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99-22F TROUBLES MENTAUX ET DROIT PÉNAL CANADIEN
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES PROPOSITIONS DE RÉFORME DE 1986 CONFORMITÉ AVEC LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS A. Modifications de fond et de procédure B. Modifications non encore en vigueur A. Pouvoirs de la commission dexamen B. Promulgation des dispositions pendantes C. Questions connexes TROUBLES MENTAUX ET DROIT PÉNAL CANADIEN
Les tribunaux canadiens ont depuis longtemps le pouvoir, dans certaines circonstances, de dégager une personne de toute responsabilité pénale pour des actes accomplis alors quelle était devenue incapable en raison de troubles mentaux. Ce pouvoir repose sur le « principe fondamental de notre droit pénal suivant lequel lÉtat doit, pour quune personne soit reconnue coupable dun acte criminel, prouver non seulement quelle a commis un acte illégal mais également quelle avait lintention coupable de le faire »(1). Ainsi, le Code criminel du Canada a toujours prescrit quune personne ne saurait être tenue criminellement responsable dun acte si son état mental à ce moment-là la rendait « incapable dapprécier » la nature et la gravité de lacte et de se rendre compte quil se conduisait mal. En pareil cas, toutefois, il se peut que lÉtat doive exercer un certain contrôle sur les personnes souffrant de troubles mentaux qui peuvent constituer une menace pour les autres. Le Parlement est ainsi placé devant le dilemme de maintenir léquilibre entre les droits individuels et la sécurité publique. Dans ce document, nous retraçons lévolution de ce quon appelait la « défense fondée sur laliénation mentale » en droit canadien et examinons divers problèmes relatifs au traitement par la justice pénale des personnes souffrant de troubles mentaux. Se fondant sur des règles adoptées par la Chambre des lords britannique en 1843 dans laffaire MNaghten, on a pour la première fois incorporé dans le droit canadien le principe de défense fondée sur laliénation mentale propre à la common law dans le Code criminel de 1892(2). À lorigine, le Code criminel interdisait la condamnation dune personne atteinte « dimbécillité naturelle ou de maladie mentale » et qui était de ce fait « incapable dapprécier la nature ou la gravité de son acte ou omission » et de se rendre compte quil se conduisait mal (3). Le même article établissait toutefois que laccusé était présumé légalement sain desprit jusquà preuve du contraire; et en cas dacquittement pour cause daliénation mentale, il devait être « strictement gardé », « jusquà ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur soit connu ». Indépendamment de létat mental de laccusé au moment où il avait commis lacte, sil était jugé « inapte » à subir son procès pour cause de troubles mentaux, il était détenu au bon plaisir du lieutenant-gouverneur. En 1975, la Commission de réforme du Canada sest penchée sur la nécessité de réformer le traitement par la justice pénale des accusés atteints de troubles mentaux, évoquant les dangers que constituent « un vocabulaire équivoque, des attitudes inappropriées et le besoin de trouver des solutions pratiques aux problèmes sociaux »(4). Elle a signalé quil fallait « éviter dériger en principe que tous les individus souffrant de troubles mentaux sont enclins à la violence », et quon « devrait restreindre la liberté de ces personnes dans les seuls cas où cette restriction est justifiée »(5). Dans un rapport subséquent, la Commission a fait plusieurs suggestions sur le traitement des accusés souffrant de troubles mentaux, dont celle quon devrait « choisir les mesures pénales ouvertement et conformément à des critères connus, et quelles devraient être sujettes à révision et dune durée déterminée ». Au lieu du mandat du lieutenant-gouverneur, la Commission proposait un processus daudition pour déterminer les mesures appropriées dans le cas des personnes acquittées pour cause daliénation mentale(6). En 1982, le ministère de la Justice a lancé un « projet sur le désordre mental » dans le cadre dune révision du droit pénal(7). Les auteurs dun document de travail du Ministère paru lannée suivante reconnaissaient les lacunes du Code criminel, précisant que les dispositions relatives aux troubles mentaux étaient « remplies dambiguïtés, dincohérences, domissions, déléments arbitraires et manquaient souvent de clarté ou dorientation »(8). La question de la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés était également soulevée. Les auteurs sinterrogeaient, par exemple, sur léquité dun mécanisme qui permet que des personnes trouvées « inaptes » à subir un procès soient internées indéfiniment sans que la Couronne ait à faire la preuve quil y a apparence de culpabilité. Ils sinterrogeaient également sur une loi qui prévoit la détention automatique dun accusé souffrant de troubles mentaux en labsence dune audition ou dune preuve établissant quil constitue un danger pour la société. PROPOSITIONS DE RÉFORME DE 1986 En septembre 1985, le ministère de la Justice a publié son rapport sur le projet sur le désordre mental. Bon nombre de ses recommandations ont été incorporées dans un avant-projet de loi déposé par le ministre de la Justice de lépoque, John Crosbie le 25 juin 1986(9). Ce texte renfermait des modifications visant à moderniser le vocabulaire, à rationaliser les procédures et à protéger les droits des accusés garantis par la Charte des droits. Ces propositions sont vite devenues lobjet de nouvelles consultations avec les provinces et les organismes des secteurs public et privé. Parmi les réformes importantes, le projet de loi proposait que lexpression « défense fondée sur les troubles mentaux » soit adoptée pour remplacer lexpression « défense fondée sur laliénation mentale », que plus de latitude soit accordée aux tribunaux pour ordonner des évaluations psychiatriques et que la recevabilité comme éléments de preuve des déclarations faites lors de ces évaluations soit limitée. Il proposait aussi des critères pour déterminer l« aptitude » de laccusé et le remplacement de la formule du mandat du lieutenant-gouverneur par une commission dexamen dans chaque province. Lune des propositions les plus contestées du projet de loi visait à plafonner la durée dinternement dun accusé souffrant de troubles mentaux. Les « plafonds » proposés étaient linternement à vie, linternement pendant dix ans et linternement pendant deux ans, compte tenu de la peine maximale prévue pour le délit en question(10). Les procureurs généraux des provinces, entre autres, ont dit craindre que de tels plafonds nentraînent la libération obligatoire de personnes dangereuses qui atteignent la limite dincarcération prévue par le droit pénal(11). La proposition visant à permettre au tribunal dordonner jusquà 60 jours de traitement psychiatrique comme partie de la peine demprisonnement a également soulevé des critiques. On a notamment fait valoir que ces « ordonnances dhospitalisation » entraîneraient un important fardeau financier pour certaines provinces(12). Les consultations sur ces propositions se sont poursuivies au cours des élections générales de 1988, mais à ce moment-là la décision de la Cour dappel de lOntario dans laffaire R. c. Swain(13) était en appel devant la Cour suprême du Canada. CONFORMITÉ AVEC LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS Bien que la Cour dappel ait maintenu par une majorité des deux tiers la loi et les pratiques de common law en matière de défense fondée sur laliénation mentale, cette décision na pas été retenue. Le 2 mai 1991, la Cour suprême a jugé que la règle de common law permettant à la Couronne de produire une preuve daliénation mentale malgré les objections de laccusé violait les droits de Swain garantis par larticle 7 de la Charte dune manière non justifiée par larticle 1er. De même, la Cour a jugé contraire aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés et non justifié par larticle 1er, le paragraphe 542(2) du Code criminel ordonnant la détention de personnes acquittées pour cause daliénation mentale(14). À lappui de sa conclusion, la Cour a souligné que la durée indéterminée de la détention rendait leffet de la loi disproportionné par rapport à ses objectifs. Comme le fait de déclarer inopérant le paragraphe 542(2) rendait obligatoire la libération de « toutes les personnes acquittées pour cause daliénation mentale, y compris celles qui pourraient fort bien présenter un danger pour le public », la Cour a imposé une période de validité temporaire de six mois. La période de transition a été par la suite prolongée par la Cour jusquau 5 février 1992 afin de permettre au Parlement dadopter une loi corrective. À défaut de consensus sur le dépôt dun projet de loi avant le congé dété de 1991, la ministre de la Justice, Kim Campbell, décida de publier celui-ci sous la forme de « Propositions de modification du droit pénal relativement aux troubles mentaux »(16). Ces propositions devinrent ensuite le projet de loi C-30, déposé le 16 septembre 1991 (la plupart des dispositions devant entrer en vigueur en 1992). Contrairement à lavant-projet de loi de 1986, le projet de loi C-30 renfermait des modifications corrélatives à la Loi sur les jeunes contrevenants et à la Loi sur la défense nationale. A. Modifications de fond et de procédure Outre de nouvelles définitions importantes, le projet de loi C-30 a mis en place un nouveau régime pour les personnes souffrant de troubles mentaux accusées aux termes de la partie XX.1 du Code criminel. Dabord, la terminologie de lancienne défense fondée sur laliénation mentale a été modifiée de manière à soustraire à la responsabilité pénale les personnes accusées davoir commis un acte alors quelles souffraient de « troubles mentaux » (expression qui remplace les expressions « imbécillité naturelle » et « maladie mentale »). Conformément à ce changement, le verdict de « non-culpabilité pour cause daliénation mentale » est devenu un verdict de « non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ». Le cadre de la défense a été élargi de manière à comprendre les déclarations de culpabilité par procédure sommaire aussi bien que les actes criminels. Le projet de loi C-30 a également donné une nouvelle définition ainsi que des critères pour déterminer si un accusé est « inapte à subir son procès », ce qui nétait pas prévu dans le Code criminel. À certaines conditions, le tribunal a aussi le pouvoir dordonner un traitement non souhaité pour un accusé souffrant de troubles mentaux en vue de le rendre apte à subir son procès. En outre, le cas dun accusé inapte doit être revu tous les deux ans par un tribunal afin quon puisse déterminer sil existe suffisamment déléments de preuve pour ordonner que laccusé subisse son procès. Si la preuve nest pas suffisante, laccusé doit être acquitté(17). Ayant constaté la non-responsabilité criminelle dun accusé pour cause de troubles mentaux, le tribunal nest plus obligé dordonner quil soit « strictement gardé ». Le tribunal a le choix dordonner des mesures appropriées ou de laisser la commission dexamen prendre la décision(18). Les décisions pouvant être rendues par la commission comprennent la détention en hôpital, la libération sous certaines réserves ou la libération inconditionnelle. La loi oblige toutefois le tribunal ou la commission à imposer la décision la moins sévère ou la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public, de létat mental de laccusé et de sa réinsertion sociale éventuelle. Cest ainsi que le rôle du lieutenant-gouverneur a été supprimé et que ses pouvoirs de décision en la matière ont été transférés à une commission dexamen dans chaque province(19). Le projet de loi C-30 prévoyait également un examen annuel de toute décision de la commission, sauf le cas dune libération inconditionnelle. Le projet de loi définissait les cas où le tribunal peut ordonner un traitement psychiatrique, soit pour déterminer si laccusé est apte à subir son procès, soit pour produire des éléments de preuve relatifs à son état mental au moment du délit. Il limitait également la recevabilité des déclarations faites par laccusé lors dune évaluation. Divers amendements ont été proposés lors de létude en comité du projet de loi. Par exemple, le conseiller juridique de la Commission dexamen de lOntario a fait valoir que les commissions devraient avoir lautorité dordonner des évaluations ainsi que des traitements pour les accusés inaptes(20). LAssociation du Barreau canadien souhaitait une définition plus étroite du terme « hôpital » de façon à prévoir que tout lieu ainsi désigné par le gouvernement provincial soit « équipé pour traiter les troubles mentaux »(21). Le Canadian Disability Rights Council sopposait au traitement forcé des accusés « inaptes »(22), alors que lAssociation canadienne pour lintégration communautaire voulait que la définition de « troubles mentaux » exclue expressément les handicapés mentaux(23). Toutefois, un seul amendement dimportance a été approuvé à cette étape, à savoir celui qui exigeait quun comité de la Chambre des communes effectue un examen complet des dispositions et de lapplication de la loi tous les cinq ans(24). B. Modifications non encore en vigueur Parmi les dispositions les plus contestées du projet de loi, certaines ne sont pas encore en vigueur. Par exemple, le texte renfermait les mêmes dispositions concernant les plafonds de détention que celles qui figuraient dans lavant-projet de loi de 1986, et qui limitaient le temps de détention dun accusé jugé inapte ou souffrant de troubles mentaux. Ainsi, tout accusé jugé encore dangereux à la fin de la période de détention « pourrait alors être placé en garde fermée dans un établissement de santé aux termes des lois provinciales relatives à la santé mentale »(25). Mais pour donner le temps aux provinces dadapter leur législation et leurs pratiques, le gouvernement fédéral a proposé de reporter lentrée en vigueur de dispositions. De plus, les dispositions transitoires du projet de loi précisaient que les mandats du lieutenant-gouverneur demeureraient en vigueur jusquà lentrée en vigueur des dispositions concernant les plafonds de détention. 2. Accusés dangereux atteints de troubles mentaux (ADTM) Compte tenu des préoccupations concernant les dispositions relatives aux plafonds de détention et les restrictions à la législation provinciale dinternement civil, le gouvernement fédéral a inclus dans le projet de loi des dispositions sur les « accusés dangereux souffrant de troubles mentaux » (ADTM). Elles sinspiraient du régime des « délinquants dangereux » du Code criminel, qui permet des peines de durée indéterminée pour des personnes reconnues coupables de lésions corporelles graves ou de certains délits sexuels. Ces dispositions devaient permettre aux tribunaux, dans des cas spéciaux, de porter la détention maximale à la détention à vie. Comme pour les délinquants dangereux, le procureur devrait établir que laccusé est coupable de préjudice corporel grave et que ses antécédents indiquent quil serait une menace ou serait susceptible de causer des préjudices à dautres dans lavenir. Les dispositions transitoires prévoyaient la désignation dun « commissaire » chargé de réviser le cas des personnes détenues en vertu dun mandat du lieutenant-gouverneur afin de déterminer si elles seraient considérées comme des accusés dangereux atteints de troubles mentaux au sens du projet de loi(26). Si le commissaire constate que cest le cas, il pourrait ordonner que la personne soit détenue pour une durée « pouvant atteindre la perpétuité ». Lentrée en vigueur des dispositions sur les ADTM a également été reportée étant donné que celles-ci ne seraient pas nécessaires avant lentrée en vigueur des dispositions relatives aux plafonds de détention. 3. Ordonnances de détention dans un hôpital Dans son rapport de 1976, la Commission de réforme du droit a fait valoir la nécessité dune mesure thérapeutique pour les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont reconnues criminellement responsables de leurs actes. La Commission a recommandé que les juges puissent ordonner, le cas échéant, que « lemprisonnement se purge en tout ou en partie dans un établissement psychiatrique »(27). Une fois entrées en vigueur, les dispositions correspondantes du projet de loi permettront aux juges dordonner que « la peine demprisonnement commence par une période de détention dans un centre de soins ». Un traitement dune durée maximale de 60 jours pourrait être ordonné pour une personne souffrant de troubles mentaux « en phase aiguë », « pour empêcher soit que ne survienne une détérioration sérieuse de sa santé physique ou mentale, soit quil ninflige à dautres des lésions corporelles graves ». Compte tenu des préoccupations des provinces relativement aux coûts quentraîneront ces dispositions, lentrée en vigueur de ces dispositions a été reportée pour permettre la tenue de projets pilotes dans deux ou trois provinces et de recueillir des données sur lapplication et les coûts(28). Les dispositions sur les ordonnances de détention en hôpital ne sont pas encore en vigueur. Outre les questions dont traitent les dispositions qui ne sont pas encore en vigueur, diverses questions soulevées par le projet de loi C-30 ne sont pas encore résolues. A. Pouvoirs de la commission dexamen On a réclamé, par exemple, des pouvoirs accrus pour la commission dexamen provinciale afin quelle soit plus efficace; on a demandé notamment quelle ait le pouvoir dordonner quun accusé soit évalué, au besoin, avant la tenue dune audition dexamen afin de sassurer quelle dispose des informations nécessaires pour rendre une décision juste et utile. On sest aussi demandé si le défaut dobservation des conditions de libération devrait être considéré comme une infraction, afin quon puisse intervenir rapidement en cas de besoin. Enfin, on a suggéré que la commission ait le pouvoir de libérer un accusé inapte, vraisemblablement afin dempêcher quil demeure sous supervision longtemps après quil aurait purgé la peine demprisonnement quon lui aurait infligée sil avait été reconnu coupable. B. Promulgation des dispositions pendantes Il se peut que les gouvernements provinciaux soient toujours réticents devant lentrée en vigueur des dispositions relatives aux plafonds de détention et de celles concernant les ADTM. Des défenseurs des droits en santé mentale ainsi que lAssociation du Barreau canadien nétaient pas totalement en faveur des dispositions concernant les ADTM, mais il semblerait quils continuent dappuyer la limitation des périodes de détention. Il se peut quavec la décision de la Cour suprême dans laffaire R. c. Winko, le Parlement hésite à promulguer ces dispositions du Code criminel. Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé à lunanimité que la possibilité dune surveillance de durée indéterminée prévue à la partie XX.1 nest pas contraire à larticle 15 de la Charte. En comparant le sort dune personne reconnue coupable dun crime à celui dun accusé souffrant de troubles mentaux, la Cour a jugé que « comme la liberté de laccusé non responsable criminellement nest pas restreinte en vue de le punir, il nexiste pas de raisons correspondante de limitation dans le temps »(29). Les défenseurs des droits et les groupes dintérêt continueront peut-être de presser le Parlement de promulguer les dispositions sur les ordonnances de détention en hôpital du projet de loi C-30, même sil est clair, par suite de larrêt de la Cour suprême du Canada dans laffaire Knoblauch, que des ordonnances de traitement peuvent déjà être rattachées à des peines demprisonnement avec sursis(30). Il nest pas possible de dire si les provinces continueront de sopposer à ce que les juges soient autorisés à ordonner le placement des accusés mentalement perturbés reconnus coupables, ne serait-ce que pour un traitement dune durée déterminée. En outre, il y a dautres questions auxquelles le projet de loi C-30 napporte pas de réponse. 1. Automatisme sans aliénation mentale Lors de létude en comité, M. Gerald Ferguson, professeur de droit, a demandé une codification de la défense fondée sur lautomatisme, ou tout au moins un remaniement du projet de loi C-30, afin que la distinction soit faite entre automatisme et aliénation mentale(31). Le moyen de défense dautomatisme, utilisé en common law, renvoie à « un état dans lequel on peut dire que laccusé a perdu la maîtrise de soi à cause dun trouble mental, dune maladie ou dun état physique, dun coup à la tête ou dun choc psychologique »(32). Si les troubles mentaux sont la source de lautomatisme, laccusé tombe sous le coup de la partie XX.1 du Code criminel. Si ce nest pas le cas, alors laccusé a droit à un acquittement, ce qui soulève des préoccupations de sécurité publique. Dans le sillage des inquiétudes provoquées par une décision de la Cour suprême en 1992, qui confirmait un acquittement dû à une défense fondée sur un automatisme sans aliénation mentale, une proposition de modification du Code criminel a été examinée en juin 1993(33). Cette proposition aurait défini lautomatisme, permis un verdict de « non- responsabilité criminelle pour automatisme » et prévu la même gamme de mesures que pour les accusés souffrant de troubles mentaux(34). Avec le changement de gouvernement survenu suite à lélection fédérale de 1993, la proposition na pas été déposée à la Chambre des communes. Larticle 2 du Code criminel définit l« inaptitude à subir son procès » comme l« incapacité de laccusé en raison de troubles mentaux dassumer sa défense » du fait quil est incapable de : « comprendre la nature ou lobjet des poursuites, comprendre les conséquences éventuelles des poursuites, ou communiquer avec son avocat ». Dans laffaire R. c. Taylor, la Cour dappel de lOntario a soutenu que laptitude à subir un procès ne demande quune « capacité cognitive limitée » pour comprendre lobjet du procès et communiquer avec lavocat, par opposition à une « capacité danalyse » plus grande ou la capacité de prendre des décisions rationnelles dans son propre intérêt(35). Depuis, la Cour suprême du Canada a confirmé le critère de capacité cognitive limitée pour déterminer laptitude dans laffaire R. c. Whittle(36). Certains ont prétendu que ce critère met la barre trop bas et quil pourrait arriver quun accusé subisse un procès même sil est incapable dagir dans son propre intérêt. Mais ceux qui sont davis contraire estiment quavec lapplication du critère de la « capacité analytique », trop daccusés seraient trouvés inaptes à subir un procès et devraient attendre pendant des années avant que leur situation soit décidée par un procès. En 1998, la section du droit pénal de la Conférence sur luniformisation des lois du Canada a adopté une résolution demandant au ministère de la Justice de charger le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les troubles mentaux dexaminer la définition de linaptitude qui figure dans le Code criminel pour en déterminer la pertinence. Un an plus tard, le Groupe de travail a fait connaître son avis sur le critère et la définition du Code criminel, estimant quil assurent une protection suffisante aux accusés inaptes à subir un procès et sont un guide adéquat pour les tribunaux. Le Groupe de travail na donc pas recommandé de modifications(37). 3. Définition de « troubles mentaux » Comme le recommandait le rapport du ministère de la Justice sur le « projet sur le désordre mental », le projet de loi C-30 a retenu et modernisé le critère de laliénation mentale en remplaçant les expressions « imbécillité naturelle » et « maladie mentale » par « troubles mentaux »(38). Comme cétait le cas avant le projet de loi, laccusé est toujours tenu détablir quen raison de troubles mentaux, il était « incapable dapprécier la nature et la gravité de son acte ou omission, et de se rendre compte que cet acte ou omission était mal ». En 1990, la Cour suprême est revenue sur son interprétation antérieure du sens de « mal » dans ce contexte. Dans larrêt R. c. Chaulk, six juges sur neuf ont statué que ce terme signifiait « moralement répréhensible » et non pas « illégal »(39). Dans une décision rendue en 1994, la Cour a affiné son interprétation de larticle 16 en déclarant que l« accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait. Cependant, il doit aussi avoir la capacité dappliquer rationnellement cette connaissance à lacte criminel reproché »(40). Comme M. Chaulk devait être arrêté par la suite sur une autre accusation de meurtre, certains se sont demandé si cette interprétation large du trouble mental naurait pas pour effet de soustraire trop de gens à leur responsabilité pénale. Les modifications de 1991 ayant été le fruit de plus de quinze ans détudes et de consultations, et les éléments les plus contestés du projet de loi nétant pas encore en vigueur, cela explique peut-être pourquoi la mise en oeuvre du projet de loi C-30 na pas suscité beaucoup de critiques de la part des intéressés. Mais comme il a été noté, certaines questions tant de fond que de procédure attendent encore une réponse. Cest vraisemblablement sur ces questions que se penchera le comité qui sera chargé dexaminer les dispositions et lapplication du projet de loi C-30. (1) Ministère de la Justice, Modification des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, document dinformation, septembre 1991, p. 4. (2) Edwin A. Tollefston et Bernard Starkman, Mental Disorder in Criminal Proceedings, Carswell, Canada, 1993, p. 15. Voir aussi Daniel MNaghtens Case (1843), 8 E.R. 718 (H.L.). (3) Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 11. (4) Commission de réforme du droit du Canada, Processus pénal et désordre mental, Document de travail 14, 1975, p. 17. (5) Ibid., p. 19. (6) Commission de réforme du droit du Canada, Désordre mental dans le processus pénal, mars 1976, p. 45-46. (7) En octobre 1979, les ministres fédéral et provinciaux chargés de la justice pénale convenaient de faire une révision approfondie du droit pénal et de sa procédure, dans le cadre de considérations politiques. Voir Le Droit pénal dans la société canadienne, Gouvernement du Canada, août 1982, p. 10. (8) Ministère de la Justice, Projet sur le désordre mental, Document de travail, septembre 1983, p. 3. (9) Tollefson et Starkman (1993), p. 4. (10) Par exemple, le plafond pour un meurtre au premier degré aurait été la condamnation à vie; dans le cas de menace pour le public, le plafond aurait été la moindre dune peine de dix ans ou de la peine maximale prévue par le Code criminel. Dans tout autre cas, le plafond aurait la moindre dune peine de deux ans ou de la peine maximale prévue pour le délit en question. (11) Tollefson et Starkman (1993), p. 6. (12) Ibid. (13) R. c. Swain (1986), 50 C.R. (3e) 97 (C. A. Ont.) (14) R. c. Swain [1991] 1 R.C.S. 933. (15) Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, ch. 43. (16) Tollefson et Starkman (1993), p. 10. (17) Code criminel, art. 672.33. (18) Même si le tribunal rend une décision, la commission dexamen doit tenir une audition pour revoir toute décision du tribunal, sauf le cas dune libération inconditionnelle, dans un délai de quatre-vingt-dix jours. (19) Avant le projet de loi C-30, la commission dexamen tenait un rôle consultatif auprès du lieutenant-gouverneur, qui nétait pas tenu de suivre son avis. (20) Comité permanent de la justice et du procureur général, Procès-verbaux et témoignages, 22 oct. 1991 fascicule 8, p. 53. (21) Association du Barreau canadien, Mémoire sur le projet de loi C-30, sept. 1991, p. 7. (22) Comité permanent de la justice et du procureur général, Procès-verbaux et témoignages, 23 oct. 1991 fascicule 10, p. 7. (23) Ibid., fascicule 10, p. 10. (24) Tollefson et Starkman (1993), p. 12. (25) Ministère de la Justice, Modifications des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, Document dinformation, septembre 1991, p. 6. (26) Au cours du débat en deuxième lecture sur le projet de loi C-30, la ministre de la Justice Kim Campbell a indiqué à la Chambre que quelque 1 100 Canadiens étaient détenus en vertu dun mandat du lieutenant-gouverneur. Voir les Débats de la Chambre du vendredi 4 octobre 1991, p. 3295. (27) Commission de réforme du droit du Canada (mars 1976), p. 29. (28) Tollefson et Starkman (1993), p. 144. (29) Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute) [1999] R.C.S. 625. (30) Dans laffaire R. c. Knoblauch [2000] 2 R.C.S. 780, la Cour suprême a confirmé une peine demprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour, suivie dune période de probation de trois ans, toutes deux assorties de la condition que laccusé demeure dans lunité sécuritaire de soins psychiatriques de lhôpital où il était déjà traité, jusquà ce que des psychiatres décident, par consensus, de le transférer hors de cette unité sécuritaire. (31) Comité permanent de la justice et du solliciteur général, Procès-verbaux et témoignages, 24 octobre 1991 fascicule 11, p. 11. (32) Comité permanent de la justice et du solliciteur général, Principes de base : Recodification de la Partie générale du Code criminel du Canada, premier rapport, 3e session, 34e législature, février 1993, p. 43. (33) Voir R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871. Parks a été accusé de meurtre pour avoir tué sa belle-mère alors quil était somnambule. Bien que tous aient été daccord sur le verdict, au moins trois des juges se sont prononcés sur le danger que laccusé pourrait éventuellement constituer. Le juge McLachlin observe (p. 914) que « le Parlement pourrait juger bon dexaminer sans tarder la possibilité de prononcer des ordonnances de surveillance dans une telle situation ». (34) Proposition de modification du Code criminel (principes généraux), ministre de la Justice, 28 juin 1993. (35) R. c. Taylor (1992), 77 C.C.C. (3e) 551 (C.A. Ont.). (36) [1994] 2 R.C.S. 941. (37) Conférence sur luniformisation des lois du Canada, Section du droit pénal, Laptitude à subir un procès, juin 1999. Déposé à la Conférence daoût 1999, le document na pas fait lobjet dun débat. (38) Ministère de la Justice, Projet sur le désordre mental, Révision du droit pénal, Rapport final, septembre 1985, p. 20. (39) R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303 (à la p. 1308). (40) R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507 (à la p. 516). |