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PRB 00-29F
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L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE AU CANADA :
UN APERÇU

 

Rédaction :
Frédéric Forge
Division des sciences et de la technologie
Le 19 février 2001


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

DÉFINITION ET TENDANCES DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE CANADIENNE

   A. Origines

   B. Définition

   C. Les normes de production biologique

   D. Les tendances de l’agriculture biologique au Canada

MESURES GOUVERNEMENTALES EN FAVEUR DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

   A. Une politique spécifique pour l’agriculture biologique

   B. Une norme nationale

UN MODÈLE À SUIVRE POUR UNE AGRICULTURE DURABLE?

   A. Une agriculture durable

   B. Des aliments plus sains?

CONCLUSION


L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE AU CANADA :
UN APERÇU

INTRODUCTION

Longtemps limitée à de petits groupes de producteurs, de transformateurs et de consommateurs, l’agriculture biologique connaît depuis quelques années une croissance importante.   L’intérêt récent pour les produits de l’agriculture biologique a été renforcé par des attentes plus grandes de la part des consommateurs vis-à-vis de leur alimentation et de l’environnement à la suite notamment d’un certain nombre de « crises » ou de controverses impliquant l’agriculture conventionnelle –telles que la vache folle en Europe, les organismes génétiquement modifiés, etc.

En 1998, le Conseil consultatif canadien de la production biologique (CCCPB) a déclaré que le marché des aliments biologiques représentait environ 1 p. 100 de l’ensemble du marché de l’alimentation au détail et a estimé que les ventes augmentaient de 15 à 25 p. 100 par année(1).  Selon ce même organisme, la production canadienne vaut près de 1 milliard de dollars par année.

Après un survol du concept d’agriculture biologique et de sa situation au Canada, le présent document décrit les différentes mesures gouvernementales qui affectent ce secteur de l’industrie agricole et discute de l’agriculture biologique comme modèle pour l’agriculture durable.

DÉFINITION ET TENDANCES DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE CANADIENNE

   A. Origines

L’agriculture biologique tire ses origines de la « Biodynamie », dont les principes ont été posés par M. R. Steiner, un penseur autrichien, dans les années 1920. Cette agriculture, qui fait appel aux « forces cosmiques et telluriques », est revendiquée comme s’inscrivant dans une conception large de la nature humaine et du vivant. Le mouvement biodynamique a été le premier à mettre en place, en 1928, une marque,  « Demeter », certifiant l’origine de ses productions. La seconde source est « l’Agriculture organique » de la Soil Association britannique (fondée sur les écrits de sir A. Howard en 1940), qui prône le compostage et le retour à une agriculture paysanne autonome. Les deux courants ont en commun d’accorder une place prédominante à la vie du sol, donc à la fertilisation, et de présenter une forte composante idéologique.

   B. Définition

L’agriculture biologique repose sur un principe simple qui est le respect strict des liens et des équilibres naturels entre le sol, les plantes et les animaux (l’animal nourrit le sol qui nourrit la plante) auquel s’ajoute la contrainte de l’interdiction des produits chimiques de synthèse(2).

De ce principe et de cette contrainte découle un certain nombre de pratiques agricoles qui distinguent l’agriculture biologique de l’agriculture conventionnelle.  Ces pratiques comprennent entre autres :

  • l’interdiction des engrais et pesticides chimiques, des régulateurs de croissance des plantes et des animaux, des hormones, des antibiotiques, des agents de conservation, etc.;

  • l’interdiction des organismes génétiquement modifiés (OGM);

  • l’interdiction de l’élevage et de la culture « hors sol » (cela n’exclut pas la culture sous serre);

  • l’obligation, en production animale, d’accès au plein air et d’une alimentation issue de l’agriculture biologique, et la limitation des densités d’animaux dans les bâtiments etc.;

  • l’obligation de respecter des périodes de conversion en production végétale avant toute valorisation commerciale en « biologique », etc.

À cet égard, les tenants de l’agriculture biologique ajoutent une dimension éthique et sociale à la définition d’agriculture biologique, car ils y voient un moyen de maintenir une agriculture à taille humaine, respectueuse de l’environnement et proche du consommateur.

   C. Les normes de production biologique

Comme il est virtuellement impossible de différencier un produit issu de l’agriculture biologique d’un produit de l’agriculture conventionnelle, les exploitations agricoles biologiques doivent être certifiées par des organismes habilités. La certification permet ainsi à l’agriculteur de vendre sa production sous l’appellation « biologique ». C’est ce processus qui assure le consommateur que le produit acheté est réellement issu de l’agriculture biologique.  L’organisme de certification valide l’exploitation agricole en fonction d’une norme qui édicte les règles techniques telles que les produits de fertilisation ou de traitement autorisés et les périodes de conversion. 

Toutefois, la multiplication des normes peut être une source de confusion pour le consommateur.  En 1980, la Organic Food Production Association of North America recensait une cinquantaine de normes biologiques rédigées par divers organismes de certification(3).  En l’an 2000, on comptait plus de 40 organismes de certification au Canada.  Les différentes normes ont cependant plus de points communs que de différences, mais par souci d’intégrité de la marque « biologique », l’industrie cherche dans de nombreux pays à uniformiser ces normes.  Au Canada, les provinces du Québec et de la Colombie-Britannique ont chacune mis en place sur leur territoire une norme minimale et une procédure d’accréditation des organismes de certification pour l’agriculture biologique.  En juin 1999, le gouvernement du Canada a présenté une norme nationale sur l’agriculture biologique, ce qui constitue une première étape vers une uniformisation des techniques de production biologique sur l’ensemble du pays - voir la section sur les mesures gouvernementales.   

   D. Les tendances de l’agriculture biologique au Canada

Au Canada, le mouvement de l’agriculture biologique est apparu dans les années 1950, mais c’est dans les années 1970 qu’il s’est vraiment développé.  Au cours de cette décennie, six provinces comptaient des organisations d’agriculteurs biologiques. De plus, l’Université McGill créait en 1974 le programme Ecological Agriculture Projects qui allait devenir un centre d’information et d’échange au Canada.  Les années 1980 ont vu le développement d’organismes de certification, ainsi qu’une plus grande implication des différents niveaux de gouvernements dans la recherche et le développement de ce secteur de l’industrie agricole.

Cependant, en 1999, on estimait entre 1500 et 2000 le nombre de producteurs certifiés au Canada(4),quoiqu’il existe peu de données sur la production en tant que telle.   Néanmoins, depuis l’année 2000, Statistique Canada répertorie quelques informations sur la production biologique de fruits et de légumes.  Les chiffres démontrent que  4,9 p. 100 des producteurs de fruits et de légumes au Canada se considèrent comme des producteurs biologiques – soit 640 exploitations(5).  Celles-ci représentent près de 2 p. 100 de la superficie consacrée à la production commerciale de légumes au Canada.  Les exploitations sont généralement de petite taille – moins de cinq acres(6).

Par contre, les importations des États-Unis et de l’Union européenne qui représentent 80 p. 100 du marché au Canada dominent l’industrie de l’alimentation.  Même si la vente locale est un élément fondateur de l’agriculture biologique, le commerce international prend davantage d’importance.  En outre, il est estimé que 85 p. 100 de la production biologique canadienne est exportée et que la demande pour certains produits notamment les céréales et les oléagineux  augmente.

MESURES GOUVERNEMENTALES EN FAVEUR DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

   A. Une politique spécifique pour l’agriculture biologique

Bien que l’agriculture biologique soit un « secteur à l’intérieur d’un secteur », il est touché par la plupart des programmes et règlements fédéraux mis en place pour le secteur agricole canadien.  En effet, les programmes fédéraux de soutien du revenu tels que le Compte de stabilisation du revenu net (CSRN), l’assurance-récolte ou le programme d’aide en cas de catastrophes sont offerts tout autant aux agriculteurs conventionnels qu’à ceux du domaine biologique.  Il n’y a cependant pas de politique fédérale qui vise spécifiquement l’industrie de l’agriculture biologique.

Certains pays, incluant l’Union européenne, ont de telles politiques en faveur de l’agriculture biologique. Ces politiques proposent généralement des incitatifs financiers pour la transition vers l’agriculture biologique.  On a remarqué en Europe une augmentation des terres agricoles converties à l’agriculture biologique à la suite de ce type d’incitatifs, ainsi qu’une augmentation du volume de produits biologiques certifiés destinés aux marchés extérieurs.

Dans son rapport intitulé Les pesticides – un choix judicieux s’impose pour protéger la santé et l’environnement, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes recommandait en 2000 que « le gouvernement élabore une politique sur l’agriculture biologique axée sur la transition de l’agriculture dépendante des pesticides à l’agriculture biologique.  Ainsi, une telle politique devrait inclure notamment des incitatifs fiscaux, un programme de soutien provisoire lors de la période de transition, un appui technique pour les agriculteurs, le développement de programmes postsecondaires en agriculture biologique et un financement accru de la recherche-développement (R-D) en agriculture biologique »(7).

Dans sa réponse, le gouvernement reconnaît l’importance de ce secteur en appuyant son expansion à l’aide  de programmes et des services existants et futurs de recherche et de développement des marchés.  La quasi-totalité des programmes qui visent l’agriculture en général touche l’agriculture biologique car le gouvernement a adopté une approche de « découplage » des programmes d’appui et des décisions relatives à la production.  De cette façon, il ne se trouve pas à favoriser certaines pratiques agricoles au détriment d’autres, peu importe qu’elles soient des pratiques conventionnelles, biologiques ou autres.  Il faut cependant noter que pour calculer les paiements aux agriculteurs, les programmes traditionnels se basent sur des chiffres inférieurs à ceux obtenus en production biologique (cas de l’assurance-récolte) ou sur les revenus (CSRN) Or ceux-ci sont souvent plus faibles en production biologique.  Ainsi, les agriculteurs biologiques se trouvent désavantagés.

   B. Une norme nationale

La mise en place d’une norme canadienne sur la production agricole biologique constitue la première véritable intervention fédérale qui vise spécifiquement ce « secteur » de l’industrie agricole.   Cette norme approuvée en juin 1999 par le Conseil canadien des normes a été élaborée conjointement par l’Office des normes générales du Canada et le Conseil consultatif canadien de la production biologique (CCCPB), un organisme qui représente les intérêts de groupes de producteurs biologiques et d’organismes de certification à travers tout le Canada. 

Bien que l’industrie de l’agriculture biologique soit satisfaite de la norme nationale, il existeun désaccord sur le processus de certification à mettre en place.  Le CCCPB, constitué en 1992 comme conseil consultatif, a pour mandat de représenter les intérêts de la production biologique à travers le Canada.  Toutefois, il a permis la collaboration entre les intervenants de l’agriculture biologique et ceux du gouvernement fédéral qui participaient à l’élaboration de la norme.  Néanmoins, certains intervenants voudraient que le CCCPB soit reconnu comme l’organisme de certification pour la norme nationale ayant comme responsabilité l’inspection et l’accréditation des entreprises qui souhaitent d’être certifiées.

D’autres pensent qu’il y a encore un besoin de consultation sur le choix de l’organisme de certification.  En effet, de nombreux intervenants en Colombie-Britannique et au Québec, deux provinces pourvues d’une longue expérience des normes biologiques provinciales, pensent qu’il n’est pas approprié à un organe consultatif de devenir un organisme de certification national.  De plus, ces provinces ont déjà des organismes de certification provinciaux qu’elles souhaiteraient voir accrédités comme organismes de certification pour la norme nationale.

UN MODÈLE À SUIVRE POUR UNE AGRICULTURE DURABLE?

Bien que l’agriculture conventionnelle ait été marquée par un certain nombre de crises ou de controverses, l’agriculture biologique est souvent mise de l’avant par certains comme un modèle d’agriculture durable qu’il serait souhaitable d’atteindre.  La présente section propose quelques éléments de réflexion sur ce sujet.

   A. Une agriculture durable

Il est maintenant reconnu que l’agriculture biologique a un effet très positif sur l’environnement.  En ce sens, elle se distingue de l’agriculture conventionnelle car elle réduit l’apport de polluants dans l’environnement et améliore la fertilité biologique et physique des sols(8).  Certaines études démontrent également que la diversité biologique est plus grande dans les champs où l’on cultive selon le mode biologique(9)

L’interdiction des engrais de synthèse et des pesticides entraîne cependant une diminution des rendements. À cet égard, certains agriculteurs déclarent des baisses de rendement de l’ordre de 30 à 50 p. 100 pendant les premières étapes de la transition de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique(10).  Cependant la baisse de rendement est compensée par le prix de vente des produits qui est plus élevé que celui des produits conventionnels.  Ainsi, les consommateurs sont prêts à payer de 10 à 50 p. 100 de plus pour ces aliments(11).

En termes de conduite d’exploitation, l’agriculture biologique exige plus en main d’œuvre que l’agriculture conventionnelle.  Or, en se privant du « filet de sécurité » des traitements systématiques, l’agriculteur biologique doit s’imposer une vigilance constante, rechercher systématiquement des solutions alternatives et tenter d’améliorer sa conduite d’exploitation.  À ce titre, aux Pays-Bas ce sont les producteurs laitiers les plus performants qui se convertissent à la production biologique, car elle représente un nouveau défi(12).

   B. Des aliments plus sains?

Bien que bénéfique pour l’environnement, le mode de production biologique ne garantit pas pour autant des aliments plus sains que les aliments conventionnels.  Les normes de production biologique n’incluent pas une obligation de résultats en termes de qualité du produit - ce qui n’exclut pas que les producteurs ne soient pas capables de fournir cette qualité.  L’étiquette « biologique » n’est donc en rien un gage sur la qualité et la valeur nutritionnelles du produit.  Par ailleurs, en matière d’hygiène et de sécurité sanitaires, l’agriculture biologique est simplement soumise aux mêmes règles que l’agriculture conventionnelle.

Il faut toutefois noter que l’absence par définition de tous produits chimiques de synthèse et d’OGM exclut le risque ou l’incertitude induit par leur présence - même si le risque ou l’incertitude est parfois faible en production conventionnelle.  Cependant, bien que la période de transition serve à nettoyer le sol de ses contaminants, et compte tenu du fait que certains intrants agricoles classiques peuvent rester dans le sol pendant des décennies, l’agriculture biologique ne vise pas à garantir une absence totale de contaminants.

À cet égard, un rapport du Comité de l’agriculture de la Chambre des communes du Royaume-Uni publié en janvier 2001 notait qu’il n’existe actuellement aucune preuve que les aliments issus de l’agriculture biologique présentent un avantage sur le plan de la santé.  À ce titre, le rapport indique que la recherche dans ce secteur doit être intensifiée afin d’apporter des preuves scientifiques aux affirmationsavancées(13).

CONCLUSION

L’agriculture biologique est en plein essor au Canada et une norme nationale qui établit les pratiques de production biologique est une bonne nouvelle pour les producteurs et les consommateurs, car elle permettra de donner de la clarté au marché.  Néanmoins, un système de certification opérationnel est le prochain défi auquel affrontera l’industrie de l’alimentation biologique canadienne.  Ce système devra répondre aux attentes des nombreux intervenants de l’industrie qui n’ont pas attendu une uniformisation au niveau national pour s’organiser.

Or, on attribue à l’agriculture biologique de nombreuses vertus dont celle d’être l’agriculture durable par excellence qui protège l’environnement tout en fournissant des aliments sains et plus nutritifs - bien que cette dernière affirmation reste à prouver.  On assiste ainsi dans certains pays à la mise en place de politiques qui visent une forte conversion de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture biologique.

Par conséquent, il est difficile de dire qu’un abandon de l’agriculture conventionnelle et une conversion totale à l’agriculture biologique pourrait garantir un revenu identique aux agriculteurs et une source stable et suffisante d’aliments.  Pour beaucoup, l’agriculture biologique est une niche et doit le rester pour garder son intérêt sur le plan économique.  De plus, c’est une agriculture plus contraignante en termes de conduite d’exploitation qui n’attire souvent que les plus performants sur le plan technique.   D’où l’idée avancée par certains qu’elle constitue un prototype d’une agriculture plus raisonnée pour la mise au point de solutions alternatives compatibles avec un développement durable.


(1) Archibald Heather, « L’agriculture biologique : une tendance qui s’accélère! », Un coup d’œil sur l’agriculture canadienne, Statistique Canada no 96-325-XPB au catalogue, 1999.

(2) Riquois Alain, « L’agriculture biologique : un “prototype” au service de l’agriculture conventionnelle pour un développement durable », Aménagement et nature, no 132, mars 1999, p. 49-61.

(3) Laberge Hélène, « Agriculture biologique et bio-dynamique », L’agora, avril 1996.

(4) Archibald Heather, « L’agriculture biologique: une tendance qui s’accélère! », Un Coup d’œil sur l’agriculture canadienne, Statistique Canada no 96-325-XPB au catalogue, 1999

(5) Parsons Bill, « Les méthodes d’agriculture biologique se taillent une bonne place sur le marché », Regards sur l’industrie agroalimentaire et la communauté agricole, Statistique Canada no 21-004-XIF – septembre 2000.

(6) Ibid.

(7) Chambre des communes, Comité permanent de l’environnement et du développement durable. Premier rapport Les pesticides – un choix judicieux s’impose pour protéger la santé et l’environnement, 2e session, 36e Parlement, mai 2000.

(8) Riquois Alain, « L’agriculture biologique : un “prototype” au service de l’agriculture conventionnelle pour un développement durable », Aménagement et nature, no 132, mars 1999,  p. 49-61.

(9) Coghlan Andy, « Going Back to Nature Down on the Farm », New Scientist, 3 juin 2000.

(10) Archibald Heather, « L’agriculture biologique : une tendance qui s’accélère! », Un coup d’œil sur l’agriculture canadienne, Statistique Canada no 96-325-XPB au catalogue, 1999.

(11) Ibid.

(12) Riquois Alain,  « L’agriculture biologique : un “prototype” au service de l’agriculture conventionnelle pour un développement durable », Aménagement et nature, no 132, mars 1999,  p. 49-61.

(13) Royaume-Uni, Chambre des communes. Comité de l’agriculture, deuxième Rapport, Organic Farming, janvier 2001.