BP-454F
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE :
Rédaction :
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE :
RÉSUMÉ La Commission Brundtland a décrit le concept de développement durable en 1987; toutefois, au cours des dix ans qui ont suivi, certaines des idées de base de ce concept on été oubliées. Il est utile de bien comprendre que les limites du développement durable ne sont pas figées, mais dynamiques. Ce qui peut sembler un problème insurmontable aujourd'hui peut devenir plus facile à éliminer avec l'évolution de la technologie et des attitudes sociales. Nombreux sont ceux qui diront qu'un plus grand développement économique alimenté par le libre-échange est nécessaire afin de réduire la pauvreté et les problèmes environnementaux qu'elle cause; pourtant, le développement économique est lui-même une cause majeure de la détérioration de l'environnement. Pour certains, la perspective d'un avenir durable semble impossible en raison de l'explosion démographique, de l'épuisement des ressources, des limites apparentes de la production alimentaire, et des crises environnementales à l'échelle du globe, comme le changement climatique. Il est évident que la planète ne peut soutenir une population mondiale sans cesse croissante; toutefois, les démographes prévoient maintenant que la population mondiale se stabilisera, grâce à l'acceptation et aux succès phénoménaux des techniques de contrôle des naissances, à environ 12,4 milliards en 2035, ou à 14 milliards en 2100. Un grand nombre d'entre eux ont conclu qu'une population d'environ 14 milliards pourrait être en fait viable. Tout indique qu'une production agricole accrue et améliorée pourrait nourrir une population mondiale 2,3 fois plus importante que celle d'aujourd'hui, mais il y aura des défis à relever. Parallèlement, la coopération internationale et un engagement envers la gestion des aliments pourraient permettre d'assurer la production durable de ressources renouvelables. Les combustibles fossiles seront épuisés; toutefois, le prix plus élevé de l'énergie pourrait encourager le développement de sources d'énergies renouvelables plus écologiques. Les préoccupations environnementales, comme le changement climatique, sont réelles, mais elles ont tendance à être exagérées. Comme l'a affirmé la Commission Brundtland, il est possible qu'on assiste à une nouvelle ère de croissance économique basée sur des politiques de durabilité et de croissance des ressources environnementales; toutefois, il faut d'abord s'attaquer au problème de la pauvreté mondiale. Un moyen d'y parvenir est le libre-échange. L'élimination des subventions, des droits et des quotas à l'importation permettra aux pays de réussir dans les secteurs économiques où ils détiennent un avantage comparatif. L'environnementalisme est un phénomène en pleine évolution. La demande d'une amélioration de la qualité de l'environnement augmente avec le niveau de vie. De plus, le développement économique doit fournir les moyens d'atteindre les objectifs environnementaux. À lheure où les pays de l'hémisphère occidental se réunissent pour envisager la création dune zone de libre-échange des Amériques, il est clair que leur but n'est pas limité aux considérations économiques, et qu'ils visent un avenir durable sur les plans économique, social et environnemental. Dans la déclaration de Santa Cruz de la Sierra, les pays du continent américain ont tracé un chemin vers le développement durable. Ils ont affirmé leurs divers engagements : adopter un système commercial multilatéral équitable et non discriminatoire; s'attaquer à la pauvreté; promouvoir des stratégies visant à répondre aux besoins des segments les plus vulnérables de la société; protéger l'environnement; et renforcer les capacités scientifiques et technologiques.
TABLE DES MATIÈRES
A. Les concepts et les principes B. L'équité entre les générations LA REMISE EN QUESTION DES AFFIRMATIONS ENVIRONNEMENTALES C. L'épuisement des ressources naturelles D. Les crises de l'environnement planétaires L'ÉVOLUTION DES PRIORITÉS EN MATIÈRE D'ENVIRONNEMENT LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE LE LIBRE-ÉCHANGE DANS LES AMÉRIQUES
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE :
À l'approche de la fin du XXe siècle, on saccorde de plus en plus à dire que la pauvreté constitue la plus importante menace à l'environnement mondial. On comprend aussi de plus en plus que toute tentative de trouver une solution aux problèmes environnementaux de dimension mondiale sera en grande partie futile à moins que lon sattaque dabord à la pauvreté et à l'inégalité dans le monde. Notre avenir à tous, le rapport de 1987 de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (Commission Brundtland), aborde cette importante question de façon positive, affirmant que les gens peuvent façonner un avenir plus prospère, plus juste et plus sécurisant sans causer de dommages importants à l'environnement ni épuiser les ressources. Au lieu d'un monde où les ressources diminuent, où la pollution augmente et où la misère humaine s'accentue, la Commission a contemplé la possibilité d'une nouvelle ère de croissance économique basée sur des politiques de durabilité et de croissance des ressources environnementales. Les commissaires ont reconnu qu'une telle croissance est absolument nécessaire pour venir à bout de la grande pauvreté qui s'accroît dans la majeure partie des pays en développement, et ils ont désigné la libéralisation des échanges comme étant une première étape essentielle pour atteindre ce but. La perspective d'une croissance de l'économie mondiale alimentée par le libre-échange donne lieu à une énigme environnementale. Depuis la publication de Printemps silencieux, de Rachel Carson il y a 35 ans, le développement économique est synonyme de saccageur de la nature. L'activité industrielle, la mise en valeur des ressources et la production agricole ont toutes été accusées dêtre la cause d'une multitude de maux environnementaux : appauvrissement de la couche d'ozone; réchauffement du globe; pollution de l'air, de l'eau et des sols; érosion du sol; désertification; perte d'espèces; et épuisement de ressources naturelles non renouvelables limitées. Il faut donc se poser la question suivante : quelle augmentation, et non diminution, du développement économique peut guérir les maux de la planète? Dans le présent document, nous examinons cette contradiction apparente et mettons en doute certaines croyances et attitudes environnementales qui nous empêchent d'atteindre le développement durable. De plus, nous étudions le lien entre les échanges et le développement durable dans le contexte dune zone de libre-échange des Amériques. A. Les concepts et les principes Selon la Commission Brundtland, le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs. La Commission a également déterminé quil y a deux principes clés à la base conceptuelle du développement durable. Premièrement, en s'efforçant de satisfaire ses besoins essentiels, lhumanité doit accorder la priorité au développement qui augmente le niveau de vie des pauvres; deuxièmement, les limites du développement durable ne sont pas figées, mais dynamiques. Les limites qui existent aujourd'hui peuvent disparaître à mesure que les technologies évoluent et que l'organisation sociale s'adapte. La base de connaissances augmente de façon exponentielle et l'histoire ne signale que très peu de cas où les nouvelles technologies ne sont pas meilleures, plus propres, plus rapides et plus efficaces que celles qu'elles remplacent. Ce qui est peut-être plus important pour les pauvres dans le monde : ces connaissances peuvent maintenant être distribuées et partagées plus facilement que jamais auparavant. Avec l'évolution des connaissances, on trouvera probablement des réponses à des questions qui n'ont jamais été posées, ou les moyens de satisfaire des besoins autrefois non reconnus. Il arrive cependant plus souvent que la nécessité soit mère de l'invention. Il se peut que la raréfaction d'une denrée entraîne une augmentation de son prix et l'effondrement dun procédé industriel. Cette situation encourage la recherche et le développement, qui peuvent entraîner l'utilisation de moyens de remplacement ou la mise en place d'un procédé de fabrication tout à fait nouveau d'un produit semblable ou meilleur. Parallèlement, maintenant que les combustibles fossiles deviennent limités, des incitatifs financiers encourageront la mise en valeur de nouvelles sources d'énergie. Il est donc peu probable qu'un avenir durable soit limité par notre utilisation actuelle de ressources bien spécifiques; l'ingéniosité humaine et l'abondance sans cesse croissante des connaissances devraient ouvrir de nouvelles avenues. La Commission Brundtland a également souligné le fait que le développement durable doit comprendre une transformation progressive de l'économie et de la société. Le développement durable ne pourra probablement pas continuer d'évoluer s'il est confiné par des structures sociales et politiques rigides. Le développement humain dépend d'une évolution socio-politique parallèle qui garantit l'accès équitable aux ressources et aux avantages découlant de leur mise en valeur. Ce qui est encore plus important, c'est l'environnement dans lequel on tente d'abord de soutenir un avenir durable. Le développement humain équitable ne peut progresser dans des conditions socio-politiques qui favorisent ou soutiennent la marginalisation de groupes vulnérables. Le développement durable nécessite que les avantages résultant de la mise en valeur d'une ressource soient distribués équitablement à tous les membres de la société. Ces avantages peuvent être directs, sous forme d'emplois, ou être le fruit d'un investissement judicieux de richesse créée dans l'infrastructure, comme l'éducation, les soins de santé, la recherche, les routes, les communications, la production et la transmission d'énergie, la construction domiciliaire, l'approvisionnement en eau et le traitement des déchets. De cette façon, même les segments les plus pauvres de la société peuvent en profiter, le niveau et la qualité de vie peuvent s'améliorer et, avec le temps, on obtient une population en meilleure santé et mieux éduquée, capable de générer encore plus de richesse. B. L'équité entre les générations Aucun concept lié au développement durable n'est probablement plus mal compris que l'équité entre les générations. Ce malentendu est l'un des plus gros obstacles à un avenir durable. Bien des gens dans les pays en développement considèrent que la société pré-industrielle était plus heureuse, plus propre, moins stressée par le temps, et qu'elle vivait plus en harmonie avec la nature. Certains croient que le rythme actuel du développement économique et la quête de biens matériels causent des torts irréparables à la planète, sous forme d'épuisement des ressources, de pollution, dappauvrissement de la couche d'ozone et de réchauffement du globe. Cette impression de fin du monde imminente a donné lieu à une culture de défense de l'environnement qui favorise les styles de vie dissociés de la consommation. Cette culture a eu son plus vaste auditoire lors du Sommet de la Terre de 1992, alors que les habitudes de consommation des pays industrialisés du Nord ont été accusées dêtre la principale cause de la détérioration de l'environnement partout dans le monde. On y a déclaré que la capacité biotique du globe s'effondrerait sûrement si les populations pauvres du Sud en arrivaient à un développement économique et à un niveau de consommation semblables à ceux dont on jouit dans le Nord. Cette opinion est cependant à l'opposé de celle avancée par la Commission Brundtland, selon laquelle la croissance économique est absolument essentielle pour venir à bout du problème de la pauvreté dans les pays en développement. La Commission préconise l'équité à l'intérieur de chaque génération, et l'équité entre les générations. Les groupes opposés au développement économique disent que cela signifie que chaque génération doit vivre parcimonieusement sur la Terre, n'utilisant que ce qui est absolument nécessaire et laissant la planète presque intacte pour la prochaine génération. Selon eux, l'intégrité entre les générations consiste à accorder les droits sur les ressources aux personnes non encore nées des générations futures, c.-à-d. que ces dernières ont autant droit que la génération actuelle aux ressources naturelles de la planète. À leur avis, celle-ci a donc comme obligation de conserver, voire de rationner, les réserves connues de ressources non renouvelables de sorte que les générations futures n'en soient pas privées. Ce concept suppose cependant que les besoins des générations futures seront les mêmes que les nôtres. Imaginons que l'on ait observé ce concept il y a 150 ans; les Canadiens de la génération dalors auraient conservé le cuivre pour permettre aux Canadiens daujourdhui de fabriquer des fils télégraphiques, les pins blancs des vieilles forêts pour construire les mâts de leurs voiliers et le kérosène pour répondre à leurs besoins en éclairage. Sil était impossible pour nos ancêtres de prévoir nos besoins actuels, il est encore plus difficile pour nous de prévoir ceux de nos descendants vu la croissance technologique exponentielle. Nombreux sont ceux qui diront qu'il n'est pas raisonnable ni de rationner ni de gaspiller les ressources naturelles; il incombe plutôt à chaque génération de mener son développement de façon à ne pas causer de dommages à long terme au milieu naturel. De même, chaque génération doit s'assurer qu'une certaine partie de la richesse créée par la mise en valeur du capital naturel soit investie prudemment dans le capital anthropique qui améliorera la qualité de la vie des générations futures. En investissant aujourd'hui dans les connaissances et l'infrastructure sociétale, nous garantissons de la façon la plus complète que l'on pourra répondre aux besoins de demain. LA REMISE EN QUESTION DES AFFIRMATIONS ENVIRONNEMENTALES Presque toutes les grandes conférences sur l'environnement de la dernière décennie, et certainement le Sommet de la Terre de 1992 et la réunion de suivi quinquennale de 1997, ont été qualifiées de « dernière chance de sauver la planète ». Certains soutiennent que les affirmations faites par les groupes environnementaux sont souvent exagérées et que la planète a bien plus besoin d'une bonne gestion que d'un sauvetage. Il y a deux croyances environnementales qui, si jamais elles étaient vraies, rendraient toute poursuite du développement durable futile ou, du moins, très difficile : la population mondiale est en train d'atteindre un rythme de croissance incontrôlable, et la capacité biotique fragile de la planète est sur le point de s'effondrer en raison de l'épuisement irréversible des ressources naturelles limitées et de la surcharge de la biosphère par les déchets toxiques. Ce genre d'affirmation a eu l'effet bénéfique de sensibiliser le public à l'environnement et d'encourager les décideurs à instituer des programmes et à adopter des règlements qui visent à protéger et à conserver l'environnement. Les données recueillies par l'Organisation mondiale de la santé, la Banque mondiale et les Nations Unies montrent cependant que, partout dans le monde, la mortalité infantile a diminué, que l'espérance de vie a augmenté et qu'on satisfait mieux que jamais les besoins fondamentaux : nourriture, abri et vêtement. Il existe des preuves de l'effondrement à léchelle locale et même à léchelle régionale de certains systèmes environnementaux, mais cela ne signifie pas nécessairement que la biosphère soit menacée. Ces observations signifient quil faut mieux gérer et préserver lenvironnement; il faut s'attaquer à certains secteurs préoccupants, mais il y a certainement de l'espoir pour l'avenir. Pendant des milliers d'années, la population mondiale a augmenté à la vitesse de l'escargot. Il a fallu plus d'un million d'années pour qu'elle atteigne le milliard, au début du XIXe siècle; cependant, une fois dépassé le milliard de personnes, elle a commencé à augmenter rapidement, de sorte quil y a maintenant environ six milliards dhumains sur la planète. Cette croissance démographique a été des plus rapides durant les quinze années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, une époque où le taux de croissance élevé coïncidait avec un taux de mortalité à la baisse. Après 1960, toutefois, la croissance démographique a commencer à ralentir et, aujourd'hui, elle diminue considérablement. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le niveau de fertilité chute partout dans le monde, mais la principale est le perfectionnement des techniques de contrôle des naissances qui permettent à de nombreux pays en développement de mettre en oeuvre des politiques strictes en matière de planification des naissances. De 1960 à 1990, le nombre de couples utilisant une forme quelconque de contrôle des naissances est passé de 50 à 400 millions. Au milieu des années 90, le pourcentage de femmes en âge de procréer qui faisaient appel à une méthode de contrôle des naissances dans les pays industrialisés et les pays en développement était respectivement de 51 et 70 p. 100. Les démographes prévoient que d'ici l'an 2000, le taux de natalité dans presque tous les pays industrialisés du Nord sera tombé presque au niveau nécessaire pour maintenir l'équilibre démographique, et même qu'il sera au-dessous de ce niveau. Dans les pays du Sud, il semble y avoir une plus grande variation dans le taux de diminution de la fertilité; toutefois, on s'attend à ce que la population mondiale se stabilise entre 2035 et 2100. Les prévisions démographiques faites par la Banque mondiale et les Nations Unies s'accordent sur le fait que la Terre comptera alors entre 12,4 et 14 milliards de personnes selon que léquilibre sera atteint en 2035 ou en 2100. La question qui se pose maintenant est de savoir si l'écosystème terrestre peut fournir suffisamment de ressources pour supporter une population stable qui serait plus du double de celle d'aujourd'hui. De nombreux écologistes prétendent que lhumanité a maximisé la quantité de terres qui peuvent être consacrées à l'agriculture et que les pratiques et les technologies agricoles ont atteint leurs limites naturelles. D'autre part, les agronomes sont confiants que les ressources agricoles du monde puissent être encore davantage mises en valeur, et qu'elles puissent répondre aux besoins alimentaires de 14 milliards de personnes. Au début du siècle actuel, le Canada et les États-Unis avaient des économies principalement agraires caractérisées par des pratiques agricoles rudimentaires. Entre 1910 et 1990, bien que la superficie consacrée à l'agriculture aux États-Unis ait légèrement diminué, passant de 325 à 322 millions d'acres, la production agricole a augmenté de 370 p. 100. La même situation sest produite au Canada, ou des millions d'acres de terres agricoles marginales ont été reboisées. Au cours des 25 dernières années, la production alimentaire mondiale a doublé; 90 p. 100 de cette augmentation est attribuable à la productivité accrue des terres agricoles existantes, et seulement 10 p. 100 à l'augmentation de la superficie de ces terres. À l'instar des pays industrialisés qui ont vu leur productivité agricole augmenter, les pays en développement devraient voir des hausses énormes de la productivité à mesure que les pratiques agricoles à rendement élevé, les engrais commerciaux, les variétés améliorées et les systèmes d'irrigation efficaces y deviendront de plus en plus utilisés. Le transfert de technologies d'irrigation améliorées est particulièrement important à cet égard. Les systèmes utilisés dans la majeure partie du monde sont très peu efficaces; on perd de grandes quantités d'eau douce qui pourrait servir pour soutenir les animaux sauvages et les poissons ou pour les activités manufacturières. Ce qui est pis encore, l'irrigation excessive cause la salinisation du sol et la perte à long terme de terres agricoles productives. La productivité alimentaire pourrait également augmenter grâce à la mise en culture de terres arables encore inutilisées ou sous-utilisées. Environ 24 p. 100 de toute la masse terrestre non couverte par les glaces est propre à l'agriculture et pourtant, moins de 50 p. 100 de cette superficie est cultivée chaque année. Il convient également de faire remarquer que les rendements extrêmement élevés de certains légumes (tomate, laitue, concombre, poivron et haricot) sont obtenus grâce à la culture en serre et à la culture hydroponique. Certains disent que les pratiques agricoles modernes intensives réduisent la fertilité des sols et causent l'érosion. Même si tous les agronomes ne partagent pas entièrement cette opinion, il ne fait aucun doute que le rétablissement de la fertilité du sol deviendra un domaine de recherche de plus en plus important. Il faut également reconnaître que même si la Terre est probablement capable de produire suffisamment d'aliments pour nourrir 14 milliards de personnes, la sécheresse ou les systèmes inefficaces de distribution des denrées alimentaires pourraient menacer de famine des millions de personnes. Aussi, les habitants les plus pauvres de la Terre pourraient avoir de la difficulté à se procurer des produits locaux, à plus forte raison les tomates hydroponiques importées d'Europe. Pour bien des pays du monde, la seule réponse à la menace de la faim réside probablement dans l'adoption de pratiques agricoles durables et dans un fort engagement national à légard de la planification familiale. C. L'épuisement des ressources naturelles Toute ressource naturelle renouvelable, comme les forêts ou les stocks de poissons, devrait être toujours renouvelable grâce à une bonne gestion; les possibilités den arriver à une telle gestion sont souvent meilleures lorsque quelquun possède les ressources. Les abus à légard du patrimoine naturel sont en train de détruire les forêts ombrophiles, de dévaster les stocks de poissons et de menacer la biodiversité, mais le résultat peut être différent lorsque quelquun possède les ressources. Par exemple, de nombreux Canadiens de Terre-Neuve sont sans emploi à cause de l'effondrement de la pêche à la morue alors que des piscicultures au Chili, en Norvège, dans l'Asie du Sud-Est, au Japon et en Grande-Bretagne approvisionnent de plus en plus les marchés mondiaux de fruits de mer. Cependant, il convient de faire remarquer que la possession privée de ressources naturelles n'est pas une garantie de bonne gestion. L'histoire est riche en exemples de mauvaises décisions et de destruction d'une ressource locale pour un gain à court terme. Également, la mauvaise gestion des élevages de poissons et de crevettes peut causer une très grande pollution, et nombreux sont ceux qui prétendent que ces pratiques ne remplacent pas la pêche traditionnelle bien gérée. La coopération internationale sous forme d'accords internationaux visant à conserver les ressources partagées (p. ex. les stocks chevauchants) est essentielle si lon veut mettre fin à la dilapidation des biens communs. Il faut beaucoup trop de temps pour convertir la matière organique en charbon, pétrole et gaz naturel pour considérer les combustibles fossiles comme une ressource renouvelable; en fait, de toutes les ressources, c'est la seule qui peut vraiment être épuisée. Selon le Geological Survey Data des États-unis, il y a assez de combustibles fossiles récupérables pour durer un peu plus de 500 ans aux rythmes prévus de la demande. Cette prévision est loin d'être aussi rose qu'elle semble l'être parce que les réserves de pétrole et de gaz qui brûlent sans émettre trop de toxiques seront épuisées longtemps avant que les réserves de charbon moins recommandables soient totalement exploitées. Plus ces réserves se feront rares, plus les coûts augmenteront et plus les sources d'énergie renouvelables de rechange deviendront concurrentielles. La recherche en énergie solaire et éolienne et en bioénergie, qui a été beaucoup financée à la suite de la crise du pétrole des années 70, connaîtra probablement un renouveau, et il pourrait y avoir un réexamen de l'énergie nucléaire afin de trouver de nouvelles façons de la rendre plus sécuritaire. L'épuisement futur des combustibles fossiles a déjà encouragé de nombreux pays, particulièrement le Japon, à étudier la possibilité d'exploiter les immenses réserves de méthanol des fonds marins pour remplacer les sources actuelles de gaz naturel. Également, on encouragera probablement la recherche dans les domaines des économies d'énergie, comme une transmission plus efficace de l'énergie, et la mise au point d'une deuxième génération de procédés, de machines, de moteurs et d'appareils éconergétiques. Les sceptiques seront portés à dire que nous avons atteint le zénith de nos capacités techniques à produire, stocker et utiliser l'énergie, mais rien n'est plus faux. Nos ancêtres il y a 100 ans ne connaissaient rien de l'énergie thermonucléaire ; il ne faut donc pas écarter la possibilité que le monde de l'an 2100 soit alimenté par une source d'énergie dont nous n'avons actuellement aucune idée. Il existe un moyen simple de déterminer si l'offre d'une ressource est limitée : il suffit danalyser les données relatives au prix des produits de base. Un examen du prix des aliments, du bois, du papier, des minéraux et de l'énergie comparativement au pouvoir d'achat pendant la période allant de 1950 à 1990 (tableau 1) montre que les ressources sont devenues moins chères. Un embargo imposé sur le pétrole ou la liquidation désespérée d'une denrée afin de financer le paiement de dettes peuvent perturber les marchés et, à court terme, créer des distorsions dans l'image de l'offre et de la demande. L'aperçu de 40 ans présenté dans le tableau 1 révèle des fluctuations à court terme; mais étant donné que la tendance globale va dans le sens d'un plus grand pouvoir d'achat, aucune de ces denrées de base ne peut être considérée comme rare. Le concept de réserves prouvées mesure la quantité d'une ressource donnée qui a été découverte et qui peut être extraite avec profit, compte tenu des prix actuels et de l'état de la technologie. Le tableau 2 montre qu'à l'exception de l'étain, les réserves prouvées de diverses ressources non renouvelables ont augmenté plutôt que diminué au cours des 40 dernières années. Le fer, l'aluminium, la bauxite, le silicone, le magnésium, le titane, le cuivre, le zinc, le manganèse, le chrome, le plomb, le nickel et l'étain représentent la plus grande partie de la demande mondiale de minéraux industriels. De temps à autre, les fluctuations dans l'offre et la demande peuvent laisser croire que l'offre d'un minéral est limitée. Lorsque le fait se produit, des prix plus élevés stimulent l'exploration et rentabilisent l'exploitation de ressources qui n'étaient pas auparavant considérées comme rentables. De la même façon, les progrès réalisés dans la technologie minière permettent l'exploitation de réserves minérales jugées auparavant comme ayant une valeur marginale ou qui ont été « dépilées ». Une offre faible et un coût élevé peuvent aussi favoriser des changements dans la demande du marché. Par exemple, des prix plus élevés pour l'étain donnent à l'emballage d'aluminium un avantage sur le marché. Jusqu'à présent, aucun minéral inorganique n'a été désigné comme étant susceptible de s'épuiser; en réalité, la richesse de la croûte terrestre demeure à peu près inexploitée. La question qui se pose alors, ce n'est pas de savoir si un minéral peut s'épuiser, mais si sa valeur économique justifie son extraction. Tableau 1
a Comprend l'avoine, le blé, le boeuf, les carottes, le coton, la laine, le lait, le maïs, les oeufs, les oranges, lorge, les poulets à griller, le riz, le sorgho et le soya. b Comprend l'aluminium, l'antimoine, largent, le cuivre, létain, le magnésium, le manganèse, le mercure, le nickel, le platine, le tungstène et le zinc. c Comprend le charbon, l'électricité, le gaz naturel et le pétrole. Source : Jerry Taylor, Market Liberalism, Cato Institute, 1992; World Bank Development Report, 1992.
Tableau 2
a Milliards de tonnes d'équivalents de pétrole. Source : Jerry Taylor, Market Liberalism, Cato Institute, 1992; World Bank Development Report, 1992.
L'environnementalisme joue souvent sur la corde de l'émotion; il est difficile de réconcilier des termes comme l'exploitation minière et l'épuisement des ressources avec l'affirmation que la plupart des ressources non renouvelables sont probablement inépuisables. Notre biosphère est un système clos; de l'or extrait des mines il y a 2000 ans est encore présent sur Terre. Un filon de minerai de fer peut s'épuiser, mais ce n'empêche pas qu'on puisse recycler l'acier qu'il a produit dans une autre pièce de voiture ou une poutre de pont. Une fois un minéral extrait, il devient plus accessible aux générations futures car la plus grande partie de celui-ci peut être recyclée à perpétuité à un coût réduit, puisque le coût de l'extraction et de la transformation d'un minéral vierge excède celui du recyclage, tant sur le plan financier que sur celui de la pollution. Tous les minéraux extraits n'ont évidemment pas tous été recyclés; certains serviront pendant des générations, d'autres pourront s'oxyder. Certaines faibles concentrations peuvent se disperser dans l'environnement à la suite d'activités industrielles liées à l'automobile et d'autres domaines. D'autres minéraux seront « jetés » dans les sites d'enfouissement. « Entreposés » conviendrait peut-être davantage car l'exploitation des sites d'enfouissement est maintenant considérée comme un moyen économique de récupérer des minéraux ayant de la valeur. D. Les crises de l'environnement planétaires L'un des principaux arguments évoqués contre le développement durable consiste à dire que la biosphère ne pourrait jamais absorber et neutraliser la pollution et les déchets qui en résulteraient si l'on réussissait à sortir toute la population mondiale de la pauvreté. L'exemple cité le plus souvent est le réchauffement climatique; mais ce choix démontre bien comment les préoccupations environnementales peuvent être montées en épingle et exagérées. La théorie de l'effet de serre et la possibilité du réchauffement climatique planétaire sont apparues dans la littérature scientifique il y a cent ans, mais l'inquiétude du public ne s'est manifestée que vers les années 1980. Selon les rapports produits dans les médias de l'époque, des modèles climatiques généraux développés par les experts en sciences atmosphériques ont montré que l'accumulation de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère ferait augmenter la température moyenne du globe de 4,5o C. Ce réchauffement entraînerait la fonte des calottes polaires, ce qui causerait des inondations dans les villes côtières et les pays insulaires. Les configurations des pluies se modifieraient, ce qui entraînerait la submersion des régions côtières et l'érosion des sols; les savanes deviendraient des déserts improductifs. Des extrapolations ultérieures prédisaient des famines et des maladies collectives et des migrations sans précédent d'éco-réfugiés. Une décennie plus tard, aucune des prédictions de ce modèle ne s'est concrétisée. Les chercheurs qui ont publié ces documents n'ont pas cherché à cacher que les modèles étaient primitifs; à cause de la capacité limitée des ordinateurs, ils avaient intégré seulement les gaz à effet de serre aux calculs de leur modèle et mis de côté les facteurs éventuels de refroidissement de la planète. Le problème a été exagéré à cause de la façon dont des non scientifiques ont interprété les données scientifiques. Au cours des siècles, la Terre a été tour à tour beaucoup plus chaude et plus froide qu'elle ne l'est aujourd'hui; il est donc difficile d'établir avec certitude quelle température moyenne de la planète convient le mieux à la vie sur Terre. Cet argument se vérifie de plus en plus au fur et à mesure qu'on effectue davantage de recherches sur le changement climatique. En 1995, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a publié une déclaration unanime maintenant célèbre à savoir que « [...] le poids des preuves montre que l'activité humaine exerce une influence discernable sur le climat planétaire ». Cette « empreinte humaine » a été repérée dans l'augmentation de la température minimale moyenne nocturne; mais on n'a constaté aucune augmentation de la température maximale diurne. Ces phénomènes ont d'énormes incidences bienfaisantes sur l'agriculture mondiale et la population en croissance parce qu'ils signifient plus de jours sans gel et une saison de culture plus longue. Au cours des deux dernières années, de plus en plus de publications scientifiques ont laissé entendre que le réchauffement climatique pourrait entraîner certains avantages. Il est très significatif de constater que la vaste majorité des espèces de plantes soumises à des essais dans des conditions d'enrichissement en dioxyde de carbone, montrent un taux accru de photosynthèse, une plus grande biomasse et un rendement récoltable amélioré. Les modèles prédisent aussi qu'une augmentation de la température et des pluies pourrait rendre cultivables, à cause du climat, plus de 57 millions d'hectares de terres arables des régions subarctiques de l'Alaska et du nord-ouest du Canada. Nous ne voulons pas ici laisser entendre que le changement climatique n'apportera que des avantages; il faut effectivement s'attendre à des conséquences qui pourront être positives ou négatives. Dans le contexte du développement durable, ce qui importe le plus, c'est que la route vers un avenir durable peut être pavée de nombreux obstacles environnementaux qui sont peut-être plus illusoires que réels. Les décideurs politiques doivent contester les simples affirmations environnementales, fonder leur évaluation sur des preuves scientifiques solides et veiller à soupeser également les facteurs sociaux, économiques et environnementaux lorsqu'ils prennent leurs décisions. Une fois qu'on aura vérifié davantage l'existence de problèmes environnementaux transfrontaliers ou à l'échelle planétaire, la meilleure solution consistera à ce que les pays participent à des négociations bilatérales ou multilatérales fondées sur des preuves scientifiques et menant à la conclusion d'accords internationaux ayant force obligatoire. L'ÉVOLUTION DES PRIORITÉS EN MATIÈRE D'ENVIRONNEMENT On saccorde généralement à dire qu'il n'y a rien de plus triste que de voir des familles poussées à un désespoir tel qu'elles en sont réduites à manger leurs propres semences. Il existe des millions de familles qui sont si désespérément pauvres que leur seul et unique souci consiste à avoir suffisamment de quoi se nourrir. Les gens qui vivent au niveau de la subsistance ne se préoccupent pas de la qualité de l'environnement; cette situation pourrait durer même quand ils auront satisfait aux besoins élémentaires de trouver à se nourrir, à se loger ou à se vêtir et que d'autres besoins, comme l'éducation et les soins de santé deviendront leurs nouvelles priorités. Dans les pays très pauvres, les deux plus grands risques liés à la qualité de l'environnement sont les maladies infectieuses issues de la consommation d'eau polluée par des rejets humains et l'inhalation de polluants atmosphériques lorsqu'on se sert de matériel de cuisson sans ventilation. Même des solutions bon marché et faisant appel à une technologie rudimentaire dépassent souvent les moyens financiers des collectivités les plus pauvres. Par contre, dès que la croissance économique commence, ce sont les premiers problèmes à être réglés. Les liens entre le revenu par habitant et le désir du public d'assurer la protection de l'environnement ont fait l'objet de nombreuses études. Au fur et à mesure que des sociétés s'industrialisent et que les revenus commencent à augmenter, on constate une diminution de la qualité de l'environnement de leur région. Cette situation s'explique par le fait que les industries locales entament leur développement avec de la technologie très simple qui ne compte pas de dispositifs antipollution et que le public accorde la priorité à lemploi plutôt quà la qualité de l'environnement. La pollution des terres, de l'eau et de l'air par l'industrie se poursuit généralement jusqu'à ce que le revenu par personne dépasse 4 000 $ US. Les données de l'Organisation mondiale de la santé provenant d'études sur la pollution dans des pays en voie d'industrialisation et de développement ont montré que les émissions de particules et de dioxyde de soufre diminuaient quand le revenu par personne dépassait 5 000 $ et que la diminution devenait considérable quand le revenu se rapprochait de celui des pays développés du Nord. De même, les études réalisées par la Banque mondiale ont indiqué que la plupart des concentrations de polluants dans l'atmosphère, dans l'eau et sur le sol déclinent à mesure que le revenu par habitant saccroît. Une étude des Nations Unies portant sur la pollution atmosphérique urbaine dans les mégapoles a permis de découvrir que le développement économique réduit la concentration de polluants atmosphériques et quil est essentiel pour inciter les régions urbaines à respecter des normes de qualité de l'air. Une fois qu'un pays a atteint un certain succès industriel qui se concrétise par des augmentations du PIB et du revenu par habitant, certains facteurs se conjuguent pour promouvoir la protection et la conservation de l'environnement. Des gens plus riches ont plus de loisirs à consacrer à des activités qui ont lieu dans la nature. Ils dépensent davantage pour des activités consacrées aux loisirs et utilisent l'eau et des ressources qui ne peuvent plus servir alors à d'autres usages. Dans les sociétés démocratiques, dès que l'intolérance du public augmente face à la pollution, des pressions politiques s'exercent pour qu'on adopte et fasse respecter des règlements pour protéger l'environnement. Au fur et à mesure que les industries s'enrichissent, elles sont davantage en mesure de satisfaire les attentes du public concernant l'environnement et peuvent même aller jusqu'à dépasser les normes et lignes directrices imposées pour s'éviter des règlements plus stricts ou pour soigner leurs relations publiques. Dans une très large mesure, les améliorations apportées à la protection et à la conservation de l'environnement sont directement liées à la richesse croissante des nations. Il s'ensuit que les efforts bien intentionnés des environnementalistes en vue d'encourager les pays sous-développés à prendre des mesures seraient futiles, puisque les priorités des environnementalistes et celles des gens désespérément pauvres du monde ne coïncident peut-être pas. Comme la déclaré la Commission Brundtland : « La pauvreté est à la fois effet et cause des problèmes mondiaux d'environnement ». Avant de pouvoir s'attaquer à des questions comme la protection de la biodiversité et la limitation de la pollution, nous devons mettre en marche l'évolution naturelle de l'environnementalisme en remédiant à la pauvreté. LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE Depuis la publication de Notre avenir à tous, on reconnaît de plus en plus que le développement économique et la protection de l'environnement sont étroitement liés; cette synergie saccentuera à mesure que le libre échange entre les nations saccroîtra. Au Sommet de la Terre de 1992, les liens entre le commerce et l'environnement ont été bien analysés; les problèmes ont été identifiés et une foule de solutions possibles ont été proposées. Le recours aux subventions et l'imposition de barrières commerciales afin de favoriser et de protéger des marchés intérieurs figuraient en tête de liste des problèmes. Dans bien des cas, l'octroi de subventions à une activité a une conséquence sociale ou environnementale négative. Par exemple, quand on subventionne les coûts de l'électricité, le public accorde une valeur moindre à cette source d'énergie; il en résulte du gaspillage, une demande plus grande, le besoin de créer ultérieurement une capacité additionnelle et une augmentation des polluants liés à l'énergie. Des subventions à l'électricité découragent aussi les investissements dans de nouvelles technologies industrielles, moins polluantes. Des problèmes semblables surgissent quand on subventionne l'eau d'irrigation, les combustibles fossiles, les ressources halieutiques ou forestières, les engrais ou l'équipement agricole. Les barrières commerciales peuvent aussi avoir des conséquences négatives au pays comme dans d'autres pays. Le Sommet de la Terre et la Commission Brundtland ont désigné les tarifs douaniers et les subventions comme des incitatifs pervers qui favorisent la mise au point de produits qui autrement ne seraient jamais rentables. L'exemple classique est le marché mondial du sucre. Les pays en développement des tropiques ont un avantage comparatif en ce qui concerne la production du sucre, et on estime que près de 30 millions d'habitants de ces pays comptent sur la culture de la canne à sucre pour assurer leur survie. Pourtant, les gouvernements de nombreux pays développés imposent des tarifs douaniers sur les importations de sucre ou limitent ces dernières afin de tenter de protéger leur propre industrie intérieure de la betterave à sucre. Les surplus de sucre de canne font baisser les prix mondiaux, et donc les revenus, tandis que des prix élevés dans les pays développés favorisent la culture de la betterave à sucre sur des terres qui conviendraient mieux à d'autres formes de cultures. La culture de la betterave à sucre nécessite beaucoup d'investissements et d'herbicides chimiques. La protection du marché a aussi aidé à stimuler une industrie des édulcorants artificiels, ce qui a contribué à faire baisser davantage les marchés du sucre. Si les pays en développement se chargeaient de répondre aux besoins mondiaux en sucre, les prix du sucre seraient moins élevés dans les pays développés; on utiliserait moins dadditifs chimiques, et certaines populations les plus pauvres du monde auraient de meilleures perspectives d'emploi. Le Sommet de la Terre a réalisé de l'excellent travail en ce sens; on a cependant eu tendance à certains moments, dans l'élaboration de politiques, à privilégier le point de vue de l'environnement au détriment des préoccupations socio-économiques. Certaines questions commerciales, notamment, n'ont peut-être pas été évaluées avec une parfaite objectivité et on a passé sous silence certaines réalités historiques et actuelles du développement. Dans le débat sur la possibilité de créer une zone de libre-échange des Amériques, certains précédents établis lors du Sommet de la Terre pourraient surgir comme obstacle ou mener à des attentes irréalistes. Le principal obstacle vient de l'opinion selon laquelle la « surconsommation » des pays industrialisés du Nord est la principale cause de la détérioration de l'environnement dans le monde. Or, les pays du Sud aspirent précisément à cette richesse matérielle et à ce niveau de vie. En outre, c'est justement ce modèle économique qui pourrait, au bout du compte, soulager la pauvreté et favoriser le développement durable. Par ailleurs, les tenants de cette opinion pensent aussi que la réussite des pays développés s'est faite aux dépens des pays en voie de développement et que, par conséquent, les pays du Nord ont l'obligation morale de fournir de l'aide financière aux pays en voie de développement et de leur donner accès à la nouvelle technologie. En 1992, au Sommet de la Terre, les environnementalistes que le réchauffement climatique inquiétait ont proposé le transfert de la technologie antipollution des pays développés du Nord à l'industrie chinoise. Cette idée n'a guère soulevé l'enthousiasme. On a fait valoir que la Chine, bien qu'elle soit relativement pauvre, n'est pas en retard, technologiquement, mais plutôt qu'elle accorde peut-être la priorité à d'autres questions, comme celle de la défense par exemple. Certes, l'industrie chinoise contribue dans une mesure importante à la pollution atmosphérique, mais la principale cause des troubles de santé d'origine environnementale en Chine est la mauvaise qualité de l'air dans les bâtiments. La production houillère nationale sert à combler plus de 75 p. 100 des besoins d'énergie primaire de la Chine, et la majeure partie de la population chinoise cuisine et se chauffe en brûlant du charbon ou des matières organiques dans des poêles dépourvus de dispositifs d'évacuation extérieure des fumées. Avec la modernisation de la Chine, la mortalité causée par la malnutrition et les maladies infectieuses a chuté, tandis que les maladies liées à la pollution atmosphérique ont monté en flèche, devenant le principal problème de santé publique du pays. La pollution atmosphérique est responsable de plus de un million de décès par année, soit un sur huit. On a fait valoir que, d'un point de vue social, économique et environnemental, il aurait peut-être été préférable que les écologistes proposent la libéralisation des relations commerciales entre les pays du Nord et la Chine, ce qui aurait pour effet d'élever le revenu intérieur de la Chine et de rendre les Chinois mieux à même de remédier à leurs problèmes de santé d'origine environnementale. On peut assurément donner des exemples précis montrant comment la politique économique d'un pays développé a pu avoir des effets négatifs sur des pays en voie de développement; il est cependant très peu probable que ce facteur soit la seule raison pour laquelle un pays ne peut atteindre la prospérité. En fait, bien des raisons expliquent ce phénomène. Par exemple, si deux pays voisins, possédant des richesses naturelles comparables, appliquent des théories économiques divergentes, on peut s'attendre à ce que leurs niveaux d'enrichissement national diffèrent sensiblement au bout d'un demi-siècle de développement. L'accès à la propriété et l'égalité des chances de tous les citoyens ont été déterminants dans les pays qui ont réussi sur les plans économique, social et environnemental. Avec la propriété viennent la préservation des intérêts personnels et la responsabilité de gérer dans une optique de durabilité les terres et les ressources qu'on possède. Souvent, dans les pays en difficulté, la voie de la prospérité est barrée par des obstacles qui freinent la croissance économique : gestion gouvernementale peu avisée de l'économie nationale, endettement, corruption, instabilité politique, surévaluation de la monnaie, isolationnisme, interdits frappant les entreprises étrangères ou passé marqué par la nationalisation d'industries mises sur pied par des entrepreneurs étrangers. Il est important que les pays envisageant d'adopter une politique de libre-échange évaluent leurs antécédents économiques pour comprendre les raisons de leurs échecs et, sur cette base, élaborent un plan de développement durable. LE LIBRE-ÉCHANGE DANS LES AMÉRIQUES Pour les pays de l'hémisphère occidental qui se sont réunis en vue d'examiner un projet de zone de libre-échange des Amériques, il devrait être de plus en plus clair que le développement durable est non seulement souhaitable, mais réalisable, et que le libre-échange devrait en faciliter la réalisation. Les pays du continent américain diffèrent beaucoup les uns des autres par leurs richesses naturelles et culturelles, leur tradition politique et leur niveau de développement économique. Il est peut-être excessif de s'attendre à ce que les pays moins développés qui s'engagent dans le libre-échange adoptent immédiatement des lois environnementales aussi strictes que celles de leurs vis-à-vis plus riches. L'environnementalisme est un phénomène en évolution constante : plus le niveau de vie augmente, plus la population se soucie de la qualité de l'environnement. En outre, le développement économique donnerait à ces pays le moyen de réaliser leurs objectifs environnementaux. Par l'échange d'information sur les questions environnementales, l'expérience nationale et la formulation de recommandations, les pays en voie de développement devraient être en mesure d'améliorer plus rapidement leurs normes environnementales, si bien que la protection et la conservation de l'environnement finiront par atteindre un degré comparable partout dans l'hémisphère occidental. À cet égard, la Commission du développement durable des Nations Unies, qui existe déjà depuis quelque temps, joue un rôle essentiel en favorisant l'échange d'information et en raffermissant les volontés politiques. Durant les négociations qui ont mené à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), ceux qui s'opposaient au libre-échange faisaient valoir qu'en raison de l'inégalité des lois environnementales, les pays dont la réglementation est moins exigeante seraient avantagés sur le plan économique. Ils affirmaient de plus que les pays où les lois environnementales étaient plus strictes se verraient forcés de réduire leurs exigences pour dissuader les industries polluantes de déménager au « paradis des pollueurs ». Ce phénomène ne s'est pas produit au Canada. En fait, au cours des dix dernières années, une seule entreprise polluante a quitté le Canada à cause de la réglementation environnementale : elle a déménagé, non pas au Mexique, mais bien aux États-Unis. En outre, depuis la ratification de l'ALÉNA, le Canada n'a cessé de raffermir sa législation environnementale, adoptant des règlements qui sont peut-être parmi les plus exigeants au monde pour lutter contre la pollution de l'eau par l'industrie des pâtes et papiers. La pratique du libre-échange devenant de plus en plus ouverte, les subventions et les quotas commerciaux disparaîtront graduellement et chaque pays participant pourra se faire une place sur les marchés où il a un avantage comparatif. Le développement durable, spécialement important pour les pays en voie de développement, sera favorisé par des politiques nationales encourageant les investissements étrangers, lesquels représentent souvent le moyen le plus rapide d'acquérir les nouvelles techniques antipollution et l'équipement nécessaire pour leur mise en oeuvre. En effet, il est probable que, même dans les pays dont la législation n'exige pas de dispositifs antipollution modernes, les entrepreneurs étrangers construiront des installations mettant en application la technologie environnementale la plus avancée, en partie parce que cette technologie est déjà intégrée à la conception et en partie parce qu'il est beaucoup moins coûteux de l'inclure dès le début, plutôt que de l'ajouter plus tard, lorsque les normes environnementales du pays hôte se font plus exigeantes. Dans la Déclaration de Santa Cruz de la Sierra, les pays du continent américain ont clairement décrit la route à suivre pour atteindre le développement durable. Ils ont exprimé leur ferme détermination à promouvoir la dignité humaine et manifesté leur respect de la diversité culturelle; ils se sont aussi donné comme principal objectif de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des plus vulnérables dans les diverses sociétés. Ces besoins fondamentaux sont l'accès équitable à une alimentation adéquate, aux soins de santé, à l'eau potable, à l'emploi et à l'habitation. La Déclaration témoigne du ferme engagement des pays signataires à promouvoir la qualité environnementale. Tous les pays concernés évalueront les incidences environnementales de leurs politiques, stratégies, programmes et projets, tant à l'échelle nationale que dans le cadre des ententes internationales auxquelles ils prendront part et ce, de façon que les effets environnementaux nuisibles des mesures envisagées soient reconnus et que des mesures destinées à les prévenir, à les limiter ou à les atténuer soient mises en oeuvre. Les pays renforceront en outre leurs capacités scientifiques et technologiques et favoriseront le partage des découvertes de la science et de la technologie. Pour atteindre ce but, et pour réaliser les autres objectifs qu'ils se sont fixés, ils devront adopter un système commercial multilatéral ouvert, équitable et non discriminatoire fondé sur les principes du droit international et pouvant s'adapter aux besoins toujours en évolution de sociétés pratiquant le développement durable.
* Cette étude a été rédigée à lorigine pour la délégation du Parlement du Canada à la Conférence parlementaire des Amériques, qui s'est tenue en septembre 1997, à Québec. |