BP-423F

MARCHÉS FINANCIERS ET POLITIQUES
GOUVERNEMENTALES :  ARGUMENTS SOUTENANT
QUE LES PREMIERS ONT UNE INFLUENCE
POSITIVE SUR LES SECONDES

 

Rédaction :
Richard Domingue
Division de l'économie
Août 1996


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

LA MONDIALISATION DU CAPITAL : QUELQUES STATISTIQUES

LES POUVOIRS TRADITIONNELS DES GOUVERNEMENTS :
UNE ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITION

L’INCIDENCE POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ
DU CAPITAL SUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE

L’INCIDENCE POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ
DU CAPITAL SUR LA POLITIQUE FISCALE

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


 

MARCHÉS FINANCIERS ET POLITIQUES GOUVERNEMENTALES :
ARGUMENTS SOUTENANT QUE LES PREMIERS ONT
UNE INFLUENCE POSITIVE SUR LES SECONDES

 

INTRODUCTION

Peu après la fin de l’emprise soviétique sur le Bloc de Varsovie, on pouvait lire en Pologne le graffiti suivant : « Nous voulions la liberté. À la place, nous avons eu le marché obligataire ». À travers le monde, plusieurs critiques pensent que les forces du marché du capital et les marchés financiers sont devenus trop puissants. Selon eux, les gouvernements n’exercent plus aucun contrôle sur les politiques fiscales et monétaires, parce que celles-ci sont désormais dictées par les forces du marché du capital. Ces critiques dénoncent ce qu’ils perçoivent comme la « privatisation » des politiques monétaires et fiscales, qui seraient maintenant aux mains des courtiers, des cambistes et des gestionnaires de gros portefeuilles.

Les opposants aux forces du marché du capital disent que plutôt que de veiller à satisfaire aux véritables besoins de la population (en assurant la création d’emplois ou le maintien du filet de sécurité sociale, par exemple), les gouvernements sont obsédés par les exigences strictes du marché du capital. D’après eux, les gouvernements devraient gouverner en toute liberté. Ils prétendent donc qu’en mettant fin aux transactions spéculatives et en contrôlant mieux les mouvements de capitaux, les gouvernements retrouveraient leur pleine souveraineté, puisqu’ils pourraient gérer en utilisant tous les moyens normalement mis à la disposition d’un État souverain.

Il est vrai que d’importants bouleversements économiques ont eu lieu dans le marché du capital. Premièrement, les gouvernements partout dans le monde ont des niveaux d’endettement si élevés qu’ils drainent une proportion importante du capital mondial disponible; les déficits grandissants des balances courantes de plusieurs pays, y compris les pays

industrialisés, illustrent bien ce phénomène d’endettement. Deuxièmement, les entreprises se mondialisent. Pour financer leurs besoins en capital, elles ont accès aux mêmes grands pools de capital que les gouvernements. Troisièmement, le décloisonnement des institutions financières ainsi que la prolifération récente de certains instruments (comme les produits dérivés) font que jamais le capital n’a été aussi mobile à travers le monde. Finalement, le marché de l’information ne forme plus qu’un seul grand et puissant marché mondial.

La mondialisation du marché du capital et la vitesse avec laquelle l’information se propage font que le moindre soubresaut économique et politique peut avoir d’importantes conséquences sur le bien-être économique de toute une région du globe. À l’échelle de la planète, les investisseurs sont mis au courant presque instantanément de tout changement pouvant affecter le rendement de leurs portefeuilles. Les volumes transigés quotidiennement à travers le monde sont tels qu’une mauvaise évaluation des risques peut signifier des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars en quelques secondes seulement. Il ne faut donc pas s’étonner que dans de telles conditions, les investisseurs et les cambistes éprouvent une grande aversion face aux risques ou à toute incertitude.

Il est vrai aussi que les forces du marché du capital sont bien peu tolérantes. Dichotomiques, elles aiment ou n’aiment pas. Si elles approuvent, elles savent récompenser les gouvernements qui, selon elles, prennent les bonnes décisions. Par contre, si elles jugent inacceptables les politiques d’un gouvernement, elles le puniront sévèrement et rapidement en maltraitant obligations, devise et taux d’intérêts. Nul doute qu’il vaut mieux avoir ces forces du marché de son côté que contre soi.

On peut toutefois soutenir que la mondialisation de ce marché a d’importants avantages pour les gouvernements. Les forces du capital peuvent agir comme des systèmes d’alarme et forcer les gouvernements à prendre les décisions qui s’imposent; elles peuvent être des alliés importants dans la quête de l’assainissement des finances publiques et de la stabilité des prix. Sans elles, bien des gouvernements, motivés uniquement par des attentes électorales, pourraient être tentés de mettre en place des politiques aux conséquences désastreuses. Dans ce document, nous présentons des arguments en faveur de l’influence positive de la mondialisation des marchés financiers.

LA MONDIALISATION DU CAPITAL : QUELQUES STATISTIQUES

Il existe plusieurs façons de mesurer le degré d’intégration du capital. L’une d’elles consiste à constater le peu de différence qui existe entre les taux d’intérêts réels d’un endroit à l’autre dans le monde. Il serait normal qu’un marché du capital intégré dicte un prix mondial à ce capital. Compte tenu des nombreux risques qui peuvent influer sur le prix du capital (défaut de paiement d’un gouvernement, stabilité politique, endettement public, risque de dévaluation de la devise, inflation anticipée), les taux d’intérêts réels devraient être similaires pour une échéance donnée. Dans un article publié récemment, Norman Fieleke, de la Federal Reserve Bank of Boston, indique que les titres de trois mois de plusieurs pays étaient porteurs de taux de rendement réels presque identiques(1).

Le différentiel dans les taux d’intérêt réels de long terme constitue toutefois un meilleur indice du niveau d’unification des marchés du capital(2). Dans son article, Fieleke montre que de 1980 à 1994, il existait une égalité presque parfaite entre les taux exigés sur les obligations de long terme dans 19 pays. Par conséquent, parce que le marché du capital est intégré, les taux d’intérêts réels ajustés en fonction des risques sont similaires dans les principaux pays industrialisés.

Toutefois, tous ne partagent pas cette conclusion. Selon certains indices, les marchés ne sont pas si parfaitement intégrés que le laisse entendre Fieleke. Il existe en effet une relation étroite entre le taux d’épargne et le niveau d’investissements. Ainsi les économies à faible taux d’épargne ont généralement un faible niveau d’investissement. L’inverse est aussi vrai. Pourtant si le capital était parfaitement mobile, l’épargne intérieure se retrouverait entre les mains d’investisseurs offrant les meilleures occasions, souvent dans des pays étrangers. En réalité, seulement 10 p. 100 des 500 plus grands portefeuilles du monde est investi dans des titres étrangers(3).

En fait, peu importe qui a raison et peu importe si le marché du capital ne forme pas un seul marché mondial parfaitement unifié dictant un prix mondial au capital, personne ne peut nier qu’en quelques minutes plusieurs milliards de dollars peuvent se déplacer d’une région du globe à une autre. La valeur des transactions quotidiennes sur les marchés monétaires sont passées de 640 milliards de dollars US en 1989 à un billion (1 000 milliards) en 1992(4). Quatre ans plus tard, tout laisse croire que les montants transigés quotidiennement sur le marché mondial du capital sont encore plus élevés. D’ailleurs, selon les derniers chiffres, il est maintenant question de 1,3 billion de dollars US(5).

En raison de tous les bouleversements financiers et technologiques qui sont survenus, la croissance annuelle moyenne réelle des transactions sur les devises, les obligations et les marchés boursiers dépasse de loin la croissance moyenne réelle des économies et de la valeur de biens et services exportés à travers le monde. De 1980 à 1992, la croissance annuelle moyenne des opérations sur les devises a dépassé de 25 p. 100 la croissance des économies et de la valeur des bien et services exportés, tandis que celle des obligations l’a dépassé de 10 p. 100(6). Durant la même période, la valeur des transactions boursières a augmenté deux fois et demie plus rapidement que la taille des économies.

Comme le montrent le tableau 1 et le graphique 1, la prolifération des produits dérivés est un indicateur important de la mondialisation du capital. À elle seule, la valeur nominale des transactions impliquant des titres négociables hors bourse était huit fois plus importante en 1991 qu’en 1986. La valeur des produits dérivés transigés sur les marchés boursiers a augmenté de 600 p. 100 durant la même période(7). En 1991, la valeur totale des transactions frôlait les 8 000 milliards de dollars. En 1994, la valeur des transactions dépassait déjà 20 000 milliards de dollars(8). Pour ce qui est du volume annuel (tableau 2), le marché des contrats à terme de taux d’intérêts de court terme s’est accru de 517 p. 100, passant de 16,4 milliards de transactions annuelles en 1986 à 84,8 milliards en 1991(9). Il ne faut donc pas se surprendre qu’un marché mondial de produits dérivés aussi volumineux et aussi intégré exerce une grande influence sur les économies.

 

Tableau 1 : Marché pour quelques produits dérivés

Solde en circulation à la fin de l’année, converti en milliards de dollars américains

 

1986

1987

1988

1989

1990

1991

Instruments négociés en bourse

583

725

1 300

1 762

2 284

3 518

de ce nombre : Contrats à terme de taux d’intérêt

370

488

895

1 201

1 454

2 159

Options sur taux d’intérêt

146

122

279

387

600

1 072

 

 

 

 

 

 

 

Instruments transigés hors bourse

500

870

1 330

2 402

3 451

4 449

de ce nombre : trocs de taux d’intérêt

400

683

1 010

1 503

2 312

3 065

 

 

 

 

 

 

 

Total

1 083

1 595

2 630

4 164

5 735

7 967

Source : Banque des règlements internationaux, Recent Development in International Interbank Relations, Basle, octobre 1992, tableau 6, p. 49.

 

Graphique 1 : Valeur des transactions de quelques produits dérivés

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Les volumineux mouvements de capital s’expliquent par des besoins de capitaux extraordinaires. Dans biens des pays, ces besoins sont plus élevés que l’épargne intérieure disponible. Faute de pouvoir se financer sur les marchés intérieurs, plusieurs pays sont maintenant obligés d’importer le capital. Le stock d’obligations gouvernementales en circulation sur les marchés internationaux, en pourcentage des titres financiers internationaux est passé de 18 p. 100 en 1980 à 25 p. 100 en 1992(10).   Les besoins financiers du Canada ne font pas exception à la règle.

Le graphique 2 montre les sources et les emplois de l’épargne au Canada en 1995. Les besoins publics et privés en capital étaient alors de plus de 158 milliards de dollars. Parce que l’épargne intérieure ne s’établissait qu’à 143 milliards de dollars, le Canada a dû importer 13 milliards de capital étranger(11). Un an plus tôt le Canada avait dû importer 22 milliards de dollars de l’étranger.

En 1996, le Canada devrait connaître un surplus. Il pourra ainsi commencer à rembourser sa dette étrangère. Il n’aura plus à emprunter sur les marchés étrangers pour satisfaire ses besoins en capital. Ce qui caractérise la dette publique et privée canadienne, est la part de la dette par rapport au PIB détenu par des étrangers, qui dépasse 40 p. 100 du 340 milliards de dollars en 1994. De ce nombre, la part fédérale (y compris les sociétés d’État) totalisait 135 milliards de dollars, celles des provinces 155,2 milliards et celle des municipalités 6,6 milliards.

Comme le montre l’histogramme reproduit ci-après (graphique 3), en 1994-1995, plus de 25 p. 100 de la dette totale du gouvernement du Canada était détenue par des gestionnaires de portefeuilles étrangers. Dix ans plus tôt, ce pourcentage ne dépassait pas 11 p. 100. Cette croissance s’explique par le fait qu’à mesure que la situation budgétaire des gouvernements au Canada s’est détériorée, durant les années 80 et au début des années 90, et que les sociétés privées avaient de plus en plus besoin de capital, le gouvernement du Canada a dû importer de plus en plus de capital de l’étranger. À cause de l’important effet d’éviction  engendré par les besoins gouvernementaux, à mesure que la situation budgétaire des gouvernements s’est détériorée, les sociétés ont dû, elles aussi, emprunter de plus en plus de l’étranger.

 

Tableau 2 : Taux de roulement annuel des
Produits dérivés négociés sur les marchés boursiers

             

Croissance

 

Nombre annuel de transactions, en millions

1986-1991

 

1986

1987

1988

1989

1990

1991

(pourcentage)

Contrats à terme de taux d’intérêt de court terme

16,4

29,4

33,7

70,2

75,8

84,8

517

Contrats à terme de taux d’intérêt de long terme

74,6

116,3

122,6

130,8

143,3

149,7

201

Contrat à terme de devises

19,7

20,8

22,1

27,7

29,1

29,2

148

Options sur taux d’intérêt

22,2

29,3

30,5

39,5

52,0

50,8

229

Options sur les devises

13,0

18,2

18,2

20,7

18,8

21,5

165

               

Total

145,9

214,0

227,1

288,6

319,1

336,0

230

de ce nombre : aux États-Unis

122,9

161,4

165,3

198,1

205,7

199,7

162

en Europe

9,8

27,2

32,6

49,0

61,0

84,2

859

au Japon

9,4

18,3

18,8

23,7

33,6

30,0

319

Source : Banque des règlements internationaux, Recent Development In International Interbank Relations, Basle, octobre 1992, tableau 12, p. 55.

 

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Le Canada n’est pas le seul pays qui a dû importer du capital des marchés extérieurs. Plusieurs pays industrialisés ont eux aussi dû faire des ponctions sur ces marchés. Le flux net de capital d’un pays (c.-à-d. la différence entre les entrées et les sorties de fonds étrangers) est égal au solde de la balance courante de la balance des paiements. La balance courante inclut la balance commerciale (c.-à-d. la différence entre les biens exportés et les biens importés) ainsi que la balance des invisibles(12) (c.-à-d. le solde net des services transigés à l’extérieur du Canada ainsi que les entrées et les sorties de capitaux).

Un pays qui importe plus qu’il n’exporte doit emprunter sur les marchés extérieurs afin de financer cette différence. Cette entrée nette de capital est égale au déficit de la balance courante. À l’inverse, un pays qui exporterait du capital aurait un surplus à sa balance courante. Malgré le fait que le Canada ait une balance commerciale positive, il avait jusqu’à tout récemment une balance courante déficitaire. Cette situation s’explique par le fait que les entrées de fonds provenant de l’exportation des biens n’étaient pas suffisantes pour financer tous les besoins financiers du Canada. Le solde de la balance des invisibles était de loin inférieur au solde de la balance commerciale. En fait, le solde de la balance des invisibles du Canada montre que depuis le milieu des années 80, entre 24 et 41,4 milliards de dollars ont été détournés vers l’étranger. En 1995, le solde de la balance commerciale dépassait les 28,2 milliards de dollars. La même année, alors que le Canada versait à l’étranger des intérêts, des dividendes et des bénéfices qui dépassaient 49 milliards de dollars, il ne recevait d’eux qu’un peu plus de 16 milliards. La même année, les touristes canadiens ont dépensé 16,5 milliards de dollars à l’étranger, alors que les touristes étrangers n’ont dépensé que 11,7 milliards au Canada. Le Canada a aussi importé davantage de services de l’étranger qu’il n’en a exporté. Étant donné de telles transactions, il ne faut donc pas s’étonner que la balance des invisibles soit déficitaire à un point tel qu’elle neutralise complètement tout surplus à la balance commerciale, d’où les déficits habituels de la balance courante.

 

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Durant le deuxième trimestre de 1996 (avril à juin), la balance courante du Canada a connu un surplus de 1,15 milliard de dollars. Le solde de la balance commerciale a dépassé 9,96 milliards de dollars, alors que celui de la balance des invisibles a connu un déficit de 8,82 milliards de dollars. Sur une base annuelle, le surplus à la balance courante du Canada se situe à 4,58 milliards de dollars (balance commerciale: 39,84 milliards de dollars; balance des invisibles : -35,26 milliards de dollars). Ce surplus s’explique, entre autres, par les baisses récentes des taux d’intérêt et par l’amélioration des finances publiques. Les gouvernements au Canada empruntent désormais moins à l’étranger.

C’est la première fois depuis la fin de 1984 que le Canada connaît pareil excédent. Il y a seulement trois ans, des pays membres du G-7, le Canada était celui dont le déficit de la balance courante en pourcentage du PIB était le plus élevé. La Banque Scotia prévoit qu’en 1997, le Canada sera l’un des quatre pays exportateurs de capital. L’Italie, le Japon et la France auront aussi des balances courantes positives.

Cette bonne nouvelle améliorera la valeur du dollar canadien sur les marchés de change. De plus, si le surplus persiste, la Banque du Canada pourra maintenir la tendance à la baisse des taux d’intérêt par rapport aux taux américains. Finalement, les Canadiens pourront commencer à rembourser les centaines de milliards de dollars qu’ils doivent aux étrangers. Le tableau 3 illustre la mondialisation du marché du capital en indiquant les balances courantes en pourcentage du PNB ou du PIB des pays membres du G-7 et de quelques autres pays sélectionnés de 1980 à 1994. Ces balances illustrent bien les besoins financiers de plusieurs pays et l’importance qu’a le capital étranger dans le financement de leurs besoins intérieurs.

LES POUVOIRS TRADITIONNELS DES GOUVERNEMENTS :
UNE ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITION

En plus des questions relatives aux affaires étrangères et à sa sécurité nationale, tout gouvernement moderne souhaite mener, en toute souveraineté, ses politiques sociales et économiques et influer sur elles. Au nom des citoyens qu’il représente, il voudrait pouvoir décider et choisir en toute liberté les politiques affectant la fiscalité, la redistribution des revenus, les dépenses publiques, la taille de la dette et du déficit, les taux d’intérêts, le taux de change et les mouvements du capital.

 

Tableau 3 : Solde de la balance courante en pourcentage du PNB ou du PIB, pays membres
du G7 et autres pays sélectionnés, 1980-1994

Un signe positif signifie une sortie de capital, un signe négatif une entrée de fonds étrangers

 

Canada

France

Allemagne

Italie

Japon

Royaume-
Uni

États-
Unis

Australie

Portugal

Suisse

Suède

                       

1980

-0,59

-0,63

-1,73

-2,29

-1,02

1,27

0,08

-2,79

-4,35

-0,19

-3,53

1981

-2,00

-0,82

-0,50

-2,53

0,41

2,74

0,16

-4,88

-20,03

3,47

-2,49

1982

0,54

-2,19

0,76

-1,77

0,63

1,63

-0,36

-4,86

-14,82

2,51

-3,34

1983

-0,45

-0,99

0,83

0,21

1,75

1,14

-1,30

-3,69

-8,28

1,19

-0,87

1984

-0,21

-0,18

1,54

-0,71

2,76

0,42

-2,62

-4,80

-3,46

6,38

0,59

1985

-1,34

-0,01

2,73

-0,91

3,65

0,72

-3,09

-5,54

1,95

6,15

-1,22

1986

-2,87

0,33

4,50

0,40

4,31

-0,23

-3,53

-5,68

4,09

3,28

-0,11

1987

-2,92

-0,50

4,15

-0,32

3,59

-1,19

-3,68

-3,84

1,22

3,52

-0,10

1988

-3,59

-0,50

4,23

-0,79

2,73

-3,49

-2,61

-4,23

-2,61

4,57

-0,42

1989

-4,28

-0,59

4,82

-1,37

1,97

-4,34

-1,96

-6,41

0,34

4,31

-1,78

1990

-3,89

-1,29

3,05

-1,54

1,21

-3,37

-1,66

-5,29

-0,30

2,94

-2,91

1991

-4,21

-0,59

-1,18

-2,09

2,16

-1,44

-0,12

-3,47

-1,04

4,29

-1,96

1992

-4,00

0,33

-1,17

-2,28

3,19

-1,69

-1,13

-3,79

-0,22

5,67

-3,55

1993

-4,47

0,82

-0,86

1,12

3,11

-1,87

-1,64

-3,81

 

6,88

-2,19

1994

-3,43

0,31

-1,27

1,53

2,79

0,00

-2,31

     

0,43

                       
Moyenne annuelle en valeur absolue

 

2,77

 

0,72

 

2,38

 

1,42

 

2,52

 

1,82

 

1,88

 

4,85

 

5,23

 

4,26

 

1,82

Source : Norman Fieleke, "Internation Capital Movements. How Shocking Are They? New England Economic Review. Federal Reserve Bank of Boston, mars-avril 1996, p.44-45.

Les gouvernements tirent un pouvoir économique de leur habilité à taxer et à réglementer les marchés financiers ainsi que de leur capacité d’émettre des billets de banques et d’emprunter. Il y a à peine vingt-cinq ans, les gouvernements pouvaient gouverner beaucoup plus librement qu’aujourd’hui et choisir les politiques économiques qu’ils jugeaient à propos. Le monde de la finance a toutefois grandement évolué en bien peu de temps et il a modifié la situation du tout au tout. Selon les opposants au marché du capital, c’est justement ce marché qui limite les pouvoirs et l’influence des gouvernements. L’un deux, Gregory Millman, décrit la situation dans les termes suivants :

Comme les barbares qui ont conquis la Rome décadente, les cambistes détruisent les empires économiques qui ont perdu la capacité de résister à leurs assauts. Fois après fois et pays après pays, lorsque les gouvernements ne peuvent faire face aux nouvelles réalités financières, les cambistes sont les agents de destruction créative. Alors que les investisseurs ont toujours eu à tenir compte de la façon dont un gouvernement gérait son économie, les cambistes disposent de nos jours d’un pouvoir sans précédent qui leur permet de détruire les fondements financiers des pays mal gérés, politiquement instables ou peu rentables avant même que les bureaucrates ne se rendent compte de ce qui vient d’arriver(13).

C’est là un point de vue que plusieurs opposants au marché du capital partagent.

Il est vrai que les pouvoirs discrétionnaires des gouvernements et leur influence sur les politiques sont aujourd’hui passablement dilués. Tout d’abord, le pouvoir de taxer est grandement limité lorsqu’une société ou un particulier peut facilement déplacer son capital vers d’autres pays. Ensuite, le pouvoir de réglementer les marchés financiers ne signifie pas grand chose lorsque ces marchés se caractérisent par des millions de milliards de transactions électroniques. Enfin, le pouvoir d’imprimer des billets de banque et celui d’emprunter pour financer un déficit budgétaire sont devenus en quelque sorte inexistants puisque les forces du marché peuvent neutraliser toute politique monétaire ou fiscale jugée imprudente.

Si des agents n’aiment pas le relâchement de la politique monétaire d’un pays (par exemple, parce qu’ils la jugent inflationniste), ils influeront sur les taux d’intérêts de long terme en se départissant d’obligations gouvernementales. La demande pour ces titres baissera, ce qui se traduira par une réduction du prix des obligations de long terme et, conséquemment, par une augmentation des taux d’intérêts. Les courtiers peuvent ainsi neutraliser toute action d’une banque centrale qui, par exemple, viserait à réduire les taux d’intérêts s’ils jugent une telle action imprudente.

Les courtiers cherchent à obtenir leur meilleur rendement possible sur leurs placements. Peu importe où ils se trouvent sur la planète, s’ils désapprouvent la politique budgétaire d’un gouvernement (parce qu’ils jugent, par exemple, qu’elle aggravera le déficit et, en fin de compte, réduira leur rendement), ils pousseront sa devise et ses obligations en chute libre grâce à quelques transactions électroniques. Ainsi, la moindre augmentation du déficit canadien ou de celui d’une province ou encore le moindre accroissement du fardeau fiscal serait grandement risqué. Les obligations détenues par les étrangers ont vraisemblablement un taux de roulement plus rapide que celui des obligations détenues par les Canadiens. Par conséquent, la moindre variation des risques provoque des ajustements rapides. Les marchés financiers réagiraient donc avec vigueur à toute détérioration budgétaire au Canada.

Le marché récompensera toutefois un accroissement du rendement réel attribuable à une réduction du déficit ou à une politique monétaire stimulant la propension à épargner puisque ces politiques auront pour effet de réduire les tensions inflationnistes et d’améliorer la position de la balance courante. Ainsi, l’écart de taux d’intérêts entre le Canada et les États-Unis s’est grandement amenuisé. En fait, on n’a jamais connu un différentiel de prix des obligations aussi faible. Les marchés financiers ont fini par reconnaître les efforts budgétaires sérieux des gouvernements au Canada. Par conséquent, à risque moindre, les investisseurs sont désormais prêts à acquérir les titres canadiens en exigeant moins en retour.

Les leviers fiscaux et monétaires utilisés par le passé échappent désormais aux gouvernements; ce sont ces leviers que les opposants aux forces du marché mondial du capital voudraient récupérer. Il est vrai qu’avec la mondialisation du marché du capital, les innovations financières et la révolution de l’information, les forces du marché du capital détiennent désormais la balance du pouvoir politique des gouvernements. Ce grand marché du capital offre toutefois des avantages, comme un accès à de plus grands pools de capitaux pouvant servir à la croissance des entreprises. Les gouvernements peuvent donc bénéficier de l’influence positive qu’exercent les forces du marché du capital sur les politiques monétaires et fiscales.

L’INCIDENCE POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ
DU CAPITAL SUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Chaque année, lors des consultations pré-budgétaires du gouvernement fédéral, plusieurs intervenants souhaitent que la Banque du Canada relâche sa politique monétaire. Ils prétendent que la Banque n’aurait qu’à réduire de façon unilatérale les taux d’intérêt afin de trouver une solution aux problèmes budgétaires ainsi qu’à la relance de l’économie et de l’emploi. Selon eux, les taux d’intérêt sont beaucoup trop élevés et ils étouffent toute chance de relance. D’autre part, ils arguent que des taux d’intérêt trop élevés augmentent le coût du service de la dette publique. À leur avis, en réduisant ces taux, le gouvernement pourrait diminuer les coûts du service de la dette et stimuler la demande globale et la croissance économique. Pour réduire les taux d’intérêt, la Banque du Canada n’aurait, d’après eux, qu’à imprimer des billets de banque afin de réduire la rareté du dollar.

Pourtant, en réduisant les taux d’intérêt sans fondement économique, la Banque risquerait de surexciter l’économie. Parce que la nervosité s’emparerait des marchés financiers, la relance économique artificiellement créée serait de très courte durée. En voulant se protéger des risques d’une recrudescence de l’inflation, les détenteurs de titres canadiens se départiraient de ceux-ci et pousseraient à la hausse les taux d’intérêt de long terme et à la baisse la valeur du dollar canadien, neutralisant ainsi toute tentative de relâchement de la politique monétaire. En fait, alors, une réduction des taux d’intérêt ne réduirait ni le nombre de chômeurs ni ne relancerait l’économie canadienne. Toute intervention indue de ce type de la part de la Banque du Canada mettrait en péril les faibles taux d’inflation et aurait de sérieuses conséquences économiques. Les marchés ne pardonnent pas les gestes injustifiés. Si les gouvernements veulent influer sur la création de l’emploi et stimuler l’expansion économique, ils peuvent se concentrer sur la stabilité des prix, la fiscalité et l’assainissement des finances publiques. Une telle stabilité produira à moyen terme un environnement propice à la création d’emplois, à la croissance et à l’investissement.

En raison de la mondialisation du marché du capital et de l’apparition des taux de change flexibles, les gouvernements peuvent, si la situation le justifie, réduire les taux d’intérêts, sans subir de conséquences néfastes. Ainsi, la Banque du Canada a relâché sa politique monétaire au milieu de 1995 lorsque les autorités ont constaté que celle-ci avait été trop contraignante. Lorsque la banque centrale a réduit les taux d’intérêts, les éléments fondamentaux pouvant garantir la stabilité des prix étaient en place. La capacité de production était largement excédentaire et avait été sous-estimée. Parce que la croissance de l’économie canadienne avait été plus faible que prévu, les ressources inutilisées sur le marché du travail de même que dans l’appareil de production s’étaient accrues. Les marchés financiers étaient convaincus que la Banque du Canada agissait de façon prudente et que cet ajustement à la baisse du taux directeur ne mettrait pas en péril un objectif fondamental, à savoir favoriser un rythme d’expansion monétaire qui n’empêche pas les taux d’inflation de se situer dans une fourchette de 1 à 3 p. 100 jusqu’à la fin de 1998. S’ils n’avaient pas cru que la réduction était fondée, les marchés n’auraient jamais toléré un geste aussi risqué. Le contexte économique, les attentes et la perception des marchés déterminent la marge de manoeuvre dont dispose la banque centrale.

Il est important de se rappeler que la Banque du Canada peut influer directement sur les taux de très court terme (comme les taux d’un jour). Au-delà de cela, son influence se fait sentir de façon très indirecte. Par exemple, pour les taux de long terme (comme le taux des obligations de dix ans), la banque centrale agit par l’entremise des attentes inflationnistes. Elle peut influer sur ces attentes en montrant aux marchés du capital que l’inflation est matée. Si les marchés estiment qu’il existe des risques d’inflation, ils forceront une augmentation des taux d’intérêts de long terme par des interventions dans le secteur des obligations. Les marchés agissent en quelque sorte comme des stabilisateurs automatiques puisque cette augmentation soudaine des taux de long terme contraint l’économie beaucoup plus rapidement qu’une augmentation graduelle des taux de court terme qu’aurait imposée une banque centrale. Les forces du marché obligataire neutralisent donc toute politique monétaire jugée imprudente.

Les banques centrales doivent choisir une politique qui garantit la stabilité des prix (une politique que les marchés du capital sauront récompenser). Elles n’ont pas le luxe d’opter pour une politique monétaire expansionniste qui nuirait aux attentes en matière d’inflation (une politique risquée qui serait vertement dénoncée). Les forces du marché du capital doivent donc être perçues comme des partenaires guidant les banques centrales qui serrent de trop près de l’instabilité des prix.

L’INCIDENCE POSITIVE DE LA MONDIALISATION DU MARCHÉ
DU CAPITAL SUR LA POLITIQUE FISCALE

La mondialisation du capital permet aussi aux gouvernements de financer leur dette et leur déficit du compte courant à bien meilleur coût qu’avant. Grâce à ce grand pool de capitaux internationaux, les gouvernements, même ceux qui ont de graves problèmes budgétaires, peuvent emprunter facilement et à plus faible coût puisque les bons gouvernements subventionnent en quelque sorte le prix du capital. Le moindre différentiel dans les taux d’intérêts offerts aux investisseurs attirera des capitaux étrangers. Le paradoxe, c’est que ce libre accès au capital international peut également nuire aux économies, car les gouvernements peuvent devenir de plus en plus gros. C’est à cause du libre accès au capital que des pays comme les États-Unis sont devenus des emprunteurs nets au début des années 80(14).

Il ne fait toutefois aucun doute qu’en bout de ligne la mondialisation du capital limite les interventions gouvernementales. À mesure que la situation budgétaire se détériore, la capacité d’emprunter diminue. Il vient un moment où les marchés ne tolèrent plus une situation budgétaire qu’ils jugent dangereuse. Lorsque cela se produit, les gouvernements doivent souvent diminuer les dépenses et réduire les activités gouvernementales en redéfinissant le rôle de l’État et en privatisant une foule d’activités publiques par exemple.

La santé budgétaire d’un pays influe sur les mouvements de capital. Parce que les investisseurs étrangers ont d’imposants portefeuilles, il ne faut pas s’étonner de leur susceptibilité lorsque la situation budgétaire d’un gouvernement se détériore constamment. Dans un contexte comme celui du Canada où, jusqu’à tout récemment, la dette publique croissait plus rapidement que la capacité de payer, toute augmentation des déficits augmentait à coup de milliards les besoins financiers des gouvernements. Même une modeste détérioration des finances publiques d’un gouvernement lourdement endetté pourrait signifier une importante baisse du prix des obligations, ce qui entraînerait une augmentation significative des taux d’intérêts et de facto un accroissement du coût du service de la dette publique. Le Canada n’échappe pas à ce risque.

À mesure que le gouvernement emprunte du capital, les marchés s’inquiètent parce que sa capacité de payer et de rembourser devient de plus en plus difficile. Faire face à ces extraordinaires obligations financières devient pénible, et il arrive un moment où les marchés ne tolèrent plus rien. Une crise de confiance s’installe alors. Comme le disait David Dodge en 1993 :

On se trouve soudain face à un mur et des ennuis terribles commencent. [...] Le chemin est long et la falaise est abrupte. On est dans l’obscurité et l’on ne sait pas exactement où se trouve le précipice. Je peux simplement vous dire que nous [le Canada] en sommes si près que nous pouvons déjà sentir l’odeur de la mer, nous ferions donc mieux de ne pas essayer de nous approcher plus de ce précipice(15).

La Nouvelle-Zélande, l’Italie, le Mexique et la Suède ont déjà connu pareille situation.

La quantité d’options mises à la disposition d’un gouvernement ainsi coincé est plutôt limitée. Fortement endetté, il pourrait bien tenter d’augmenter les impôts des particuliers et des sociétés pour régler ses problèmes. Toutefois, en raison de la mondialisation du capital, il ne peut imposer des augmentations d’impôt qui seraient disproportionnées par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays. En effet, parce que le capital est très mobile, un entrepreneur peut redéployer une partie de ses opérations vers des pays où la ponction fiscale exigée de la part des sociétés est relativement moins élevée.

Les marchés s’inquiètent aussi du fait qu’un gouvernement endetté pourrait, en désespoir de cause, opter pour des politiques risquées sur le plan de l’inflation. Plutôt que de réduire les dépenses publiques afin de régler ses problèmes budgétaires, un gouvernement à court d’idées pourrait être tenté, pour stimuler son économie, d’augmenter les dépenses publiques, de réduire les taux d’intérêts, de monétiser la dette, de mettre en place des restrictions sur les mouvements de capitaux ou de forcer les banques à détenir un grand pourcentage d’obligations gouvernementales. Inquiets parce que de telles politiques envenimeraient davantage la santé déjà précaire des finances publiques, les marchés se départiraient tout simplement de leurs obligations.

Du point de vue de la politique gouvernementale, cette crainte qu’ont les marchés face à un problème budgétaire signifie qu’un gouvernement peut perdre plusieurs des leviers économiques contracycliques généralement déployés lors d’une récession par exemple. Ainsi, parce qu’ils ne croient pas que le malaise budgétaire se résorbera, les marchés financiers ne permettent plus à un gouvernement qui n’a plus la capacité de rembourser d’augmenter ses dépenses publiques même pour améliorer le filet social lors d’un ralentissement sévère de son économie.

Il est paradoxal que la solution aux problèmes économiques d’un pays réside souvent dans la compression des dépenses plutôt que dans la stimulation économique. Pour plusieurs pays fortement endettés, une réduction des dépenses publiques pourrait stimuler l’économie, car elle aurait pour conséquence de réduire les taux d’intérêts et les coûts du service de la dette. Cette réduction des taux d’intérêts stimulerait l’économie.

Le Canada illustre bien ce paradoxe. La position du solde de la balance courante ne cesse de s’améliorer depuis 1993, et les taux d’intérêts diminuent ou se stabilisent. Les citoyens du Canada commencent à profiter des bénéfices découlant de la saine gestion, souvent indigeste, des finances publiques. Il ne faut pas voir les contraintes imposés par le monde de la finance internationale comme étant mauvaises en soi mais plutôt comme une protection contre les politiques fiscales néfastes.

CONCLUSION

Selon Gregory Millman  :

Tout comme les chasseurs de tête de l’Ouest d’autrefois, les cambistes souscrivent à la loi économique non par amour de la loi, mais pour le profit. Ils n’ont qu’un but ? faire de l’argent. [...] [Ce] sont des justiciers. Parce que les gouvernements n’ont pas été en mesure d’assurer la paix et l’ordre financiers, les cambistes se font eux-mêmes justice. Il faut payer pour s’assurer leur protection(16).

Afin de mieux contrôler ces forces, les opposants au marché du capital comme Millman disent qu’il est temps que les gouvernements contrôlent les mouvements de capitaux et taxent les transactions financières. Ils pensent qu’en mettant fin aux transactions spéculatives, les gouvernements retrouveront leur pleine souveraineté. À cet égard, le gouverneur de la Banque du Canada témoignant il y a un an devant le Comité permanent des finances, a déclaré ce qui suit :

La taxe Tobin, qui viserait à décourager les flux monétaires spéculatifs, ne découragera aucun spéculateur. De fait, elle pourrait même nuire aux transactions ordinaires. Le vrai problème est que les transactions financières se font fréquemment pour des fluctuations très minimes. Autrement dit, la transaction financière ordinaire [...] a tendance à se faire avec des marges très étroites. Les spéculateurs, quant à eux, sont généralement à la recherche de gains très importants. Il faudrait donc que la taxe Tobin soit très élevée pour décourager l’action des spéculateurs. [...] [O]n découragerait en même temps les transactions financières légitimes(17).

Une telle taxe nuirait donc à la mobilité du capital et en augmenterait le prix. Il est en effet impossible de s’attaquer uniquement aux transactions spéculatives; par conséquent, toutes les transactions, bonnes ou mauvaises, seraient touchées si une taxe était imposée. D’autre part, plutôt que de stabiliser les devises, une telle taxe pourrait déstabiliser les marchés à cause du manque de liquidité. La solution ne réside donc pas dans le contrôle des mouvements de capital.

Les forces du marché du capital peuvent être très utiles pour empêcher les gouvernements de poser des gestes injustifiés. Elles n’hésitent pas à punir les gouvernements qui agissent sans fondement économique. Elles les forcent à faire des choix. Les politiques qui assurent la stabilité attirent les capitaux. Les gouvernements peuvent emprunter d’autres voies, mais ils doivent alors subir les conséquences de leur choix.

Si les marchés sont convaincus que l’inflation est parfaitement contrôlée, ils sauront faire preuve de laxisme. Le Canada constitue un bon exemple de cette situation. Parce que les forces du marché sont maintenant convaincues que la politique qu’a adopté la Banque du Canada est crédible et empêche toute reprise de l’inflation, les marchés obligataires canadiens ont pu résister à tous les récents soubresauts. Malgré les variations sur le marché américain, le dollar canadien a rarement été aussi stable qu’il ne l’est actuellement. Certains prévoient qu’il y aura des hausses importantes des taux d’intérêt aux États-Unis. Le Canada pourra résister à la pression à la hausse. Parce que les marchés sont de plus en plus convaincus que le Canada a réussi à mater l’inflation et que la balance courante et l’état des finances publiques ne cessent de s’améliorer, il est peu probable que les hausses des taux aux États-Unis affecteront le Canada à la hausse. Tout au plus, les taux se stabiliseraient. Les marchés ne se montreront pas aussi exigeants envers le Canada qu’envers ses voisins du sud.

Les marchés aiment aussi être réconfortés de façon périodique. Les gouvernements doivent faire preuve de transparence dans leurs politiques fiscales et monétaires (comme l’a fait le Canada en adoptant une fourchette cible du taux d’inflation et un ratio déficit/P.I.B.) et rendre des comptes de façon régulière (comme le font la Banque du Canada en publiant semi-annuellement un Rapport sur la politique monétaire et le gouvernement du Canada en publiant une mise à jour économique et financière). Les marchés peuvent ainsi savoir si les gouvernements ont, oui ou non, atteint leurs objectifs. Ce qui est encore plus important, c’est que parce que les autorités rendent publique l’information pertinente, les forces du marché réagiront toujours à temps; le remède qu’elles imposeront sera ainsi moins difficile à avaler.

Dans un contexte d’assainissement des finances publiques et d’inflation matée, les gouvernements peuvent gouverner librement, comme ils l’ont toujours fait. Si un gouvernement a les moyens de s’offrir ponts, système de santé et universités, les marchés ne réagiront pas.

Si un gouvernement dépense trop et a perdu le contrôle de ses finances publiques ou qu’il contrôle mal l’inflation, les forces du marché se feront tout simplement entendre. Le gouvernement aura toujours le choix d’appliquer les politiques qu’il choisit, mais il ne pourra empêcher les forces du marché de réagir à celles-ci.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Banque des règlements internationaux. Recent Developments in International Interbank Relations. Basle, juin 1990.

Banque des règlements internationaux. International Capital Flows, Exchange Rate Determination and Persistant Current-Account Imbalances. Basle, juin 1990.

Canada, Ministère des Finances. La mise à jour économique et financière. Ottawa, 6 décembre 1995.

Caverley, John. « The Currency Wars ». Harvard Business Review, mars-avril 1995, p. 44-151.

« Who’s in the Driving Seat ». The Economist, Survey, The World Economy. 7-13 octobre 1995.

Fieleke, Norman J. « International Capital Movements : How Shocking Are They ». New Economic Review. Federal Reserve Bank of Boston, mars-avril 1996, p. 41-60.

Millman, Fregory J. The Vandals’ Crown : How Rebel Currency Traders Overthrew the World’s Central Banks. New York, The Free Press, 1995.

OCDE. Tendances des marchés de capitaux. Paris, novembre 1995, no 62.

Tobin, James. The Tobin Tax on International Monetary Transactions. Centre canadien de recherche en politiques de rechange. 10 pages.


(1) Norman S. Fieleke, « International Capital Movements : How Shocking Are They », New England Economic Review, Federal Reserve Bank of Boston, mars-avril 1996, p. 42-43.

(2) On peut parler de taux d’intérêts réels ex-post (le taux nominal versé aux investisseurs moins le taux d’inflation observé) ou ex-ante (le taux d’intérêt nominal moins le taux d’inflation prévu, qui lui est basé sur des tendances historiques et les fourchettes cibles guidant les banques centrales). Les décisions d’investissements et d’épargne sont fondées sur des anticipations. Il faut donc employer les taux réels ex-ante afin de comparer les taux de rendement.

(3) « Who’s in the Driving Seat », The Economist, Survey, The World Economy, 7-13 octobre 1995, p. 6.

(4) En 1992, les cambistes transigeaient quotidiennement un volume de devises valant 880 milliards de dollars US et un volume d’obligations de 200 milliards de dollars. (« Who’s in the Driving Seat »... (1995), p. 4.) Voir aussi John Calverley, « The Currency Wars », Harvard Business Review, mars-avril 1995, p.146.

(5) « Who’s in the Driving Seat »... (1995), p. 10.

(6) Ibid., p. 4.

(7) Banque des règlements internationaux, Recent Developments in International Interbank Relations, Basle, juin 1990. tableau 6, page 49.

(8) « Who’s in the Driving Seat »... (1995), p. 9.

(9) Recent Developments in International Interbank Relations (1990), tableau 12, page 55.

(10) « Who’s in the Driving Seat »... (1995), p. 10.

(11) La situation actuelle s’est considérablement améliorée par rapport à 1994. La réduction observée en 1995 s’explique par la réduction du déficit du secteur public et par une augmentation du niveau d’épargne intérieur. D’autre part, le solde de la balance commerciale du Canada s’est grandement amélioré en 1994 par rapport à celui de 1993. (En 1993, le solde de la balance commerciale s’établissait à 9,3 milliards de dollars, alors qu’il était de 15 milliards en 1994 et de 28,2 milliards en 1995).

(12) La balance des invisibles comporte les éléments suivants : le solde des services (y crompris le solde touristique), le solde des revenus de placements (y crompris les dividendes et bénéfices) ainsi que le solde des transferts (y compris les successions et les capitaux en provenance et à destination de l’étranger).

(13) Gregory J. Millman, The Vandals’ Crown: How Rebel Currency Traders Overthrew the World’s Central Banks, New York, The Free Press, 1995. p. xii (traduction).

(14) Dans un régime de taux de change fixe, comme celui qui a existé de 1944 à 1972 en vertu de l’Accord de Bretton Woods et dans lequel les mouvements internationaux de capitaux étaient restreints, les gouvernements devaient financer les déficits de la balance courante à même le capital disponible sur le marché intérieur et leurs réserves. Les gros déficits budgétaires et commerciaux étaient en quelque sorte exclus.

(15) Comité permanent des finances, Procès verbaux et témoignages, 1er juin 1993, p. 65:35

(16) Millman (1995), p. xiii.

(17) Comité permanent des finances, Procès-verbaux ... (1993), p. 134:21.