BP-56F

 

LE DÉPUTÉ FÉDÉRAL : SES FONCTIONS

 

Rédaction :
Grant Purves, Jack Stilborn
Division des affaires politiques et sociales
Décembre 1988
Révisé en juin 1997


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LA FONCTION DE REPRÉSENTATION

LA FONCTION LÉGISLATIVE

LA FONCTION DE SURVEILLANCE

LA FONCTION DE LÉGITIMATION

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


LE DÉPUTÉ FÉDÉRAL : SES FONCTIONS

INTRODUCTION

Dans le présent document, nous indiquons dans leurs grandes lignes les principales fonctions du député, soit la représentation, la fonction législative, la surveillance et la légitimation. Nous examinons l’importance théorique de chacune d’elles ainsi que la façon dont les députés s’en acquittent dans la pratique.

À l’expression « membre du Parlement », qui désigne les membres de la Chambre des communes ou du Sénat, on préférera le terme « député », qui fait uniquement référence aux membres de la Chambre des communes.

LA FONCTION DE REPRÉSENTATION

Le premier rôle du député est évidemment de représenter ses électeurs. Chaque député représente l’une des 301 circonscriptions du pays.

On ne sait pas au juste si, en sa qualité de représentant du peuple, un député devrait idéalement interpréter l’opinion publique et même aller jusqu’à la façonner, ou se borner plutôt à transmettre le point de vue de ses électeurs aux gouvernants. Les partisans de ce rôle de « délégué » soutiennent que, dans la mesure du possible, l’exercice de la souveraineté sied mieux à ceux qui en sont les véritables dépositaires (le peuple). Dans la 35e législature, cette opinion est fermement défendue par les députés du Parti réformiste. Ainsi, lors d’une conférence parlementaire, Diane Ablonczy a déclaré ce qui suit :

[...] Dans son expression la plus simple, la démocratie, c’est le gouvernement par le peuple, et non par un premier ministre, par un premier ministre et son Cabinet, par des députés appartenant au parti au pouvoir ni même par 295 députés.

Oui, les députés ont un mandat qui leur vient du peuple. Oui, les députés sont des administrateurs désignés par le peuple. Mais, ce qui est le plus important, les députés sont les délégués du peuple(1).

Pourtant, malgré l’attrait qu’elle présente aux yeux des démocrates scrupuleux, de nombreuses autorités soutiennent que cette conception de la fonction de représentation du député est inadéquate pour de nombreuses raisons. Elle nie le caractère pluraliste de la société canadienne. La plupart des circonscriptions sont hétérogènes sur les plans politique, économique et social; il arrive donc souvent qu’un député soit élu sans avoir obtenu la majorité absolue des votes des électeurs de sa circonscription. Compte tenu de la multitude de questions que doivent traiter les députés, souvent de façon urgente, il leur est impossible de consulter leurs électeurs sur tout. La notion de « député délégué » présume que le Parlement n’est rien d’autre que la somme de ses parties, qu’une arène où s’affrontent des factions rivales; elle assimile l’intérêt national à un simple amalgame d’intérêts divergents.

Même si la question n’a pas été définitivement tranchée, on peut affirmer sans présomption que de nombreux députés croient qu’ils doivent non seulement réagir à l’opinion publique, mais aussi s’efforcer de l’interpréter et de la façonner. L’ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse et chef de l’opposition officielle, M. Robert Stanfield, a déjà affirmé que les députés devaient « devancer l’opinion publique dans certaine mesure »(2). Bon nombre de députés soutiennent qu’ils ont non seulement le droit, mais aussi, ce qui est plus important, le devoir d’éclairer l’opinion publique en constante évolution. En effet, si on leur refuse ce rôle, les députés tombent au rang de simples opportunistes politiques, situation qui porte atteinte tant à l’intégrité morale de chacun qu’à la dignité du Parlement. Donc, en général, les députés dépassent les préoccupations à courte vue de leur localité et de leur région pour privilégier un intérêt national plus vaste. Par conséquent, le Parlement qu’ils servent collectivement est plus que la somme de ses parties. Le philosophe britannique Edmund Burke a écrit :

Le Parlement est l’assemblée délibérante d’un pays. Il est au service d’un intérêt unique, celui de la collectivité; le bien public, déterminé en fonction de la volonté de la collectivité, doit prévaloir sur les intérêts et les préjugés locaux(3).

Le député représente ses électeurs de multiples façons. Il fait valoir leur point de vue à la Chambre des communes et propose des mesures en leur nom. En prenant part au processus législatif, il permet à ses électeurs de jouer au moins un rôle indirect dans l’élaboration de mesures importantes qui les touchent directement. Il peut aussi obtenir la parole pour faire une brève déclaration sur le sujet de son choix immédiatement avant la période réservée aux questions, aux termes de l’article 31 du Règlement. Le député peut intervenir durant la période des questions dans l’espoir d’inciter un ministre à modifier ses politiques ou à en mettre en place qui soient plus conformes aux vues de ses électeurs. Il peut aussi intercéder directement auprès des ministres en leur écrivant ou de façon plus directe.

Un député peut aussi proposer l’adoption d’un projet de loi au cours de la période consacrée aux initiatives parlementaires. Même s’il est d’intérêt public, un projet de loi d’initiative parlementaire est parrainé par un simple député et ne fait donc pas partie de l’ensemble des mesures législatives proposées par le gouvernement. Avant le 24 février 1986, en raison de la procédure régissant leur étude, la plupart des projets de loi d’initiative parlementaire ne parvenaient jamais à l’étape de la deuxième lecture, et leur dépôt servait avant tout à faire connaître certaines questions et à inciter le gouvernement à prendre des mesures. Selon la procédure actuelle, au moins quelques-uns des projets de loi d’initiative parlementaire sont tout à fait susceptibles d’être adoptés, en plus de conserver leurs fonctions antérieures. Le simple député peut aussi présenter un avis de motion dans le but d’amorcer un débat sur la politique gouvernementale en général ou d’expliquer le point de vue de ses électeurs.

Grâce à des modifications apportées à la procédure au cours de la dernière décennie, les députés sont plus à même de s’acquitter de leur fonction de représentation au sein des comités de la Chambre. Les membres des comités législatifs (le Règlement de la Chambre prévoit de tels comités, mais ces dispositions n’ont pas été utilisées durant la première session de la 35e législature, de 1993 à 1995) ainsi que les membres des comités permanents peuvent participer à l’étude détaillée, article par article, des projets de loi ayant franchi l’étape de la deuxième lecture. Au sein des comités permanents, les députés peuvent participer à l’examen des nominations par décret et des prévisions de dépenses, énoncés de politique et plans des ministères, ainsi qu’à la réalisation d’études et d’enquêtes. En comité, comme leur nombre est délibérément restreint et que les règles de procédure sont plus souples, les députés peuvent intervenir librement et fréquemment et interroger des témoins (notamment des ministres et des hauts fonctionnaires) dans l’espoir d’influer la politique éventuelle du gouvernement.

Les députés peuvent aussi tenter d’inciter leurs collègues de parti à adopter des positions et des orientations politiques définies s’inscrivant dans la ligne de pensée de leur électorat. Mis à part les conversations informelles entre députés d’un même parti, le lieu privilégié de ces exercices de persuasion interne est le caucus du parti. Réunis à huis clos, les députés ont le loisir d’essayer d’influencer la position de leur parti sur des questions données dans un sens qui leur convient, et partant, qui convient à leurs électeurs. En outre, les députés d’une même province ou d’une même région peuvent s’unir pour faire front commun ou former un genre de caucus régional dans le but de mieux faire connaître les préoccupations de leur région. Par ailleurs, les députés peuvent tenter d’influer sur la ligne adoptée par leur parti sur diverses questions en recourant à l’opinion publique. Les députés sont conscients de l’importance de la publicité et les journalistes en quête d’informations cultivent les politiciens, ce qui fait d’eux des alliés naturels. Le député astucieux peut tourner cette délicate relation à l’avantage de ses électeurs et de son parti.

Un autre aspect important de la fonction de représentation du député est ce que l’on appelle son rôle d’« ombudsman ». Aux prises avec des problèmes concernant le gouvernement fédéral et ses ministères, les électeurs font souvent appel à leur député. Il est rare qu’il se passe une journée sans qu’un député consciencieux reçoive des appels téléphoniques et une vingtaine de lettres de ses électeurs lui demandant de discuter avec les fonctionnaires ou les ministres de problèmes ayant trait à l’assurance-chômage, au bien-être social, à l’agriculture, à la justice, aux pensions de retraite, à l’immigration ou à des problèmes financiers. L’intervention du député peut souvent produire les résultats escomptés ou faire accélérer les choses.

Tout jugement réaliste sur la fonction de représentation des députés doit tenir compte, cependant, des impératifs partisans auxquels ils sont soumis. Comme de nombreux députés doivent leur succès électoral à leur parti politique, ils sont parfois obligés de sacrifier certains intérêts de leurs électeurs à la discipline du parti. Les députés perçoivent le parti comme un instrument servant à la fois à promouvoir des objectifs politiques communs et à mobiliser l’appui de la population lors des élections. Quant au parti, il offre aux députés qui cherchent à se faire réélire l’appui administratif et financier d’une imposante machine électorale. Au Canada, les partis exigent la loyauté de leurs députés et ne se gênent pas pour laisser tomber les dissidents.

Bien entendu, l’efficacité avec laquelle les députés représentent leurs électeurs dépend largement de leur position à la Chambre. Ainsi, en tant que membres de l’exécutif, les ministres du Cabinet sont les mieux placés pour s’assurer que l’on tient dûment compte des intérêts de leurs électeurs dans l’élaboration de la politique gouvernementale.

Écartés du processus immédiat d’élaboration de la politique gouvernementale, le simple député doit, pour se faire entendre au sein des grands organes de prise de décision, rivaliser avec les fonctionnaires, les groupes de pression et les autres députés. Sa voix n’en est souvent qu’une parmi tant d’autres. En outre, il n’a pas les ressources dont disposent les ministres désireux de faire valoir leurs vues.

Paradoxalement, on peut affirmer que les députés de l’opposition ont les mains plus libres que les ministériels pour représenter leurs électeurs. Parce que le gouvernement est souvent appelé à rendre des décisions impopulaires, il est plus important pour les députés du parti au pouvoir que pour leurs collègues de l’opposition d’afficher leur solidarité. Si le parti au pouvoir peut créer une impression de solidarité, il réussira plus facilement à convaincre le public que les décisions qu’il a prises sont les bonnes, quel que soit leur degré d’impopularité. De plus, les aspirations de carrière des députés ministériels peuvent limiter quelque peu l’éventail des questions sur lesquelles ils choisissent de prendre position et la vigueur de leurs interventions.

Il se peut que les députés ministériels hésitent davantage que les autres à critiquer publiquement le gouvernement pour défendre les intérêts de leurs électeurs, mais ils exercent en privé une plus grande influence. Ainsi, les ministres et les membres de leur cabinet seront plus enclins à écouter leurs doléances, et le caucus ministériel peut être mis à profit pour faire stopper la machine gouvernementale ou pour l’aiguillonner. Même lorsqu’il souligne le rôle que peut jouer le caucus pour faire respecter la discipline de parti, Marc MacGuigan admet « qu’une forte opposition du caucus à une mesure gouvernementale équivaut à un veto absolu sur cette mesure »(4).

LA FONCTION LÉGISLATIVE

Les simples députés ne jouent qu’un rôle indirect dans le processus législatif. À son âge d’or, le Parlement était le principal dépositaire de l’initiative législative, mais aujourd’hui, le rôle législatif du Parlement et des députés ne consiste généralement plus à élaborer des mesures, mais à les améliorer.

Le fardeau du processus législatif repose en grande partie sur le gouvernement, mais, si fort que soit celui-ci, il a besoin de l’appui de ses députés. Même les députés les plus loyaux envers leur parti peuvent ne pas aimer qu’on présume d’eux, et ils peuvent le monter en s’abstenant de voter sur des questions controversées ou chargées d’émotivité. Par ailleurs, les députés ont la possibilité de faire modifier les projets de loi en troquant leur appui contre un amendement. Dans un gouvernement minoritaire, les députés peuvent ainsi avoir un pouvoir considérable.

Les députés ont également le loisir d’exercer une influence directe sur la teneur des projets de loi au sein des comités de la Chambre. Par exemple, l’étude des prévisions budgétaires des ministères leur offre l’occasion de critiquer, voire de modifier les affectations de crédits. En effet, les règles concernant les comités autorisent les députés à accepter, à réviser à la baisse ou même à rejeter purement et simplement les propositions budgétaires gouvernementales, ce qui confère aux membres des comités le rôle de législateurs en puissance. Le fait qu’on dise familièrement que les comités parlementaires « tiennent les cordons de la bourse » confirme d’ailleurs leur influence sur la politique des dépenses du gouvernement.

En plus d’étudier les prévisions budgétaires des ministères, les députés ont également la possibilité d’intervenir directement dans le processus législatif au sein d’un comité, durant l’examen détaillé qui suit normalement la deuxième lecture d’un projet de loi. À cette occasion, un député peut essayer de convaincre ses collègues que certains changements sont souhaitables en raison des incohérences ou des lacunes éventuelles qu’il perçoit dans le projet de loi.

Les modifications apportées aux règles de la Chambre ont en outre élargi les pouvoirs des comités et du même coup renforcé les responsabilités législatives des députés. Le gouvernement peut dorénavant renvoyer un projet de loi à un comité avant la deuxième lecture - celle de l’adoption de son principe - et ainsi permettre aux membres du comité de proposer un éventail d’amendements beaucoup plus large qu’auparavant. On peut aussi demander aux comités de mener une enquête sur une question ou encore de rédiger et de présenter un projet de loi.

Le moyen le plus direct dont dispose un député pour « légiférer » est sans doute de parrainer un projet de loi d’initiative parlementaire. Les cinq heures hebdomadaires consacrées à l’étude des projets de loi présentés par les simples députés offrent à ceux-ci l’occasion de se porter à la défense de causes qui présentent une importance ou un intérêt particulier à leurs yeux et, parfois, de réussir à faire adopter une loi.

Toutefois, l’essentiel de l’influence législative du simple député s’exerce probablement de façon indirecte. Les discours qu’il prononce pendant un débat sur une mesure gouvernementale ou les questions qu’il pose durant la période des questions quotidienne visent à persuader le Cabinet de se rallier à son point de vue. Le caucus du parti peut également lui servir de tribune pour influencer indirectement la politique gouvernementale.

Les simples députés peuvent également tenter d’influence en privé les auteurs de la politique gouvernementale. Ils peuvent téléphoner, écrire ou parler à des ministres et à des fonctionnaires haut placés pour leur exposer leurs préoccupations, dans l’espoir de persuader le gouvernement d’apporter des changements à des lois existantes ou projetées.

Enfin, les députés peuvent influer indirectement sur la politique du gouvernement en recourant aux médias. Dans la mesure où elle est couronnée de succès, une campagne publique d’appui à une option politique différente de celle du gouvernement peut réussir à susciter dans l’opinion une vague de mécontentement à l’égard d’une loi en vigueur ou proposée.

Toutefois, cette interprétation théorique du rôle du député doit être nuancée. Par exemple, la discipline de parti circonscrit considérablement le champ d’influence des simples députés. Comme un ancien député l’a fait remarquer en 1978 :

L’entrave la plus importante au rôle du simple député est son affiliation à un parti. Je ne saurais trop insister sur ce point. Les députés sont conscients du fait qu’ils sont entrés à la Chambre en tant que membres d’un parti politique. C’est là une réalité du monde politique qui limite le rôle qu’un simple député peut envisager de jour(5).

Le nombre de votes libres tenus à la Chambre est peut-être plus élevé de nos jours, mais rien n’a vraiment changé depuis que ces mots ont été prononcés.

Les députés ministériels sont peu enclins à enfreindre la discipline de parti et à voter contre le gouvernement. Quant aux partis d’opposition, ils sont soucieux de présenter une image d’unité et voient d’un mauvais oeil les écarts publics des députés dissidents.

Le Parlement est un instrument imparfait. Les députés doivent accomplir un travail exigeant pour le compte de milliers d’électeurs, tout en étant astreints à des horaires très chargés. Il serait donc naïf de croire que leurs fonctions législatives donnent toujours lieu à un exercice exaltant de l’art du gouvernement. Le député apprend à utiliser les mécanismes parlementaires afin de tirer le maximum de résultats d’un système qui repose nécessairement sur le compromis. Les comités, bancs d’essai précieux permettant de connaître les réactions de la population et des spécialistes face aux mesures projetées, en sont un exemple. S’ils risquent peu d’aller à l’encontre des objectifs du gouvernement, ils constituent néanmoins un antidote utile contre le poison du secret bureaucratique et exécutif.

LA FONCTION DE SURVEILLANCE

Dans un régime parlementaire, la liberté d’action de l’exécutif est nécessairement limitée par sa responsabilité envers l’assemblée législative, qui s’exprime notamment dans le principe traditionnel de la responsabilité ministérielle, tant individuelle que collective. Pour protéger les citoyens contre l’arbitraire éventuel du gouvernement et leur garantir qu’on fait bon usage des deniers publics, le Parlement doit examiner de près l’activité gouvernementale, responsabilité qui est habituellement assumée par les partis d’opposition.

L’examen des dépenses gouvernementales est par conséquent un élément essentiel de la fonction de surveillance des députés. Ils s’en acquittent de diverses façons, notamment par l’examen des prévisions de dépenses des ministères au sein des comités. Ils peuvent interroger des ministres et des hauts fonctionnaires au sujet des projets de dépenses des ministères. Lorsque les membres d’un comité jugent que les dépenses proposées sont excessives, ils peuvent exiger dans leur rapport la réduction ou la suppression de postes de dépenses particuliers.

Les députés jouent également un rôle de surveillance important après que le vérificateur général a déposé à la Chambre des communes son rapport annuel et d’autres rapports sur les dépenses du gouvernement. Mettant à profit les exemples de gaspillage et d’incurie qu’il a signalés, les députés font souvent beaucoup de battage autour de ses critiques tout en y ajoutant les leurs à la Chambre des communes, devant les comités de la Chambre et dans les médias.

On procède à un examen plus poussé de la politique budgétaire du gouvernement lors du débat sur le budget, qui consiste en quatre jours (par nécessairement consécutifs) de discussions sur la politique fiscale et financière du gouvernement après l’exposé budgétaire présenté à la Chambre par le ministre des Finances. Étant donné que les règles de procédure sont assouplies pendant le débat sur le budget, les députés peuvent s’exprimer plus librement qu’en d’autres circonstances pour interroger le gouvernement au sujet de sa politique budgétaire.

Un autre débat spécial - qui ne porte toutefois pas exclusivement sur des questions budgétaires - fait suite au discours du trône dans lequel le gouvernement expose les principales initiatives législatives qu’il entend prendre au cours de la session parlementaire qui s’ouvre. Ce débat dure six jours consécutifs pendant lesquels les députés peuvent contester le programme législatif annoncé par le gouvernement.

En plus des débats sur le budget et sur le discours du trône, les partis d’opposition disposent de 20 « jours désignés » au cours desquels ils peuvent débattre n’importe quel aspect des prévisions de dépenses du gouvernement. Ces 20 jours, divisés en trois périodes, étaient d’abord destinés à indemniser les partis d’opposition pour le temps de débat qu’ils avaient perdu à l’issue de la grande réorganisation de la procédure relative aux subsides et de l’abolition du Comité des subsides en 1968. En théorie, cet instrument de contrôle a d’autant plus de poids que des motions de défiance, contestant l’aptitude du gouvernement à continuer à diriger le pays, peuvent être présentées à huit occasions au cours de l’année parlementaire. Comme les députés sont autorisés à présenter trois motions de ce genre au cours de chaque période d’étude des subsides, il s’agit là d’une menace perpétuelle pour le parti au pouvoir.

Les comités de la Chambre des communes sont un autre instance qui permet aux députés de suivre de près les activités du gouvernement. Aux termes de l’article 108 du Règlement, les comités permanents sont investis de vastes pouvoirs de surveillance, dont celui de convoquer des témoins et d’exiger la production de documents et de dossiers et, avec certaines exceptions, celui de faire une étude et de présenter un rapport sur toute questions relative aux lois, à la politique, aux plans de dépenses à long terme ou à la gestion des ministères qui leur sont confiés. Ils sont aussi explicitement investis du pouvoir d’examiner les nominations par décret. De même, les comités législatifs peuvent, lorsqu’ils sont constitués, convoquer des représentants des ministères et d’autres témoins experts et exiger la production de documents et de dossiers, au cours de leur examen des lois dont ils sont saisis. Tant dans les comités législatifs que dans les comités permanents, les députés sont en mesure de mener un examen éclairé des lois et de l’activité du gouvernement.

La tribune la plus spectaculaire pour l’exercice de la fonction de surveillance est la période des questions quotidienne. Cependant, dans les quelques minutes qui précèdent immédiatement la période des questions, les députés ont le loisir de condamner l’action ou l’inaction gouvernementale en prononçant, en vertu de l’article 31 du Règlement, une déclaration sur une question importante à leurs yeux et aux yeux de leurs électeurs. Pendant la période des questions elle-même, les députés peuvent interroger des ministres au sujet de cas possibles de mauvaise gestion des deniers publics ou de tout impair apparemment commis par le gouvernement.

La capacité des députés de « contrôler » le gouvernement a ses limites. Les députés peuvent difficilement passer au crible les prévisions de dépenses du gouvernement lorsqu’ils ne possèdent pas les connaissances techniques requises ou qu’ils font face à des programmes de dépenses complexes. Les comités de la Chambre qui étudient les prévisions budgétaires ne sont autorités qu’à approuver les crédits ou à proposer la réduction de certains d’entre eux et ils ne peuvent modifier les priorités du gouvernement. Ces comités ont des échéanciers à respecter : ils doivent faire rapport au plus tard le 31 mai de l’année financière, sinon ils sont simplement « réputés » avoir déposé un rapport.

LA FONCTION DE LÉGITIMATION

La dernière fonction qu’exerce le député est une fonction de légitimation. Aucun régime politique, hormis la dictature, ne peut survivre longtemps sans le soutien des citoyens. À moins qu’il ne soit jugé légitime par le peuple, un régime est fondamentalement instable. Dans un pays démocratique comme le Canada, les citoyens respectent les lois parce qu’elles sont issues d’un système politique qu’ils appuient et qu’ils considèrent comme juste. Parce que les dissidents reconnaissent un processus législatif que l’ensemble des citoyens considèrent comme légitime, ils se plient (habituellement) volontiers au voeu de la majorité, par respect pour le régime politique en place.

Selon le dicton juridique, il faut non seulement que justice soit faite mais que les gens voient qu’elle est faite. De même, le pouvoir doit être exercé au vu et au su de tous. Les députés jouent un rôle important quand il s’agit de faire valoir la légitimité du processus politique. Dans la mesure où les Canadiens estiment que leurs intérêts sont véritablement représentés à la Chambre des communes et que le gouvernement en tient compte dans la formulation de ses lois, ils tendent à considérer la Chambre comme l’organe légitime d’élaboration de la politique de l’État ainsi qu’à reconnaître la légitimité des lois du gouvernement.

Le vote constitue pour le député un autre moyen de légitimer le processus politique. De même, la participation des députés à la période des questions, aux débats de la Chambre et aux délibérations des comités atteste de leur foi fondamentale dans le processus politique.

Toutefois, il arrive à l’occasion que les partis fassent de la « politicaillerie » à propos de questions d’intérêt public délicates, ce qui suscite le cynisme de la population envers le processus politique et ses participants. Au Canada, la longue tradition d’une discipline de parti rigoureuse peut faire obstacle à une discussion sérieuse des questions importantes au sein des divers partis politiques. Les députés ministériels peuvent se sentir obligés d’appuyer unanimement les initiatives du gouvernement, initiatives que les partis de l’opposition se sentent tout aussi obligés de dénoncer. Lorsque la position des députés sur des questions importantes est déterminée à l’avance par la discipline du parti, leur crédibilité en tant que partisans ou adversaires sérieux de mesures précises peut être compromise.

Le ton souvent acrimonieux des débats à la Chambre des communes peut aussi nuire au prestige des députés, ceux-ci étant parfois tentés de « jouer pour la galerie », exagérant de ce fait la tension apparente des débats.

CONCLUSION

Les députés remplissent de nombreuses fonctions. Théoriquement du moins, ils doivent représenter leurs électeurs et défendre les citoyens, prononcer des discours et adopter des lois, établir des politiques et surveiller le gouvernement et la fonction publique, ainsi qu’être loyal à leur parti et sensible aux besoins des membres de leur famille. En réalité, ils sont des êtres humains qui ne peuvent espérer pouvoir remplir toutes ces fonctions en même temps. Comme l’a déclaré Marc MacGuigan, un député d’arrière-ban ambitieux et orienté vers l’action, les exigences parlementaires sont « considérables » et les problèmes à régler dans la circonscription « presque illimités ». Il a indiqué que son emploi du temps était très chargé et laissait peu de place à l’étude et à la réflexion :

[...] être présent au moins trois demi-journées par semaine à la Chambre pour s’assurer qu’il y a toujours quorum; participer aux principaux débats et votes; assister à la période des questions « pour s’informer et participer à l’action »; siéger au sein de deux comités permanents et assumer plus tard la présidence du Comité spécial chargé de l’examen de la réglementation; consacrer trois heures aux réunions du caucus chaque mercredi matin et participer aux réunions des comités du caucus pendant les pauses du dîner et du souper; suivre des cours de français deux fois par semaine (« parce que je veux absolument devenir bilingue »); retourner toutes les fins de semaine dans la circonscription de Windsor et dans mon foyer (voyage de mille milles aller-retour); faire environ 200 apparitions publiques et 200 visites d’électeurs par année; et m’occuper d’un grand nombre de dossiers dans la circonscription (quelque 5 500 dossiers par année).(6)

Pour réussir à long terme, les députés doivent parvenir à établir un équilibre entre leur vie personnelle, leur action au sein du parti et leurs fonctions parlementaires. Il leur faudra donc décider laquelle de leurs fonctions parlementaires ils privilégieront. Un grand nombre décident de se concentrer sur la représentation de leurs électeurs parce que ce rôle de « défenseur des citoyens » peut leur procurer non seulement une certaine satisfaction politique, mais aussi la plus grande satisfaction personnelle. D’autres se sont fait élire dans l’espoir de mettre en oeuvre certains objectifs politiques et législatifs. Les modifications à la procédure suivie à la Chambre qui ont été apportées au cours des 30 dernières années, et en particulier durant les 10 dernières, ont mis à la disposition des parlementaires un grand nombre de nouveaux outils afin de leur permettre d’exercer une influence.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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Van Loon, R. et M. Whittington. The Canadian Political System. 4e édition. Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1987.

Whittington, Michael S. et Richard J. Van Loon. Canadian Government and Politics. McGraw-Hill Ryerson, 1996.


(1) « La réforme parlementaire : comment en assurer le bon fonctionnement », Groupe canadien d’étude des questions parlementaires, Conférence, 13 mai 1994, Ottawa, p. 35.

(2) Robert Stanfield, « Les hauts et les bas de l’arrière-ban », Revue parlementaire canadienne, vol. 4, no 3, automne, 1981, p. 16.

(3) Edmund Burke, The Works of the Right Honourable Edmund Burke, Henry Rogers (éd.), vol. 1, Londres, Samuel Holdsworth, 1842, p. 180 (traduction).

(4) Cité dans Robert J. Jackson et Doreen Jackson, Politics in Canada, 3e édition, Prentice Hall (Canada), 1994, p. 347 (traduction).

(5) John Reid, « The Backbencher and the Discharge of Legislative Responsibilities », procès-verbal de la National Conference on the Legislative Process, Université de Victoria, 31 mars-1er avril 1978 (traduction).

(6) Cité dans Jackson et Jackson, p. 350.