PRB 99-5F
LES EXPORTATIONS D'EAU ET L'ALÉNA
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES LA POLITIQUE FÉDÉRALE DE 1987 RELATIVE AUX EAUX LE
PROJET DE LOI C-156 : LOI SUR LA PRÉSERVATION À LÉTAT NATUREL, LEAU EST-ELLE VISÉE PAR LALÉNA? LA
POSITION DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL LA
RÉACTION DES CRITIQUES À LA STRATÉGIE
LES EXPORTATIONS D'EAU ET L'ALÉNA Le Canada possède les plus grandes ressources en eau douce du monde. Cette grande abondance deau a incité certains à en préconiser lexportation vers des régions pauvres en eau, principalement le sud-ouest des États-Unis. Le débat sur lopportunité dexporter de leau du Canada dure depuis plus de trois décennies. Même si, depuis 1987, le gouvernement fédéral a pour politique de sopposer officiellement aux exportations de grandes quantités deau, les craintes publiques ne se sont pas dissipées pour autant. Elles ont au contraire été avivées par le concert de critiques formulées à légard de lAccord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et de son prédécesseur, lAccord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ), qui nexistaient pas encore lorsque le débat sur les exportations deau a commencé. Les points de vue continuent de diverger quant à savoir si les eaux de surface et les eaux souterraines à létat naturel (par exemple, dans les lacs et les rivières) sont assujetties aux obligations de lALÉNA. Certains soutiennent que oui. En revanche, les gouvernements du Canada, des États-Unis et du Mexique ont déclaré expressément que lALÉNA ne sapplique pas à leau à létat naturel. Les critiques du statu quo ont demandé au gouvernement fédéral dintervenir pour contrer ce quils croient être une menace sérieuse à nos ressources en eau. Ils soutiennent quil faut non seulement une législation fédérale interdisant catégoriquement les exportations deau sur une grande échelle, mais aussi une modification explicite à lALÉNA pour exclure leau à létat naturel des obligations découlant de ce traité, une mesure à laquelle les États-Unis pourraient sopposer. Devant les appels répétés du Conseil des Canadiens et dautres intéressés pour que cette question soit réglée, le gouvernement fédéral a annoncé, le 10 février 1999, quil élaborerait une stratégie, de concert avec les provinces et les territoires, afin de prévenir le prélèvement deau à grande échelle, y compris leau destinée à lexportation, dans les bassins hydrographiques canadiens. La stratégie mettra laccent sur la protection de leau à létat naturel, dans loptique de la gestion de leau et de la protection de lenvironnement, plutôt que du commerce. Dans le présent document, nous décrivons quelques jalons importants des dernières années dans le dossier des exportations deau à grande échelle. Nous ny discutons cependant pas des différends relatifs aux États investisseurs dans le cadre de lALÉNA, comme celui qui sest produit à la fin de 1998 au sujet dun supposé traitement injuste dune compagnie américaine dexportation deau en grandes quantités (Sun Belt Water, Inc.) qui aurait supposément perdu un contrat avec un partenaire de Colombie-Britannique lorsque le gouvernement de la province a banni les exportations deau à grande échelle. En vertu de la Constitution canadienne, la compétence en matière deau est partagée entre les gouvernements fédéral et provinciaux, dont les pouvoirs se recoupent dans une certaine mesure. La Constitution ne fait pas explicitement mention de leau; elle vise toutefois certaines utilisations de leau comme la navigation, les pêches et, plus récemment, la production délectricité. La plupart des questions de compétence dépendent de la façon dont la Constitution traite dautres aspects comme les droits de propriété, les relations extérieures et le commerce international. Comme lutilisation des ressources en eau a des répercussions tant au niveau national quau niveau provincial, il est naturel que les deux ordres de gouvernement revendiquent une compétence législative dans leurs domaines respectifs. En règle générale, les provinces ont compétence sur les ressources naturelles à lintérieur de leurs frontières, y compris leau. Leur compétence en matière deau découle des dispositions particulières de la Constitution reconnaissant leur compétence dans les domaines suivants : la propriété et les droits civils, ladministration et la vente des terres publiques (y compris leau), et les matières dune nature purement locale et privée. En vertu dune modification apportée en 1982 à la Loi constitutionnelle de 1867, la responsabilité en matière de centrales électriques appartient également aux provinces. La compétence très étendue des provinces en matière deau sur leur territoire est toutefois limitée par des pouvoirs particuliers conférés exclusivement au gouvernement fédéral, notamment en ce qui concerne les pêches, la navigation, les relations avec les gouvernements étrangers, le commerce intérieur et international, les terres fédérales, les Indiens et les travaux déclarés être « pour lavantage général du Canada » et « la paix, lordre et le bon gouvernement » du pays. En raison du partage des pouvoirs prévu par la Constitution, tout grand projet dexportation deau ne réussirait quavec lappui et la coopération des deux niveaux de gouvernement. Sauf en ce qui touche les terres appartenant au gouvernement fédéral ou administrées par lui, les provinces sont propriétaires des ressources en eau qui se trouvent sur leur territoire. Le gouvernement fédéral exerce toutefois une autorité sur ces ressources dans certains domaines particuliers. Ainsi, une urgence ou lintérêt national justifierait une intervention du gouvernement fédéral en vertu de son pouvoir déclaratoire ou du pouvoir résiduel que lui confère la disposition sur « la paix, lordre et le bon gouvernement ». Le gouvernement fédéral doit nécessairement entrer en jeu lorsque de leau est exportée à partir dune province. LA POLITIQUE FÉDÉRALE DE 1987 RELATIVE AUX EAUX Le ministre de lEnvironnement de lépoque, lhonorable Tom McMillan, a énoncé la position du gouvernement fédéral en matière dexportation deau dans la politique relative aux eaux annoncée en novembre 1987. Le ministre faisait remarquer que même si les Canadiens ont de leau en abondance, la plus grande partie de cette ressource ne se trouve pas aux endroits où lon en a le plus besoin, cest-à-dire dans les régions peuplées du pays, et que, dans les régions peuplées où elle est abondante, leau devient rapidement polluée et inutilisable. La sécheresse dans certaines régions du Canada complique encore davantage le problème général du pays. Cest pourquoi le ministre a indiqué que le gouvernement du Canada sopposait catégoriquement à des exportations en grandes quantités deau canadienne. Il a fait remarquer également que les dérivations entre bassins nécessaires pour de telles exportations causeraient énormément de dommages à lenvironnement et à la société, dans le Nord notamment, où léquilibre écologique est précaire et où les effets sur les cultures autochtones seraient accablants. Dans sa politique, le gouvernement fédéral déclare quen ce qui touche les exportations deau, il prendra toutes les mesures possibles dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels pour empêcher lexportation des ressources en eau canadiennes grâce à des dérivations entre bassins et pour renforcer les lois fédérales de façon à mettre cette politique en uvre. Cette politique fédérale sapplique encore aujourdhui. LE PROJET DE LOI C-156 : LOI SUR LA PRÉSERVATION DE LEAU AU CANADA Le 25 août 1988, le ministre de lEnvironnement, lhonorable Tom McMillan, déposait à la Chambre des communes le projet de loi C-156, Loi sur la préservation de leau au Canada(1). Le ministre a alors indiqué que ce projet de loi visait à donner force de loi à lengagement pris par le gouvernement fédéral et rendu public dans la politique fédérale relative aux eaux présentée en novembre 1987, selon lequel le gouvernement sopposerait aux exportations deau de grande envergure. Quelques semaines après son dépôt et avant davoir pu être examiné par un comité parlementaire, ce projet de loi est mort au Feuilleton, lorsque le Parlement a été dissous le 1er octobre et que des élections ont été déclenchées. Aucun autre projet de loi dinitiative ministérielle na été déposé depuis au Parlement. Sil avait été adopté et mis en vigueur, le projet de loi C-156 aurait interdit catégoriquement les exportations deau douce sur une grande échelle, comme celles nécessitant des transferts dun bassin à un autre entre réseaux fluviaux. Il aurait également réglementé strictement les exportations deau de petite envergure, comme les transferts par navire-citerne ou par canalisations. La loi naurait pas visé les exportations denvergure minime, comme celles deau utilisée dans les produits manufacturés et deau en bouteille. Ce projet de loi, qui aurait été exécutoire non seulement pour le secteur privé, mais également pour tous les paliers de gouvernement, aurait prévu la signature daccords entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour loctroi de licences dexportation de petite envergure. Le gouverneur en conseil se serait vu conférer dimportants pouvoirs de réglementation pour ce qui est des licences, notamment en ce qui concerne : les formalités à remplir pour la demande et la délivrance des licences; leur durée, leur cession, leur renouvellement, leur retrait et leur suspension; les droits et redevances; les critères sur lesquels se fonder pour la délivrance ou le renouvellement des licences; et la tenue daudiences publiques ainsi que la communication de renseignements dans le cadre de la délivrance, du renouvellement du retrait ou de la suspension des licences. Le gouverneur en conseil aurait également eu le pouvoir de soustraire aux exigences relatives aux licences, par décret, « lexportation ou le détournement [...] deau dans des circonstances déterminées ». Cette disposition aurait permis des exceptions dans le cas dexportations denvergure minime, mais naurait aucunement éludé linterdiction frappant les exportations à sur une grande échelle. Aucune licence dexportation naurait été accordée en vertu du projet de loi sans quil y ait eu au préalable une évaluation environnementale approfondie. Le projet de loi renfermait également des dispositions détaillées de contrôle de son application et prévoyait des peines jusquà concurrence de un million de dollars et de trois ans de prison. À LÉTAT NATUREL, LEAU EST-ELLE VISÉE PAR LALÉNA? Une question litigieuse qui na toujours pas été tranchée est si les États-Unis ont droit, en vertu de lALÉNA (et auparavant de lALÉ, qui contenait des dispositions semblables), à une part des réserves deau douce du Canada. La controverse touche principalement la question de savoir si leau à létat naturel est un « produit » au sens de lALÉNA. Il semble navoir jamais fait de doute que lALÉNA sapplique à leau en bouteille, puisque, dans ce cas, leau a clairement été transformée en un « produit ». Larticle 201 (définitions dapplication générale) de lALÉNA définit « produits dune Partie » comme suit :
De même lALÉ définit les « produits dune Partie » comme les « produits nationaux au sens de lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce » (GATT), qui classe les produits dans son Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises. Ce système contient un numéro tarifaire pour leau, qui se lit comme suit :
Une note explicative indique que ce numéro couvre « leau naturelle ordinaire de tout genre autre que leau de mer, cette eau demeurant assujettie à ce numéro quelle soit ou non clarifiée ou purifiée ». Sur cette base, des critiques comme Wendy Holm, économiste agricole qui a écrit de nombreux articles sur leau et le libre-échange, et le Conseil des Canadiens, un organisme de vigilance populaire fondé en 1985 et qui sest distingué par sa lutte contre le libre-échange, soutiennent que toute eau naturelle autre que leau de mer est traitée comme un « produit » en vertu de lALÉNA. Mme Holm soutient que, sur la base de la définition ci-dessus, les États-Unis (et peut-être aussi le Mexique) ont un accès sans précédent et irrévocable aux ressources en eau du Canada, à perpétuité(2). Cette position soppose toutefois à celle du gouvernement et dautres intéressés. Ainsi, faisant allusion à la disposition de lALÉNA qui énonce les définitions pertinentes et à dautres dispositions relatives au traitement national, aux restrictions à limportation et à lexportation et aux taxes à lexportation, Jon Johnson, auteur de The North American Free Trade Agreement: A Comprehensive Guide(3), affirme :
Dans son analyse détaillée des conséquences juridiques de laccord qui a précédé lALÉNA (lALÉ) sur les exportations deau canadienne(5), Sophie Dufour a soutenu quen vertu de lALÉ, qui contenait une définition semblable de « produit » aux fins de laccord, leau naturelle pourrait devenir un « produit » au sens de cette définition uniquement en étant collectée, stockée, embouteillée ou conditionnée autrement, etc. De la même façon, elle soutient que leau dans une rivière ou un lac naturels ou leau souterraine na pas été « produite » au sens littéral de ce terme et ne constitue donc pas un « produit » au sens du GATT ni au sens de la définition contenue dans lALÉ. Mme Dufour fait remarquer que cette interprétation a été confirmée clairement dans le contexte de lensemble du GATT. Elle précise à cet égard que, même si leau comme boisson est visée depuis longtemps par les règles commerciales internationales (y compris celles stipulées dans le GATT et auxquelles adhère le Canada), leau à létat naturel « na jamais été envisagée et quà ce moment-ci (celui où larticle a été écrit) rien nindique que cette situation pourrait changer un jour »(6). LA POSITION DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL SUR LES EXPORTATIONS DEAU ET LALÉNA En août 1992, le gouvernement fédéral a publié Le Manuel de lALÉNA pour donner un aperçu de lALÉNA proposé. Ce document contenait la déclaration suivante au sujet des ressources en eau :
Lorsquil a comparu en 1993 devant le Comité législatif de la Chambre de communes sur le projet de loi C-115 (mise en uvre de lALÉNA), M. Konrad von Finkenstein, alors sous-procureur général, au ministère de la Justice, a déclaré notamment :
Une disposition semblable à celle qui figure dans la Loi portant mise en uvre de lAccord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis(8) a été incluse dans la Loi portant mise en uvre de lAccord de libre-échange nord-américain(9). Cette dernière prévoit à larticle 7 :
Autrement dit, daprès la loi nationale du Canada portant mise en uvre de lALÉNA au Canada, aucune disposition de lALÉNA, à lexception de larticle 302 (sur lélimination des droits de douane), ne sapplique aux eaux naturelles de surface ou souterraines. Des critiques comme Wendy Holm soutiennent que larticle 7 de la loi de mise en uvre ne constitue pas une protection suffisante sans modification de lALÉNA proprement dit et que seule une exception explicite peut protéger les ressources en eau du Canada contre les intérêts américains. Ces critiques prétendent que les lois nationales ne lient pas les groupes spéciaux de lALÉNA et que, actuellement, lAccord aurait préséance sur celles-ci. Les 3 et 4 avril 1993, le Times-Colonist (Victoria) a consacré ses principaux éditoriaux de fin de semaine à lALÉNA et aux ressources en eau. Il affirmait que le témoignage de Mme Holm devant le Sous-comité du commerce international de la Chambre des communes et devant le Comité permanent du développement économique, des sciences, du travail et de la technologie de la Colombie-Britannique démontrait clairement quen vertu de lALÉNA, leau serait traitée comme un « produit » assujetti aux mêmes règles que les autres « produits et services » en vertu de lALÉ et de lALÉNA. Selon le journal, Mme Holm aurait affirmé que le ministre du Commerce de lépoque, lhonorable Michael Wilson, avait fait une affirmation fausse et trompeuse en prétendant que leau avait été exclue explicitement de lALÉNA. En ce qui concerne la façon dont le Canada pouvait conserver la souveraineté sur ses ressources en eau, le journal faisait remarquer que Mme Holm avait proposé que :
Le journal exhortait les Canadiens à faire savoir en termes énergiques à leurs députés que le Canada devait garder le contrôle de cette ressource précieuse. Dans une chronique publiée dans le même journal le 2 mai 1993, le ministre du Commerce répondait comme suit aux éditoriaux sur lALÉNA et les ressources en eau :
Après lélection du gouvernement libéral en octobre 1993, le premier ministre Chrétien a annoncé le 2 décembre 1993 que le gouvernement avait obtenu des améliorations importantes pour divers aspects de lALÉNA et était désormais disposé à mettre en uvre laccord le 1er janvier 1994. En réponse aux craintes que lALÉNA ne puisse obliger le Canada à exporter de leau, le premier ministre a alors annoncé la déclaration suivante du Canada, des États-Unis et du Mexique sur leau :
Daprès le communiqué du Cabinet du premier ministre, la déclaration des trois gouvernements énonçait clairement que, contrairement à certaines craintes exprimées, lALÉNA ne pouvait pas obliger le Canada à exporter de leau(11). Des questions relatives aux exportations deau ont été soulevées à maintes occasions à la Chambre des communes. En voici quelques exemples. Pendant diverses législatures, M. Nelson Riis, député, a déposé un projet de loi dinitiative parlementaire pour interdire lexportation deau par voie déchanges entre bassins. Le plus récent dentre eux, le projet de loi C-404, Loi interdisant lexportation des eaux du Canada, a été déposé à la Chambre des communes le 13 mai 1998. Il nest pas allé plus loin que la première lecture(12). Le 8 février 1995, M. Bill Gilmour, député, a présenté la motion suivante, qui a été débattue à la Chambre des communes :
Après le débat, la question a été retirée du Feuilleton(13). Le 15 mai 1998, lhonorable Charles Caccia, député, a posé la question suivante à la ministre de lEnvironnement, à la Chambre des communes :
La ministre, lhonorable Christine Stewart, a répondu quà titre de ministre de lEnvironnement, elle se préoccupait grandement de la sécurité des ressources en eau douce. Elle a ajouté que son ministère étudiait la politique du gouvernement à légard de leau douce en place depuis 1987 et que, dans le cadre de cette étude, elle rencontrerait les provinces durant lété de 1998 pour établir les priorités du gouvernement fédéral. Elle a fait remarquer que, même si aucune loi fédérale ninterdit expressément lexportation deau douce, lune des priorités du gouvernement pourrait consister à mettre en place des dispositions législatives en ce sens(15). Le 16 novembre 1998, M. Caccia a de nouveau interrogé la ministre de lEnvironnement à la Chambre des communes. Il a fait remarquer quil avait demandé à la ministre en mai 1998 si elle prévoyait présenter un projet de loi pour interdire les exportations deau et ajouté que 1998 tirait à sa fin et quil existait un « appui généralisé » pour que le vide législatif soit comblé. Affirmant : « Nous savons également que nous pouvons nous attendre à ce que lon propose à lavenir dexporter de leau », il a demandé à la ministre quand elle présenterait une mesure législative interdisant les exportations deau(16). M. Julian Reed, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères a répondu en partie comme suit :
. . . Le 9 février 1999, après en avoir débattu, la Chambre des communes a adopté la motion suivante de M. Bill Blaikie, député, telle que modifiée :
Le 10 février 1999, le lendemain de ladoption, à la Chambre des communes, de la motion décrite ci-dessus, le ministre des Affaires étrangères, lhonorable Lloyd Axworthy, et la ministre de lEnvironnement, lhonorable Christine Stewart, ont annoncé une stratégie visant à prévenir le prélèvement à grande échelle deau, y compris leau destinée à lexportation, dans les bassins hydrographiques canadiens(19). Les ministres ont fait remarquer que la stratégie répondait aux préoccupations canadiennes quant à la sécurité des ressources en eau douce du Canada et était conforme à la motion concernant la protection de leau adoptée la veille à la Chambre des communes. Daprès le communiqué publié à cette occasion, la stratégie confirme lopposition de longue date du gouvernement concernant les prélèvements massifs deau et elle est conforme à la déclaration de 1993 par laquelle les trois pays de lALÉNA affirmaient : « À moins dêtre vendue dans le commerce et de devenir ainsi une marchandise ou un produit, leau sous toutes ses formes, échappe entièrement aux dispositions de tout accord commercial, y compris lALÉNA ». La stratégie porte sur la protection de leau à létat naturel, dans loptique de la gestion de leau et de la protection de lenvironnement, plutôt que du commerce. Mme Stewart a déclaré :
Daprès un document dinformation publié le même jour et intitulé Une stratégie visant à protéger les eaux canadiennes(20) :
Dans le document dinformation, on fait remarquer que la stratégie inclut une proposition visant à élaborer, de concert avec les provinces et les territoires, un accord pancanadien sur les prélèvements deau à grande échelle pour protéger les bassins hydrographiques du Canada. Daprès ce document, laccord reflétera lengagement de tous les paliers de compétence à intervenir par voie de législation, de réglementation ou de politique. Il réaffirmera lengagement des diverses instances qui ont déjà pris des mesures relativement à cet enjeu. Laccord sera élaboré conjointement par le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Entre-temps, le gouvernement fédéral demande aux provinces et territoires dimposer un moratoire afin de prévenir les prélèvements deau à grande échelle dans les bassins hydrographiques, y compris à des fins dexportation, jusquà ce que laccord entre en vigueur. Daprès le communiqué, la Colombie-Britannique et lAlberta ont déjà des lois qui interdisent les prélèvements deau à grande échelle, y compris pour lexportation, dans les bassins hydrographiques provinciaux, tandis que lOntario semploie à mettre au point une réglementation visant ce même objectif et que dautres provinces procèdent à ladoption de politiques semblables. La nouvelle stratégie prévoit également des modifications à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales(21). Cette loi a été adoptée pour mettre en uvre le Traité des eaux limitrophes internationales (1909), qui établissait la Commission mixte internationale (CMI) et qui fournit des mécanismes pour prévenir et régler les différends, notamment en ce qui a trait à la quantité deau et à la qualité de leau le long de la frontière canado-américaine. Les modifications proposées donneraient au ministre des Affaires étrangères le pouvoir dintervenir lorsque des projets seraient susceptibles de modifier le niveau et le débit des cours deau limitrophes (et plus particulièrement les Grands Lacs). On pourrait ainsi adopter un règlement interdisant les prélèvements deau à grande échelle dans les eaux limitrophes, si ces prélèvements ont un ou des effets cumulatifs. Daprès le document dinformation, les modifications proposées seraient conformes aux principes de lAccord dharmonisation du Conseil canadien des ministres de lenvironnement et seraient élaborées en consultation étroite avec toutes les provinces et tous les territoires touchés qui partagent des eaux avec les États-Unis. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dirigerait ces consultations. La stratégie comprend en outre un renvoi conjoint, avec les États-Unis, à la Commission mixte internationale pour étudier les effets de la consommation, du détournement et du prélèvement deau, y compris à des fins dexportation, dans les eaux limitrophes. Cette étude sinspirera dune étude de 1985 de la CMI concernant les utilisations avec prélèvement et les détournements dans les Grands Lacs et elle comprendra un examen des incidences éventuelles de lexportation deau. La CMI fera des recommandations au Canada et aux États-Unis relativement à la gestion et à la protection des eaux transfrontalières. À la conférence de presse de février 1999 pour annoncer la stratégie, on a demandé au ministre pour quelles raisons, vu que le commerce est clairement une responsabilité fédérale, le gouvernement fédéral ne peut pas, sil le souhaite, adopter une loi interdisant lexportation deau du Canada. M. Axworthy a répondu en partie comme suit :
LA RÉACTION DES CRITIQUES À LA STRATÉGIE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL Immédiatement après lannonce de la stratégie visant à prévenir le prélèvement à grande échelle deau dans les bassins hydrographiques canadiens, la présidente du Conseil des Canadiens, Mme Maude Barlow, et le directeur exécutif, M. Peter Bleyer, ont tenu une conférence de presse pour y répondre. Mme Barlow a déclaré que, même si le Conseil des Canadiens était ravi que le gouvernement sache quil devait intervenir, il nétait pas satisfait du traitement des exportations deau proposé par le gouvernement. Soulignant que le moratoire ne lierait pas les provinces, elle a indiqué que, si une province décide de ne pas sy conformer, tout le plan risque de sécrouler. Elle a fait observer également que le gouvernement du Québec a déclaré quil ne participera pas à un tel moratoire. Elle a ajouté que la stratégie nest pas à labri des visées commerciales : si une province permet lexportation deau à des fins commerciales, toutes les interdictions provinciales du pays seront menacées, parce que seule une loi fédérale qui exemptera le Canada des clauses de lALÉNA peut régler le problème. Elle a aussi déclaré quen nayant pas le courage de considérer leau comme un enjeu commercial et en intervenant seulement par lentremise des lois environnementales, le gouvernement fédéral ouvre la porte à dautres contestations de sociétés étrangères qui voudront se faire indemniser pour les profits perdus. Tel que nous lavons déjà indiqué, les trois pays de lALÉNA ont affirmé clairement dans leur déclaration conjointe de décembre 1993 que lALÉNA ne sapplique pas à leau à létat naturel dans les lacs, les rivières, etc., puisque, à ce moment-là, leau nest pas « vendue dans le commerce et devenue une marchandise ou un produit » aux fins de lALÉNA. Le gouvernement fédéral na cessé de faire valoir cet argument à légard de lALÉNA et de son prédécesseur, lALÉ. Les critiques de la position du gouvernement nen démordent pas moins. Selon eux, leau à létat naturel est visée par lALÉNA et il ne faudra rien de moins quune modification à laccord, accompagnée dune loi interdisant les exportations deau sur une grande échelle, pour protéger correctement nos ressources en eau. Les préoccupations des critiques nont donc pas été apaisées par lannonce récente dune stratégie fédérale cherchant un engagement de la part de tous les paliers de gouvernement du Canada, afin dinterdire le prélèvement deau à grande échelle, y compris pour lexportation, dans les bassins hydrographiques canadiens. Le débat sur les exportations deau et lALÉNA continue donc de plus belle. (1) Projet de loi C-156, Loi sur la préservation de leau au Canada, Deuxième session, Trente-troisième législature. (2) Pour des précisions concernant les arguments de Mme Holm selon lesquels le contrôle canadien des ressources en eau est compromis par les dispositions de lALÉNA, voir : Wendy Holm, « Water and Free Trade », chapitre 1 (p. 1-27) dans ALENA and Water Exports, Association canadienne du droit de lenvironnement, octobre 1993. Voir également, Barry Appleton, chapitre 25 « Frequently-Raised Concerns on the ALENA », Navigating ALENA: A Concise Users Guide to the North American Free Trade Agreement, Carswell, 1994. M. Appleton est aussi davis que lALÉNA sapplique aux eaux souterraines et à leau douce de surface à létat naturel. Dans une section sur leau, M. Appleton analyse ce quil considère comme les effets de lALÉNA sur les ressources du Canada en eau (p. 201-205). (3) Jon R. Johnson, The North American Free Trade Agreement: A Comprehensive Guide, Canada Law Book Inc., 1995. (4) Ibid., p. 109-110 (traduction). (5) Sophie Dufour, « The Legal Impact of the Canada-United States Free Trade Agreement on Canadian Water Exports », no 34, Les Cahiers de droit, p. 705, 1993. Après avoir analysé en profondeur les conséquences juridiques de lALÉ sur les ressources en eau canadiennes, Mme Dufour conclut quaucune disposition de lentente ne permet de croire que le Canada a concédé de quelque façon que ce soit aux États-Unis un accès futur à ses ressources en eau. (6) Ibid., p. 742 (traduction). (7) Canada, Chambre des communes, Comité législatif sur le projet de loi C-115, (Troisième session, Trente-quatrième législature), Procès-verbaux et témoignages, 5 mai 1993, fascicule n° 6, p. 15-16. (8) S.C. 1988, c. 65. (9) S.C. 1993, c. 44. (10) LALÉNA nétait pas encore en vigueur à ce moment-là. (11) Gouvernement du Canada, Cabinet du premier ministre, « Le Premier ministre annonce des améliorations à lALÉNA; le Canada mettra bientôt en uvre cet accord », Communiqué, 2 décembre 1993. (12) Projet de loi C-404, Loi interdisant lexportation des eaux du Canada, première lecture le 13 mai 1998, Première session, Trente-sixième législature; dautres projets de loi semblables déposés par M. Riis durant des législatures antérieures comprennent par exemple le projet de loi C-202, Loi interdisant lexportation des eaux du Canada, première lecture le 25 janvier 1994, Première session, Trente-cinquième législature et le projet de loi C-232, Loi interdisant lexportation des eaux du Canada, première lecture le 11 mars 1996, Deuxième session, Trente-cinquième législature. (13) Pour le débat relatif à la motion de M. Gilmour, voir Canada, Chambre des communes, Hansard, 8 février 1995, Première session, Trente-cinquième législature, p. 9355-9362. (14) Canada, Chambre des communes, Hansard, 15 mai 1998, Première session, Trente-sixième législature, p. 7062. (15) Ibid. (16) Canada, Chambre des communes, Hansard, 16 novembre 1998, Première session, Trente-sixième législature, p. 10052. (17) Ibid., p. 10092-10093. (18) Pour le débat sur la motion, voir Canada, Chambre des communes, Hansard, 9 février 1999, Première session, Trente-sixième législature, p. 11607-11637. (19) Canada, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, « Mise en uvre dune stratégie visant à prévenir le prélèvement à grande échelle des eaux du Canada, y compris les eaux destinées à lexportation », Communiqué, 10 février 1999. (20) Canada, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Une stratégie visant à protéger les eaux canadiennes, document dinformation, 10 février 1999. Un autre document dinformation intitulé Leau, a été publié par le ministère le même jour. (21) R.S.C. 1985, c. I-17. |