BP-444F

 

L'ACCORD MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT :
FONDEMENT, GRANDES LIGNES ET PROBLÈMES

 

Rédaction :
Anthony Chapman
Division de l'économie
Septembre 1997


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

MONDIALISATION DU COMMERCE ET DE L’INVESTISSEMENT

POURQUOI NÉGOCIER UN AMI?

   A. Tirer parti des avantages de la mondialisation

   B. Gérer les pressions de la mondialisation

   C. Réduire la complexité et étendre la portée du régime

GRANDES LIGNES DE L’AMI

   A. Portée de l’Accord

   B. Principales obligations énoncées dans l’Accord

   C. Règlement des différends

   D. Autres dispositions

PROBLÈMES SOULEVÉS PAR L’AMI

   A. Objectifs de la politique industrielle

   B. Culture

   C. Services de santé

   D. Normes environnementales
      1. Effets directs
      2. Effets indirects

   E. Application des dispositions de l’AMI aux provinces

   F. La loi Helms-Burton

CONCLUSION


 

L'ACCORD MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT :
FONDEMENT, GRANDES LIGNES ET PROBLÈMES

 

INTRODUCTION

Les négociations concernant l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) ont débuté à la réunion du Conseil de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au niveau ministériel, en 1995, sur réception d’un rapport de deux comités de l’OCDE, le Comité de l’investissement international et des entreprises multinationales (CIME) et le Comité des mouvements de capitaux et des transactions invisibles (CMIT), qui effectuaient des travaux préparatoires à cet égard depuis 1991. Dans ce rapport, les comités indiquaient que le temps était venu de négocier un accord de cette nature au sein de l’OCDE. Le Conseil de l’Organisation a alors fixé comme échéance pour la conclusion de l’AMI la réunion ministérielle de mai 1997. Par la suite, on a reporté l’échéance à mai 1998. Depuis le début des négociations, des progrès considérables ont été réalisés quant aux différents éléments de l’Accord. Au printemps de 1997, plusieurs ébauches de l’Accord - la dernière datée de mai 1997 - ont été rendues publiques, soulevant énormément de controverse quant aux répercussions de l’Accord sur le processus décisionnel des gouvernements.

Dans la première partie du présent document, nous donnons un aperçu de la mondialisation du commerce et de l’investissement qui a eu lieu au cours des dernières décennies. Dans la deuxième, nous examinons les raisons pour lesquelles les gouvernements négocient en ce moment un accord multilatéral sur l’investissement et nous posons certaines questions : Quels sont les instruments internationaux existants en matière d’investissement, comme les traités bilatéraux, les conventions de l’OCDE et les accords de commerce international? De quelle façon l’AMI permettrait-il d’améliorer le système multilatéral? Dans la troisième partie, nous décrivons les grandes lignes du projet d’accord et dans la quatrième, nous traitons des préoccupations et des problèmes entourant l’AMI : Le gouvernement du Canada devrait-il renoncer à son pouvoir de décision dans des secteurs comme le développement industriel, la culture, les services sociaux et l’environnement? L’AMI s’appliquerait-t-il aux politiques provinciales? Enfin, dans la dernière partie, nous présentons certaines conclusions au sujet de l’Accord.

MONDIALISATION DU COMMERCE ET DE L’INVESTISSEMENT

Le terme « mondialisation » décrit le processus d’interdépendance et d’intégration économiques croissantes des pays par suite de l’intensification du commerce mondial des biens et services, de l’augmentation des flux de capitaux transfrontières ainsi que de la diffusion rapide de la technologie à l’échelle mondiale. Le processus en question est tributaire de deux grandes catégories de facteurs : les changements provoqués par les politiques et les progrès technologiques.

Du côté des politiques, il y a eu depuis la seconde Guerre mondiale, sous les auspices du GATT/OMC, du FMI et de l’OCDE, d’importantes réductions des barrières au mouvement des biens, des services et des capitaux. On a une bonne idée de l’ampleur de la libéralisation des échanges pendant cette période lorsqu’on constate que les droits canadiens prélevés en proportion des importations ont été ramenés de plus de 10 p. 100 en 1955 à environ 3 p. 100 en 1992(1). En ce qui concerne les percées technologiques, les progrès dans les secteurs des transports et des télécommunications ont comprimé la distance économique, tandis que les innovations en informatique ont réduit les coûts de coordination industrielle (voir le tableau 1). Ces facteurs technologiques ont permis aux entreprises d’établir leurs installations de production dans les emplacements les plus avantageux à l’échelle mondiale.

Tableau 1

Coûts du transport aérien et des appels téléphoniques,
et déflateur du prix des ordinateurs
(sauf indication contraire, en dollars US de 1990)

 

Année

Revenu moyen du transport aérien par voyageur mille

Coût d’un appel de trois minutes de New York à Londres

Département du commerce des é.-u., déflateur du prix des ordinateurs
(1990 = 1000)

1930

0,68

244,65

---

1940

0,46

188,51

---

1950

0,30

53,20

---

1960

0,24

45,86

125 000

1970

0,16

31,58

19 474

1980

0,10

4,80

3 620

1990

0,11

3,32

1 000

Source : Richard J. Herring et Robert E. Litan, Financial Regulation in the Global Economy, Washington, Brookings Institution, 1995, p. 14.

 

Quels effets les politiques et les facteurs technologiques en question ont-ils eu sur l’économie mondiale? Premièrement, le commerce mondial a connu une croissance rapide depuis 1950, augmentant de quelque 6 p. 100 par année, soit environ 50 p. 100 plus vite que la production mondiale(2). Il s’ensuit que le rapport du commerce des marchandises à la production économique a doublé au cours de la période(3).

Deuxièmement, les flux de capitaux ont explosé, en particulier depuis le relâchement des restrictions à cet égard au début des années 70. La libéralisation des marchés financiers, la baisse du coût des transactions et la création de nouveaux instruments financiers ont aussi contribué à stimuler le volume des opérations transfrontières sur les valeurs mobilières. Les opérations transfrontières en obligations et en actions dans les grands pays industrialisés sont passées de moins de 10 p. 100 du PIB en 1980 à un montant dépassant largement 100 p. 100 du PIB en 1995(4) (voir le tableau 2).

 

Tableau 2

Opérations transfrontières en obligations et en actions(1)
(En pourcentage du PIB)

 

1970

1975

1980

1985

1990

1995

1996(2)

états-Unis

2,8

4,2

9,0

35,1

89,0

135,3

151,5

Japon(3)

--

1,5

7,7

63,0

120,0

65,1

82,8

Allemagne

3,3

5,1

7,5

33,4

57,3

169,4

196,8

France

--

--

8,4(4)

21,4

53,6

179,6

229,2

Italie

--

0,9

1,1

4,0

26,6

252,8

435,4

Royaume-Uni

--

--

--

367,5

690,1

--

--

Canada

5,7

3,3

9,6

26,7

64,4

194,5

234,8

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Acquisitions et cessions brutes de titres entre résidents et non-résidents.

(2) Janvier à septembre.

(3) Les données de 1996 sont établies sur la base des règlements.

(4) 1982.

Source : Banque des règlements internationaux (BRI).

 

Selon la Cnuced, l’investissement direct étranger (IDE), qui a augmenté rapidement à partir des années 80, constitue l’un des grands ressorts de la mondialisation(5). Les flux d’IDE en provenance de tous les pays, qui s’élevaient en moyenne à 76,8 milliards de dollars US entre 1983 et 1987, avaient plus que quadruplé en 1995, pour atteindre 317,8 milliards de dollars US(6).  De fait, les flux d’IDE étaient de 40 p. 100 plus élevés en 1995 qu’au cours de l’année précédente. La proportion de l’IDE sortant des pays industrialisés atteignait 85 p. 100, et la proportion de l’IDE y entrant atteignait 65 p. 100(7). On estime que, en 1995, 39 000 sociétés-mères avaient investi un total de 2,7 billions de dollars US au titre de l’IDE dans quelque 270 000 filiales(8).

Bien que les pays industrialisés soient les principaux bénéficiaires de l’IDE, les pays en développement en ont néanmoins reçu environ un tiers en 1995, soit 100 milliards de dollars US, les pays de l’Est et du Sud-Est asiatique ayant absorbé 62 p. 100 de ce montant. Les pays en développement sont également devenus des sources importantes d’IDE, y ayant contribué pour 47 milliards de dollars US en 1995. De fait, entre 1993 et 1995, le Japon s’est fait ravir par Hong Kong sa place en tant que première source d’IDE en Asie de l’Est.

 

Tableau 3

Investissements directs étrangers plus investissement de portefeuille (1)
(En pourcentage du PIB)

                                                      1970-1974       1975-79      1980-1984             1985-1989               1990-1995

Allemagne

1,2

1,3

1,7

5,2

6,3

Belgique-
Luxembourg

--

3,4

5,1

14,3

41,5(2)

Canada

1,7

3,4

3,6

6,1

7,2

Danemark

--

0,6

0,9

3,5

7,2

Espagne

--

0,7

1,2

3,1

6,7

États-Unis

1,0

1,5

1,4

2,9

3,3

France

--

1,3

2,1

4,1

7,2

Italie

0,9

0,3

0,6

1,7

5,7

Japon

--

0,6

2,6

5,9

3,7

Norvège

--

5,6

0,4

6,6

2,1

Pays-Bas

7,3

4,7

6,0

10,9

11,1

Portugal

--

0,4

1,0

3,6

6,3

Royaume-Uni

3,6

4,0

5,4

14,4

11,9

Suède

1,0

1,2

1,7

5,0

7,0

Suisse

--

4,5

9,4

14,7

12,8

(1) Somme des valeurs absolues des entrées et des sorties de capitaux d’investissement direct et d’investissement de portefeuille.
(2) 1990-1994.

Source : IMF, Perspectives de l’économie mondiale, mai 1997, p. 68.

 

POURQUOI NÉGOCIER UN AMI?

On peut ranger sous trois grandes catégories les raisons justifiant la négociation d’un AMI : tirer parti des avantages de la mondialisation; gérer les pressions de la mondialisation; et réduire la complexité et étendre la portée du régime d’investissement à l’échelle internationale(9).

   A. Tirer parti des avantages de la mondialisation

Les attitudes à l’égard de l’investissement étranger, en particulier l’IDE, ont changé de façon notable depuis les années 60 et 70, époque où certains gouvernements, inquiets de l’importance des intérêts étrangers, ont établi des procédures de filtrage pour déterminer l’à-propos de chaque nouvel investissement étranger. Par exemple, l’Agence d’examen de l’investissement étranger (AEIÉ), établie en 1974, demandait aux investisseurs étrangers de faire la preuve que les activités envisagées étaient de nature à procurer d’« importants avantages » au Canada. Malgré un taux d’approbation élevé, l’Agence a peut-être empêché certains IDE parce que les investisseurs considéraient ces méthodes comme trop compliquées et rigides, donnant lieu à des exigences déraisonnables et à des retards inutiles(10).

En 1985, l’AEIÉ a été remplacée par Investissement Canada, une mesure témoignant d’une attitude nouvelle, plus ouverte, à l’égard de l’investissement étranger au Canada. Alors que l’AEIÉ exigeait que l’investissement étranger apporte un « avantage important », Investissement Canada se limitait à demander un « avantage net ». En outre, la Loi sur Investissement Canada a haussé le seuil des actifs au-delà duquel l’établissement de nouvelles entreprises et l’acquisition de firmes canadiennes par des intérêts étrangers font l’objet d’un examen. Même si Investissement Canada contrôle encore les demandes liées aux investissements étrangers, il joue également un rôle actif pour ce qui est d’attirer de tels investissements au Canada.

Dans les années 90, les gouvernements se font activement concurrence pour attirer l’IDE, en particulier lorsqu’il s’agit d’injecter de nouveaux fonds dans le secteur manufacturier. On s’est même alarmé du fait que le Canada ne reçoit pas sa « juste part » de l’investissement direct étranger(11). De fait, la part canadienne de l’IDE à l’échelle mondiale est passée de 11 p. 100 en 1980 à 5 p. 100 en 1994(12). Au cours de la même période, la part des États-Unis est passée de 17 à 22 p. 100(13).

Plusieurs avantages économiques peuvent découler des apports d’IDE : création d’emplois, production économique accrue, hausse des exportations, concurrence plus forte, meilleure productivité, meilleurs salaires et stimulation de l’activité économique dans les industries de soutien. On estime que chaque tranche de un milliard de dollars au titre de l’IDE crée 45 000 emplois sur cinq ans et gonfle le PIB canadien de 4,5 milliards de dollars(14).

De plus en plus, le commerce suit l’investissement. La motivation des entreprises pour ce qui est d’investir à l’étranger n’est plus simplement de contourner des barrières commerciales afin de servir des marchés protégés ou d’obtenir un accès à des matières premières. En investissant dans d’autres pays, les entreprises peuvent se rapprocher de leurs clients et rationaliser leur production à l’échelle internationale. Avec l’augmentation du commerce des services, la possibilité de se rapprocher des marchés revêt davantage d’importance. Le commerce de services, comme l’ingénierie ou l’activité bancaire, nécessite souvent la présence commerciale du fournisseur des services en question. Les dispositions de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) concernant l’accès aux marchés reconnaissent explicitement la « présence commerciale » comme un mode de prestation de services.

L’atténuation des obstacles au commerce et à l’investissement ainsi que la véritable révolution dans les communications, le transport et le calcul ont permis aux entreprises de se procurer des éléments de production en divers endroits de la planète. Par exemple, il arrive souvent qu’un fabricant d’automobiles ou d’ordinateurs produise des composantes dans plusieurs pays. Les arrangements de production en question profitent au pays d’origine en rendant les firmes nationales plus productives, ce qui peut se traduire par une augmentation des ventes. Étant donné que les filiales étrangères s’en remettent généralement à la société-mère pour les composantes, les fournitures et le savoir technique, il peut en découler une demande accrue de biens et services intermédiaires à l’endroit du pays d’origine(15).

Bien entendu, les sorties d’IDE peuvent entraîner le déplacement de certaines exportations du pays d’origine à cause de la nouvelle production dans le pays d’accueil. Est-ce qu’il en découlera un fléchissement global des exportations dans le pays d’origine? Pour répondre à cette question, il s’agit de déterminer si l’augmentation de la demande de biens et services intermédiaires au pays d’origine, de la part des filiales étrangères, fait équilibre à la baisse initiale des exportations. Cela dépendra de la mesure dans laquelle les filiales étrangères comptent sur la société-mère pour les intrants intermédiaires, ainsi que du degré d’augmentation des ventes totales de l’entreprise par suite de l’investissement(16).

Au cours des 30 dernières années, l’investissement direct canadien a atteint une ampleur considérable (voir le tableau 4). En fait, l’investissement direct canadien à l’étranger (IDCE) a augmenté beaucoup plus vite que l’investissement direct étranger au Canada (IDEC). Le tableau 4 montre que la proportion de l’IDCE est passée d’environ 21 p. 100 de l’IDEC en 1965, à environ 95 p. 100 en 1996. C’est notamment à cause de ces investissements importants et croissants que le Canada devrait travailler à ce que les gouvernements étrangers n’imposent pas de conditions arbitraires ou discriminatoires à l’IDE. Du point de vue du Canada, il devient aussi important de profiter des investissements canadiens à l’étranger que des entrées de fonds au Canada.

 

Tableau 4

Bilan du Canada en matière d’investissement direct étranger
(en milliards de dollars canadiens à la fin de l’année)

 

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

1996

IDCE

IDCE

3,7

17,9

6,5

27,4

11,1

38,7

28,4

64,7

60,3

90,4

98,4

130,9

160,5

168,0

170,8

180,4

IDCE/IDEC*100

20,7%

23,7%

28,7%

43,9%

66,7%

75,2%

95,5%

94,7%

Source : Statistique Canada, Bilan des investissements internationaux du Canada, 1996.

 

On reconnaît de plus en plus l’importance du lien entre le commerce et l’investissement. Comme l’a exprimé Renato Ruggiero (directeur général de l’Organisation mondiale du commerce),

[I]l ne peut y avoir aucun doute que l’investissement direct étranger, à l’instar du commerce international, est devenu l’un des principaux ressorts - certains diraient le principal ressort - de la mondialisation, c’est-à-dire l’organisation de la production et de la fourniture de biens et services à l’échelle planétaire. De fait, dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, le commerce et l’investissement non seulement sont de plus en plus complémentaires, mais deviennent de plus en plus les deux facettes inséparables de ce processus de mondialisation(17).

L’interrelation entre le commerce et l’investissement fait ressortir que « dans les économies modernes intégrées à l’échelle planétaire, il ne peut y avoir de véritable libre-échange sans libéralisation de l’IDE »(18). Par conséquent, les politiques d’ouverture à la concurrence doivent tenir compte des politiques en matière d’investissement étranger tout autant que des politiques commerciales. Pour certains analystes, cela indique que les règles commerciales multilatérales devraient s’accompagner d’un accord multilatéral en matière d’investissement.

   B. Gérer les pressions de la mondialisation

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les dernières décennies ont amené une modification des attitudes à l’égard de l’IDE. À l’heure actuelle, les pays se font activement concurrence pour attirer l’IDE, en particulier lorsqu’il s’agit d’un investissement en installations de fabrication entièrement nouvelles. Parfois, cette concurrence amène des provinces, des États ou des gouvernements nationaux à offrir des subventions ou des facteurs d’incitation spéciaux. Les fabricants d’automobiles bénéficient fréquemment des largesses gouvernementales, et certaines sources indiquent que les aides accordées se sont accrues au cours des dix dernières années(19). De telles subventions peuvent profiter aux entreprises bénéficiaires, mais elles ne sont pas nécessairement dans l’intérêt des contribuables, et elles nuisent à l’affectation efficace des capitaux à l’échelle internationale. Qui plus est, l’appel à la concurrence pour attirer l’investissement étranger favorise toujours les grands pays industrialisés par rapport aux pays plus petits et plus pauvres.

Un autre problème lié à la mondialisation des marchés est la possibilité de pratiques anticoncurrentielles, comme la formation de cartels à l’échelle internationale. Même si de tels procédés peuvent être proscrits à l’échelon national par une législation antitrust, le contrôle peut s’avérer inadéquat à l’échelle planétaire. C’est pourquoi il serait peut-être nécessaire de réglementer aussi le comportement des entreprises à l’échelon international.

Par suite de la mondialisation de l’investissement, certains sont portés à conclure qu’il faut assujettir les entreprises aux mêmes règles en ce qui touche la corruption, les droits de la personne, les normes environnementales et le monde du travail. Par exemple, la législation des États-Unis interdit aux entreprises américaines de corrompre des dirigeants étrangers. Toutefois, certains autres pays ne soumettent pas leurs multinationales aux mêmes exigences. Pour ce qui concerne la main-d’oeuvre, les droits de la personne et l’environnement, les normes qu’appliquent les entreprises multinationales (EMN) peuvent varier(20). Les EMN obligées par leur juridiction d’origine à respecter des normes strictes en matière de déontologie peuvent donc être désavantagées par rapport à certains concurrents. On se préoccupe également du fait que les efforts des différents pays pour attirer l’investissement puissent réduire à leur plus simple expression les normes nationales en matière de main-d'œuvre et d’environnement.

On s’inquiète par ailleurs de l’effet que peut avoir la mondialisation du commerce et de l’investissement sur l’emploi des travailleurs non qualifiés et sur la répartition des revenus entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés dans les pays industrialisés. Par suite de son étude sur le commerce des pays industrialisés avec les économies naissantes, l’OCDE a constaté une détérioration évidente de la situation des travailleurs non qualifiés sur le marché du travail; selon elle, la possibilité que le commerce avec les économies naissantes ait contribué aux problèmes des travailleurs non qualifiés dans les pays membres de l’Organisation ne peut être exclue a priori(21). D’autre part l’OCDE a constaté

[…] que les opinions des économistes varient considérablement quant aux incidences de l’investissement direct étranger sur l’emploi. Parmi les problèmes clés, mentionnons la mesure dans laquelle l’investissement direct étranger se substitue à l’investissement dans le pays d’origine. On peut aussi se demander dans quelle mesure l’investissement direct étranger stimule l’exportation des biens intermédiaires et des biens d’équipement; enfin, il y a la question de savoir si l’investissement direct entraîne la construction de nouvelles usines ou simplement l’acquisition d’installations existantes(22).

 

   C. Réduire la complexité et étendre la portée du régime

Le nombre croissant d’accords régionaux complique le système des échanges, toutes sortes de paramètres étant adoptés pour les règles d’origine, les normes techniques, les tarifs douaniers, etc. Certains analystes pensent que l'a« encombrement » des traités pourrait neutraliser les avantages de la libéralisation du commerce.

De même, les modalités de l’investissement étranger sont traitées dans toute une panoplie d’accords internationaux. Mentionnons entre autres, le Code de libération des mouvements de capitaux de l’OCDE, le Code de libération des opérations invisibles courantes, la Déclaration des gouvernements des pays membres de l’OCDE et les décisions du Conseil de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales, le Projet de convention sur la protection de la propriété privée de l’OCDE, l’OMC, l’ALÉNA, le traité et la législation de l’UE et plus de 900 traités bilatéraux sur l’investissement. Comme l’exprime un analyste, « [I]l est peu probable que le patchwork actuel de règles d’investissement soit très utile aux entreprises multinationales (EMN) qui réalisent des opérations de plus en plus complexes au travers de multiples frontières nationales. Des règles concurrentes et parfois conflictuelles, voire simplement vagues, peuvent créer des incertitudes quant au traitement de l’investissement direct étranger des EMN »(23).

Outre la question de la complexité, les mécanismes de libéralisation contenus dans bon nombre de ces ententes sont relativement faibles comparativement aux accords commerciaux qui établissent des calendriers de libéralisation progressive(24). Par exemple, l’approche envisagée dans les codes de l’OCDE pourrait se résumer comme suit : arrêt et effet de cliquet. Les pays qui adhèrent à ces codes acceptent en effet de geler leur régime d’investissement existant et de souscrire à une obligation générale de libéralisation progressive. Toutefois, les signataires procèdent unilatéralement et volontairement à la libéralisation, avec toutefois l’encouragement et la pression des pairs.

Trois accords de l’OMC portent sur les problèmes d’investissement : l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), l’Accord sur les mesures concernant les investissements liés au commerce (AMIC) et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). L’AGCS prévoit des obligations concernant deux modes de fourniture de services : la présence commerciale et le déplacement du fournisseur. L’AMIC porte sur une catégorie passablement étroite d’exigences concernant l’investissement, c.-à-d. là où se crée une distorsion dans le commerce des biens. Quant à l’ADPIC, il pourvoit à l’application des droits de propriété intellectuelle sous l’égide de l’OMC, une considération importante pour les entreprises qui transfèrent des techniques avancées.

L’ALÉNA traite de l’IDE dans les chapitres portant sur l’investissement (chapitre 11), les services généraux (chapitre 12), les services financiers (chapitre 14) et les droits de propriété intellectuelle (chapitre 17). Le chapitre 11 établit un système clair basé sur des règles et prévoyant un traitement non discriminatoire pour les investissements étrangers (traitement national et nation la plus favorisée). Tout comme l’OMC, l’ALÉNA limite les obligations de résultats. Toutefois, ce dernier ne se contente pas d’interdire les obligations de résultat qui faussent simplement le commerce des biens (exigences quant aux niveaux d’exportation, contenu national minimum, préférences pour l’approvisionnement interne et équilibrage des échanges); il interdit également les obligations de résultats pour les transferts technologiques et l’exclusivité des produits.

En outre, l’ALÉNA va bien au-delà des dispositions de l’OMC en exigeant que l’on traite de façon impartiale un investisseur étranger (d’un pays signataire de l’ALÉNA) en ce qui touche l’établissement, la gestion et la cession d’un investissement dans un autre pays (signataire de l’ALÉNA). Il interdit en outre l’expropriation par un pays signataire de l’ALÉNA d’un investissement effectué par un investisseur d’un pays signataire de l’ALÉNA, sauf à des fins publiques, de façon non discriminatoire, dans le respect de la légalité et avec compensation selon la juste valeur marchande. Un autre élément important de l’ALÉNA est le mécanisme détaillé de règlement des différends, y compris l’option de l’arbitrage obligatoire investisseur-État.

Bref, le système multilatéral profiterait de l’adoption d’un seul accord multilatéral obligatoire en matière d’investissement. Non seulement un AMI réduirait le caractère disparate des accords bilatéraux et plurilatéraux, mais en outre il renforcerait et étendrait les règles multilatérales existantes, lesquelles sont moins exhaustives que certains accords plurilatéraux comme l’ALÉNA.

GRANDES LIGNES DE L’AMI

L’AMI peut se répartir en quatre grandes sections : la portée,  les obligations, le règlement des différends et les autres dispositions. La partie qui traite de la portée circonscrit l’interprétation qu’on peut donner de l’Accord - par exemple, en définissant des termes clés comme « investisseur » et « investissement ». La partie traitant des obligations établit les règles, comme celles touchant la non-discrimination et les obligations de résultats, que les signataires s’engagent à respecter. La section qui porte sur le règlement des différends fournit un moyen de résoudre les interprétations divergentes des parties concernant la portée de l’Accord et leurs obligations. Enfin, dans la partie « autres dispositions » on résume les règles touchant les préparatifs aux fins de l’AMI et son application, ainsi que la procédure d’adhésion et de retrait.

   A. Portée de l’Accord

L’AMI serait de portée très vaste. Au départ, certains avaient pensé que l’AMI ne couvrirait que les investissements directs à l’étranger des entreprises, mais selon le texte provisoire de l’AMI(), un « investisseur » est soit a) une personne physique (un ressortissant ou un résident permanent), soit b) une entreprise (une personne morale ou toute autre entité constituée selon le droit applicable d’une partie contractante). Un « investissement » comprend tout type d’actif contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur (c’est-à-dire un investissement direct, un placement de portefeuille (actions ou obligations), des biens immobiliers, des droits de propriété intellectuelle, des droits contractuels, et des droits conférés par autorisation ou licence).

L’AMI serait de portée très vaste. Au départ, certains avaient pensé que l’AMI ne couvrirait que les investissements directs à l’étranger des entreprises, mais selon le texte provisoire de l’AMI(25), un « investisseur » est soit a) une personne physique (un ressortissant ou un résident permanent), soit b) une entreprise (une personne morale ou toute autre entité constituée selon le droit applicable d’une partie contractante). Un « investissement » comprend tout type d’actif contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur (c’est-à-dire un investissement direct, un placement de portefeuille (actions ou obligations), des biens immobiliers, des droits de propriété intellectuelle, des droits contractuels, et des droits conférés par autorisation ou licence).

L’AMI couvre à la fois l’entrée de l’investissement (la phase antérieure à l’établissement) et l’investissement une fois réalisé. «  Cet aspect constitue un avantage important comparativement à la plupart des conventions bilatérales sur l’investissement où la protection d’un investissement n’est garantie qu’après que l’investissement a été réalisé »(26).  Le texte provisoire de l’AMI couvre les investissements venant de l’étranger et ceux des investisseurs étrangers résidant dans le pays. L’AMI devrait couvrir tous les secteurs d’activité, y compris l’agriculture, les ressources naturelles, la fabrication et les services. Il pourrait s’appliquer aussi à toutes les mesures gouvernementales (lois, règlements et règles administratives) de tous les paliers (pouvoir central, gouvernement fédéral, États, provinces, administrations locales). Il serait d’application rétroactive en ce sens qu’il s’appliquerait à tous les investissements réalisés avant son entrée en vigueur.

Dans l’AMI, on aborde la libéralisation par le haut et non par le bas. Autrement dit, un secteur est couvert par l’Accord, à moins qu’il ne soit expressément exclu. Cinq types de dispositions permettraient aux parties de déroger aux principes de l’AMI : les exceptions générales, les inclusions et exclusions, les dérogations temporaires, les mesures de prudence et les réserves des pays.

Les exceptions générales exemptent les signataires de tous (ou presque tous) les aspects de l’Accord, concernant notamment le statu quo, le traitement national et le traitement de la nation la plus favorisée. Il comprend aussi des exceptions pour des raisons ressortissant à la sécurité nationale, à l’ordre public et au maintien de la paix internationale. On envisage aussi une exception visant les industries culturelles, proposée par la France.

Les inclusions et exclusions signifient que rien dans l’Accord ne s’applique autrement que ce qui est expressément prévu. Ce principe s’applique au traitement des mesures fiscales.

Les dérogations temporaires au libre transfert des paiements en rapport avec des opérations sur le compte courant ou sur le compte de capital sont permises pour remédier à de graves problèmes de balance des paiements.

Les mesures prudentielles (sic) permettent aux parties de prendre les mesures nécessaires pour préserver la stabilité de leur secteur financier.

Les réserves nationales sont la liste de toutes les mesures non conformes maintenues par les parties au moment de la ratification de l’AMI ou lorsqu’elles adhèrent à l’Accord. Une partie déposerait ses réserves en dressant la liste des articles (par. ex. ceux concernant le traitement national, le régime de la NPF, etc.) qui ne s’appliquent pas aux mesures figurant sur une liste jointe en appendice de l’annexe A de l’Accord. (Le Canada a déposé des réserves similaires à celles qui figurent aux annexes I et II de l’ALÉNA.)(27)

   B. Principales obligations énoncées dans l’Accord

Le principe de la non-discrimination, qui est au coeur des obligations contenues dans l’AMI, serait concrétisé par l’application du principe du traitement national et du régime de la nation la plus favorisée. Par traitement national, on entend le fait que les investisseurs d’une autre partie contractante ne peuvent pas être assujettis à des règles moins favorables que celles qui s’appliquent aux investisseurs nationaux en ce qui concerne l’entrée d’investissements étrangers et l’exploitation, l’administration et la cession de l’investissement une fois qu’il est réalisé. Le régime de la nation la plus favorisée (NPF) signifie qu’une partie contractante ne peut assujettir les investisseurs et les investissements d’une autre partie contractante à des règles moins favorables que celles qu’elle applique aux investisseurs de n’importe quel autre pays.

Le principe de la transparence exigerait des parties contractantes qu’elles publient et divulguent leurs lois, règlements, procédures, décisions et conventions internationales qui pourraient avoir des répercussions sur le fonctionnement de l’AMI.

Entrée temporaire - Les parties contractantes seraient tenues d’accorder un permis de séjour et un permis de travail temporaires aux investisseurs étrangers et aux employés des entreprises étrangères d’une autre partie contractante. Les conjoints et les enfants des investisseurs et des employés se verraient aussi accorder un permis de séjour temporaire.

Cadres supérieurs et conseil d’administration - Il serait interdit aux parties contractantes d’exiger que les investisseurs étrangers d’une autre partie contractante nomment des ressortissants aux postes de haute direction et au conseil d’administration(28).

Conditions de nationalité - Une partie contractante ne pourrait pas exiger des investisseurs ou des entreprises d’une autre partie contractante qu’ils embauchent des ressortissants.

Obligations de résultat - Une partie contractante ne pourrait pas imposer les obligations de résultat suivantes aux investisseurs et aux entreprises d’une autre partie contractante :

a) exporter un volume ou un pourcentage donné de biens;

b) atteindre et respecter un niveau ou un pourcentage donné de contenu national;

c) privilégier l’achat de produits locaux;

d) lier le montant des importations au montant des exportations ou au montant des rentrées de devises
    résultant d’un investissement;

e) limiter la vente de produits ou de services par des entreprises étrangères sur son territoire au niveau des
    exportations ou des rentrées de devises résultant d’un investissement;

f) transférer des techniques, des procédés de production ou tout autre savoir-faire exclusif, sauf dans le
   contexte d’une décision afférente à la législation nationale sur la concurrence ou transférer des droits de
    propriété intellectuelle;

g) établir un siège social sur son territoire(29);

h) agir comme fournisseur exclusif pour le monde ou pour une région donnée;

i) atteindre un niveau donné de production, d’investissement, de chiffre d’affaires, d’emploi ou de
   recherche et de développement sur son territoire;

j) recruter un niveau donné de personnel local;

k) établir une coentreprise(30);

l) atteindre un niveau minimum de participation locale au capital.

Le paragraphe 2 porte que l’interdiction d’imposer les obligations de résultat énoncées aux paragraphes 1f) à 1l) ne s’appliquerait pas à l’obtention d’un avantage en rapport avec un investissement(31). Autrement dit, ces obligations de résultat (touchant le transfert de techniques l’emplacement du siège social, les mandats d’exclusivité à l’égard de produits, la production, l’investissement, les ventes, l’emploi, les objectifs de R-D, l’embauchage de ressortissants, les coentreprises et la participation au capital-actions) pourraient quand même être autorisées lorsqu’elles sont accompagnées de stimulants à l’investissement.

Le paragraphe 3 porte que les paragraphes 1b), 1c), 1d) et 1e)(32) n’empêcheraient en rien une partie d’offrir un avantage à un investisseur pour qu’il installe une usine à un endroit donné, qu’il offre des services donnés, qu’il forme ou emploie des travailleurs ou des salariés, qu’il construise ou agrandisse des installations en particulier ou qu’il effectue des travaux de R-D.

Le paragraphe 4 porte que les paragraphes 1b) et c) n’empêcheraient pas une partie d’adopter ou de conserver des mesures nécessaires pour assurer le respect des lois, pour protéger la vie ou la santé des humains, des animaux et des plantes, ou pour économiser des ressources naturelles épuisables.

Le paragraphe 5a) porte que les paragraphes 1a), 1b) et 1c) ne s’appliqueraient pas aux conditions d’admissibilité des produits et services aux programmes de promotion des exportations (et éventuellement aux programmes d’aide au développement).

Le paragraphe 5b) porte que les paragraphes 1b), 1c), 1f) et 1h) ne s’appliqueraient pas aux marchés publics d’une partie contractante ou d’une société d’État(33).

Le paragraphe 5c) porte que les paragraphes 1b) et 1c) ne s’appliqueraient pas aux obligations imposées par une partie importatrice au sujet du contenu nécessaire pour bénéficier de droits de douane ou de contingents préférentiels.

Le paragraphe 5d) porte que le paragraphe 1(i) ne s’appliquerait pas aux obligations imposées par une partie contractante dans le contexte d’une privatisation(34).

Privatisation - Le traitement national et le régime de la NPF s’appliqueraient aux privatisations comme aux opérations ultérieures sur l’actif privatisé(35).

Monopoles - Rien dans l’AMI n’empêcherait l’établissement ou le maintien d’un monopole. L’établissement ou le maintien d’un monopole par un gouvernement national ou infranational devrait respecter le principe de la non-discrimination.

Stimulants - Le principe du traitement national et le régime de la NPF s’appliqueraient à l’octroi de stimulants à l’investissement. Des consultations pourraient être entreprises lorsqu’une partie contractante considère que ses investisseurs ont eu à pâtir d’un stimulant. D’autres négociations seraient tenues dans les trois ans pour mieux éviter et réduire les effets de distorsion et éviter une concurrence indue entre les parties contractantes en vue d’attirer ou de retenir des investissements(36).

Pratiques des sociétés - Il n’y a pas encore de texte à ce sujet, mais le Commentaire précise que l’on s’entend en général pour dire que les mesures discriminatoires prises par des sociétés mais qui ne sont pas imposées par les pouvoirs publics ne seraient pas couvertes par l’AMI.

R-D dans les techniques de pointe - Il n’y a pas encore de texte à ce sujet, mais le Canada a proposé que les prérogatives de financement relatives aux consortiums et autres activités de R-D n’empêchent pas l’application du traitement national aux entreprises qui participent à ces activités à la condition que les participants étrangers aient un apport financier équivalent.

Propriété intellectuelle - Il n’y a pas encore de texte à ce sujet, mais il y a déjà eu des discussions sur les points suivants : le concept de propriété intellectuelle dans la définition d’investissement; le régime qui s’appliquerait (traitement national, NPF ou traitement général); et l’application du concept de propriété intellectuelle aux expropriations et aux transferts, aux obligations de résultats, aux monopoles, au règlement des différends et à d’autres questions encore.

Dette publique - L’AMI ne s’appliquerait pas au rééchelonnement des dettes publiques.

Non-abaissement des normes - Une partie contractante ne devrait (ne doit)(37) pas suspendre l’application des normes concernant la santé, la sécurité, la protection de l’environnement ou les conditions de travail ni accorder de dérogation à ces règles pour attirer des investissements étrangers. Si une partie contractante considère qu’une autre partie a abaissé ses normes pour encourager l’investissement étranger, elle pourrait demander des consultations en vue de faire mettre un terme à cette pratique.

Traitement général - Chaque partie devrait traiter les investissements étrangers d’une autre partie de manière juste et équitable et leur accorder une protection intégrale. Elle devrait leur accorder un traitement qui n’est pas moins favorable que les dispositions du droit international. Il serait interdit d’entraver les investissements par des mesures déraisonnables et/ou discriminatoires.

Expropriation et indemnisation - Une partie contractante ne pourrait pas exproprier ou nationaliser l’investissement d’un investisseur d’une autre partie, sauf dans les cas suivants :

a) pour des motifs ressortissant à l’intérêt public;

b) de façon non discriminatoire;

c) dans le respect de l’application régulière de la loi; et

d) avec une indemnisation rapide, suffisante et efficace.

Protection contre les troubles - En cas de guerre ou de désordres civils, les investisseurs d’une autre partie contractante devraient bénéficier d’un dédommagement sur la base du traitement national et du régime de la nation la plus favorisée.

Transferts - Une partie contractante serait tenue de veiller à ce que tous les paiements relatifs à un investissement puissent librement entrer et sortir du pays.

Subrogation - Une partie contractante serait tenue de reconnaître la cession de droits et de créances à un investisseur par un organisme désigné dans une autre partie contractante et le droit de cette dernière partie d’exercer, par subrogation, ces droits et créances de la même manière que son prédécesseur en titre.

Protection des investissements existants - L’AMI s’appliquerait aux investissements effectués avant l’entrée en vigueur de l’Accord, de même qu’aux investissements effectués par la suite. Il ne s’appliquerait cependant pas aux créances issues d’événements qui se sont produits avant l’entrée en vigueur de l’Accord.

Exceptions et sauvegardes - L’AMI

  • n’empêcherait pas les parties de prendre les mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts essentiels en matière de sécurité, notamment les mesures prises en temps de guerre, celles qui concernent la non-prolifération des armes nucléaires, et celles qui concernent la production d’armes et de munitions;

  • n’exigerait pas la divulgation d’informations qui porteraient atteinte aux intérêts des parties en matière de sécurité;

  • n’empêcherait pas les parties d’assumer leurs obligations aux termes de la Charte des Nations Unies; et

  • n’empêcherait pas les parties d’intervenir pour préserver l’ordre public.

Une partie contractante pourrait demander des consultations lorsqu’elle estime qu’une autre partie contractante contrevient aux dispositions de cet article.

Services financiers - L’AMI contient des dispositions précises sur les services financiers, lesquelles couvrent les mesures prudentielles (sic), les conventions de reconnaissance, les procédures d’autorisation, la transparence, les transferts d’information et le traitement des données, l’adhésion à des organismes de réglementation et à des associations, les systèmes de paiement et de compensation, les prêteurs de dernier ressort et le règlement des différends(38).

Fiscalité - L’AMI ne s’appliquerait pas aux mesures fiscales, sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l’expropriation, à la transparence et au règlement des différends.

   C. Règlement des différends

Aux termes de l’AMI, deux voies s’offriraient aux parties contractantes en cas de contravention supposée aux dispositions de l’Accord : 1) l’arbitrage entre États et 2) l’arbitrage entre un investisseur et un État.

1) L’arbitrage entre États exigerait que les parties contractantes s’efforcent d’abord de régler leur différend par la voie de consultations. Si celles-ci échouaient, une partie contractante pourrait alors soumettre le différend à un tribunal d’arbitrage composé de trois ou cinq membres. Trois des membres du tribunal d’arbitrage seraient choisis par entente des parties. L’une ou l’autre partie pourrait demander un tribunal de cinq personnes. L’AMI préciserait les règles et procédures régissant l’arbitrage entre États. Les décisions des tribunaux seraient irrévocables et exécutoires. Un tribunal d’arbitrage pourrait :

(i) déclarer qu’une mesure contrevient aux obligations énoncées dans l’Accord;

(ii) recommander qu’une partie contractante se conforme à ses obligations aux termes de l’Accord;

(iii) ordonner le versement d’un dédommagement pécuniaire;

(iv) ordonner toute forme de redressement agréé par la partie fautive, y compris une restitution en nature.

2) L’arbitrage entre un investisseur et un État prévoit un mécanisme de règlement de différends qui pourrait être déclenché par les investisseurs. L’investisseur pourrait choisir l’une des voies suivantes :

a) soumettre le différend à un tribunal judiciaire ou administratif compétent de la partie contractante
   concernée;

b) recourir à une procédure de règlement des différends convenue avant que ne survienne le différend;

c) soumettre le différend à l’arbitrage aux termes :

i.  la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et
   ressortissants d’autres États (la « Convention CIRDI »);

ii. des Règles de la Facilité additionnelle du Centre international pour le règlement des
   différends relatifs aux investissements (« Facilité additionnelle du CIRDI »);

iii. des règles d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial
     international (« CNUDCI ») ; ou

iv. des règles d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI »).

   D. Autres dispositions

Le Groupe préparatoire, composé des signataires de l’Acte final et des signataires de l’Accord :

a) préparerait l’entrée en vigueur de l’Accord et la création du Groupe des parties;

b) mènerait des discussions avec les non-signataires de l’Acte final;

c) mènerait des négociations avec les non-signataires de l’Acte final intéressés et prendrait des décisions
    au sujet de leur admissibilité;

d) exécuterait d’autres travaux(39).

Le Groupe des parties, composé des parties contractantes, faciliterait le fonctionnement de celui-ci :

a) en s’acquittant des fonctions qui lui sont confiées aux termes de l’Accord;

b) en clarifiant l’interprétation ou l’application de l’Accord;

c) en étudiant toute question susceptible d’influer sur le fonctionnement de l’Accord;

d) en prenant toute autre mesure qu’il considère nécessaire pour remplir son mandat.

 

Le Groupe des parties élirait un président, déterminerait la fréquence de ses réunions et se fixerait des règles. Il prendrait ses décisions par consensus, ou en suivant la règle de la majorité en l’absence de consensus. Le Groupe des parties serait assisté par un Secrétariat.

Ratification - L’Accord pourrait être ratifié par les signataires de l’Acte final jusqu’au [date non précisée] et pourrait être ratifié ensuite, entre cette date et son entrée en vigueur, par n’importe quel État jouissant d’une autonomie totale à l’égard des questions couvertes par l’Accord et prêt à respecter les obligations contenues dans celui-ci.

Adhésion - L’Accord serait ouvert à l’adhésion de tout État, de n’importe quelle organisation d’intégration économique régionale ou de tout territoire douanier distinct jouissant d’une entière autonomie relativement aux questions couvertes par l’Accord qui soit disposé à assumer ses obligations.

Non-applicabilité - L’Accord ne s’appliquerait pas entre des parties contractantes et une partie adhérant à l’Accord si, au moment de l’adhésion, la partie contractante ne consent pas à cette application.

Examen - Le Groupe des parties pourrait revoir l’Accord lorsqu’il l’estime opportun.

Modification - N’importe quelle partie contractante pourrait proposer au Groupe des parties une modification de celui-ci.

Retrait - Une partie contractante pourrait se retirer de celui-ci sur préavis de six mois et ce, au plus tôt cinq ans après son entrée en vigueur. Les dispositions de l’Accord continueraient de s’appliquer aux investissements existants pendant une période de 15 ans à partir de la date du préavis de retrait.

PROBLÈMES SOULEVÉS PAR L’AMI

   A. Objectifs de la politique industrielle

L’un des principaux reproches formulé à l’encontre de l’AMI, est le fait que l’Accord empêcherait les gouvernements de se servir de la politique d’investissement pour promouvoir les objectifs de la politique industrielle comme la création d’emplois, l’encouragement des exportations, les transferts de technologie et la propriété nationale(40). Comme nous l’avons dit précédemment, l’AMI impose des restrictions à toute une série d'obligations de résultat conçues pour atteindre certains de ces objectifs. Certaines de ces obligations de résultat (cibles sur le plan des exportations, contenu national, achats intérieurs, équilibre des échanges, subordination des ventes sur le marché intérieur au niveau des exportations ou des rentrées de devises) faussent les échanges de marchandises. En général, ces politiques qui ont pour effet de causer des distorsions des échanges contreviennent à l’Article III du GATT (traitement national) ou à l’article XI du GATT (restrictions quantitatives) et sont explicitement interdites par l’Accord sur les mesures concernant les investissements liées au commerce issu de l’Uruguay Round et par l’ALÉNA.

L’AMI propose par ailleurs de restreindre certaines obligations de résultats qui ne sont pas directement liées au commerce international. Il interdirait aux gouvernements d’imposer aux investisseurs des obligations de résultat touchant les transferts de technologie, l’emplacement du siège social des entreprises, les mandats d’exclusivité à l’égard de produits, des cibles de production, des cibles d’investissement, des cibles de ventes, des cibles d’embauche, des cibles de R-D, l’embauche de ressortissants, les coentreprises et la participation au capital-actions. (L’ALÉNA interdit déjà les obligations de résultat concernant les transferts de technologie et les mandats d’exclusivité.)

Il est cependant important de noter que l’AMI n’interdirait pas les obligations de résultat dans absolument tous les cas. Premièrement, l’AMI permettrait aux gouvernements de fixer certaines obligations de résultat en rapport avec l’octroi d’un avantage, souvent offert à titre d’encouragement, comme un allégement fiscal ou une subvention. Il serait donc possible d’établir des obligations de résultat (transferts de technologie, emplacement des sièges sociaux des sociétés, mandats d’exclusivité, cibles de production, cibles d’investissement, cibles de ventes, cibles d’embauche, cibles de R-D, embauche de ressortissants, coentreprises et participation au capital-actions), sous la forme d’encouragements. Néanmoins, conformément au principe du traitement national, ces encouragements devraient être offerts aussi et dans les mêmes conditions aux entreprises étrangères.

Même certaines obligations de résultat qui faussent les échanges (contenu national, achats locaux, équilibre des échanges et subordination des ventes intérieures aux exportations) seraient autorisées lorsqu’elles sont liées à des encouragements et à la condition qu’elles concernent des politiques touchant :

  • l’emplacement des usines de production;

  • la prestation de services;

  • la formation ou l’emploi des travailleurs;

  • la construction d’installations données; et

  • la réalisation de travaux de recherche et de développement.

 

D’autres dispositions prévoiraient les exceptions nécessaires à l’exécution des lois, à la protection de la vie et de la santé des humains, des animaux et des plantes et à la conservation des ressources naturelles épuisables. En outre, des exceptions sont prévues pour les programmes de promotion des exportations, les marchés publics et les tarifs préférentiels.

Abstraction faite de ces exceptions, certains pays ont déposé des réserves à l’égard de certaines dispositions de l’AMI. Le Canada a déposé des réserves similaires à celles qui figurent dans l’ALÉNA. Il importe de noter que, aux termes de l’ALÉNA, le Canada a conservé le droit de fixer des obligations de résultat en rapport avec l’examen des investissements étrangers par Investissement Canada. De même, aux termes des réserves qu’il propose à l’égard de l’AMI, le Canada pourrait, en rapport avec l’examen des investissements par Investissement Canada, imposer aux sociétés des conditions relativement aux transferts de technologie, à l’emplacement des installations de production, à la réalisation de travaux de R-D, à la formation ou à l’emploi de travailleurs, et à la construction ou à l’agrandissement d’installations données. Le Canada a l’intention de déposer d’autres réserves à l’égard de l’AMI concernant les exemptions des droits de douane aux termes du Pacte de l’automobile, le développement pétrolier et gazier, les affaires autochtones, les affaires des minorités et le transport maritime. Pour ce qui est des trois derniers sujets, le Canada se réserverait le droit d’adopter ou de maintenir n’importe quelle mesure dans ces domaines.

   B. Culture

Le Canada estime que la protection des industries culturelles est un facteur essentiel pour la préservation de l’identité canadienne. Aux termes de la Loi sur Investissement Canada, le gouvernement du Canada a le pouvoir d’examiner toutes les acquisitions d’entreprises ou la création de nouvelles entreprises qui touchent le patrimoine culturel ou l’identité nationale du Canada. Les entreprises culturelles comprennent les entreprises de production, de distribution, de vente et de diffusion de films ou de produits vidéos ou d’enregistrements musicaux audios ou vidéos et les entreprises de production, de distribution ou de vente de livres, de revues, de périodiques, de journaux ou de musique sous forme imprimée ou lisible par machine.

Le Canada a insisté pour exclure les industries culturelles de l’application des dispositions de l’Accord de libre-échange canado-américain (ALÉ) et cette exemption s’est retrouvée aussi dans l’ALÉNA. Pour leur part, les États-Unis considèrent les produits de l’industrie de la culture comme d’importantes exportations et ils se sont réservés le droit, aux termes de l’ALÉ et de l’ALÉNA, d’imposer des mesures de rétorsion si le Canada prenait dans ce secteur des mesures incompatibles avec l’Accord.

La culture est un des aspects les plus contentieux des négociations entourant l’AMI. Trois pays au moins (le Canada, la France et la Belgique) cherchent à obtenir une exemption des industries culturelles. Le commentaire du gouvernement de la France joint au projet d’exemption affirme que, en l’absence d’une exemption générale des industries culturelles, il sera impossible de protéger les secteurs qui exploitent les techniques nouvelles à cause de la disposition de l’AMI sur le statu quo. De même, des critères de langue ou de nationalité dans les secteurs de l’audiovisuel et de la presse contreviendraient aux dispositions de l’AMI sur le traitement national et sur le régime de la nation la plus favorisée. La disposition d’exemption des industries culturelles proposée par le gouvernement français est la suivante :

Rien dans cet Accord ne doit être interprété comme empêchant une partie contractante de prendre des mesures pour réglementer les investissements des sociétés étrangères et les conditions d’activité de ces sociétés dans le cadre de politiques conçues pour préserver et promouvoir la diversité linguistique et culturelle(41).

Les États-Unis sont vivement opposés à l’exemption des industries culturelles, comme le montrent les remarques suivantes de porte-parole américains.

Nous avons de vives réserves quant à une exemption non limitative de quelque type d’activité économique qu’un pays pourrait qualifier de culturel. Cela comprendrait tout, des télécommunications et de la radiodiffusion aux livres et aux oeuvres littéraires. [...] Nous ne sommes pas du tout d’accord(42).

La question la plus épineuse actuellement négociée est une proposition émanant des Français, des Canadiens et des Belges, qui cherchent à obtenir une exemption générale des industries culturelles. Les États-Unis ont d’importantes réserves à ce sujet, et nous avons clairement indiqué que les négociations pourraient achopper sur cette question(43).

En dépit de l’opposition américaine, le gouvernement du Canada a déclaré que, comme dans l’ALÉNA, le Canada conservera, par le biais d’une exception, la capacité de protéger ses industries culturelles(44).

   C. Services de santé

Certaines personnes ont affirmé que le régime public d’assurance-maladie du Canada serait compromis par l’AMI(45). Elles ne disent pas explicitement sur quoi elles se fondent pour formuler cette affirmation, mais il pourrait s’agir des dispositions de l’AMI sur le traitement national et les privatisations. La disposition relative au traitement national forcerait le gouvernement à traiter les investisseurs étrangers non moins favorablement que les investisseurs canadiens en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, le fonctionnement, l’administration et la cession d’investissements. La disposition relative aux privatisations le forcerait à appliquer le traitement national et le principe de la NPF à toutes les sortes de privatisations et aux transactions ultérieures concernant un actif privatisé.

Aux termes de la Loi canadienne sur la santé, les soins médicaux de base doivent être offerts de façon non lucrative. En conséquence, la majeure partie des dépenses de santé sont le fait du secteur public. Aux termes de l’AMI (comme en vertu de l’ALÉNA), le traitement national ne s’appliquerait pas aux marchés publics d’un gouvernement ou d’une entreprise d’État(46). Des sociétés étrangères pourraient investir notamment dans des services de gestion d’installations de soins médicaux et dans des maisons de repos. Cependant, le gouvernement du Canada a déposé des réserves au sujet des soins médicaux et des autres services sociaux analogues à celles qui figurent déjà dans l’ALÉNA.

L’ALÉNA exempte les mesures non conformes figurant à l’Annexe I et à l’Annexe II de l’application des dispositions relatives au traitement national, au régime de la nation la plus favorisée, aux obligations de résultats et à la composition des conseils d’administration et de la haute direction des entreprises. Aux termes de l’Annexe I, toutes les mesures non conformes courantes bénéficient d’une clause de protection des droits acquis, mais une fois libéralisées, elles ne peuvent plus être rendues de nouveau restrictives. Les provinces et les États ont eu deux ans pour décrire leurs mesures non conformes(47). Aux termes de l’Annexe II, les mesures courantes non conformes et les mesures nouvelles ou plus restrictives sont exemptées (ce qui veut dire que les principes du statu quo et l’effet de crémaillère ne s’appliquent pas). L’Annexe II contient la liste des services sociaux (y compris les services de santé) qui échappent à l’application des dispositions de l’ALÉNA concernant le traitement national (investissements et services), le régime de la NPF (services), la présence locale (services) et la composition des conseils d’administration et de la haute direction des sociétés (investissement). Les réserves de l’Annexe II s’appliquent aux niveaux fédéral et provincial.

Les réserves que le Canada se propose de déposer pour les services sociaux dans le contexte de l’AMI sont très similaires à celles qui figurent dans l’ALÉNA. Le Canada a déposé des réserves en vue d’exempter les services sociaux de l’application de l’AMI concernant le traitement national, le régime de la NPF, la composition des conseils d’administration et de la haute direction des sociétés et d’autres articles non précisés. Comme dans le cas de celles qui figurent dans l’ALÉNA, les réserves précisent que le Canada se réserve le droit de maintenir ses politiques sociales actuelles ou d’en adopter de nouvelles. Contrairement à ce qui est le cas dans l’ALÉNA, cependant, ces réserves ne concerneraient que le palier fédéral. On ne sait pas encore exactement dans quelle mesure l’AMI toucherait les provinces(48).

   D. Normes environnementales

Trois parties de la version provisoire de l’AMI mentionnent les normes environnementales. Il y a tout d’abord le préambule qui contient la résolution qui suit (entre crochets) : « mettre en oeuvre le présent accord d’une manière qui est conforme aux exigences de la protection et de la conservation de l’environnement ». Le préambule mentionne également entre crochets un « attachement à la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et à Action 21 », et il reconnaît que « l’investissement, à titre de moteur de la croissance économique, peut jouer un rôle clé en assurant la viabilité de la croissance, s’il s’accompagne de mesures environnementales adéquates veillant à ce qu’il respecte l’environnement ».

La deuxième mention de l’environnement se trouve à la disposition traitant des obligations de résultat (paragraphe 4). Cette disposition énonce que les parties pourraient, malgré l’interdiction des prescriptions relatives au contenu national ou l’interdiction des prescriptions relatives aux achats nationaux, adopter ou maintenir des mesures environnementales :

« a) nécessaires pour assurer le respect des lois et réglementations qui ne sont pas
        incompatibles avec les dispositions du présent accord;

b)     nécessaires pour la protection de la vie ou de la santé humaine ou animale, ou pour la
        protection des végétaux;

c) nécessaires à la conservation des ressources naturelles épuisables, biologiques ou autres
     »(49).

 

La troisième mention de l’environnement se trouve dans l’article traitant de l’abaissement des normes. Cet article précise que les parties reconnaissent qu’il ne convient pas d’encourager l’investissement en abaissant les normes sur la santé, la sécurité ou l’environnement ou en assouplissant les normes de travail. Une partie ne devrait (doit)(50) pas renoncer ni déroger, ou offrir de renoncer ou de déroger, à de telles normes dans le dessein d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien d’un investissement d’un investisseur. Une partie pourrait demander des consultations si elle juge qu’une autre partie a offert un tel encouragement.

Certains se sont inquiétés du fait que l’AMI puisse entraîner l’abaissement des normes environnementales. De façon générale, cet effet pourrait être obtenu de deux façons : 1) directement, en forçant le gouvernement à changer les normes environnementales qui contreviennent à des dispositions précises de l’AMI; et 2) indirectement, en facilitant les mouvements de capitaux à l’échelle internationale, ce qui causerait une course au moins exigeant sur le plan des normes environnementales afin d’attirer les investissements.

      1. Effets directs

D’après des analyses, certains règlements environnementaux pourraient contrevenir à l’AMI. Un rapport américain préparé pour la Western Governors Association précise ainsi que les lois environnementales des États de l’Ouest pourraient contrevenir aux dispositions de l’AMI concernant le traitement national, l’expropriation, les obligations de résultats, et les incitations(51). Les aspects suivants des lois des États sur l’environnement et la conservation ont été mentionnés dans le rapport : les limites concernant l’utilisation des terres de l’État; les limites concernant l’aménagement des terres privées; la réglementation des expéditions de pétrole; les incitations à l’investissement dans les domaines de la pollution et des appareils de dépollution et les incitations à l’investissement dans les marchés des matières recyclées.

Toutefois, ces préoccupations relativement aux effets de l’AMI sur les politiques des États américains ne semblent pas fondées. La liste des réserves proposée par le gouvernement des États-Unis exempterait en effet toutes les mesures non conformes (dans tous les secteurs) des États et localités de l’application des obligations contenues dans l’AMI relativement au traitement national, au traitement NPF, aux obligations de résultats et aux cadres supérieurs et conseils d’administration. De plus, en ce qui touche au traitement national et au traitement NPF, les États-Unis se réserveraient le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure liée à des subventions.

Au Canada, les préoccupations relatives à l’impact de l’AMI sur la réglementation environnementale sont en partie dues à une contestation s’appuyant sur le chapitre de l’Aléna traitant des investissements. Cette contestation a été entreprise par la société américaine Ethyl Corporation et vise le projet de loi C-29, Loi sur les additifs à base de manganèse, qui interdit l’importation et le commerce interprovincial de l’additif pour l’essence appelé méthylcyclo-pentadiényl manganèse tricarbonyle (MMT). La compagnie américaine Ethyl Corporation, qui est le seul fabricant de MMT, exporte cet additif à son usine de Carruna, en Ontario, où il est mélangé à l’essence. Le gouvernement canadien allègue que le MMT présente un danger pour la santé et l’environnement et qu’il endommage les systèmes de dépollution des automobiles. Ethyl Corporation soutient pour sa part que rien ne prouve le bien-fondé de ces allégations et que cette loi viole l’ALÉNA en ce qui touche à l’expropriation et à la compensation, aux obligations de résultats et au traitement national.

Certains sont d’avis que l’AMI, en intégrant des obligations en matière d’investissement qui sont semblables à celles incluses dans l’ALÉNA, augmenterait le nombre de contestations des lois environnementales canadiennes effectuées par des entreprises(52). Toutefois, le projet de loi C-29 ne constitue probablement pas un bon test pour juger de la compatibilité des lois environnementales canadiennes avec l’ALÉNA ou l’AMI. Plutôt que d’interdire la fabrication, la vente ou l’importation de MMT en vertu des pouvoirs de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), le gouvernement du Canada a plutôt choisi d’imposer des restrictions commerciales au moyen du projet de loi C-29, et ce, parce qu’il ne croyait pas que le MMT correspondait à la définition d’une substance toxique qu’on trouve dans la LCPE(53). Selon celle-ci, une substance est toxique si elle a un effet nocif sur l’environnement ou si elle constitue un danger pour celui-ci, ou encore si elle présente un danger pour la vie humaine ou la santé. L’ancien ministre du Commerce international, l’honorable Arthur Eggleton, a déclaré dans une lettre au ministre de l’Environnement de l’époque, l’honorable Sergio Marchi, que l’interdiction de l’importation du MMT ne respecte pas les obligations du Canada en vertu de l’OMC et de l’ALÉNA en partie parce que cette restriction ne pourrait être justifiée pour des motifs sanitaires ou environnementaux(54).

Le préambule de l’AMI exhorte les parties à mettre en oeuvre l’accord « d’une manière qui soit conforme aux exigences de la conservation et de la protection de l’environnement ». On ne sait pas trop si le préambule de l’accord a une valeur légale ou s’il revêt simplement un caractère incitatif. Toutefois, il semble peu probable que le préambule l’emporte sur les dispositions mêmes de l’Accord qui obligeraient les parties à fournir un traitement non discriminatoire (traitement national et traitement NPF) ainsi qu’un traitement juste et équitable (traitement général). D’un autre côté, toute clause sur les exceptions environnementales (si l’on décide d’en inclure une dans l’AMI) nécessiterait vraisemblablement (comme c’est le cas pour l’OMC et l’ALÉNA) que les dérogations aux obligations pour des raisons environnementales soient justifiées par des motifs liés à la santé et à la sécurité et à l’aide de preuves scientifiques à jour. Selon le gouvernement du Canada, l’interdiction du MMT ne pourrait être justifiée pour de telles raisons.

      2. Effets indirects

Certains ont soutenu que l’AMI accroîtrait la concurrence pour les investissements étrangers en facilitant les mouvements de capitaux à l’échelle internationale. Selon certains, cette concurrence entraînerait une « course au moins exigeant » puisque les pays abaisseraient leurs normes environnementales ou d’autres types afin d’attirer des investissements étrangers(55). Cet argument a été entendu souvent à l’égard de la libéralisation du commerce et des investissements, mais il est difficile d’en établir le bien-fondé. Les preuves dont on dispose indiquent que lorsque les normes d’un pays d’accueil sont peu exigeantes, les filiales étrangères peuvent décider de respecter les normes plus strictes de leur propre pays(56).

Comme nous l’avons déjà mentionné, la version provisoire de l’AMI comprend une disposition stipulant que les parties contractantes ne devraient (ou doivent) pas abaisser les normes sur la santé, la sécurité, l’environnement ou le travail afin d’attirer des investissements étrangers. Un mécanisme consultatif est prévu lorsqu’une partie juge qu’une autre a contrevenu à cette disposition. La valeur légale de celle-ci dépendra du libellé qui sera retenu - c.-à-d. si les parties contractantes ne devraient pas abaisser leur normes ou si les parties contractantes ne doivent pas abaisser leurs normes.

De toute façon, on dispose de peu de preuves pour affirmer que des pressions sont exercées sur les divers pays afin d’abaisser leurs normes environnementales de manière à attirer des investissements étrangers. Un examen de la documentation dans ce domaine ne permet pas d’affirmer que des différences nationales dans les réglementations environnementales ont constitué un facteur important dans la modification de l’emplacement des industries polluantes. « On croit qu’une réglementation plus sévère dans un pays entraîne une baisse de sa compétitivité et peut-être le départ d’entreprises et la création de paradis de la pollution, mais les nombreuses études empiriques qui ont été entreprises afin de vérifier ces hypothèses n’ont trouvé aucune preuve permettant de les confirmer »(57). Comme les entreprises ne semblent pas avoir tendance à migrer vers les paradis pour pollueurs, il n’y a pas de raison que les divers pays s’engagent sur la voie de la déréglementation environnementale dans ce qui deviendrait une « course au moins exigeant ».

Cette situation s’explique peut-être par le fait que pour la plupart des industries, le respect de la réglementation environnementale entraîne des coûts relativement peu élevés par rapport à l’ensemble de leurs coûts. Une étude faite pour le représentant au Commerce des É.-U. a montré que les coûts de la lutte à la pollution ne représentent en moyenne que 1,1 p. 100 de la valeur ajoutée pour toutes les entreprises américaines et que ces coûts étaient de 2 p. 100 ou moins pour 86 p. 100 de ces entreprises(58). Une étude menée par Dun and Bradstreet Canada pour Environnement Canada a donné des résultats semblables. Elle a ainsi montré que 80 p. 100 des sociétés canadiennes consultées consacraient entre 0 et 2 p. 100 de leur budget à la protection de l’environnement(59). « En général, les règlements environnementaux actuels ne semblent pas nuire à la compétitivité des entreprises au Canada ».(60)

Une autre raison qui pourrait expliquer que les entreprises ne migrent pas vers des paradis pour pollueurs est que les multinationales semblent peu enclines à ternir leur réputation en utilisant des processus de production peu respectueux de l’environnement. De plus, si l’entreprise s’attend à ce que les normes environnementales du pays d’accueil soient plus strictes dans un avenir rapproché, il peut se révéler avantageux d’anticiper ce développement et d’importer immédiatement les plus récentes technologies plutôt que de devoir rénover une usine ultérieurement.

   E. Application des dispositions de l’AMI aux provinces

Comme nous l’avons déjà mentionné, les négociateurs s’attendent à ce que l’AMI s’applique à pratiquement toutes les mesures gouvernementales (lois, règlements et méthodes administratives) prises à tous les paliers de gouvernement (central, fédéral, État, provincial et local). Le gouvernement du Canada déclare qu’il a abondamment consulté les provinces tout au long des négociations relatives à l’AMI(61). Toutefois, on ne sait pas trop encore si les négociateurs réussiront à obtenir l’application de l’AMI aux paliers de gouvernement infranationaux.

Il faudra déterminer si

[…] le traitement accordé à des investisseurs étrangers par un État ou une province infrafédéral satisfera aux exigences relatives au traitement national seulement si ce traitement n’est pas moins favorable que le traitement accordé aux investisseurs du même État ou de la même province, ou encore s’il suffira d’accorder un traitement qui n’est pas moins favorable que celui accordé aux investisseurs de tout autre État ou province. La question devra être tranchée par le groupe de négociateurs au moment opportun(62).

L’UE a proposé que l’article sur le traitement national soit modifié de manière à préciser que dans les cas où une entité infrafédérale accorde à ses propres investisseurs et à leurs investissements un traitement plus favorable qu’elle n’accorde aux investisseurs et investissements provenant d’autres entités infrafédérales de la même partie, le traitement le plus favorable doit être étendu aux investisseurs de l’autre partie contractante. Si cette modification est acceptée, elle pourrait théoriquement faire en sorte que des investisseurs étrangers soient traités d’une manière plus favorable que des investisseurs provenant d’une autre province ou d’un autre État du même pays.

Le gouvernement du Canada a indiqué que les dispositions de l’AMI s’appliqueront aux mesures de compétence provinciale si l’on parvient à établir un équilibre global satisfaisant entre les divers droits et obligations dans le texte de l’AMI. Si l’accord définitif ne vise pas des secteurs relevant de la compétence des provinces, les divers gouvernements provinciaux devront décider si l’AMI s’appliquera à ces secteurs et dans l’affirmative, à quelles mesures. Les provinces pourraient alors déposer des réserves concernant certaines mesures ne respectant pas les dispositions de l’accord.

   F. La loi Helms-Burton

En mars 1996, le président Bill Clinton a sanctionné la Cuba Liberty and Democratic Solidarity (« LIBERTAD ») Act de 1996, aussi connue sous le nom de loi Helms-Burton. Cette mesure législative prévoit entre autres :

a) donner aux citoyens américains le droit de poursuivre des citoyens étrangers qui font le commerce de
    biens confisqués par le gouvernement Castro et réclamés par ces citoyens américains;

b) interdire la délivrance d’un visa pour les États-Unis aux citoyens étrangers qui font le commerce de
    biens confisqués;

c) interdire le financement par des banques américaines de transactions concernant des biens expropriés
   qui sont réclamés par un citoyen américain;

d) codifier les sanctions américaines prises à l’égard de Cuba;

e) exhorter le président à poursuivre les efforts afin d’obtenir un embargo international contre Cuba et à
    prendre des sanctions contre les pays qui continuent à commercer avec Cuba.

 

Le Canada a protesté contre la portée extraterritoriale de la loi Helms-Burton et a lancé une campagne d’opposition à celle-ci. En janvier 1997, des modifications apportées à la Loi sur les mesures extratepritoriales étrangères du Canada sont entrées en vigueur. Ces modifications permettront de s’assurer que les jugements rendus en vertu de la loi Helms-Burton ne seront pas appliqués ou reconnus au Canada et que les Canadiens pourront récupérer devant des tribunaux canadiens les montants adjugés par des cours américaines ou encore les frais juridiques et les dommages liés aux poursuites intentées en vertu de la loi Helms-Burton. Le Canada participe également à titre de pays tiers à la contestation de cette loi par l’UE devant l’OMC. Le Canada a tenu des consultations avec les États-Unis dans le cadre de l’ALÉNA et soulevé cette question devant des organisations internationales comme l’Organisation des États américains et l’OCDE.

Le Canada s’est fortement opposé à la loi Helms-Burton lors des négociations de l’AMI.

Cette loi s’attaque au coeur des objectifs poursuivis [par l’AMI] : elle élimine la protection dont bénéficiaient les investisseurs étrangers aux États-Unis, elle porte préjudice aux droits de propriété d’une manière arbitraire et capricieuse, et elle établit spécifiquement pour les É.-U. une exception extraordinaire par rapport aux normes de l’accord et au droit international habituel. En minant la sécurité des investissements étrangers, elle réduira les investissements, diminuera les revenus et réduira l’emploi(63).

L’accord multilatéral sur l’investissement, s’il doit atteindre les objectifs énoncés dans les décisions ministérielles qui ont lancé ces négociations, doit, du point de vue canadien, traiter des questions qui permettent de fournir un fondement légal et politique à ces mesures, notamment en ce qui touche les aspects liés aux investissements de l’extraterritorialité, des boycottages secondaires et des mouvements de personnel clé. De plus, l’exception relative à la sécurité nationale doit être étroitement circonscrite et ne pouvoir être invoquée que si elle est pleinement justifiée par rapport à des critères précis(64).

Pratiquement tous les pays membres de l’OCDE ont appuyé la position adoptée par le Canada et voulant que l’AMI interdise le boycottage d’entreprises qui investissent dans des pays tiers(65). L’UE a proposé un projet d’article sur les boycottages d’investissements secondaires (basé sur une proposition canadienne) qui précise ce qui suit : « Aucune partie contractante ne peut prendre de mesures qui i) imposent ou peuvent servir à imposer une responsabilité à des investisseurs ou à un investissement d’investisseurs d’une autre partie contractante; i) ou interdit de faire affaire avec des investisseurs d’une autre partie contractante ou impose des sanctions dans ces cas-là »(66).

CONCLUSION

En raison des changements technologiques et de diverses politiques, la mondialisation du commerce et des investissements est devenue une réalité. L’accroissement du mouvement des investissements à l’échelle internationale a été extrêmement rapide au cours des 20 dernières années à la suite de la levée des restrictions concernant les capitaux, de la libéralisation des marchés financiers, de la baisse des coûts des transactions et de la création de nouveaux instruments financiers. Même si les règles du commerce multilatéral existent depuis 1948, année de création du GATT, on n’a pas encore établi une série équivalente de règles multilatérales pour régir les investissements. Comme nous l’avons indiqué plus tôt, il faut négocier un accord multilatéral sur l’investissement pour trois raisons principales :  tirer profit de la mondialisation; gérer les pressions liées à la mondialisation; et  réduire la complexité et étendre la portée du régime international en matière d’investissement.

La négociation d’un AMI laisse entendre qu’il y a des avantages à tirer des investissements internationaux intérieurs et extérieurs. Pour le pays d’accueil, ces investissements peuvent se traduire par une progression de l’emploi, un accroissement de la production économique, une amélioration de la productivité, une augmentation des salaires et une intensification de l’activité économique dans les industries de soutien. Pour les entreprises du pays investisseur, les investissements extérieurs fournissent le moyen de se rapprocher des marchés d’exportation étrangers, en particulier lorsqu’il s’agit de vendre des services qui nécessitent une présence commerciale locale. Les investissements extérieurs permettent également à la société-mère de rationaliser les diverses phases de la production internationale d’une manière efficiente.

La majeure partie de l’AMI semble destiner à permettre aux parties de tirer profit des investissements extérieurs. Les règles sur le traitement national, le traitement NPF, les obligations de résultat, le traitement général, l’expropriation et la compensation, etc., visent à empêcher les pays d’accueil d’exercer une discrimination à l’endroit des investissements étrangers. Ces considérations deviennent de plus en plus importantes pour le Canada puisque les IDE que le Canada effectue à l’extérieur du pays se comparent dorénavant aux IDE que les pays étrangers effectuent au pays.

Toutefois, l’AMI accorde beaucoup moins d’importance aux pressions et coûts associés aux investissements étrangers. L’intensification de la concurrence afin d’attirer les investissements étrangers a parfois donné lieu à des surenchères entre les pays, États ou provinces offrant des incitations afin de séduire les investisseurs étrangers. Même si ces incitations profitent aux entreprises qui en bénéficient, elles provoquent une distorsion des mouvements de capitaux internationaux et peuvent se révéler coûteuses pour les pays d’accueil. Dans le domaine des incitations à l’investissement, l’article qu’on propose d’inclure dans l’AMI requiert uniquement un traitement non discriminatoire (traitement national, traitement NPF) et des consultations lorsqu’une partie contractante juge qu’une incitation à l’investissement a un effet nocif sur ses investisseurs. Cette disposition précise en outre que d’autres négociations seront tenues dans les trois années suivantes « afin d’éviter et de réduire ces effets de distorsion et également d’éviter une concurrence excessive que les parties contractantes se livraient pour attirer ou conserver les investissements »(67). Une disposition plus sévère limitant le recours aux incitations à l’investissement aurait permis d’accroître les avantages liés aux investissements pour les pays d’accueil et de réduire au minimum les distorsions économiques associées à ces incitations.

L’AMI ne traite pas d’autres pressions qui pourraient être associées à la mondialisation comme les problèmes de concurrence et de corruption internationale. Toutefois, l’OCDE s’est déjà penchée sur ces questions. Dans le domaine de la politique de concurrence, tant le Comité du droit et de la politique de la concurrence de l’OCDE que le Groupe de travail sur les relations entre le commerce et la politique de concurrence de l’OMC réfléchissent à ces questions.

En ce qui touche la corruption dans les transactions commerciales, le Conseil de l’OCDE a décidé en mai 1997 d’entreprendre des négociations sur une éventuelle convention visant à criminaliser les pots-de-vin offerts aux agents publics étrangers. L’objectif est de compléter les négociations d’ici la fin de 1997 pour que la convention puisse entrer en vigueur le plus tôt possible en 1998. Le Conseil de l’OCDE a aussi exhorté les divers pays membres à mettre en oeuvre le plus rapidement possible la Recommandation sur la déductibilité fiscale des pots-de-vin qui a été formulée en 1996.

On a soutenu que les pressions liées à la mondialisation entraîneront une « course au pays le moins exigeant » dans le domaine des normes internationales. Toutefois, dans le cas des normes environnementales, peu d’indices nous laissent croire que les entreprises migrent vers des paradis pour pollueurs. Par conséquent, il est difficile de voir pourquoi les gouvernements se verraient forcés d’abaisser leurs normes environnementales afin d’attirer des IDE.

Les craintes voulant que les lois environnementales aillent à l’encontre de l’AMI ne sont pas fondées. Ainsi, aux États-Unis, le gouvernement fédéral a déposé des réserves qui visent pratiquement toutes les lois adoptées par les divers États et localités. On ne sait pas trop si le gouvernement du Canada déposera des réserves générales semblables pour les lois adoptées par les gouvernements provinciaux et locaux. Certains croient que les lois environnementales canadiennes contreviendraient à l’AMI en raison d’une contestation qu’un investisseur a présentée dans le cadre de l’ALÉNA parce qu’une loi canadienne impose des restrictions commerciales à l’égard du MMT, un additif pour l’essence. Toutefois, cette loi ne constitue probablement pas un bon test pour juger de la compatibilité des lois environnementales canadiennes avec l’AMI. Comme l’ancien ministre du Commerce international l’a reconnu, ces restrictions ne peuvent être justifiées pour des raisons sanitaires ou environnementales. De plus, le MMT ne répond pas à la définition d’une substance toxique que l’on trouve dans la loi canadienne sur l’environnement.

La mondialisation pourrait aussi avoir pour effet d’exercer des pressions sur l’emploi et les salaires dans les pays industrialisés. Un certain nombre d’études(68), notamment celles de l’OCDE, ont permis de constater qu’un accroissement des importations en provenance des économies émergentes a entraîné une baisse du salaire relatif et une diminution de l’emploi pour les travailleurs non qualifiés. Les avis sont toutefois encore très partagés quant à l’effet que l’investissement étranger a sur l’emploi et les salaires, et beaucoup d’autres travaux seront nécessaires pour bien comprendre cette relation(69).  De toute façon, peu d’analystes croient que l’imposition de restrictions au commerce ou aux investissements constitue une mesure appropriée pour faire face à la mondialisation. La plupart soulignent qu’il faut plutôt adopter des politiques sur l’emploi qui sont constructives (recyclage, subventions pour favoriser la migration et diverses formes de subventions salariales) et qui sont susceptibles d’aider les travailleurs à se préparer à occuper de nouveaux emplois(70).

L’AMI réduira la complexité de l’ensemble hétéroclite d’accords bilatéraux et plurilatéraux sur les investissements. Comme nous l’avons déjà mentionné, les questions liées aux investissements sont régies par une multitude d’instruments internationaux dont environ 900 traités bilatéraux sur les investissements, les Codes de libéralisation et la Déclaration de l’OCDE, les accords de l’OMC, et des accords commerciaux régionaux comme l’ALÉNA et le traité de l’UE. Ces règles conflictuelles peuvent créer une certaine incertitude pour les multinationales quant au traitement réservé aux investissements directs étrangers. L’adoption d’un traité suprême sur les investissements permettrait non seulement de réduire la complexité des règles visant les investissements, mais également d’étendre le champ d’application de ces règles et de disposer d’un meilleur outil de libéralisation des investissements.

Une partie de la controverse sur l’application de l’AMI aux obligations de résultat, aux industries culturelles, aux programmes sociaux (notamment aux soins de santé), et aux paliers de gouvernement infranationaux est attribuable au fait que les négociations ne sont pas encore terminées. Ainsi, l’exception pour le secteur culturel est toujours en train d’être négociée et de nombreuses personnes ne semblent pas être conscientes des réserves que le gouvernement du Canada a déposées à l’égard de dispositions précises de l’AMI. Ces réserves ressemblent beaucoup à celles qui avaient été déposées par le Canada dans le cadre de l’ALÉNA et qui figurent dans les annexes I et II de cet accord. Ainsi, en vertu de l’ALÉNA, le Canada a conservé le droit de demander à Investissement Canada d’examiner les investissements étrangers et d’établir certaines obligations de résultats en rapport avec ces examens. De plus, les programmes sociaux du Canada ont été exemptés, et les lois et règlements des provinces qui auraient contrevenu à l’accord ont pu être maintenus. Sous de nombreux aspects, l’AMI est une version multilatérale du chapitre sur les investissements de l’ALÉNA. Les obligations qu’on propose d’inclure dans l’AMI ressemblent beaucoup à celles qui figurent dans l’ALÉNA tout comme d’ailleurs les exceptions et les réserves que le Canada a l’intention de demander et de déposer.


(1) Gouvernement du Canada, ministère des Finances, Les négotiations d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce : évaluation des répercussions économiques sur le Canada, août 1994, p. 16.

(2) Richard G. Harris, Globalization: A Critical Survey, rapport préparé pour le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, septembre 1994, p. 21.

(3) Ce rapport aurait augmenté de façon beaucoup plus marquée, mais les services non échangeables ont connu une croissance plus rapide que les biens échangeables au cours de la période. (FMI, Perspectives de l’économie mondiale, mai 1997, Wahington (D.C.), 51)

(4) Ibid., p. 67.

(5) CNUCED, World Investment Report 1996, Investment, Trade, and International Policy Arrangments, New York, Nations Unies, p. xiv.

(6) Ibid., p. 4.

(7) Ibid.

(8) Ibid., p. 5, 9.

(9) Voir : Daniel Schwanen, « Investment and the Global Economy: Key Issues in Rulemaking », dans Investment Rules for the Global Economy: Enhancing Access to Markets, Pierre Sauvé et Daniel Schwanen (éd.), Toronto, Institut C.D. Howe, 1996.

(10) Voir par exemple Christopher C. Beckman, Foreign Investment in Canada II - The Foreign Investment Review Agency: Images and Realities, Étude no 84, Le Conference Board du Canada, novembre 1984.

(11) Voir par exemple Keith Head et John Ries, « Rivalry for Japanese Investment in North America » , dans Richard G. Harris (éd.), The Asia Pacific Region in the Global Economy: A Canadian Perspective, Calgary, University of Calgary Press, 1996.

(12) « Canada Losing Foreign Investment Battle », Foreign Investment in Canada News, Report Bulletin, IC130, novembre 1996, p. 4.

(13) Ibid.

(14) Ibid.

(15) Une étude révèle qu’entre 1981 et 1984, les filiales canadiennes faisant affaire aux États-Unis ont acheté auprès de leurs sociétés-mères au Canada pour environ cinq fois plus que ce qu’elles ont vendu à ces dernières, ce qui équivaut à un déficit de quatre milliards de dollars US du point de vue américain. (Alan Rugman, Multinationals and Canada-United States Trade, University of South Carolina Press, 1990, p. 68.)

(16) Secrétariat de l’OMC, The Link between Trade and Foreign Direct Investment, octobre 1996.

(17) Renato Ruggiero (Directeur général, Organisation mondiale du commerce), « Foreign Direct Investment and the Multilateral Trading System », dans Transnational Corporations, vol. 5, no 1 avril 1996, p. 1 (traduction).

(18) Schwanen (1996), p. 4 (traduction).

(19) Par exemple, les aides gouvernementales à GM pour que celle-ci installe son usine Saturn au Tennessee, en 1985, équivalaient à 27 000 $ US par employé. Huit ans plus tard, en 1993, Mercedes Benz a bénéficié de mesures incitatives évaluées à 167 000 $ US par employé pour installer une usine en Alabama. (CNUCED, Rapport sur l’investissement dans le monde 1995, Les sociétés transnationales et la compétitivité, New York, Nations Unies, p. 296-297.)

(20) Par exemple, voir le témoignage des représentants de la société NOVA devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, fascicule no 20, 6 février 1997.

(21) Groupe de travail de l’OCDE sur l’emploi, Chapter 6 : Trade Earning and Employment : Assessing the Impact of Trade with Emerging Economies on OECD Labour Markets, 3 mars 1997, p. 5.

(22) OCDE, Les effets des échanges et des investissements directs à l’étranger sur l’emploi et les salaires relatifs, vol. III, no 32, Documents de travail de l’OCDE, Paris 1995, p. 26 (traduction).

(23) Alister Smith, « Élaboration d’un Accord multilatéral sur l’investissement à l’OCDE : examen préliminaire », Vers des règles multilatérales sur l’investissement, Documents l’OCDE, 1996, p. 31.

(24) Ibid.

(25) Dans tout le document, la version provisoire de l’AMI à laquelle on renvoie est celle en date du 14 mai 1997 (DAFFE/MAI(97)REV2) (Nota : Il ne semble pas y avoir de version française du DAFFE/MAI (97) REV2. Par contre, il existe une autre version provisoire de l’AMI en version anglaise et en version française (DAFFE/MAI/NM/(97)1). Lorsque le DAFFE/MAI(97)REV2 est cité dans le présent texte, nous avons établi une traduction en nous fondant, toutes les fois que c’était possible, sur la version française du DAFFE/MAI/NM(97)1).

(26) Robert Ley, « The Scope of the MAI », Symposium sur l’AMI, 3-4 avril 1997, Séoul (Corée) (traduction).

(27) Voir plus loin les « Problèmes soulevés par l’AMI ».

(28) Le Canada, le Mexique et les États-Unis ont déposé une réserve quant à l’application de cette disposition aux membres des conseils d’administration.

(29) Le Canada n’a pas encore arrêté sa position au sujet du paragraphe g).

(30) Le Canada n’a pas encore arrêté sa position au sujet des paragraphes k) et l).

(31) Le Canada a aussi proposé que le paragraphe 1a) fasse également l’objet d’une exception dans le cas des incitations à l’investissement. Cela apparaît nécessaire pour couvrir entre autres les programmes de soutien des exportations de produits agricoles et les programmes de promotion des exportations.

(32) Le Canada propose l’inclusion du paragraphe 1a).

(33) La disposition proposée est entre crochets.

(34) La disposition proposée est entre crochets.

(35) Plusieurs amendements sont proposés qui prévoient des dispositions spéciales relativement aux actions.

(36) Version provisoire de l’AMI, p. 46.

(37) On hésite encore entre le présent et le conditionnel.

(38) L’AMI n’entraînerait pas la disparition automatique des restrictions relatives aux investissements dans le secteur financier canadien. L’accès au secteur canadien des services financiers sera déterminé par les négociations sur les services financiers aux termes de l’AGCS. Le Canada a déposé des réserves dans le secteur des services financiers à l’égard des obligations concernant le traitement national et le régime de la nation la plus favorisée. Ces réserves permettraient au Canada de maintenir 1) les restrictions quant à la nationalité des membres des conseils d’administration des institutions financières canadiennes et 2) l’obligation d’obtenir l’autorisation du Ministre pour ouvrir plus d’une succursale bancaire. Le Canada se réserve aussi 1) le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure concernant l’établissement de succursales directes de banques étrangères au Canada et 2) le droit d’interdire l’entrée d’institutions financières étrangères sur son marché à moins qu’un traitement aussi favorable ne soit accordé aux institutions canadiennes sur le territoire de l’autre partie concernée.

(39) Le paragraphe d) ne contient aucun texte, mais une note précisant que d’autres paragraphes ne deviendraient nécessaires que s’il reste des affaires en suspens à la fin des négociations, lesquelles seraient alors confiées au Groupe préparatoire.

(40) Voir par exemple, Tony Clarke, MAI-DAY!, The Corporate Rule Treaty, avril 1997.

(41) Version provisoire de l’AMI, p. 167.

(42) Alan P. Larson, secrétaire d’État adjoint aux affaires économiques et commerciales, « The Move Toward Global Rules on Investment », Economic Perspectives, vol. 2, avril 1997, p. 7 (traduction).

(43) Wendy Cutler, représentante américaine adjointe au commerce extérieur pour les questions d’investissement, de services et de propriété intellectuelle, « Trade-Related Investment Measures and Economic Development », interview dans Economic Perspectives, vol. 2, avril 1997, p. 12 (traduction).

(44) Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (site Web), Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), Décembre 1996, p. 3.

(45) Voir : « Next Election, Your Vote May Be Irrelevant...The New Multilateral Agreement on Investment Gives the Corporations So Much Power, Parliament Won’t Matter », Communiqué du Council of Canadians.

(46) Selon des estimations effectuées à la fin des années 80, environ les trois quarts des dépenses de santé sont effectués par le secteur public. Le quart environ du reste des dépenses ne vise pas des services, mais des biens comme des médicaments et des appareils, fournis en dehors des hôpitaux. (Carolyn Tuohy, « Implications of the Canada-U.S. Free Trade Agreement for the Health Services Sector in Canada », dans Marc Gold et David Leyton-Brown (éd.), Trade-Offs On Free Trade, Toronto, Carswell, 1988.)

(47) Cette échéance a par la suite été supprimée.

(48) Voir la section E plus loin.

(49) Version provisoire de l’AMI.

(50) On débat encore de l’utilisation des termes « devrait » ou « doit ».

(51) Western Governors Association, Multilateral Agreement on Investment: Potentiel Effects on State and Local Government, Denver (Colorado), 1997, p. 14-18.

(52) Tony Clarke, MAI-DAY!, The Corporate Rule Treaty, avril 1997, p. 11.

(53) Voir le témoignage de M. H.A. Clark, sous-ministre adjoint, Environnement Canada, devant le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, 4 février 1997, p. 28-29.

(54) L’honorable Arthur Eggleton, ministre du Commerce international, Lettre à l’honorable Sergio Marchi, ministre de l’Environnement, 23 février 1996.

Le ministre du Commerce international a aussi signalé que le projet d’interdiction de l’importation ne respectait pas les obligations commerciales du Canada parce que la loi n’interdirait pas également la production, la vente ou l’utilisation du MMT au pays. Le ministre a de plus ajouté que la société « Ethyl Corp. pourrait soutenir qu’une telle interdiction équivaut à l’expropriation de ses avoirs au Canada. Ainsi, le Canada pourrait également s’exposer à une contestation par un investisseur d’un État en vertu du chapitre 11 de l’ALÉNA ».

(55) The Preamble Centre for Public Policy, The Multilateral Agreement on Investment: A Bill of Rights for International Investors?, juin 1997, p. 2.

(56) Voir par exemple le témoignage de NOVA Corporation devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères (6 février 1997, fascicule no 20, p. 82). Les représentants de la compagnie ont déclaré au Comité que dans le domaine de l’environnement, de la sécurité, de la santé et de la gestion des risques. les filiales étrangères de NOVA adoptent les normes les plus sévères, qu’il s’agisse de celles du pays d’accueil ou des normes canadiennes .

(57) Judith M. Low, « Trade and the Environment: A Survey of the Literature », dans Patrick Low (éd.), International Trade and the Environment, Washington (D.C.), World Bank Discussion Papers, 1992, p. 27 (traduction).

(58) Office of the United States Trade Representative, Review of U.S.-Mexico Environmental Issues, Washington (D.C.), 25 février 1992.

(59) Comité d’examen environnemental de l’ALÉNA, Accord de libre-échange nord-américain. Examen environnemental du Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, octobre 1992, p. 69.

(60) Ibid.

(61) Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (site web), L’accord multilatéral sur l’investissement (AMI), Décembre 1996, p. 4.

(62) Version provisoire de l’AMI, Mesures infranationales (projet d’article), p. 169.

(63) Canadian Statement on the Helms-Burton to the Negotiating Group of the MAI, 14 et 15 mars 1996, p. 3 (traduction).

(64) Ibid., p. 5 (traduction).

(65) « Canada Proposes OECD Disciplines on Extraterritorial Measures », Inside U.S. Trade, vol. 14, no 27, 5 juillet 1997, p. 8.

(66) Version provisoire de l’AMI, p. 165 et 166.

(67) Ibid., p. 46.

(68) Pour avoir une idée de ces études, voir : Richard G. Harris, Globalization: A Critical Survey (1994).

(69) OECD, Les effets des échanges et des investissements directs à l’étranger sur l’emploi et les salaires relatifs, Vol. III, no 32, OECD Working Papers, Paris 1995, p. 25.

(70) Ibid., p. 26.