BP-423F MARCHÉS FINANCIERS ET POLITIQUES
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
LA MONDIALISATION DU CAPITAL : QUELQUES STATISTIQUES LES
POUVOIRS TRADITIONNELS DES GOUVERNEMENTS : LINCIDENCE
POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ LINCIDENCE
POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ
MARCHÉS FINANCIERS ET POLITIQUES GOUVERNEMENTALES :
Peu après la fin de lemprise soviétique sur le Bloc de Varsovie, on pouvait lire en Pologne le graffiti suivant : « Nous voulions la liberté. À la place, nous avons eu le marché obligataire ». À travers le monde, plusieurs critiques pensent que les forces du marché du capital et les marchés financiers sont devenus trop puissants. Selon eux, les gouvernements nexercent plus aucun contrôle sur les politiques fiscales et monétaires, parce que celles-ci sont désormais dictées par les forces du marché du capital. Ces critiques dénoncent ce quils perçoivent comme la « privatisation » des politiques monétaires et fiscales, qui seraient maintenant aux mains des courtiers, des cambistes et des gestionnaires de gros portefeuilles. Les opposants aux forces du marché du capital disent que plutôt que de veiller à satisfaire aux véritables besoins de la population (en assurant la création demplois ou le maintien du filet de sécurité sociale, par exemple), les gouvernements sont obsédés par les exigences strictes du marché du capital. Daprès eux, les gouvernements devraient gouverner en toute liberté. Ils prétendent donc quen mettant fin aux transactions spéculatives et en contrôlant mieux les mouvements de capitaux, les gouvernements retrouveraient leur pleine souveraineté, puisquils pourraient gérer en utilisant tous les moyens normalement mis à la disposition dun État souverain. Il est vrai que dimportants bouleversements économiques ont eu lieu dans le marché du capital. Premièrement, les gouvernements partout dans le monde ont des niveaux dendettement si élevés quils drainent une proportion importante du capital mondial disponible; les déficits grandissants des balances courantes de plusieurs pays, y compris les pays industrialisés, illustrent bien ce phénomène dendettement. Deuxièmement, les entreprises se mondialisent. Pour financer leurs besoins en capital, elles ont accès aux mêmes grands pools de capital que les gouvernements. Troisièmement, le décloisonnement des institutions financières ainsi que la prolifération récente de certains instruments (comme les produits dérivés) font que jamais le capital na été aussi mobile à travers le monde. Finalement, le marché de linformation ne forme plus quun seul grand et puissant marché mondial. La mondialisation du marché du capital et la vitesse avec laquelle linformation se propage font que le moindre soubresaut économique et politique peut avoir dimportantes conséquences sur le bien-être économique de toute une région du globe. À léchelle de la planète, les investisseurs sont mis au courant presque instantanément de tout changement pouvant affecter le rendement de leurs portefeuilles. Les volumes transigés quotidiennement à travers le monde sont tels quune mauvaise évaluation des risques peut signifier des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars en quelques secondes seulement. Il ne faut donc pas sétonner que dans de telles conditions, les investisseurs et les cambistes éprouvent une grande aversion face aux risques ou à toute incertitude. Il est vrai aussi que les forces du marché du capital sont bien peu tolérantes. Dichotomiques, elles aiment ou naiment pas. Si elles approuvent, elles savent récompenser les gouvernements qui, selon elles, prennent les bonnes décisions. Par contre, si elles jugent inacceptables les politiques dun gouvernement, elles le puniront sévèrement et rapidement en maltraitant obligations, devise et taux dintérêts. Nul doute quil vaut mieux avoir ces forces du marché de son côté que contre soi. On peut toutefois soutenir que la mondialisation de ce marché a dimportants avantages pour les gouvernements. Les forces du capital peuvent agir comme des systèmes dalarme et forcer les gouvernements à prendre les décisions qui simposent; elles peuvent être des alliés importants dans la quête de lassainissement des finances publiques et de la stabilité des prix. Sans elles, bien des gouvernements, motivés uniquement par des attentes électorales, pourraient être tentés de mettre en place des politiques aux conséquences désastreuses. Dans ce document, nous présentons des arguments en faveur de linfluence positive de la mondialisation des marchés financiers. LA MONDIALISATION DU CAPITAL : QUELQUES STATISTIQUES Il existe plusieurs façons de mesurer le degré dintégration du capital. Lune delles consiste à constater le peu de différence qui existe entre les taux dintérêts réels dun endroit à lautre dans le monde. Il serait normal quun marché du capital intégré dicte un prix mondial à ce capital. Compte tenu des nombreux risques qui peuvent influer sur le prix du capital (défaut de paiement dun gouvernement, stabilité politique, endettement public, risque de dévaluation de la devise, inflation anticipée), les taux dintérêts réels devraient être similaires pour une échéance donnée. Dans un article publié récemment, Norman Fieleke, de la Federal Reserve Bank of Boston, indique que les titres de trois mois de plusieurs pays étaient porteurs de taux de rendement réels presque identiques(1). Le différentiel dans les taux dintérêt réels de long terme constitue toutefois un meilleur indice du niveau dunification des marchés du capital(2). Dans son article, Fieleke montre que de 1980 à 1994, il existait une égalité presque parfaite entre les taux exigés sur les obligations de long terme dans 19 pays. Par conséquent, parce que le marché du capital est intégré, les taux dintérêts réels ajustés en fonction des risques sont similaires dans les principaux pays industrialisés. Toutefois, tous ne partagent pas cette conclusion. Selon certains indices, les marchés ne sont pas si parfaitement intégrés que le laisse entendre Fieleke. Il existe en effet une relation étroite entre le taux dépargne et le niveau dinvestissements. Ainsi les économies à faible taux dépargne ont généralement un faible niveau dinvestissement. Linverse est aussi vrai. Pourtant si le capital était parfaitement mobile, lépargne intérieure se retrouverait entre les mains dinvestisseurs offrant les meilleures occasions, souvent dans des pays étrangers. En réalité, seulement 10 p. 100 des 500 plus grands portefeuilles du monde est investi dans des titres étrangers(3). En fait, peu importe qui a raison et peu importe si le marché du capital ne forme pas un seul marché mondial parfaitement unifié dictant un prix mondial au capital, personne ne peut nier quen quelques minutes plusieurs milliards de dollars peuvent se déplacer dune région du globe à une autre. La valeur des transactions quotidiennes sur les marchés monétaires sont passées de 640 milliards de dollars US en 1989 à un billion (1 000 milliards) en 1992(4). Quatre ans plus tard, tout laisse croire que les montants transigés quotidiennement sur le marché mondial du capital sont encore plus élevés. Dailleurs, selon les derniers chiffres, il est maintenant question de 1,3 billion de dollars US(5). En raison de tous les bouleversements financiers et technologiques qui sont survenus, la croissance annuelle moyenne réelle des transactions sur les devises, les obligations et les marchés boursiers dépasse de loin la croissance moyenne réelle des économies et de la valeur de biens et services exportés à travers le monde. De 1980 à 1992, la croissance annuelle moyenne des opérations sur les devises a dépassé de 25 p. 100 la croissance des économies et de la valeur des bien et services exportés, tandis que celle des obligations la dépassé de 10 p. 100(6). Durant la même période, la valeur des transactions boursières a augmenté deux fois et demie plus rapidement que la taille des économies. Comme le montrent le tableau 1 et le graphique 1, la prolifération des produits dérivés est un indicateur important de la mondialisation du capital. À elle seule, la valeur nominale des transactions impliquant des titres négociables hors bourse était huit fois plus importante en 1991 quen 1986. La valeur des produits dérivés transigés sur les marchés boursiers a augmenté de 600 p. 100 durant la même période(7). En 1991, la valeur totale des transactions frôlait les 8 000 milliards de dollars. En 1994, la valeur des transactions dépassait déjà 20 000 milliards de dollars(8). Pour ce qui est du volume annuel (tableau 2), le marché des contrats à terme de taux dintérêts de court terme sest accru de 517 p. 100, passant de 16,4 milliards de transactions annuelles en 1986 à 84,8 milliards en 1991(9). Il ne faut donc pas se surprendre quun marché mondial de produits dérivés aussi volumineux et aussi intégré exerce une grande influence sur les économies.
Tableau 1 : Marché pour quelques produits dérivés Solde en circulation à la fin de lannée, converti en milliards de dollars américains
Source : Banque des règlements internationaux, Recent Development in International Interbank Relations, Basle, octobre 1992, tableau 6, p. 49.
Graphique 1 : Valeur des transactions de quelques produits dérivés
Les volumineux mouvements de capital sexpliquent par des besoins de capitaux extraordinaires. Dans biens des pays, ces besoins sont plus élevés que lépargne intérieure disponible. Faute de pouvoir se financer sur les marchés intérieurs, plusieurs pays sont maintenant obligés dimporter le capital. Le stock dobligations gouvernementales en circulation sur les marchés internationaux, en pourcentage des titres financiers internationaux est passé de 18 p. 100 en 1980 à 25 p. 100 en 1992(10). Les besoins financiers du Canada ne font pas exception à la règle. Le graphique 2 montre les sources et les emplois de lépargne au Canada en 1995. Les besoins publics et privés en capital étaient alors de plus de 158 milliards de dollars. Parce que lépargne intérieure ne sétablissait quà 143 milliards de dollars, le Canada a dû importer 13 milliards de capital étranger(11). Un an plus tôt le Canada avait dû importer 22 milliards de dollars de létranger. En 1996, le Canada devrait connaître un surplus. Il pourra ainsi commencer à rembourser sa dette étrangère. Il naura plus à emprunter sur les marchés étrangers pour satisfaire ses besoins en capital. Ce qui caractérise la dette publique et privée canadienne, est la part de la dette par rapport au PIB détenu par des étrangers, qui dépasse 40 p. 100 du 340 milliards de dollars en 1994. De ce nombre, la part fédérale (y compris les sociétés dÉtat) totalisait 135 milliards de dollars, celles des provinces 155,2 milliards et celle des municipalités 6,6 milliards. Comme le montre lhistogramme reproduit ci-après (graphique 3), en 1994-1995, plus de 25 p. 100 de la dette totale du gouvernement du Canada était détenue par des gestionnaires de portefeuilles étrangers. Dix ans plus tôt, ce pourcentage ne dépassait pas 11 p. 100. Cette croissance sexplique par le fait quà mesure que la situation budgétaire des gouvernements au Canada sest détériorée, durant les années 80 et au début des années 90, et que les sociétés privées avaient de plus en plus besoin de capital, le gouvernement du Canada a dû importer de plus en plus de capital de létranger. À cause de limportant effet déviction engendré par les besoins gouvernementaux, à mesure que la situation budgétaire des gouvernements sest détériorée, les sociétés ont dû, elles aussi, emprunter de plus en plus de létranger.
Tableau 2 : Taux de roulement annuel des
Source : Banque des règlements internationaux, Recent Development In International Interbank Relations, Basle, octobre 1992, tableau 12, p. 55.
Le Canada nest pas le seul pays qui a dû importer du capital des marchés extérieurs. Plusieurs pays industrialisés ont eux aussi dû faire des ponctions sur ces marchés. Le flux net de capital dun pays (c.-à-d. la différence entre les entrées et les sorties de fonds étrangers) est égal au solde de la balance courante de la balance des paiements. La balance courante inclut la balance commerciale (c.-à-d. la différence entre les biens exportés et les biens importés) ainsi que la balance des invisibles(12) (c.-à-d. le solde net des services transigés à lextérieur du Canada ainsi que les entrées et les sorties de capitaux). Un pays qui importe plus quil nexporte doit emprunter sur les marchés extérieurs afin de financer cette différence. Cette entrée nette de capital est égale au déficit de la balance courante. À linverse, un pays qui exporterait du capital aurait un surplus à sa balance courante. Malgré le fait que le Canada ait une balance commerciale positive, il avait jusquà tout récemment une balance courante déficitaire. Cette situation sexplique par le fait que les entrées de fonds provenant de lexportation des biens nétaient pas suffisantes pour financer tous les besoins financiers du Canada. Le solde de la balance des invisibles était de loin inférieur au solde de la balance commerciale. En fait, le solde de la balance des invisibles du Canada montre que depuis le milieu des années 80, entre 24 et 41,4 milliards de dollars ont été détournés vers létranger. En 1995, le solde de la balance commerciale dépassait les 28,2 milliards de dollars. La même année, alors que le Canada versait à létranger des intérêts, des dividendes et des bénéfices qui dépassaient 49 milliards de dollars, il ne recevait deux quun peu plus de 16 milliards. La même année, les touristes canadiens ont dépensé 16,5 milliards de dollars à létranger, alors que les touristes étrangers nont dépensé que 11,7 milliards au Canada. Le Canada a aussi importé davantage de services de létranger quil nen a exporté. Étant donné de telles transactions, il ne faut donc pas sétonner que la balance des invisibles soit déficitaire à un point tel quelle neutralise complètement tout surplus à la balance commerciale, doù les déficits habituels de la balance courante.
Durant le deuxième trimestre de 1996 (avril à juin), la balance courante du Canada a connu un surplus de 1,15 milliard de dollars. Le solde de la balance commerciale a dépassé 9,96 milliards de dollars, alors que celui de la balance des invisibles a connu un déficit de 8,82 milliards de dollars. Sur une base annuelle, le surplus à la balance courante du Canada se situe à 4,58 milliards de dollars (balance commerciale: 39,84 milliards de dollars; balance des invisibles : -35,26 milliards de dollars). Ce surplus sexplique, entre autres, par les baisses récentes des taux dintérêt et par lamélioration des finances publiques. Les gouvernements au Canada empruntent désormais moins à létranger. Cest la première fois depuis la fin de 1984 que le Canada connaît pareil excédent. Il y a seulement trois ans, des pays membres du G-7, le Canada était celui dont le déficit de la balance courante en pourcentage du PIB était le plus élevé. La Banque Scotia prévoit quen 1997, le Canada sera lun des quatre pays exportateurs de capital. LItalie, le Japon et la France auront aussi des balances courantes positives. Cette bonne nouvelle améliorera la valeur du dollar canadien sur les marchés de change. De plus, si le surplus persiste, la Banque du Canada pourra maintenir la tendance à la baisse des taux dintérêt par rapport aux taux américains. Finalement, les Canadiens pourront commencer à rembourser les centaines de milliards de dollars quils doivent aux étrangers. Le tableau 3 illustre la mondialisation du marché du capital en indiquant les balances courantes en pourcentage du PNB ou du PIB des pays membres du G-7 et de quelques autres pays sélectionnés de 1980 à 1994. Ces balances illustrent bien les besoins financiers de plusieurs pays et limportance qua le capital étranger dans le financement de leurs besoins intérieurs. LES
POUVOIRS TRADITIONNELS DES GOUVERNEMENTS : En plus des questions relatives aux affaires étrangères et à sa sécurité nationale, tout gouvernement moderne souhaite mener, en toute souveraineté, ses politiques sociales et économiques et influer sur elles. Au nom des citoyens quil représente, il voudrait pouvoir décider et choisir en toute liberté les politiques affectant la fiscalité, la redistribution des revenus, les dépenses publiques, la taille de la dette et du déficit, les taux dintérêts, le taux de change et les mouvements du capital.
Tableau 3 :
Solde de la balance courante en pourcentage du PNB ou du PIB, pays membres
Source : Norman Fieleke, "Internation Capital Movements. How Shocking Are They? New England Economic Review. Federal Reserve Bank of Boston, mars-avril 1996, p.44-45. Les gouvernements tirent un pouvoir économique de leur habilité à taxer et à réglementer les marchés financiers ainsi que de leur capacité démettre des billets de banques et demprunter. Il y a à peine vingt-cinq ans, les gouvernements pouvaient gouverner beaucoup plus librement quaujourdhui et choisir les politiques économiques quils jugeaient à propos. Le monde de la finance a toutefois grandement évolué en bien peu de temps et il a modifié la situation du tout au tout. Selon les opposants au marché du capital, cest justement ce marché qui limite les pouvoirs et linfluence des gouvernements. Lun deux, Gregory Millman, décrit la situation dans les termes suivants :
Cest là un point de vue que plusieurs opposants au marché du capital partagent. Il est vrai que les pouvoirs discrétionnaires des gouvernements et leur influence sur les politiques sont aujourdhui passablement dilués. Tout dabord, le pouvoir de taxer est grandement limité lorsquune société ou un particulier peut facilement déplacer son capital vers dautres pays. Ensuite, le pouvoir de réglementer les marchés financiers ne signifie pas grand chose lorsque ces marchés se caractérisent par des millions de milliards de transactions électroniques. Enfin, le pouvoir dimprimer des billets de banque et celui demprunter pour financer un déficit budgétaire sont devenus en quelque sorte inexistants puisque les forces du marché peuvent neutraliser toute politique monétaire ou fiscale jugée imprudente. Si des agents naiment pas le relâchement de la politique monétaire dun pays (par exemple, parce quils la jugent inflationniste), ils influeront sur les taux dintérêts de long terme en se départissant dobligations gouvernementales. La demande pour ces titres baissera, ce qui se traduira par une réduction du prix des obligations de long terme et, conséquemment, par une augmentation des taux dintérêts. Les courtiers peuvent ainsi neutraliser toute action dune banque centrale qui, par exemple, viserait à réduire les taux dintérêts sils jugent une telle action imprudente. Les courtiers cherchent à obtenir leur meilleur rendement possible sur leurs placements. Peu importe où ils se trouvent sur la planète, sils désapprouvent la politique budgétaire dun gouvernement (parce quils jugent, par exemple, quelle aggravera le déficit et, en fin de compte, réduira leur rendement), ils pousseront sa devise et ses obligations en chute libre grâce à quelques transactions électroniques. Ainsi, la moindre augmentation du déficit canadien ou de celui dune province ou encore le moindre accroissement du fardeau fiscal serait grandement risqué. Les obligations détenues par les étrangers ont vraisemblablement un taux de roulement plus rapide que celui des obligations détenues par les Canadiens. Par conséquent, la moindre variation des risques provoque des ajustements rapides. Les marchés financiers réagiraient donc avec vigueur à toute détérioration budgétaire au Canada. Le marché récompensera toutefois un accroissement du rendement réel attribuable à une réduction du déficit ou à une politique monétaire stimulant la propension à épargner puisque ces politiques auront pour effet de réduire les tensions inflationnistes et daméliorer la position de la balance courante. Ainsi, lécart de taux dintérêts entre le Canada et les États-Unis sest grandement amenuisé. En fait, on na jamais connu un différentiel de prix des obligations aussi faible. Les marchés financiers ont fini par reconnaître les efforts budgétaires sérieux des gouvernements au Canada. Par conséquent, à risque moindre, les investisseurs sont désormais prêts à acquérir les titres canadiens en exigeant moins en retour. Les leviers fiscaux et monétaires utilisés par le passé échappent désormais aux gouvernements; ce sont ces leviers que les opposants aux forces du marché mondial du capital voudraient récupérer. Il est vrai quavec la mondialisation du marché du capital, les innovations financières et la révolution de linformation, les forces du marché du capital détiennent désormais la balance du pouvoir politique des gouvernements. Ce grand marché du capital offre toutefois des avantages, comme un accès à de plus grands pools de capitaux pouvant servir à la croissance des entreprises. Les gouvernements peuvent donc bénéficier de linfluence positive quexercent les forces du marché du capital sur les politiques monétaires et fiscales. LINCIDENCE
POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ Chaque année, lors des consultations pré-budgétaires du gouvernement fédéral, plusieurs intervenants souhaitent que la Banque du Canada relâche sa politique monétaire. Ils prétendent que la Banque naurait quà réduire de façon unilatérale les taux dintérêt afin de trouver une solution aux problèmes budgétaires ainsi quà la relance de léconomie et de lemploi. Selon eux, les taux dintérêt sont beaucoup trop élevés et ils étouffent toute chance de relance. Dautre part, ils arguent que des taux dintérêt trop élevés augmentent le coût du service de la dette publique. À leur avis, en réduisant ces taux, le gouvernement pourrait diminuer les coûts du service de la dette et stimuler la demande globale et la croissance économique. Pour réduire les taux dintérêt, la Banque du Canada naurait, daprès eux, quà imprimer des billets de banque afin de réduire la rareté du dollar. Pourtant, en réduisant les taux dintérêt sans fondement économique, la Banque risquerait de surexciter léconomie. Parce que la nervosité semparerait des marchés financiers, la relance économique artificiellement créée serait de très courte durée. En voulant se protéger des risques dune recrudescence de linflation, les détenteurs de titres canadiens se départiraient de ceux-ci et pousseraient à la hausse les taux dintérêt de long terme et à la baisse la valeur du dollar canadien, neutralisant ainsi toute tentative de relâchement de la politique monétaire. En fait, alors, une réduction des taux dintérêt ne réduirait ni le nombre de chômeurs ni ne relancerait léconomie canadienne. Toute intervention indue de ce type de la part de la Banque du Canada mettrait en péril les faibles taux dinflation et aurait de sérieuses conséquences économiques. Les marchés ne pardonnent pas les gestes injustifiés. Si les gouvernements veulent influer sur la création de lemploi et stimuler lexpansion économique, ils peuvent se concentrer sur la stabilité des prix, la fiscalité et lassainissement des finances publiques. Une telle stabilité produira à moyen terme un environnement propice à la création demplois, à la croissance et à linvestissement. En raison de la mondialisation du marché du capital et de lapparition des taux de change flexibles, les gouvernements peuvent, si la situation le justifie, réduire les taux dintérêts, sans subir de conséquences néfastes. Ainsi, la Banque du Canada a relâché sa politique monétaire au milieu de 1995 lorsque les autorités ont constaté que celle-ci avait été trop contraignante. Lorsque la banque centrale a réduit les taux dintérêts, les éléments fondamentaux pouvant garantir la stabilité des prix étaient en place. La capacité de production était largement excédentaire et avait été sous-estimée. Parce que la croissance de léconomie canadienne avait été plus faible que prévu, les ressources inutilisées sur le marché du travail de même que dans lappareil de production sétaient accrues. Les marchés financiers étaient convaincus que la Banque du Canada agissait de façon prudente et que cet ajustement à la baisse du taux directeur ne mettrait pas en péril un objectif fondamental, à savoir favoriser un rythme dexpansion monétaire qui nempêche pas les taux dinflation de se situer dans une fourchette de 1 à 3 p. 100 jusquà la fin de 1998. Sils navaient pas cru que la réduction était fondée, les marchés nauraient jamais toléré un geste aussi risqué. Le contexte économique, les attentes et la perception des marchés déterminent la marge de manoeuvre dont dispose la banque centrale. Il est important de se rappeler que la Banque du Canada peut influer directement sur les taux de très court terme (comme les taux dun jour). Au-delà de cela, son influence se fait sentir de façon très indirecte. Par exemple, pour les taux de long terme (comme le taux des obligations de dix ans), la banque centrale agit par lentremise des attentes inflationnistes. Elle peut influer sur ces attentes en montrant aux marchés du capital que linflation est matée. Si les marchés estiment quil existe des risques dinflation, ils forceront une augmentation des taux dintérêts de long terme par des interventions dans le secteur des obligations. Les marchés agissent en quelque sorte comme des stabilisateurs automatiques puisque cette augmentation soudaine des taux de long terme contraint léconomie beaucoup plus rapidement quune augmentation graduelle des taux de court terme quaurait imposée une banque centrale. Les forces du marché obligataire neutralisent donc toute politique monétaire jugée imprudente. Les banques centrales doivent choisir une politique qui garantit la stabilité des prix (une politique que les marchés du capital sauront récompenser). Elles nont pas le luxe dopter pour une politique monétaire expansionniste qui nuirait aux attentes en matière dinflation (une politique risquée qui serait vertement dénoncée). Les forces du marché du capital doivent donc être perçues comme des partenaires guidant les banques centrales qui serrent de trop près de linstabilité des prix. LINCIDENCE
POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ La mondialisation du capital permet aussi aux gouvernements de financer leur dette et leur déficit du compte courant à bien meilleur coût quavant. Grâce à ce grand pool de capitaux internationaux, les gouvernements, même ceux qui ont de graves problèmes budgétaires, peuvent emprunter facilement et à plus faible coût puisque les bons gouvernements subventionnent en quelque sorte le prix du capital. Le moindre différentiel dans les taux dintérêts offerts aux investisseurs attirera des capitaux étrangers. Le paradoxe, cest que ce libre accès au capital international peut également nuire aux économies, car les gouvernements peuvent devenir de plus en plus gros. Cest à cause du libre accès au capital que des pays comme les États-Unis sont devenus des emprunteurs nets au début des années 80(14). Il ne fait toutefois aucun doute quen bout de ligne la mondialisation du capital limite les interventions gouvernementales. À mesure que la situation budgétaire se détériore, la capacité demprunter diminue. Il vient un moment où les marchés ne tolèrent plus une situation budgétaire quils jugent dangereuse. Lorsque cela se produit, les gouvernements doivent souvent diminuer les dépenses et réduire les activités gouvernementales en redéfinissant le rôle de lÉtat et en privatisant une foule dactivités publiques par exemple. La santé budgétaire dun pays influe sur les mouvements de capital. Parce que les investisseurs étrangers ont dimposants portefeuilles, il ne faut pas sétonner de leur susceptibilité lorsque la situation budgétaire dun gouvernement se détériore constamment. Dans un contexte comme celui du Canada où, jusquà tout récemment, la dette publique croissait plus rapidement que la capacité de payer, toute augmentation des déficits augmentait à coup de milliards les besoins financiers des gouvernements. Même une modeste détérioration des finances publiques dun gouvernement lourdement endetté pourrait signifier une importante baisse du prix des obligations, ce qui entraînerait une augmentation significative des taux dintérêts et de facto un accroissement du coût du service de la dette publique. Le Canada néchappe pas à ce risque. À mesure que le gouvernement emprunte du capital, les marchés sinquiètent parce que sa capacité de payer et de rembourser devient de plus en plus difficile. Faire face à ces extraordinaires obligations financières devient pénible, et il arrive un moment où les marchés ne tolèrent plus rien. Une crise de confiance sinstalle alors. Comme le disait David Dodge en 1993 :
La Nouvelle-Zélande, lItalie, le Mexique et la Suède ont déjà connu pareille situation. La quantité doptions mises à la disposition dun gouvernement ainsi coincé est plutôt limitée. Fortement endetté, il pourrait bien tenter daugmenter les impôts des particuliers et des sociétés pour régler ses problèmes. Toutefois, en raison de la mondialisation du capital, il ne peut imposer des augmentations dimpôt qui seraient disproportionnées par rapport à ce qui se fait dans dautres pays. En effet, parce que le capital est très mobile, un entrepreneur peut redéployer une partie de ses opérations vers des pays où la ponction fiscale exigée de la part des sociétés est relativement moins élevée. Les marchés sinquiètent aussi du fait quun gouvernement endetté pourrait, en désespoir de cause, opter pour des politiques risquées sur le plan de linflation. Plutôt que de réduire les dépenses publiques afin de régler ses problèmes budgétaires, un gouvernement à court didées pourrait être tenté, pour stimuler son économie, daugmenter les dépenses publiques, de réduire les taux dintérêts, de monétiser la dette, de mettre en place des restrictions sur les mouvements de capitaux ou de forcer les banques à détenir un grand pourcentage dobligations gouvernementales. Inquiets parce que de telles politiques envenimeraient davantage la santé déjà précaire des finances publiques, les marchés se départiraient tout simplement de leurs obligations. Du point de vue de la politique gouvernementale, cette crainte quont les marchés face à un problème budgétaire signifie quun gouvernement peut perdre plusieurs des leviers économiques contracycliques généralement déployés lors dune récession par exemple. Ainsi, parce quils ne croient pas que le malaise budgétaire se résorbera, les marchés financiers ne permettent plus à un gouvernement qui na plus la capacité de rembourser daugmenter ses dépenses publiques même pour améliorer le filet social lors dun ralentissement sévère de son économie. Il est paradoxal que la solution aux problèmes économiques dun pays réside souvent dans la compression des dépenses plutôt que dans la stimulation économique. Pour plusieurs pays fortement endettés, une réduction des dépenses publiques pourrait stimuler léconomie, car elle aurait pour conséquence de réduire les taux dintérêts et les coûts du service de la dette. Cette réduction des taux dintérêts stimulerait léconomie. Le Canada illustre bien ce paradoxe. La position du solde de la balance courante ne cesse de saméliorer depuis 1993, et les taux dintérêts diminuent ou se stabilisent. Les citoyens du Canada commencent à profiter des bénéfices découlant de la saine gestion, souvent indigeste, des finances publiques. Il ne faut pas voir les contraintes imposés par le monde de la finance internationale comme étant mauvaises en soi mais plutôt comme une protection contre les politiques fiscales néfastes. Selon Gregory Millman :
Afin de mieux contrôler ces forces, les opposants au marché du capital comme Millman disent quil est temps que les gouvernements contrôlent les mouvements de capitaux et taxent les transactions financières. Ils pensent quen mettant fin aux transactions spéculatives, les gouvernements retrouveront leur pleine souveraineté. À cet égard, le gouverneur de la Banque du Canada témoignant il y a un an devant le Comité permanent des finances, a déclaré ce qui suit :
Une telle taxe nuirait donc à la mobilité du capital et en augmenterait le prix. Il est en effet impossible de sattaquer uniquement aux transactions spéculatives; par conséquent, toutes les transactions, bonnes ou mauvaises, seraient touchées si une taxe était imposée. Dautre part, plutôt que de stabiliser les devises, une telle taxe pourrait déstabiliser les marchés à cause du manque de liquidité. La solution ne réside donc pas dans le contrôle des mouvements de capital. Les forces du marché du capital peuvent être très utiles pour empêcher les gouvernements de poser des gestes injustifiés. Elles nhésitent pas à punir les gouvernements qui agissent sans fondement économique. Elles les forcent à faire des choix. Les politiques qui assurent la stabilité attirent les capitaux. Les gouvernements peuvent emprunter dautres voies, mais ils doivent alors subir les conséquences de leur choix. Si les marchés sont convaincus que linflation est parfaitement contrôlée, ils sauront faire preuve de laxisme. Le Canada constitue un bon exemple de cette situation. Parce que les forces du marché sont maintenant convaincues que la politique qua adopté la Banque du Canada est crédible et empêche toute reprise de linflation, les marchés obligataires canadiens ont pu résister à tous les récents soubresauts. Malgré les variations sur le marché américain, le dollar canadien a rarement été aussi stable quil ne lest actuellement. Certains prévoient quil y aura des hausses importantes des taux dintérêt aux États-Unis. Le Canada pourra résister à la pression à la hausse. Parce que les marchés sont de plus en plus convaincus que le Canada a réussi à mater linflation et que la balance courante et létat des finances publiques ne cessent de saméliorer, il est peu probable que les hausses des taux aux États-Unis affecteront le Canada à la hausse. Tout au plus, les taux se stabiliseraient. Les marchés ne se montreront pas aussi exigeants envers le Canada quenvers ses voisins du sud. Les marchés aiment aussi être réconfortés de façon périodique. Les gouvernements doivent faire preuve de transparence dans leurs politiques fiscales et monétaires (comme la fait le Canada en adoptant une fourchette cible du taux dinflation et un ratio déficit/P.I.B.) et rendre des comptes de façon régulière (comme le font la Banque du Canada en publiant semi-annuellement un Rapport sur la politique monétaire et le gouvernement du Canada en publiant une mise à jour économique et financière). Les marchés peuvent ainsi savoir si les gouvernements ont, oui ou non, atteint leurs objectifs. Ce qui est encore plus important, cest que parce que les autorités rendent publique linformation pertinente, les forces du marché réagiront toujours à temps; le remède quelles imposeront sera ainsi moins difficile à avaler. Dans un contexte dassainissement des finances publiques et dinflation matée, les gouvernements peuvent gouverner librement, comme ils lont toujours fait. Si un gouvernement a les moyens de soffrir ponts, système de santé et universités, les marchés ne réagiront pas. Si un gouvernement dépense trop et a perdu le contrôle de ses finances publiques ou quil contrôle mal linflation, les forces du marché se feront tout simplement entendre. Le gouvernement aura toujours le choix dappliquer les politiques quil choisit, mais il ne pourra empêcher les forces du marché de réagir à celles-ci. Banque des règlements internationaux. Recent Developments in International Interbank Relations. Basle, juin 1990. Banque des règlements internationaux. International Capital Flows, Exchange Rate Determination and Persistant Current-Account Imbalances. Basle, juin 1990. Canada, Ministère des Finances. La mise à jour économique et financière. Ottawa, 6 décembre 1995. Caverley, John. « The Currency Wars ». 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(2) On peut parler de taux dintérêts réels ex-post (le taux nominal versé aux investisseurs moins le taux dinflation observé) ou ex-ante (le taux dintérêt nominal moins le taux dinflation prévu, qui lui est basé sur des tendances historiques et les fourchettes cibles guidant les banques centrales). Les décisions dinvestissements et dépargne sont fondées sur des anticipations. Il faut donc employer les taux réels ex-ante afin de comparer les taux de rendement. (3) « Whos in the Driving Seat », The Economist, Survey, The World Economy, 7-13 octobre 1995, p. 6. (4) En 1992, les cambistes transigeaient quotidiennement un volume de devises valant 880 milliards de dollars US et un volume dobligations de 200 milliards de dollars. (« Whos in the Driving Seat »... (1995), p. 4.) Voir aussi John Calverley, « The Currency Wars », Harvard Business Review, mars-avril 1995, p.146. (5) « Whos in the Driving Seat »... (1995), p. 10. (6) Ibid., p. 4. (7) Banque des règlements internationaux, Recent Developments in International Interbank Relations, Basle, juin 1990. tableau 6, page 49. (8) « Whos in the Driving Seat »... (1995), p. 9. (9) Recent Developments in International Interbank Relations (1990), tableau 12, page 55. (10) « Whos in the Driving Seat »... (1995), p. 10. (11) La situation actuelle sest considérablement améliorée par rapport à 1994. La réduction observée en 1995 sexplique par la réduction du déficit du secteur public et par une augmentation du niveau dépargne intérieur. Dautre part, le solde de la balance commerciale du Canada sest grandement amélioré en 1994 par rapport à celui de 1993. (En 1993, le solde de la balance commerciale sétablissait à 9,3 milliards de dollars, alors quil était de 15 milliards en 1994 et de 28,2 milliards en 1995). (12) La balance des invisibles comporte les éléments suivants : le solde des services (y crompris le solde touristique), le solde des revenus de placements (y crompris les dividendes et bénéfices) ainsi que le solde des transferts (y compris les successions et les capitaux en provenance et à destination de létranger). (13) Gregory J. Millman, The Vandals Crown: How Rebel Currency Traders Overthrew the Worlds Central Banks, New York, The Free Press, 1995. p. xii (traduction). (14) Dans un régime de taux de change fixe, comme celui qui a existé de 1944 à 1972 en vertu de lAccord de Bretton Woods et dans lequel les mouvements internationaux de capitaux étaient restreints, les gouvernements devaient financer les déficits de la balance courante à même le capital disponible sur le marché intérieur et leurs réserves. Les gros déficits budgétaires et commerciaux étaient en quelque sorte exclus. (15) Comité permanent des finances, Procès verbaux et témoignages, 1er juin 1993, p. 65:35 (16) Millman (1995), p. xiii. (17) Comité permanent des finances, Procès-verbaux ... (1993), p. 134:21. |