Direction de la recherche parlementaire |
MR-130F
EXEMPTION D'IMPÔT SUR LE REVENU
Rédaction :
Jane May Allain
TABLE DES MATIÈRES
L'ARTICLE 87 DE LA LOI SUR LES INDIENS ET LA DÉCISION WILLIAMS
EXEMPTION D'IMÔT SUR LE REVENU
VISANT
Récemment, les médias ont porté leur attention sur une occupation de bureaux organisée à Toronto par des Indiens inscrits pour protester contre la nouvelle politique de Revenu Canada concernant les revenus d'emploi gagnés hors réserve. Après la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Williams c. Canada [(1992), 90 D.L.R. (4th) 129], Revenu Canada a modifié son Décret de remise visant les Indiens de manière à ne plus exempter d'impôt sur le revenu les Indiens qui travaillent hors réserve simplement parce que leur employeur a son établissement d'affaires dans une réserve. Revenu Canada a repoussé la mise en oeuvre de sa nouvelle politique pendant plusieurs années, mais il a finalement décidé de ne plus accorder de délai à compter de la présente année fiscale; depuis le 1er janvier 1995, les Indiens inscrits qui travaillent hors réserve pour un employeur établi dans une réserve n'ont plus automatiquement droit à une exemption d'impôt. Dans le présent document, nous traitons de l'exemption fiscale générale accordée aux Autochtones en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, résumons la décision Williams et donnons un aperçu des plus récentes modifications apportées à la politique de Revenu Canada, y compris le Décret de remise de l'impôt sur le revenu visant les Indiens [C.P., 1994-799, 12 mai 1994, Gazette du Canada, Partie II, 1er juin 1994]. L'ARTICLE 87 DE LA LOI SUR LES INDIENS ET LA DÉCISION WILLIAMS Le paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens accorde une exemption générale de la taxation aux Indiens inscrits pour les biens situés dans une réserve. Voici un extrait de cette disposition:
Par ailleurs, le paragraphe 87(2) prévoit que nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné à l'alinéa ci-dessus. Ce qu'il faut donc déterminer, c'est si l'impôt sur le revenu frappe des « biens personnels » d'un Indien et si ces biens sont «situés sur une réserve». Pour bien comprendre le sens de ces expressions, il faut se reporter aux principales décisions s'y rapportant. En 1983, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Nowegijick c. la Reine [(1983), 144 D.L.R. (3d) 193]. Le tribunal a déclaré qu'un Indien travaillant pour une compagnie forestière située dans une réserve n'avait pas à payer d'impôt sur le revenu gagné pour le travail effectué hors réserve. Dans l'introduction de son argumentation, la Cour s'est demandé si le fait que le travail ait été effectué hors réserve avait une incidence sur le situs: en d'autres mots, le salaire reçu par M. Nowegijick était-il dans la réserve? Dans son plaidoyer, la Couronne a reconnu que le salaire de M. Nowegijick était bel et bien situé dans la réserve: c'était là que se trouvait son employeur et, par conséquent, que son salaire était payable. La Cour suprême a admis que le situs d'un revenu était déterminé par le lieu de résidence du débiteur, c'est-à-dire par le lieu de l'établissement d'affaires de l'employeur. La Cour a ajouté que le revenu constituait un « bien personnel » et que, par conséquent, l'impôt à payer sur ce revenu était aussi un bien personnel. Puisque la Cour avait décidé que l'article 87 de la Loi sur les Indiens exemptait les personnes et les biens de toute taxation, la question de savoir si l'impôt sur le revenu constituait une taxe sur les personnes ou les biens n'avait aucune incidence dans l'affaire. M. Nowegijick n'avait donc pas à payer d'impôt sur son salaire. Dans l'affaire Williams, en 1992, la Cour suprême n'avait pas à se prononcer sur l'imposition d'un revenu d'emploi, mais sur celle de prestations d'assurance-chômage touchées par un Indien inscrit vivant dans une réserve. On avait demandé à la Cour de dire si ces prestations étaient «situées» dans la réserve au sens de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. La Cour a examiné son raisonnement dans l'affaire Nowegijick, où elle avait déclaré que le situs d'un revenu d'emploi était le lieu de résidence du débiteur. Dans cette affaire, la Cour avait tout simplement suivi la règle générale applicable aux conflits de lois, qui dit que le paiement d'une dette est exigible au lieu de résidence du débiteur. Dans l'affaire Williams, la Cour suprême a expliqué que, dans le contexte, cette règle ne s'appliquait pas, mais qu'il fallait se pencher sur les buts de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu pour déterminer si l'imposition des prestations d'assurance-chômage constituait une atteinte aux droits garantis à un Indien vivant dans une réserve. Cependant, la Cour s'est dite d'avis que, dans certains cas, le lieu de résidence du débiteur constituait un facteur important, et peut-être même le seul facteur à considérer au moment de déterminer le situs des prestations reçues. La Cour suprême a ensuite examiné les facteurs de rattachement qui pourraient servir à déterminer le situs des prestations d'assurance-chômage. Elle a estimé que, en l'occurrence, il fallait examiner ces facteurs de rattachement en tenant compte du genre de bien taxé et de la nature de la taxe en cause. Au nom de la Cour, le juge Gonthier a fait remarquer que les facteurs de rattachement peuvent prendre une valeur différente selon qu'ils s'appliquent à des prestations d'assurance-chômage, à un revenu d'emploi ou à des prestations de pension. Dans le cas de l'assurance-chômage, la Cour n'a pas jugé que le lieu de résidence du débiteur et le lieu du paiement étaient des facteurs pertinents. Elle a déclaré que le facteur de rattachement le plus important était le lieu de l'emploi ouvrant droit aux prestations. La Cour a statué que les prestations d'assurance-chômage étaient plutôt des prestations payées par les travailleurs cotisants que des prestations payées par le gouvernement à même ses recettes générales. Le lieu de résidence du prestataire pourrait prendre plus d'importance s'il différait du lieu où ce prestataire a occupé son emploi assurable. Puisque M. Williams avait gagné son droit aux prestations d'assurance-chômage en travaillant dans la réserve et qu'il avait reçu ses prestations pendant qu'il habitait dans la réserve, la Cour a déclaré qu'il était clair que ces prestations étaient situées dans la réserve. Le juge Gonthier a fait une mise en garde en disant que les faits se rapportant à l'affaire Williams ne se prêtaient pas à l'établissement de critères qui permettraient de déterminer le lieu d'un revenu d'emploi. On peut en effet lire ceci à la page 897 du volume 1 du R.C.S. de 1992:
Même si la Cour suprême a déclaré que les facteurs de rattachement utilisés dans l'affaire Williams ne seraient pas nécessairement retenus dans des causes concernant un revenu d'emploi, Revenu Canada s'est appuyé sur cette affaire pour justifier les modifications apportées récemment à sa politique et au Décret de remise de l'impôt sur le revenu visant les Indiens. LA NOUVELLE POLITIQUE DE REVENU CANADA ET LE DÉCRET DE REMISE En décembre 1992, Revenu Canada a annoncé qu'il modifierait l'application de l'exemption d'impôt visant les Indiens inscrits à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Williams. Une lettre du sous-ministre adjoint de la Direction générale des affaires législatives et intergouvernementales, datée du 29 décembre 1992, a été reproduite dans Canada Tax Service [Stikeman, De Boo, Canada Tax Service, p. 81-111 et 81-112]. Le revenu d'emploi devait, dès ce moment, être vu comme suit aux fins de l'établissement des cotisations:
Revenu Canada a restreint la portée de l'exemption de taxation prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Le ministère n'a pas déclaré que tous les revenus d'emploi pour du travail exécuté hors des réserves seraient inévitablement assujettis à l'impôt, mais, aux termes de sa nouvelle politique, le lieu de l'établissement d'affaires de l'employeur n'est plus le seul facteur qui entre en ligne de compte. En vertu du Décret de remise de l'impôt sur le revenu visant les Indiens, le revenu d'emploi provenant d'un travail exécuté dans une réserve a été exempté d'impôt entre 1983 et 1991. Après que Revenu Canada a modifié sa politique en s'appuyant sur la décision Williams, il a adopté un autre décret en accordant une période de transition raisonnable aux Indiens et à leurs organisations qui avaient planifié leurs affaires en fonction des décisions antérieures des tribunaux. L'article 3 du Décret de remise de l'impôt sur le revenu visant les Indiens, qui exempte d'impôt certains revenus d'emploi reçus par des Indiens d'employeurs situés dans une réserve ou un établissement indien, a d'abord été étendu aux années d'imposition 1992 et 1993. Par la suite, il a été étendu à l'année 1994, mais à la condition que les fonctions et emplois aient été occupés de façon continue avant 1994. À partir du 1er janvier 1995, les Indiens inscrits qui gagnent un revenu d'emploi pour des fonctions exécutées hors des réserves devront payer l'impôt sur le revenu. Dans les médias, l'estimation du nombre de personnes touchées varie de 3 000 à 15 000. Des leaders autochtones ont déclaré qu'à leur avis, la nouvelle politique de Revenu Canada empiète sur leurs droits issus des traités et indiqué qu'ils la contesteront en cours pour éviter qu'elle ne soit mise en oeuvre. |