BP-453F DIVERSITÉ LINGUISTIQUE
ET CULTURELLE
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
MESURES
CANADIENNES VISANT À MAINTENIR ET PROMOUVOIR MESURES
CANADIENNES VISANT À MAINTENIR ET À PROMOUVOIR A. La politique multiculturelle canadienne B. La politique culturelle canadienne A. À titre de représentants des citoyens C. Au sein dorganisations interparlementaires
DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET CULTURELLE DANS UN CONTEXTE RÉSUMÉ Au Canada, linterpénétration des cultures par le truchement des réseaux de communication et par suite de la libéralisation des échanges commerciaux a été à la fois un risque et un atout. La forte présence culturelle américaine en territoire canadien a toujours constitué un défi pour le Canada, défi quil a surmonté en prenant des mesures sur les plans linguistique, multiculturel et culturel qui ont su assurer le maintien de sa diversité linguistique et culturelle. En plus dintervenir au plan intérieur, le Canada a étendu son action au delà de ses frontières au moment de la création de larges espaces économiques internationaux. Il sest assuré de faire inclure dans lAccord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et de lAccord de libre-échange nord-américain des clauses qui exemptent ses industries culturelles des dispostions de ces accords. Lexpérience acquise en matière de défense et de promotion de sa diversité linguistique et culturelle, aux plans intérieur et extérieur, donne au Canada un rôle de premier plan dans le cadre de lélargissement de lAccord de libre-échange nord-américain et celui de la création dune zone de libre-échange des Amériques. Les parlementaires prennent part aux efforts visant à maintenir cette diversité et ils peuvent donc jouer un rôle dans létude des répercussions de lintégration économique de lhémisphère sur les droits des groupes linguistiques et lidentité culturelle canadienne. En effet, comme représentants des citoyens dans leurs circonscriptions et comme législateurs, ils font connaître les revendications des citoyens et participent à lélaboration des politiques dans ces domaines. De plus, dans le cadre de leur participation aux travaux des organisations interparlementaires, ils peuvent informer leurs collègues des autres pays sur la nature des problèmes canadiens tout en comparant avec eux les solutions apportées aux problèmes communs. À loccasion de la Conférence parlementaire des Amériques, les parlementaires canadiens auront loccasion déchanger sur divers sujets avec leurs collègues des autres pays de lhémisphère et denvisager la création dun réseau parlementaire qui servirait de cadre aux discussions au niveau des Amériques.
DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET CULTURELLE DANS UN
CONTEXTE
Selon certains, lélimination des barrières commerciales entre les divers pays des Amériques et laccès limité de certains dentre eux aux technologies de communication risquent de fragiliser la langue et la culture de certains États ou communautés. Daprès eux, linterpénétration des économies mènerait à linterpénétration des langues et des cultures et menacerait dentraîner lhomogénéisation des spécificités culturelles. Les parlementaires qui prendront part aux ateliers sur les cultures, les langues et les communications dans le cadre de la Conférence parlementaire des Amériques seront invités à discuter des moyens ou des mesures qui pourraient assurer le maintien de la diversité linguistique et culturelle dans un contexte dintégration économique des Amériques; ils seront notamment appelés à examiner des mesures de protection, y compris linclusion dune clause dexemption culturelle dans le cadre dune entente économique au niveau de lhémisphère, et ils seront conviés à réfléchir au rôle quils et elles pourraient exercer à cet égard. Le Canada est un pays doté de deux langues officielles, de nombreuses cultures et dune population autochtone qui puise à plusieurs sources culturelles. Bien que cette diversité soit aujourdhui source de tensions entre ses différents partenaires politiques et quelle se soit même transformée en crise didentité nationale, elle demeure, paradoxalement, une force dans le combat que le pays mène contre les fortes pressions linguistiques et culturelles quexerce sur lui son omniprésent voisin américain. Il est donc impératif pour le Canada dassurer le maintien et la vitalité de sa diversité linguistique et culturelle. Cest dabord et avant tout au plan intérieur que lÉtat doit intervenir sil veut maintenir et promouvoir la diversité linguistique et culturelle de sa population. Il serait vain de prétendre maintenir cette diversité dans un contexte dintégration économique de lhémisphère ou déconomie mondiale si rien nétait fait pour la protéger au plan intérieur. La défense et la promotion de la diversité linguistique et culturelle est partie intégrante des politiques du gouvernement canadien, comme en font foi les lois, les règlements, les institutions, les programmes et les activités qui ont été créés et qui seront brièvement décrits ci-après. Ces mesures visent à promouvoir, chez les Canadiens, un sentiment dappartenance et une identité distincte, et par là, à renforcer lunité nationale. Cette philosophie sest également exprimée lors des négociations qui ont mené aux accords internationaux de libéralisation du commerce, et plus tard au moment de leur signature, notamment lAccord de libre-échange Canada et les États-Unis (ALÉ), lAccord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et les accords émanant de lOrganisation mondiale du commerce. Sur la foi de lévidence, il est permis de penser que le Canada appliquera une fois de plus ce modèle lorsque se tiendront des négociations en vue de lélargissement de lALÉNA et de la création dune zone de libre-échange des Amériques. MESURES CANADIENNES VISANT À MAINTENIR ET PROMOUVOIR La diversité linguistique du Canada vient du fait quil se parle, sur son territoire, deux langues officielles, langlais et le français, ainsi quune multitude de langues autochtones et de langues patrimoniales que des générations successives dimmigrants ont ajouté au tableau linguistique. Près du quart des Canadiens, soit 24,3 p. 100, sont de langue maternelle française, ce qui fait que cette langue est la plus parlée au pays après langlais. Bien que la majorité de la population francophone du Canada soit géographiquement concentrée sur le territoire de la province de Québec, il y a des minorités francophones un peu partout au pays. La majorité francophone au Québec et les minorités francophones ailleurs au pays constituent donc une minorité linguistique sur lensemble du continent nord-américain, majoritairement anglophone. Paradoxalement, les anglophones qui habitent au Québec se retrouvent en position minoritaire sur ce territoire, même si pour ce qui est de la langue, ils font partie dune majorité linguistique au Canada et sur le continent nord-américain. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée par le Parlement en 1982, reprend et précise certains éléments de la Loi constitutionnelle de 1867 ayant trait aux langues officielles. Elle stipule que le français et langlais sont les deux langues officielles du pays et quelles possèdent un statut ainsi que des droits et des privilèges égaux quant à leur usage devant les tribunaux, ainsi que dans les institutions du Parlement et celles du gouvernement du Canada et du Nouveau-Brunswick. La Charte garantit aussi, à même les deniers publics et là où le nombre le justifie, linstruction en langue maternelle pour les minorités de langue officielle. Ces deux actes législatifs sont complétés par la Loi sur les langues officielles de 1988. Celle-ci accorde légalité de statut au français et à langlais devant les tribunaux, au Parlement, ainsi que dans toute ladministration fédérale. Elle précise lengagement du gouvernement fédéral à appuyer et à favoriser lépanouissement des minorités de langue officielle et à favoriser la progression vers légalité de statut et dusage du français et de langlais au sein de la société canadienne. En plus des lois particulières précitées, une loi de portée plus générale permet aussi de veiller au respect des droits de la personne. La Loi canadienne sur les droits de la personne a en effet comme objectif dassurer à tous l'égalité des chances et d'éliminer la discrimination dans la sphère de compétence fédérale. La Loi proscrit toute discrimination basée sur lâge, le sexe, la race ou sur tout autre motif quelle vise. Elle protège quiconque vit au Canada contre la discrimination exercée dans ou par les ministères, organismes et sociétés dÉtat du gouvernement fédéral et par tous les organismes ou industries réglementés par le gouvernement fédéral, notamment les banques à charte, les compagnies aériennes, les télédiffuseurs et radiodiffuseurs et les compagnies de télécommunications et de téléphone interprovinciales. Le Commissariat aux langues officielles est un organisme fédéral qui a pour mandat de veiller à ce que les droits linguistiques de tous les Canadiens, y compris ceux qui forment les minorités linguistiques de langue officielle, soient respectés selon les termes de la Loi sur les langues officielles et ceux de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Commissaire fait régulièrement rapport au Parlement des progrès réalisés ou non à ce niveau et sur les enquêtes quil mène à légard des plaintes reçues. Il est à la fois ombudsman, vérificateur et promoteur de légalité linguistique. Ses principales fonctions ont directement trait à la promotion de la diversité linguistique et culturelle, comme en fait foi son rapport annuel :
Pour sa part, le ministre du Patrimoine canadien a pour responsabilité, entre autres, la progression vers légalité de statut et dusage du français et de langlais ainsi que la promotion et le développement des minorités de langue officielle dans lensemble du pays. Pour ce faire, son ministère administre des programmes daide, notamment le Programme des langues officielles dans lenseignement, par la voie duquel le gouvernement canadien rembourse aux gouvernements provinciaux et territoriaux une partie des frais supplémentaires engagés pour léducation des minorités linguistiques. MESURES CANADIENNES VISANT À MAINTENIR ET À PROMOUVOIR Au Canada, les mesures visant à maintenir et à promouvoir la diversité culturelle peuvent être considérées sous deux volets, à savoir ceux de la politique multiculturelle et de la politique culturelle. A. La politique multiculturelle canadienne Bien que les deux peuples européens colonisateurs-fondateurs forment toujours la majorité de la population canadienne, il demeure quaujourdhui, grâce à une forte politique dimmigration, 31 p. 100 de cette population nest ni dorigine britannique ni dorigine française. Cette diversité multiculturelle a finalement donné naissance à la politique canadienne du multiculturalisme, politique qui reflète larticle 27 de la Charte canadienne des droits et libertés :
La politique canadienne est fondée sur lobjectif de la Loi sur le multiculturalisme, qui est de préserver et de renforcer le multiculturalisme au Canada, de faciliter la préservation de la culture et de la langue, de combattre la discrimination, de favoriser la sensibilisation aux cultures et leur compréhension et de promouvoir au niveau fédéral des changements institutionnels qui tiennent compte de la dimension multiculturelle. La responsabilité dappliquer la Loi relève du ministre du Patrimoine canadien et du secrétaire dÉtat au Multiculturalisme et à la Situation de la femme. Divers programmes permettent de mettre en oeuvre cette responsabilité, par exemple, Relations interraciales et compréhension interculturelle, Participation et appui communautaire et Cultures et langues ancestrales. B. La politique culturelle canadienne Le sentiment dappartenance et didentité culturelle des gens est à bien des égards fonction de leur familiarisation avec les caractéristiques culturelles de leur propre communauté et celles des communautés qui lentourent. Or, la cohésion culturelle interne du Canada a depuis longtemps été menacée par une foule de facteurs, notamment lomniprésence de la production culturelle étrangère en provenance des États-Unis. La population canadienne, qui est faible par rapport à létendue de son territoire, est de plus concentrée sur un étroit couloir de 5 514 kilomètres le long de la frontière américaine; elle a donc un accès relativement facile à la production culturelle américaine. Par contre, la production canadienne est, elle, confrontée aux problèmes que crée léloignement des collectivités ainsi quà ceux qui résultent de la division du marché en deux groupes linguistiques et de la tension entre les impératifs économiques et culturels. Le défi des pouvoirs publics a donc toujours été dassurer un éventail de choix qui permette laccès aux produits culturels canadiens sans pour autant limiter laccès aux réalisations culturelles de létranger. Dans un tel contexte, la production culturelle canadienne a eu peine à sépanouir sans être appuyée directement ou indirectement par lÉtat. Dès lavènement du cinéma et de la radio, le gouvernement du Canada a dû intervenir afin dassurer que les Canadiens puissent avoir loccasion de sentendre, de se voir, de se lire et de communiquer entre eux. Ce développement dans le domaine culturel nétait dailleurs quun prolongement de politiques gouvernementales déjà bien établies dans dautres secteurs et qui visaient à favoriser les échanges entre lEst et lOuest. Ces politiques nationalistes ont été responsables, entre autres, de la création des moyens de transport et de communications les plus importants au pays, notamment les chemins de fer, le télégraphe, le transport routier, les voies deau navigables, les lignes aériennes et enfin le système de télécommunications terrestre et par satellite. Lappui gouvernemental à la technique de pointe de lheure, lautoroute de linformation, sinspire lui aussi de la même philosophie qui veut que les Canadiens aient la capacité dutiliser des infrastructures canadiennes dest en ouest, que laccès à la production canadienne par la voie de ces infrastructures soit assuré et quil y ait promotion des productions canadiennes véhiculées par ces infrastructures. Aujourdhui, le Canada possède un vaste arsenal de lois, de règlements, dinstitutions, de programmes et dactivités qui ont été créés par le gouvernement fédéral. Ces mesures comprennent la mise sur pied de services et dinstitutions publics comme la Société Radio-Canada, le financement direct, des incitatifs financiers ou des incitatifs à linvestissement, le prélèvement de droits, des restrictions relatives à la propriété canadienne, des exigences en matière de contenu canadien, des droits accordés par loi et des ententes internationales portant sur le commerce. Elles visent à assurer une production culturelle canadienne par lappui aux créateurs et aux producteurs, à faciliter laccès du grand public à cette production, à solidifier les infrastructures de distribution intérieures et à préserver le patrimoine culturel pour les générations futures. Outre le ministère du Patrimoine canadien déjà mentionné, les principales institutions publiques qui appuient, assurent ou préservent la production culturelle canadienne sont les suivantes : le Conseil des Arts du Canada, le Centre national des Arts, la Société Radio-Canada, lOffice national du film, Téléfilm Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le Musée des beaux-arts du Canada, le Musée canadien des civilisations, le Musée canadien de la nature, le Musée national des sciences et de la technologie, les Archives nationales du Canada et la Bibliothèque nationale du Canada. Certaines des lois qui jouent un rôle important en matière de politique linguistique et multiculturelle ont été mentionnées plus haut. En matière de politique culturelle, exclusion faite des lois créant les institutions publiques susmentionnées, il y a lieu de signaler la Loi sur la radiodiffusion en raison du rôle clé quelle joue sur la scène culturelle. Les objectifs de la Loi en matière de contenu canadien sur les ondes radio et télé ont permis au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes détablir des mesures réglementaires qui garantissent aux Canadiens accès à une programmation canadienne. Ces mesures ont entraîné une éclosion de services radio, vidéo et télévisuels canadiens et donné le jour à une industrie de production intérieure de grande qualité. Elles ont aussi permis à des centaines dartistes canadiens de disposer de temps dantenne et à plusieurs dentre eux datteindre ainsi à une renommée internationale. Les mesures qua prises le Canada pour assurer sa souveraineté culturelle sont menaçées de diverses façons. Les émissions de télévision en provenance dailleurs pénètrent sur le territoire canadien et de nos jours, lInternet, ce nouvel arrivé du domaine des télécommunications qui est sur le point de conquérir les continents par son étonnante capacité et sa stupéfiante rapidité de transmission des données audiovisuelles, est de plus en plus présent dans les entreprises, les institutions publiques et les foyers du pays. Comme dans bien dautres domaines auparavant, le Canada a réagi rapidement face à ce nouveau phénomène afin dassurer un contenu et une infrastructure canadiens sans pour autant limiter laccès au contenu étranger. Le Canada est aujourdhui doté dune stratégie bien avancée pour la mise en oeuvre de lautoroute de linformation. Limportance quont les télécommunications pour la transmission de la production culturelle a dailleurs été reconnue dans cette stratégie puisque lun de ses trois objectifs est justement « la consolidation de la souveraineté et de lidentité culturelle du Canada »(3). Limportance des produits culturels dans le commerce international, la prépondérance des produits culturels américains en sol canadien et la place de choix que la production culturelle occupe en tant que moyen dexpression sont autant de facteurs qui ont dirigé lattention des gouvernements vers les activités culturelles au moment de la création de larges espaces économiques internationaux. Au cours de la dernière décennie, le Canada sest joint à dautres pays et a conclu plusieurs accords internationaux visant à libéraliser le commerce. Dans un contexte dinterdépendance économique accrue, la promotion de la diversité linguistique et culturelle devient encore plus importante parce quelle permet aux Canadiens de mieux se définir et au Canada de mieux se distinguer des autres pays. Comme le gouvernement du Canada avait établi des politiques internes pour promouvoir la diversité linguistique et culturelle bien avant la conclusion des accords internationaux, il était normal quil poursuive dans la même voie dans larène internationale en sassurant que ces accords comportent des clauses protégeant les industries culturelles canadiennes et les intérêts culturels fondamentaux de toute sa population. Sagissant de lhémisphère américain, le Canada a conclu deux accords de libre-échange, à savoir lAccord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) et lAccord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Les deux accords contiennent une clause(4) qui exempte les industries culturelles(5) canadiennes des dispositions de ces accords. Par contre, les États-Unis se sont également protégés contre cette disposition en insérant une clause nonobstant qui leur permet de prendre des mesures de représailles ayant un effet commercial équivalent lorsque le Canada se prévaut de son exemption. Les exemptions culturelles de lALÉ et de lALÉNA nont pas encore été invoquées par lune ou lautre des parties en cause. Nul ne saurait donc prédire si ces clauses seront suffisantes pour permettre au Canada de créer de nouvelles mesures culturelles ou de maintenir celles qui sont en place. Toutefois, le Canada a de quoi être inquiet puisquil a récemment été soumis à une épreuve amère en ce domaine. En effet, à la suite dune contestation déposée par les États-Unis auprès de lOrganisation mondiale du commerce (OMC), de qui relève des accords tel lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (connu sous le sigle GATT), lOMC a rendu, en 1997, deux décisions qui infirment quatre mesures prises par le Canada pour appuyer les périodiques canadiens. Même si ces décisions ne mettent pas en doute la capacité du Canada, ou de tout autre membre de lOMC, dagir en vue de protéger son identité culturelle, il demeure que le Canada doit maintenant chercher dautres façons datteindre ses objectifs culturels tout en respectant la réglementation de lOMC. Le Canada avait pourtant tenté de protéger ses industries culturelles dans le cadre du GATT. Une situation semblable se présentera-t-elle dans le cadre des accords de libre-échange nord-américains? Dans ce contexte, comment le Canada doit-il envisager sa participation aux discussions en cours pour élargir lALÉNA et créer une zone de libre-échange des Amériques? Cest à plusieurs niveaux que les parlementaires peuvent jouer un rôle en ce qui a trait au maintien de la diversité linguistique et culturelle dans un contexte dintégration économique. En effet, dans un gouvernement démocratique, quil soit du modèle de Westminster, comme cest le cas au Canada, ou quil soit dun autre type, les parlementaires sont à la fois des représentants des citoyens et des législateurs; ils peuvent donc contribuer aux débats et participer aux prises de décisions sur les questions linguistiques et culturelles à ces deux titres. A. À titre de représentants des citoyens En qualité de représentants des citoyens, les parlementaires peuvent jouer plusieurs rôles au sein de leurs circonscriptions. Selon une étude, il y en aurait une demi-douzaine(6). Tout dabord, les parlementaires peuvent agir comme soupape de sûreté, puisque les citoyens leur communiquent leurs frustrations face à certaines politiques ou à labsence de celles-ci; en jouant ce rôle, ils donnent au gouvernement plus de temps pour bien réagir aux problèmes. Ensuite, les parlementaires peuvent être une source dinformation, parce quils communiquent au gouvernement les besoins de leurs commettants tout en expliquant à ceux-ci les initiatives gouvernementales. De plus, ils peuvent agir comme porte-parole de leurs commettants auprès du gouvernement et comme promoteurs des intérêts des citoyens de leurs circonscriptions respectives ainsi que de ceux de toute une région. Enfin, les parlementaires peuvent devenir des amis puissants et aider leurs commettants en facilitant leurs démarches auprès dorganismes gouvernementaux ou commerciaux, ainsi que des bienfaiteurs qui sassurent que les services sociaux, les commerçants et les groupes communautaires de leurs circonscriptions respectives obtiennent leur juste part des prêts, subventions ou autres bénéfices distribués par le gouvernement. Cest en jouant ces nombreux rôles au niveau de leurs circonscriptions que les parlementaires peuvent être partie prenante aux efforts visant à maintenir la diversité linguistique et culturelle. En tant que porte-parole des commettants et promoteurs de leurs intérêts, ils peuvent signaler les besoins dans ce domaine et non seulement expliquer aux autres parlementaires et aux fonctionnaires limportance de cette diversité, mais aussi leur faire part de lappui que leurs commettants accordent aux politiques linguistiques et culturelles. Par contre, en agissant comme soupape de sûreté, les parlementaires peuvent aider le gouvernement à garder la confiance de la population pendant quil étudie les revendications souvent contradictoires en provenance des diverses circonscriptions. En effet, dans un pays comme le Canada qui compte deux langues officielles et où de nombreuses autres langues sont parlées, les besoins des différents groupes linguistiques peuvent varier énormément dune circonscription à lautre. Avant détablir des politiques, le gouvernement doit donc souvent chercher à établir un consensus, ne serait-ce que pour éviter de froisser un groupe linguistique en satisfaisant les besoins dun autre. Un problème du même ordre se pose sur le plan culturel où en plus dune différence dopinions entre les groupes linguistiques, il peut y avoir des visions contradictoires dune région ou dune couche sociale de la société à une autre quant à la part des dépenses que le gouvernement doit consacrer à la promotion des arts et à la protection des industries culturelles. Ainsi, compte tenu de la complexité de la situation, lélaboration des politiques gouvernementales est parfois lente, ce qui exaspère les commettants qui connaissent bien leurs besoins, mais pas nécessairement tous les éléments que le gouvernement doit évaluer. Les parlementaires peuvent renseigner leurs commettants sur la complexité des dossiers en leur expliquant les revendications des autres groupes linguistiques ou les besoins des industries culturelles, tout en prenant connaissance de leurs frustrations et en en faisant part au gouvernement. Ils peuvent ainsi devenir une source dinformation pour leurs commettants pour ce qui est des politiques linguistiques et culturelles; pour ce faire, ils doivent toutefois comprendre eux-mêmes la situation. À cet égard, ils peuvent faire des recherches et communiquer avec les représentants des divers groupes linguistiques et industries culturelles et les fonctionnaires qui oeuvrent dans ces domaines. Par ailleurs, pour bien jouer leur rôle damis puissants et de bienfaiteurs, les parlementaires doivent bien connaître les divers organismes gouvernementaux et commerciaux qui sont responsables de létude des revendications des commettants en matière linguistique et culturelle et qui peuvent leur acheminer les fonds ou laide technique dont ils ont besoin. Les commettants sont souvent perplexes face à la complexité des règlements qui touchent les groupes linguistiques et les industries et activités culturelles et ils ont parfois de la difficulté à saisir comment les pouvoirs sont partagés entre les différents paliers de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) et quelles sont les conséquences de la mondialisation des marchés; à cet égard, les parlementaires peuvent faciliter la tâche des citoyens qui veulent présenter des revendications ou des plaintes. Ainsi, ils peuvent faire savoir à un citoyen qui ne sait pas à qui sadresser pour se plaindre dune émission de télévision quil doit communiquer avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), lequel a pour tâche, entre autres, de sassurer que la programmation est de haute qualité et comporte une forte proportion de contenu canadien. En leur qualité de législateurs, les parlementaires jouent aussi un rôle en ce qui concerne les politiques linguistiques et culturelles car ils prennent part au processus législatif qui permet la création dorganismes dans ce domaine et létablissement de leurs responsabilités. Ainsi, dans le cas du CRTC, les parlementaires canadiens au niveau fédéral ont adopté en 1976 la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et, au cours des années, ils ont adopté et modifié la Loi sur la radiodiffusion, qui régit les politiques dans ce domaine. Dans le cadre du processus législatif, les parlementaires peuvent aussi participer à la détermination des besoins, par exemple, la création dun nouvel organisme ou la mise à jour des règlements, létude des projets de loi présentés par le gouvernement et ladoption des lois. Ils peuvent intervenir lors des débats à la Chambre des communes ou au Sénat et dans les comités. En effet, les projets de loi touchant les politiques linguistiques et culturelles sont envoyés aux comités qui étudient ces questions de façon approfondie. En comité, les parlementaires peuvent communiquer à leurs collègues les préoccupations de leurs commettants en ce qui concerne le projet de loi tout en prenant connaissance des opinions non seulement des commettants de leurs collègues, mais aussi de celles des représentants de groupes linguistiques et dindustries culturelles. Un comité peut apporter des modifications à un projet de loi par suite des présentations des divers groupes et de létude des conséquences de la loi proposée. Les législateurs surveillent aussi la mise en oeuvre des lois quils adoptent. Ainsi, le ministère du Patrimoine canadien et les institutions publiques comme le CRTC, le Conseil des Arts du Canada et la Société Radio-Canada, établis selon des lois adoptées par les législateurs, font rapport au Parlement. Les parlementaires peuvent examiner ces rapports par eux-mêmes ou dans le cadre des travaux dun comité. Le Comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des communes, par exemple, examine toute question relative au mandat, à la gestion et au fonctionnement du ministère du Patrimoine canadien et des institutions publiques qui rendent compte au Parlement par lintermédiaire de ce ministère. Les rapports annuels et les prévisions budgétaires du ministère et des institutions publiques sont étudiés, ce qui donne aux parlementaires loccasion non seulement de sassurer que les politiques sont conformes aux lois constitutives du ministère et des institutions publiques, mais aussi de déterminer quelles modifications on pourrait apporter aux politiques ou aux lois elles-mêmes pour mieux répondre aux besoins. Le Comité du Patrimoine canadien est aussi responsable de la surveillance de la mise en oeuvre de la politique fédérale en matière de multiculturalisme. En ce qui concerne les questions linguistiques, le Comité mixte des langues officielles est chargé de lexamen de la mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles. Les parlementaires peuvent bénéficier des travaux en comité pour obtenir des fonctionnaires et des représentants de divers groupes soccupant des questions linguistiques et culturelles des renseignements qui les aideront à jouer leurs rôles de source dinformation, de soupape de sûreté auprès de leurs commettants et de porte-parole de ceux-ci. Cependant, comme les questions linguistiques et culturelles au Canada néchappent pas à linfluence de phénomènes qui, comme la mondialisation des marchés, linterpénétration des langues et des cultures et le développement de nouvelles technologies de communication, surviennent à léchelle du globe, les parlementaires ne peuvent pas négliger les possibilités déchanger de linformation qui soffrent à eux en raison de leur participation à des organisations interparlementaires regroupant les parlementaires de divers pays. C. Au sein dorganisations interparlementaires La participation aux réunions et aux travaux dorganisations interparlementaires comme lAssemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) et lAssociation parlementaire du Commonwealth (APC) offre en effet aux parlementaires du Canada la possibilité de rencontrer leurs collègues dautres pays. Malgré les distances qui séparent leurs pays et les différences qui existent entre les traditions culturelles et sociales de ces derniers, les parlementaires qui participent à de telles réunions sont en général aux prises avec des problèmes très semblables, que ce soit à titre de représentants des citoyens ou de législateurs. En comparant leurs façons daborder les problèmes, ils peuvent découvrir de nouvelles méthodes de travail ou améliorer celles quils emploient déjà pour mieux servir leurs commettants. Les travaux des organisations interparlementaires peuvent aussi être profitables en ce qui concerne les politiques linguistiques et culturelles. Tous les pays du monde sont en effet touchés par linterpénétration des langues et des cultures et la mondialisation des marchés; les parlementaires peuvent donc échanger des idées sur les mesures à prendre pour faire face aux problèmes qui découlent de cette situation. Lorsque les groupes linguistiques et culturels de divers pays font face à des problèmes semblables dans ces domaines, les parlementaires peuvent, dans le cadre des travaux dorganisations interparlementaires, tenter de trouver des solutions communes. Lorsque les pays ont des opinions divergentes, certains favorisant la protection des industries culturelles, alors que dautres préconisent lélimination de toute restriction sur les échanges commerciaux, les rencontres entre parlementaires peuvent aider les pays à mieux comprendre les intérêts les uns des autres. Même si ces rencontres ne produisent pas une solution immédiate, elle peuvent au moins contribuer à réduire les tensions pendant que lon cherche un compromis. Les organisations interparlementaires peuvent jouer un rôle encore plus significatif sur le plan linguistique ou régional. LAIPLF, par exemple, est un élément important pour la minorité francophone sur lensemble du continent nord-américain, majoritairement anglophone. Cette organisation a pour objectif de favoriser le rayonnement de la langue française et de défendre et dillustrer la culture française. Outre quelle représente la francophonie à travers le monde, lAIPLF, par lentremise de sa section Amérique, où le Canada, lÎle-du-Prince-Édouard, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, lOntario et le Québec sont représentés, permet aux parlementaires francophones ou à ceux qui sintéressent à la francophonie de discuter aussi des problèmes linguistiques et culturels dans le contexte canadien et celui des Amériques en général. Ainsi, au cours de réunions régionales, les parlementaires membres de la section Amérique ont loccasion de mieux connaître les problèmes et les besoins des communautés francophones avoisinantes et ils peuvent ensuite les signaler aux membres des autres régions. Par ailleurs, parce quelle a été reconnue comme assemblée consultative des Sommets des chefs et de gouvernements des pays francophones, lAIPLF joue un rôle important dans lélaboration des politiques et ladoption de mesures visant à protéger les droits linguistiques des communautés francophones et à favoriser lessor de leurs industries culturelles. Cependant, les discussions au sein de lAIPLF ne se limitent pas aux questions linguistiques car les grandes tendances comme la mondialisation des marchés et lintégration économique régionale ont une incidence non seulement sur les droits linguistiques et lidentité culturelle, mais aussi sur tous les autres aspects de la vie des citoyens que représentent les parlementaires. En effet, à lAIPLF, ainsi quà lAPC et dans les autres organisations interparlementaires, on parle de plus en plus des répercussions de lintégration économique, plusieurs régions du globe ayant déjà franchi plusieurs des étapes de cette intégration. La différence de niveau dintégration entre deux régions peut créer des problèmes pour leur commerce, par exemple, si la région dont lintégration est plus avancée protège ses industries culturelles au détriment de celles de lautre région. Les parlementaires sont inévitablement préoccupés par la question, surtout si les industries culturelles touchées par une telle situation sont cruciales pour la vitalité dun groupe linguistique. Pour le moment, les discussions qui ont lieu sur de telles questions entre les parlementaires canadiens et leurs collègues des Amériques se limitent à celles qui se déroulent au sein des sections Amérique de lAIPLF et de lAPC et lors des réunions de toutes les sections de ces organisations, ainsi quà celles qui ont lieu dans les réunions parlementaires bilatérales. Le processus dintégration économique dans diverses régions des Amériques a entraîné la création dinstitutions parlementaires internationales comme le Parlement centraméricain et la Commission parlementaire conjointe du Mercosur, mais, il nexiste pas encore de réseau parlementaire des Amériques permettant à tous les parlementaires des pays de lhémisphère de se rencontrer. La création possible dun tel réseau sera dailleurs lune des questions qui seront discutées à la Conférence parlementaire des Amériques en septembre 1997. Les avantages des discussions entre parlementaires de divers pays sont bien connus, mais le rôle des organisations et institutions interparlementaires en ce qui concerne lintégration économique nen est encore quà ses débuts. Dans les différentes régions des Amériques où lon a conclu des accords de libre-échange, lengagement à légard de lintégration économique et surtout de lintégration politique varie dune région à lautre; un éventuel réseau hémisphérique devrait donc vraisemblablement tenir compte de ces différents niveaux dintégration. Dailleurs, étant donné que lintégration économique dans lhémisphère nen est quà ses premières étapes, il reste à déterminer jusquà quel niveau elle ira et surtout si elle sera suivie dune intégration politique. Si un réseau parlementaire des Amériques est créé, les parlementaires devront sassurer que les questions concernant le maintien de la diversité linguistique et culturelle auront une place de choix dans les discussions car lintégration économique de lhémisphère aura inévitablement dimportantes conséquences dans ce domaine. Au Canada, pour reprendre et ajouter à lénoncé dArmand Mattelart cité en exergue, linterpénétration des cultures par le truchement des réseaux de communication et par suite de la libéralisation des échanges commerciaux a été, de tout temps, à la fois un risque et un atout. Du côté risque, signalons que alors que la population anglophone canadienne est envahie par la production culturelle américaine dans sa propre langue, la population francophone, elle, lest par une production nord-américaine de langue anglaise. Les réseaux de communication ont pour beaucoup contribué à cette situation, et il y a tout lieu de croire quen raison de léclosion des communications par satellite et par lInternet, les technologies de communication accentueront cette interpénétration des cultures. Le Canada a su jusquici démontrer, par ses politiques sur les plans linguistique, multiculturel et culturel, que le risque que pose linterpénétration des cultures est surmontable, mais quil doit être bien compris et fermement et constamment pris en considération par tout gouvernement. Dautre part, cette interpénétration a un aspect positif non négligeable, à savoir lélargissement de notre vision du monde, laccroissement des échanges sociaux et commerciaux, et qui sait, un jour, létablissement de la paix dans le monde. Lexpérience quil a acquise en matière de défense et de promotion de sa diversité linguistique et culturelle, tant aux plans intérieur quextérieur, donne au Canada un rôle de premier plan dans le cadre de lélargissement de lAccord de libre-échange nord-américain et celui de la création dune zone de libre-échange des Amériques. * Cette étude a été antérieurement rédigée pour la délégation du Parlement du Canada à la Conférence parlementaire des Amériques, qui sest tenue en septembre 1997, à Québec. (1) Armand Mattelart, « La nouvelle idéologie globalitaire », dans La Mondialisation au-delà des mythes, Paris, Éditions La Découverte et Syros, Les Dossiers de lÉtat du monde, 1997, p. 89. (2) Commissaire aux langues officielles, Rapport annuel, Ottawa, 1995, p. 1. (3) Industrie Canada, Lautoroute canadienne de linformation : Une nouvelle infrastructure de linformation et des communications au Canada, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, avril 1994. (4) Article 2005 de lALÉ et article 2106 de lALÉNA. (5) Les industries culturelles sont définies à larticle 2012 de lALÉ. (6) Voir Philip Norton, « The Growth of the Constituency Role of the MP », Parliamentary Affairs A Journal of Comparative Politics, vol. 47, no 4, octobre 1994, p. 705 et suivantes. |