ans avant la tenue du Sommet de Rio, soit en 1990, la Loi sur les espèces sauvages du Canada a été renforcée par l'adoption de la Politique des espèces sauvages pour le Canada. Cette politique vise à maintenir et à améliorer la santé et la diversité des espèces sauvages du Canada dans l'intérêt de ces dernières et pour le bénéfice des générations présentes et futures de Canadiens(24). En plus de reconnaître l'importance de la biodiversité, elle précise qu'en matière de politiques et de planification du développement, le fait de tenir compte à la fois des facteurs économiques, sociaux et environnementaux permet d'intégrer, dès le début, la protection des espèces sauvages aux politiques, plans et projets. Enfin, elle reconnaît que la protection des habitats et des écosystèmes est la façon la plus économique et la plus efficace de conserver les espèces sauvages, et qu’elle doit toujours être choisie avant tout autre moyen.

Depuis plus d'un siècle, la Loi sur les parcs nationaux, permet de protéger divers lieux à des fins de conservation, pour le bénéfice des générations présentes et futures. Ainsi, par cette loi, le gouverneur général en conseil a le pouvoir de faire des règlements concernant la préservation, le contrôle et l'aménagement des parcs; la protection de la faune, la cueillette de spécimens à des fins scientifiques ou pour des besoins de multiplication d'une espèce et la destruction ou le déplacement d'espèces trop abondantes ou dangereuses; ainsi que l'aménagement et le contrôle de la pêche et la protection des poissons, y compris la prévention de l'obstruction ou de la pollution d'un cours d'eau ou la remise en état de celui-ci. Toutes les espèces sauvages de flore et de faune comprises à l'intérieur des limites des parcs nationaux et leurs habitats sont ainsi protégés; de plus, la Loi prévoit de sévères amendes pour le braconnage d'espèces protégées ou en péril se trouvant dans les parcs nationaux.

Le trafic des espèces menacées constitue actuellement un marché d'environ 1,5 milliard de dollars et affecte quelque 37 000 espèces animales et végétales. Par exemple, les États-Unis et le Canada importent chaque année 10 000 singes pour la recherche et près de 450 000 oiseaux vivants vendus comme animaux de compagnie. D'autre part, des Canadiens expédient des cornes de caribou et des vésicules biliaires d'Ours noirs vers des pays d'Asie(25). Ces quelques chiffres montrent l'importance de réglementer le commerce international des espèces sauvages.

Signée en 1973 par une centaine de pays dont le Canada, la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune en péril (CITES) est considérée comme l'accord international le plus réussi de l'histoire pour ce qui est de la conservation(26). Cet accord joue un rôle important en ce qui a trait au contrôle du commerce légal et illégal, entre États, d'espèces sauvages en péril et de leurs produits dérivés. Il vise non pas à éliminer le commerce, mais plutôt à encourager l'utilisation rationnelle et durable des ressources pour le développement. Voyant la nécessité de renforcer la convention, le gouvernement canadien a adopté, au début des années 1990, la Loi concernant la protection d'espèces animales et végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (WAPPRIITA). Cette nouvelle législation permet maintenant de contrôler le commerce interprovincial, en plus du commerce international, et par conséquent, étend sa juridiction aux espèces indigènes en péril désignées par le CSEMDC, tout ceci en accord avec la CITES. En plus d'interdire l'exportation et l'importation des animaux sauvages et des plantes en péril, ou de leurs parties ou produits, en accord avec les ententes internationales, les lois de conservation des provinces et les lois sur la conservation des autres pays, la nouvelle loi interdit la possession de plantes ou d'animaux sauvages en péril, ou de leurs parties ou produits, dans le but de les vendre ou de les distribuer.

      2. Le Comité de rétablissement des espèces canadiennes en péril

Le Comité de rétablissement des espèces canadiennes en péril (RESCAPÉ) a été mis sur pied en 1988 dans le but de préparer des plans de rétablissement pour des espèces en péril figurant sur la liste du CSEMDC. Son mandat est limité aux oiseaux, aux mammifères, aux amphibiens et aux reptiles, mais on songeait, en 1993, à l’étendre aux vertébrés aquatiques, aux invertébrés et aux végétaux. Une douzaine de plans de rétablissement ont été réalisés, ce qui est bien peu, mais plusieurs autres sont en préparation. Malgré le temps et l'énergie considérables requis pour arriver à des résultats, deux de ces plans ont quand même permis d'améliorer de beaucoup le statut d'espèces comme la Buse rouilleuse et le Bison des bois(27). Les ressources financières limitées, l'insuffisance de connaissances scientifiques pour gérer chaque espèce et le fait que ces plans n'aient pas force de loi limitent considérablement leur efficacité. Un bon exemple de cette situation est celui de la Chouette des terriers. En vertu de l'opération Chouette des terriers, une entente est intervenue avec des fermiers et des éleveurs de bétail pour protéger les nids sur leur propriété. Cependant, cette entente ne permet de protéger qu'une faible partie de l'habitat où niche l'espèce. Selon un plan de rétablissement, préparé grâce à ce programme, le pesticide carbofurane est un facteur de déclin de l'espèce. Malheureusement, ce plan n'a pu faire cesser l'utilisation de ce pesticide parce qu'il n'a aucune force légale. La population de Chouettes des terriers continue de diminuer et, en avril 1995, le statut de cette espèce est passé de menacé à en danger de disparition(28).

Il est important de souligner également les efforts déployés par diverses organisations de conservation pour protéger quelques-unes de nos espèces en péril. Citons en exemple les initiatives du Wye Marsh Wildlife Centre, à Midland, en Ontario, qui, ces dernières années, a travaillé à accroître la population de Cygnes trompettes, une espèce vulnérable(29). Les efforts de ce groupe semblent avoir porté des fruits puisque le statut de cette espèce est passé de vulnérable à non en péril sur la liste du CSEMDC d'avril 1996.

   B. Au palier provincial

Quatre provinces canadiennes se sont dotées d'une loi protégeant les espèces en péril. Deux d'entre elles l'ont fait voilà déjà plusieurs années, soit l'Ontario en 1973 et le Nouveau-Brunswick en 1974. Les deux autres provinces l'ont fait beaucoup plus récemment, à savoir le Québec en 1989 et le Manitoba en 1990. Ces initiatives sont certainement très louables et constituent un pas dans la bonne direction, d'autant plus qu'elles s'appliquent à la fois aux terres privées et publiques. Toutefois, certains analystes sont d'avis qu'aucune des lois sur les espèces en péril dans ces provinces n'est assez ferme, entre autres parce que toutes les dispositions sont de nature discrétionnaire. L'établissement d'une liste des espèces en péril est discrétionnaire et la protection de l'habitat n'est pas exigée. Enfin, aucune de ces lois ne renvoie à des plans de rétablissement des espèces menacées, ni ne prévoit de mécanismes permettant d'étudier et de réglementer tous projets susceptibles de perturber une espèce en péril ou son habitat. Par ailleurs, ces mêmes analystes estiment que ces lois n'ont jamais été effectivement mises en oeuvre(30).

Plus anciennes, les lois sur les espèces en péril du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario ne touchent que les espèces de flore et de faune (et les sous-espèces dans le cas de la loi du Nouveau-Brunswick) et ne comprennent qu'une seule catégorie de risque, soit les espèces en danger de disparition. Il n’est pas nécessaire de dresser la liste des espèces en péril, ni de déterminer l'habitat de chacune d’elles. En ce qui concerne les activités pouvant nuire aux espèces en péril, la loi du Nouveau-Brunswick interdit seulement celles qui s'appliquent aux plantes, alors qu'en Ontario, les activités nuisibles sont interdites pour toutes les espèces(31). En cette matière, la loi ontarienne, tout comme les trois autres lois provinciales, aurait avantage à être renforcée. Même si la loi interdit de tuer, de blesser ou de prendre un individu appartenant à une espèce en péril, la Couronne doit prouver que cet acte a été fait volontairement. De plus, la loi n'interdit pas la possession, la vente ou le transport des espèces en péril ou de leurs parties(32). Aux termes de la loi ontarienne, qui existe depuis 23 ans, il y a eu quatre poursuites, mais aucune d'entre elles n'a porté sur l'habitat, et l'amende la plus élevée a été de 500 $(33).

Par rapport aux deux premières lois provinciales protégeant les espèces en péril, les lois québécoise et manitobaine ont, selon la Endangered Species Coalition, une plus grande portée. D'une part, elles couvrent un plus grand éventail d'espèces et elles comprennent deux catégories de risque, soit les espèces en danger de disparition et les espèces menacées. Soulignons que, dans la loi québécoise, ces deux catégories correspondent respectivement aux espèces menacées et aux espèces vulnérables. D'autre part, la loi manitobaine prévoit la création d'un comité scientifique chargé de conseiller le gouvernement en ce qui touche l'identification et la protection des espèces en péril. Enfin, la loi québécoise permet l'identification de l'habitat de chacune des espèces en péril(34).

La loi manitobaine touche tous les groupes taxinomiques de plantes et d'animaux (espèces, sous-espèces, races, variétés et populations isolées), et elle inclut également les oeufs et les larves. La définition de l'habitat y est large : portion de terre, d'eau ou d'air qui contient les ressources naturelles dont dépendent les espèces pour leur survie et leur propagation(35). Toutefois, il n’est pas nécessaire de dresser la liste des espèces en péril, ni de déterminer l'habitat de chacune d'elles. Enfin, la loi stipule qu’il faut détenir un permis pour mener toute activité susceptible de perturber l'habitat des espèces en péril.

Un des aspects intéressants de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec concerne la reconnaissance, dans la politique qui y est associée, de la nécessité de conserver la diversité génétique du Québec, en évitant l'extinction des espèces, en prévenant le déclin des populations d'espèces menacées ou vulnérables, en assurant la conservation et la restauration des habitats de ces espèces et en essayant d'empêcher les espèces de devenir menacées ou vulnérables(36). Comme la loi manitobaine, elle vise tous les groupes taxinomiques de plantes et d'animaux, y compris les invertébrés autres que les mollusques et les crustacées. Elle comprend aussi les deux mêmes catégories de risque. L'élaboration d'une liste des espèces désignées n'est cependant pas obligatoire. En 1995, le gouvernement du Québec a mis en vigueur les deux premiers règlements visant à protéger neuf plantes. Le premier règlement désigne l'Ail des bois comme espèce vulnérable, et en interdit le commerce et en réglemente la récolte. Le second, désigne les huit autres espèces comme espèces menacées et protège intégralement ces espèces et leurs habitats(37). Dans la loi québécoise sur les espèces menacées ou vulnérables, l'habitat n'est pas défini, mais il peut, contrairement aux autres lois provinciales, être identifié pour chacune des espèces en péril. En ce qui concerne les activités nuisibles aux espèces en péril ou à leurs habitats, la loi interdit la possession, la récolte, l'exploitation, la mutilation, la destruction, l'acquisition, le transfert ou la manipulation génétique. Ces limitations ne s'appliquent toutefois qu'aux espèces floristiques et non à la faune(38).

En vertu de la loi québécoise, un premier projet de développement a été remis en question parce qu'il affectait l'habitat d'espèces en péril. En effet, le gouvernement du Québec a mis un terme définitif au projet de mini-centrale hydroélectrique en amont du rapide de Chambly sur la Rivière Richelieu, au sud de Montréal. Cette importante décision résulte de la présence dans ce rapide d'une espèce en danger de disparition, le Suceur cuivré. Cette espèce menacée d’extinction, présente nulle part ailleurs dans le monde, fait maintenant l’objet de recherches intenses en vue d’assurer sa reproduction contrôlée en pisciculture. Les chercheurs pensent que cette espèce pourrait être la seule à pouvoir se nourrir de la fameuse Moule zébrée, introduite dans le Saint-Laurent, les Grands Lacs et leurs affluents où elle s’attaque aux équipements nécessaires à l’alimentation en eau potable et à l’élimination des eaux usées. Au moins deux autres espèces rares de poissons se rencontrent dans cette portion de la rivière Richelieu, soit le Dard gris et la Laquaiche argentée. La décision du gouvernement du Québec, sur recommandation de son ministère de l’Environnement et de la Faune, repose en grande partie sur la volonté du Québec de respecter son engagement envers la Convention sur la biodiversité ratifiée par le Canada, en vertu de laquelle les signataires doivent tout mettre en oeuvre pour empêcher la disparition d’espèces menacées(39).

LES LOIS SUR LES ESPÈCES EN PÉRIL DANS D'AUTRES PAYS

Les États-Unis ont été le premier pays à adopter une loi sur les espèces en péril en 1973. Près de vingt ans plus tard, le gouvernement de l'Australie a aussi adopté des mesures législatives fédérales sur les espèces en péril. Contrairement aux lois provinciales abordées précédemment, ces deux lois sont plus complètes et beaucoup plus strictes. Elles prévoient l'élaboration d'une liste d'espèces en péril, l'identification de leur habitat et la mise en oeuvre de plans de rétablissement pour chacune des espèces répertoriés. Elles interdisent également toute une gamme d'activités pouvant nuire aux espèces en péril. Enfin, tous les projets fédéraux susceptibles de perturber une espèce en péril ou son habitat doivent avoir l'approbation des autorités responsables de la loi sur les espèces en péril. Outre les lois américaine et australienne, nous examinons ci-après les nouvelles mesures législatives concernant la protection des espèces en péril et de leurs habitats, adoptées par la Communauté Européenne en 1992.

   A. La loi américaine sur les espèces menacées (1973 Endangered Species Act)

L'origine de la loi américaine sur les espèces en péril remonte au milieu des années 50, alors qu'un groupe de biologistes se sont rencontrés à Washington pour discuter de l'extinction appréhendée de la Grue blanche d'Amérique, dont il ne restait plus alors que 24 individus. Le Congrès américain a pris quelques initiatives pour tenter d'endiguer le problème, mais sans succès. Suite à cet échec, il a adopté, en 1973, le Endangered Species Act(40). À cette époque, l'adoption d'une telle loi constituait une mesure avant-gardiste. Quelque vingt ans plus tard, la loi américaine sur les espèces en péril est encore considérée comme la loi la plus efficace au monde et elle constitue un modèle pour tous les pays.

      1. Les divers aspects de la loi

La première exigence de la loi américaine consiste à désigner les espèces menacées ou en danger de disparition. La majorité des espèces, des sous-espèces et des populations distinctes sont incluses dans ce processus, à l'exception des insectes; la loi protège aussi les oeufs et autres stades de développement. La liste des espèces désignées est établie sur la base des meilleures informations scientifiques disponibles et doit être révisée tous les cinq ans. En 1994, le U.S. Fish and Wildlife Service avait inscrit 773 espèces en péril sur la liste, dont 75 p. 100 dans la catégorie en danger de disparition(41).

Deuxièmement, un plan de rétablissement est exigé pour chacune des espèces en péril; toutefois, ce ne sont pas toutes les espèces qui bénéficient d'un tel plan, même aujourd'hui. Au début des années 80, un plan de rétablissement avait été établi pour seulement la moitié des 425 espèces se retrouvant sur la liste à ce moment-là, en raison d’un manque de fonds. Les modifications de 1988 sont venues corriger cette situation en faisant passer le niveau de financement de 25 millions de dollars qu’il était en 1985 à 66 millions de dollars en 1992. Au même moment, on a encouragé les efforts visant la surveillance des espèces en attente et le département de l'Intérieur s'est engagé à travailler avec les États pour surveiller les espèces en voie de récupération(42). Ces correctifs ont permis à un plus grand nombre d'espèces de bénéficier de plans de rétablissement, puisqu'en 1994, un tel plan avait été établi pour 60 p. 100 des espèces figurant sur la liste. Mentionnons également que le taux de succès obtenu par ces plans de rétablissement est relativement bon, puisqu'ils ont enrayé le déclin d'environ 40 p. 100 des espèces répertoriées(43). Le but du plan de rétablissement est d'encourager la conservation et la survie d'une espèce en péril, de sorte que cette espèce n'ait plus besoin de protection.

La loi américaine exige aussi la désignation de l'habitat critique d'une espèce en péril, soit une partie de l'habitat de cette espèce. Il s'agit d'aires spécifiques à l'intérieur de la distribution géographique de l'espèce qui sont essentielles à la conservation de celle-ci et qui requièrent un aménagement ou une protection spéciale(44). Le fait de ne pas inclure tout l'habitat d'une espèce est l’une des faiblesses de la loi américaine, selon la Endangered Species Coalition, puisque l'habitat potentiel pourrait être important pour le rétablissement d'une espèce en péril. Par ailleurs, il faut mentionner que la plupart des espèces en péril n'ont toujours pas d'habitats critiques désignés. Enfin, soulignons que depuis les modifications de 1978, la désignation des habitats critiques a été affaiblie par un processus d'analyse coûts-bénéfices, 1978(45). En effet, si les coûts d'inclusion d'un habitat critique dépassent les bénéfices, cette aire peut être exclue, à condition que cela n'entraîne pas l'extinction de l'espèce. Le U.S. Fish and Wildlife Service s'est servi de cette modification pour exclure 1,8 millions d'hectares de l'habitat critique de la Chouette tachetée dans les États du nord-ouest, y compris 869,000 acres de terres fédérales, parce que le coût de l'emploi et la réduction des paiements fédéraux étaient trop grands(46).

La loi américaine interdit un grand nombre d'activités pouvant perturber les espèces en péril, comme harceler, chasser, capturer ou collectionner des individus de ces espèces ou encore leur nuire; elle interdit aussi de causer une modification ou une dégradation de leur habitat. Ces interdictions s'appliquent tant sur les terres privées que sur les terres publiques. Ainsi, tout propriétaire privé doit obtenir un permis pour exploiter les terres où se trouvent des individus appartenant à des espèces en péril; le demandeur se voit accorder un tel permis s’il présente un plan de conservation adéquat qui réduit le plus possible l'impact des actions nuisibles.

La dernière exigence de la loi américaine consiste en un mécanisme d'examen de tous les projets fédéraux pouvant perturber l'habitat critique des espèces en péril. Un projet qui ne perturbe pas l'habitat critique d'une espèce n'est pas inclus dans ce processus. Malgré cette petite faiblesse, la Endangered Species Coalition considère l'expérience américaine comme très positive. Cette affirmation s'appuie sur un sondage du U.S. Fish and Wildlife Service indiquant que 99,97 p. 100 des projets où il y aurait pu avoir conflit ont pu recevoir le feu vert après l'examen préalable. En d'autres termes, des modifications et des mesures d'atténuation ont permis d'éviter de mettre en danger les espèces. En 21 ans d'existence de cette loi, il n’a fallu recourir qu’en trois occasions à la procédure en cas de conflit inéluctable entre un projet d’aménagement et la protection d'une ou de plusieurs espèces en péril, entre autres dans le cas de la Chouette tachetée et dans celui du Poisson-escargot(47).

      2. La réévaluation de la loi

Plusieurs enjeux sont au coeur de l’actuelle réévaluation quinquennale de la loi américaine sur les espèces en péril, qui devait débuter en 1995. Les républicains et les lobbies industriels, qui s'opposent à la loi parce qu'ils la considèrent comme un obstacle au développement, voudraient bien profiter de cette occasion pour l'affaiblir. Par contre, les lobbies conservationnistes défendent la loi en prétendant qu'elle a empêché l'extinction de l'Aigle à tête blanche (l'emblème américain) et de l'Ours grizzly, ainsi que de quelques autres espèces moins connues. Une situation qui a sans doute exacerbé le conflit entre les opposants à la loi et ses défenseurs est l'injonction obtenue par les écologistes américains au milieu des années 80 au sujet de l'habitat de la Chouette tachetée. Cette injonction a interdit pendant des années l'exploitation de forêts fédérales, qui couvrent 25 millions d'hectares, dans le nord-ouest américain, de l'État de Washington jusqu'au nord de la Californie(48). Par contre, en 1992, le Comité sur les espèces en péril, composé de sept membres du Cabinet et communément appelé le « God Committee », a finalement exclus 1,8 million d'hectares de l'habitat critique de la Chouette tachetée pour permettre des coupes forestières sur, entre autres, 850 hectares de vieilles forêts de l'Oregon(49).

Les opposants à la loi américaine sur les espèces en péril lui reprochent beaucoup de choses, dont son manque d'efficacité, parce que seulement quelques espèces ont été retirées de la liste. Ils estiment également qu'elle nuit au développement économique et que le processus d'établissement de la liste est basée sur des informations scientifiques incomplètes qui font que des espèces n'ayant pas besoin de protection se retrouvent sur la liste. Enfin, ils croient exagéré de se préoccuper des sous-espèces et des espèces géographiquement isolées. La National Wildlife Federation, des scientifiques américains et canadiens et la Endangered Species Coalition ne partagent cependant pas ces points de vue, estimant au contraire que la loi américaine sur les espèces en péril s'est avérée un outil essentiel et efficace contre l'extinction des espèces. En effet, même si seulement sept espèces ont été retirées de la liste parce qu'elles n'étaient plus en danger, environ 40 p. 100 de toutes les espèces figurant sur la liste sont stabilisées ou vont mieux. D'un autre côté, sur les 145 000 actions fédérales revues en vertu de la loi entre 1979 et 1992, moins de 2 p. 100 ont été reconnues comme mettant en péril des espèces, et seulement 69 projets ont été annulés. De plus, la majorité des espèces ne sont inscrites que sur la liste lorsqu'elles sont en très petit nombre, et seulement quatre espèces sur un total de plus de 950 espèces en péril ont été retirées de la liste parce que des études subséquentes ont montré qu'elles étaient plus abondantes que prévues. Enfin, pour ce qui est des sous-espèces et des espèces isolées géographiquement, elles ne représentent que 20 p. 100 du total des espèces, mais leur rôle écologique est souvent important dans l'écosystème dont elles font partie(50).

En ce qui a trait au manque d'informations scientifiques disponibles pour prendre des décisions éclairées sur les espèces en péril, de nouveaux outils sont constamment découverts pour améliorer les connaissances aux plans taxinomique et écologique. Ainsi, grâce aux développements théoriques et techniques récents en génétique et en biologie moléculaire, il est maintenant possible de déterminer avec certitude si tel ou tel organisme appartient à une espèce distincte ou s’il fait plutôt partie d’une sous-espèce ou d’une variété différente. Par exemple, les analyses d’ADN ont permis de déterminer que le loup roux (« red wolf »), qui avait été désigné espèce menacée et pour lequel on a dépensé d’importantes sommes en vue d’assurer la conservation, n’était qu’un simple hybride entre le loup et le coyote. Voilà peut-être une des raisons pour lesquelles les Américains comptent intégrer les nouvelles connaissances en biologie moléculaire aux modifications du Endangered Species Act(51). Il ne faut pas croire pour autant que de telles erreurs soient fréquentes; il s'agit plutôt de cas exceptionnels. Un autre exemple, québécois celui-là, qui montre bien l'intérêt de ces progrès scientifiques, est celui du Béluga du Saint-Laurent. Grâce aux analyses d'ADN, on a établi que la population de bélugas du Saint-Laurent, géographiquement isolée de celles de l’Arctique, est aussi distincte de celles-ci au plan génétique et mérite donc d’être protégée.

Une autre critique adressée à la loi américaine est l'accent mis sur la protection des espèces plutôt que sur les habitats. Même si beaucoup de scientifiques s'accordent sur la nécessité de protéger à la fois les espèces et les habitats, plusieurs intervenants estiment que l'on a trop insisté sur les espèces prises individuellement et qu'il faut plutôt mettre l'accent sur les habitats ou les écosystèmes. Ainsi, en protégeant un écosystème plutôt qu'une espèce en particulier, on protège, en même temps, d'autres espèces, y compris celles qui n’ont pas encore été identifiées. Une approche centrée sur la protection de l'habitat permettrait également d'agir avant qu'une espèce ne soit au bord de l'extinction. Une telle approche est déjà utilisée, depuis une dizaine d'années, par plusieurs organisations de conservation. Elle consiste en l'identification de points chauds, c.-à-d. des habitats comptant une grande diversité d'espèces ou le plus grand nombre d'espèces en péril, auxquels on accordera une protection. Un exemple de point chaud est l'habitat de la Chouette tachetée, que l'on considère comme une espèce « parapluie », soit une espèce dont la protection assure par le fait même celle de nombreuses autres espèces. En établissant un système de réserves visant à protéger les vieilles forêts de la région du Pacifique nord-ouest, soit l'habitat de la Chouette tachetée, on protégerait du même coup 280 espèces de plantes et d'animaux vivant dans cet écosystème(52).

Un dernier point sur lequel beaucoup d'intervenants s'entendent cependant est la nécessité d'apporter des changements à la loi en ce qui concerne les terres privées. La National Wildlife Federation soutient qu'il faut accorder un plus grand soutien et un meilleur encouragement aux propriétaires de terres privées où se retrouvent des espèces en péril. Certains scientifiques déplorent le fait que seules des pénalités soient envisagées par la loi pour punir les contrevenants; ils proposent aussi des mesures pour inciter les propriétaires de terrains à protéger les espèces en péril. Le gouvernement des États-Unis encourage déjà les fermiers, les éleveurs de bétail et les petits propriétaires à protéger les terres humides, les forêts, les sols et la qualité de l'eau. Il suffirait donc de rendre admissibles à ces programmes les propriétaires de terres où se retrouvent des individus appartenant à des espèces en péril(53).

   B. La loi australienne sur les espèces en péril (1992 Commonwealth's Endangered
  
Species Protection Act)

L'Australie se retrouve au coeur de la crise mondiale de la biodiversité parce qu’elle a le taux le plus élevé d'extinction des mammifères dans le monde et qu’environ 20 p. 100 de sa faune vertébrée est jugée à risque. Cette situation reflète l'altération considérable des habitats de ce continent, soit la dégradation de 50 p. 100 de ses sols et la modification significative de 75 p. 100 de sa végétation. Trois ans après l'adoption de la loi australienne sur les espèces en péril (1992 Commonwealth's Endangered Species Protection Act), la liste des espèces éteintes ou menacées est impressionnante. Depuis la colonisation du continent par les Européens, on croit que 40 espèces de vertébrés et 75 espèces de plantes se sont éteintes, alors que 150 autres espèces de vertébrés et 870 espèces de plantes sont menacées(54).

La loi australienne a beaucoup de points communs avec la loi américaine, bien qu'elle ne s'applique qu'aux espèces de compétence fédérale. Elle prévoit l'établissement d'une liste des espèces en péril selon deux catégories de risque, à savoir espèce menacée ou espèce en danger de disparition. À cette liste est rattaché l'habitat de chacune des espèces répertoriées et un plan de rétablissement doit être établi pour chacune d’elles. L'objectif de ce plan est d'arrêter le déclin de chacune des espèces et de soutenir leur rétablissement, de sorte que les chances de survie à long terme dans la nature soient maximisées(55).

En ce qui concerne l'habitat, la loi australienne désigne tout l'habitat de l'espèce en péril, et non seulement l'habitat critique comme le fait la loi américaine. L'habitat y est défini comme une aire où vit un organisme ou l'endroit où il a vécu et pourrait être réintroduit(56). Tout comme dans la loi américaine, un bon nombre d'activités pouvant affecter les espèces en péril ou leur habitat sont interdites : tuer, prendre, échanger, garder ou transporter des représentants des espèces ou détruire ou endommager leur habitat. Toutes ces activités sont interdites sur les terres publiques fédérales et sur les terres privées désignées par le gouvernement. Enfin, tout comme la loi américaine, la loi australienne prévoit également l'examen de tous projets pouvant perturber l'habitat critique d'une espèce en péril.

La loi australienne comprend aussi trois nouveaux éléments intéressants. Le premier consiste à inclure la liste des écosystèmes en danger. La reconnaissance de ces écosystèmes constitue un atout, puisque la meilleure façon de protéger les espèces en péril est d'identifier et de protéger les communautés auxquelles elles appartiennent. Le second élément d'intérêt est une liste indicative des activités considérées comme menaçantes envers les espèces et les écosystèmes en péril. Enfin, la loi australienne prévoit la constitution d'un comité scientifique qui peut conseiller le gouvernement sur sa mise en oeuvre et sur les modifications à y apporter(57).

   C. La directive « Habitats » de l'Union européenne

Sur l'ensemble du territoire des États membres de l'Union européenne, les habitats naturels ne cessent de se dégrader, et un nombre croissant d'espèces sauvages sont gravement menacées. Suite à ce constat, le Conseil de l’Union européenne a adopté, en 1992, une directive sur la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, nommé directive « Habitats ». Cette directive vise à préserver la biodiversité européenne sur deux plans. En premier lieu, elle oblige les États membres à protéger 293 espèces animales et 490 espèces végétales. En second lieu, elle impose aux gouvernements de protéger les habitats naturels des espèces les plus menacées en Europe. En 1998, la liste des sites retenus sera publiée par la Commission responsable, et les États membres auront jusqu'en 2004 pour s'engager officiellement à les protéger et pour mettre en place les mesures de protection nécessaires. L'ensemble des sites, appelés zones spéciales de conservation, constituera le réseau « Natura 2000 ». En plus d'obliger par divers moyens juridiques les États membres à respecter la directive « Habitats », le Conseil de l'Union européenne a inclus dans cette dernière une évaluation appropriée de tout projet et tout plan d'aménagement susceptibles de porter atteinte à un site « Natura 2000 ». En France, où une loi de la protection de la nature existe depuis 1976, la directive « Habitats » viendra, du moins on l'espère, améliorer sensiblement la situation des espèces en péril(58).

LES INITIATIVES CANADIENNES AU NIVEAU FÉDÉRAL EN MATIÈRE DE PROTECTION DES ESPÈCES EN PÉRIL

Au Canada, la pertinence d'une législation en matière de conservation des espèces en péril est débattue depuis près de vingt ans. Lors d'un symposium sur les espèces et les espaces canadiens en péril tenu en 1976, un témoin a souligné que les programmes pour les espèces en péril ne pouvaient absolument pas protéger la faune et la flore canadiennes s’ils n’étaient pas appuyés par une loi. De même, en 1989, le Greenprint for Canada Committee, composé de 34 organismes conservationnistes et autochtones, a présenté un rapport au premier ministre dans lequel il recommandait l’adoption d’une loi fédérale pour les espèces en péril, afin de consolider la diversité biologique du Canada. Environnement Canada n'était cependant pas convaincu de la nécessité d'une telle loi. Le gouvernement du Canada pensait, à ce moment-là, pouvoir utiliser l'ensemble des lois fédérales traitant de la faune, de la flore et de l'environnement pour protéger les espèces en péril, tout comme le font plusieurs pays d'Europe, entre autres, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. Toutefois, la présentation en 1992 d'un dossier produit par une Coalition composée du Fonds mondial pour la nature, de la Fédération canadienne de la nature, de la Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada, du Sierra Club du Canada et de l'Association canadienne du droit de l'environnement, aurait grandement contribué à changer la perception du gouvernement en cette matière. Dans ce dossier présenté au Comité permanent de l'environnement, qui est chargé d'étudier la substance du chapitre sur la biodiversité de l'Agenda 21, on insiste sur la nécessité, pour le Canada, d’adopter une loi sur les espèces en péril pour mettre en oeuvre la Convention sur la biodiversité. L'année suivante, le Comité permanent de l'environnement recommandait au gouvernement canadien de prendre immédiatement les mesures nécessaires au développement d'une approche législative intégrée pour la protection des espèces, des habitats, des écosystèmes et de la biodiversité en péril au Canada(59).

S'il est vrai que l'ensemble des lois fédérales traitant de la faune, de la flore et de l'environnement assure une protection large et flexible à plusieurs espèces en péril, cette protection revêt un caractère disparate, selon la Coalition. Par exemple, la Loi sur les pêches protège les poissons, alors que la Convention sur les oiseaux migrateurs protège certains oiseaux. Les mécanismes de protection variant suivant les lois, la protection des espèces demeure inégale. Évidemment les espèces en péril qui ne sont visées par aucune loi ne reçoivent pas du tout de protection. Certains habitats d'espèces en péril peuvent aussi être protégés, en partie ou en totalité, par une des lois fédérales ayant des dispositions en ce sens. Mais le but premier de ces lois n'est pas la protection des habitats, mais plutôt la prévention des prélèvements d'espèces(60).

Pour faire suite à la recommandation du Comité permanent, un groupe de travail, « Gestion des espèces sauvages en péril :   avons-nous les bons outils? », a été formé par Environnement Canada en 1993. Le groupe de travail a présenté dix recommandations de loi et de politique. Trois de ces recommandations sont particulièrement pertinentes : celle voulant que toutes les provinces promulguent des lois globales visant à assurer la protection des espèces en péril; celle voulant que les provinces ayant déjà de telles lois les améliorent; et celle voulant que le gouvernement fédéral promulgue une loi équivalente aux lois provinciales pour les espèces dont il est responsable, celle-ci devant contenir des normes nationales minimales pour la désignation et la protection des espèces d'importance nationale menacées et de leurs habitats ainsi que pour la mise en oeuvre de stratégies de rétablissement(61).

   A. Les projets de loi d’initiative parlementaire

Si l'on en croit les enquêtes de Statistique Canada, l'intérêt du public pour la question des espèces sauvages menacées s'avère très élevé depuis plus de dix ans(62). Certains parlementaires ont tenu compte de cet intérêt de la part du grand public et tenté d’y intéresser leurs collègues. Ainsi, en 1991, deux projets de loi d'initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre des communes, soit le projet de loi C-303 du député Wenman concernant les espèces menacées de disparition et la biodiversité et le projet de loi C-209 du député Caccia concernant la protection et la réhabilitation des espèces en voie de disparition et des espèces menacées; ces projets de loi n'ont toutefois pas franchi l'étape de la seconde lecture. Une version modifiée du projet de loi de M. Caccia a été présentée de nouveau en 1994; elle a franchi l'étape de la deuxième lecture et a été référée au Comité permanent de l'environnement et du développement durable. Le projet de loi C-275 est toutefois mort au Feuilleton au moment de la prorogation de la première session de la trente-cinquième législature au début de 1996, mais il a été réintroduit dès le début de la deuxième session (projet de loi C-238).

Le préambule du projet de loi présenté par le député Wenman en 1991 reflétait les préoccupations de ce dernier pour ce qui est de la biodiversité. En plus des éléments que renferment habituellement les projets de loi de ce genre, soit la désignation des espèces selon deux groupes, en voie de disparition et menacées, l'interdiction de certaines activités, l'établissement de plans de redressement et la désignation de zones d'habitats critiques, le projet de loi comprenait deux éléments intéressants. Le premier élément concernait la désignation d'écosystèmes menacés de disparition, tout comme le fait la loi australienne. Le second touchait les ministères, organismes et sociétés d’État appelés à veiller à ce que les mesures qu'ils autorisent, subventionnent ou réalisent :  a) soient compatibles avec l'objet de la loi; b) ne compromettent pas la survie d'une espèce menacée de disparition et n'entraînent pas la destruction ou la détérioration de l'habitat d'une telle espèce; et c) n'entraînent pas la destruction ou la détérioration d'un écosystème menacé de disparition(63).

Tout comme le projet de loi du député Wenman, le projet de loi C-238 du député Caccia, redéposé en première lecture le 18 mars 1996, contient les éléments habituels auxquels s'ajoute la mesure suivante :   toute évaluation des effets environnementaux prévue par une loi fédérale doit comprendre une évaluation des effets produits sur les espèces en voie de disparition ou menacées ou sur l'habitat protégé. Mentionnons aussi que ce projet de loi intègre la liste des espèces désignées par le CSEMDC(64).

   B. La proposition législative d'Environnement Canada

Au printemps 1995, le gouvernement fédéral a présenté un document de travail ayant pour titre Une approche nationale pour la conservation des espèces en péril au Canada et sur lequel ont porté des consultations publiques tenues dans 14 villes du Canada. Il est ressorti de ces consultations publiques dix points principaux, dont l'importance de renseigner le public s'est révélée le plus fréquemment mentionné. La nécessité d'adopter une loi rigoureuse est aussi un thème souvent abordé. Par contre, certains intervenants ont estimé que la législation actuelle est suffisante et qu'il n'est pas nécessaire d'intervenir dans ce que plusieurs perçoivent comme un champ de compétence provinciale-territoriale. Plusieurs intervenants se sont aussi préoccupés de la question du respect des droits des propriétaires fonciers. Certains ont en effet estimé que la nouvelle loi ne devrait pas nuire à la bonne gestion des terres, mais plutôt favoriser la collaboration des propriétaires fonciers; d'autres se sont dits d'avis que des mesures incitatives pourraient peut-être encourager les propriétaires fonciers à protéger les habitats. Certains éléments spécifiques de la loi ont aussi été abordés. Il a été notamment suggéré que le processus de désignation des espèces soit laissé à un comité scientifique et que la prévention soit un aspect important de la loi, c'est-à-dire que celle-ci puisse faire en sorte que les espèces ne deviennent pas vulnérables. Enfin, d'autres se sont interrogés sur la disponibilité des ressources humaines et financières pour mettre en oeuvre cette loi(65). Comme il a été mentionné antérieurement dans le cas de la loi américaine, la question des fonds disponibles demeure cruciale si on veut prévenir le glissement des espèces vulnérables vers les catégories plus à risque.

Suite à ces consultations, Environnement Canada a présenté, à l'automne de 1995, une proposition législative, La loi sur la protection des espèces en péril au Canada. Cette proposition a suscité deux principales critiques de la part de près de 180 scientifiques canadiens qui ont signé une lettre commune destinée à la ministre Sheila Copps. Premièrement, ils ont dénoncé la proposition en soulignant qu'elle n'était pas assez contraignante, particulièrement en ce qui concerne la protection des habitats des espèces en péril. L'importance de cette mesure de protection tient au fait que 73 p. 100 des cas de disparition d'espèces dans le monde résultent de la destruction de leurs milieux naturels. Deuxièmement, ils ont souligné que l'éventuelle loi ne s'appliquerait qu'aux espèces se retrouvant sur les terres fédérales, notamment dans les parcs nationaux, et qui sont de la compétence du gouvernement fédéral, soit les oiseaux migrateurs, les mammifères migrateurs tels que le Béluga du Saint-Laurent et certaines espèces de poissons migrateurs. Les terres fédérales ne représentent qu'une très faible partie de la superficie du Canada, soit 4 p. 100 environ(66).

La perte d'habitats constitue la principale menace pour les espèces canadiennes, puisqu’on estime que ce facteur est responsable d’environ 80 p. 100 du déclin des espèces au pays. Il est donc absolument nécessaire, selon les environnementalistes, qu’une éventuelle législation fédérale sur la protection des espèces en péril rende obligatoire la protection des habitats. Or, la proposition législative permettrait seulement de désigner les habitats essentiels aux espèces en péril. Pour les environnementalistes, il est clair que la loi ne doit pas laisser la protection des habitats à la discrétion politique(67). De même, le choix des espèces en péril pour lesquels des plans de rétablissement seraient préparés demeure discrétionnaire. Aussi, tout comme pour les deux éléments précédents, la loi permettrait seulement de réglementer les actions nuisibles aux espèces en péril. Or, la question de l'interdiction de certaines activités pouvant nuire aux espèces en péril est très importante. En effet, la chasse et les autres formes d'activités d'exploitation ont été par le passé un facteur de déclin significatif de plusieurs espèces. La chasse à outrance a entraîné la disparition du Pigeon voyageur et du Grand pingouin. Certaines baleines sont maintenant des espèces en péril en raison de la chasse excessive qu'on leur a faite par le passé. D'autres espèces en péril, comme l'Ours grizzly, sont encore chassées. La cueillette excessive de certaines espèces floristiques comme le Ginseng et l'Ail des bois est aussi une cause de déclin considérable(68).

Si cette proposition législative devait être présentée et adoptée, elle donnerait une force légale au processus de désignation des espèces en péril du CSEMDC et au programme de rétablissement des espèces en péril, comme le souhaitent plusieurs. Cependant, seule l'élaboration d'une liste des espèces en péril s'avère obligatoire en vertu de cette proposition. Par rapport à la loi américaine où tout est exigé, de la désignation des espèces en péril et de leurs habitats aux plans de rétablissement, en passant par l'interdiction d'activités nuisibles aux espèces en péril ou à leurs habitats, la proposition canadienne est jugée beaucoup plus faible. Il manque aussi à l'éventuelle loi canadienne sur les espèces en péril le processus d'examen préalable des projets pouvant perturber l'habitat de ces espèces, l'élément fort de la loi américaine au dire des analystes. Or, l'examen préalable des projets constitue un élément essentiel d'une approche préventive de la protection des espèces en péril, laquelle demeure beaucoup plus économique par rapport à une approche curative.

Le second point faible de la proposition législative tient au fait qu’elle ne s’appliquerait que sur les terres fédérales(69). L'orientation gouvernementale s’explique par l’opposition des représentants de l’industrie des ressources naturelles, du milieu agricole et même des petits propriétaires terriens, mais aussi des provinces. Les premiers craignent que la protection de l'habitat des espèces en péril ne vienne empêcher, sinon limiter, l’aménagement des terres visées. Les agriculteurs, en particulier, craignent qu’une loi sur les espèces en péril porte atteinte à leur droit de propriété et s’inquiètent du fait que les projets du gouvernement fédéral ne font pas mention de compensation ou de mesures d’encouragement à l’endroit des propriétaires terriens qui pourraient être touchés par une telle loi. À ce titre, les agriculteurs croient nécessaires de favoriser les efforts de conservation par divers moyens comme les encouragements fiscaux, les récompenses financières et d’autres formes de compensation ou de rémunération, voire même la suppression de certaines barrières(70). Les tenants de la protection des habitats estiment par ailleurs que les terres privées et agricoles seraient relativement peu affectées par la protection des habitats essentiels puisque seulement environ 20 p. 100 des 243 espèces à risque au Canada se retrouvent exclusivement ou en grande partie sur des terres privées. Dans les cas où les activités agricoles constituent un facteur limitant pour la survie des espèces, seulement 17 espèces se trouvent principalement sur des terres privées. Dans ces cas, le recours à des mesures incitatives et d’aide aux propriétaires pourrait sans doute grandement contribuer à la protection des habitats critiques et au rétablissement des espèces en péril(71).

D'un autre côté, les provinces voient d'un mauvais oeil l'intervention du fédéral, même s'il s'agit d'un champ de compétence partagé. Certaines provinces possédant déjà une loi sur les espèces en péril craignent que l’adoption d’une loi fédérale crée un deuxième processus de désignation des espèces et des habitats et entraîne un dédoublement des ressources. On s'inquiète également de la surréglementation que peuvent amener deux lois, l'une au niveau provincial, l'autre au niveau fédéral. Il est certain que les gouvernements provinciaux auront toujours des réticences face aux interventions fédérales, mais la Endangered Species Coalition estime qu'il faut que le fédéral, les provinces et les territoires unissent leurs efforts pour protéger les espèces en péril. D'une part, des lois provinciales fortes sont nécessaires parce que la plupart des habitats des espèces en péril se retrouvent sur des terres provinciales et qu'il existe une grande expertise dans ce domaine au niveau provincial. D'autre part, une loi fédérale forte s'impose également puisque beaucoup de populations d'espèces en péril débordent des frontières provinciales ou se retrouvent sur des terres fédérales. Pour éviter les doubles emplois que craignent les provinces, la Coalition pense que les trois paliers de gouvernement devraient coordonner leurs efforts et se partager la mise en oeuvre des mesures de protection des espèces en péril(72). Aux yeux de plusieurs, il s'agit probablement d'harmoniser et de rendre complémentaires les interventions de chacun de ces paliers en vue d'assurer la protection des espèces en péril.

CONCLUSION

Au fil des années, le Canada s'est doté de divers instruments assurant la protection des milieux naturels et des espèces animales et végétales qui s'y trouvent. Ainsi, les actions fédérales ont porté sur les parcs nationaux, les oiseaux migrateurs, les poissons et les espèces sauvages en général, particulièrement en ce qui a trait à leur commerce à l'échelle internationale et nationale. Toutefois, ces initiatives n'ont pas suffi à contrer la disparition et la précarité de nombreuses espèces. L'extinction et le recul de certaines espèces, combinés à d'autres pressions sur les écosystèmes naturels, ne sont pas sans affecter la biodiversité globale du Canada. Or, du maintien du plus haut niveau de biodiversité dépend notre capacité à assurer, sinon à améliorer, notre qualité de vie. Pour garantir une meilleure protection de la biodiversité, plusieurs jugent nécessaire d'intervenir de façon directe sur les espèces dont l'état est précaire en adoptant une loi spécifique aux espèces en péril.

C'est ce qu'ont fait plusieurs pays comme les États-Unis, l'Australie, le Japon ainsi que l'Union européenne. Certes, le Endangered Species Act adopté par les États-Unis dès 1973 demeure la loi la plus connue et constitue encore aujourd'hui un modèle du genre dans le domaine de la préservation des ressources naturelles. Les initiatives des autres pays s'en sont inspirées dans une certaine mesure mais sont toutefois plus récentes, celles de l'Australie et de l'Union européenne datant seulement de 1992. Au Canada, quatre provinces, soit l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, le Québec et le Manitoba ont aussi adopté des lois de ce genre, dont l'application s'est par contre avérée plus ou moins efficace.

À l'instar d'autres pays et de certaines provinces, le gouvernement du Canada envisage maintenant de se doter d'une loi spécifique à la protection des espèces en péril. Cette volonté a d'ailleurs été traduite en engagement dans le discours du Trône de février 1996. Une proposition législative à cet égard a été élaborée par Environnement Canada et a déjà fait l'objet de consultations publiques. Cette proposition fait suite à divers projets de loi d’initiative parlementaire et prévoit essentiellement la protection des espèces en péril sur les terres de compétence fédérale. Certains groupes ont d'ailleurs critiqué la portée trop restreinte de la proposition et insisté pour qu'elle accorde davantage de protection aux habitats des espèces à risque. D'autres ont cependant craint qu'elle puisse contraindre le développement et restreindre le droit de propriété. Il reste maintenant à voir comment Environnement Canada interprétera les critiques et les suggestions faites par les divers intervenants et quelle sera la perception des provinces qui se sont déjà dotées d’un tel outil. L’initiative fédérale portera davantage de fruits si les deux paliers de gouvernement coordonnent leurs efforts de mise en oeuvre des mesures de protection des espèces en péril.

L'adoption éventuelle d'une loi fédérale sur les espèces en péril ajouterait un nouvel outil à l'éventail d'instruments qui visent, à divers degrés et niveaux, la protection de l'environnement, des milieux naturels et des espèces qui y vivent. Il reste cependant que la préservation de la biodiversité et des espèces elles-mêmes ne doit constituer qu’un élément d’une stratégie globale visant à promouvoir le développement durable du Canada.


(1) UICN, Stratégie mondiale de la conservation, Gland (Suisse), 1980.

(2) Commission mondiale de l'environnement et du développement, Notre avenir à tous, Éditions du Fleuve, 1987, 454 p.

(3) J.P. Drapeau, « Se prendre pour Noé... ou laisser faire? », Franc-Vert, mai-juin-juillet 1992, p. 16.

(4) R.F. Noss et A.Y. Cooperrider, Saving Nature's Legacy - Protecting and Restoring Biodiversity, Washington (D.C.), Island Press, 1994, p. 5.

(5) Groupe de travail sur la biodiversité, Stratégie canadienne de la biodiversité - Réponse du Canada à la Convention sur la diversité biologique, novembre 1994, p. 4.

(6) The National Wildlife Federation's Endangered Species Program, Why Should We Save Species, National Wildlife Federation's Gopher Text, 2 p.

(7) Groupe de travail sur la biodiversité (1994), p. 4.

(8) Ibid., p. 8.

(9) The Sierra Legal Defence Fund, Recommendations for Federal Endangered Species Legislation, produit pour la Endangered Species Coalition, 25 avril 1995, p. 8.

(10) T. Eisner, « The Hidden Value of Species Diversity », Bioscience, vol. 42, no 8, p. 578.

(11) Groupe de travail sur la biodiversité (1994), p. 6.

(12) Ibid., p. 5.

(13) « Humans Destroying Species At Alarming Rate, UN Says », Ottawa Citizen, 14 novembre 1995, p. A9.

(14) Q.D. Wheeler, « Systematics and Biodiversity-Policies at Higher Levels », BioScience Supplement 1995, S-22.

(15) « Humans Destroying Species ... » (14 novembre 1995), p. A9.

(16) Chambre des communes, Témoignages du Comité permanent de l'environnement et du développement durable, Séance no 108, 26 avril 1995, p. 108:9.

(17) Environnement Canada, Équipe d'évaluation scientifique de la biodiversité, La biodiversité au Canada : évaluation scientifique, Sommaire établi par A. Keith, 1994, p. 12.

(18) Ibid., p. 9.

(19) Ibid., p. 17.

(20) Ibid., p. 18.

(21) Chambre des communes, Témoignages ... (26 avril 1995), p. 108:7.

(22) Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada, Mise à jour sur les espèces en péril au Canada, communiqué de presse, 18 avril 1996, Ottawa, 2 p.

(23) Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada, Espèces canadiennes en péril - avril 1996, Ottawa, 18 p.

(24) Conseil canadien des ministres de la faune, Une politique des espèces sauvages pour le Canada, 1990, p. 8.

(25) Agence Science-Presse, « Espèces menacées :  la contrebande prend du poil de la bête », Franc-Vert, vol. 12, no 5, octobre-novembre 1995, p. 12.

(26) K. Douglas, Endangered Species In Canada, Bibliothèque du Parlement, 15 avril 1991, p. 16.

(27) Environnement Canada, Service canadien de la faune, La loi sur la protection des espèces en péril au Canada : Proposition législative, 1995, p. 4.

(28) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 11.

(29) Chambre des communes, Débats, intervention de M. Paul de Villers sur le projet de loi C-275, 20 juin 1995, p. 14258.

(30) The Sierra Legal Defence (1995), p. 9.

(31) J.P. Foley et L.S. Maltby, A Summary of Endangered Species and Related Legislation, Environnement Canada, Service canadien de la faune, Ébauche, 15 février 1995, p. 17-22.

(32) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 31.

(33) Chambre des communes, Témoignages ... (26 avril 1995), p. 108:10.

(34) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 9.

(35) Foley et Maltby (1995), p. 20.

(36) Ibid., p. 17.

(37) G. Lamoureux, « Plantes menacées : un moment historique », La Presse, 10 avril 1995, p. B4.

(38) Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, L.R.Q. 1994, c. E-12.01.

(39) L.-G. Francoeur, « Pas de mini-centrale sur le Richelieu », Le Devoir, 9 décembre 1994, p. A3.

(40) M. Kriz, « Caught in the Act », National Journal, 16 décembre 1995, p. 3092.

(41) S. Elgie, « Le Canada a-t-il besoin d'une loi pour les espèces en péril : Leçons des États-Unis », Sauvegarde : Bulletin sur les espèces en péril, Service canadien de la faune, hiver 1994, p. 6.

(42) G. Byrne, « Strengthened Endangered Species Act Passes », Science, vol. 242, 14 octobre 1988, p. 190.

(43) Elgie (1994), p. 6.

(44) Foley et Maltby (1995), p. 28.

(45) Douglas (1991), p. 13.

(46) National Wildlife Federarion's Endangered Species Program, Economics and the ESA flexibility and balance, Gopher Text.

(47) Chambre des Communes, Témoignages ..., (26 avril 1995), p. 108:12.

(48) L.G. Francoeur, « La chouette tachetée, emblème d'une croisade sans fin? Les républicains remettent en question les gains des écologistes », Le Devoir, 4 juillet 1995.

(49) J.P. Drapeau, « Se prendre pour Noé... ou laisser faire? », Franc-Vert, vol. 9, no 3, mai-juin-juillet 1992, p. 12.

(50) National Wildlife Federarion's Endangered Species Program, The endangered Species Act : Myth vs. Reality, Gopher Text.

(51) Serge Beaucher, « Suivre les animaux, à la molécule », Franc-Vert, décembre 1995-janvier 1996, p. 16-19.

(52) T. Eisner, J. Lubbchenco, E.O. Wilson, D.S. Wilcove et M.J. Bean, « Building a Scientifically Sound Policy for Protecting Endangered Species », Science, vol. 268, 1er septembre 1995, p. 1232.

(53) Ibid.

(54) G.N.Backhouse et Tim W. Clark, « Endangered Species Conservation in Australia : A partial review and Recommendations », Endangered Species Update, vol. 12, no 8, 1995, 6 p. sur Internet.

(55) Foley et Maltby (1995), p. 27.

(56) Ibid., p. 28.

(57) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 22-23-26.

(58) A. Debièvre, « Les enjeux de la directive "Habitats" », L'Environnement, no 1545, mars 1996, Administration et nature, p. 12-15.

(59) Environnement Canada, Service canadien de la faune, La législation sur les espèces en péril au Canada :  Un document de travail, 17 novembre 1994, p. 4 - 5.

(60) C. Dauphiné, « Le Canada a-t-il besoin d'une loi pour les espèces en péril :  Lois en vigueur au Canada », Sauvegarde :  Bulletin sur les espèces en péril, Service canadien de la faune, hiver 1994, p. 7.

(61) Environnement Canada, Service canadien de la faune (1994), p. 5-6.

(62) Ibid., p. 5.

(63) Projet de loi C-303, Loi concernant les espèces menacées de disparition et la diversité biologique, M. Wenman, Chambre des communes, première lecture le 2 octobre 1991.

(64) Projet de loi C-275, Loi concernant la protection et la réhabilitation des espèces en voie de disparition et des espèces menacées, M.Caccia, Chambre des communes, première lecture le 28 septembre 1994.

(65) Environnement Canada, Service canadien de la faune, Rapport sur les consultations publiques : Une approche nationale pour la conservation des espèces en péril au Canada, 102 p.

(66) P. Gingras, « Les scientifiques réclament une loi fédérale musclée sur les espèces menacées  », La Presse, 23 novembre 1995, p. A 10.

(67) Canadian Endangered Species Coalition, Fact Sheet on Critical Habitat Protection, CESC Web Site établi le 2 février 1995, 2 p. sur Internet.

(68) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 31.

(69) Canadian Endangered Species Coalition, Analysis of the federal legislative proposal for an Endangered Species Protection Act, CESC Web Site établi le 2 février 1995, 2 p. sur Internet.

(70) Sheila Forsyth, Témoignage devant le Comité permament de la Chambre des communes sur l’environnement et le développement durable, Forum on the Status of Wildlife and Habitats in Canada, 27 avril 1994, p. 4-5.

(71) Ibid.

(72) The Sierra Legal Defence Fund (1995), p. 66-67.