83-14F

 

LA SÉCURITÉ DANS LES CENTRALES NUCLÉAIRES

 

Rédaction :
Lynne C. Myers
Division des sciences et de la technologie
Révisé le 2 novembre 1999


 

TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A.  La sécurité dans les centrales nucléaires complexes

   B.  Sécurité intrinsèque et sécurité technique

   C.  L'accident de Tchernobyl

   D.  Nouveaux faits troublants

      1.  Accident dans une installation japonaise de traitement
           du combustible - 30 septembre 1999
      2.  Problèmes liés au vieillissement des réacteurs en Europe de l'Est
      3.  Problèmes de sécurité continus dans les centrales nucléaires

           de l'Ontario de 1994 à ce jour
      4.  Problèmes de sécurité continus à la centrale nucléaire de
           Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick

MESURES PARLEMENTAIRES

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE


LA SÉCURITÉ DANS LES CENTRALES NUCLÉAIRES*

 

DÉFINITION DU SUJET

Les êtres humains utilisent sous diverses formes l'énergie qu'ils puisent à différentes sources. Un nombre grandissant de pays, dont le Canada, ont choisi d'ajouter le nucléaire à l'éventail de leurs sources d'énergie. Au milieu de 1996, les 447 centrales nucléaires en service dans 31 pays comptaient pour plus de 15 p. 100 de la production mondiale d’électricité. Le nucléaire produit, en 1996, au moins 25 p. 100 de l’électricité consommée dans 18 pays, la Lituanie venant en tête avec un peu plus de 76 p. 100, suivie de près par la France avec 75 p. 100. Au Canada, le nucléaire répond actuellement à environ 19 p. 100 de la demande d’électricité. Cinq nouveaux réacteurs sont entrés en service entre juin 1995 et juin 1996 : deux au Japon, un en Ukraine, un en Corée du Sud et un aux États-Unis. Deux autres réacteurs qui étaient désaffectés depuis quelque temps ont été remis en service au cours de la dernière année. L’unité n3 de la centrale de Brown’s Ferry, aux États-Unis, était à l’arrêt depuis 1985 et l’unité n2 de la centrale arménienne l’était depuis 1988. Deux centrales ont été désaffectées, l’une en Allemagne et l’autre (l’unité n2 de Bruce) au Canada. Pendant la même période, 39 centrales étaient en construction dans 15 pays.

Aucune entreprise humaine ne comporte une garantie totale de sécurité; c'est pourquoi la question de savoir si l'électro-nucléaire fait courir un risque « acceptable » à la société est depuis longtemps vigoureusement débattue. Jusqu'aux événements survenus vers la fin d'avril 1986 dans ce qui était alors l'Union soviétique, la sécurité des centrales nucléaires était bien sûr un sujet préoccupant, mais la question n'était pas alarmante. L'accident survenu à la centrale de Tchernobyl a irrévocablement changé la situation. La catastrophe a tragiquement ramené la question de la sécurité des centrales nucléaires dans les esprits. Depuis, même si le programme de production d’énergie nucléaire de l'ex-Union soviétique est soumis à l'examen minutieux de puissances étrangères, les gens restent très préoccupés par la sécurité des centrales nucléaires dans cette partie du monde.

Le vieillissement plus rapide que prévu des réacteurs nucléaires partout au monde ajoute aux craintes. Au Canada, la diffusion récente d’un examen critiquant sévèrement la gestion des installations nucléaires de l’Ontario Hydro a rendu les gens encore plus anxieux pour ce qui est des questions de sécurité. Dans le présent bulletin, nous traitons du problème de la sécurité dans les centrales complexes et décrivons succinctement certains des accidents nucléaires les plus graves survenus à ce jour, ainsi que des incidents récents liés à la question de la sécurité.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A. La sécurité dans les centrales nucléaires complexes

Il est difficile de déterminer les causes d'une panne dans une centrale complexe, et les accidents et les incidents graves survenus au cours des années dans des réacteurs ont montré que le diagnostic était beaucoup moins sûr qu'on ne l’avait déjà pensé. D'une part, il peut arriver qu'une centrale complexe comporte des erreurs de conception qui créent des problèmes de sécurité, mais, d'autre part, il se peut que des erreurs de construction, de vérification de la qualité, d'entretien ou d'exploitation soient en cause. C’est la raison pour laquelle les centrales sont conçues et exploitées selon le principe de la défense en profondeur, qui se caractérise, entre autres, par l’installation de systèmes de sécurité de réserve, ou redondants.

L'accident survenu en mars 1979 au réacteur de Three Mile Island, en Pennsylvanie, montre que des problèmes mécaniques peuvent être aggravés par l'erreur d'un technicien, ce qui souligne l'importance de l'élément humain parallèlement à celle de la fiabilité du matériel dans la perspective de la sécurité. En effet, dans son rapport sur l'accident de Three Mile Island (le « rapport Kemeny »), la Commission présidentielle chargée d’enquêter s’est intéressée davantage aux responsables de la sécurité nucléaire, à savoir les fabricants de matériel, les directeurs des services, les techniciens de la centrale et le personnel de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), qu'au besoin d'améliorer la technologie comme telle.

Des accidents peuvent aussi survenir à l'improviste lorsqu'un même incident initial provoque une défaillance simultanée des dispositifs doubles qui sont censés fonctionner de façon indépendante. Par exemple, il est arrivé que des soupapes identiques, installées sur des dispositifs indépendants et soumises aux mêmes conditions, soient tombées simultanément en panne parce qu'elles étaient mal conçues ou mal installées. Un entretien inadéquat peut également provoquer une panne multiple lorsque chacun des dispositifs indépendants a été mal réglé ou mal entretenu. Une panne totalement imprévue peut survenir à cause de la complexité même de la centrale, qui empêche que tous les risques d'accident puissent être détectés.

L'accident de Salem 1, au New Jersey, fournit un exemple de panne imprévue. Lorsqu'une anomalie prévisible, appelée « transitoire », survient dans le fonctionnement du réacteur, un dispositif de sécurité est censé arrêter automatiquement d'urgence le réacteur en interrompant la réaction nucléaire en chaîne. Une panne de ce système de sécurité (connue sous l'appellation technique de « transitoire sans chute de barres ») était considérée comme tellement improbable que le risque qu'elle représentait avait auparavant été jugé négligeable. L'industrie nucléaire américaine a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'imposer des règlements et des mesures préventives contre ce genre d'incident, étant donné que les systèmes de sécurité de base étaient pratiquement à l'abri des pannes. D'ailleurs, un spécialiste de la sécurité nucléaire a pu affirmer en 1980 que jamais un tel dispositif de sécurité n'avait fait défaut en cas d'urgence. Pourtant, un incident de ce genre s'est produit à deux reprises en quatre jours en février 1983 au réacteur Salem 1. Dans les deux cas, les techniciens ont arrêté manuellement le réacteur, afin d'éviter qu'il ne s'endommage, mais ces incidents ont prouvé qu'une panne du système électronique de sécurité n'était pas aussi improbable qu'on l'avait prétendu.

L'enquête faisant suite à l'incident de Salem 1, menée par la NCR des États-Unis, a établi qu'un élément critique des dispositifs de chute automatique des barres de sécurité du réacteur était tombé en panne dans les deux circuits d'un système à double redondance. Cet élément, qui doit normalement faire l'objet de deux opérations d’entretien par an, n'avait pas du tout subi de maintenance depuis son entrée en service. La NRC a attribué en partie la panne à une accumulation de poussière sur des joints exposés.

L'accident de Tchernobyl, le pire jamais survenu dans une centrale nucléaire commerciale, a été causé par une incroyable suite d'erreurs « humaines ». Il est également intéressant de noter qu'un article paru dans un journal de Kiev un mois avant l'accident déplorait de graves pénuries de matériel, la piètre qualité de la main-d'oeuvre et un moral très bas chez les employés de la centrale. Ce sont tous là des facteurs qui influent sur la sûreté de fonctionnement des centrales.

Cet accident a suscité un intérêt sans précédent pour la question de la sécurité des centrales nucléaires et amené l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à élaborer deux nouvelles conventions internationales engageant leurs signataires (parmi lesquels figure le Canada) à alerter immédiatement les autres pays si un accident nucléaire survient sur leur territoire et à aider tout pays victime d'un tel accident. L'AIEA a également reçu des propositions prévoyant la réglementation internationale de l'énergie nucléaire.

Aux États-Unis, entre le début et le milieu des années 80, le nombre croissant d'incidents graves dans les centrales nucléaires ont amené la Nuclear Regulatory Commission à prédire que, étant donné le niveau actuel de sûreté de l'exploitation des centrales nucléaires aux États-Unis, on devrait s'attendre à la fusion du coeur d'un réacteur dans les 20 prochaines années. Il est même possible qu'un accident de ce genre entraîne des émissions de rayonnements dans l'atmosphère aussi importantes, sinon plus, que celles qui se sont produites lors de l'accident de Tchernobyl.

Cette possibilité de même que l’accident de Three Mile Island ont poussé la Nuclear Regulatory Commission à mettre en oeuvre une politique sur les accidents graves en 1985. Dans le cadre de ce programme, toutes les centrales existantes ont été systématiquement examinées pour voir jusqu'à quel point des accidents graves risquaient de s'y produire; des mesures de sécurité supplémentaires ont été proposées au besoin. Comme les réacteurs américains ont vieilli, il est devenu de plus en plus difficile pour beaucoup d’entre eux de satisfaire à des normes plus élevées. Les réparations nécessaires étant souvent trop coûteuses pour les entreprises concernées, un nombre croissant de réacteurs sont mis hors service au fil des ans.

Le Canada a lui aussi procédé à un vaste examen interne de la sécurité de ses centrales nucléaires au début des années 90. En outre, l'Équipe d'examen de la sûreté d'exploitation (OSART) de l'Agence internationale de l'énergie atomique a été invitée à examiner les méthodes d'exploitation de la centrale de Pickering. À la suite des deux études, il a été conclu que l'utilisation que fait le Canada des réacteurs CANDU était sécuritaire, mais des changements mineurs aux procédures d'exploitation ainsi qu'aux plans d'urgence ont quand même été suggérés. Malgré ces rapports rassurants, une fuite de 150 000 litres d’eau contaminée s’est produite à la centrale de Pickering vers la fin de 1994. Après avoir fait enquête sur l’accident, la Commission de contrôle de l’énergie atomique (CCEA) a signalé dans son rapport que, en plus d’un défaut de conception fondamental des soupapes de décharge, l’erreur humaine avait contribué à la gravité de la fuite. La CCEA elle-même s’est attiré des critiques du fait que les ingénieurs de la centrale n’ont pas réussi à communiquer avec les membres de la Commission pendant la crise.

Plus récemment, en août 1997, l’Ontario Hydro a fait connaître les résultats d’une évaluation indépendante intégrée de la performance (EIIP) qu’elle a effectuée à l’interne. L’une des principales critiques du rapport porte sur la dégradation de la « culture de la sécurité » dans les centrales nucléaires de l’Ontario Hydro. On souligne l’importance de bien entretenir tout le matériel et tous les systèmes, et d’exploiter les centrales selon les procédures prescrites afin de garantir le bon fonctionnement des mécanismes de sûreté prévus à l’origine. On insiste également à plusieurs reprises sur le rôle essentiel de l’« élément humain » comme moyen d’assurer la sécurité dans un complexe énergétique aussi délicat. En fait, les auteurs du rapport critiquaient vertement la gestion de l’Ontario Hydro Nuclear (OHN) et prévenaient de l’effet possible de cette gestion douteuse sur la sécurité. Ils affirmaient en substance ceci :

À moins que des problèmes fondamentaux ne soient résolus, en particulier le manque de leadership et d’imputabilité au niveau de la gestion, l’OHN n’a pas beaucoup de chances de succès. Bon nombre des problèmes sont si profondément enracinés dans tous les aspects de l’organisme (structures organisationnelles, pratiques, politiques et systèmes) que les gestionnaires pris se sentent incapables d’apporter les correctifs ou bien ne sont pas prêts à le faire [...]. Le personnel de l’OHN à tous les niveaux hésite à se poser ou à poser à d’autres des questions difficiles. C’est surtout parce qu’on refuse de remettre en question les choses que le principe de défense en profondeur est compromis.

Les auteurs du rapport ajoutaient que les lacunes exposées par l’équipe d’évaluation exigeaient des correctifs urgents, car elles constituaient des dérogations au principe de défense en profondeur, dérogations qui rétrécissaient la marge de sûreté garantie au grand public et aux employés. Bien que ce ne soit là qu’une piètre consolation, l’équipe d’évaluation a estimé que, même si les marges de sécurité s’étaient sérieusement effritées, celles qui restaient étaient suffisantes pour protéger les travailleurs, le grand public et l’environnement dans chacune des centrales de l’OHN. En réponse à l’EIIP, l’Ontario Hydro a annoncé la fermeture temporaire de sept de ses 19 réacteurs (quatre à la centrale Pickering A et trois à Bruce A) et la fermeture permanente de l’usine d’eau lourde de Bruce. Elle avait promis de prendre, au cours des trois prochaines années, des mesures pour corriger les lacunes décelées à la centrale Bruce B et à celles de Pickering et de Darlington.

En France, un rapport de l’inspecteur-chef de la sécurité nucléaire datant du début des années 90 indique que, étant donné l’état des réacteurs en service dans ce pays, la probabilité qu’un accident grave de cette nature se produise dans les vingt prochaines années ne dépassait pas « quelques points de pourcentage ». La possibilité d'une erreur humaine, à l'origine de la catastrophe de Tchernobyl, était la principale source d'appréhension d'un éventuel désastre de cette envergure. Par ailleurs, le document rappellait que plusieurs « quasi-accidents » passés sous silence en France auraient pu provoquer d'importantes émissions de radioactivité si on n'était pas intervenu à temps.

   B. Sécurité intrinsèque et sécurité technique

La sécurité de la plupart des réacteurs nucléaires commerciaux en service à l’heure actuelle dépend de systèmes techniques auxiliaires. En cas d'accident, ceux-ci doivent détecter le danger et y réagir en provoquant l'arrêt du réacteur. Il est aussi possible et, à la lumière de l'accident de Tchernobyl, peut-être même essentiel, de concevoir des réacteurs « intrinsèquement » sûrs, dont l'arrêt au cours d'un accident dépendrait uniquement des lois de la physique plutôt que de systèmes auxiliaires et de l'intervention de techniciens. Comme le soulignait un auteur, la sécurité intrinsèque vise à remplacer le principe de Murphy (tout ce qui peut aller mal ira fatalement mal) par les lois de la physique. Plusieurs pays ont d'ailleurs mis au point des réacteurs intrinsèquement sûrs, qui serviront à illustrer cette idée.

La Suède a créé un réacteur à eau sous pression appelé PIUS; le système de refroidissement du coeur et tous les échangeurs de chaleur de ce réacteur sont immergés dans une solution de bore qui absorbe les neutrons et freine rapidement la réaction en chaîne productrice de chaleur. Lorsque tout se déroule normalement, la pression générée par la pompe de réfrigérant maintient l'eau borée à l'extérieur du réacteur. Toutefois, si la pompe est défectueuse, la différence de densité entre l'eau chaude et l'eau froide entraînera immédiatement le noyage du réacteur par de l'eau borée, la réaction en chaîne étant alors enrayée. Aucune intervention humaine, mécanique ou électrique n'est donc nécessaire pour provoquer l'arrêt du réacteur. Comme le Suède se détourne du nucléaire, aucun nouveau réacteur commercial PIUS n’a été construit.

De son côté, l'Allemagne de l'Ouest a conçu un réacteur à haute température à réfrigérant gazeux (baptisé le THTR 300) qui est doté d'éléments combustibles ronds de la grosseur de balles de tennis. Ces éléments combustibles sont en mouvement : toutes les huit secondes, l'un d'eux s'échappe du coeur et un autre est introduit par le dessus. À cause de la grosseur des éléments combustibles et du rapport entre leur superficie et leur volume, il est impossible que la température dans le coeur du réacteur dépasse 1 600° C. D'après les concepteurs, le réacteur pourrait perdre tout son fluide de refroidissement (hélium) sans pour autant devenir assez chaud pour libérer des produits de fission.

Les quelques réacteurs qu'on est en train de mettre au point aux États-Unis sont eux aussi dotés de mécanismes d'arrêt automatique qui n'exigent aucune intervention mécanique, électrique ou humaine. Depuis l'accident de Tchernobyl, ces réacteurs sont plus intéressants que jamais. Aux États-Unis, en fait, les observateurs sont d'avis que seule l'adoption de ces réacteurs va permettre d'y faire accepter de nouveau le nucléaire comme source d'énergie de rechange viable. À cause des considérations économiques qui pèsent sur la production d’électricité aux États-Unis, la construction de nouvelles centrales nucléaires y est au point mort. Aucune nouvelle centrale nucléaire, que ce soit de modèle ancien ou nouveau, n’a été commandée.

   C. L'accident de Tchernobyl

Le 26 avril 1986, la ville de Tchernobyl, située à 60 milles au nord de Kiev, capitale de l'Ukraine, a été le théâtre du pire accident qui soit jamais survenu dans une centrale nucléaire. Une série d'erreurs humaines, jointe à ce que certains experts occidentaux croient être des vices majeurs de conception, a entraîné une prodigieuse explosion et un violent incendie dans le coeur même du réacteur. L'explosion a tué sur le coup deux techniciens qui se trouvaient sur les lieux et libéré dans l'atmosphère une très grande quantité de matières radioactives. Ce dégagement sans précédent de produits de fission dangereux provenant du coeur du réacteur a rendu nécessaire l'évacuation de dizaines de milliers de personnes et contaminé une riche région agricole sur une étendue d'environ 300 kilomètres carrés. Les radiations ont franchi les frontières internationales, contaminant les aliments et suscitant une vive inquiétude quant à leurs effets à long terme sur la santé et l'environnement.

Lors d'une réunion spéciale de l'AIEA tenue à Vienne le 25 août 1986, l'Union soviétique a fait un rapport circonstancié sur les causes de la catastrophe de Tchernobyl. L'ironie du sort a voulu que l'accident, le plus grave qui soit survenu dans un réacteur nucléaire, se soit produit au cours d'un essai de sécurité. Apparemment, les techniciens essayaient de déterminer combien de temps les turbines de la génératrice continueraient de tourner par inertie, en cas d'arrêt imprévu du réacteur; en faisant l'expérience, ils ont commis au moins six erreurs graves, notamment celle de fermer tous les systèmes de sûreté automatiques du réacteur pour éviter qu'ils ne faussent les résultats.

Les événements ont commencé le 25 avril, date où l’on a réduit la puissance du réacteur. Comme des systèmes de contrôle automatiques étaient en place pour l'empêcher de fonctionner à un régime aussi bas, les techniciens les ont fermés, neutralisant ainsi l'un des dispositifs conçus pour empêcher le réacteur de devenir incontrôlable. La puissance est alors tombée trop bas pour les besoins de l'expérience, et c'est en essayant de la ramener au niveau requis que les techniciens ont commis la deuxième erreur fatale. Pour régulariser et contrôler la réaction en chaîne dans un réacteur, on se sert de barres de commande. Un réacteur modéré au graphite et refroidi à l'eau ordinaire (RBMK, en russe) doit en contenir au moins trente en tout temps, mais les techniciens de Tchernobyl n'en ont laissé que six ou huit. Ils ont également débranché pour l'expérience un deuxième système de sécurité qui aurait automatiquement fermé le réacteur dès l'arrêt des turbines, ce qui a aggravé le problème.

L'essai proprement dit a débuté à 1 h 23 le 26 avril, lorsqu'on a coupé l'alimentation des turbines. Juste avant, on avait réduit l'arrivée de l'eau servant à refroidir le réacteur et débranché les dispositifs de sécurité permettant de l'arrêter en cas d'anomalie de la pression de vapeur ou du niveau d'eau. Cette dernière manoeuvre a causé une dangereuse surchauffe du réacteur, mais, parce que le système de refroidissement d'urgence avait été fermé douze heures auparavant, on ne pouvait plus empêcher la température de monter. Quelques secondes après, la surintensité énorme a provoqué deux explosions qui ont fait voler le toit du bâtiment du réacteur et allumé plus de trente incendies autour de la centrale. Le coeur endommagé du réacteur et le modérateur en graphite qui l'entourait se sont mis à brûler à des températures atteignant 1 600°C. L'incendie a fait rage pendant douze jours, libérant dans l'atmosphère des quantités phénoménales de radiations.

Nous ignorons encore l'ampleur exacte de l'émission radioactive, mais de nombreuses estimations ont été faites. Selon une hypothèse américaine, au moins 40 millions de curies de radioactivité auraient été dégagés, ce qui se rapproche de l'estimation de 50 millions de curies avancée par les Soviétiques dans leur rapport à l'AIEA. Cela représente environ 3,5 p. 100 de la radioactivité du coeur du réacteur. (En comparaison, lors de l'accident de Three Mile Island, seulement 15 curies d'iode 131 ont été dégagés dans l'atmosphère.) Il est difficile de comparer ce rayonnement à celui des bombes d'Hiroshima ou de Nagasaki, parce que les produits de fission nucléaire n'étaient pas les mêmes, mais d'après un expert en physique radiative le rayonnement à Tchernobyl était, grosso modo, de 30 à 40 fois plus puissant que celui des bombes de 1945.

La presque totalité des retombées radioactives s'est abattue sur la centrale ainsi que sur les agglomérations et les exploitations agricoles des environs, mais les vents en ont poussé une partie vers plusieurs pays voisins, notamment la Suède, la Pologne, la Roumanie, la Suisse, l'Allemagne de l'Ouest et la Yougoslavie. Les niveaux d'irradiation y ont été, pendant un certain temps, de plusieurs fois supérieurs aux niveaux normaux. Dans la ville de Tchernobyl, à 12 milles du lieu de l'accident, on a relevé un niveau d'irradiation maximal de 15 millirems par heure, alors que dans la plupart des régions du monde le fond naturel de rayonnement est d'environ 0,01 millirem par heure.

Sur le plan économique, l'accident a été catastrophique pour l'ancienne Union soviétique et les nouveaux États indépendants de l’Ukraine et du Bélarus, qui ont hérité du problème. Outre ce que leur coûtera la réinstallation de 135 000 personnes, ceux-ci doivent assumer des pertes de 1,9 milliard de dollars pour les dommages causés à la centrale elle-même et acquitter une facture de plusieurs centaines de millions de dollars pour la décontamination, sans compter la perte d’une capacité indispensable de production d’électricité. Cette perte était telle que, en octobre 1986, on a remis en service les unités nos 1 et 2 de la centrale de Tchernobyl. L'unité no 3, qui partageait une salle de commande et une génératrice avec l'unité détruite dans l'accident, a été remise en service au début de 1988. Comme nous l’avons déjà mentionné, la communauté internationale a récemment (décembre 1995) pris des dispositions pour fournir de l’aide financière à l’Ukraine afin de lui permettre de mettre hors service les quatre réacteurs de Tchernobyl d’ici l’an 2000.

Les pays de l'ancienne Union soviétique devront en outre engager des frais pour améliorer les normes de sécurité de tous leurs réacteurs RBMK, notamment en augmentant le nombre d'absorbeurs, en utilisant du combustible plus enrichi, en modifiant les barres de commande et en se protégeant mieux contre l'erreur humaine aux premiers stades d'un accident (grâce à une automatisation accrue).

Les pays concernés ont également subi des pertes sur le plan de la production agricole et pourraient être privés de précieuses terres arables. Par exemple, le Bélarus, république voisine, a perdu 20 p. 100 de ses terres agricoles à cause du désastre. Selon une étude américaine réalisée peu après la catastrophe, l'accident de Tchernobyl coûtera au total entre 3,7 et 6 milliards de dollars US à l'ex-Union soviétique. Cette dernière a elle-même reconnu avoir subi des pertes directes de l'ordre de 3,6 milliards de dollars US. D'autres autorités ont toutefois déclaré récemment qu'il faudra environ 200 milliards de roubles (380 milliards de dollars CAN) au cours de la prochaine décennie pour résorber les conséquences de Tchernobyl. Quels que soient les derniers chiffres, l'économie de toute la région a réellement subi une énorme ponction.

Il n'a pas été difficile d'évaluer les répercussions immédiates de l'accident de Tchernobyl sur la santé. L'explosion et le dégagement de radioactivité subséquent ont fait 31 morts, et quelque 300 personnes ont été traitées pour avoir été gravement atteintes par les radiations mais sont toutes sorties de l'hôpital. Un article de journal de novembre 1989 rapportait toutefois que le nombre de décès causés par l'accident atteignait déjà 250.

Si l'on examine les répercussions que l'accident de Tchernobyl aura à long terme sur la santé, le tableau devient beaucoup plus sombre, et l'on ne s'entend pas sur le nombre de personnes qui seront touchées. Les chiffres les plus fréquemment mentionnés varient entre 2 000 et 6 500. Autrement dit, les spécialistes prévoient qu'il y aura de 2 000 à 6 500 décès supplémentaires attribuables au cancer au cours des 50 à 70 prochaines années par suite de l'accident de Tchernobyl. D'autres spécialistes craignent que le bilan ne soit beaucoup plus élevé — les décès pourraient atteindre de 50 000 à 250 000 — , en raison du risque de contamination de la chaîne alimentaire par le césium 137 et le césium 134. Le césium se loge dans les tissus et les muscles et libère de fortes quantités de radiation chez ceux qui en ingèrent. L'absorption d'iode radioactif, notamment chez les enfants, a également des conséquences fort inquiétantes.

Cinq ans après l'accident, le nombre de cancers de la glande thyroïde observés chez les enfants des environs qui ont été exposés aux plus forts niveaux de contamination a déjà commencé à prendre des proportions alarmantes. Les médecins de la région ont admis que 14 p. 100 des enfants du groupe témoin ont reçu des doses de radiation extrêmement élevées; toutefois, un bon 40 à 45 p. 100 ont la glande thyroïde dilatée, symptôme connu comme étant annonciateur d’un cancer de la glande thyroïde. Dix ans après le désastre, en 1996, ces craintes se confirment. Selon un rapport récent, l’incidence des cas de cancer de la glande thyroïde dans les zones les plus contaminées a monté en flèche, passant de un par million avant 1986 à 200 par million en 1994.

Les autorités constatent, avec beaucoup de pessimisme, que le cancer de la glande thyroïde et la leucémie ne sont généralement que les premiers types de cancer à se manifester dans ce genre de situation. L’expérience des survivants des bombes atomiques au Japon avait pourtant amené les experts à croire que les cas de leucémie augmenteraient d’abord. Jusqu’ici, il n’y a toutefois pas eu d’augmentation notable des cas de leucémie près de Tchernobyl. Cela tient probablement à la nature différente des radiations et à la vulnérabilité de la population touchée.

En plus des décès attribuables au cancer, les dommages causés au système immunitaire de l'homme par une trop forte exposition à la radiation devraient vraisemblablement entraîner une augmentation de tous les types de maladies infectieuses au cours des prochaines années. La présence d’un nombre anormal de déficients mentaux et de personnes ayant des troubles affectifs ou des troubles du comportement est également liée à l’exposition des foetus à des niveaux élevés de radiation.

Les conséquences sociales et politiques de l'accident de Tchernobyl risquent d'être aussi persistantes que les émissions radioactives qui ont été dégagées dans l'atmosphère. À la fin de 1990, les autorités soviétiques ont fait évacuer 73 000 autres personnes des régions de l'Ukraine, du Bélarus et de la Russie, où les taux de radiation étaient jugés inacceptables. Il semblerait qu'on prévoie le déplacement éventuel encore de 300 000 personnes. Ces chiffres viennent s'ajouter aux 100 000 personnes évacuées de la région en 1986.

   D. Nouveaux faits troublants

      1. Accident dans une installation japonaise de traitement
          du combustible - 30 septembre 1999

Le 30 septembre 1999, un accident est survenu à l’usine de traitement de l’uranium de Tokaimura, à 150 km de Tokyo : l’intensité de rayonnement local a monté en flèche, deux travailleurs ont été blessés gravement et au moins 46 autres ont été fortement contaminés. L’usine, exploitée par une compagnie privée appelée JCO, fabrique des barres de combustible d’uranium enrichi destinées à des réacteurs de puissance japonais. Une étape du procédé consiste à mélanger du U3O8, un oxyde d’uranium, et de l’acide nitrique. Le mélange est ensuite ajouté à une solution de sel d’ammonium dans une cuve de décantation, produisant un précipité appelé diurinate d’ammonium, qui est à son tour transformé en combustible, le dioxyde d’uranium.

Selon les premiers rapports, les travailleurs de l’usine avaient mélangé l’uranium et l’acide nitrique et versaient la solution dans la cuve de décantation au moyen de seaux spéciaux. Cette pratique est contraire aux règles établies par le gouvernement, selon lesquelles il faut procéder au mélange lentement en l’acheminant dans une conduite. Or, en contrevenant aux règles, la compagnie pouvait écourter le temps de traitement, le ramenant de trois heures à 30 minutes à peine. Il est clair que cette pratique industrielle a joué un rôle dans l’accident.

Il semble qu’on ait ajouté trop d’uranium (16 kg au lieu des 2,4 prescrits) et constitué ainsi une masse critique de matière fissile. Résultat final : une réaction nucléaire en chaîne incontrôlée. Le fait que l’usine utilise un procédé à base d’eau a ajouté au problème : l’eau agit comme modérateur, ralentissant les neutrons libérés par la réaction, lesquels peuvent alors fractionner d’autres atomes et entretenir la réaction en chaîne. Outre le Japon, le Kazakhstan est le seul pays à toujours utiliser ce procédé; les autres pays possédant de telles installations de traitement ont adopté un procédé sec pour des raisons de sécurité. On a finalement stoppé la réaction incontrôlée de Tokaimura en vidant l’eau des cuves.

Si les règles sont observées, la réaction en chaîne décrite ci-haut ne peut se produire dans une usine de traitement; la compagnie n’était donc pas tenue de mettre en œuvre un plan d’urgence pour faire face à une telle éventualité. C’est ce qui explique la lenteur des autorités à réagir à l’accident. L’événement a causé tout un émoi dans la population au Japon, pays qui produit le tiers de son électricité à partir du nucléaire.

La population a été encore plus bouleversée d’apprendre que JCO, une filiale à part entière de la Sumimoto Metal Mining Company, a admis avoir dévié des règles du gouvernement pendant des années en imposant son manuel (illégal), qui omettait des étapes importantes pour la sécurité et permettait, comme il a été mentionné, d’accélérer d’autres étapes du procédé. Au Japon, la complaisance, voire l’arrogance, dont les compagnies qui œuvrent dans le secteur nucléaire font preuve quant à leur capacité de traiter les matières radioactives inquiète de plus en plus. Selon certains, la « culture de la sécurité », pourtant nécessaire, fait défaut. En outre, depuis l’accident à la JCO, on critique ouvertement le fait que les normes de sécurité sont beaucoup moins rigoureuses pour les usines de traitement du combustible nucléaire que pour les centrales nucléaires.

Même si la réaction en chaîne est terminée, les autorités continuent de surveiller l’intensité du rayonnement à proximité du lieu de l’accident. Les premiers rapports indiquent que les travailleurs présents dans l’usine ont été exposés à des niveaux de rayonnement jusqu’à 4 000 fois supérieurs aux limites jugées sans danger, alors que, selon les mesures prises à l’extérieur de l’usine, les niveaux étaient cinq fois supérieurs au champ naturel de radiation. Il faudra attendre un certain temps avant de connaître l’ampleur réelle de la contamination. Le gouvernement japonais envisage toujours de porter des accusations criminelles contre la compagnie.

      2. Problèmes liés au vieillissement des réacteurs en Europe de l'Est

Les changements politiques survenus récemment en Europe de l'Est ont permis aux gens de mieux se rendre compte de l'état des réacteurs nucléaires dans cette partie du monde. Cette nouvelle prise de conscience a déclenché une profonde inquiétude. La majorité des réacteurs construits dans cette région sont de conception soviétique et ils ont un urgent besoin de réparations ou de rénovations. Après la réunification des deux Allemagnes, cinq réacteurs de ce type ont dû être fermés en Allemagne de l'Est parce qu'ils n'étaient pas conformes aux normes de sécurité ouest-allemandes. Certains pays comme la Tchécoslovaquie et la Bulgarie ont tellement besoin de l'énergie qu'ils tirent de leurs réacteurs vétustes qu'il est impossible de songer à les fermer. La communauté internationale est intervenue afin d'aider à relever les caractéristiques de sécurité, tant opérationnelles que mécaniques, des 32 réacteurs de conception soviétique réputés suffisamment sûrs pour mériter de tels travaux. Le G-7 a établi un fonds unilatéral qui comptait au départ 74 millions de dollars US, en janvier 1993, et qui atteindra, du moins on l'espère, quelque 700 millions de dollars US, soit le montant dont on croit avoir besoin pour réaliser les travaux nécessaires. Le Fonds sera administré par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

De plus, la communauté européenne a lancé deux programmes pour aider à déterminer et à corriger les problèmes de sécurité que posent les réacteurs de conception soviétique. Ces programmes, appelés TACIS et PHARE, sont conçus de manière à compléter plutôt qu'à recouper le programme du G-7.

Malgré les efforts déployés jusqu’ici sur la scène internationale, les craintes demeurent élevées, à mesure que les spécialistes du nucléaire, mal rétribués, continuent de quitter l’ex-Union Soviétique en grand nombre, laissant cette région avec une grave pénurie de main-d’oeuvre compétente. À la fin de 1995, un rapport d’un organisme d’inspection officiel en Russie faisait état du fait que la sécurité nucléaire régressait rapidement. Plus de 38 000 infractions à la sécurité avaient été relevées à des établissements civils et militaires au cours des deux années précédentes. Les auteurs du rapport signalaient, parmi les principales raisons de cet état de choses, le maintien en service de réacteurs dangereux et la piètre radioprotection. Le manque de personnel hautement spécialisé était également cité au nombre des facteurs responsables.

L’annonce, au milieu de 1995, que l’Arménie comptait remettre en service sa vieille centrale nucléaire pour pallier son manque aigu d’électricité a inspiré de grandes craintes, notamment en Europe. Cette centrale a été mise hors service par mesure de précaution à la suite des dégâts subis lors du violent séisme qui a frappé la région en 1988. C’est une région de forte activité sismique, et les pays voisins craignent que les enceintes de confinement, qui n’ont été ni conçues ni construites pour faire face à cette activité, ne résistent pas à un tremblement de terre.

      3. Problèmes de sécurité continus dans les centrales nucléaires
          de l'Ontario de 1994 à ce jour

En décembre 1994, un tuyau entre une soupape de décharge et un réservoir de trop-plein s’est fendillé sous l’effet de vibrations excessives. De l’eau lourde a ainsi pu s’échapper du réacteur dans une cuve de décantation qui a alors débordé et entraîné un déversement de 140 000 à 150 000 litres d’eau contaminée dans le bâtiment du réacteur. Même si l’eau n’a pas été déversée dans la nature, l’accident a entraîné la fermeture des quatre réacteurs de Pickering A. Au cours de son enquête, la CCEA a découvert que les soupapes de décharge présentaient un défaut de conception fondamental. Les trois réacteurs épargnés par l’accident ont pu être remis en service, mais il a fallu un an à l’Ontario Hydro, au coût de 12 millions de dollars, pour concevoir et installer un nouveau système au réacteur no 2, qui n’a été remis en service qu’en décembre 1995. Les trois autres réacteurs ont été équipés de ce même système.

La CCEA a de nouveau menacé de fermer la centrale de Pickering A en septembre 1995 à cause de ce qu’elle appelait « un nombre considérable d’incidents graves », dont celui que nous venons d’évoquer et d’autres incidents où les ouvriers ont bâclé des travaux d’entretien (comme le réglage des systèmes de sûreté de secours sur le mauvais réacteur et le fait de laisser deux réacteurs sans système de secours pendant plusieurs heures). La CCEA a vertement critiqué les dirigeants et les a menacés de fermer la centrale s’ils n’amélioraient pas l’attitude du personnel en matière de sécurité. La Commission signale que les problèmes semblent découler non pas des déficiences du matériel, mais de l’attitude et de la motivation du personnel. Certains travailleurs imputent le relâchement des mesures de sécurité à la centrale aux compressions de personnel et aux restrictions budgétaires.

En décembre 1996, l’inquiétude constante suscitée par les questions de sécurité à la centrale de Pickering a amené la CCEA à recourir à une mesure exceptionnelle : elle a renouvelé le permis d’exploitation de la centrale pour une période de six mois seulement plutôt que pour deux ans, comme c’est l’habitude. En juin 1997, la CCEA a renouvelé le permis de la centrale pour encore neuf mois, car elle n’était toujours pas satisfaite des progrès accomplis en matière de sécurité.

Les allégations selon lesquelles le fonctionnement de la centrale est maintenant sûr ont été remises en question lorsque les résultats d’évaluations « internes » effectuées par l’Ontario Hydro ont été rendus publics, à la suite d’une contestation des journaux en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Ces évaluations sont effectuées tous les deux à trois ans par des techniciens supérieurs en génie et en sécurité de la division nucléaire de l’Ontario Hydro; leurs observations sont très franches et sans détour. Des opérateurs qui dorment au travail, qui jouent à des jeux sur ordinateur et qui adoptent d’autres comportements susceptibles d’entraîner de graves accidents ont été quelques-uns des problèmes cités. La détérioration des mesures de sécurité aux centrales nucléaires de l’Ontario Hydro a été notée, de même que l’incidence négative des réductions de personnel et le fait que certaines procédures déjà qualifiées d’inacceptables dès 1988 n’avaient pas encore été modifiées.

Le ministre de l’Environnement et de l’Énergie de l’Ontario aurait apparemment déclaré que les centrales nucléaires seraient fermées si elles ne remédiaient pas à leurs problèmes de sécurité de longue date et n’amélioraient pas leurs méthodes d’exploitation.

En réponse à des pressions croissantes de la part de la CCEA et d’autres sources, notamment les évaluations par les pairs, l’Ontario Hydro a retenu les services de sept spécialistes de la gestion étrangers pour gérer son programme nucléaire au cours des prochaines années. Dans le cadre du plan de reprise du secteur nucléaire, l’une des premières mesures qu’a prises ce groupe a été d’effectuer une évaluation indépendante intégrée de la performance (EIIP), dont les résultats ont été rendus publics en août 1997. Les responsables de l’évaluation ont vertement critiqué la gestion de l’Ontario Hydro Nuclear et affirmé que la sûreté de fonctionnement des réacteurs pourrait être sérieusement compromise si les procédures et les pratiques existantes étaient maintenues. Selon l’aperçu du rapport en 15 volumes de l’EIIP, dont la CCEA a fait l’étude, les responsables de l’EIIP et de la CCEA partagent bon nombre des mêmes craintes. Comme nous l’avons signalé précédemment, l’Ontario Hydro a réagi en annonçant la fermeture « temporaire » des centrales Pickering A et Bruce A, ainsi qu’un vaste train de mesures pour améliorer la gestion, la culture de sécurité et les lacunes décelées dans les procédures et le matériel des centrales Pickering B et Bruce B et de celle de Darlington. Le nouveau Plan d’amélioration intégrée a maintenant été approuvé par la direction d’Ontario Hydro. La CCEA a surveillé de près ces efforts et ne renouvellera les permis d’exploitation que si des progrès importants sont accomplis. Dans son plus récent examen annuel des centrales nucléaires d’Ontario Hydro portant sur 1997, la CCEA conclut que, même si l’exploitation des réacteurs est sûre, le taux de non-conformité aux règlements demeure inacceptable. La centrale de Darlington y est citée comme ayant contrevenu aux règlement à huit reprises, la centrale Bruce B, à treize reprises, et les centrales Pickering A et B, à quinze reprises. Les infractions relevées vont du mélange d’une pièce de métal radioactif à un autre métal ou son envoi à une aciérie pour fins de recyclage, à l’autorisation accordée aux travailleurs, contrairement aux règlements, de manger, de boire ou de fumer dans les secteurs des centrales où l’ingestion de particules contaminées est possible.

On a en outre signalé treize incendies distincts à la centrale de Pickering au cours de l’année, nombre que la CCEA juge inacceptable. Le taux élevé d’échec des candidats à l’examen pour l’obtention de postes d’opérateurs nucléaires est également préoccupant. À la centrale de Pickering A, seulement 65 p. 100 des candidats ont réussi l’examen, tandis qu’à celle de Pickering B, le taux est d’à peine 56 p. 100. La CCEA attribue ce taux d’échec élevé au piètre niveau de formation; apparemment, les manuels de formation en usage à ces centrales n’ont pas été révisés depuis dix ans, même si les centrales ont subi entre-temps d’importantes révisions.

      4. Problèmes de sécurité continus à la centrale nucléaire de
          Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick

Dans son examen annuel du réacteur de Point Lepreau pour 1997, la CCEA note que, si les déversements dans le public et dans l’environnement demeurent négligeables et si l’exposition des travailleurs à des rayonnements est bien en-deçà des limites prévues par la loi, la sécurité d’exploitation de la centrale continue de se détériorer. En fait, cet aspect du fonctionnement de la centrale fait l’objet d’une surveillance spéciale depuis 1996, l’entreprise étant tenue de faire rapport aux six mois à la CCEA des progrès accomplis au chapitre de l’amélioration de la culture de la sécurité à la centrale. Le retard de la maintenance, la fatigue des travailleurs et la détérioration générale de l’état de la centrale sont tous des facteurs cités comme faisant problème.

La CCEA était tellement mécontente des premières initiatives prises par l’entreprise pour remédier à ces problèmes qu’elle a exigé en août 1998 la préparation d’un plan d’action ordonné et fait savoir que l’absence de preuves quant à la réalisation effective de progrès risquait de compromettre le renouvellement du permis d’exploitation de la centrale en octobre 1998. Au début d’octobre, la CCEA a annoncé le renouvellement du permis d’exploitation pour deux ans, sous réserve qu’on lui fasse rapport de l’état d’avancement du plan d’amélioration du rendement de la centrale.

MESURES PARLEMENTAIRES

Le 21 mars 19996, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-23, Loi constituant la Commission canadienne de sûreté nucléaire et modifiant d’autres lois en conséquence. Celui-ci a reçu la sanction royale le 20 mars 1997 et devrait entrer en vigueur d’ici la fin de 1998. Les règlements ont été ébauchés et en sont à l’étape de la consultation publique. Cette mesure aura pour effet de scinder pour la première fois la compétence législative dans le domaine de la recherche et du développement en matière d’énergie nucléaire de la réglementation des mesures de sécurité nucléaire. En changeant le nom de la Commission de contrôle de l’énergie atomique (CCEA) en Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), elle permettra aussi d’établir une distinction plus nette entre l’Énergie atomique du Canada Ltée. (EACL) et son organisme de réglementation, la CCEA.

La nouvelle mesure donne à la CCSN le pouvoir législatif particulier que la CCEA exerce maintenant en vertu d’un article de portée très générale de l’actuelle Loi sur le contrôle de l’énergie atomique. Elle permet aussi aux provinces de faire respecter certains aspects du fonctionnement des centrales nucléaires qui sont de leur compétence. Comme la loi actuelle englobe l’ensemble des activités d’une centrale nucléaire, même la réglementation sanitaire des cafétérias, ces aspects relèvent techniquement du gouvernement fédéral en ce moment.

CHRONOLOGIE

1er août 1983 - Une défaillance d'un tube de force se produit au réacteur 2 de Pickering. Il s'agit de la première défaillance importante du système primaire de refroidissement d'un réacteur CANDU. Ce réacteur est mis hors service pour le remplacement des tubes.

14 novembre 1983 - On arrête le réacteur 1 de Pickering pour vérifier l'accumulation d'hydrogène dans les tubes de force.

7 mars 1984 - L'Ontario Hydro annonce que tous les tubes de force de l'unité 1 de Pickering seront remplacés.

26 avril 1986 - L'explosion et l'incendie survenus à la centrale nucléaire no 4 de Tchernobyl en URSS détruisent le réacteur et libèrent des quantités massives d'éléments radioactifs provenant du coeur du réacteur.

25 août 1986 - L'Agence internationale de l'énergie atomique reçoit le rapport officiel de l'Union soviétique sur les causes et les effets de l'accident de Tchernobyl et en entame l'étude. Selon le rapport, de graves négligences humaines ont causé l'accident.

septembre 1986 - Le Canada signe deux conventions internationales sur la sûreté nucléaire. En vertu de la première, il s'engage à signaler rapidement tout accident nucléaire et à fournir des informations à ce sujet; aux termes de la seconde, il promet assistance à tout pays victime d'un accident nucléaire.

novembre 1986 - Fin de la construction du sarcophage de béton qui renferme les restes du réacteur 4 détruit lors de l'accident de Tchernobyl. On s’inquiète aujourd’hui de l’intégrité du sarcophage, dont le remplacement est jugé prioritaire.

février 1991 - L’unité no 2 de la centrale nucléaire de Tchernobyl est endommagée par un incendie. Elle n’a pas été remise en service et sa fermeture définitive était prévue pour 1996.

décembre 1994 - La défaillance d’une soupape de décharge à la centrale de Pickering entraîne le déversement de 150 000 litres d’eau contaminée à l’intérieur de la structure de confinement.

mai 1996 - Les autorités ukrainiennes et les représentants des pays membres du G-7 s’entendent sur le financement et les dates de mise hors service des réacteurs de la centrale de Tchernobyl. L’unité n2 devait être retirée du service pour de bon en 1996, l’unité n1 en 1997, et l’unité n3 (voisine du sarcophage qui enveloppe l’unité n4) en 1999.

mars 1997 - La Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires obtient la sanction royale, ce qui permet enfin de séparer l’organisme de réglementation en matière nucléaire (anciennement la CCEA, qui devient maintenant la Commission canadienne de sûreté nucléaire, ou CCSN) de l’industrie qu’il réglemente.

août 1997 - On diffuse les résultats d’une évaluation indépendante intégrée de la performance de l’Ontario Hydro Nuclear. De sérieuses lacunes touchant bon nombre des aspects du fonctionnement des centrales nucléaires sont relevées. L’Ontario annonce la fermeture de toutes les unités des centrales Pickering A et Bruce A ainsi que des changements importants aux autres centrales.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Comité d'État de l'URSS sur l'utilisation de l'énergie atomique. L'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl et ses conséquences. Documentation établie pour la réunion d'experts de l'AIEA tenue à Vienne du 25 au 29 août 1986, parties I et II.

Cruickshank, Andrew. « Putting Policy Into Practice in the United States ». Nuclear Engineering International, mars 1987, p. 24-28.

Donnelly, W. et al. « The Chernobyl Accident: Causes, Initial Effects and Congressional Response ». Major Issue System, Issue Brief #IB86077. Washington (D.C.), Service de recherche du Congrès, 16 septembre 1986.

« Nuclear Power: Status and Outlook ». Agence internationale de l’énergie atomique. Paris, juillet 1996.

Ontario Hydro. Report to Management: IIPA (Independent Integrated Performance Assessment)/SSFI (Safety systems Functional Inspections) Evaluation Findings and Recommendations. 13 août 1997.

« Still a Political Target: World Survey of Nuclear Power ». Nuclear Engineering International, juin 1996, p. 31-37.


La première version de ce bulletin d'actualité a été publiée en octobre 1983.  Le document a été périodiquement mis à jour depuis.