BP-426F
LES CAMPS DE TYPES MILITAIRE
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Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES
CARACTÉRISTIQUES DES CAMPS DE TYPE MILITAIRE ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DES CAMPS DE TYPE MILITAIRE
LES CAMPS DE TYPE MILITAIRE
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Depuis plus de 15 ans, il existe aux États-Unis des camps pour contrevenants qui, modelés sur l'entraînement militaire de base, mettent l'accent sur la discipline et la mise en forme physique. Au Canada, ce nest que récemment que les législateurs ont commencé à envisager cette formule comme peine pour les jeunes contrevenants. En 1994, l'Alberta a inauguré, à l'intention des jeunes contrevenants autochtones, un « camp de travail » imposant une discipline de fer(1), tandis qu'un camp de type militaire « à la mode du Manitoba » a été établi dans cette province, toujours pour les jeunes contrevenants. Lors d'une conférence de presse qui a eu lieu à l'Assemblée législative de l'Ontario le 29 août 1996, le solliciteur général et ministre des Services correctionnels de cette province a annoncé que son gouvernement avait l'intention de mettre à l'essai une formule « discipline de fer » dans le cadre d'un projet pilote destiné à 30 à 50 adolescents récidivistes à risque élevé, au plus tard en janvier 1997(2). Un groupe de travail sur la discipline de fer, pour les jeunes contrevenants, constitué par le ministre, a recommandé la mise sur pied d'un programme aux principales caractéristiques suivantes : des journées de 16 heures très structurées, l'enseignement obligatoire, le port d'un uniforme, une formation en dynamique de la vie, une activité physique rude et pas de temps morts. Le projet pilote sera divisé en deux composantes : les contrevenants purgeront d'abord de quatre à six mois de leur peine en milieu fermé, puis ils passeront de trois à six mois sous surveillance dans un milieu ouvert communautaire. Une discipline de fer est la clé du programme proposé. Pour justifier la décision de son gouvernement de créer un camp de type militaire pour les jeunes qui sont violents, le solliciteur général de l'Ontario a déclaré : « Les Ontariens ont maintes fois réclamés des sanctions plus sévères contre les jeunes qui font montre d'un souverain mépris de la loi. Notre gouvernement est déterminé à mettre sur pied un programme qui initiera les jeunes contrevenants à la discipline et au sens des responsabilités »(3). Quels sont les objectifs des camps de type militaires? Ont-ils réussi à les atteindre? Dans ce document, nous répondrons à ces questions en faisant brièvement l'historique des camps de ce type aux États-Unis et en examinant les constatations des chercheurs qui ont évalué leur efficacité. On a commencé à considérer les camps de détention de type militaire comme une peine possible aux États-Unis, en 1983. Il en existe maintenant plus de 40 dans 29 États(4). C'est l'une des peines « mordantes » que les juges peuvent maintenant imposer aux États-Unis depuis une vingtaine d'années. Dans les publications américaines sur la détermination de la peine, les camps de type militaire sont classés dans la catégorie des sanctions dites «intermédiaires». Ces sanctions pénales, aussi appelées « solutions de rechange communautaires aux prisons », sont censées être plus dures et plus contraignantes que la liberté surveillée, mais moins dispendieuses et moins restrictives que la prison(5). Comme le temps passé dans ces camps constitue une incarcération par définition, même si ce n'est pas dans une prison traditionnelle et que la peine est beaucoup moins longue, l'expression « sanction intermédiaire » est vraiment mal choisie. Nous n'allons pas corriger ici cette imprécision conceptuelle retrouvée dans toutes les publications traitant des sanctions communautaires, mais nous la soulignons parce que la création de ces camps de type militaire aux États-Unis vise, entre autres, les deux objectifs suivants : réduire le surpeuplement des prisons et diminuer les frais du système pénitentiaire. Les établissements pénaux de type militaire se sont multipliés aux États-Unis dans les années 80 et 90 pour trois grandes raisons(6). Premièrement, dans les années 60 et 70, certains ont contesté le fait que les efforts de réadaptation réussissaient à empêcher la récidive et à protéger la population. Pour eux, « rien ne marchait » et c'est pourquoi la réadaptation a perdu de son importance dans le choix de la peine(7). Deuxièmement, le principe « avoir ce qu'on mérite » a supplanté l'élément réadaptation de la peine; autrement dit, le châtiment devait être proportionnel au crime. On croyait que la sévérité de la punition devait être fixée en fonction de la gravité de l'infraction commise et non des traitements dont son auteur a besoin ou des risques qu'il pose. Troisièmement, les questions entourant la justice criminelle ont été politisées. De plus en plus, les candidats prônant l'ordre public ont mis en corrélation la sécurité de la population et les peines plus rigoureuses et ils ont fait campagne en promettant d'en instituer. La « simple » liberté surveillée n'était plus considérée comme un choix valable à cause de la pression politique en faveur de sanctions plus dures, conjuguée à la notion que tout châtiment autre que la prison ne comptait pas. Il y a donc eu une croissance sans précédent non seulement de la population des établissements pénitentiaires étatiques et fédéraux, mais aussi des frais de construction et d'entretien des prisons. Ensemble
En réaction, les États ont commencé à aménager des camps de type militaire pour envoyer les criminels ailleurs que dans les prisons ordinaires. Les effets escomptés de ces nouveaux établissements -- l'imposition de peines sévères aux auteurs d'actes criminels en même temps qu'une diminution du surpeuplement des prisons, des frais des contribuables et de la récidive -- expliquent leur attrait. D'ailleurs, l'immense appui populaire dont jouissent ces camps aux États-Unis ne cesse de croître, en grande partie parce que leur organisation quasi militaire, qui met l'accent sur une discipline rigide, des tâches physiques ardues, l'exercice, le drill et les cérémonies, est réputée punir assez sévèrement et comme il se doit ceux qui ont enfreint la loi(9). CARACTÉRISTIQUES DES CAMPS DE TYPE MILITAIRE Les camps de type militaire américains imposent aux détenus un régime dur et exigeant. Les programmes se comparent à ceux des établissements à sécurité minimale, bien que les installations ne ressemblent pas à celles d'une prison ordinaire et que le temps qui y est passé soit relativement court (habituellement entre 90 et 180 jours). Tous les camps de ce type observent le régime de l'entraînement militaire de base, mais ils varient énormément à certains égards importants(10). Si certains de ces camps acceptent les mineurs et les femmes, le participant moyen est un homme de 17 à 25 ans. Certains détenus y entrent « par l'escalier de service », c'est-à-dire qu'ils sont choisis par les agents de correction parmi un groupe de délinquants condamnés, par le juge, à une peine de prison ordinaire. D'autres programmes n'acceptent que les détenus condamnés au camp de type militaire par le tribunal lui-même. Il y a aussi d'autres différences entre les camps, par exemple, la proportion de détenus renvoyés avant d'avoir terminé le programme, la possibilité ou non pour les détenus de refuser d'aller au camp et le choix ou non d'abandonner le programme pour purger le reste de leur peine en prison. D'après la documentation, les principales différences entre les divers camps de type militaire aux États-Unis ont trait à la nature et à la durée des activités quotidiennes. Dans certains camps, les programmes correspondant aux facteurs criminogènes des condamnés, notamment la désintoxication, le counseling et l'instruction ou la formation, sont privilégiés, alors que dans d'autres, on insiste sur le travail, le drill et l'entraînement sans aucune intervention ou presque visant la réadaptation. Les camps de type militaire varient aussi selon le type de suivi ou de soutien communautaire dont jouit le détenu après sa libération. Certains se retrouvent en probation ordinaire, d'autres ont droit à une liberté étroitement surveillée, tandis que d'autres encore sont soumis à une surveillance électronique. Les camps de type militaire réussissent-ils à atteindre les objectifs fixés, soit atténuer le surpeuplement des prisons tout en réduisant le coût des services pénitentiaires et le taux de récidive des ex-détenus de ces camps? Comme ils existent depuis peu au Canada et que ces programmes n'ont fait lobjet daucune évaluation empirique jusqu'à présent, les renseignements qui suivent sont tirés des conclusions de recherches effectuées aux États-Unis. ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DES CAMPS DE TYPE MILITAIRE Certains se sont penchés sur le taux de récidive des hommes libérés des camps de type militaire de huit États, à savoir la Caroline du Sud, la Floride, la Géorgie, l'Illinois, la Louisiane, New York, l'Oklahoma et le Texas(11). Dans la plupart des cas, seuls les jeunes homme, qui avaient commis des infractions sans violence et n'avaient jamais été condamnés pour des crimes graves ni incarcérés, avaient le droit d'aller dans ces camps. Leur taux de récidive a été comparé à celui de groupes de référence ? des hommes en liberté conditionnelle ou surveillée et des décrocheurs des camps de type militaire dont les caractéristiques démographiques, le passé criminel et l'infraction à l'origine de la dernière peine leur donnaient légalement le droit de participer à un camp de type militaire. Dans quatre des États ? la Caroline du Sud, la Floride, l'Oklahoma, et le Texas --, on na constaté aucune différence significative entre le taux de récidive des « diplômés » des camps et celui des groupes de référence. Autrement dit, les chercheurs n'ont relevé aucun signe indiquant que les camps de type militaire avaient une incidence sur la récidive. Dans les quatre autres États, ils ont constaté quelques différences significatives. Les hommes libérés du camp de la Géorgie avaient en fait un taux de récidive plus élevé que celui de l'échantillon de référence. Ce résultat décourageant a été attribué au fait que le camp mettait l'accent sur la mise en forme physique et sur une discipline de style militaire, et qu'il offrait un minimum d'interventions pour traiter les détenus qui avaient besoin de l'être.
Les camps de l'Illinois, de la Louisiane et de New York ont eu plus de succès. Les détenus qui ont terminé le programme avaient un taux de récidive inférieur à celui du groupe de référence pour la plupart des mesures choisies. Ce résultat heureux a été attribué à certaines caractéristiques de ces trois programmes, à savoir le fait que trois heures ou plus de travail de réadaptation étaient intégrées dans l'horaire quotidien; qu'à la fin du programme du camp, les détenus libérés ont été soumis à une surveillance étroite et solidement épaulés dans la collectivité; que les participants au programme avaient tous été condamnés à l'emprisonnement, mais qu'ils s'étaient proposés pour purger leur peine au camp de type militaire plutôt que dans une prison ordinaire; et que les programmes efficaces avaient duré plus longtemps (entre 120 et 180 jours) que ceux des autres camps. Ces constatations sont compatibles avec les recherches montrant que le taux de récidive diminue lorsque les détenus bénéficient d'excellents traitements correctionnels et d'un suivi intensif, mais non quand on se contente de châtier(13). Dans une autre étude, on a évalué trois programmes expérimentaux de camps de type militaire pour les jeunes contrevenants à Cleveland (Ohio), à Denver (Colorado) et à Mobile (Alabama)(14). Les participants à ces programmes de 90 jours étaient des garçons de moins de 18 ans qui avaient été condamnés pour des infractions sans violence. L'emploi du temps quotidien était extrêmement structuré, les détenus étant soumis à des exercices et à la discipline militaires, à des corvées et à un entraînement physique. Les programmes n'offraient pas tous des interventions de réadaptation telles que les études, l'apprentissage de la vie active, le counseling et le traitement de la toxicomanie. Le programme de Cleveland tentait de trouver le juste milieu entre les besoins de réadaptation des détenus et les exigences d'un régime militaire. C'est le seul programme qui privilégiait des stratégies thérapeutiques et reconnaissait l'importance de se socialiser dans un milieu sûr et confortable structuré par un régime militaire(15). Les camps de Denver et de Mobile privilégiaient tous deux la méthode militaire en s'efforçant de favoriser un comportement acceptable et de décourager la déviance. Les participants au camp de Denver ont reçu moins d'instruction et de préparation à la vie active, alors que ceux de Mobile en ont eu un peu plus. Le personnel choisi pour administrer le programme de Cleveland avait l'expérience à la fois de l'armée et du counseling, tandis que celui de Denver et celui de Mobile devaient avoir d'abord et avant tout un passé militaire. Seul le programme de Cleveland était facultatif et tous les participants avaient été condamnés à la prison. Le programme de Mobile acceptait les jeunes qui avaient manqué aux conditions de leur probation, alors que celui de Denver ciblait les probationnaires. Enfin, dans chacun des programmes, il y a eu un suivi de six à neuf mois dans la communauté. À Cleveland et à Denver, ce suivi se faisait dans des centres servant expressément à cette fin. Ceux qui terminaient le programme de Mobile étaient dirigés vers les clubs locaux pour les filles et les garçons où ils pouvaient participer aux activités après l'école et en soirée. À Denver, le suivi était concentré sur les études. Les programmes de réadaptation de Cleveland assurait une continuité entre le camp de type militaire et le suivi. Pendant la période de détention, les participants aux trois camps ont amélioré leur attitude, leur comportement, leurs résultats scolaires et leur forme physique et la majorité dentre eux ont suivi le programme jusqu'au bout. Malheureusement, les effets positifs de la discipline rigoureuse, du contrôle sévère et de l'examen scrupuleux de leur comportement se sont évaporés dès la suppression des contraintes(16). De fait, la discipline incorporée à l'emploi du temps n'a pas réussi à amener bon nombre des jeunes contrevenants à acquérir une autodiscipline. Pour les trois camps, à peine la moitié des participants ont terminé avec succès le programme de suivi et une proportion importante des jeunes ont été arrêtés pour de nouveaux crimes. Le taux d'échec du suivi et la proportion de nouvelles arrestations ont été de 70,5 p. 100 et de 32,8 p. 100 respectivement à Denver; de 50 p. 100 et 33 p. 100 à Cleveland; et de 28,3 p. 100 et 20,2 p. 100 à Mobile. Le taux d'échec relativement bas dans cette dernière ville est attribué au fait que le programme visait des jeunes au passé criminel moins lourd que ceux de Denver et de Cleveland. On donne d'ailleurs à penser que tous les programmes auraient accepté de trop nombreux contrevenants qui se prêtaient mal à l'expérience.
Dans une autre étude, on a évalué le changement d'attitude des détenus d'un camp de type militaire à Harris County, au Texas(18). Parmi les participants au programme de 90 jours, il y avait des condamnés (de 17 à 24 ans) en liberté surveillée. Même si l'on privilégiait l'« entraînement paramilitaire » (c.-à-d. la mise en forme physique), les participants ont reçu une certaine formation professionnelle et du counseling en alcoolisme et toxicomanie. À la deuxième étape du programme, ils ont été placés en liberté surveillée « super-étroitement » pendant 90 jours. La recherche avait pour but d'évaluer les probationnaires à leur arrivée au camp et à la fin du programme afin de déterminer quel effet leur séjour au camp avait eu sur leur attitude à l'égard du personnel du camp, du programme du camp, du rôle des sanctions et de la réadaptation dans le programme, de leurs possibilités d'avenir, du counseling en toxicomanie, de l'éducation et du counseling à propos du sida et de la qualité des relations avec la famille et les amis. On a aussi analysé des indicateurs de la maîtrise de soi, de l'impulsivité et des capacités d'adaptation(19). Les réponses des participants aux questions posées dans l'enquête indiquent un changement d'attitude pour le mieux chez les probationnaires qui ont terminé le programme. Ces contrevenants ont déclaré retenir une impression favorable du programme du camp et de leurs possibilités d'avenir, ressentir des effets positifs des services de counseling en alcoolisme et toxicomanie, avoir amélioré leurs relations avec les membres de leur famille, et éprouver une plus grande maîtrise de soi et une impulsivité moindre(20). La recherche n'a pas mesuré la proportion de probationnaires qui ont terminé le suivi du programme ni leurs comportements criminels après la libération. Les programmes des camps de type militaire américains avaient pour but de réduire la taille de la population carcérale, le coût des services correctionnels et le taux de récidive. D'après l'opinion éclairée d'un des chercheurs, les constatations de l'évaluation font réfléchir(21). Si certaines études ont montré que l'attitude et le comportement des participants étaient meilleurs, pendant qu'ils se trouvaient au camp, que ceux des détenus comparables incarcérés dans des prisons ordinaires, les taux de récidive des deux groupes après leur mise en liberté tendent à converger. Les auteurs des rares études indiquant, chez les « diplômés » des camps, un taux de récidive inférieur à celui des groupes de référence ont trouvé une corrélation entre ce taux inférieur et des facteurs tels que les programmes de réadaptation et un meilleur suivi, plutôt qu'entre le taux et l'activité physique et la discipline militaire(22). Un chercheur a souligné ce qui suit :
Les recherches ayant pour but d'évaluer l'incidence des camps de type militaire sur le surpeuplement des prisons n'ont pas abouti non plus à des conclusions encourageantes. Cela est dû en grande partie au type de délinquants qui sont condamnés à purger leur peine dans un camp. On constate de plus en plus que les juges ne tiennent souvent pas compte des critères d'admission en fonction desquels les programmes ont été conçus et qu'ils ont tendance à envoyer dans ces camps des contrevenants à faible risque qui, normalement, ne seraient pas incarcérés. Seulement la moitié des contrevenants condamnés à un camp de type militaire seraient allés en prison autrement; les autres auraient été en probation(24). Il y a donc accroissement de la portée des peines. Pour que lincarcération dans un camp de type militaire constitue une vraie solution de rechange à l'emprisonnement et qu'elle entraîne une réelle diminution de la taille de la population carcérale, il faudrait qu'elle cible les contrevenants qui ont été condamnés à des peines de prison ordinaires. Selon un analyste, pour faire de la place dans les prisons, il faudrait que 80 p. 100 des détenus qui se retrouvent dans des camps aient été condamnés à la prison(25). Comme nous l'avons exposé précédemment, les camps de type militaire imposent aux détenus un régime rigoureux et exigeant physiquement, et ils les astreignent à une surveillance très étroite pendant une période de probation consécutive à leur remise en liberté, à l'issue du programme. On a constaté une corrélation entre ces obligations d'une part et le nombre élevé d'échecs en cours de programme et de manquements aux conditions du suivi d'autre part, des incidents qui se terminent par de nouvelles condamnations à la réclusion. Entre 30 et 50 p. 100 des participants à un camp décrochent avant la fin du programme. De plus, le taux de révocation pour des manquements techniques aux conditions de la probation est plus élevé chez ceux qui ont terminé le programme et qui sont en suivi communautaire que chez les contrevenants comparables qui sont en probation ordinaire. C'est sans doute parce que les premiers sont surveillés de plus près et donc plus susceptibles de se faire pincer(26). Une proportion importante de ceux qui sont condamnés de nouveau à la prison avaient été envoyés au camp au lieu d'être mis en liberté surveillée et non au lieu d'être incarcérés. Il y a donc augmentation du nombre de détenus. Or, s'il n'y avait pas eu de camp de type militaire, ces détenus auraient probablement été condamnés à une solution de rechange communautaire moins contraignante. En étendant le champ d'application des peines d'incarcération qui sont alors imposées à ceux qui abandonnent le programme ou qui enfreignent les conditions du suivi, on ne diminue pas le nombre des détenus, l'encombrement des prisons ni les coûts de la justice pénale, au contraire, on les accroît.
En fait, on a réussi à obtenir de modestes diminutions de la population carcérale et des coûts en conférant aux agents de correction le pouvoir de transférer aux camps de type militaire les détenus aptes à en profiter(28). On pourrait contrer cette tendance des juges à multiplier les peines de détention en restreignant leur pouvoir discrétionnaire de condamner les contrevenants à des sanctions intermédiaires, mais cette solution ne réglerait pas le problème des taux élevés d'échec en cours de programme et de révocation de la liberté surveillée dans le cadre du suivi. En s'appuyant sur des données rassemblées pendant une dizaine d'années, un chercheur américain ayant une vaste expérience de l'évaluation des camps de type militaire a proposé une série de critères à remplir si l'on veut diminuer la population carcérale. Les voici :
Diminuer les taux de récidive, est toutefois une autre affaire. Pour les rares camps qui y sont parvenus, on a estimé que c'est la qualité des programmes de réadaptation offerts et du soutien apporté après le départ du camp, et non le régime militaire strict qui explique les résultats obtenus. Ces conclusions nous amènent à poser la question suivante. Une sanction autre que l'incarcération, assortie d'excellentes interventions thérapeutiques intensives et d'un suivi comparable, mais dépourvue de l'élément entraînement militaire de base, réussirait-elle mieux ou moins bien que les camps de type militaire à réduire le taux de récidive(30)? Pour les législateurs, sont prioritaires, entre autres, les questions de société, de droit et d'ordre public suivantes : accroître la sécurité individuelle et collective, atténuer la crainte que le crime inspire et augmenter le nombre de peines autres que la détention afin de réduire la population carcérale et le coût du système correctionnel. Les camps de type militaire, une sanction populaire aux États-Unis parce qu'elle vise ces objectifs, commencent à gagner des partisans au Canada, surtout pour les jeunes contrevenants. Pourtant, des recherches sociologiques objectives -- qui sont le fondement de solides politiques et programmes dans le domaine de la justice pénale -- ont toutes conclu que l'on attendait trop de ce mode d'intervention. En réalité, il n'est pas prouvé que cette « discipline de fer » imposée aux États-Unis réduit la récidive et améliore la sécurité des gens. Les camps de type militaire n'ont pas réussi non plus à réduire l'utilisation des prisons conventionnelles. Au contraire, dans un certain nombre d'États, le programme a contribué à une augmentation des peines d'incarcération, ce qui a accru les pressions sur des services correctionnels déjà débordés. Cet effet possible des camps ne semble pas faire problème au Canada puisque la recherche de solutions de rechange à l'incarcération est le moteur des projets de camps de type militaire au pays(31). La réduction du taux de récidive est le but avoué du programme proposé en Ontario, d'après le solliciteur général de la province : « Je suis personnellement convaincu qu'un établissement imposant une discipline rigide aidera ces jeunes à ne pas récidiver, à se relever et à reprendre le droit chemin »(32). L'initiative a reçu un accueil mitigé, ce qui na rien de surprenant. Ses partisans applaudissent à l'attitude du gouvernement qui veut « serrer la vis ». Ses détracteurs dénoncent la création d'un tel établissement, étant donné les recherches montrant que les prisons en général, et les camps de type militaire en particulier, ne réduisent pas sensiblement le taux de criminalité. Un député libéral de l'opposition à l'assemblée législative de l'Ontario a qualifié le projet de « réaction instinctive devant cette formule magique voulant qu'il suffise d'un bon coup de pied au derrière de tous ces jeunes pour que tous nos problèmes disparaissent »(33). Le gouvernement de l'Ontario a l'intention d'évaluer, au bout de 6, 12 et 18 mois, les répercussions de son programme « discipline de fer » sur le taux de récidive. Si l'évaluation comporte un groupe de référence qui permettra de comparer l'efficacité du camp et celle des autres peines imposées aux jeunes contrevenants par le tribunal, on devrait obtenir une mesure objective des effets à court terme de ce projet ontarien de discipline de fer sur l'attitude et le comportement des jeunes contrevenants violents et asociaux. (1) John Howard Society of Ontario, « Boot Camps for Young Offenders », Fact Sheet no 8, août 1996, p. 2. (2) Canada Newswire, Task Force Recommends « Strict Discipline » Pilot Project, Toronto, 29 août 1996. (3) L. Wright, « Young Offenders' Boot Camps Ready Next Fall, Tories Say », Toronto Star, 21 novembre 1995 (traduction). (4) D.G. Parent, « Boot Camps Failing to Achieve Goals », M. Tonry et K. Hamilton (éd.), Intermediate Sanctions in Overcrowded Times, Boston, Northeastern University Press, 1995, p. 139. (5) Tonry et Hamilton (1995). (6) M. Tonry, Sentencing Matters, New York, Oxford University Press, 1996, p. 100-101 (traduction). (7) Ibid., p. 100. (8) Ibid., p. 100-101 (traduction). (9) D.L. MacKenzie et al., « Boot Camp Prisons and Recidivism in Eight States », Criminology, vol. 33, n° 3, 1995, p. 327. (10) Ibid., p. 328. (11) Ibid. (12) Ibid., p. 352 (traduction). (13) Ibid., p. 353. (14) B.B. Bourque et al., « Boot Camps for Juvenile Offenders: An Implementation Evaluation of Three Demonstration Programs », Research in Brief, National Institute of Justice, mai 1996. (15) Ibid., p. 4. (16) Ibid., p. 7. (17) Ibid., p. 8 (traduction). (18) V.S. Burton et al., « A Study of Attitudinal Change Among Boot Camp Participants », Federal Probation, septembre 1993. (19) Ibid., p. 46. (20) Ibid., p. 51. (21) Parent (1995), p. 139. (22) D.L. MacKenzie, « Boot Camps - A National Assessment », dans Tonry et Hamilton (1995), p. 152. (23) Ibid., p. 155 (traduction). (24) Tonry (1996), p. 106. (25) Parent (1995), p. 142. (26) Tonry (1996), p. 110. (27) Ibid., p. 111 (traduction). (28) Ibid., p. 110. (29) Parent (1995), p. 146-147. (30) MacKenzie et al., (1995), p. 354. (31) John Howard Society of Ontario (1996), p. 2. (32) M. Mittelstaedt, « Violent Offenders Will Be Sent to Boot Camp », Globe & Mail, Toronto, 30 août 1996 (traduction). (33) Southam News, « Kinder, Gentler Boot Camp Planned », Ottawa Citizen, 30 août 1996 (traduction). |