PRB 99-3F
ÂGE REQUIS AU CANADA POUR
CONSENTIR
Rédaction : TABLE
DES MATIÈRES A. Premières infractions visées par le Code criminel SANCTIONS (PASSÉES ET ACTUELLES) A. Arguments en faveur du status quo B.
Arguments en faveur dune majoration de lâge requis MODIFICATIONS LÉGISLATIVES PROPOSÉES
ÂGE REQUIS AU
CANADA POUR CONSENTIR Dans ce document, nous retraçons les origines des lois qui régissent actuellement lâge requis au Canada pour consentir à des actes sexuels et présentons certains des arguments pour ou contre lidée de porter de 14 à 16 ans lâge légal pour consentir à ces actes. Les lois qui portent sur lâge requis au Canada pour consentir à des actes sexuels ont beaucoup changé au cours des cent dernières années de sorte que les interdictions actuelles du Code criminel à légard des contacts sexuels avec des enfants ne ressemblent guère aux interdictions qui étaient en vigueur il y a à peine 20 ans. A. Premières infractions visées par le Code criminel Comme il est souligné dans le Rapport Badgley, publié en 1984 sous le titre Infractions sexuelles à légard des enfants, le Canada interdit depuis longtemps les rapports sexuels avec de jeunes femmes, consentantes ou pas. Jusquà 1890, année où la limite dâge a été portée à 14 ans, seules les filles âgées de moins de 12 ans étaient absolument incapables de consentir à des rapports sexuels. Avec larrivée du Code criminel en 1892, linterdiction stricte de rapports sexuels a été maintenue pour les filles de moins de 14 ans (qui nétaient pas mariées avec laccusé), et la loi a été renforcée pour quil ne soit plus tenu compte de ce que croyait laccusé quant à lâge de la jeune femme. Cette limite dâge na pas changé et sapplique encore aujourdhui, à quelques exceptions près dans le cas dactivités consensuelles entre jeunes personnes dont la différence dâge est inférieure à deux ans. Au fil des ans, le droit pénal canadien a également prévu une protection contre lexploitation sexuelle des personnes de sexe féminin âgées de plus de 14 ans. Ainsi, dans le Rapport Badgley, il est souligné que la séduction dune jeune fille âgée de plus de 12 ans mais de moins de 16 ans qui était « de moeurs antérieurement chastes » est devenue une infraction en 1886. Retenue dans le Code criminel de 1892 à légard des filles âgées de 14 à 16 ans, cette infraction y est demeurée jusquen 1920, année où elle a été modifiée afin dinterdire « les rapports sexuels ». Après 1920, la question de savoir qui était le plus à « blâmer » est devenue un élément pouvant entraîner lacquittement, mais linfraction est restée en vigueur jusquen 1988. La « séduction » dune personne de sexe féminin âgée de moins de 18 ans « sous promesse de mariage » est devenue une infraction au Canada en 1886 et sest ajoutée aux infractions nommées précédemment. Cette disposition a été modifiée en 1887, et lâge requis a alors été porté à 21 ans. En 1920, la « séduction » (sans référence à une promesse de mariage) est devenue une infraction dans le cas de personnes de sexe féminin « de moeurs antérieurement chastes » âgées de 16 à 18 ans. Il ressort de ce qui précède quil ny a jamais eu dinterdiction totale de rapports sexuels avec des jeunes filles âgées de plus de 14 ans. Les modifications apportées au Code criminel en 1988 ont abrogé les infractions susmentionnées concernant la séduction et les rapports sexuels illicites. Le projet de loi C-15 les a toutefois remplacé en instituant les nouvelles infractions de « contacts sexuels » et d« incitation à des contacts sexuels » qui interdisent désormais à des adultes davoir, pour ainsi dire, quelque type de contact sexuel que ce soit avec des garçons ou des filles de moins de 14 ans, avec ou sans leur consentement. En vertu de la notion de « personnes en situation dautorité », qui figurait elle aussi dans le projet de loi, commet un acte criminel toute personne qui, alors quelle est en situation dautorité ou de confiance vis-à-vis de garçons ou de filles de 14 ans ou plus mais de moins de 18 ans, a des contacts sexuels avec lun ou plusieurs dentre eux. Dans des publications et documents parus avant les modifications apportées au Code criminel en 1988, diverses raisons sont invoquées pour justifier les changements. La raison la plus souvent retenue est le fait que la législation ne semblait pas traiter de façon égale les garçons et les filles puisque les premières infractions ne visaient que les victimes de sexe féminin. De plus, les infractions relatives aux rapports sexuels illicites ne protégaient en rien les jeunes femmes contre des formes de contacts sexuels autres que les rapports sexuels. Le manque de protection à légard des filles âgées de 14 à 16 ans qui nétaient pas de moeurs chastes ou qui étaient jugées plus à blâmer que leurs partenaires était également perçue comme une importante limitation de la capacité de la loi de protéger les jeunes femmes contre les grossesses ou dassurer la moralité, en supposant que tel ait été lobjet de la loi. Le genre dinterrogatoire quun plaignant devrait subir pour faire la preuve de ses moeurs chastes sert sûrement lui aussi à expliquer pourquoi il y a eu si peu daccusations portées en vertu de cette disposition avant sont abrogation. Dans son Document de travail 22, la Commission de réforme du droit du Canada a recommandé que soient abrogées les infractions de séduction dans le cas des femmes âgées de plus de 18 ans mais de moins de 21 ans parce que ces dispositions partaient du principe que « les femmes, de façon générale, ont peu de maturité sexuelle » et que « seuls les hommes prennent les décisions dans ce domaine ». Selon la Commission, de telles généralisations étaient aussi erronées quinjustes et navaient pas leur place en droit pénal. Son avis divergeait cependant au sujet de linfraction pour rapports sexuels illicites avec des personnes de moins de 16 ans. En plus dappuyer le maintien dune « prohibition absolue » de rapports sexuels avec des personnes de sexe féminin âgées de moins de 14 ans, la Commission soutenait que le droit pénal devrait continuer dinterdire de tels rapports sexuels entre les adultes et les jeunes de moins de 16 ans. Elle a néanmoins recommandé labrogation de cette infraction, lui préférant linfraction dincitation à la délinquance juvénile, qui atteignait le même but mais sans distinction de sexe. Il faut souligner que le fait de contribuer à la délinquance nest plus une infraction criminelle depuis que la Loi sur les jeunes délinquants a été abrogée et remplacée par la Loi sur les jeunes contrevenants en 1984. Donc, en résumé, à lexception des infractions de sodomie et de grossière indécence, lâge requis pour consentir à des actes sexuels na jamais été fixé à plus de 14 ans au Canada, même si des lois antérieures ont rendu les hommes susceptibles dêtre poursuivis sils avaient eu des rapports sexuels avec une fille de moins de 16, 18, voire même de 21 ans dans certaines circonstances. Comme nous lavons mentionné, les modifications apportés en 1988 au Code criminel pour abroger ces dispositions figuraient dans le projet de loi C-15 déposé présenté par le ministre de la Justice de lépoque, Ramon Hnatsyhyn. Même si un projet de loi présenté en 1981 par un autre ministre de la Justice, Jean Chrétien, proposait également labrogation des infractions de séduction, il aurait retenu une forme plus vaste et non sexiste dinterdiction dactivités sexuelles avec tout(e) adolescent(e) âgé(e) de 14 à 16 ans. Cependant, le projet de loi C-53 na jamais été adopté. Une version ultérieure, le projet de loi C-127(2), a apporté dimportants changements au droit pénal dans le domaine des infractions dordre sexuel sans toutefois sattaquer directement à lexploitation sexuelle des jeunes. Le Code criminel ne criminalise pas les actes sexuels consensuels avec ou entre des personnes âgées de 14 ans ou plus, sauf en cas de rapports de confiance ou de dépendance, où lactivité sexuelle avec des personnes de plus de 14 ans mais de moins de 18 ans peut constituer une infraction, quil y ait ou non consentement. Cependant, les activités consensuelles avec des personnes de moins de 14 ans mais de plus de 12 ans peuvent ne pas constituer une infraction si laccusé a moins de 16 ans et moins de deux ans de plus que le plaignant. Lexception, bien entendu, demeure les relations sexuelles anales auxquelles les personnes célibataires qui sont âgées de moins de 18 ans ne peuvent consentir légalement, même si la Cour dappel de lOntario a déjà déclaré inopérante la disposition du Code criminel applicable en la matière(3). SANCTIONS (PASSÉES ET ACTUELLES) Avant ladoption du projet de loi C-15, le paragraphe 153(1) du Code criminel rendait coupable dun acte criminel toute personne de sexe masculin qui avait des relations sexuelles avec une fille de moins de 14 ans qui nétait pas son épouse, quil ait ou non cru que celle-ci avait au moins 14 ans; la peine maximale était lemprisonnement à vie. Les adolescents de moins de 14 ans étaient exemptés. Les articles 151 et 152 actuels interdisent pratiquement tout contact sexuel avec les enfants de moins de 14 ans, et le consentement nest pas une défense admissible pour ces délits ou tout autre délit dagression sexuelle à légard dadolescents, garçons et filles, de moins de 14 ans. La peine maximale en cas de « contact sexuel » ou d « incitation à des contacts sexuels » est de dix ans de prison pour les personnes poursuivies par mise en accusation. Avant ladoption du projet de loi C-15, toute personne de sexe masculin qui avait des relations sexuelles avec une fille de plus de 14 ans mais de moins de 16 ans qui nétait pas son épouse et « était de moeurs antérieurement chastes », que cette personne ait ou non su que la fille avait 16 ans, se rendait coupable dun acte criminel passible dune peine maximale de cinq ans de prison. Il nétait toutefois pas explicitement interdit à laccusé dinvoquer le consentement pour se défendre, et à moins que la poursuite puisse démontrer que laccusé était plus à blâmer que la victime, celui-ci pouvait être acquitté. Les adolescents de sexe masculin de moins de 14 ans étaient encore là à labri de toute poursuite. Larticle 153 interdit maintenant tout « contact sexuel » ou toute « incitation à des contacts sexuels » à légard de personnes âgées de 14 ans mais de moins de 18 ans lorsque laccusé a une relation de confiance ou dautorité hiérarchique avec le plaignant, ou que le plaignant se trouve dans une relation de dépendance à légard de laccusé. Lexpérience sexuelle préalable et le consentement ne sont plus pertinents lorsque ce genre de relations existe. La peine maximale est de cinq ans demprisonnement pour les personnes poursuivies par mise en accusation. Étant donné que les personnes natteignent pas toutes la maturité physique et/ou psychologique en même temps, il est arbitraire, jusquà un certain point, de fixer un âge en dessous duquel elles ne peuvent pas valablement consentir à des actes sexuels. Cependant, le public et les tribunaux ont reconnu jusquà maintenant que le Parlement exercait ainsi à bon escient ses pouvoirs législatifs. Par exemple, en 1978, la Commission de réforme du droit du Canada a affirmé que « les enfants de moins de 14 ans nayant pas en général lexpérience ou la maturité nécessaires pour prendre des décisions éclairées sur leur sexualité, on peut certainement justifier le fait que la prohibition sapplique nonobstant leur expression de consentement »(4). Étant donné les torts physiques et psychologiques que de telles expériences peuvent causer, la Cour suprême du Canada a reconnu que le fait de protéger les enfants de sexe féminin contre les rapports sexuels précoces constitue « une préoccupation urgente et réelle »(5). Dans son rapport de 1986, la Commission Badgley a également reconnu que la société a tout intérêt à sassurer que ses membres les plus vulnérables disposent, en droit, de mesures de protection contre les personnes plus fortes et, en particulier, que le bien-être et lintérêt des enfants et des jeunes sont protégés et favorisés. Cependant, dans ce même rapport, la Commission a souligné que le plus difficile est détablir si dune part le droit pénal en arrive à un équilibre adéquat entre la protection des enfants contre lexploitation et les agressions sexuelles et, de lautre, le fait de permettre aux jeunes de sexprimer sur le plan sexuel, alors quils passent de ladolescence à la vie adulte. A. Arguments en faveur du status quo La principale objection à lidée de porter de 14 à 16 ans lâge requis pour consentir à des actes sexuels cest que cela limiterait comme jamais auparavant la liberté sexuelle des jeunes. Les partisans de ce changement pourraient être appelés à fournir des preuves concrètes que les jeunes de moins de 16 ans sont exploités sexuellement ou que lincidence des grossesses ou des maladies transmises sexuellement dans ce groupe dâge lexige. Il faut souligner que le simple fait de porter à 16 ans lâge légal pour consentir à des actes sexuels criminaliserait les activités sexuelles entre adolescents qui sont actuellement légales. Étant donné que les dispositions du Code criminel concernant les agressions sexuelles nexigent plus de preuve de rapports sexuels, une telle modification ferait en sorte quune adolescente ou un adolescent de 16 ans pourrait être poursuivi(e) pour pratiquement toute activité sexuelle quil ou elle aurait pu avoir avec son petit ami ou sa petite amie de 15 ans. B.
Arguments en faveur dune majoration de lâge requis En 1978, la Commission de réforme du droit du Canada a affirmé, à propos de lactivité sexuelle des jeunes de 14 à 16 ans, que « lintérêt public justifie le contrôle de la conduite sexuelle pour cette catégorie dâge »(6). De plus, elle sest dite clairement en faveur daccorder à ce groupe une protection applicable indifféremment aux deux sexes, par lajout, au besoin, au Code criminel, dune infraction incriminant les adultes qui contribuent « par interaction sexuelle à la délinquance de personnes âgées de moins de seize ans »(7). Dautres groupes ont également recommandé que lâge requis pour le consentement soit accru vu la possibilité que les jeunes personnes soient victimes dexploitation sexuelle de la part dadultes. Par exemple, dans le mémoire quelle a présenté au Comité permanent de la justice et des questions juridiques lors de lexamen du projet de loi C-27(8), lAssociation canadienne des chefs de police a exhorté le gouvernement fédéral à fixer à 18 ans et plus lâge requis pour consentir à des rapports sexuels avec des adultes. De même, lors de lexamen quadriennal du projet de loi C-15, le mouvement Citizens Against Child Exploitation a soutenu quil faudrait porter à 16 ans lâge du consentement valide dune jeune personne et fixer à trois ans la différence dâge permissible entre adolescents consentants(9). MODIFICATIONS LÉGISLATIVES PROPOSÉES Le projet de loi C-255, un projet dinitiative parlementaire présenté par M. Hanger et lu pour la première fois le 22 octobre 1997, modifierait les dispositions du Code criminel relatives aux actes sexuels interdits commis soit avec des enfants, soit en leur présence, en portant de 14 à 16 ans lâge des personnes visées. Il modifierait également les paragraphes 150.1(1) et (2) de manière à rendre inadmissible le consentement du plaignant lorsque celui-ci est âgé de moins de 16 ans, au lieu de 14 ans à lheure actuelle. Lexception actuelle serait maintenue pour les cas où laccusé a moins de 16 ans et est de moins de deux ans laîné du plaignant. Cependant, il faut souligner que la loi actuelle peut exempter des jeunes de 14 et de 15 ans de toute responsabilité, probablement pour éviter de criminaliser des activités sexuelles entre pairs. Pour quune exemption semblable continue de sappliquer à un accusé qui est âgé de plus de 16 ans et qui est moins de deux ans laîné du plaignant, il faudrait augmenter la limite dâge en conséquence. Il faudrait donc modifier lalinéa 150.1(2)a) pour que le consentement puisse constituer un moyen de défense lorsque laccusé est âgé de plus de 12 ans « mais de moins de dix-huit ans ». Il faudrait également tenir compte, pour changer lâge requis pour consentir à des actes sexuels à larticle 150.1 de la classification des infractions dordre sexuel qui figurent actuellement à la Partie V du Code criminel, comme le projet de loi C-255 semble lavoir fait. Cependant, comme nous lavons mentionné, le Parlement préférera peut-être maintenir lexemption de responsabilité dans le cas des personnes qui ont des rapports sexuels consensuels avec des personnes nayant pas lâge légal pour y consentir lorsque la différence dâge est inférieure à deux ans.
(1) Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada (infractions dordre sexuel), L.R.C. 1985, c. 19 (3e suppl.) (2) L.C. 1980-81-82-83, c. 125. (3) R. c. M(C.) (1995), 23 O.R. (3d) 629. Deux juges ont déclaré que larticle 159 du Code criminel empiétait sur larticle 15 de la Charte car il exerçait une discrimination fondée sur lâge, tandis que le troisième juge a parlé de discrimination fondée sur lorientation sexuelle. Les trois ont déclaré que cette disposition ne constituait pas une « limite raisonnable » au sens de larticle premier de la Charte. (4) Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 22, Droit pénal : infractions sexuelles, p. 27. (5) R. c. Hess et Nguyen, [1990] 2 R.C.S 906, p. 920 (6) Document de travail 22 (1978), p. 28. (7) À lépoque, les projets de loi visant à remplacer la Loi sur les jeunes délinquants ne conservaient pas linfraction de contribuer à la délinquance juvénile. (8) Loi modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant des enfants, harcèlement criminel et mutilation dorganes génitaux féminins), L.C. 1997, c. 16. (9) Examen de quatre ans des dispositions du Code criminel et de la Loi sur la preuve au Canada sur lexploitation sexuelle des enfants, juin 1993, p. 6. Estimant quil navait pas obtenu suffisamment de preuves « justifiant un changement des limites dâge actuellement contenues dans la législation », le Comité a recommandé que larticle 150.1 du Code criminel soit maintenu dans sa forme actuelle. |