83-5F

 

L'EXPLOITATION DES RÉSERVES DE PÉTROLE
ET DE GAZ AU LARGE DE LA CÔTE EST

 

Rédaction :
Sonya Dakers, Lynne C. Myers
Division des sciences et de la technologie
Révisé le 7 août 2001


TABLE DES MATIÈRES

DÉFINITION DU SUJET

CONTEXTE ET ANALYSE

   A. La prospection

      1. Historique
      2. Effets sur l'environnement
      3. Icebergs, tempêtes et sécurité
      4. Conflits de compétence

   B. L'exploitation

      1. Les conséquences de l'exploitation des ressources pétrolières et gazières
      2. L'exploitation au large de la Nouvelle-Écosse
      3. Les plans d'exploitation d'Hibernia
         a. Introduction
         b. Historique
         c. Faits récents
      4. Autres projets de mise en valeur sur les Grands Bancs

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 


L’EXPLOITATION DES RÉSERVES DE PÉTROLE
ET DE GAZ AU LARGE DE LA CÔTE EST*

 

DÉFINITION DU SUJET

La découverte d’importants gisements de pétrole et de gaz naturel au large de la côte Est laisse entrevoir d’énormes avantages économiques et stratégiques pour le Canada.

Deux gros gisements en particulier, le gisement de gaz naturel Venture et le gisement pétrolier Hibernia, ont stimulé comme jamais auparavant les activités liées au pétrole et au gaz sur la côte de l’Atlantique dans les années 80, en dépit d’un long conflit de compétence entre le gouvernement fédéral et Terre-Neuve.  En mars 1984, l’aspect juridique de la propriété a été tranché par la Cour suprême du Canada, ce qui a permis à la prospection d’aller de l’avant, mais sans l’accord de Terre-Neuve.  Après d’autres négociations, un accord fédéral-provincial, semblable à celui qui existait déjà avec la Nouvelle-Écosse, a été signé en février 1985 en vue de permettre la gestion en commun de l’exploitation des réserves marines de pétrole et de gaz.

La prospection et l’exploitation apportent des avantages à la région, par exemple des emplois, la mise sur pied de systèmes de transport du pétrole et du gaz et la construction du matériel de forage et son entretien.   Mais elles entraînent aussi la possibilité de certains problèmes.  En effet, la sécurité des activités de forage au large des côtes comporte toujours des risques à cause des conditions climatiques difficiles dans lesquelles elles sont effectuées.  En outre, il faut tenir compte des répercussions socioéconomiques de l’exploitation du pétrole et du gaz sur la région pour ce qui est des besoins en biens et services, de l’infrastructure, de l’emploi et de la formation.  Le rythme de l’exploitation aura une importance cruciale en ce qui a trait à l’optimisation des entreprises locales et des possibilités d’emploi et à la réduction, au maximum, des interruptions de service.

Les conflits entre la nouvelle industrie pétrolière et gazière et les pêches, qui ont toujours eu une grande importance, devront être résolus, ainsi que le problème des effets de l’exploitation sur les ressources marines.

CONTEXTE ET ANALYSE

   A. La prospection

      1. Historique

D’après la théorie généralement acceptée de la tectonique des plaques, le bassin sédimentaire situé au large de la côte Est du Canada aurait déjà fait partie du continent européen. Étant donné que cette région présente des caractéristiques géologiques très proches de celles de la mer du Nord, il est permis de supposer qu’elle pourrait aussi posséder des ressources comparables en hydrocarbures.  À ce jour, on estime à quelque 22 milliards de barils les réserves de pétrole récupérable dans la seule zone de la mer du Nord contrôlée par le Royaume-Uni.  Ces perspectives géologiques favorables ont incité des sociétés d’exploration à entreprendre, en 1966, des travaux de prospection pétrolière et gazière au large de la côte Est du Canada.  Bien que les premiers travaux de forage n’aient pas donné de résultats spectaculaires, on a découvert plusieurs indices très encourageants de la présence de pétrole et de gaz.  Ces perspectives de succès, jointes aux résultats du forage pétrolier dans la mer du Nord, ont encouragé les sociétés pétrolières à poursuivre d’année en année de modestes programmes de forage.

Le premier puits, foré dans les Grands Bancs de Terre-Neuve en 1966, a donné des indices de la présence de gaz naturel.  La région du plateau de la Nouvelle-Écosse a été explorée pour la première fois en 1967, le golfe du Saint-Laurent en 1970, le plateau du Labrador en 1971, l’est du plateau de Terre-Neuve en 1974 et la baie de Fundy en 1975.  Bien que la plupart des forages aient révélé la présence de traces de pétrole ou de gaz, le premier gisement important de gaz – le gisement Venture, situé au large de l’île de Sable – n’a été découvert qu’en 1979.   On estime maintenant à plus de 72 milliards de mètres cubes les réserves du gisement Venture (environ 2,5 billions de pieds cubes).  À l’échelle d’un pays qui possède déjà des réserves de gaz naturel prouvées de quatre billions de mètres cubes, cette découverte peut ne pas sembler particulièrement importante.  Elle revêt cependant une importance stratégique particulière, vu la proximité d’une région du Canada dont la majeure partie des besoins énergétiques dépend encore du pétrole importé.

La découverte du gisement Venture a été suivie, en l’espace de quelques mois, de l’annonce de la découverte d’un important gisement de pétrole dans les Grands Bancs, à savoir le gisement Hibernia.  Ses réserves récupérables avaient initialement été estimées à 175 millions de mètres cubes (1,1 milliard de barils).  Cette estimation a été revue, à la baisse, à environ 140 millions de mètres cubes (884 millions de barils).  Hibernia représente une découverte d’importance nationale puisque les réserves prouvées de pétrole brut ordinaire du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien diminuent.

La découverte d’Hibernia a relancé des activités de prospection au large de la côte Est, en particulier dans le bassin Jeanne-d’Arc, où se trouve Hibernia.  Entre 1966 et 1979, on avait investi au total quelque 300 millions de dollars dans la recherche d’hydrocarbures au large de la côte Est du Canada; au cours de la seule année 1981, les sociétés de prospection y ont dépensé 442 millions de dollars.  Durant la mise en œuvre du Programme d’encouragement du secteur pétrolier, créé en 1982 et supprimé graduellement à partir de mars 1986, les entreprises ont consacré 4,5 milliards de dollars à la prospection dans cette région.   Alors que seulement huit ou neuf puits avaient été forés annuellement entre 1978 et 1982, 21 puits l’ont été en 1983 et 23 en 1984, lorsque les activités ont atteint un sommet.  En novembre 1986, le rythme d’activité a ralenti à tel point qu’entre cette date et le début de la saison de 1989, seuls deux puits ont été achevés.  Un de ceux-ci a abouti à une nouvelle découverte de pétrole et de gaz naturel.  L’Administration du pétrole et du gaz des terres du Canada signalait, dès 1989, que les ressources(1) découvertes au large de la côte Est étaient évaluées à 258,9 millions de mètres cubes (1,6 milliard de barils) de pétrole et de condensats et à 313,4 milliards de mètres cubes (11 billions de pieds cubes) de gaz naturel.  Un seul puits a été foré en 1990.  Le rythme d’activité s’est accru en 1991, sept puits d’exploration ayant été forés, dont cinq au large de Terre-Neuve.  On a également procédé au forage des cinq premiers puits de production au large de la Nouvelle-Écosse.  Aucun forage n’a été effectué au large de Terre-Neuve en 1992 et 1993.  Au large de la Nouvelle-Écosse, trois puits de production ont été forés en 1992 et sept, en 1993.  Après une interruption d’environ quatre ans, plusieurs sociétés ont indiqué qu’elles comptaient reprendre le forage d’exploration en 1997.  En 1999, trois puits d’exploration et quatre puits de délimitation ont été forés au large de Terre-Neuve, et neuf programmes géophysiques ont été effectués.  Le regain d’intérêt pour les gisements au large de la côte Est s’étend maintenant au-delà du bassin Jeanne-d’Arc jusqu’au secteur de la Passe Flamande.  L’activité s’est poursuivie à un rythme élevé en 2000-2001 : sept études géophysiques ont été réalisées et deux puits de délimitation ont été forés.  La vente rapide de nouvelles concessions a contribué à porter à 629 millions de dollars le total des engagements en prospection au large de Terre-Neuve.  La prospection au large de la Nouvelle-Écosse se poursuit également : quatre puits d’exploration et deux puits de délimitation ont été forés, et 12 programmes géophysiques ont été réalisés durant l’année financière 2000-2001.

      2. Effets sur l'environnement

Les risques écologiques constituent une préoccupation partout où l’on procède à l’exploitation de ressources pétrolières et gazières, mais les zones de pêche des Grands Bancs, du plateau de la Nouvelle-Écosse et des eaux situées au large de la côte Nord du Labrador sont particulièrement vulnérables.  La région d’Hibernia est aussi une importante zone de frai du poisson, et l’on sait que les larves de poisson sont très sensibles à la moindre trace de pollution.

Pendant la phase de prospection, les fluides et les déblais de forage ainsi que l’eau provenant des gisements de pétrole et de gaz sont libérés dans la mer.   Or, certains des additifs contenus dans ces fluides sont toxiques pour les organismes aquatiques.  Pour compromettre le moins possible les pêches, il faut absolument contrôler la quantité et le type de déchets que les équipes de prospection rejettent à la mer.

La possibilité d’éruption d’un puits représente une deuxième menace grave pour l’environnement.  Les risques de répercussions graves sur l’environnement sont augmentés par les conditions météorologiques hostiles qui règnent dans l’Atlantique Nord en hiver et par la présence, dans certaines régions, d’une banquise impénétrable.  De telles circonstances pourraient, en cas d’urgence, ralentir les efforts d’obturation d’un puits et contribuer ainsi à accroître l’ampleur des dégâts.  En fait, deux explosions se sont produites dans la région en 1984 au cours du forage de deux puits de gaz dans le gisement Venture au large de l’île de Sable.  L’éruption du premier puits a été maîtrisée dix jours après le premier incident, en mars 1984, alors que le deuxième puits, où l’explosion s’est produite en septembre 1984, n’a été obturé pour de bon et abandonné qu’en juillet 1985.  Comme prévu, les conditions météorologiques ont empêché toute tentative immédiate d’intervention en vue d’évaluer la situation et d’y remédier.  Heureusement, dans ces deux cas, c’est du gaz à faible teneur en soufre, et non du pétrole brut, qui s’est échappé des puits.

Un problème de pollution tout à fait différent s’est posé dans la mer du Nord et pourrait fort bien survenir dans la région de la côte Est.  On sait que les navires de ravitaillement et d’entretien, lorsqu’ils se rendent aux plates-formes de forage ou lorsqu’ils en reviennent, jettent à la mer des pièces volumineuses de machines qui ne servent plus.  Ces débris se déposent sur le fond marin et peuvent endommager les filets que les pêcheurs traînent derrière leurs bateaux.  Dans un cas donné, les sociétés pétrolières ont dû débourser 60 millions de dollars pour nettoyer une partie des zones de pêche de la mer du Nord, dont le fond était littéralement jonché de débris de ce genre.

De tels dangers pour l’environnement ne sont pas liés uniquement aux activités de prospection et pourraient s’accroître pendant les phases de mise en valeur et de production.  Des règlements strictement appliqués et une surveillance constante seront nécessaires pour réduire au maximum les dommages que risque de subir l’environnement.

      3. Icebergs, tempêtes et sécurité

Des photographies prises au moyen de « caméras » perfectionnées fonctionnant au sonar révèlent l’existence de tranchées et de sillons profonds qui s’entrecroisent sur le fond marin au large de la côte Est du Canada.   Ces tranchées, qui atteignent jusqu’à l5 mètres de profondeur, deux cents mètres de largeur et trois kilomètres de longueur, témoignent du passage d’icebergs monstrueux (affouillement des icebergs).  Ces derniers, dont le poids peut atteindre 50 millions de tonnes et qui s’élèvent comme des gratte-ciel au-dessus de l’eau, constituent l’une des plus grandes menaces pour les opérations en haute mer.  La présence d’icebergs et de « blocs mamelonnés » (blocs de glace qui se sont détachés d’un iceberg) ainsi que les violentes tempêtes de l’Atlantique – vents impétueux, embruns verglaçants, neige et très faible visibilité – donnent une idée des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les activités de prospection se déroulent.

Le mois de février se prête particulièrement mal au forage, et l’on se demande parfois si les sociétés pétrolières ne devraient pas interrompre toutes leurs activités en mer pendant l’hiver.  Par exemple, l’hiver 1982-l983 a été exceptionnellement dur.  Le Service international de recherche des glaces a rapporté la présence de 120 icebergs au sud du 48e degré de latitude nord en février 1983.  Depuis 1900, la moyenne pour ce mois est de neuf.  Un des moyens de supprimer le danger que constituent les icebergs pour les plates-formes de forage consiste à les remorquer à bonne distance de celles-ci.  C’est cependant impossible lorsque leur présence près d’une plate-forme coïncide avec des vents forts et une mer houleuse.  Une telle combinaison d’éléments n’est pas inusitée; elle s’est produite en février 1983 lorsque la plate-forme de forage West Venture, dans le champ pétrolifère Hibernia, s’est trouvée cernée par près de dix icebergs et de nombreux blocs mamelonnés.  Dans de telles circonstances, les règlements prévoient qu’on interrompe le forage, qu’on obture le puits et qu’on s’éloigne de la zone si les icebergs pénètrent dans la zone de sécurité. C’est ce que l’équipage de la plate-forme West Venture a tenté de faire, mais la force des vagues était telle qu’il a été impossible de lever les dix ancres qui la maintenaient en place au-dessus du puits.   De plus, les conditions météorologiques interdisaient l’évacuation des 84 membres d’équipage par hélicoptère ou par bateau.  Heureusement pour tous les intéressés, l’orage a passé; si cela avait été nécessaire, on aurait pu remorquer les icebergs et évacuer les employés par hélicoptère.  Cet épisode montre bien les dangers que comportent les opérations pétrolières en haute mer.

De nouvelles plates-formes, à positionnement dynamique, plutôt qu’à ancrage, ont été mises en service en juillet 1983 dans le but d’éliminer certains des problèmes auxquels a dû faire face la plate-forme West Venture.  La Sedco 710, plate-forme semi-submersible, a été construite sur commande au Japon au coût de 150 millions de dollars pour le compte d’une coentreprise formée de Petro-Canada et de la société Sedco Inc., de Dallas.  Elle est maintenue au-dessus de l’ouverture du forage par de puissants propulseurs contrôlés par ordinateur.  Elle est plus mobile que les plates-formes ancrées et peut rapidement se déplacer devant un iceberg.

Les plates-formes de forage sont dotées de systèmes de radar conçus pour localiser les icebergs et suivre leur mouvement.  Lorsque le temps est favorable, on survole régulièrement les environs et on repère les icebergs à l’œil nu ou par radar.  Lorsque la mer est forte, l’efficacité de ces deux types de détection est réduite et, par mauvais temps, on est souvent obligé d’annuler les vols de surveillance.  Une troisième méthode de détection consiste à patrouiller les environs à bord de navires.  On peut alors détecter tout ce qui se trouve à portée de vue.  Cette méthode dépend par conséquent de la visibilité et de l’état de la mer.

Un tragique accident, survenu au début des travaux de prospection en mer, a révélé à quels dangers les travailleurs s’exposent quand ils travaillent dans des conditions aussi difficiles.  En février 1982, le mauvais temps et certains autres facteurs ont causé le pire désastre qui soit survenu dans l’histoire canadienne de l’industrie pétrolière et gazière au large des côtes.  Le 15 février 1982, la plate-forme de forage Ocean Ranger a coulé à une profondeur de 85 mètres à 280 kilomètres au sud-est de St. John’s (Terre-Neuve).  Les 84 membres d’équipage ont perdu la vie dans ce tragique accident.  Selon les statistiques météorologiques, des vagues de 26 mètres (85 pieds) de hauteur et des vents de 90 nœuds (104 mi/h) ont battu la plate-forme le jour où elle a coulé.

Une commission royale d’enquête, présidée par le juge en chef T.A. Hickman de la Cour suprême de Terre-Neuve, a été instituée pour faire la lumière sur cette tragédie.  La commission a déposé son rapport de 400 pages sur l’incident au mois d’août 1984 et a conclu que la perte de l’Ocean Ranger et de son équipage a résulté d’un ensemble de facteurs, dont une violente tempête, certains vices de conception de la plate-forme et le fait que l’équipage n’a pas pris les mesures voulues.  La plate-forme a chaviré et coulé lorsque de l’eau de mer a pénétré dans la salle de contrôle du système de lestage par un hublot qu’une vague avait fait éclater pendant la tempête, ce qui a causé une défaillance du système.  La commission a conclu que malgré tout, la plate-forme aurait résisté à la tempête si l’équipage avait coupé le courant et fermé les contre-hublots (panneaux d’acier conçus pour protéger les hublots).  Au lieu de cela, l’équipage, qui ne connaissait pas suffisamment le système de lestage, l’a remis en marche, ce qui a fait pénétrer encore plus d’eau à bâbord.   La plate-forme a alors chaviré et coulé, entraînant avec elle la totalité de l’équipage.

La commission a estimé que le système de contrôle du lestage était trop compliqué, que l’équipage n’en connaissait pas suffisamment le fonctionnement et qu’il n’y avait pas assez de canots de sauvetage et de matériel de survie à bord de la plate-forme.  De plus, d’autres témoignages ont révélé que l’entraînement à l’évacuation d’urgence reçu par les membres de l’équipage était insuffisant.  Dans un deuxième rapport de 693 pages publié en juillet 1985, la commission a formulé 70 recommandations visant à améliorer la sécurité au large de la côte Est.

Les gouvernements fédéral et provincial n’ont pas attendu les rapports de la commission pour modifier leurs règlements de manière à perfectionner les systèmes de sécurité des plates-formes de forage.  Toutes doivent maintenant transporter des canots de sauvetage et des vêtements de survie pour deux fois le nombre de personnes qui s’y trouvent, et tous les membres d’équipage doivent suivre un cours sur les consignes d’urgence en mer.

Selon le gouvernement fédéral, 85 p. 100 des recommandations avaient été totalement ou partiellement mises en œuvre avant avril 1986. Les dernières recommandations ont été mises en œuvre grâce à l’adoption du projet de loi C-58 :  Loi modifiant la Loi sur la production et la rationalisation de l’exploitation du pétrole et du gaz, qui a reçu la sanction royale le 23 juin 1992.  En dépit de ces mesures et de maints autres efforts visant à améliorer les normes de sécurité sur les plates-formes de forage, il n’en demeure pas moins que la mer au large de la côte Est peut se révéler fort peu propice à l’activité humaine.

      4. Conflits de compétence

La question la plus épineuse à laquelle s’est trouvée confrontée l’industrie de l’exploitation pétrolière et gazière au large des côtes les premières années a consisté à savoir si les ressources sous-marines appartiennent au gouvernement fédéral ou aux provinces.  Le problème de la compétence des gouvernements varie d’une province à l’autre, mais il n’a nulle part été aussi délicat qu’à Terre-Neuve.

Les aspects juridiques de ce conflit fédéral-provincial historique sont exposés en détail dans le bulletin d’actualité no 80-8F intitulé Les ressources minières au large des côtes : aspects juridiques, qui est maintenant un document d’archives.

   B. L'exploitation

      1. Les conséquences de l'exploitation des ressources pétrolières et gazières

C’est l’exploitation du pétrole et du gaz, plus que leur prospection, qui aura les conséquences les plus marquées sur l’économie et la structure sociale des provinces de l’Atlantique dans les années à venir.  Les dépenses de prospection ont certes des répercussions sur l’économie locale, et la phase de la prospection est généralement plus saisonnière et donc moins « permanente » que celles de l’exploitation et de la production.   Néanmoins, nombre de questions traitées dans le présent chapitre s’appliquent tout autant à la phase de la prospection qu’aux deux autres.

Pour évaluer avec concision l’importance des retombées économiques qu’apportera l’exploitation du pétrole et du gaz dans la région de l’Atlantique, il suffit d’un seul mot : gigantesque.  En effet, au fur et à mesure que les activités de prospection progresseront et céderont la place aux activités d’exploitation et de production, les besoins en biens et services grimperont en flèche :

  • appareils, boues et tiges de forage;

  • nourriture pour les équipes de forage et l’équipage des navires de ravitaillement;

  • ingénieurs, géologues et biologistes avec leurs navires de recherche et le matériel et les approvisionnements nécessaires;

  • entrepôts et installations portuaires;

  • logements et écoles pour les familles des employés des installations de forage et des navires de ravitaillement;

  • personnel de la météorologie avec son matériel;

  • équipement perfectionné de communication et d’informatique.

Ces besoins énormes de ressources humaines, de biens et de services fournissent aux provinces de l’Atlantique l’occasion de relancer leur économie.  Mais si l’expansion est trop forte et trop rapide, la population pourra-t-elle s’y adapter?  Les ressources humaines de la région pourront-elles satisfaire aux exigences de cette nouvelle industrie, et les entreprises locales seront-elles en mesure de faire face à la demande?  Si l’expansion est trop rapide et que la région ne puisse suffire à la demande, les industries du pétrole et du gaz iront chercher ailleurs ce qui leur manque, et ce sera autant d’occasions perdues pour la population locale.  En outre, les provinces se livrent une concurrence farouche pour attirer le plus grand nombre possible d’entreprises du secteur des services liés à l’exploitation des ressources sous-marines.

La province de Terre-Neuve, par exemple, impose une politique d’achat selon laquelle les sociétés commerciales sont tenues par la loi d’accorder la préférence aux entreprises, à la main-d’œuvre, aux biens et aux services locaux lorsque ceux-ci sont concurrentiels du point de vue des prix, de la qualité et de la distribution.  En outre, en vertu d’un règlement actuellement en vigueur, tout projet de développement doit d’abord recevoir l’approbation du ministre de l’Énergie, puis être soumis à l’examen attentif du public et faire l’objet d’un débat.  Il existe même une disposition qui prévoit une période d’attente lorsque le développement semble s’effectuer à un rythme trop rapide pour les moyens locaux.  Les sociétés se sont pliées aux exigences fixées, et le taux de participation de la main-d’œuvre locale est très élevé dans certaines catégories (il varie entre 55 p. 100 pour les opérations de forage sismique et 71 p. 100 pour le personnel de soutien). Une étude du gouvernement provincial, intitulée The Economic Impact of Future Offshore Petroleum Exploration, a déterminé les secteurs dans lesquels la province pourrait accroître sa part des retombées économiques et les moyens à prendre pour augmenter au maximum la participation locale.  Parmi les secteurs visés, il y avait la mise en place d’éléments d’infrastructure (installations portuaires et bases aériennes) et la prestation de services indirects comme l’alimentation et la réparation d’instruments électroniques.  Hibernia et les autres projets pétroliers et gaziers ouvrent des possibilités de développement économique énormes pour Terre-Neuve.  L’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers a signalé que, en 2000, les dépenses en travaux au large de Terre-Neuve s’élevaient à 1,4 milliard de dollars, portant le total cumulé à 13,6 milliards de dollars depuis 1996.   À la fin de 2000, un total de 3 100 personnes étaient directement engagées dans des activités pétrolières, dont 86 p. 100 étaient des résidants de la province.  On évalue à 11,5 milliards de dollars le total des coûts d’exploitation du projet.

En Nouvelle-Écosse, l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers doit assurer à la population de la province et du reste du Canada un accès juste et entier aux possibilités d’emploi qu’offrent les projets pétroliers et gaziers extra-côtiers.  En vertu du règlement d’application de la loi qui établit l’Office, toute compagnie qui demande une autorisation de travail doit soumettre un plan Canada-Nouvelle-Écosse de retombées économiques avant que sa demande puisse être approuvée.  Ces mesures ont porté fruit et plusieurs entreprises dont les activités sont liées au pétrole ont été établies et réussissent bien.  Nombre de ces compagnies sont membres de l’Offshore/Onshore Technologies Association of Nova Scotia. Les objectifs des plans ont été atteints, voire dépassés dans certains cas.  Ainsi, le bilan du projet Cohasset (dont il est question ci-après) – premier projet pétrolier extra-côtier commercial au Canada – indiquait qu’en sept ans d’exploitation 78 p. 100 des personnes employées étaient de la Nouvelle-Écosse, 12,5 p. 100 d’autres régions du Canada et 9,5 p. 100 à peine de l’étranger.  En décembre 2000, la composition de l’effectif cumulé du projet gazier de l’île de Sable (dont il est aussi question ci-après) était de 54 p. 100 de Néo-Écossais, de 11 p. 100 de Canadiens d’autres régions et de 35 p. 100 d’étrangers.

      2. L'exploitation au large de la Nouvelle-Écosse

La signature de l’accord sur la gestion des ressources et le partage des recettes entre Ottawa et la Nouvelle-Écosse en mars 1982 a donné à la Mobil Oil du Canada le feu vert pour mettre à exécution ses plans d’exploitation des ressources gazières du gisement Venture.  Sous la direction de représentants des gouvernements provincial et fédéral, Mobil a rédigé une analyse de l’impact socio-économique (AISE).  L’AISE comprenait une foule de renseignements sur divers aspects du projet, comme ses caractéristiques (ouvrages en mer, pipelines, usine de gaz, etc.), son contexte économique (population régionale, main-d’œuvre, répercussions sur l’emploi), ses besoins prévus en terrains, ses conséquences sur le logement, ses besoins en matière d’infrastructure et de services communautaires ainsi que ses répercussions socio-culturelles.  Pour chacun de ces sujets, l’AISE décrivait la situation actuelle, les répercussions prévues et les mesures correctives à envisager éventuellement pour réduire les effets néfastes du projet ou accentuer ses effets bénéfiques.

On n’avait donné aucune garantie relative à la date où commencerait la production, même si deux accords importants pour la vente du gaz de Venture à des sociétés de services publics du Nord-Est des États-Unis avaient été conclus en décembre 1984.  Si la découverte de Venture était très prometteuse, les résultats décevants du forage des puits de délimitation ont quelque peu refroidi l’enthousiasme que suscitait le projet.

En juillet 1985, Mobil Oil, Petro-Canada, Nova Scotia Resources et Texaco, partenaires dans l’exploitation du gisement Venture, ont demandé à l’Office national de l’énergie (ONE) l’autorisation d’exporter 8,5 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour vers la Nouvelle-Angleterre à compter de 1990.  Néanmoins, les quatre sociétés n’ont jamais rendu cette demande définitive ni fourni à l’ONE les données détaillées sur les réserves qui auraient permis de confirmer la viabilité commerciale du projet.

Le projet est donc resté bloqué à ce stade jusqu’en juin 1995.   À la lumière de travaux d’exploration et de délimitation plus poussés, les réserves de gaz récupérables ont été estimées à trois billions de pieds cubes.  Le consortium a lancé une évaluation préalable à l’exploitation du Projet énergétique extracôtier de l’île de Sable –un prolongement du projet Venture – et déposé une demande de mise en valeur au printemps 1996.  Le consortium – composé de Mobil Oil (50 p. 100), de Shell Canada Limitée, l’exploitant, (35 p. 100), de la Compagnie pétrolière impériale Ltée (9 p. 100) et de Nova Scotia Resources Limited (6 p. 100) – se propose de produire 400 millions de pieds cubes de gaz et 20 000 barils de liquides de gaz naturel par jour.  Le premier puits a été foré au printemps de 1998, et le forage se poursuivra au cours des 25 prochaines années jusqu’à la pleine mise en valeur du gisement.  La mise en place du gazoduc marin reliant la première plate-forme de production au point d’arrivée à terre, à County Harbour, en Nouvelle-Écosse, a été terminée au début de septembre 1999.  Les canalisations de gaz naturel et de liquides du gaz naturel vers le Cap-Breton sont aussi en place.  L’usine de fractionnement de Point Tupper et l’usine de gaz naturel de Goldboro sont également presque terminées, et trois plates-formes de production sont installées sur le site.  Le Projet énergétique extracôtier de l’île de Sable est entré en production le 31 décembre 1999, à temps et dans les limites du budget.  Le gaz naturel de la région est transporté vers les marchés de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du nord-est des États-Unis par le Maritimes and Northeast Pipeline et par ses embranchements.

Une proposition visant la production de 30 000 barils par jour de brut léger au milieu de 1992 à partir de deux petits gisements situés à Cohasset et à Panuke, à l’ouest de l’île de Sable a été approuvé par règlement le 12 septembre 1990.  La mise en œuvre de ce projet COPAN de 565 millions de dollars a amené la première production de pétrole à une échelle commerciale au large de la côte Est du Canada, créant 380 emplois dans la région chaque année pendant la période de construction et 260 autres durant les six années prévues du projet.  La Lasmo Nova Scotia Ltd., premier maître d’œuvre du projet, a vendu en 1996, ses 50 p. 100 de parts à PanCanadian Petroleum Ltd.  Le reste appartient à la société d’État Nova Scotia Resources.  En juillet 1992, Lasmo a expédié par pétrolier les 500 000 premiers barils de pétrole léger à Mobile, en Alabama.

Après sa prise de contrôle, PanCanadian a continué à exporter 500 000 barils de pétrole, deux fois par mois, à des acheteurs européens et américains, utilisant les 18 000 barils par jour de brut léger pompés dans neuf puits.  Fin décembre 1999, le projet COPAN avait atteint le terme de sa vie utile.  Selon les premières estimations, la production totale devait atteindre quelque 35 millions de barils.  Toutefois, grâce aux améliorations technologiques apportées au cours du projet, elle a dépassé 44 millions de barils de brut léger non corrosif.  Les puits ont été désaffectés tout au long de 2000, mais on conservera des parties de l’infrastructure pour d’autres travaux d’exploration.  En fait, un gisement d’un billion de pieds cubes de gaz naturel découvert plus en profondeur au site Panuke (de là son nom de Deep Panuke) est actuellement mis en valeur.  PanCanadian entend déposer à la fin de 2001 son plan de retombées économiques et son plan de mise en valeur auprès de l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, et de faire débuter la production en 2005 à raison de 400 millions de pieds cubes par jour.

      3. Les plans d'exploitation d'Hibernia

         a. Introduction

L’exploitation du gisement Hibernia a présenté des problèmes bien particuliers. D’abord, ce gisement est situé dans les Grands Bancs, où l’environnement est beaucoup plus hostile qu’au large de l’île de Sable.  En outre, le forage doit s’y faire en eau profonde (76 à 78 mètres de fond, contre 22 mètres pour le gisement Venture).  Cela complique le choix des systèmes de production et de transport qui, estime-t-on, coûteront trois fois plus cher dans le cas d’Hibernia.  L’exploitation du gisement Venture nécessitera l’utilisation de techniques relativement simples de forage en mer, tandis qu’il a fallu mettre au point de nouvelles techniques pour Hibernia.  La production a tout de même débuté en novembre 1997.

         b. Historique

Une commission du Bureau fédéral d’examen des évaluations environnementales a d’abord été nommée en mars 1985 et a tenu des audiences publiques sur l’évaluation des incidences environnementales en octobre.  Dans son rapport, rendu public à la mi-janvier 1986, elle approuvait l’exploitation d’Hibernia, mais formulait aussi 50 recommandations détaillées sur la façon de procéder.

Le 24 juin 1986, l’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers a approuvé les plans relatifs à l’exploitation et aux avantages d’Hibernia.  Mobil et ses partenaires ont commencé à négocier avec les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve sur des questions de régime fiscal et de niveaux de taxes et de redevances.  La compagnie a demandé aux autorités fédérales une garantie d’emprunt d’un milliard de dollars.

Le 18 juillet 1988, le gouvernement fédéral a révélé les détails d’un accord conclu avec un consortium de quatre sociétés au sujet de l’exploitation du gisement Hibernia.  L’accord prévoyait une subvention fédérale d’immobilisations de 1,04 milliard de dollars, une garantie fédérale d’emprunt de 1,66 milliard de dollars, une participation fédérale de 300 millions de dollars aux intérêts, un financement temporaire de 175 millions de dollars, une contribution de 95 millions de dollars du Fonds Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers ainsi qu’un montant de 11 millions de dollars versé par le gouvernement de Terre-Neuve, sans compter des réductions et des exonérations d’impôt.  On estimait à 5,2 milliards de dollars le coût de ce projet, auquel devaient s’ajouter 3,3 milliards de dollars de dépenses liées à la production.  La date prévue pour le parachèvement des détails de l’accord, d’abord fixée au 31 mars 1989, a été reportée à plusieurs reprises et n’a finalement été atteinte que le 14 septembre 1990.  La production de 125 000 barils par jour (pour le marché américain), qui devait initialement débuter en 1992 et se poursuivre pendant 18 ans, a en fait commencé en novembre 1997.

Le gouvernement fédéral et la province de Terre-Neuve ont négocié avec le consortium pour veiller à ce que deux des cinq nouveaux modules de la plate-forme soient construits dans la province.  Terre-Neuve aimerait se faire connaître comme centre spécialisé dans la construction de plates-formes de forage en mer.  La province a fini par accepter la construction d’un seul module, plutôt que de deux, et l’exécution de certains travaux accessoires sur son territoire.  La plus grande partie des travaux de construction des quatre autres modules, d’une valeur maximale de 300 millions de dollars, était censée être réservée à des sociétés canadiennes.  Terre-Neuve s’attendait à tirer 10 000 années-personnes de travail pendant les six ans que durerait la construction.  En septembre 1991, le ministre des Pêches du Canada, M. John Crosbie, a annoncé que trois millions de dollars en fonds de formation serviraient à préparer des Terre-Neuviens à occuper des emplois dans le cadre du projet Hibernia.

Avant l’adoption, le 6 novembre 1990, de la loi fédérale autorisant l’octroi de 2,7 milliards de dollars sous forme de subventions et de garanties de prêts, le Fonds Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers a accordé 95 millions de dollars pour atteindre l’objectif de septembre 1990 en ce qui a trait à l’émission des appels d’offres pour la construction.

En novembre 1991, le gouvernement fédéral a négocié avec le consortium un accord prévoyant que 25 p. 100 de ses garanties de prêts seraient pris en charge par des prêteurs privés si certains critères économiques étaient remplis une fois la production commencée.

Après le démarrage du projet, l’un des quatre membres du consortium, Gulf Canada Resources Ltd., a mis en vente la moitié de ses intérêts dans ce projet, lesquels correspondaient à 25 p. 100.  Ensuite, il s’est retiré complètement du projet en février 1992.  Le consortium regroupait alors les sociétés suivantes : Mobil Oil (28 p. 100), Petro-Canada (25 p. 100), Chevron Canada (22 p. 100) et Gulf Canada (25 p. 100).  Mobil avait fourni 1,1 milliard de dollars, Petro-Canada, un milliard, Chevron, 879 millions et la contribution du gouvernement fédéral était d’un milliard de dollars.  La contribution d’un milliard de dollars promise par Gulf avait évidemment été annulée.  Jusque là, le consortium avait dépensé 450 millions de dollars.

Terre-Neuve et le Canada avaient convenu d’indemniser les partenaires en leur remboursant 75 p. 100 des dépenses d’exploitation du projet au-delà du 15 mai 1992, s’il était impossible de trouver un remplaçant à Gulf et s’il fallait mettre le projet en veilleuse.  Le 15 janvier 1993, le gouvernement fédéral a annoncé qu’un nouvel accord avait été conclu.  Murphy Oil, de El Dorado (Arkansas), acquerrait 6,5 p. 100 des parts de Gulf, Mobil Oil et Chevron augmenteraient chacun de 5 p. 100 leur participation au projet, et le gouvernement du Canada ferait l’acquisition des 8,5 p. 100 des parts restantes.  Ces dernières seraient détenues par une filiale nouvellement constituée de la Corporation de développement des investissements du Canada (la Société de gestion Canada Hibernia).  De plus, le gouvernement a offert aux trois partenaires des prêts sans intérêt pouvant atteindre 132 millions de dollars.  Le projet était jugé viable aux prix du pétrole de l’époque, qui variaient entre 20 et 30 dollars le baril.

En avril 1994, Petro-Canada a annoncé que la complexité du projet avait entraîné un dépassement des coûts de l’ordre de un milliard de dollars et un retard de six mois sur le calendrier des travaux.  NODECO (Newfoundland Offshore Development Constructor) a été remplacée par Norwegian Contractors, un consortium qui supervisait NODECO depuis l’automne 1993.

En octobre, la société de gestion a déplacé la partie électrique du contrat offshore de Marystown (Terre-Neuve) au chantier maritime de Saint John (Nouveau-Brunswick), ce qui a entraîné la perte de 300 à 400 emplois.  Le chantier M.I.L. Davie Inc., un concurrent du chantier de Saint John, a contesté la décision, alléguant qu’elle était contraire au plan de retombées d’Hibernia.  En décembre 1994, le gouvernement du Canada a indiqué qu’il n’existait pas de recours en justice dans de tels cas.  Il a demandé qu’il soit procédé à un examen de la mise en œuvre de ce plan de retombées.

Comme il a été mentionné, à la fin de juin 1997, 5,4 milliards de dollars avaient déjà été dépensés pour ce projet, dont 4 milliards au Canada et, de ce montant, environ 2,6 milliards à Terre-Neuve.

Des chantiers navals de la Corée et de l’Italie ont obtenu les contrats de construction de quatre des cinq supermodules servant à loger les équipes de travail et à entreposer le matériel de forage qui seront installés sur la structure de forage.  Le cinquième a été construit à Terre-Neuve par un consortium canado-norvégien.  (Ce dernier contrat de 350 millions est plus élevé que les quatre autres réunis.)  Le coulage du béton pour la structure de forage a commencé en avril 1993.  Des changements aux plans et la lenteur des travaux de construction ont retardé jusqu’à novembre 1994 le remorquage de la structure de béton et d’acier jusqu’en haute mer.  À l’origine, la structure à embase-poids devait coûter 1,2 milliard de dollars, mais le coût a augmenté de 30 p. 100.  Les modules qui étaient sur le quai d’assemblage ont été fixés sur la base de béton au début de 1997.

Le remorquage de la structure à embase-poids vers son emplacement définitif a commencé le 23 mai 1997, et le trajet de 500 kilomètres a duré 9 jours; la structure de 224 mètres repose sur le fond de l’océan, à 80 mètres de profondeur.  Une fois la structure installée en juin 1997, on a ajouté plus de 400 000 tonnes de minerai de fer comme ballast à l’embase-poids sur une période de 30 jours.  L’installation du système de chargement en mer, destiné à remplir les pétroliers, s’est faite simultanément.  Le forage du premier puits de production a commencé le 28 juillet 1997, et le second, le 1er août.  La production, nécessitant la création d’environ 1 000 emplois, a débuté le 17 novembre 1997.

Le projet Hibernia a franchi une autre étape en mars 1998 quand le site du chantier de construction de Bull Arm a été cédé au gouvernement provincial pour la somme de 1 $.  Toutes les parties avaient convenu que cette cession aurait lieu lorsque la production d’Hibernia atteindrait trois millions de barils chargés à bord des pétroliers.  La marque des trois millions de barils a été atteinte en février.  Le site avait déjà été loué à une société qui construit des modules de superstructure pour l’installation de production flottante destinée au projet Terra Nova dont il est question ci-après.

         c. Faits récents

À la fin de 2000, 22 puits avaient été forés dans le réservoir Hibernia – 12 puits de production, 6 puits d’injection d’eau et 4 puits d’injection de gaz.  On a produit au cours de l’année un total de 52,8 millions de barils de pétrole à un rythme moyen de 144 653 barils par jour.

Un autre fait nouveau d’importance pour Hibernia a été, en 2000, le début d’une production limitée au réservoir Avalon Ben Nevis, situé à environ 1 300 mètres au-dessus du réservoir Hibernia, lieu de toute la production jusqu’ici.  Le réservoir Avalon est, semble-t-il, plus complexe; il faut donc encore procéder à certains travaux de développement pour évaluer tout son potentiel.  Les travaux de forage se sont poursuivis en 2001 et la Société d’exploitation et de développement d’Hibernia déposera un plan de mise en valeur révisé à la fin de 2002.

      4. Autres projets de mise en valeur sur les Grands Bancs

En décembre 1995, un consortium dirigé par Petro-Canada, a annoncé qu’il allait exploiter le gisement Terra Nova, deuxième chantier en importance à Terre-Neuve, qui renfermerait entre 300 et 400 millions de barils de pétrole.   Ce projet devrait coûter 4,5 milliards et sa production moyenne sera de quelque 115 000 barils par jour sur une période de 15 à 20 ans à compter de 2001.  Situé à 350 km au sud-est de St. John’s, Terra Nova est le deuxième gisement pétrolifère en importance sur les Grands Bancs, après celui d’Hibernia.

Les travaux de mise en valeur de Terra Nova consisteront à construire une unité flottante de production, de stockage et de déchargement plutôt qu’une structure fixe à embase-poids comme dans le cas d’Hibernia.  On a préféré une unité flottante à cause des conditions météorologiques extrêmes, de la présence de nombreux icebergs et de la grande profondeur de l’eau sur le site de Terra Nova.  La fabrication de la coque a été confiée aux chantiers Daewoo, en Corée du Sud, et a commencé en août 1998.  L’unité a quitté la Corée en décembre 1999 et est arrivée dans le bras Bull, à Terre-Neuve, en février 2000.  Les modules de la superstructure ont été installés sur place, et on a procédé à l’arrimage final et à la mise en service.  Ces opérations, retardées à cause de plusieurs problèmes techniques et de relations de travail, ont finalement été menées à terme au cours de l’été 2001.  Au début d’août 2001, l’installation quittait Bull Arm à destination de Terra Nova.

Le niveau d’activité au large de Terre-Neuve a incité plusieurs pétrolières à construire un dépôt de transit à Whiffen Head, dans l’isthme qui relie la presqu’île Avalon au reste de Terre-Neuve.  Le dépôt, dont les trois premiers réservoirs ont chacun une capacité de 500 000 barils, reçoit du pétrole d’Hibernia par navire-citerne.  Le pétrole y est stocké provisoirement, puis acheminé aux marchés par d’autres navires-citernes.

Un navire-citerne a déchargé pour la première fois à Whiffen Head en octobre 1998.  En mars 2000, 72 chargements avaient été reçus du gisement d’Hibernia, et quelque 45 millions de barils de pétrole avaient transité par le dépôt.  Newfoundland Transhipment Limited, propriétaire du dépôt, a annoncé en janvier 1999 qu’elle y ajouterait deux réservoirs de stockage de 500 000 barils, pour y recevoir le pétrole du gisement Terra Nova.  Les travaux de construction de la phase II sont terminés et un sixième navire-citerne, en cours de construction, devrait entrer en service en mai 2002.  Cette activité devrait s’intensifier avec la mise en valeur d’autres réservoirs sous-marins.

Le gisement Terre Nova ayant atteint le stade de la production, une demande de mise en valeur a été déposée en janvier 2001 concernant un autre gisement pétrolier au large de Terre-Neuve, le gisement White Rose.   Un consortium, dirigé par Husky Oil, projette d’investir 1,5 milliard de dollars pour exploiter ce gisement.  Les ressources découvertes de ce gisement, situé à l’est d’Hibernia et au nord-est de Terra Nova, s’élèveraient à 283 millions de barils de pétrole brut, 76,7 milliards de mètres cubes de gaz naturel et 15,3 millions de mètres cubes de liquides de gaz naturel.  Le forage de délimitation a débuté en 1999 et se poursuit.  La demande fait actuellement l’objet d’audiences publiques et une décision finale devrait être rendue vers la fin de 2001.  Si l’exploitation est approuvée, la production pourrait commencer dès la fin de 2003.   Pour la mise en valeur de White Rose, on entend recourir à une unité flottante, comme à Terra Nova, plutôt qu’au genre de structure à embase-poids plus coûteuse utilisée à Hibernia.

CHRONOLOGIE

7 juin 1966 - Forage du premier puits au large de la côte Est du Canada, dans les Grands Bancs.

nov. 1978-juin 1979 - Le forage du puits Venture D-23 au large de l’île de Sable conduit à une découverte importante de gaz naturel.  On estime que le champ Venture contiendrait 72 milliards de mètres cubes (2,5 trillions de pieds cubes) de gaz.

mai-novembre 1979 - Découverte importante de pétrole au puits Hibernia P-15 dans les Grands Bancs.  Des forages subséquents révèlent la présence d’un gisement d’environ 115 millions de mètres cubes (720 millions de barils) de pétrole.

12 février 1982 - Le gouvernement de Terre-Neuve soumet la question de la propriété des ressources situées au large des côtes à la Cour suprême de Terre-Neuve.

15 février 1982 - Naufrage de la plate-forme de forage Ocean Ranger, dans le champ Hibernia, entraînant la perte de ses 84 membres d’équipage.

2 mars 1982 - Signature de l’Accord entre le Canada et la Nouvelle­-Écosse sur la gestion des ressources pétrolières et gazières situées au large des côtes et sur le partage des recettes.

mars 1982 - Adoption de la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada créant l’Administration du pétrole et du gaz des terres du Canada (APGTC) chargée d’administrer l’exploitation des ressources pétrolières et gazières sur les terres du Canada.  Les ressources situées au large de la côte Est sont incluses dans les terres du Canada, ce qui entraîne des protestations de la part de Terre-Neuve, qui réclame la propriété de ces ressources.

29 juin 1982 - La Loi sur le programme d’encouragement du secteur pétrolier reçoit la sanction royale.  Ce programme offre des subventions à l’exploration aux sociétés qui satisfont à certaines exigences concernant le taux de participation canadienne et qui prospectent sur les terres du Canada.

17 février 1983 - La Cour suprême de Terre-Neuve rend son jugement, déclarant que les ressources situées au large des côtes appartiennent au gouvernement fédéral.

8 mars 1984 - La Cour suprême du Canada statue que le gouvernement fédéral a compétence sur les ressources minières et les autres ressources naturelles du gisement Hibernia, situé au large de la côte de Terre-Neuve.

30 juin 1984 - Le projet de loi autorisant l’Accord entre le Canada et la Nouvelle-Écosse sur la gestion des ressources pétrolières et gazières situées au large des côtes reçoit la sanction royale.

11 février 1985 - Les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve signent l’Accord atlantique, entente à long terme pour la gestion commune des ressources pétrolières et gazières situées au large des côtes.

30 octobre 1985 - Un nouveau régime de crédits d’impôt de 150 à 250 millions de dollars par année est annoncé pour l’exploration au large des côtes.

17 juin 1986 - La loi de Terre-Neuve intitulée The Canada-Newfoundland Atlantic Accord Implementation (Newfoundland) Act reçoit la sanction royale.

24 juin 1986 - L’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers annonce qu’il approuve les plans relatifs à l’exploitation et aux avantages d’Hibernia.

1er octobre 1986 - Le gouvernement du Canada supprime l’impôt fédéral sur les revenus pétroliers.

25 mars 1987 - La Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada-Terre-Neuve (fédérale) reçoit la sanction royale.

29 mai 1987 - La loi de la Nouvelle-Écosse intitulée Canada-Nova Scotia Offshore Petroleum Resources Accord Implementation (Nova Scotia) Act reçoit la sanction royale.

21 juillet 1988 - La Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada-Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers reçoit la sanction royale.

février 1992 - Gulf Canada Resources Inc. se retire du projet Hibernia.

23 juin 1992 - Le projet de loi C-58 : Loi modifiant la Loi sur la production et la rationalisation de l’exploitation du pétrole et du gaz, reçoit la sanction royale.

15 janvier 1993 - Le gouvernement du Canada annonce qu’un accord a été conclu pour que le projet Hibernia se poursuive avec de nouveaux partenaires.

17 novembre 1997 - Début de la production à Hibernia.

25 septembre 2000 - La production d’Hibernia franchit la marque des 100 millions de barils.

4 août 2001 - L’unité flottante de production, de stockage et de déchargement de Terra Nova prend la mer à destination du gisement extracôtier.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

« Accord Canada-Nouvelle-Écosse sur la gestion des ressources pétrolières et gazières situées au large des côtes et sur le partage des recettes ».  2 mars 1982.

Canada.   Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources.  Administration du pétrole et du gaz des terres du Canada.  Rapport annuel.  Ottawa, diverses années.

Commission royale sur le désastre marin de l’Ocean Ranger.  Rapport premier, La perte de l’installation de forage semi-submersible Ocean Ranger et de son équipage.   Août 1984.

Renvoi relatif au plateau continental de Terre-Neuve, [1984] 1 R.C.S. 86.

Site web de l’Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers : http://www.cnopb.nfnet.com

Site web d’Hibernia : http://www.hibernia.ca

Terre-Neuve et Labrador.  Ministère du Développement et Direction du pétrole.  Economic Impact of Future Offshore Petroleum Exploration.  Mai 1981.


*  La première version de ce bulletin d'actualité a été publiée en mai 1983.  Le document a été périodiquement mis à jour depuis.

(1) Les « ressources » sont les volumes d’hydrocarbures – exprimés en fonction d’une probabilité d’existence de 50 p. 100 – qui sont jugés techniquement récupérables, mais qui ne sont pas encore délimités et dont la rentabilité est inconnue.  Les « réserves » sont les volumes prouvés par des forages, des données géophysiques, etc., et récupérables au moyen de la technologie disponible dans les conditions économiques actuelles.