BP-443F
L'ANALYSE GÉNÉTIQUE EN CRIMINALISTIQUE
:
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
LES CHROMOSOMES, L'ADN ET LA GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE A. Les séquences répétées en tandem en nombre variable (SRTNV) B. Le polymorphisme de taille des fragments de restriction (RFLP) C. Les séquences courtes répétées en tandem (STR) D. La réaction en chaîne de la polymérase E. L'ADN mitochondrial (ADNmt) LES MÉTHODES D'ÉTABLISSEMENT DES EMPREINTES GÉNÉTIQUES A. L'analyse RFLP (analyse des fragments de restriction polymorphes) B.
Analyse PCR/STR (réaction en chaîne de la polymérase/séquence courte BANQUES NATIONALES D'EMPREINTES GÉNÉTIQUES A. Utilisation des banques d'empreintes génétiques dans d'autres pays B. Un projet de banque d'empreintes génétiques canadienne C.
Points de vue divergents
LANALYSE GÉNÉTIQUE EN CRIMINALISTIQUE :
Quand on a proposé à la fin du siècle dernier que les empreintes digitales soient utilisées come moyen d'identification des individus et comme preuve dans les affaires criminelles, cétait révolutionnaire. Pourtant, en dépit de la mise en garde faite il y a plus dun siècle par Sir Francis Galton, lutilisation des empreintes digitales comme preuve est une pratique établie de longue date et un outil inestimable pour la poursuite des criminels ainsi que pour lidentification des personnes disparues et des restes humains. Depuis une dizaine dannées, une technique encore plus révolutionnaire que celle des empreintes digitales est devenue pratique courante en criminalistique. La technique de lanalyse de lADN, aussi appelée analyse des empreintes génétiques, a été utilisée pour la première fois en 1986, en Angleterre, dans laffaire Colin Pitchfork, qui fut en fin de compte reconnu coupable de lagression sexuelle et du meurtre de deux adolescentes. Il est intéressant de signaler, compte tenu des récents événements qui ont eu lieu au Canada, que cette technique a dabord servi dans cette affaire à exonérer un jeune homme qui avait faussement avoué être lauteur des meurtres. Dans une tentative pour identifier le meurtrier des adolescentes dans laffaire Pitchfork, les autorités policières ont pris une mesure extraordinaire : ils ont demandé à la totalité de la population masculine de la région de donner volontairement des échantillons dADN aux fins danalyse. Colin Pitchfork a réussi à éviter dêtre identifié grâce à la nouvelle technique en convainquant lune de ses connaissances de donner un échantillon de sang à sa place. Par la suite, Pitchfork a été arrêté pour les meurtres et la technique des empreintes génétiques, qui navait joué aucun rôle dans son arrestation, a prouvé quil avait bel et bien tué les deux adolescentes. Il est aujourdhui en prison où il purge un certain nombre de sentences concurrentes, dont deux peines demprisonnement à perpétuité pour meurtre(2). La technique de lanalyse génétique en criminalistique a fait couler beaucoup dencre récemment au Canada et démontré, dans deux affaires de meurtre, quelle pouvait permettre dexonérer des personnes innocentes. En 1985, Guy Paul Morin a été arrêté pour le meurtre dune fillette de neuf ans, Christine Jessop, qui avait également été agressée sexuellement. Morin a été acquitté à son premier procès (en 1986) mais il a subi un nouveau procès et a été reconnu coupable en 1992. En 1995, après avoir passé 15 mois en prison, Morin a été exonéré à la suite de lanalyse de ses empreintes génétiques, technologie qui nexistait pas au moment où le crime a été commis. En fait, léchantillon dADN prélevé sur les vêtements de Christine Jessop était tellement dégradé en 1995 quil a fallu une forme perfectionnée de cette technique, qui venait à peine dêtre mise au point, pour réaliser lanalyse. Laffaire Morin, et la façon dont lenquête et la poursuite ont été menées, font actuellement lobjet dun examen approfondi par le gouvernement de lOntario. Plus récemment, lanalyse des empreintes génétiques a permis dexonérer David Milgaard, qui avait été condamné en 1969 pour le viol et le meurtre de Gail Miller, à Saskatoon. Milgaard a passé près de 23 ans en prison(3). Laffaire Milgaard diffère de laffaire Morin à plusieurs égards importants. Premièrement, on a retrouvé sur les vêtements de Gail Miller une abondante quantité dADN (tiré du sperme) aux fins danalyse. Un spécialiste américain en sérologie judiciaire, Edward Blake, qui est également un expert en empreintes génétiques, a prétendu que ces éléments de preuve, sils avaient été correctement analysés, auraient peut-être pu permettre dexonérer Milgaard en 1969 et auraient presque certainement permis de disculper Milgaard en 1992 quand de nouveaux tests ont été effectués(4). La deuxième différence importante entre laffaire Milgaard et laffaire Guy Paul Morin est que dans la première, la police a depuis lors arrêté un suspect en se fondant sur les empreintes génétiques obtenues en 1997. Larry Fisher, criminel déjà reconnu coupable de viols en série, et depuis longtemps soupçonné davoir trempé dans le viol et le meurtre de Gail Miller, a été arrêté par la GRC; lempreinte génétique de Fisher concorde avec celle obtenue à partir du sperme prélevé sur les vêtements de Gail Miller(5). Lanalyse des empreintes génétiques a maintenant été utilisée dans de nombreuses affaires criminelles et civiles partout dans le monde et elle est devenue une technologie bien établie. Cest en 1988 quelle a été utilisée pour la première fois au Canada. En octobre 1989, le laboratoire central de la GRC à Ottawa était capable « doffrir un service national danalyse des empreintes génétiques »(6).En plus des affaires Morin et Milgaard/Fisher décrites ci-dessus, lune des affaires les plus connues au Canada dans laquelle la poursuite a utilisé en preuve les empreintes génétiques est le procès pour meurtre dAllan Legere, qui a eu lieu en 1991 au Nouveau-Brunswick. En fin de compte, Legere a été reconnu coupable de meurtre, en partie grâce à ses empreintes génétiques. Dans le présent document, nous décrivons la technologie de lanalyse génétique et de létablissement des empreintes génétiques et traitons de léventuelle création dune banque nationale dempreintes génétiques. Mais nous donnons tout dabord un bref aperçu du contexte scientifique qui a permis de mettre au point la technique de lanalyse de lADN. LES CHROMOSOMES, LADN ET LA GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE Tous les organismes vivants sont constitués de cellules, qui sont les unités intégrées fondamentales de lactivité biologique. Chez les êtres humains, comme dans tous les autres organismes supérieurs, le matériel héréditaire, nommément lacide désoxyribonucléique ou ADN, est contenu dans le noyau de la cellule, dans des assemblages microscopiques appelés chromosomes. Les cellules humaines comportent 23 paires de chromosomes, pour un total de 46. Une cellule humaine typique a une paire de chromosomes sexuels et 22 paires de chromosomes non sexuels, appelées autosomes. Les unités de transmission des caractères héréditaires sont appelées gènes : on croit que les êtres humains possèdent entre 50 000 et 100 000 gènes qui sont situés dans lADN chromosomique, dans les noyaux des cellules. Lanalyse de lADN à des fins médico-légales, communément appelée analyse des empreintes génétiques, remonte à moins de dix ans. Toutefois, les éléments scientifiques de base remontent à au moins 1953, quand deux jeunes chercheurs de lUniversité de Cambridge, James Watson et Francis Crick, ont découvert la structure moléculaire de lADN(7). Ils ont fait oeuvre de pionniers et leurs travaux en génétique moléculaire ont pavé la voie à de spectaculaires percées réalisées ces dernières années dans la compréhension de lhérédité, de lévolution et du métabolisme. Par conséquent, avant dentrer dans les détails de lanalyse des empreintes génétiques et de décrire son apport important à la criminalistique, il faut avoir une certaine compréhension du fondement moléculaire de lhérédité. LADN est une molécule complexe à double brin structurée selon une forme hélicoïdale : cest la structure « en double hélice » qui est bien connue grâce aux articles de vulgarisation scientifique. La structure de lADN ressemble à une échelle en spirale dont les « côtés » sont constitués de molécules de sucre phosphate et les « barreaux » formés de paires de composés chimiques que lon appelle des bases azotées ou nucléotides. Il nexiste que quatre bases dans nimporte quel ADN, quelle quen soit la source : ladénine, la thymine, la guanine et la cytosine. La complémentarité des bases est spécifique : ladénine est toujours jumelée à la thymine et la cytosine est toujours jumelée à la guanine. Dans le jargon biochimique, comme on peut le voir à la figure 1, les paires de bases sont représentées par A-T (adénine-thymine) et G-C(guanine-cytosine). On estime quil y a environ trois milliards de paires de bases dans le génome humain, terme utilisé pour décrire la totalité du matériel héréditaire dans les 46 chromosomes.
Ces quatre bases ou nucléotides représentent « lalphabet génétique » et les séquences de paires de bases situées le long dune molécule dADN constituent un vocabulaire biochimique qui codifie toute linformation génétique essentielle aux processus de la vie. La spécificité absolue de la complémentarité des bases a permis lapparition dun mécanisme par lequel des molécules dADN « mères » peuvent être copiées pour constituer des molécules dADN « filles » identiques, dans le processus de reproduction. Ce mécanisme sappelle réplication (par opposition à dédoublement) et il est rendu possible parce que les deux côtés de la molécule dADN mère sont complémentaires au lieu dêtre identiques. Dans le processus de réplication, la molécule dADN mère se scinde en deux dans le sens de la longueur, chacun des côtés servant de matrice à lune des nouvelles molécules filles identiques. Quoique les gènes soient composés dADN et soient contenus dans les chromosomes dans le noyau de la cellule, une petite fraction seulement de cet ADN est en réalité utilisée pour constituer les gènes. En dautres termes, la plus grande partie de lADN des chromosomes chez lhomme na aucune fonction connue : cet ADN peut constituer plus de 95 p. 100 de leffectif total dADN dun être humain(8). Daprès une autre source, entre 2,5 et 3,3 p. 100 seulement de lADN se trouve dans les gènes(9). Ces observations semblent contredire la logique traditionnelle (ou évolutionniste), selon laquelle tout composant cellulaire, surtout sil est aussi important que lADN, doit avoir une fonction essentielle. La présence dune telle quantité dADN nayant aucun rôle génétique dans les chromosomes est un mystère. Paradoxalement, cest toutefois cet « ADN égoïste », ces véritables « épaves flottantes » qui sont dun intérêt particulier pour le scientifique spécialiste de la criminalistique. Dans les paragraphes suivants, nous présentons un certain nombre de termes qui sont essentiels à la compréhension de lanalyse des empreintes génétiques. A. Les séquences répétées en tandem en nombre variable (SRTNV) On sait que les séquences spécifiques de paires de bases qui se trouvent dans les gènes définissent la fonction quaccomplira un gène donné dans lorganisme. On sait également que lADN qui na aucune fonction codante renferme des séquences répétées en tandem de paires de bases; ces séquences nont aucune fonction connue, mais tout individu en a hérité de ses parents tout comme il a hérité aussi des gènes fonctionnels. (LADN codant renferme aussi de telles séquences répétées, mais moins fréquemment que dans lADN non codant.) Ces séquences répétées en tandem, prises dans leur ensemble, constituent ce que lon peut appeler une « empreinte digitale » de la molécule dADN, ou empreinte génétique, et lon croit que cette empreinte est unique à chaque individu (à lexception possible des jumeaux identiques) parce que le nombre de séquences répétées varie dune personne à lautre. Ces séquences répétées de paires de bases non codantes portent un nom compliqué : séquences répétées en tandem en nombre variable, que lon peut abréger en SRTNV. Après avoir prélevé de lADN aux fins de lanalyse judiciaire, on coupe cet ADN en fragments à laide denzymes, qui sont des composés chimiques spéciaux ayant la propriété de fractionner les grosses molécules comme lADN en sous-unités plus petites. Un enzyme qui est utilisé pour couper une molécule dADN en fragments sappelle un enzyme de restriction, une nucléase de restriction, ou encore une endonucléase de restriction; le premier et le dernier de ces termes sabrègent en ER. Il existe de nombreux ER connus, et ils sont différenciés daprès le point précis où ils permettent de couper la molécule dADN. Ce point sappelle site de reconnaissance ou séquence de reconnaissance et il sagit dune séquence spécifique de quatre, cinq ou six nucléotides. Les fragments dADN qui résultent de laction de lenzyme diffèrent en longueur dune personne à lautre. Cela sexplique par deux raisons. Premièrement, lADN de différentes personnes peut avoir des sites de reconnaissance situés en des endroits différents de la molécule. Deuxièmement, la région de lADN située entre les sites de reconnaissance peut contenir plus ou moins de séquences de nucléotides répétées en tandem, doù le nom « séquences répétées en tandem en nombre variable ». B. Le polymorphisme de taille des fragments de restriction (RFLP) Les fragments dADN possèdent une propriété qui intéresse les spécialistes de la criminalistique pour létablissement des empreintes génétiques. Cette propriété sappelle le polymorphisme de taille des fragments de restriction et est connu sous le sigle anglais RFLP (que lon prononce « riflip »). Le terme « polymorphisme » renvoie au fait que les gènes, de même que les séquences dADN non codant, peuvent exister sous plus dune forme sur des chromosomes séparés. Le lecteur se rappellera que les chromosomes existent par paires, chacun des chromosomes dune paire étant hérité de lun des parents. Lorsquun gène spécifique, ou une séquence dADN non codant, est identique sur chacun des deux chromosomes dune paire, on dit que lindividu est homozygote, par opposition à hétérozygote, individu dont les deux gènes ou séquences diffèrent dune façon ou dune autre(10). Lexplication physique des différences réside dans les séquences de nucléotides dans la molécule dADN. Les séquences diffèrent dans lune ou plusieurs paires de nucléotides, ce qui est une différence physique réelle. Doù le terme « polymorphisme », qui signifie qui se présente sous plus dune forme. Ce polymorphisme existe autant dans les régions codantes de lADN (c.-à-d. la partie de lADN qui codifie les gènes) que dans la portion non codante de lADN, qui na aucune fonction génétique. Le polymorphisme est très courant dans le génome humain et on a identifié au moins plusieurs milliers de formes différentes. Ce polymorphisme sest révélé extrêmement utile dans le diagnostic des maladies génétiques; par exemple, le gène dysfonctionnel qui cause la fibrose kystique a été localisé avec précision sur le septième chromosome humain à laide dune série de marqueurs RFLP(11). Dans la partie suivante, nous décrivons les méthodes permettant de déceler, didentifier et dutiliser en criminalistique les RFLP, pour létablissement dempreintes génétiques. C. Les séquences courtes répétées en tandem (STR) Les séquences courtes répétées en tandem, connues sous le sigle anglais STR, sont, comme leur nom lindique, semblables aux SRTNV décrites ci-dessus, sauf que les unités répétées sont beaucoup plus courtes. Ces fragments choisis pour être utilisés en criminalistique comportent généralement la répétition en tandem de seulement trois ou quatre paires de bases, qui peuvent être répétées dans la molécule dADN plusieurs fois ou plusieurs dizaines de fois. Évidemment, une unité de trois ou quatre paires de bases seulement est extrêmement petite, ce qui constitue à la fois un problème et un avantage pour les fins qui nous occupent. Lavantage est que même une très petite quantité dADN, même très dégradé, peut être suffisante pour être utilisée en criminalistique. Le problème, cest que pour pouvoir procéder efficacement à une analyse, il faut augmenter grandement la taille dun très petit échantillon constitué de très courtes séquences dADN. On y parvient grâce à lapplication dune technique relativement nouvelle, la réaction en chaîne de la polymérase. D. La réaction en chaîne de la polymérase Lamplification en chaîne par polymérase, connue sous le sigle anglais PCR, est une technique novatrice permettant daugmenter la quantité dune séquence spécifique dADN dans un échantillon. Cette technique sest révélée dune valeur inestimable en criminalistique et elle est également utilisée de façon généralisée par les chercheurs dans le domaine de la génétique. Le terme « polymère » - qui veut dire littéralement « de nombreuses parties » - sapplique à une molécule chimique constituée dun très grand nombre de petites molécules dun seul type ou de plusieurs types. Une « polymérase » est un enzyme qui produit de multiples copies dune unité donnée; pour les fins qui nous occupent, il sagit dune séquence spécifique dADN. Quant à la « réaction en chaîne », cela veut dire que le processus se poursuit aussi longtemps que lon veut pour produire la quantité voulue dADN. Littéralement, la réaction en chaîne peut produire des millions ou des milliards de copies dune séquence dADN choisie ou ciblée dans une éprouvette et ce, en quelques heures seulement(12). Techniquement, cela sappelle « lamplification de lAND »; en langage populaire, on parle parfois de « photocopie moléculaire ». Le processus de PCR est semblable au mécanisme par lequel lADN se reproduit de lui-même dans la cellule. Le processus, tel que réalisé en laboratoire, comporte trois étapes : premièrement, le fragment (ou séquence) dADN à double brin est séparé en deux brins sous laction de la chaleur; ensuite, les fragments à simple brin sont hybridés à laide d« amorces » - de courts fragments dADN - qui définissent la séquence cible à amplifier; et troisièmement, on ajoute au mélange lenzyme appelé ADN polymérase, de même quune quantité des quatre bases de nucléotides, et le processus de réplication samorce(13). Le cycle en trois étapes est répété, habituellement de 25 à 30 fois. Le Dr Ron Fourney, qui travaille au Laboratoire judiciaire central de la GRC à Ottawa, est reconnu comme un expert des empreintes génétiques, en particulier quant à lutilisation de la technique PCR :
Tel quindiqué, la technologie PCR est particulièrement utile lorsque les empreintes génétiques sont établies à laide de séquences courtes répétées en tandem (STR). Cest de cette technique précise dont nous traitons maintenant. E. LADN mitochondrial (ADNmt) Ce nest pas la totalité de lADN des êtres humains et des autres organismes qui se trouve dans les chromosomes situés dans le noyau de la cellule. On trouve aussi de lADN dans des organites appelés mitochondries, qui se trouvent à lintérieur des cellules, mais à lextérieur du noyau. La mitochondrie se charge de fonctions essentielles au métabolisme, notamment en ce qui a trait à la production dénergie cellulaire et à la respiration de la cellule. Bien que lADN mitochondrial ne soit pas souvent utilisé en criminalistique, il peut lêtre, et il la dailleurs été, dans certaines situations pour établir des liens familiaux. Le cas le plus célèbre dune telle identification par lADN sest produit en septembre 1992, quand des scientifiques travaillant au Forensic Science Service du Royaume-Uni se sont vus confier la tâche danalyser lADNmt extrait des os de cinq squelettes exhumés dune tombe à Ékatérinbourg, dans lOural, en Russie. Cest à Ékatérinbourg que le tsar Nicholas II et sa famille ont été assassinés en 1918. LADN mitochondrial est transmis dune génération à lautre, essentiellement inchangé, uniquement dans la lignée maternelle dune famille. (Contrairement à lovule, le spermatozoïde ne transmet habituellement aucune mitochondrie à la progéniture.) En comparant lADN mitochondrial des cinq corps exhumés à celui dun échantillon de sang donné par le Prince Philip (dont la grand-mère maternelle était la soeur de la tsarine Alexandra), et aussi à celui du sang de deux personnes survivantes ayant une filiation maternelle avec le tsar, les scientifiques ont réussi à démontrer, avec un taux de certitude denviron 99 p. 100, que les corps trouvés à Ékatérinbourg étaient bel et bien ceux de la famille royale russe(15). En utilisant la même technologie, les scientifiques ont également été en mesure de démontrer que Anna Anderson, qui prétendait être la princesse Anastasia, était un imposteur(16). LES MÉTHODES DÉTABLISSEMENT DES EMPREINTES GÉNÉTIQUES La science et la technologie de la génétique moléculaire ont maintenant atteint un niveau de perfectionnement suffisant pour justifier le lancement du « projet génome », programme international visant à établir la séquence de toutes les paires de bases dans les 23 paires de chromosomes humains. Les quelque trois milliards de paires de bases du génome humain incorporent à la fois les séquences spécifiques qui constituent les gènes fonctionnels, et les 95 p. 100 (ou plus) dADN humain non codant, cest-à-dire qui ne possède aucune fonction génétique connue. Il importe de bien comprendre que le projet génome est distinct et différent de la technologie des empreintes génétiques, quoique certaines des mêmes techniques soient utilisées dans les deux activités. Un autre point quil est essentiel de comprendre, cest que le profil didentification génétique ou « lempreinte génétique » dune personne, tel quétabli en laboratoire par les experts en criminalistique, ne représente pas le patrimoine génétique de cette personne. Lempreinte génétique ne représente quun certain nombre de fragments de lADN dune personne; ces fragments ont été extraits, traités et utilisés pour constituer une sorte « dinstantané » individualisé de lADN moléculaire, qui peut servir à des fins didentification. Lempreinte génétique ne donne aucun renseignement sur le patrimoine génétique de la personne en cause. On peut établir une empreinte génétique à partir de tout échantillon qui renferme de lADN. Comme la figure 2 lindique, la liste peut comprendre les cheveux (avec la racine attachée), des taches de sang, du sperme, de la moelle osseuse, ou tout autre tissu ou liquide organique comportant des cellules nucléées. Dans le cas dune tache de sang, cest lADN extrait des globules blancs du sang que lon utilise : les globules rouges du sang humain nont pas de noyau et ne renferment donc pas dADN. Le sperme contient normalement dimportantes quantités dADN dans les spermatozoïdes, ce qui le rend très utile pour létablissement dempreintes génétiques, surtout dans les cas dagression sexuelle. (Si le violeur a été vasectomisé, il ny a toutefois pas de spermatozoïdes et léchantillon nest pas utile dans le cas de la technologie actuelle RFLP.) Initialement, la technique standard utilisée au Canada pour létablissement dempreintes génétiques était la technique RFLP. Cette technique est en voie dêtre remplacée par la nouvelle technique PCR/STR (réaction en chaîne de la polymérase/séquence courte répétée en tandem). En date de mai 1997, le Laboratoire judiciaire central de la GRC à Ottawa, de même que les laboratoires de Regina et de Vancouver, avaient abandonné la RFLP pour adopter la PCR/STR. Les laboratoires de la GRC de Halifax et dEdmonton utilisaient encore la technique RFLP, tandis que le laboratoire de Winnipeg utilisait les deux. On prévoit que la GRC aura terminé dans tout son réseau de laboratoire de criminalistique ladoption de la méthode PCR/STR au début de 1998(17). Le Centre des sciences judiciaires situé à Toronto utilise lui aussi la technologie PCR/STR.
A. Lanalyse RFLP (analyse des fragments de restriction polymorphes) La description de lanalyse RFLP ci-dessous est présentée sous forme illustrée à la figure 3. Premièrement, on extrait lADN des échantillons en utilisant les procédures établies. Dans létape suivante, lADN ainsi extrait est réduit en fragments à laide denzymes de restriction. Quoiquil existe aujourdhui plusieurs centaines denzymes de restrictions (ER), les laboratoires de la plupart des organismes dapplication de la loi et des gouvernements dAmérique du Nord (y compris le Canada) ont choisi un ER précis appelé « HaeIII » afin dobtenir des résultats uniformes et de faciliter la mise en réseau des renseignements ainsi obtenus. Après que lADN extrait a été digéré par lenzyme, les divers fragments sont triés en fonction de leur taille au moyen dune technique appelée électrophorèse en gel dagarose, initialement utilisée dans la recherche génétique et adaptée à des fins de criminalistique. Le gel dagarose est une matière gélatineuse qui contient des pores à travers lesquelles les molécules dADN peuvent passer. Les échantillons dADN digérés sont placés dans des encoches à une extrémité dune plaque de ce gel. Un courant électrique est appliqué au gel, ce qui amène les fragments dADN à passer à travers le substrat. Les fragments les plus petits vont plus loin que les plus gros, ce qui permet dobtenir une disposition ordonnée des fragments en fonction de leur taille. Dans létape suivante, les fragments dADN sont dénaturés par immersion du gel dans une solution alcaline. Dans le processus de dénaturation, les liaisons hydrogènes qui tiennent ensemble les deux côtés de la double hélice dADN sont rompues, avec le résultat que lon a maintenant des fragments dADN à simple brin disposés sur le gel, à la place des fragments à double brin originaux. Comme le gel dagarose nest pas suffisamment stable pour être utilisé pour le reste de la procédure RFLP, les fragments dADN sont ensuite transférés à la surface dune mince membrane de nylon. Cette technique sappelle la « technique de Southern », du nom dEdwin Southern, scientifique qui la mise au point. Quand lADN est fixé à la membrane de nylon, les fragments sont prêts à être analysés.
La technique danalyse qui suit sappelle hybridation moléculaire. Voici la signification de ce terme. Lhybridation est un processus qui consiste à jumeler les fragments dADN à simple brin (lacide nucléique) sur la membrane de nylon en les appariant à des brins dADN spécifiquement complémentaires; le lecteur se rappellera que les molécules dADN à double brin comprennent deux brins complémentaires et non pas identiques. Lhybridation se fait avec des brins dADN qui ont été marqués à laide dun isotope radioactif, habituellement un isotope du phosphore. Ces brins sappellent sondes dADN, parce que leurs séquences de base sont connues et sont utilisées spécifiquement pour sattacher uniquement aux brins dADN qui renferment des séquences complémentaires. Comme la sonde est porteuse dune étiquette radioactive, les nouveaux brins hybrides peuvent être visualisés sous forme dimages sur une pellicule à rayon-x. Le résultat visuel est souvent comparé à un « code à barres » utilisé au supermarché. On peut ensuite comparer limage rayon-x du spécimen en question à celle dun autre spécimen. Sil y a une différence entre lADN de lindividu soupçonné et lADN de léchantillon prélevé sur les lieux du crime, le suspect est exonéré. Par contre, sil y a concordance, la poursuite peut utiliser ce fait comme preuve établissant un lien entre le suspect et les lieux du crime. B.
Analyse PCR/STR (réaction en chaîne de la polymérase/séquence courte Comme nous lavons précisé ci-dessus, la technique RFLP est en voie dêtre remplacée au Canada par la technique PCR/STR, plus récente. À certains points de vue fondamentaux, la technique PCR/STR est semblable à la technique RFLP décrite ci-dessus. Le prélèvement et lextraction de lADN se font de la même manière et les fragments choisis dADN sont placés dans un gel spécial et triés daprès leur taille par application dun courant électrique. Toutefois, dans le cas de la PCR/STR, une quantité beaucoup plus restreinte dADN dans un échantillon suffit à obtenir lempreinte génétique, et lon peut même utiliser de lADN très dégradé comme celui que lon pourrait extraire de corps décomposés ou brûlés. En fait, on peut extraire suffisamment dADN du follicule dun seul cheveu, ou encore dune trace de salive sur un mégot de cigarette ou sur une enveloppe, pour obtenir une empreinte génétique en appliquant cette technologie(18). La technique PCR/STR comporte dautres avantages : elle est moins susceptible dêtre faussée par des contaminants et est « sensiblement meilleure pour ce qui est délucider lorigine dune empreinte génétique spécifique à partir dun échantillon mélangé et complexe, par exemple dans le cas de taches de sang résultant du mélange du sang de plus dune personne, dans les restes humains mélangés et aussi dans les échantillons prélevés à la suite dagression sexuelle »(19). La principale différence entre les deux techniques est lutilisation de la réaction en chaîne de la polymérase pour amplifier la quantité dADN dans léchantillon. Une deuxième différence importante est que la technique PCR/STR se prête bien à lutilisation détiquettes fluorescentes pour déceler visuellement les bandes dAND, et plusieurs systèmes de ce genre ont dailleurs été mis au point. De plus, la fluorescence se prête à la détection automatisée, ce qui facilite grandement lanalyse subséquente des empreintes génétiques, ainsi que larchivage et le repérage des données(20). Le Dr Fourney décrit de la façon suivante lutilisation du repérage automatisé par fluorescence :
Les systèmes détablissement des empreintes génétiques par PCR/STR sont extrêmement sensibles et capables danalyser un échantillon dADN aussi petit que 1 ng (1 nanogramme = un milliardième de gramme); toutefois, on considère que léchantillon optimal est de 2 à 8 ng pour le traitement de plusieurs échantillons dans le format multiplex décrit ci-dessus(22). Le lecteur trouvera à la figure 4 un schéma simplifié illustrant la technique PCR/STR. Il importe de signaler ici un point important concernant ladmissibilité en cours des empreintes génétiques comme éléments de preuve devant les tribunaux. Ladmissibilité en preuve est de deux types, général et spécifique :
Source : Chicago Tribune, Cellmart Diagnostics, Lifecodes Corp., Cetus Corp. (traduction).
Les connaissances scientifiques et la technique de base qui interviennent dans létablissement dempreintes génétiques ne sont pas sérieusement remises en question au Canada ni ailleurs. La théorie est scientifiquement solide et la technique utilisée pour obtenir des empreintes génétiques est à la fois bien établie et continue dévoluer vers une plus grande précision et efficacité. Lune des questions les plus importantes que soulève lanalyse des empreintes génétiques est celle de lindividualité de lempreinte ainsi obtenue(24). Nous avons signalé ci-dessus quune empreinte génétique ne représente pas le patrimoine génétique complet dune personne; cest plutôt un choix de fragments dADN que lon peut utiliser comme marqueurs pour lidentification. La clé de lutilité de lempreinte génétique, cest le fait que lutilisation « dune quantité et dune combinaison appropriées de sondes montre quil existe un schéma unique pour chaque perosnne, sauf chez les jumeaux identiques »(25). Cette affirmation nest pas laboutissement dune analyse exhaustive des empreintes génétiques de toute la population humaine, ni même dune petite fraction de cette population. Laffirmation du caractère unique dune empreinte génétique repose sur les probabilités statistiques établies par les spécialistes de la génétique démographique :
Si lempreinte génétique obtenue au moyen des techniques danalyse de lADN révèle quil y a concordance entre, disons, une tache de sang et un échantillon dADN prélevé sur un suspect ou une victime, on tient compte de la fréquence parmi la population du modèle RFLP ou STR obtenu pour établir la probabilité quune telle concordance puisse survenir de façon aléatoire. Une fois que le laboratoire judiciaire a établi la concordance entre lempreinte RFLP ou STR de deux échantillons dADN, un analyste peut faire une estimation de la possibilité quune telle concordance surgisse par hasard dans une population donnée. Cette opération comprend deux étapes. Premièrement, la fréquence des bandes individuelles est établie par lexamen des échantillons pris au hasard dans la population. On peut décrire cette étape comme un exercice empirique fondamental, consistant à faire une comparaison de bases de données établies pour divers sous-groupes de la population. De telles bases de données (qui ne permettent pas didentifier les sources individuelles des échantillons dADN) existent au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. La deuxième étape consiste à faire une estimation de la fréquence dans la population de lempreinte génétique globale. Contrairement au caractère fondamentalement empirique de la première étape, la deuxième étape est un exercice fondamentalement théorique qui repose sur linformation et les procédures établies par les spécialistes de la génétique démographique. La signification statistique des empreintes génétiques, eu égard à leur utilité dans les poursuites criminelles et civiles, est dune grande importance. Un débat intense a fait rage sur cette question dans les publications scientifiques et les médias dinformation, surtout au cours de la première moitié de la décennie actuelle. Il y a maintenant une abondante littérature sur la question, en particulier, deux rapports émanant du National Research Council des États-Unis. Le premier, intitulé DNA Technology in Forensic Science, a été publié en 1992(27). Le deuxième, intitulé The Evaluation of Forensic-DNA Evidence, a été publié en 1996(28). La grande controverse qui a surgi au sujet de lanalyse des empreintes génétiques et qui a abouti à la rédaction des deux rapports susmentionnés portait sur les méthodes statistiques utilisées, principalement par les spécialistes de la génétique démographique, pour interpréter la signification de la concordance de deux empreintes. La probabilité que deux empreintes génétiques concordent par pur hasard a été, et continue dêtre, jugée extrêmement mince. Une question importante dans ce débat est la possible influence de sous-groupes de la population quant à la signification des empreintes individuelles obtenues par la technique danalyse de lADN. Si les êtres humains saccouplaient entièrement au hasard, cest-à-dire si les individus se mariaient et saccouplaient toujours avec des personnes sans aucune parenté entre elles, lindividualité des empreintes génétiques soulèverait beaucoup moins de préoccupations. Toutefois, dans la plupart des sous-groupes de la population, beaucoup de gens ne saccouplent pas au hasard. Pour donner un exemple extrême, les individus dune collectivité isolée (p. ex. sur une île) saccouplent avec des personnes auxquelles ils sont apparentés à un degré quelconque; il peut sagir dun cousin éloigné, mais peut-être pas si éloigné que cela. De même, les mariages à lintérieur des communautés ethniques et raciales dans des villes et des régions du Canada et des États-Unis sont communs, ce qui entraîne laccouplement de personnes issues de la même lignée dancêtres. Cela pose inévitablement la question de savoir sil y aurait une plus grande probabilité de trouver des empreintes génétiques identiques chez deux individus dans une telle communauté, en comparaison de lensemble de la population. La plupart des autorités semblent maintenant saccorder pour dire que lon a répondu de façon satisfaisante à cette question et que les empreintes génétiques, même dun point de vue théorique, sont dune spécificité acceptable pour lidentification des individus, pourvu que la technologie soit appliquée avec rigueur. (La technologie actuelle permet même didentifier des membres du même sexe dune même fratrie.) La fiabilité dune empreinte génétique saccroît avec le nombre de marqueurs utilisés. Dans lanalyse RFLP, par exemple, lutilisation de cinq marqueurs (plutôt que trois ou quatre) réduit grandement (presque jusquà zéro) la probabilité dobtenir dun autre individu une empreinte semblable(29). Au Canada, on estime que le système PCR/STR permet dobtenir des empreintes extrêmement individualisées et offrant une possibilité infime de concordance due au hasard. La probabilité dune concordance aléatoire dans le système utilisé par la GRC est décrite en ces termes par le Dr Fourney :
Il y a lieu de noter que dans la plupart des cas, un suspect est associé à la scène dun crime par dautres éléments de preuve que son empreinte génétique. Cette empreinte devient donc une preuve corroborante et, habituellement, ce nest pas le seul élément de preuve présenté par la poursuite. Toutefois, si un suspect était identifié et arrêté uniquement sur la base dune empreinte génétique, ce qui pourrait arriver après la création dune banque dempreintes génétiques, les préoccupations quant à lindividualité de lempreinte qui a permis de lidentifier seraient dautant plus vives. Pour ce qui est de ladmissibilité spécifique de lanalyse de lAND, on peut dire que la question qui se pose est de savoir si une empreinte génétique a été établie au moyen de la technologie appropriée et si cette technologie a été appliquée avec rigueur. Il est possible que, lorsque cette technique sera dune utilisation plus généralisée, la qualité des tests individuels puisse diminuer au fur et à mesure que la demande augmentera pour répondre aux besoins autant des procureurs que des avocats de la défense en matière déléments de preuve. Au Canada, la plupart des empreintes génétiques sont obtenues dans les laboratoires gouvernementaux. Outre les laboratoires judiciaires exploités par la GRC, qui se chargent de la plupart de ces analyses au Canada, le Centre des sciences judiciaires de Toronto et le Laboratoire de police scientifique de Montréal procèdent aussi à lanalyse de lADN(31). Il y a plusieurs laboratoires privés qui font du travail de ce genre au Canada; de plus, on fait parfois appel à des laboratoires privés des États-Unis en sous-traitance. Daprès la GRC, la plupart des analyses faites dans les laboratoires privés sont associées à des affaires au civil, en particulier en matière de paternité, et à lusage des avocats de la défense. On peut soutenir que le contrôle de la qualité est plus rigoureux au Canada, à cause de la participation gouvernementale relativement importante, quaux États-Unis, où le recours à des compagnies privées est plus généralisé. Nous décrivons ci-après le contrôle de la qualité ou de lassurance de la qualité, dune organisation. Le groupe de travail technique sur les méthodes danalyse de lADN (TWGDAM), sest réuni pour la première fois en novembre 1988; cest le Laboratoire et lacadémie du Bureau fédéral denquête des États-Unis (le FBI) qui était lhôte de cette réunion. À cette époque, le TWGDAM comprenait 31 scientifiques représentant 16 laboratoires judiciaires des États-Unis et du Canada, y compris celui de la GRC, et deux établissements de recherche(32). Inman et Rudin décrivent en ces termes la raison dêtre du TWGDAM :
1. rassembler un petit nombre
de personnalités choisies de la communauté de la criminalistique qui 2. discuter des méthodes actuellement utilisées; 3. comparer le travail qui sest fait dans ce domaine; 4. partager les protocoles; et 5. établir des lignes directrices au besoin(33). Le TWGDAM a produit des lignes directrices détaillées pour lobtention dempreintes génétiques : Guidelines for Quality Assurance Program for DNA Analysis. Ces lignes directrices ont été dabord publiées en 1991; il y a eu une mise à jour en 1996(34). Enfin, il y a lieu de signaler quen plus de son utilisation en criminalistique, la technique des empreintes génétiques sest trouvée un créneau dans la recherche et les études de cas dans le domaine de la faune, au Canada et ailleurs. Cette technologie peut en effet servir à diverses applications, depuis lidentification des espèces daprès les taches de sang ou des échantillons de viande, jusquà lévaluation de la santé dune population donnée par létablissement du coefficient de consanguinité. Le braconnage menace la survie de nombreuses espèces danimaux sauvages. La technique des empreintes génétiques peut servir à faire condamner les braconniers, à partir de petits échantillons, de la même manière quelle peut servir à faire condamner les meurtriers et les agresseurs sexuels. BANQUES NATIONALES DEMPREINTES GÉNÉTIQUES A. Utilisation des banques dempreintes génétiques dans dautres pays Au cours du présent siècle, des milliers de crimes ont été résolus grâce à des systèmes automatisés de repérage des empreintes digitales permettant de fouiller dans les banques de données pour trouver une concordance avec des empreintes prélevées sur les lieux des crimes. Au Canada (et aux États-Unis) un système informatisé de dactyloscopie, connu sous le sigle anglais AFIS, permet de faire des recherches pour essayer détablir une concordance entre les empreintes archivées dans la banque nationale dempreintes et une banque parallèle dans laquelle sont archivées des empreintes prélevées sur les lieux de crimes. Des casiers judiciaires sont constitués à partir des formulaires dempreintes digitales et sont entrés dans la banque de données informatisée du Centre dinformation de la police canadienne (CIPC), auquel ont directement accès tous les services de police et autres organismes accrédités dapplication de la loi au Canada(35). La technique de lidentification judiciaire par lanalyse de lADN ressemble à celle des empreintes digitales, comme latteste lutilisation populaire de lexpression « empreintes génétiques ». La possibilité détablir un lien entre la preuve recueillie sur la scène dun crime et un suspect, grâce à lanalyse de lADN et aux empreintes génétiques, est bien établie et, comme nous lavons indiqué ci-dessus, elle a dailleurs permis aux autorités de faire condamner bon nombre dinculpés. Le Solliciteur général du Canada a déclaré que lidentification judiciaire grâce aux empreintes génétiques avait servi à obtenir « des condamnations dans des centaines de crimes avec violence »(36). Aux États-Unis, lanalyse de lADN a été utilisée dans plus de 24 000 affaires depuis 1986(37). La création de banques de données génétiques semblables à celles des empreintes digitales permettrait de renforcer considérablement le potentiel de cette technique pour ce qui est de résoudre des affaires criminelles, en particulier des crimes violents dans lesquels le criminel laisse de lADN sur les lieux. La possibilité de créer de telles banques de données a fait lobjet de discussions intenses au Canada et ailleurs. Dans certains pays, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, des banques de données génétiques ont déjà été créées à des fins médicolégales. Au Royaume-Uni, la banque de données informatisée dADN est exploitée par le Forensic Science Service (FSS), situé à Birmingham; elle est devenu opérationnelle en avril 1995. La Criminal Justice and Public Order Act 1994 permet à la police du Royaume-Uni de prélever des échantillons dADN auprès de quiconque est accusé dun acte criminel dit « recordable offence » (ce qui comprend un grand nombre dactes criminels divers, y compris des crimes non accompagnés de violence), peu importe que lADN soit à première vue pertinent dans linfraction dont la personne est accusée(38). Les empreintes génétiques utilisées dans la banque de données du Royaume-Uni sont obtenues au moyen de la technologie dite PCR/STR; comme nous lavons indiqué ci-dessus, il sagit de la technique adoptée au Canada par la GRC. Au moment de la création de la banque de données du Royaume-Uni, en 1995, on sattendait à ce quelle renferme quatre millions dempreintes génétiques en lan 2000(39). La banque dempreintes génétiques du Royaume-Uni a été utilisée abondamment :
La plupart, sinon la totalité des États des États-Unis ont maintenant adopté une loi rendant obligatoire le prélèvement et lanalyse déchantillons devant être versés dans les banques de données génétiques. En général, les échantillons dADN aux États-Unis sont prélevés auprès des criminels reconnus coupables, en particulier des violeurs, au moment de leur élargissement de prison. Cette méthode sappuie sur le fait quun nombre relativement restreint de gens est responsable dun nombre disproportionné de crimes avec violence; des études ont montré que le taux de récidivisme pour ces crimes, après lemprisonnement du coupable, peut atteindre 50 p. 100. Les échantillons dADN sont généralement envoyés au laboratoire médicolégal de lÉtat, où ils sont consignés au registre et entreposés. Le FBI a pris la tête dun mouvement national aux États-Unis en vue de créer une banque nationale de données et des programmes pilotes ont déjà été mis en oeuvre(41). B. Un projet de banque dempreintes génétiques canadienne La première étape dune stratégie législative du gouvernement fédéral en matière didentification judiciaire par les empreintes génétiques a été mise en oeuvre le 13 juillet 1995, date à laquelle le projet de loi C-104, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants (analyse génétique à des fins médicolégales) est entré en vigueur. Cette loi permettait aux autorités, munies dun mandat, de prélever des échantillons dADN sur les personnes soupçonnées de certains crimes. Le 10 avril 1997, le gouvernement fédéral du Canada a présenté à la Chambre des communes le projet de loi C-94, Loi sur lidentification par les empreintes génétiques, qui visait à créer une banque nationale de données génétiques renfermant les empreintes génétiques des criminels condamnés :
En présentant le projet de loi C-94, le Solliciteur général, M. Gray, a déclaré :
Les infractions au Code criminel désignées dans la le projet de loi auraient été divisées en deux listes, primaire et secondaire. La liste primaire aurait compris les infractions violentes les plus graves, y compris les agressions sexuelles, et, après la condamnation du ou de la coupable, le tribunal aurait ordonné que des substances corporelles soient prélevées pour la banque de données. Voici la liste des infractions primaires :
La liste secondaire des infractions désignées aurait exigé que des échantillons soient prélevés pour la banque de données, sur ordonnance de la cour, après la condamnation dune personne pour une infraction secondaire, lorsque le juge était convaincu quune telle ordonnance aurait été dans lintérêt de la sécurité publique :
Aux termes du projet de loi C-94, les jeunes contrevenants auraient été traités de la même manière que les adultes aux fins de linclusion dans la banque de données génétiques; leurs profils didentification génétique auraient été assujettis aux mêmes règles en ce qui concerne laccès aux dossiers tant et aussi longtemps quils auraient été conservés dans la banque de données. Toutefois, contrairement à ce qui aurait été le cas pour les adultes, les périodes de conservation des profils des jeunes contrevenants auraient été semblables à celles prévues par les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants traitant des dossiers de police. Pour les adultes, les profils didentification génétique auraient été conservés indéfiniment, à moins que la condamnation soit annulée ou quun pardon soit accordé au délinquant. La mesure proposée en vue de créer une banque de données comportait un certain nombre dautres dispositions. Il aurait été possible de prélever des échantillons dADN rétroactivement sur les délinquants déjà condamnés qui purgent actuellement leur peine, dans deux circonstances : premièrement, dans le cas des délinquants qui ont été déclarés « délinquants dangereux » aux termes de la partie XXIV du Code criminel; deuxièmement, dans le cas dun délinquant qui a été reconnu coupable de plus dune infraction sexuelle et qui purge actuellement une peine de deux années demprisonnement ou plus, même sil est actuellement en libération conditionnelle. Il y avait aussi une disposition visant « lapplication rétrospective », lorsquun juge, dans lintérêt de la sécurité publique, aurait pu ordonner quun échantillon dADN soit prélevé à même des personnes accusées dune infraction désignée avant lentrée en vigueur de la loi, mais reconnues coupables après cette date. Le projet de loi C-94 prévoyait aussi des restrictions sur laccès aux échantillons dADN et aux données recueillies aux termes de la loi :
Bien que le projet de loi C-94 soit resté en plan au Feuilleton quand le premier ministre a déclenché les élections fédérales le 27 avril, le Solliciteur général Andy Scott a déclaré quun projet de loi semblable sera présenté durant la première session de la nouvelle législature, qui a débuté en septembre 1997(44) Les divers points de vue sur la mesure proposée, notamment ceux mentionnés ci-dessus, feront alors loccasion dun débat. Il convient des noter que les coûts associés à la création dune banque nationale de données génétiques proposée seraient considérables. La technologie est à la fine pointe du progrès et elle est coûteuse. Toutefois, les empreintes génétiques peuvent être mises sur support informatique, ce qui permettrait une plus grande efficacité opérationnelle. De plus, la technologie PCR/STR qui est adoptée au Canada par la GRC coûtera moins cher que lancienne technique RFLP (polymorphisme de restriction de longueur de fragment), bien que le montant précis des économies ne soit pas encore connu. On estime que le coût de lancement de la banque de données serait de 2,9 millions de dollars et lon prévoit que le coût annuel de fonctionnement serait denviron 3,0 millions de dollars(45). Comme on pouvait sy attendre, il y a divergence dopinions au Canada sur la manière dont la banque de données génétiques devrait être organisée et exploitée. Dans les paragraphes suivants, nous donnons une idée des opinions contradictoires à ce sujet en exposant les positions respectives du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, de lAssociation du barreau canadien et des services de police. 1. Commissaire à la protection de la vie privée Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, tout en appuyant lutilisation des empreintes génétiques pour aider la police à arrêter les criminels violents, exprimé des réserves sur la création dune banque dempreintes génétiques et sur la manière dont une telle banque de données pourrait être utilisée. Le droit au respect de la vie privée et à la protection des renseignements personnels, ce qui englobe les caractéristiques particulières de lADN dune personne et son patrimoine génétique, est au coeur des préoccupations du commissaire :
Le Commissaire a exprimé des réserves quant à la création et à lutilisation dune banque dempreintes génétiques par la police pour arrêter les criminels. À titre dexemple, le commissaire cite laffaire Pitchfork au Royaume-Uni (signalée au début du présent document). Dans une tentative pour résoudre les agressions sexuelles et meurtres de deux adolescentes, la police du Royaume-Uni avait recueilli, par un programme de dons volontaires déchantillons, plus de 3 600 empreintes génétiques dhommes de la localité où les crimes avaient été commis; par la suite, la police sest servi de cette « banque de données » créée dans un but précis pour arrêter le perpétrateur dun crime différent :
Un observateur pourrait toutefois conclure que larrestation dun violeur grâce à cette technique des empreintes génétiques constitue effectivement un « travail de fin limier ». Le même observateur pourrait toutefois se demander aussi si le spectre de « lutilisation par la société de bases de données génétiques sur toute une population à des fins de répression » nest pas une crainte non fondée puisque le profil génétique dune personne à des fins judiciaires ne donne pas de renseignements sur ses « caractéristiques génétiques », la seule exception étant peut-être la technique PCR/STR que la GRC est en train dabandonner graduellement, laquelle permet de déterminer le sexe dune personne. Néanmoins, le Commissaire a fait dans son rapport de 1995 une recommandation qui se lit en partie comme suit :
Toutefois, dans la deuxième partie de cette même recommandation, le commissaire semble tout au moins atténuer ce point de vue :
En fait, une banque dempreintes génétiques comme celle que proposait par le gouvernement fédéral dans le projet de loi C-94 ne permet pas dutiliser le matériel génétique pour quelquautre fin que lidentification dans le but darrêter des criminels. Largument du commissaire est toutefois valable : une banque de données créée pour identifier les criminels ne devrait pas être utilisée à dautres fins beaucoup plus générales, surtout sil sagissait dune entreprise aussi mal assurée que dessayer détablir un lien entre le patrimoine génétique dune personne et des traits de sa personnalité que lon pourrait percevoir, à tort ou à raison, comme des indicateurs de possibles comportements criminels. Dans sa réponse de 1995 au document de consultation du ministère de la Justice intitulé Collecte et entreposage des preuves médico-légales à caractère génétique, le bureau du Commissaire à la vie privée du Canada semble avoir accepté la proposition du gouvernement fédéral détablir une banque dempreintes génétiques, quoiquen émettant certaines réserves sur les échantillons, lutilisation des empreintes génétiques et la façon de disposer des échantillons après usage. Voici une liste de certaines restrictions qua proposées le Commissaire :
Le Commissaire a également abordé la question de savoir si la banque dempreintes génétiques devrait être utilisée pour résoudre des crimes autres que le crime pour lequel léchantillon dADN a été prélevé à lorigine :
Toutefois, le commissaire ne dit pas clairement dans le mémoire pourquoi il serait inacceptable dutiliser la banque dempreintes génétiques pour une telle « expédition de pêche ». Ainsi, pour quelle raison faudrait-il sopposer à ce que lon fasse le lien entre lempreinte génétique dune personne reconnue coupable de vol à main armée, empreinte qui est consignée dans la banque de données, et lempreinte génétique prélevée sur les lieux dun crime plus grave comme le viol ou le meurtre, surtout si ce lien permet au bout du compte darrêter et de faire condamner la personne pour le deuxième crime dune nature plus grave? 2. Association du barreau canadien La Section nationale de droit pénal de lAssociation du barreau canadien (ci-après appelée la Section) appuie la création dune banque nationale de données génétiques « pourvu que la création dune telle banque se fasse dans le respect de la liberté et de la vie privée »(50). La Section propose un certain nombre de limites et de sauvegardes pour la cueillette, la conservation et lutilisation des échantillons dADN, dont nous donnons un résumé ci-dessous.
3. Association canadienne des policiers La valeur de lanalyse de lADN et des empreintes génétiques pour la police, et par conséquent pour lensemble du système de justice criminelle, a été prouvée dans de nombreuses enquêtes criminelles. Non seulement cette technologie a-t-elle permis détablir un lien entre des criminels et des crimes particuliers, mais elle a également été utilisée avec succès pour exonérer des personnes qui avaient été faussement déclarées coupables, les cas de Guy Paul Morin et de David Milgaard étant les plus connus au Canada. Il nest donc pas étonnant que les services de police veulent que la compilation déchantillons dADN et lexploitation dune banque nationale dempreintes génétiques se fassent le plus efficacement possible. LAssociation canadienne des policiers est convaincue quil faudrait appliquer à la cueillette et à la conservation des empreintes génétiques les mêmes conditions et restrictions que celles qui sappliquent actuellement aux empreintes digitales aux termes de la Loi sur lidentification des criminels :
Les craintes exprimées par le bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, à savoir que des échantillons dADN pourraient être utilisés pour faire des recherches en vue détablir le fondement génétique du comportement criminel, sont cavalièrement écartées par lAssociation canadienne des policiers, qui les qualifie d« injustifiables ». Dans le mémoire de lAssociation, on ne va toutefois pas jusquà dire que les échantillons dADN devraient être utilisés à des fins autres que lidentification des personnes soupçonnées davoir perpétré un acte criminel. Un important point de désaccord entre dune part lAssociation canadienne des policiers et dautre part le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et lAssociation du barreau canadien porte sur la question de savoir quand léchantillon dADN devrait être prélevé. Comme nous lavons indiqué ci-dessus, autant le Commissaire que la Section nationale de droit pénal de lAssociation du barreau canadien ont soutenu que les échantillons dADN ne devraient pas être prélevés de force au moment de larrestation, mais seulement après la condamnation. LAssociation des policiers soutient que léchantillon devrait être prélevé au moment de larrestation, tout comme on le fait pour les empreintes digitales. De plus, lAssociation des policiers est daccord avec la liste des infractions désignées pour lesquelles des échantillons dADN pourraient être prélevés, et propose même que cette liste soit allongée. LAssociation a décrit un scénario possible qui, à son avis, démontre quil faut prélever léchantillon dADN au moment de larrestation, même pour une infraction relativement « mineure ».
LAssociation cite une statistique à lappui de ses dires : en 1995, plus de 66 000 personnes au Canada nont pas respecté les conditions de leur libération sous caution ou ne se sont pas présentées comme ils étaient tenus de le faire. De plus, lAssociation affirme quau Canada :
Dans lensemble, lAssociation canadienne des policiers est dopinion que la loi proposée nira pas assez loin pour créer une banque dempreintes génétiques ayant lefficacité optimale. Dans la « lettre ouverte » aux députés fédéraux, déjà citée, le président de lAssociation préconise le rejet du projet de loi tel quil est rédigé et son remplacement par une mesure législative plus globale et plus efficace. Comme ce fut le cas des empreintes digitales, les empreintes génétiques sont devenues une technologie généralement acceptée et maintenant probablement indispensable en criminalistique. La rapidité de son acceptation - onze ans seulement se sont écoulés depuis que laffaire Pitchfork a été résolue grâce à cette technique - témoigne de la solidité scientifique de la génétique moléculaire sur laquelle est fondée la technologie des empreintes génétiques. Ces solides assises expliquent la réputation qua cette technologie, réputation qui a rarement été contestée, de permettre lidentification avec une exactitude extraordinaire grâce à des observations objectives. Comme nous lavons indiqué ci-dessus, les empreintes génétiques permettent, même après des décennies ou même des siècles, de répondre à dimportantes questions didentité et de lignée grâce au code génétique. Tout aussi impressionnante a été lévolution rapide de la technologie. En 1986, il était compliqué détablir les empreintes génétiques qui ont permis en fin de compte de résoudre les meurtres dans laffaire Pitchfork (premièrement en exonérant le suspect qui avait faussement avoué, et deuxièmement en confirmant la culpabilité de Pitchfork lui-même). Cela prenait du temps et exigeait beaucoup de main-doeuvre. Aujourdhui, grâce à la technique automatisée PCR/STR, à la fine pointe du progrès, que la GRC est en train dadopter graduellement, on peut établir les empreintes génétiques en beaucoup moins de temps et avec une capacité de discernement grandement accrue. Sans aucun doute, la technologie continuera dévoluer et lon sattend à ce que son efficacité soit accrue, son application plus généralisée et - espérons-le - son coût unitaire réduit. Le Dr Fourney a suggéré quà lavenir, on verra « lautomatisation complète du processus, depuis le prélèvement de lADN jusquà la génération et la détection de marqueurs discrets, jusquà linscription numérique dans une banque de données permettant de faire des recherches »(54). En même temps, fait-il remarquer, les laboratoires de criminalistique partout dans le monde doivent relever un important défi : ladoption de normes communes pour lidentification des êtres humains. Dautre part, à mesure que la technologie sera appliquée sur une plus vaste échelle, non seulement dans la criminalistique mais dans les autres branches et disciplines, le coût total que la société devra payer pour lutilisation de cette technologie augmentera peut-être, même si le coût unitaire baisse. La question des avantages comparés aux coûts de lutilisation de cette technologie se posera indéniablement et fera lobjet dun examen serré, surtout de la part des gouvernements. Lun des grands avantages de la technologie des empreintes génétiques est quelle est fondée sur une démarche scientifique objective; plus elle sera automatisée et plus la possibilité derreur humaine samenuisera, plus grande sera lobjectivité. Au cours des derniers mois, les services de police et les laboratoires de criminalistique autant au Canada quaux États-Unis ont fait lobjet de sévères critiques pour avoir mal mené des enquêtes criminelles. À cet égard, les affaires Milgaard, Morin et Bernardo sont les plus notoires au Canada(55). Dans laffaire Morin, en particulier, lapplication de la criminalistique a donné lieu à une erreur judiciaire, plus précisément lanalyse des fibres, qui implique un certain degré de subjectivité dans linterprétation. Comme nous lavons indiqué ci-dessus, cest finalement la technique des empreintes génétiques qui a entraîné lexonération de Guy Paul Morin et dautres, dans des situations où les technologies et méthodes traditionnelles avaient échoué, pour quelque raison que ce soit. Il y aura probablement dautres exemples du même genre. Si une identification positive grâce aux empreintes génétiques est un élément de preuve convaincant de lassociation dun suspect à un crime donné, ce nest pas une preuve absolue. Il y a toujours une possibilité, aussi infime soit-elle, que la similitude des empreintes soit due au hasard : il est impossible de prouver une négation et la probabilité statistique ne saurait être écartée complètement. Il faut habituellement des preuves et des renseignements supplémentaires pour obtenir la condamnation. Toutefois, un résultat négatif dans une comparaison dempreintes génétiques, que lon appelle une exclusion, est absolu. Dans ce contexte, il est intéressant de constater quaux États-Unis, le FBI a signalé que « pas moins du tiers de tous les suspects dans des affaires de viol sont libérés avant le procès parce que lidentification par lADN les a exonérés »(56). Même si ce chiffre est peut-être quelque peu exagéré, comme Inman et Rudin le laissent entendre, on ne saurait nier la capacité de cette technologie de prouver linnocence dune personne. Enfin, il y a un certain nombre de projets en cours aux États-Unis, au Canada et ailleurs dans le cadre desquels on utilise la technologie des empreintes génétiques pour libérer des personnes innocentes incarcérées. La première initiative en ce sens a été le projet Innocence mené à lécole de droit Benjamin N. Cordozo de lUniversité Yeshiva, à New York. Au Canada, la faculté de droit Osgoode Hall de lUniversité York, à Toronto, lancera un projet semblable. Dans le cadre de ce projet, le groupe de lUniversité York travaillera avec lAssociation pour la défense des personnes faussement condamnées (CAIDWYC), à Scarborough (Ontario)(57).
Acide désoxyribonucléique : le matériel génétique de la plupart des organismes, y compris les êtres humains. Adénine : lun des quatre éléments constitutifs de lADN, identifié par la lettre A. ADN : acide désoxyribonucléique. ADN polymérase : enzyme qui a la propriété de synthétiser lADN à partir dune matrice. (Voir réaction en chaîne de la polymérase ou PCR.) AFIS : sigle anglais signifiant système informatisé de dactyloscopie, ou système automatisé didentification dactyloscopique. Agarose : substance gélatineuse utilisée pour séparer les fragments dADN. Allèle : lune de deux ou plusieurs formes possibles dun gène ou dun marqueur génétique. Amplification : appliquée à lADN, il sagit du processus damplification en chaîne permettant dobtenir de multiples copies dune séquence dADN en utilisant la réaction en chaîne de la polymérase (PCR). Autoradiogramme : aussi appelé autoradiographie ou radioautographie; il sagit dun film à rayon-x sur lequel des sondes radioactives ou à chimiluminescence ont laissé une image permettant détablir la position précise de fragments spécifiques dADN. Parfois appelé « code à barres ». Autosome : aussi appelé chromosome somatique; tout chromosome autre que les chromosomes sexuels X et Y. Bande : image visuelle dun fragment spécifique dADN sur un autoradiogramme. (Cest la « barre » dans le code à barres). Base : dans ce contexte, le terme sexplique à lune des quatre bases azotées qui sont des éléments constitutifs de lacide nucléique. Les quatre bases sont ladénine, la thymine, la cytosine et la guanine, représentées par les lettres A, T, C et G. Chromosome : structure nucléique visible au microscope qui renferme les gènes transmis dune génération à lautre. Codant : lADN qui renferme linformation génétique et qui a la capacité de produire une protéine (opposé à non codant). Cytosine : lun des quatre éléments constitutifs de lADN, représenté par la lettre C. Dénaturation : séparation de lADN double brin en deux brins uniques complémentaires, sous laction de la chaleur ou dun produit chimique; cest une étape essentielle dans lanalyse de lADN pour obtenir des empreintes génétiques. Diploïde : le fait de posséder deux lots de chromosomes jumelés par paires; les êtres humains possèdent 23 chromosomes jumelés par paires, pour un total de 46, dans toutes les cellules adultes, à lexception des cellules reproductrices (voir haploïde). Électrophorèse : technique utilisée pour lobtention dempreintes génétiques, dans laquelle des fragments dADN sont séparés en fonction de leur taille daprès leur taux de déplacement dans un gel traversé par un courant électrique. Enzyme : protéine ayant la propriété de catalyser une réaction biochimique spécifique; dans lanalyse de lADN à des fins médicolégales, on utilise notamment comme enzyme les nucléases de restriction et lADN polymérase. Ensyme de restriction, nucléase de restriction : un enzyme qui coupe lAND en des endroits précis déterminés par la séquence particulière dAND. Eucaryote : genre de cellule, comprenant la plupart des cellules humaines, qui renferme un noyau, lequel renferme les chromosomes. Gel : matrice gélatineuse, habituellement constituée dagarose ou dacrylamide, utilisée dans lélectrophorèse pour séparer les molécules daprès leur taille (voir électrophorèse sur gel). Génome : le patrimoine génétique total dun organisme. Guanine : lun des éléments constitutifs de lADN, représenté par la lettre G. HaeIII : enzyme de restriction, ou endonucléase de restriction, utilisée dans lanalyse RFLP, ou polymorphisme de taille des fragments de restriction; cest lenzyme standard utilisée au Canada et aux États-Unis. Haploïde : qui est doté dun seul lot de chromosomes (voir diploïde). Les spermatozoïdes et les ovules sont haploïdes. Hétérozygote : se dit dun sujet qui possède un gène allèle différent (ou une version différente du gène) sur un locus déterminé de chacun des chromosome dune paire, dans un organisme diploïde. (Le contraire est homozygote.) Homozygote : se dit dun sujet qui possède deux gènes allèles identiques (la même version dun gène) sur un locus déterminé de deux chromosomes homologues, dans un organisme diploïde. (Le contraire est hétérozygote.) Hypervariable : locus dADN qui est dune variabilité extrême dun individu à lautre. La technique des empreintes génétiques est fondée sur cette variabilité de lADN. Locus : emplacement précis dun gène ou dune séquence spécifique dADN sur un chromosome. Marqueur génétique, ou marqueur : emplacement défini sur un chromosome ayant des caractéristiques génétiques connues. Non codant : lADN qui nopère pas le codage, cest-à-dire qui ne possède pas la capacité de produire une protéine. Noyau : organite des cellules eucaryotes, y compris les cellules humaines, dans laquelle se trouvent les chromosomes. Paire de bases : les « barreaux » de l« échelle » de lADN sont composés en partie de paires de bases. Ladénine se trouve toujours en paire avec la thymine et la cytosine, avec la guanine. PCR : sigle signifiant polymerase chain reaction, cest-à-dire réaction en chaîne de la polymérase. Polyacrylamide : polymère qui, préparé sous forme de gel, est utilisé pour séparer de petits fragments dADN dans un champ électrophorétique. Polymorphisme : présence dallèles multiples dun gène dans une population donnée. Polymorphisme de taille des fragments de restriction (RFLP) : variation dans la taille des fragments dADN produite par un enzyme de restriction qui coupe lADN en un locus polymorphisme. Le polymorphisme peut se trouver au site de lenzyme de restiction ou dans les séquences répétées en tandem entre les points de coupure. Les locus des séquences répétées en tandem en nombre variable sont utilisées dans lanalyse de lADN à des fins de criminalistique. Procaryote : cellule ne possédant pas de noyau; tous les procaryotes sont des bactéries (voir eucaryote). Réaction en chaîne de la polymérase (PCR) : processus catalysé par lADN polymérase et qui permet dobtenir des millions dexemplaires dune séquence dADN déterminée. Répétitions en tandem : unités récurrentes dune séquence dADN identique placées en succession dans une région particulière dun chromosome. Sonde : petite séquence dADN synthétique marquée, utilisée pour déceler un fragment ou une séquence spécifique dADN. Sonde dADN : petit segment dADN marqué radioactivement ou chimiquement et qui sert à déceler la présence dune séquence ou dun fragment particulier dADN. Séquences répétés en tanden en nombre variable (VNTR) : unités récurrentes dune séquence dADN identique placées en succession dans une région particulière dun chromosome; le nombre de récurrences varie dune personne à lautre, ce qui permet lidentification de lADN à des fins de criminalistique. STR : short tandem repeat ou séquence courte en tandem. Thymine : lun des éléments constitutifs de lADN, représenté par la lettre T. (1) Cité dans National Research Council (États-Unis), The Evaluation of DNA Evidence, Washington (D.C.), National Academy Press, 1996, p. 1-1 (traduction). (2) Marie Lussier, « Tailoring the Rules of Admissibility: Genes and Canadian Criminal Law », La Revue du barreau canadien, vol. 71, juin 1992, p. 325. (3) David Roberts et Kirk Makin, « DNA Test Exonerates Milgaard », The Globe and Mail (Toronto), 19 juillet 1997, p. A1. (4) Stephen Strauss, « Canadian Testing Incompetent, U.S. Expert Says », The Globe and Mail (Toronto), 22 juillet 1997, p. A4. (5) Alanna Mitchell et David Roberts, « Fisher Charged in 1969 Sex Slaying », The Globe and Mail (Toronto), 26 juillet 1997, p. A1. (6) Lussier (1992), p. 327 (traduction). (7) J.D. Watson et F.H.C. Crick, « Molecular Structure of Nucleic Acids », Nature, vol. 171, 1953, p. 737-738. (8) J. Robertson, A.M. Ross et L.A. Burgoyne (éd.), DNA in Forensic Science, Ellis Horwood Publisher, 1990, p. 24. (Le pourcentage réel dADN non codant nest pas connu avec précision. Lestimation donnée dans la source citée est en fait de 98,5 p. 100.) (9) Paul Berg et Maxine Singer, Dealing with Genes - The Language of Heredity, University Science Books, 1992, p. 138. (10) Lorsquun gène spécifique est présent sous deux ou plusieurs formes différentes, ces formes différentes sappellent allèles. Une personne peut être homozygote ou hétérozygote pour un allèle donné. (11) Berg et Singer (1992), p. 153. (12) Berg et Singer (1992), p. 156. (Le découvreur de la réaction en chaîne de la polymérase, le Dr Karry Mullis, a reçu le prix Nobel en 1993.) (13) National Research Council (États-Unis) (1996), p. 2-11. (14) Ron N. Fourney, « Forensic Reality and the Practical Experience of DNA Typing », La Revue canadienne des chefs de police du Canada, 1996, p. 48 (traduction). (15) Dermot OSullivan, « Romanov Riddle : DNA Tests Identify Bones of Czar and Family », Chemical & Engineering News, 19 juillet 1993, p. 6-7. (Le mystère de la princesse Anastasia demeure non résolu. Toutefois, la plupart des comptes rendus de lexécution disent que les corps dAnastasia et de son frère le prince Alexei ont été brûlés et enterrés séparément.) (16) Strauss (1997), p. A6. (17) GRC, communication personnelle, mai 1997. (18) National Research Council (États-Unis) (1996), p. 2-11. (19) Fourney (1996), p. 48 (traduction). (20) Keith Inman et Norah Rudin, An Introduction to Forensic DNA Analysis, CRC Press, 1997, p. 48. (21) Fourney (1996), p. 50 (traduction). (22) Ibid. (23) Lussier (1997), p. 340 (traduction). (24) Quoique le terme « empreinte génétique » ne soit pas dusage officiel, il continue dêtre couramment utilisé par les journalistes et les rédacteurs, autant parmi la communauté scientifique quailleurs. La GRC utilisait à lorigine le terme anglais « DNA fingerprinting », mais elle a cessé de le faire en partie à cause de la confusion que cela pouvait susciter avec les empreintes digitales, confusion qui entraînait des erreurs dans lacheminement du courrier et des demandes de renseignements au sein de lorganisation. (25) Barry D. Gaudette, « Le typage de lADN Un nouveau service offert à la police canadienne », La Gazette de la F.R.C., vol. 52, no 4, 1990, p. 2. (26) Congrès des États-Unis, Genetic Witness: Forensic Uses of DNA Tests, Washington (D.C.), Office of Technology Assessment, 1990, p. 66 (traduction). (27) National Research Council (États-Unis), DNA Technology in Forensic Science, Victor A. McKusick, président, Washington (D.C.), National Academy of Sciences, avril 1992. (28) National Research Council (États-Unis), The Evaluation of DNA Evidence, Washington (D.C.), National Academy Press, 1996. (29) Ibid., p. 4-23. (30) Fourney (1996), p. 50 (traduction). (31) La GRC a établi des liens officiels en matière dempreintes génétiques avec son homologue américain, le FBI, par sa participation au groupe de travail technique sur les méthodes danalyse de lADN, organisation nord-américaine qui se réunit trois fois par année à lAcadémie du FBI à Quantico, en Virginie. (32) Inman et Rudin (1997), p. 188. Il existe en Europe un groupe de travail technique comparable qui sappelle EDNAP (European DNA Profiling Group). (33) Ibid. (34) Ibid., p. 188-189. (35) Gendarmerie royale du Canada, Direction de linformation et des services didentification, voir le site web à ladresse suivante : http://www.rcmp-grc.gc.ca. (36) Gouvernement du Canada, « MM. Herb Gray et Allan Rock présentent un projet de loi créant une banque nationale de données génétiques », Communiqué, 10 avril 1997. (37) Inman et Rudin (1997), p. 21. (38) Patsy Hughes, DNA Fingerprinting, document de recherche 96/44, Section des sciences et de lenvironnement, Bibliothèque de la Chambre des communes du Royaume-Uni, 27 mars 1996, p. 24. (39) Charles Arthur, « Suspects DNA Goes on File », New Scientist, 25 mars 1995, p. 7. (40) Fourney (1996), p. 44 (traduction). (41) Inman et Rudin (1997), p. 133-134. (Les Forces armées des États-Unis ont également institué un programme de prélèvement dADN pour les militaires; ce programme est mis en oeuvre par le Laboratoire didentification de lADN des Forces armées, connu sous le sigle AFDIL. Cette banque de données vise à identifier les personnes tuées à la guerre et au cours dexercices militaires.) (42) Ibid. (43) Ibid. (44) Keith McArthur, « Proposal to Set Up a DNA Bank Will be Retabled », The Globe and Mail (Toronto), 12 septembre 1997. (45) GRC, communication personnelle, 9 mai 1997. (46) Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Le dépistage génétique et la vie privée, Ottawa, 1992, p. 56. (À lépoque de la rédaction de cet ouvrage, lanalyse des RFLP était la principale technique utilisée au Canada pour lanalyse génétique.) (47) Ibid., p. 55-56. (48) Ibid., p. 58, 11e recommandation. (49) Ibid. (50) Section nationale de droit pénal, Association du barreau canadien, Constitution dune banque de données génétiques, avril 1996, p. 12. (51) Association canadienne de police, DNA Data Bank Amendments - A Response to the Sollicitor Generals Consultation Document (non daté), p. 1-2 (traduction). (52) Neal Jessop, président, Association canadienne des policiers, « An Open Letter to all Members of Parliament », The Hill Times, 14 avril 1997 (traduction). (53) Ibid. (traduction). (54) Fourney (1996), p. 50 (traduction). (55) Éditorial, « On Guard for Thee? », Globe and Mail, (Toronto), 22 juillet 1997. (56) Inman et Rudin (1997), p. 21 (traduction). (57) Kirk Makin, « Police Tunnel Vision Gives No Justice, Critics Say », The Globe and Mail (Toronto), 22 juillet 1997, p. A1, A5. |