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LS-312F

 

PROJET DE LOI C-26 :  LOI MODIFIANT LA LOI SUR LES GRAINS DU CANADA ET LA LOI SUR LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES PÉCUNIAIRES EN MATIÈRE D'AGRICULTURE ET D'AGROALIMENTAIRE ET ABROGEANT LA LOI SUR LES MARCHÉS DE GRAIN À TERME

 

              Rédaction :     Daniel Shaw
                                         Division de l'économie

                                         Le 30 janvier 1998
                              Révisé le 1er mai 1998
     


 

HISTORIQUE DU PROJET DE LOI C-26

 

CHAMBRE DES COMMUNES

SÉNAT

Étape du Projet de loi Date Étape du projet de loi Date
Première lecture : 4 décembre 1997 Première lecture : 8 juin 1998
Deuxième lecture : 27 mars 1998 Deuxième lecture :: 16 juin 1998
Rapport du comité : 29 avril 1998 Rapport du comité : 18 juin 1998
Étape du rapport : 12 mai 1998 Étape du rapport :  
Troisième lecture : 4 juin 1998 Troisième lecture : 18 juin 1998


Sanction royale : 18 juin 1998
Lois du Canada 1998, chapitre 22







N.B. Dans ce résumé législatif, tout changement d'importance depuis la dernière publicaiton est indiqué en caractères gras.

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

CONTEXTE

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A.  Régime d'assurance des producteurs de cultures spéciales et Régime d'octroi
         de licences aux acheteurs
      1.  Définitions
      2.  Licences de négociant en cultures spéciales et exemption en matière de garantie
      3.  Le régime d'assurance des cultures spéciales et son administration
      4.  Obligations des négociations en cultures spéciales
      5.  Assujettissement de la Loi à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires
           en matière d'agriculture et d'agroalimentaire
      6.  Autres questions

   B.  Application de la Loi sur les grains du Canada

   C.  La Loi sur les marchés de grain à terme

COMMENTAIRE


 

PROJET DE C–26 : LOI MODIFIANT LA LOI SUR LES GRAINS DU CANADA
ET LA LOI SUR LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES PÉCUNIAIRES
EN MATIÈRE D’AGRICULTURE ET D’AGROALIMENTAIRE ET ABROGEANT
LA LOI SUR LES MARCHÉS DE GRAIN À TERME

 

CONTEXTE

Le 4 décembre 1997, l’honorable Lyle Vanclief, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, et également ministre chargé de la Commission canadienne du grain (CCG), a déposé le projet de loi C-26 à la Chambre des communes. Ce projet de loi modifiait la Loi sur les grains du Canada pour faciliter l’octroi de licences aux acheteurs de cultures spéciales; le gouvernement s’attend, par cette mesure, à améliorer la compétitivité de l’industrie des cultures spéciales dans l’ouest du Canada et à en favoriser la croissance. Le projet de loi assujettirait la Loi sur les grains du Canada à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, permettant ainsi à la CCG d’imposer des amendes pour la plupart des infractions à la Loi sur les grains du Canada. Enfin, le projet de loi abrogerait la Loi sur les marchés de grain à terme pour faciliter la conclusion de contrats non céréaliers à la Bourse des marchandises de Winnipeg (BMW).

Pour l’essentiel, le projet de loi propose la modification de la Loi sur les grains du Canada pour permettre de séparer l’octroi de licences des dispositions sur les garanties pour les acheteurs de cultures spéciales. Il a été soutenu jusqu’ici que l’impossibilité de séparer ces deux activités avait été l’entrave principale à la mise en place d’un régime d’assurance pour l’industrie des cultures spéciales dans l’ouest du Canada. En exigeant cette séparation par voie législative et en faisant relever l’administration d’un régime d’assurance à participation volontaire de la CCG, le projet de loi C-26 éviterait aux acheteurs de cultures spéciales d’avoir à fournir des garanties coûteuses pour parer aux risques de défaut de paiement aux producteurs de cultures spéciales. L’assureur serait la Société pour l’expansion des exportations (SEE). Le gouvernement du Canada présente donc le projet de loi C-26 comme une initiative de développement économique rural dans l’ouest du Canada, qui prévoit à la fois des licences à prix abordable pour les acheteurs et un régime d’assurance pour les producteurs de cultures spéciales.

Le projet de loi C-26 assujettirait également la Loi sur les grains du Canada à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ce qui permettrait à la CCG d’imposer des amendes ou des sanctions monétaires pour la plupart des infractions à la Loi sur les grains du Canada et à son règlement d’application. Les mécanismes d’exécution actuellement prévus dans la Loi sont de portée limitée, car la plupart des peines sont trop dures et coûteuses pour être applicables. Ainsi, les poursuites au pénal ou la suspension de la licence sont les recours disponibles pour réprimer certaines infractions mineures. La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, à laquelle sont déjà assujetties la Loi sur les produits agricoles au Canada, la Loi relative aux aliments du bétail, la Loi sur les engrais, la Loi sur la santé des animaux, la Loi sur l’inspection des viandes, la Loi sur les produits antiparasitaires, la Loi sur la protection des végétaux et la Loi sur les semences, comporte un régime établi permettant de faire appliquer la Loi sur les grains du Canada, qui favoriserait l’application de normes de qualité établies.

Enfin, le projet de loi C-26 abrogerait la Loi sur les marchés de grain à terme, adoptée il y a 59 ans, ce qui permettrait à la Commission des valeurs mobilières du Manitoba (CVMM) d’assumer la responsabilité de réglementer la BMW. Cette dévolution de la responsabilité en matière de réglementation, qui éliminerait des doubles emplois et un chevauchement coûteux, favoriserait, avec l’accord des gouvernements provinciaux de l’Ouest, une croissance des activités de la Bourse en dehors du secteur des grains pour englober le porc. Le gouvernement du Manitoba a déjà adopté une Loi sur les contrats à terme qui confie à la CVMM la réglementation des contrats à terme sur le grain. Le transfert de ressources matérielles et humaines nécessaires se ferait dans le cadre d’un régime qui serait élaboré par la CCG et la CVMM.

DESCRIPTION ET ANALYSE

   A. Régime d’assurance des producteurs de cultures spéciales et Régime d’octroi
       de licences aux acheteurs

      1. Définitions

Le paragraphe 1(1) du projet de loi modifirait les définitions de « bon de paiement », d’ « accusé de réception », de « licence » et de « titulaire de licence » pour y ajouter la notion de « cultures spéciales ». Les deux premières expressions désignent, respectivement, un document qui constate l’achat à un producteur et un document donnant droit à son détenteur à un paiement de la part de l’exploitant d’installations primaires, d’installations de transformation ou d’un négociant en grains ou en cultures spéciales. La « licence » délivrée par la CCG donne au « titulaire de licence » le droit de faire profession de négociant en grains ou en cultures spéciales. Le paragraphe 1(2) précise les définitions de « grain » et, dans la version française de la Loi, de « produit céréalier ».

Les définitions de base nécessaires à l’application du projet de loi figurent au paragraphe 1(3). Les « cultures spéciales » sont des grains désignés comme tels par règlement. Au départ, les cultures spéciales comprennent : haricots, sarrasin, maïs, fèves des marais, lentilles, graines de moutarde, pois, graines de carthame, soya, graines de tournesol et triticale. Un « négociant en cultures spéciales » est défini comme l’exploitant d’une installation ou un négociant en grains qui se livre au commerce ou à la manutention des cultures spéciales à l’exclusion de tout autre grain.

      2.  Licences de négociant en cultures spéciales et exemption en matière de garantie

L’article 2 du projet de loi établirait une nouvelle catégorie de licences, les « licences de négociant en cultures spéciales », dont ces négociants devraient être munis pour exercer leur profession (article 3). L’article 4 soustrairait les négociants en cultures spéciales à l’exigence de fournir des garanties couvrant leurs obligations envers les producteurs de cultures spéciales. Cependant, les négociants devraient fournir ces garanties s’ils négocient également des grains qui ne sont pas considérés comme des cultures spéciales. L’article 5 [paragraphes 46(1) et (2) de la Loi] dispose que les négociants en cultures spéciales devraient être approuvés par l’assureur qui assure les paiements aux producteurs de cultures spéciales, s’ils veulent être admissibles à une licence. L’article 5 du projet de loi modifierait le paragraphe 46(3) de la Loi pour autoriser la CCG à refuser de délivrer une licence à toute personne déclarée coupable d’une infraction à la Loi ou responsable d’une violation dans les douze mois précédents, tout en assujettissant la Loi à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

Seule la CCG serait autorisée à réaliser la garantie donnée pour la protection des producteurs par les titulaires de licences (paragraphe 6(1)). Le paragraphe 6(2) fixe les critères que les producteurs devraient respecter pour faire une réclamation sur la garantie (essentiellement le non-versement d’un paiement prévu au contrat ou le non-respect d’obligations relatives aux livraisons), tout en établissant que cette garantie ne couvre pas les cultures spéciales. Le paragraphe 6(3) précise qu’un bon de paiement serait considéré comme une lettre de change.

      3.  Le régime d’assurance des cultures spéciales et son administration

L’article 7 ajouterait deux articles entièrement nouveaux à la Loi. L’article 49.01 proposé établirait les règles régissant le régime d’assurance, tandis que l’article 49.02 établirait un comité consultatif dont le rôle serait de conseiller le ministre au sujet du régime d’assurance des cultures spéciales.

L’article 7 [paragraphes 49.01(1) et (2) de la Loi] indique que l’ « agent » serait la CCG, laquelle deviendrait administrateur du régime d’assurance des cultures spéciales. Une disposition courante protégerait la CCG en disant que sa responsabilité n’est pas engagée dans le cas où le titulaire de licence ne respecte pas son obligation de payer un producteur qui détient un accusé de réception ou un bon de paiement (article 8).

L’article 7 [paragraphes 49.01(3) à (5) de la Loi] traite de la contribution. En vertu du paragraphe 49.01(3), tous les producteurs de cultures spéciales, qu’ils participent au régime d’assurance ou non, verseraient une contribution pour les cultures vendues aux négociants titulaires de licence. Le paragraphe 49.01(4) de la Loi stipule que les titulaires de licence devraient percevoir la contribution et la remettre à l’agent, et le paragraphe (5) du projet de loi autoriserait l’application de la contribution au paiement de primes à l’assureur pour couvrir les frais d’administration du régime d’assurance des cultures spéciales ainsi que les dépenses du comité consultatif des cultures spéciales.

Les critères selon lesquels les producteurs pourraient présenter une réclamation au régime d’assurance des cultures spéciales sont énoncés à l’article 7 [paragraphe 49.01(6) de la Loi]; élément le plus notable, les producteurs devraient donner avis par écrit à l’agent dans des délais prescrits suivant la date du manquement à l’obligation de paiement. Selon le paragraphe 49.01(7), aux fins de la protection du régime d’assurance, si le titulaire d’une licence remet au producteur à titre de paiement un bon de paiement ou un chèque que la banque refuse d’honorer, le titulaire de licence serait réputé avoir manqué à son obligation au moment où le document a été remis au producteur. Le paragraphe 49.01(8) permettrait au producteur de se retirer du régime d’assurance.

L’article 7 [paragraphes 49.02(1) à (4) de la Loi] prévoirait la constitution d’un comité consultatif des cultures spéciales, définirait les fonctions de celui-ci, arrêterait sa composition et établirait la rémunération et le remboursement des dépenses à payer sur la contribution. Le comité compterait au maximum neuf membres dont le mandat serait de trois ans; la majorité des membres devraient être des producteurs de cultures spéciales qui ne sont pas des négociants en cultures spéciales ou en grains, ni des exploitants de silo. Le comité aurait pour mandat de faire des recommandations au ministre au sujet de la désignation des cultures spéciales, du choix de l’agent ou de l’assureur et de toute autre question relative aux cultures spéciales. C’est le ministre qui fixerait les remboursements de frais de déplacement et de séjour raisonnables entraînés par l’exercice de ces fonctions.

L’article 24 donnerait à la CCG le pouvoir de prendre des règlements, avec l’approbation du gouverneur en conseil, de désigner comme culture spéciale tout grain à l'exception du blé, de l'avoine, de l'orge, du seigle, du canola et du lin, de fixer le montant de la contribution versée par les producteurs et d’établir les procédures nécessaires pour administrer le régime d’assurance des cultures spéciales.  Ces exceptions au plan sont déjà couvertes par des plans de garantie spéciale.

      4. Obligations des négociants en cultures spéciales

Les articles 11 à 17 du projet de loi portent sur les obligations des négociants en cultures spéciales qui sont également négociants en grains ou exploitants d’installations. Les obligations prévues aux articles 11 à 15 concernent l’exploitation et l’entretien des installations et de l’équipement de façon à assurer l’efficacité et la précision à la réception et à la livraison de grains, de produits céréaliers et de criblures; la pesée, l’échantillonnage, l’inspection, le classement par grade, le séchage et le nettoyage; la vérification du bon état du grain à la réception pour empêcher qu’il ne se dégrade pendant l’entreposage; et la possibilité pour la personne qui livre du grain d’en vérifier le poids exact pendant la pesée.

Les articles 16 et 17 disposent que les négociants en cultures spéciales auraient les mêmes obligations que les négociants en grains relativement à l’achat de grains de l’Ouest, à la production des dossiers à l’intention de la CCG et à l’inspection des installations.

      5. Assujettissement de la Loi à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires
          en matière d’agriculture et d’agroalimentaire

Les articles 18 à 23 assujettiraient la Loi sur les grains à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire en ce qui concerne la saisie de biens, la déclaration d’infractions, la détention de documents et dossiers, les restrictions des activités, la suspension des licences, la révocation des licences ainsi que les infractions et les sanctions.

L’article 18 stipule que l’inspecteur pourrait, pour des motifs raisonnables, saisir tout document ou registre et déclarer toute violation; saisir du grain ou des produits céréaliers ou des criblures dans une installation qui est infestée ou contaminée; et saisir de l’équipement qui n’est pas précis ou qui fonctionne mal. L’article 19 stipule que la CCG pourrait, sur réception d’un rapport de violation par un négociant en grain ou en cultures spéciales, ordonner au détenteur de licence de peser de nouveau le produit, interdire les livraisons ou les expéditions de grain, produits céréaliers ou criblures dans une installation, et suspendre la licence. L’article 20 permettrait à la CCG d’intenter des poursuites dans les trente jours, sous réserve d’un prolongement des délais, au sujet d’une interdiction ou d’une suspension de licence.

Les articles 21 et 22 autoriseraient la CCG à révoquer une licence si le titulaire a négligé de se conformer à une exigence d’un arrêté, a été reconnu coupable d’une infraction aux termes de la Loi ou s’est rendu coupable d’une violation. L’article 23 prévoit une amende d’au plus 50 000 $ ou une peine de prison d’au plus six mois pour toute infraction punissable par procédure sommaire ou une amende d’au plus 250 000 $ ou une peine de prison d’au plus deux ans pour une infraction punissable par mise en accusation.

      6.   Autres questions

L’article 9 du projet de loi abrogerait des dispositions désuètes portant sur la réglementation des frais des installations. L’article 10 modifirait un intertitre pour faire mention de négociants en cultures spéciales.

   B.   Application de la Loi sur les grains du Canada

Les articles 26 et 27 apporteraient des modifications consécutives à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire pour y assujettir la Loi sur les grains du Canada. L’article 28 modifierait la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire si ces modifications de la Loi sur les grains du Canada ou la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole entraient en vigueur.

   C.  La Loi sur les marchés de grain à terme

L’article 29 abrogerait la Loi sur les marchés de grain à terme pour permettre à la Commission des valeurs mobilières du Manitoba d’assumer la responsabilité de la réglementation de la Bourse des marchandises de Winnipeg en vertu de la nouvelle Loi sur les contrats à terme.

COMMENTAIRE

En voulant faire promulguer le projet de loi C-26, le gouvernement du Canada cherche à procurer un régime d’assurance à prix abordable aux producteurs de cultures spéciales de l’ouest du Canada, objectif qu’il n’a pas su atteindre jusqu’à maintenant. Le gouvernement fédéral soutient que ce programme expérimental serait une initiative unique et innovatrice en développement économique rural qui, si elle réussit, pourrait servir de modèle pour modifier la conception de régimes d’assurance existants financés par les producteurs pour les cultures ordinaires produites dans l’ouest du Canada. Le projet de loi allie également deux objectifs administratifs dans un effort pour améliorer l’efficacité de la commercialisation des produits céréaliers dans l’ouest du Canada.

Les critiques de ce secteur d’activité ont toujours été prompts à faire remarquer que la garantie exigée des négociants en cultures spéciales pour couvrir leurs obligations de paiement envers les producteurs a forcé les petites entreprises à se lancer dans ce secteur sans être munies d’une licence, à la différence de leurs concurrents plus importants, qui sont détenteurs de licence. Par conséquent, en cas d’insolvabilité, le risque de défaut de paiement est assumé par les producteurs de cultures spéciales. On croit également que l’absence de régime d’assurance abordable pour couvrir ce risque, qui force les producteurs à s’assurer eux-mêmes, a été un obstacle de taille qui a empêché les agriculteurs de se lancer dans les cultures spéciales. Des responsables de l’industrie prétendent que cela fait penser au problème de l’œuf et de la poule : l’industrie ne peut se développer correctement et fournir un approvisionnement stable de cultures spéciales parce qu’il n’existe pas de régime d’assurance pour défaut de paiement, tandis qu’aucune entreprise privée n’envisagerait d’offrir cette assurance parce que le volume de l’industrie est trop faible. Le projet de loi C-26 vise à régler ce problème.

Même si les cas d’insolvabilité de négociants et de défaut de paiement sont rares, même pour les négociants détenteurs de licence, ils peuvent avoir des effets catastrophiques pour les producteurs de cultures spéciales. À l’évidence, un régime d’assurance abordable procurerait de grands avantages et de la stabilité à l’industrie. Pour comprendre pourquoi les régimes du secteur privé ne se sont pas imposés, il faut d’abord comprendre le fonctionnement de ceux-ci.

Dans les régimes de licences ordinaires visant à garantir le paiement en cas de faillite du négociant, comme ceux des cultures courantes telles le blé, l’orge et le canola, les négociants munis de licence doivent déposer des garanties auprès de la CCG. Cette garantie a deux fonctions économiques. Tout d’abord, elle fournit des ressources facilement réalisables pour rembourser en totalité ou en partie l’argent qui est dû aux producteurs. Deuxièmement, il s’agit d’un actif précieux qui incite les négociants munis de licence à agir avec prudence sur le plan financier; un négociant qui a des arrérages importants dans ses paiements aux producteurs et est sur le bord de l’insolvabilité perdrait ses droits sur ces actifs. Ce risque de perte de capitaux importants est pour le vendeur une incitation supplémentaire (en plus de la honte personnelle liée à une faillite et au non-remboursement des dettes) à mener ses opérations en ne prenant que des risques raisonnables. En outre, l’acceptation sociale apparemment plus grande des faillites de sociétés et de particuliers dans l’économie stagnante des années 90, l’absence de garanties et le risque de pertes en capital pourraient inciter de plus en plus les négociants à se lancer dans des affaires de plus en plus risquées qui comportent des risques accrus de faillite.

C’est d’habitude les négociants et les producteurs assurés qui paient cette garantie. Le négociant titulaire de licence fournit les garanties nécessaires relativement au paiement des achats reçus des producteurs de grain et, par conséquent, porte le coût associé (soit en intérêt sacrifié, soit en frais de caution) ainsi que la charge administrative du régime de licence. Ces coûts sont toutefois en grande partie répercutés sur le producteur de grain sous la forme d’un prix d’achat plus faible, tous les coûts restants étant à la charge du négociant. En fin de compte, la force économique relative des parties à ces transactions détermine la part des coûts de chacun.

Par contre, aux termes du projet de loi C-26, la CCG créerait une catégorie de licences pour les négociants en cultures spéciales, qui pourraient être des exploitants d’installation ou des négociants en grains, pourvu qu’ils établissent leur rentabilité financière. L’assureur conseillerait également la CCG sur l’admissibilité des demandeurs de licence. Les détenteurs de licence devraient fournir des garanties pour couvrir leurs obligations de paiement aux producteurs de cultures spéciales. Seuls les producteurs qui vendent à un négociant titulaire de licence ou participent au régime d’assurance pourraient obtenir compensation (jusqu’à concurrence de 90 p. 100 de leur compte débiteur) si une entreprise avec qui ils ont fait affaire ne les paie pas ou fait faillite. Les 10 p. 100 restants sont bien entendu un encouragement pour les producteurs de grains à continuer de choisir judicieusement leurs négociants détenteurs de licence.

Sauf avis écrit à l’effet contraire en début de campagne, tous les producteurs de cultures spéciales seraient considérés comme participant au régime. De toute façon, tous les producteurs paieraient une contribution de 38¢ les 100 $ de vente (comprenant une prime d’assurance de 20¢ et des frais administratifs de 18¢ pour la CCG) au négociant titulaire de licence qui, à son tour, transmettrait cet argent à la CCG. Celle-ci verserait la composante correspondant à la prime d’assurance à la SEE. La contribution proposée est calculée en fonction de la prévision de 125 négociants participant au régime de licence (d’après un sondage auprès de 32 négociants en cultures spéciales) et de calculs de la SEE tenant compte des données historiques sur les faillites des grands négociants en grains titulaires de licences. Ces taux, qui semblent solides au plan actuariel et ne devraient exiger aucune subvention du gouvernement, seraient modifiés avec le temps à la lumière de l’expérience acquise.

Les producteurs qui préfèrent ne pas participer au régime obtiendraient le remboursement de toutes leurs contributions lorsqu’ils déposeraient les documents pertinents à la fin de la saison. Par conséquent, leur charge se résumerait aux risques et aux coûts liés au défaut de paiement par le négociant, au coût d’opportunité lié au prêt implicitement accordé à la CCG entre le prélèvement de la contribution et son remboursement à la fin de la campagne et aux frais administratifs accessoires de la tenue et de la production de documents pour le remboursement des contributions versées.

Le gouvernement du Canada pourrait donc offrir un régime d’assurance abordable à participation facultative là où le secteur privé, pour deux grandes raisons, n’a pu le faire. Tout d’abord, le gouvernement profiterait de son statut spécial pour modifier le droit coutumier sur le recrutement par défaut et toucherait des contributions obligatoires des producteurs non participants (dont le remboursement ne comprendrait pas le coût d’opportunité, c’est-à-dire l’intérêt sacrifié) pour abaisser les frais d’administration de la CCG. Deuxièmement, la CCG remplacerait le paiement de garanties par une surveillance administrative des détenteurs de licence. Cette surveillance comporterait un contrôle périodique des états financiers annuels, des rapports sur les ventes mensuelles et les contrats et sur les limites de crédit. Par conséquent, le gouvernement soutient que, parce qu’il ferait disparaître la pratique normale de garanties dans le régime de licences, le projet de loi C-26 constitue une initiative unique de développement économique rural.

On pourrait toutefois remettre en question le projet de loi C-26 pour deux motifs. Tout d’abord, est-ce que des règles plus égales en matière d’indemnisation pour les défauts de paiement des négociants en cultures spéciales grands et petits constituent vraiment une meilleure structure industrielle que celle qui existe en ce moment? En l’absence de subvention indirecte financée par le contribuable, les producteurs de cultures spéciales seraient peut-être en meilleure posture en ayant le choix entre vendre leurs produits à de grands négociants en grains détenteurs de licence ou à de petits négociants en grains qui n’en ont pas. Les producteurs réfractaires au risque qui n’ont pas les moyens d’assumer le coût choisiraient les premiers, tandis que les producteurs disposés à prendre des risques et ayant ces moyens opteront pour les seconds. Le marché des négociants se subdiviserait donc en deux parties selon les préférences des producteurs en matière de risque, ce qui permettrait aux deux types de producteurs d’obtenir le meilleur rendement. Rien ne prouve que la structure optimale de ce secteur soit une structure homogène; en réalité, le fait qu’aucun régime d’assurance privée ne soit apparu pour couvrir les défauts de paiement de négociants semble indiquer le contraire. En outre, mettre le manque de croissance de l’industrie sur le compte du problème de la poule et de l’œuf n’est peut-être pas justifié. Un régime d’assurance qui ne comporte aucune subvention financée par le contribuable n’est pas une source d’avantages économiques réels.

Deuxièmement, est-il vrai que le régime d’assurance ne comporterait aucune subvention indirecte du contribuable? La portion de la contribution réservée à l’assurance est présentée comme satisfaisante sur le plan actuariel, mais les données sur les défauts de paiement des négociants non titulaires de licence ne sont pas faciles à trouver si bien que les calculs ont été faits à partir des données concernant les négociants en grains titulaires de licence. Cependant, ces données peuvent sous-estimer le taux réel de défaut de paiement. Il existe une différence fondamentale entre un régime d’assurance et un régime de garanties. Comme nous l’avons signalé plus haut, les garanties ont deux fonctions. La première est de fournir des actifs facilement réalisables pour rembourser aux producteurs ce qui leur est dû; cela serait remplacé par l’assurance de la SEE financée par les contributions des producteurs participants. La deuxième fonction de la garantie consiste à inciter les entreprises à ne prendre que des risques raisonnables. Autrement dit, la garantie est une sorte d’otage permettant d’influencer les comportements. Il s’agit d’un moyen qui s’est avéré très sûr bien que coûteux.

Une autre solution serait que le gouvernement applique un système de surveillance administrative obligatoire qui reposerait exclusivement sur la surveillance et une divulgation périodique des états financiers et du crédit pour assurer la solvabilité financière et la capacité des négociants. La licence attesterait la crédibilité financière (stabilité) et le caractère raisonnable des risques, mais on ne pourrait s’y fier que dans la mesure où les surveillants s’acquittent bien de leur tâche. Une bonne surveillance appuyée par des menaces d’expulsion immédiate ou de révocation de la licence serait efficace, mais coûteuse. Une surveillance mauvaise, incomplète ou tardive appuyée par des menaces laxistes, indulgentes ou peu crédibles serait moins coûteuse, mais aussi beaucoup moins efficace.

L’expérience montre que les incitations d’un régime de garanties versées par des négociants titulaires de licence est le moyen le moins coûteux de ramener les faillites au minimum. Le secteur privé a essayé le système coercitif de surveillance administrative par le passé, dans d’autres contextes, mais cette formule ne s’est pas avérée très efficace; la surveillance est coûteuse pour l’administrateur et l’application des dispositions coûte cher aux négociants, et les coûts sont transmis à l’assuré. Comme il n’est pas prouvé que les dirigeants de la CCG et de la SEE possèdent des connaissances supérieures sur la pratique d’une surveillance diligente, on peut dire que la contribution proposée sous-estime le coût économique réel de l’assurance. Le taux de faillite de l’industrie risque d’augmenter davantage dans le contexte d’un régime d’assurance, par rapport à un système de garanties; inévitablement, certains négociants, sachant fort bien que les producteurs sont assurés contre les défauts de paiement et qu’il n’y a aucun risque de pertes de capital essaieront de maximiser leurs profits en assumant des risques commerciaux et financiers plus grands.

La SEE n’a pas prouvé que cette contribution serait protégée contre ce type de comportement dangereux. En outre, un comité consultatif dominé par des producteurs de cultures spéciales ne sera guère porté à recommander que les primes d’assurance à la SEE progressent à un rythme plus rapide que le taux d’inflation. Il pourrait donc être conseillé au ministre de fournir une subvention à perpétuité pour éviter l’effondrement du régime d’assurance offert par le gouvernement; il n’existe tout simplement aucune preuve que les producteurs, si les primes d’assurance reflétaient vraiment les coûts économiques réels, seraient en meilleure position que si le statu quo est maintenu.