BP-461F

 

L'ÉLIMINATION DU PLUTONIUM DE CATÉGORIE
MILITAIRE ET L'OPTION DU COMBUSTIBLE MOX

 

Rédaction :
Alan Nixon
Division des sciences et de la technologie
Avril 1998


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

L’HÉRITAGE DE LA COURSE AUX ARMEMENTS

L’URANIUM HAUTEMENT ENRICHI ET LE PLUTONIUM

LES PRINCIPALES OPTIONS

LES ENJEUX

   A. La sécurité mondiale

   B. La Russie

   C. L’échéancier

   D. La sécurité

   E. Les coûts

   F. Le marché du plutonium

LE RÔLE DU CANADA

   A. L’utilisation du combustible MOX dans les réacteurs CANDU

   B. Les critiques dirigées contre la proposition CANDU-MOX

COMMENTAIRES

 


 

L’ÉLIMINATION DU PLUTONIUM DE CATÉGORIE MILITAIRE
ET L’OPTION DU COMBUSTIBLE MOX

 

INTRODUCTION

Lors du sommet sur la sécurité nucléaire tenu à Moscou en avril 1996, le premier ministre Jean Chrétien, a annoncé que le Canada avait donné son accord de principe au concept de l’utilisation du plutonium provenant du démantèlement des armes nucléaires comme combustible pour les réacteurs nucléaires canadiens. En utilisant ainsi le surplus de plutonium de catégorie militaire, le Canada pourrait jouer un rôle important dans le désarmement nucléaire et réduire le risque que le plutonium fasse l’objet d’un trafic ou se retrouve entre les mains de terroristes ou de nations mal intentionnées.

La combustion du plutonium dans les réacteurs nucléaires civils est l’une des deux principales méthodes d’élimination du plutonium provenant de l’armement qui sont apparues comme les plus facilement réalisables. L’autre méthode est l’immobilisation, suivie de l’enfouissement dans les couches géologiques. Chacune de ces deux méthodes pose des difficultés et il pourrait s’avérer difficile de faire un choix. Dans le présent document, nous donnons un aperçu des aspects techniques de chacune de ces méthodes d’élimination du plutonium de catégorie militaire et analysons les principales questions que soulève cette élimination.

L’HÉRITAGE DE LA COURSE AUX ARMEMENTS

Les États-Unis ont procédé à l’explosion de la première bombe nucléaire à Alamogordo (Nouveau-Mexique) le 16 juillet 1945. Cette explosion a déclenché une course aux armements entre les deux superpuissances de l'époque, les États-Unis et l’Union soviétique, dont le résultat a été l’accumulation dans leurs arsenaux réunis d’un nombre renversant de 55 000 ogives nucléaires(1).

Par suite de la signature en 1993 du deuxième Traité sur la réduction des armes nucléaires stratégiques (START II) (qui n’est pas encore ratifié), les États-Unis et l’Union soviétique (maintenant la Communauté d’États indépendants (CEI)) se sont entendus pour commencer à démanteler jusqu’à 45 000 ogives nucléaires se trouvant dans leurs arsenaux. Les États membres de la CEI ont déjà commencé à réduire le nombre de leurs ogives, pour les faire passer de 35 000 à 3 000, tandis que, pour leur part, les États-Unis ont entrepris de ramener le nombre des leurs de 20 000 à 2 000 (2).

On évalue à environ 90 tonnes de plutonium et 450 tonnes d’uranium hautement enrichi (UHE) les quantités qui seront extraites des ogives de la CEI; pour leur part, les ogives américaines démantelées produiront environ 45 tonnes de plutonium et 225 tonnes de UHE. De plus, on présume que les États membres de la CEI et les É.-U. détiennent plusieurs dizaines de tonnes de plutonium et plusieurs centaines de tonnes de UHE sous la forme de composantes d’armement, de ferraille et de combustible irradié non traité(3).

Bien que le démantèlement des ogives constitue un heureux changement de direction dans la course aux armements, il soulève une question totalement nouvelle et épineuse : comment se défaire en toute sécurité des 100 à 200 tonnes métriques de plutonium provenant des ogives démantelées. Pour sa part, le processus d’élimination des 500 à 1 000 tonnes d’uranium hautement enrichi est relativement simple.

L’URANIUM HAUTEMENT ENRICHI ET LE PLUTONIUM

Dans la nature, il y a deux isotopes de l’uranium(4) : l’uranium 235 (235U), dans une proportion de 0,7 p. 100, et l’uranium 238 (238U), dans une proportion de 99,3 p. 100. Cependant, seul le 235U entretient les réactions en chaîne qui rendent possible la libération d’une quantité massive d’énergie à la fois dans les bombes et les réacteurs nucléaires. Pour entretenir la réaction en chaîne des neutrons rapides, nécessaire à une explosion nucléaire, il faut séparer le 235U de la masse du 238U. Une fois suffisamment purifié, le 235U est connu sous le nom d’uranium hautement enrichi (UHE).

L’uranium faiblement enrichi (à environ 4 p. 100) n’entretient pas la réaction en chaîne rapide nécessaire à une explosion nucléaire, mais il entretient la réaction en chaîne lente qui se produit dans un réacteur nucléaire. L’uranium faiblement enrichi (UFE) est le combustible utilisé dans la plupart des réacteurs à eau légère existants. Le système CANDU canadien, ralenti à l'eau lourde, plus efficace, est alimenté à l’uranium naturel (non enrichi).

On ne peut arriver à séparer le 235U du 238U qu’au prix de grands efforts, en utilisant des procédés comme la diffusion gazeuse, qui tirent parti des faibles différences physiques qui existent entre les composés chimiques des isotopes. En général, seuls les pays disposant d’une technologie avancée possèdent les ressources nécessaires à l’utilisation de techniques semblables.

Le plutonium, quant à lui, n’existe qu’à l’état de trace dans la nature; il est toutefois produit dans les réacteurs nucléaires par l’interaction entre le 238U et les neutrons. Le plutonium-239 (239Pu) est le premier isotope à se former. Si le séjour du combustible dans le réacteur se prolonge, d’autres isotopes de plutonium, soit les 240Pu, 241Pu et 242Pu, sont produits et la proportion de 239Pu décroît. Les réacteurs militaires sont conçus et exploités de façon à optimiser la production de plutonium de « catégorie armement », qui est composé surtout d’isotopes 239Pu. Dans les réacteurs civils servant à produire de l’énergie, le combustible demeure dans le réacteur beaucoup plus longtemps, de façon à être utilisé efficacement; il en résulte que le plutonium de « catégorie réacteur » obtenu à partir du combustible épuisé contient une proportion plus élevée d’isotopes de plutonium autres que le 239Pu.

L’une des différences fondamentales entre le plutonium et l’uranium vient du fait que pratiquement tous les mélanges d’isotopes de plutonium peuvent servir à produire des explosifs nucléaires. Le plutonium de catégorie réacteur peut servir à fabriquer des armes nucléaires. Bien que le rendement et l’efficacité des armes produites à partir de plutonium de catégorie réacteur soient moindres et moins sûrs que ceux des armes produites à partir de plutonium de catégorie armement, leurs effets seraient tout de même dévastateurs. Beaucoup de gens qui oeuvrent dans ce domaine croient que des terroristes pourraient arriver à fabriquer des armes rudimentaires mais efficaces à partir de plutonium de catégorie réacteur(5)(6), et que des experts qualifiés pourraient en tirer des dispositifs encore plus destructeurs.

L’autre différence importante entre le plutonium et l’uranium hautement enrichi est que l’on peut séparer le plutonium du combustible irradié par des processus chimiques relativement simples. C’est plutôt l’intense radioactivité qui se dégage du combustible irradié que le processus de séparation en soi qui rend difficile la séparation du plutonium.

Dans une grande mesure, ces questions techniques se trouvent au cœur du problème de l’élimination des stocks excédentaires de plutonium de catégorie militaire. Il est possible de « dénaturer » le UHE en le diluant simplement avec de l’uranium ordinaire afin de produire de l’uranium faiblement enrichi (UFE) destiné aux réacteurs civils. Il n’est toutefois pas possible de retransformer l'uranium faiblement enrichi en uranium de catégorie militaire sans avoir accès à des installations d’enrichissement perfectionnées et coûteuses. Les États-Unis et la Fédération russe sont parvenus en 1993 à un accord selon lequel les États-Unis achèteraient 500 tonnes de UHE provenant d’armes nucléaires démantelées, qui serait dilué en Russie puis importé aux États-Unis par la United States Enrichment Corporation(7). L’accord a été modifié à la fin de 1996 afin d’accélérer le retrait de l’uranium hautement enrichi russe(8).

Il n’est cependant pas possible de dénaturer le plutonium de catégorie militaire avec du plutonium catégorie réacteur de la même manière. Le plutonium pose donc un problème de sécurité plus ardu. L’utilisation du plutonium de catégorie militaire en mélange comme combustible dans les réacteurs constitue tout de même l’une des deux principales options actuellement envisagées. La difficulté est d’arriver à convertir le plutonium en une forme qu’il sera très difficile d’utiliser dans des armes par la suite, sans que cela ne crée de risques inacceptables en matière de sécurité, de santé ou d’environnement.

LES PRINCIPALES OPTIONS

Il semble exister principalement deux options prometteuses pour l’élimination du plutonium excédentaire provenant des armes nucléaires. L’une d’entre elles est l’« immobilisation ». Cette technique consiste à mélanger le plutonium à des déchets hautement radioactifs et à l’incorporer à du verre borosilicaté fondu par un procédé appelé vitrification. Le verre, qui constitue un hôte très stable, est coulé en forme de « billot ».

L’autre solution consiste à mélanger une certaine proportion d’oxyde de plutonium à de l’oxyde d’uranium appauvri afin de produire un combustible d’oxydes mixtes (combustible MOX) qui pourrait être utilisé dans les réacteurs nucléaires commerciaux. Puisque le combustible MOX épuisé est analogue au combustible classique épuisé, son élimination serait aussi pratiquement identique. Bien que ce processus ne soit pas exempt de difficultés, il faudra les résoudre, que la méthode de fabrication de combustible MOX soit choisie ou non. Le sort ultime du plutonium vitrifié et du combustible MOX épuisé serait une forme quelconque de confinement et d’enfouissement dans des formations géologiques profondes.

Bien que ni l’une ni l’autre de ces méthodes n’entraîne la destruction du plutonium, elles rendraient toutes deux cet élément beaucoup moins accessible à une utilisation dans des armes. L’enfouissement en profondeur assure une certaine sécurité physique, et la radioactivité élevée des isotopes épuisés rendrait impossible leur transport et leur manutention sans l’utilisation d’un équipement de protection imposant et d’un équipement de manutention spécialisé. Ce n’est qu’à l’aide de techniques chimiques et de génie perfectionnées qu’il serait possible de récupérer le plutonium éliminé au moyen de l’une ou l’autre de ces méthodes pour l’utiliser dans des armes.

En fait, il ne sert pas à grand-chose de tenter de détruire entièrement le plutonium provenant des armes alors même qu’il existe des stocks importants de plutonium sous la forme de combustible civil épuisé. Un objectif plus réaliste, baptisé « norme du combustible épuisé » par la National Academy of Sciences(9) des États-Unis, serait de convertir le plutonium de catégorie militaire en une forme qui serait aussi difficile à retraiter que le plutonium de catégorie civile. Tant la vitrification que la production de combustible MOX permettent d’atteindre un tel niveau de sécurité.

Le 9 décembre 1996, le Départment de l’énergie des États-Unis (DOE) a annoncé qu’il suivrait une approche à deux volets incluant à la fois l’immobilisation et la production de combustible MOX pour l’élimination de 52,5 tonnes de plutonium de catégorie militaire excédentaire(10). La décision du DOE a suscité une vive controverse, dont une bonne part s’explique par les divergences d’opinion au sujet de la valeur technique des deux méthodes. Des divergences de vues plus sérieuses portant sur des points essentiels commencent cependant à se faire entendre au sujet des conséquences de l’utilisation proposée du combustible en ce qui concerne la non-prolifération et le marché du combustible à base de plutonium.

LES ENJEUX

   A. La sécurité mondiale

Tant qu’il restera des stocks de plutonium, ils constitueront une menace pour la sécurité nationale et la sécurité mondiale. Aux États-Unis, où les surplus d’armes et d’éléments d’armes sont gardés sous très haute surveillance, le risque est relativement faible; cependant, sur le territoire de la Russie et des autres républiques, où la situation sociale, économique et politique est instable depuis l’éclatement de l’Union soviétique, la sécurité des armes et éléments d’armes excédentaires constitue une préoccupation majeure. En particulier, le manque de motivation et le relâchement de la discipline au sein des forces de sécurité russes assurant la garde des stocks d’armes et d’éléments de celles-ci suscitent la crainte que ces matériaux puissent être volés ou détournés à leurs fins par des organisations terroristes ou des nations « hors-la-loi » (11).

Il est clair que la découverte d’une solution rapide au problème de l’élimination est d’une importance primordiale, car plus longtemps il y aura des stocks de plutonium, plus grand sera le risque que celui-ci ne tombe en de mauvaises mains. La National Academy of Sciences des États-Unis, dans son rapport intitulé Management and Disposition of Excess Weapons Plutonium, a décrit les surplus de plutonium et d’uranium hautement enrichi comme un danger manifeste et actuel pour la sécurité tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale (12).

   B. La Russie

Si l’élimination de leurs propres stocks de plutonium de catégorie militaire excédentaire était le seul aspect à considérer, les États-Unis seraient libres de choisir soit l’immobilisation, soit la production de combustible MOX; cependant, le principal objectif de la politique américaine d’élimination du plutonium n’est pas une mauvaise utilisation possible des stocks américains mais plutôt des stocks russes. Les stocks russes de plutonium excédentaire ont été amassés au prix de sacrifices économiques et sociaux énormes, sans oublier des effets environnementaux dévastateurs. Par conséquent, les Russes considèrent ces stocks comme un patrimoine national et une ressource économique, et ils estiment à tort que le plutonium a une valeur comparable au combustible conventionnel qu’il serait appelé à remplacer.

Les États-Unis semblent favoriser l’option de la fabrication de combustible MOX principalement pour encourager les Russes à faire de même. On sait que les dirigeants du secteur nucléaire de Russie favorisent vigoureusement l’utilisation du plutonium de catégoire civile et des surplus de plutonium de catégorie militaire en tant que combustible nucléaire(13) et qu’ils ont jusqu’à maintenant écarté l’idée de mélanger du plutonium russe et des déchets(14), comme il faudrait le faire pour procéder à son immobilisation. Il semble donc peu probable que la Russie accepte l’immobilisation. Beaucoup d’experts du contrôle des armements croient que les Russes n’élimineront pas leur plutonium de catégorie militaire excédentaire si les États-Unis optent exclusivement pour l’immobilisation(15).

Cependant, au moins un expert rejette cette hypothèse comme étant « bizarre », compte tenu du peu d’empressement de l’agence nucléaire russe MinAtom à l’égard du processus de surveillance bilatérale de l'entreposage du plutonium et de son refus d’accepter les normes internationales relatives aux installations de production du combustible MOX construites en Russie(16).

   C. L’échéancier

Beaucoup de points techniques restent encore à éclaircir pour les deux méthodes et des recherches scientifiques et techniques restent à faire avant que l’immobilisation ou la production du combustible MOX puisse être mise en œuvre(17). Les avis sont également partagés quant à la question de savoir laquelle des deux solutions sera prête le plus rapidement. Tous sont cependant d’accord pour dire que le temps presse. Tout délai supplémentaire dans la disparition des stocks de plutonium augmente le risque que ceux-ci soient détournés. L’un des avantages de l’approche à deux volets est qu’elle augmente la probabilité qu’au moins une des méthodes fasse ses preuves, ce qui aiderait à s’assurer que l’élimination commence le plus tôt possible.

Tous ne sont cependant pas d’accord avec cette vision des choses; certains observateurs affirment que les propres données du DOE révèlent que même dans le scénario le plus optimiste d’utilisation du combustible MOX, l’immobilisation pourrait commencer plus rapidement, achever le travail plus vite et exiger moins d’installations, ce qui réduirait la nécessité de les gérer et de les protéger(18). De plus, ils prétendent que les risques techniques et environnementaux associés à l’immobilisation sont bien moins importants que ceux de la méthode de fabrication de combustible MOX et que l’éparpillement des ressources dans la poursuite d’une approche à deux volets pourrait différer l’élimination. D’autres experts soutiennent par contre que si le temps presse, la vitrification ne constitue pas le meilleur choix pour les 50 tonnes métriques de plutonium excédentaire qu’on s’attend à obtenir du démantèlement des ogives américaines, bien qu’ils concèdent qu’elle pourrait s’avérer utile pour une partie des 33 tonnes de plutonium qui se trouvent aux alentours du complexe de production d’armements(19).

Voilà un autre argument contre la production de combustible MOX et, par extension, contre l’approche à deux volets. Puisque ce n’est pas tout le plutonium qui est suffisamment pur pour être converti en combustible MOX (des 50 tonnes de plutonium américain, seulement 33 tonnes le sont), il faudrait mettre au point l’approche de l’immobilisation de toute façon pour le plutonium restant. Certains prétendent donc qu’il serait plus sensé d’éliminer la totalité du plutonium par immobilisation(20).

Bien qu’il ait été suggéré que l’immobilisation décrite plus haut pourrait nécessiter davantage de temps que prévu et qu’elle ne commencerait pas avant 15 ans à partir du signal de départ(21), il pourrait être possible d’utiliser une méthode d’immobilisation plus rapide et moins coûteuse (connue sous le nom de « dépôt en boîte »). Cette méthode consisterait à remplir de plutonium des gaines qui seraient elles même placées dans les silos, qui seraient ensuite remplis de déchets vitrifiés. On rapporte que les premiers essais à blanc ont été assez encourageants pour que le DOE prévoie en accélérer le développement. Selon certains, que l’élimination des 50 tonnes de plutomium américains n’ajouterait qu’une seule année à la vie utile prévue de 25 ans de l’usine de vitrification récemment achevée aux installations du DOE situées à Savannah River, en Caroline du Sud(22).

Cependant, la faisabilité de l’utilisation du combustible MOX dans les réacteurs refroidis à l’eau légère, le type de réacteur le plus répandu, a déjà été démontrée en Europe(23). La quasi-totalité des centrales américaines, qui utilisent l’eau légère, devraient subir des modifications afin de pouvoir utiliser le combustible MOX. Cependant, les réacteurs canadiens CANDU, qui sont refroidis à l’eau lourde, pourraient utiliser le combustible MOX sans être modifiés et, en principe, commencer à se servir de celui-ci à relativement brève échéance. On peut envisager de manière réaliste que l’utilisation du MOX dans les réacteurs CANDU commencerait vers l’an 2004(24).

L’utilisation du MOX pourrait être quelque peu retardée par l’obligation de construire de nouvelles installations de fabrication de combustible ou de modifier celles qui existent déjà. Bien qu’il soit techniquement possible de produire un stock initial de combustible MOX à partir des installations européennes, l’expédition à travers l’Atlantique de plutonium de catégorie militaire pourrait être difficile du point de vue politique.

   D. La sécurité

L’extraction du plutonium du combustible épuisé est une tâche qui exige beaucoup d’expertise si l’on veut réduire le plus possible le danger de l’irradiation provenant des produits de fission; cependant, ce n’est pas le cas du combustible MOX. Il est en effet relativement facile d’extraire du plutonium de catégorie militaire du combustible MOX à l’aide de techniques relativement simples. On peut donc dire qu’au cours de sa fabrication, de son transport et de son entreposage près d’une centrale nucléaire et jusqu’au moment où il est placé dans un réacteur et irradié, le MOX constitue un risque de sécurité non négligeable.

De plus, puisque c’est le danger lié au rayonnement plus que le mélange d’isotopes qui freine véritablement la réutilisation du plutonium, les deux principales solutions sont plutôt des mesures de sécurité à court et moyen terme. En effet, la plus grande partie de la radioactivité des déchets décroît rapidement (en quelques dizaines ou centaines d’années) alors que la demi-vie (période radioactive) du plutonium se mesure en milliers d’années. À plus long terme, l’effet dissuasif de la radioactivité pour ce qui est de la réutilisation diminue avec le temps. On peut cependant en dire autant des déchets nucléaires issus des réacteurs traditionnels.

   E. Les coûts

La National Academy of Sciences des États-Unis a estimé que le coût de l’élimination de 50 tonnes de plutonium de catégorie militaire excédentaire, que ce soit par l’emploi de la méthode de fabrication de combustible MOX ou celle de l’immobilisation, serait de 0,5 à 2 milliards de dollars. Des estimations plus récentes faites par le DOE pour les moins coûteuses des solutions portent les coûts pour l’ensemble du cycle de vie de ces deux options aux alentours de 1,8 milliard de dollars (en dollars de 1996 non actualisés)(25).

À première vue, on pourrait croire qu’un avantage économique pourrait être dérivé de l’utilisation des surplus de plutonium pour remplacer le combustible traditionnel à base d’uranium dans les réacteurs civils. Le coût du plutonium serait à toutes fins utiles nul puisqu’il aurait déjà été payé à même le budget de défense, alors que l’uranium appauvri est un sous-produit de l’enrichissement de l’uranium qui compte peu d’autres utilisations possibles.

L’uranium hautement enrichi peut être facilement dilué pour fabriquer de l’uranium faiblement enrichi; il constitue donc une valeur considérable en tant que combustible pour les réacteurs civils. Par contre, le combustible dérivé du plutonium coûte plus cher que l’uranium faiblement enrichi. Pour le moment, le combustible MOX n’est pas concurrentiel du point de vue économique et il y a peu de chances qu’il le devienne d’ici peu(26). Par exemple, la société allemande Siemens AG, qui a proposé de construire une usine de fabrication de MOX en Russie, estime pouvoir produire du MOX à un coût de seulement 1 000 $ le kilo (alors que les coûts de fabrication courants en Europe de l’Ouest vont de 1 300 $ à 1 600 $ le kilo et que le coût courant de l’uranium faiblement enrichi est d’environ 1 000 $ le kilo). Cela signifie qu’à lui seul, le coût de fabrication du carburant serait de l’ordre de 1,2 milliard de dollars pour 50 tonnes de plutonium(27).

De plus, contrairement à l’hypothèse précédente du DOE, selon laquelle les sociétés de services publics rembourseraient le gouvernement à un taux équivalent au coût du combustible conventionnel, c’est-à-dire un « crédit de déplacement » de combustible, il apparaît maintenant comme probable qu’elles s’attendraient à recevoir un avantage qui les inciterait à utiliser le MOX. Selon une estimation, la subvention aux sociétés de services publics serait de 500 millions de dollars, ce qui augmenterait le coût de l’approche à deux volets de 30 p. 100 par rapport à celui de l’approche de l’immobilisation seule(28). Selon une autre estimation, l’avantage minimal prévu par les sociétés de services publics (un rabais ou même du combustible gratuit) éliminerait le crédit de déplacement de 1,4 milliard consenti par le DOE, ce qui équivaudrait à un coût de cycle de vie pratiquement doublé pour le MOX(29).

On rapporte qu’Énergie Atomique du Canada limitée aurait estimé le coût brut de l’utilisation du MOX dans les réacteurs CANDU canadiens à plus de 2,2 milliards de dollars US. Cependant, ce chiffre n’inclut pas le coût de reconstruction des réacteurs A de la centrale Bruce ni celui des mesures de sécurité accrues qu’il faudrait prendre à cet endroit. Le coût de production et d’expédition est estimé à 70 millions de dollars par an, soit de trois à quatre fois le coût du combustible CANDU(30).

Le coût des mesures de sécurité pourrait être considérable. Par exemple, une estimation situe le coût en capital de l’équipement de contrôle de sécurité dans les centrales nucléaires où le MOX est traité, comme les usines de retraitement et les usines de fabrication de combustible MOX, dans une fourchette allant de 1 à 2 p. 100 du coût en capital total de l’installation, soit un ordre de grandeur supérieur au coût des mesures de sécurité d’une centrale nucléaire neuve à combustible traditionnel(31).

Certains ont prétendu que certaines sociétés américaines de services publics se sont montrées intéressées à utiliser le MOX surtout parce qu’elles espèrent ainsi compenser le coût d'exploitation croissant de centrales de moins en moins concurrentielles dans un marché de plus en plus déréglementé. Si elles continuent à exploiter ces centrales pour y utiliser le MOX, les sociétés de services publics s’attendraient à être subventionnées afin de demeurer concurrentielles par rapport aux autres sociétés de production d’électricité, telles que les centrales combinées utilisant des turbines à gaz à cycle combiné. De telles subventions pourraient ajouter des milliards de dollars au coût du MOX avant même que l’utilisation à grande échelle ne débute(32). De plus, comme les actionnaires des sociétés de services publics exigeraient sans doute une forme quelconque de rendement garanti avant d’autoriser un programme d’utilisation du combustible MOX, il pourrait en coûter plus cher au DOE en raison d’augmentations imprévues des coûts d'exploitation ou de dépenses en capital importantes.

La situation d’Ontario Hydro est peut-être comparable à celle des sociétés de services publics américaines. Les réacteurs de Bruce A, où l’on pourrait utiliser du combustible MOX, ne sont plus concurrentiels et ont besoin de réparations d’envergure. Ontario Hydro a cessé d’utiliser le réacteur 2 en 1995 plutôt que d’investir dans des réparations à ses chaudières à vapeur endommagées. Lyman prétend qu’Ontario Hydro étudiait l’utilisation du MOX en tant que façon de subventionner le coût de la remise en état du réacteur :

Bien que l’[Ontario] Hydro ait affirmé dans sa proposition qu’elle avait l’intention de faire réaliser les travaux, il est maintenant clair qu’elle n’avait pas l’intention de payer ces frais de un milliard de dollars et qu’elle espérait les imputer au programme d’élimination du plutonium(33).

   F. Le marché du plutonium

L’une des principales objections contre l’utilisation du combustible MOX est qu’elle pourrait contribuer à rendre légitime un cycle du combustible au plutonium :

Parmi les spécialistes de la non-prolifération du nucléaire, on tend à favoriser la vitrification. On justifie cette position en disant que toute utilisation de plutonium dans un réacteur est mauvaise parce qu’elle peut dans une certaine mesure rendre légitime le recyclage du plutonium et ranimer les rêves passés de trouver un marché pour celui-ci(34).

Le choix, par les États-Unis, de l’utilisation du combustible MOX pourrait donner l’impression que ce pays approuve les programmes de retraitement des Français, des Britanniques et des Japonais, ce qui donnerait ainsi le mauvais exemple à d’éventuels participants à la prolifération et augmenterait les risques de vol ou de terrorisme nucléaires.

Le choix de l’utilisation du combustible MOX par les États-Unis peut sembler aller à l’encontre de leur politique passée, depuis longtemps en vigueur, qui consiste à ne pas utiliser de plutonium dans les centrales commerciales(35); les autorités américaines ont toutefois affirmé que le recours à cette solution ne constituerait pas un grand changement dans leur politique d’opposition au retraitement du plutonium dans les installations civiles. Selon des fonctionnaires américains, toute installation de fabrication de combustible MOX construite qui aurait pour but d’éliminer les surplus de plutonium recevrait un permis uniquement à cette fin et serait démantelée une fois l’objectif atteint(36).

En dépit des assurances américaines, cependant, les réserves exprimées pourraient être justifiées. Par exemple, le ministère russe de l’énergie nucléaire (MinAtom) voit peut-être l’inquiétude internationale comme une occasion d’obtenir de l’aide au financement d’une nouvelle génération de réacteurs au plutonium(37). Le secteur russe du retraitement est en effet en difficulté. En retraitant du combustible pour le compte de la Finlande et de la Hongrie, il assurait des rentrées de devises; il a toutefois été signalé que la Finlande était sur le point d’annuler son contrat et que la Hongrie a elle aussi étudié la possibilité d’annuler le sien. Un soutien financier, de la part des États-Unis ou de l’Europe de l’Ouest, pour la construction d’usines de fabrication de combustible MOX en Russie, pourrait constituer la seule façon de maintenir la viabilité du programme de retraitement dans ce pays(38).

De plus, les fabricants de MOX européens -  British Nuclear Fuels, Cogema (France) et Belgonucléaire - ont entrepris des démarches pour être chargés de la conversion des stocks de plutonium américains et russes, non seulement pour des raisons financières, mais aussi parce qu’ils croient que cela pourrait donner un « caractère de désarmement  » à leurs activités, qui ont souvent été critiquées à cause des possibilités de la prolifération qu’elles présentent(39).

LE RÔLE DU CANADA

   A. L’utilisation de combustible MOX dans les réacteurs CANDU

Le gouvernement du Canada a affirmé qu’il appuie le principe l’utilisation du combustible MOX contenant du plutonium tiré d’armes nucléaires démantelées dans les réacteurs canadiens, à condition que tous les règlements fédéraux et provinciaux sur la santé, la sécurité et l’environnement soient respectés. De plus, il faudrait que ce plan soit accepté par la population et exécuté dans le cadre d’un accord commercial entre le fournisseur de combustible et la société canadienne de services publics utilisant l’énergie nucléaire. Le gouvernement fédéral a affirmé qu’il ne subventionnerait pas l’utilisation du combustible MOX dans les réacteurs canadiens.

Les réacteurs CANDU canadiens semblent bien adaptés à l’utilisation du combustible MOX; il ne serait pas nécessaire de leur apporter des modifications physiques, et le MOX pourrait être utilisé dans le cadre des normes d’octroi de permis et d’exploitation actuelles. De plus, on s’attend à ce que les normes de sécurité actuelles régissant l’exposition des travailleurs aux radiations soient respectées ou dépassées. Le changement le plus important serait la mise en vigueur de mesures de sécurité renforcées pour l’entreposage du nouveau combustible avant son chargement dans les réacteurs.

Les auteurs des études de faisabilité réalisées par la filiale américaine d’Énergie atomique du Canada limitée pour le compte du DOE des États-Unis estiment que deux des quatre réacteurs de la centrale Bruce A pourraient consommer 50 tonnes de plutonium sur une période de 25 ans. Avec un cœur de conception plus perfectionnée et la nouvelle grappe de combustible Canflex, non encore habilitée, ce délai pourrait être réduit à 12,5 ans.

Dans leurs conclusions, les auteurs font également état du fait que la quantité de combustible nécessaire pourrait être fabriquée par les usines existantes, que ce soit la Fuel and Materials Examination Facility (FMEF) de la Hanford Nuclear Reservation (Washington) ou le Barnwell Nuclear Fuel Plant situé non loin des installations du DOE à Savannah River (Caroline du Sud). Le combustible serait expédié chaque mois à partir de l’usine américaine, jusqu’au Canada, où le combustible MOX épuisé demeurerait; les normes de sécurité américaines relatives au transport de matières très dangereuses (U.S. Safe and Secure Transports) s’appliqueraient.

Le problème le plus urgent du point de vue de la sécurité mondiale est l’élimination du plutonium russe. L’ACDI a financé une étude afin d’analyser la fabrication de MOX en Russie. Pour leur part, les États-Unis subventionnent les tests d’habilitation préliminaire pour des combustibles utilisant à la fois le plutonium américain et le plutonium russe; ces tests seront effectués par Énergie atomique du Canada limitée à son réacteur NRU de Chalk River. Le programme, connu sous le nom de Parallex, consiste à irradier un nombre limité d’éléments combustibles fabriqués aux États-Unis et en Russie afin de confirmer les spécifications du combustible MOX. Le programme, que l’on prévoyait effectuer au début de 1997, a été reporté à une date ultérieure en 1998.

Le scénario CANDU possède certains avantages évidents. L’utilisation d’une seule usine de fabrication de combustible et d’un seul emplacement simplifierait les mesures de sécurité nécessaires. L’utilisation de réacteurs CANDU non modifiés, fonctionnant dans le cadre des règlements et permis existants, ainsi que des infrastructures de fabrication et de transport en place, réduirait au minimum les coûts et les risques techniques. L’utilisation des installations existantes raccourcirait également l’échéancier global, car un délai de réalisation de quatre à cinq ans seulement serait nécessaire. Puisque, à toutes fins utiles, le combustible MOX épuisé serait très similaire au combustible épuisé conventionnel, il ne serait pas nécessaire de construire d’autres installations de gestion des déchets ou d’élimination que celles qui sont prévues pour le système actuel de production nucléaire. On estime que le volume du MOX épuisé serait de 10 à 15 p. 100 inférieur à celui du combustible épuisé produit à partir de combustible traditionnel, pour la même quantité d’énergie produite.

Des représentants d’Énergie atomique du Canada limitée qui se sont présentés devant la Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire auraient cependant dit que l’élimination du MOX et ses effets sur la méthode d’élimination n’avaient pas été examinés en détail et qu’il faudrait étudier la question plus en profondeur. Parmi les points techniques qui ont été soulevés, il a été dit qu’en raison de la combustion plus complète du MOX, sa puissance calorifique serait plus grande que celle du combustible traditionnel. Il faudrait par conséquent des périodes de refroidissement plus longues dans l’aire d’entreposage ou davantage d’espace dans le dépôt. Bien que les besoins accrus en espace puissent être compensés par la quantité de déchets inférieure par unité d’électricité produite, la température plus élevée du conteneur pourrait réduire l’efficacité des zones tampon et du remblayage des sites d’enfouissement(40).

On a également invoqué que le MOX fournirait une source à long terme de combustible bon marché pour les services publics canadiens et que, comme il remplacerait le combustible traditionnel à l’uranium, l’impact environnemental découlant de l’extraction et du raffinage d’environ 6 000 tonnes de minerai d’uranium serait réduit.

   B. Les critiques dirigées contre la proposition CANDU-MOX

La proposition CANDU-MOX et les livraisons de MOX au Canada aux fins des tests ont fait l’objet de critiques virulentes de la part d’un certain nombre de groupes de défense des intérêts du public, notamment le Nuclear Awareness Project, le Sierra Club du Canada, la Campagne contre l’expansion du nucléaire, le Regroupement pour la surveillance du nucléaire, the Nuclear Control Institute, Greenpeace International et le Natural Resources Defence Council.

Certaines des préoccupations soulevées sont de nature générale; on soutient, par exemple, qu’un programme de ce type encouragerait l’existence d’un marché mondial du plutonium et que le commerce du plutonium fait par des civils augmenterait le risque de vol ou de détournement plutôt que de le réduire. Les critiques jugent que cette situation créerait des « problèmes sans précédent en matière de sécurité car il faudrait empêcher les vols de plutonium », ce qui aurait des effets négatifs sur les droits civiques des Canadiens. Ils citent également des questions de santé et sécurité, affirmant, par exemple, que l’utilisation du combustible MOX crée un risque d’« accident critique » au cours du transport et de la manutention et que toute utilisation de plutonium, qui est l’une des substances les plus cancérogènes, constitue un danger pour la santé publique et l’environnement.

D’autres arguments s’appliquent plus spécifiquement à la situation du Canada. Les critiques soutiennent, par exemple, que l’utilisation du combustible MOX par les centrales canadiennes donnerait l’impression que le Canada a fait volte-face et qu’il a renoncé à la politique de non-prolifération qu’il applique depuis longtemps et qui l’a amené à ne pas participer aux programmes d’armement nucléaire d’autres pays. De plus, une telle utilisation du MOX constituerait, selon eux, un dangereux précédent parce qu’elle implique l’acceptation de déchets nucléaires en provenance d’autres pays et pourrait peut-être faire du Canada un dépotoir pour les déchets militaires de l’étranger. Enfin, une autre objection est que l’utilisation de MOX dans les réacteurs CANDU situés au Canada pourrait permettre aux pays qui possèdent des réacteurs de ce type de justifier l’utilisation de plutonium dans ces derniers.

Le Nuclear Awareness Project affirme pour sa part l’utilisation de combustible MOX reviendrait en fait beaucoup plus cher que l’utilisation du combustible naturel à l’uranium. Tout en admettant que les subventions que les États-Unis verseraient au Canada pourraient couvrir les coûts supplémentaires de l’utilisation du MOX, l’organisme croit que les clients d’Ontario Hydro seraient tout de même obligés de payer le coût du combustible CANDU traditionnel en plus des frais liés aux nouvelles conduites destinées aux réacteurs de la centrale Bruce A afin de leur permettre d’utiliser du combustible MOX.

Mentionnons en terminant que les opposants à l’utilisation du MOX dénoncent l’absence de débat public ou parlementaire sur la question jusqu’à maintenant et soulèvent la possibilité qu’une « exemption » pour Bruce pourrait être utilisée pour éviter des audiences d’évaluation environnementale.

L’évaluation la plus négative est peut-être celle de Franklyn Griffiths, de la George Ignatieff Chair of Peace and Conflict Studies de l’Université de Toronto :

Le projet d'utilisation de combustible MOX dans les CANDU est sans espoir. Il est certain qu'il entraînera pour les Canadiens des coûts directs importants. Le projet est tout sauf avantageux pour eux. Il est grossièrement inadéquat dans sa capacité d'atteindre ses buts déclarés de sécurité internationale(41).

COMMENTAIRES

Certaines des critiques dirigées à l’endroit de la solution MOX semblent avoir plus de poids que d’autres. Par exemple, les critiques faisant état d’une volte-face du Canada en matière de non-prolifération et du risque que le pays devienne un dépotoir de déchets nucléaires sont en grande partie basées sur des perceptions. La première semble centrée sur le but de la politique de non-prolifération et sur la question de savoir si l’utilisation du MOX contribuerait à la non-prolifération en réduisant les stocks de plutonium de catégorie militaire. En d’autres mots, on se demande si la fin justifie les moyens. Les déchets seraient, à toutes fins utiles, du même type que le combustible épuisé traditionnel et rien n’indique jusqu’à présent que cela ouvrirait la porte à tout autre type de déchets radioactifs militaires en provenance de l’étranger.

Ressources naturelles Canada a affirmé qu’il n’existe pas de politique canadienne qui empêche l’utilisation de plutonium dans les réacteurs CANDU(42). Toutefois, le Canada observe depuis longtemps une politique de l’« utilisation unique » pour le combustible nucléaire qui semble effectivement impliquer une volonté de ne pas se servir de plutonium dans les réacteurs canadiens(43). La proposition MOX relative à la fabrication de combustible semble indiquer au moins un changement subtil dans cette position.

Les autres inquiétudes au sujet de la santé et, en particulier, de la sécurité pourraient bien être justifiées. La question des coûts est également pertinente puisque le gouvernement a affirmé que toute offre ferme d’utilisation de combustible MOX dans les CANDU canadiens devrait se faire en vertu d’une entente commerciale sans recours à du financement du gouvernement fédéral. On peut se demander à qui reviendrait la responsabilité de coûts d’exploitation croissants ou de réparations majeures faites à un réacteur CANDU obligé par contrat d’utiliser du MOX.

Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité qu’une inspection interne de ses centrales nucléaires a amené Ontario Hydro à arrêter sept de ses réacteurs alors en service(44), y compris ceux de Bruce A, qui jusque la était le lieu le plus probable d’utilisation du MOX. Bien que Ontario Hydro ait signalé son intention de remettre ces réacteurs en service, beaucoup d’observateurs croient que c’est peu probable. Les clients ontariens peuvent douter du bien-fondé de rénovations apportées à un réacteur de fiabilité incertaine dans les délais requis pour éliminer les stocks de plutonium, réacteur qui, même sans MOX, présente un coût d’exploitation de moins en moins compétitif.

Il est clair que la menace envers la sécurité mondiale que constituent les stocks de plutonium de catégorie militaire excédentaire est une question de la plus haute importance. Puisque « le temps presse », l’un des plus importants points à éclaircir est de déterminer laquelle des deux solutions (la fabrication de combustible MOX ou l’immobilisation) serait utilisable le plus rapidement. En apparence du moins, la solution CANDU-MOX semble attrayante. Elle ne comporte pas de difficultés techniques majeures. Les réacteurs CANDU ne subiraient pas de modifications physiques, la totalité du MOX pourrait être utilisée en un seul lieu et, si le plan d’enfouissement en profondeur d’Énergie atomique du Canada limitée devait être approuvé, on disposerait d’une solution toute prête pour l’élimination finale des déchets. Une telle approbation est loin de constituer une certitude, cependant, étant donné la conclusion de la Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire :

La démonstration n’a pas été faite que le concept de stockage permanent en formations géologiques profondes qu’a élaboré EACL jouit d’un vaste appui du public; sous sa forme actuelle, ce concept n’a pas le degré voulu d’acceptabilité pour être adopté comme mode canadien de gestion des déchets de combustible nucléaire.(45).

Beaucoup de questions demeurent sans réponse, y compris en ce qui concerne les aspects de santé et sécurité de la proposition ainsi que les conséquences de celle-ci pour la politique nucléaire canadienne et la responsabilité relative aux coûts futurs. L’utilisation du MOX doit faire l’objet d’un débat public approfondi, ouvert et bien informé.

 


(1) Frank Berkhout et al., « Plutonium: True Separation Anxiety », The Bulletin of the Atomic Scientists, novembre 1992, p. 30.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Les isotopes sont des formes d’un élément qui ne diffèrent que par la masse atomique de leur noyau. Par conséquent, le comportement chimique des isotopes est pratiquement identique à celui de l’élément mais leurs propriétés physiques sont légèrement différentes de celles de ce dernier.

(5) John P. Holdren, « Dangerous Surplus », Bulletin of the Atomic Scientists, mai-juin 1994, p. 40.

(6) Wolfgang K.H. Panofsky, « No Quick Fix for Plutonium Threat », Bulletin of the Atomic Scientists, janvier-février 1996, p. 59.

(7) R.T. Whillans, Annuaire des minéraux du Canada,, édition 1993, p. 53.12.

(8) Craig Cerniello, « U.S., Russia Amend HEU Deal, Accelerating Implementation Pace », Arms Control Today, novembre-décembre 1996, p. 16.

(9) Holdren (1994), p. 43

(10) Bette Hileman, « U.S. to Test Two Paths to Dispose of Nuclear Weapons Plutonium », Chemical & Engineering News, 16 décembre 1996, p. 10.

(11) Pour une discussion de la menace de trafic de substances nucléaires, voir Phil Williams et Paul N. Woessner, « The Real Threat of Nuclear Smuggling », Scientific American, janvier 1996, p. 40-44.

(12) Arjun Makhijani, « Let’s Not », Bulletin of the Atomic Scientists, mai-juin 1994, p. 45.

(13) Institut international d’études stratégiques, « Eliminating Excess Plutonium Stockpiles: A Dual-track Disposition Strategy », Strategic Comments, vol. 3, no 2, mars 1997.

(14) Edwin S. Lyman, « Just Can It », Bulletin of the Atomic Scientists, novembre-décembre 1996, p. 49.

(15) Hileman (1996), p. 11.

(16) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 49.

(17) Institut international d’études stratégiques (mars 1997).

(18) Edwin S. Lyman et Paul Levinthal, « Bury the Stuff », Bulletin of the Atomic Scientists, mars-avril 1997, p. 46.

(19) Luther J. Carter, « Let’s Use It », Bulletin of the Atomic Scientists, mai-juin 1994, p. 43.

(20) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 49.

(21) Luther J. Carter (mai-juin 1994), p. 43.

(22) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 49.

(23) Holdren (mai-juin 1994), p. 41.

(24) A. Ian Smith, note d’information préparée pour l’Association des parlementaires de l’OTAN, le 8 mai 1997.

(25) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 50.

(26) Holdren (mai-juin 1994), p. 39.

(27) Berkhout (1992), p.32.

(28) Hileman (1996), p. 11.

(29) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 51.

(30) Nuclear Awareness Project, « U.S. DOE Considers Plutonium for CANDU », Nuclear Watchdog Bulletin, no 3, avril 1996, p. 2.

(31) Gerald Clark, IAEA Bulletin, no38, déc. 1996, p. 25-8, à la p. 28.

(32) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 51.

(33) Ibid., p. 52 (traduction).

(34) Carter (mai-juin 1994), p. 42 (traduction).

(35) Hileman (1996), p. 11.

(36) Institut international d’études stratégiques (1997), p. 2.

(37) Ibid.

(38) Hileman (1996), p. 11.

(39) Lyman (novembre-décembre 1996), p. 50.

(40) Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire, Concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire, Agence canadienne d'évaluation environnementale, février 1998, p. 95.

(41) Franklyn Griffiths, MOX Experience: The Disposition of Excess Russian and U.S. Weapons Plutonium in Canada, juillet 1997 (traduction).

(42) Ressources naturelles Canada, Plutonium MOX Fuel Initiative, Use of Plutonium in CANDU, http://www.nrcan.gc.ca/es/uneb/moxfuel/mox_pg05f.html.

(43) Voir le document de réglementation R-104 de la Commission de contrôle de l’énergie atomique, Ottawa, 5 juin 1987, où on note que pour la gestion à long terme des déchets, l’approche préférée est l’élimination, méthode de gestion à caractère permanent dans laquelle il n’existe aucune intention de récupération ultérieure.

(44) Ontario Hydro, Communiqué de presse, « Statement by William Farlinger, Chairman and Interim Chief Executive Officer », 13 août 1997.

(45) Commission d'évaluation environnementale du concept de gestion et de stockage permanent des déchets de combustible nucléaire (1998), p. 2.