BP-374F

 

BOSNIE-HERZÉGOVINE : LA RÉACTION
DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

 

Rédaction :
Vincent Rigby
Division des affaires politiques et sociales
Janvier 1994


 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LE CHEMIN VERS LA GUERRE

LA CEE ET L’ÉCHEC DE LA DIPLOMATIE PRÉVENTIVE

LES NATIONS UNIES : ÉTAPES PRÉLIMINAIRES

LES SANCTIONS

LE DÉPLOIEMENT DES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX DE L’ONU

LES RAVAGES DE LA GUERRE

LES PRESSIONS EN FAVEUR D’UNE INTERVENTION MILITAIRE

LA CONFÉRENCE DE LONDRES ET LA PÉRIODE QUI SUIVIT

DE NOUVELLES PROPOSITIONS DE PAIX : LE PLAN VANCE-OWEN

L’INITIATIVE AMÉRICAINE

LES PRESSIONS

LES TRACTATIONS TRANSATLANTIQUES

LA MORT DU PLAN DE PAIX

LA DIVISION DU TERRITOIRE

LES ATTAQUES AÉRIENNES

L’IMPASSE

CONCLUSION

 


GLOSSAIRE

CE - Communauté européenne
CICR - Comité international de la Croix-Rouge
CSCE - Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
FORPRONU - Force de protection des Nations Unies dans l’ex-Yougoslavie
HCR - Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
JNA - Armée fédérale yougoslave
MSCE - Mission de surveillance de la Communauté européenne
ONU - Organisation des Nations Unies
OTAN - Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord
RFY  - République fédérale de Yougoslavie
UEO - Union de l’Europe occidentale


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N.B. :  La Serbie et le Monténégro se sont unis pour former la nouvelle République fédérale de Yougoslavie (RFY).

 

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The New York Times (adaptation française)


 

BOSNIE-HERZÉGOVINE : LA RÉACTION
DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

 

INTRODUCTION

Les violents combats qui se déroulent en Bosnie-Herzégovine depuis deux ans témoignent quotidiennement des bouleversements et du chaos qui ont suivi la fin de la guerre froide. L’effondrement de l’Empire soviétique et les changements considérables que cela a entraîné sur le plan de la sécurité internationale ont créé, non pas le « nouvel ordre mondial » que tant de gens envisageaient, mais un sordre international généralisé qui ne semble pas prêt de se dissiper.

Ces troubles ont été surtout marqués par une recrudescence spectaculaire des conflits ethniques, religieux et communautaires. Principalement en Europe de l’Est et dans l’ex-Union soviétique, les citoyens et les gouvernements, libérés du joug communiste et balayés par un véritable raz-de-marée démocratique, se sont empressés de reprendre la bannière du nationalisme qu’ils avaient dû réprimer jusque-là. Dans certains cas comme celui de la Tchécoslovaquie, les résultats ont été spectaculaires, mais pacifiques. Dans d’autres, comme en Azerbaïdjan, en Géorgie, et en Yougoslavie, le nationalisme a explosé avec violence. Il n’y avait pas eu de tels bains de sang en Europe et dans les régions avoisinantes depuis la Seconde Guerre mondiale.

Il fallait s’attendre à ce genre de conflits. L’effondrement de vastes empires crée inévitablement des périodes de nationalisme intense et d’instabilité politique générale. Les experts n’ont pas été vraiment surpris de voir des conflits, même dans des pays plus éloignés tels que la Somalie et l’Angola, où le nationalisme a joué un rôle moins important. Étant donné la fin de la guerre froide, l’importance stratégique immédiate de ces régions a disparu et l’on pouvait prévoir que les seigneurs de la guerre ne rateraient pas l’occasion d’en venir aux prises.

Toutefois, ce qui a étonné beaucoup de gens, c’est la durée de ces conflits et la longue hésitation que la communauté internationale a mis pour intervenir et soutenir énergiquement les efforts visant à arrêter les combats meurtriers. Toute considération stratégique mise à part, la fin de la guerre froide était censée marquer le début d’une nouvelle ère de sécurité collective qui permettrait de mettre rapidement un terme aux conflits de ce genre. Les Nations Unies devaient ouvrir la voie. On s’attendait à ce que, après quarante-cinq années de tiraillements entre Américains et Soviétiques au Conseil de sécurité, l’ONU remplisse enfin les promesses de sa Charte et devienne autre chose qu’un simple lieu de discussions. De nombreuses personnes ont mentionné — peut-être à tort — le succès de la guerre du Golfe comme la preuve que les Nations Unies étaient prêtes à intervenir plus énergiquement dans le règlement des conflits. On s’attendait aussi à ce que les organisations régionales se mettent à la remorque de l’ONU et jouent un rôle plus visible sur la scène mondiale. Malheureusement, ce rêve s’est transformé en cauchemar. La communauté mondiale n’a pratiquement jamais su répondre efficacement aux menaces contre la sécurité internationale. Même dans les régions du globe auxquelles les Nations Unies et les autres organisations ont fini par consacrer toute leur attention, les résultats ont été décevants.

Nulle part l’échec de la communauté internationale n’a été plus visible qu’en Bosnie(1), où les combats font maintenant rage depuis plus de vingt mois. L’ONU et une pléthore d’organismes régionaux, particulièrement la Communauté européenne (CE) et l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), ont constamment échoué dans leurs efforts en vue d’arrêter le carnage et d’amener les factions ethniques rivales à conclure un règlement politique acceptable et durable. En deux mots, la Bosnie est malheureusement devenue le symbole de l’échec de la sécurité collective dans le monde de l’après-guerre froide. Elle est un microcosme de tous les problèmes que l’ONU et les autres organisations de sécurité doivent affronter aujourd’hui lorsqu’elles tentent de régler les conflits régionaux, soit la montée du nationalisme ethnique et les questions complexes qui sont liées au concept de la souveraineté; la nécessité d’une coopération entre les organismes internationaux ainsi que l’évolution de l’intervention extérieure dans les conflits armés, qui est passé des opérations traditionnelles de maintien de la paix et de l’aide humanitaire à la protection des droits de la personne et à la possibilité d’imposition de la paix. Ces problèmes sont innombrables.

Dans le présent document, nous examinons la réaction de la communauté internationale face à la guerre en Bosnie au cours des deux années se terminant en décembre 1993. Nous cherchons à expliquer les échecs qu’a connus la communauté internationale et les leçons qu’elle peut en tirer pour l’avenir.

LE CHEMIN VERS LA GUERRE

À l’été de 1991, la désintégration de la Yougoslavie était déjà bien amorcée. Les tensions entre les divers groupes ethniques et religieux dont le maréchal Tito avait nié l’existence pendant trente-cinq ans s’étaient dangereusement envenimées, les vieilles inimitiés datant de la Seconde Guerre mondiale ou même d’avant avaient refait surface et la violence à grande échelle devenait inévitable. En juin 1991, les républiques de Croatie et de Slovénie, fatiguées de la domination serbe et prêtes à affirmer leur nationalisme, proclamèrent leur indépendance de l’État yougoslave. L’armée fédérale (JNA), sur laquelle la Serbie avait la haute main, réagit quelques jours plus tard en lançant des attaques contre les républiques dissidentes. En Slovénie, les combats prirent rapidement fin, mais en Croatie, où vit une importante minorité serbe, la violence s’aggrava. Les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes relancèrent leurs vieilles querelles et découvrirent de nouvelles raisons de se haïr, ce qui ne cesserait d’alourdir le bilan des morts au cours des six mois suivants.

Les premières tentatives faites par la communauté internationale, et surtout la CE, pour intervenir dans le conflit, eurent peu de résultats. C’est seulement à la fin de 1991 que l’ONU, ne sachant pas trop si elle pouvait s’ingérer dans les conflits internes d’un État souverain, décida d’agir. Sous la direction de Cyrus Vance, ancien secrétaire d’État américain et envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies, un cessez-le-feu stable fut établi en janvier 1992; à la même époque, répondant aux exhortations de l’Allemagne et de l’Autriche, la CE reconnut la Slovénie et la Croatie comme des États indépendants. On se mit à préparer activement le déploiement d’une force de maintien de la paix en Croatie et les soldats de l’ONU commencèrent à arriver sur les lieux au printemps de 1992.

Même si le conflit en Croatie était loin d’être résolu — près de deux ans plus tard la menace d’une nouvelle guerre continue à planer — certaines mesures de stabilité furent mises en place. Les dirigeants politiques du monde entier poussèrent un soupir de soulagement lorsque le couvercle sembla remis sur la marmite balkanique. Néanmoins, cet optimisme n’était pas justifié. Quelques mois plus tard, les combats reprenaient, mais, cette fois, dans un nouveau décor et avec encore plus de brutalité.

La Croatie et la Serbie furent au centre de l’action pendant toute l’année 1991, mais la situation évoluait graduellement dans les autres républiques yougoslaves. Le courant nationaliste qui emportait la Croatie et la Slovénie eut ses effets les plus marqués en Bosnie-Herzégovine. Composée de Musulmans (44 p. 100 de la population de 4,5 millions d’habitants, en 1991), de Serbes (31 p. 100) et de Croates (17 p. 100), la Bosnie était la poudrière la plus explosive des Balkans. Certains Bosniaques vivaient dans des régions ethniques distinctives, mais ce n’était pas le cas de la plupart d’entre eux; l’Histoire et les mariages mixtes avaient créé un véritable casse-tête ethnique.

Au début de la crise yougoslave, le président de la Bosnie, Alija Izetbegovic, un Musulman, avait suggéré qu’une nouvelle constitution soit rédigée pour la Yougoslavie de façon à ce que les pouvoirs des six républiques soient redéfinis et que les Communistes perdent leur prépondérance au gouvernement. Toutefois, cela se passait avant les déclarations d’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, en juin 1991. Il était alors clair que la Serbie imposerait encore davantage sa domination à une Yougoslavie divisée. L’indépendance de la Bosnie devenait de plus en plus, du moins aux yeux des Croates et des Musulmans, la seule solution de rechange à une Grande Serbie. En octobre 1991, les représentants musulmans et croates de l’Assemblée nationale de la république bosniaque approuvèrent un protocole affirmant la souveraineté de la Bosnie(2). Toutefois, les Serbes de Bosnie avaient d’autres intentions. En novembre, ils votèrent pour que la république continue de faire partie de la Yougoslavie, craignant de se retrouver minoritaires dans un État musulman s’ils étaient séparés de la majorité de leurs compatriotes serbes. Répartis dans les deux-tiers de la Bosnie, ils s’opposaient à ce que toute partie de ce territoire soit séparée de la Yougoslavie. Pour eux, l’indépendance revenait à une déclaration de guerre. Haris Silajdzic, ministre des Affaires étrangères de Bosnie, répondit que si les Serbes voulaient la guerre, ils l’auraient(3). Les dés étaient jetés.

LA CEE ET L’ÉCHEC DE LA DIPLOMATIE PRÉVENTIVE

Malgré l’inefficacité dont elle avait fait preuve en Croatie, la Communauté européenne prit l’initiative de chercher à résoudre la situation qui ne cessait de se dégrader en Bosnie. La CE croyait toujours avoir la responsabilité de veiller sur les États situés à proximité de son territoire. Malheureusement, ses efforts se révélèrent une fois de plus insuffisants. Certains experts ont même laissé entendre que la CE a peut-être, en fait, contribué à mettre le feu aux poudres.

En se montrant prête à reconnaître la Slovénie et la Croatie, à la fin de 1991, la Communauté a en quelque sorte invité les autres républiques yougoslaves à demander leur indépendance. Le gouvernement de la Bosnie a demandé officiellement, le 20 décembre 1991, que l’indépendance de la république soit reconnue, en promettant d’établir des territoires autonomes dans les régions où les membres d’une minorité formaient une majorité locale. Cela ne contribua pas vraiment à apaiser les Serbes de Bosnie, qui répondirent à la demande adressée par le président à la CE en proclamant une république serbe indépendante, le 9 janvier 1992.

La Commission d’arbitrage Badinter, constituée au cours de l’été de 1991 dans le cadre de la Conférence de la paix de la CE sur la Yougoslavie, se trouvait alors dans une situation délicate. Elle avait pour rôle d’examiner les demandes de reconnaissance adressées par les républiques, mais dans le cas de la Bosnie, elle risquait fort d’attiser le feu. La Commission opta donc pour une tactique dilatoire, en faisant valoir qu’il n’était pas « clairement établi » que la population de Bosnie souhaitait un État indépendant, mais que la CE pourrait reconnaître l’indépendance à l’issue d’un référendum auquel tous les citoyens participeraient, sous la supervision de la communauté internationale, à la condition que les droits des minorités et des groupes ethniques soit respectés. Le gouvernement de Bosnie ne perdit pas de temps. Le 25 janvier, l’Assemblée nationale, boycottée par le parti serbe, approuva la tenue d’un référendum sur la souveraineté de la république à la fin de février. La présidence portugaise de la CE mit alors carte sur table : elle déclara sans équivoque que si les électeurs votaient pour l’indépendance, la CE reconnaîtrait la république.

Cette dernière mesure a sans doute décidé du sort de la Bosnie. En acceptant de reconnaître l’indépendance de la république à la majorité simple plutôt qu’avec l’accord des groupes ethniques constituant cette dernière, la CE a sans doute pratiquement garanti la violence et peut-être violé le droit international(4). La politique de la Communauté présentait d’ailleurs certaines contradictions. Le président de Bosnie incarnait une structure administrative fédérale dans laquelle toutes les communautés étaient représentées et pourtant, la CE l’incitait à apporter des modifications constitutionnelles fondamentales malgré la vive opposition de l’une de ces communautés. De plus, la Communauté européenne s’attendait à jouer un rôle particulier dans la reconnaissance de la Bosnie et pourtant, elle n’avait aucune intention de la protéger en tant qu’entité indépendante(5).

Quel était le raisonnement de la CE? La Communauté croyait que la reconnaissance de la Croatie avait mis un terme aux combats dans cette région; elle espérait pouvoir empêcher la guerre, de la même façon, en Bosnie. Malheureusement, peu d’indices lui donnaient raison dans un cas comme dans l’autre. En fait, étant donné l’intention avouée des Serbes de s’opposer à l’indépendance, il fallait s’attendre à ce que la reconnaissance de la Bosnie déclenche la violence. Tout semblait indiquer que la Bosnie était au bord du désastre; en fait, une mission de contrôle de la CE avait été envoyée dans la république au début de 1992 pour évaluer la situation. Toute possibilité de suspendre la reconnaissance pour gagner du temps et négocier un règlement politique était maintenant perdue. Lord Carrington, le négociateur de la CE et Cyrus Vance, se sentirent tous deux trahis. Ils avaient perdu leur monnaie d’échange(6).

Même si elle s’était placée dans une situation inextricable, la CE continua à promouvoir des pourparlers entre les factions rivales. Ces dernières semblèrent en être parvenues à un compromis, lors d’une conférence qui eut lieu à Lisbonne, en février 1992. Les Serbes acceptaient de respecter les frontières existantes de la Bosnie, tandis que Izetbegovic promettait d’établir des unités territoriales nationales en Bosnie, soit, en fait, de créer une sorte de Suisse balkanisée. Mais les détails de ce plan restaient imprécis, surtout en ce qui concernait le degré d’autonomie que ces unités posséderaient, et aucun accord définitif ne fut conclu. En réalité, les deux parties étaient loin de pouvoir s’entendre. Les Serbes espéraient certainement voir les cantons saper l’autorité du gouvernement de Sarajevo, tandis que Izetbegovic s’attendait à ce que les provinces autonomes soient faibles et inefficaces.

Le référendum qui eut lieu en Bosnie-Herzégovine entre le 29 février et le 1er mars 1992 ne causa aucune surprise. Sur les 63 p. 100 de Bosniaques qui allèrent voter, 99 p. 100 optèrent pour l’entière indépendance. Comme on s’y attendait, la majorité des Serbes boycottèrent le référendum. Radovan Karadzic, chef du parti démocratique serbe en Bosnie et proche allié du président serbe, Slobodan Milosevic, déclara que les siens n’accepteraient pas une Bosnie-Herzégovine indépendante. Izetbegovic ne tient pas compte de cet avertissement, proclamant l’indépendance de la Bosnie, le 3 mars. Entre temps, la violence entre les Serbes et les Musulmans prenait de l’ampleur à Sarajevo tandis que d’autres affrontements avaient lieu entre Croates et Serbes dans d’autres régions de la république.

Les Musulmans croyaient que l’issue du référendum leur conférait une carte maîtresse pour obtenir la reconnaissance internationale. Toutefois, la CE hésitait; elle se devait de tenir compte des déclarations répétées des Serbes selon lesquelles la guerre risquait d’éclater à tout moment. La Communauté essaya désespérément de retarder l’inévitable. Le 18 mars, Jose Cutileiro, un diplomate portugais qui dirigeait la Conférence de la CE sur la Bosnie-Herzégovine négocia, à Sarajevo, un accord qui prévoyait trois provinces ethniques autonomes, selon le plan envisagé à Lisbonne. Néanmoins, une fois de plus, les détails restaient vagues. Comme chacun savait que seules quelques rares régions de Bosnie étaient habitées exclusivement par l’une des trois communautés, les chances de succès restaient minces. Tant les Musulmans que les Serbes avaient de sérieuses réserves au sujet de ce plan, les premiers parce qu’il risquait d’entraîner la désintégration de la république, et les seconds parce qu’il ne cherchait pas à relier les unités nationales proposées à la création d’une confédération yougoslave(7). Malgré les pressions qu’exerça la CE en faisant de la signature d’un accord l’une des conditions de sa reconnaissance de l’indépendance de la République de Bosnie, Izetbegovic renonça publiquement à cette entente quelque temps plus tard, peut-être avec l’appui des Américains(8). Les enjeux augmentèrent une fois de plus lorsque Karadzic annonça la création d’une république serbobosniaque indépendante, le 27 mars. Les pourparlers qui s’ensuivirent n’eurent aucun résultat et la violence continua de se répandre. Le compte à rebours vers l’éclatement de la guerre était commencé.

La crise atteint son point culminant lorsque la CE et les États-Unis reconnurent la Bosnie, le 7 avril. Compte tenu de la pagaille qui régnait alors dans la république, il était clair que les critères qui devaient être normalement remplis pour la reconnaissance n’étaient pas présents. Toutefois, cédant aux pressions des États-Unis (qui avaient refusé, jusque-là, de reconnaître les républiques « sécessionnistes »), la Communauté européenne alla quand même de l’avant. Les ministres des Affaires étrangères de la CE continuèrent à croise, malgré toutes les preuves du contraire, que la reconnaissance de l’indépendance mettrait un terme aux combats et préserverait un pays uni. En outre, ils avertirent implicitement les Serbes qu’on ne les laisseraient pas continuer sur la voie de la violence en Bosnie. Mais sans la menace du recours à la force, cet avertissement ne fut pas entendu. Une véritable guerre avait débuté.

Devant la progression du conflit, la CE tenta désespérément de ramener les principales factions à la table de négociation. Toutefois, la trêve négociée par Cutileiro, le 12 avril, ne fut pas respectée; également, le cessez-le-feu négocié par Lord Carrington deux semaines plus tard et singé par Izetbegovic, Karadzic et Mate Boban, de la Communauté démocratique croate de Bosnie, fut rompu quelques heures plus tard. Cela marqua le début d’un cycle qui allait se répéter constamment au cours des vingt mois suivants, les diverses forces sur le terrain échappant au contrôle de leurs dirigeants politiques et militaires respectifs. Ayant obtenu la reconnaissance de la CE, les Musulmans n’étaient pas prêts à faire de concessions tandis que les Serbes adoptaient la même position parce qu’ils se sentaient piégés dans un nouvel État souverain.

La guerre fit bientôt rage sans qu’il soit possible de la contrôler. Le 2 mai, les ministres des Affaires étrangères de la CE, réunis au Portugal reconnurent la crise humanitaire de plus en plus grave qui existait en Bosnie et insistèrent pour que l’aide à cette région soit inscrite en tête de liste des priorités. Mais le même jour, un membre belge de la mission de surveillance de la CE (MSCE) était tué, et les opérations furent suspendues en signe de protestation. Les membres restant de la MSCE quittèrent Sarajevo le 12 mai. Les ambassadeurs de la CE à Belgrade avaient déjà été rappelés. La perspective d’un règlement de paix négocié rapidement par la Communauté européenne s’estompait rapidement.

LES NATIONS UNIES : ÉTAPES PRÉLIMINAIRES

Pendant ce temps, les Nations Unies hésitèrent pendant tout l’hiver et le printemps de 1992 à intervenir de façon précipitée en Bosnie et laissèrent la CE prendre l’initiative. Néanmoins, comme les efforts de médiation de cette dernière restaient vains et que les médias internationaux commençaient à s’intéresser davantage au blocus de Sarajevo et au sort des réfugiés musulmans, les Nations Unies furent soumises à des pressions plus fortes. Quant les ministres des Affaires étrangères de la CE suggérèrent, à leur réunion de mai au Portugal, que la Communauté s’efforce, en collaboration étroite avec l’ONU, de séparer les belligérants, c’était peut-être pour obliger les Nations Unies à sortir de l’ombre. Après énormément d’hésitations, l’ONU se décida enfin à intervenir.

Dès le début de la crise, avant même que ne commencent les combats à grande échelle, les autorités bosniaques avaient incité l’ONU à s’interposer entre les factions ethniques rivales. Lorsque Cyrus Vance se rendit à Sarajevo, le 2 janvier 1992, le président bosniaque demanda le « déploiement préventif » de deux à trois milles gardiens de la paix pour empêcher la guerre. La réponse de Boutros Boutros-Ghali, le secrétaire général des Nations Unies, fut sans équivoque(9). Lorsque le ministre des Affaires étrangères de Bosnie, M. Silajdzic, réitéra sa demande à Genève, en avril, le secrétaire général fut plus explicite, mettant l’accent sur

la répartition des tâches entre l’ONU, dont le mandat en matière de maintien de la paix ne s’étend qu’à la situation en République de Croatie […] et la Communauté européenne à laquelle revient le rôle de rétablir la paix dans l’ensemble de la Yougoslavie. En réponse à la demande précise du Ministre, j’ai fait observer qu’une présence accrue de la Communauté et un élargissement de ses activités en Bosnie-Herzégovine seraient peut-être préférables(10).

En fait, le 7 avril, le Conseil de sécurité adopta la résolution 749, qui exhortait toutes les parties à coopérer avec la Communauté européenne pour instaurer un cessez-le-feu et négocier une solution politique(11).

Cyrus Vance se rendit de nouveau en Bosnie à la mi-avril, mais Boutros-Ghali resta sur ses positions déclarant que, malheureusement, les conditions existant en Bosnie-Herzégovine étaient telles qu’il était impossible de trouver une solution pratique pour une opération de maintien de la paix des Nations Unies. En outre, comme Vance l’avait souligné, en raison de certaines limitations des ressources humaines, matérielles et financières, il n’était pas possible de mener une telle opération. Boutros-Ghali fit toutefois une concession. Même si le mandat initial de la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) ne s’appliquait qu’à la Croatie, on envisagea de redéployer une centaine d’observateurs militaires de la FORPRONU dans certaines régions de la Bosnie après la démilitarisation des zones protégées des Nations Unies. Le secrétaire général acceptait alors d’envoyer 41 observateurs militaires à Mostar et dans trois autres municipalités bosniaques avant la fin d’avril(12).

Les pressions se faisaient de plus en plus fortes sur les Nations Unies pour qu’elles prennent des mesures plus décisives. La guerre en Bosnie avait aggravé le problème humanitaire déjà considérable qui se posait dans les Balkans, plus d’un quart de million de personnes ayant du chercher refuge ailleurs à cause des plus récents conflits ethniques. Plusieurs pays des Balkans demandèrent au Conseil de sécurité des Nations Unies et à la CE d’adopter des mesures pour assurer la protection des missions humanitaires (dont la plupart étaient effectuées par le Comité international de la Croix-Rouge et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) et de « veiller à ce que l’aide humanitaire parvienne aux victimes du conflit armé actuel en Bosnie-Herzégovine »(13). À la fin d’avril, le Conseil de sécurité demanda aux belligérants de ne pas bloquer l’aide humanitaire tout en exigeant l’arrêt immédiat de toute forme d’ingérence venant de l’extérieur de la Bosnie(14).

Le personnel du quartier général de la FORPRONU établi à Sarajevo (malgré l’avis de nombreux officiers supérieurs de l’ONU)(15), fit de son mieux pour réduire les souffrances. Comme le secrétaire général le souligna à la fin d’avril, la FORPRONU se servait de ses bons offices et de ses ressources limitées pour apporter une aide humanitaire aux personnes dans le besoin à cause des combats à Sarajevo. Il s’agissait notamment de transporter des civils blessés à l’hôpital et d’inciter les chefs des factions à se rencontrer au quartier général des Nations Unies pour discuter des modalités des cessez-le-feu de la CE. Ces activités n’entraient pas totalement dans le mandat de la FORPRONU, mais les Nations Unies ne croyaient pas pouvoir se désintéresser de la situation. Toutefois, comme Boutros-Ghali le fit observer, les ressources à la disposition de la FORPRONU ne lui permettaient pas d’étendre sa protection à toutes les opérations humanitaires en Bosnie-Herzégovine. Il déclara également, alors que la situation s’aggravait, qu’il devenait plus difficile d’administrer un quartier général dans de telles circonstances(16).

Au début de mai, Marrack Goulding, sous-secrétaire général pour les opérations de maintien de la paix, se rendit en Bosnie pour déterminer si la situation s’était quelque peu améliorée. Izetbegovic continua à réclamer une intervention immédiate de l’ONU. Il n’était pas question d’accéder à sa demande de 10 000 à 15 000 soldats, appuyés par une force aérienne pour le « rétablissement de l’ordre ». Boutros-Ghali souligna qu’étant donné l’intensité et l’ampleur des combats, il faudrait pour cela des dizaines de milliers soldats équipés pour affronter des adversaires lourdement armés et très déterminés. Il ajouta qu’il ne croyait pas qu’il soit possible d’envisager une mesure de ce genre. Le président de la Bosnie réorienta alors son tir en demandant le déploiement de 6 000 à 7 000 militaires pour protéger les convois d’aide humanitaire qui étaient harcelés par les Serbes. Goulding souligna que cette force de maintien de la paix était toute aussi problématique même si elle avait des objectifs précis et un mandat limité. Goulding et le lieutenant-général Satish Nambiar, commandant de la FORPRONU, avaient tous deux déclaré au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, à la suite d’une demande similaire, que des gardiens de la paix non armés ne pourraient pas empêcher que les camions soient arrêtés et volés; il faudrait des soldats armés supplémentaires pour s’acquitter de cette mission et les règles d’engagement devraient les autoriser à ouvrir le feu en cas d’attaque. Même en pareil cas, Goulding souligna qu’un tel rôle, tout en étant conforme aux pratiques de maintien de la paix habituelles des Nations Unies, exigerait qu’une entente préalable soit conclue entre les principales parties au conflit. Le président Itzebegovic reconnût qu’un tel accord n’était pas envisageable. Le secrétaire général acquiesça et ajouta : « Le succès d’une opération de maintien de la paix exige que les parties respectent les Nations Unies, son personnel et son mandat […] malgré toutes leurs belles paroles, aucune des parties ne peut prétendre remplir cette condition »(17). Tout ce que l’ONU pouvait offrir était de contribuer au règlement de problèmes précis comme la fermeture de l’aéroport de Sarajevo.

Entre temps, les Nations Unies réduisaient leur présence en Bosnie. Le 14 mai, les 41 observateurs envoyés sur place depuis quinze jours à peine furent redéployés en Croatie après une nouvelle recrudescence des combats. Environ les deux-tiers du personnel du quartier général de la FORPRONU fut également redéployé de Sarajevo à Belgrade, les 16 et 17 mai. Le personnel limité qui resta sur place, soit une centaine de militaires et de civils, poursuivit des tâches humanitaires dans des conditions de plus en plus difficiles(18).

LES SANCTIONS

Alors que la CE se battait sur le front du rétablissement de la paix et que l’ONU envisageait de jouer un rôle dans le maintien de la paix, les Serbes gagnaient rapidement la haute main sur le terrain, réalisant d’énormes percées dans l’est de la Bosnie et assiégeant Sarajevo. Les efforts déployés par les Serbes pour créer des « régions ethniquement pures », selon l’expression de Boutros-Ghali, commencèrent à attirer l’attention de l’opinion publique internationale, tout comme le pilonnage de la capitale bosniaque par les artilleurs serbes postés dans les collines entourant la ville. Chaque nouvelle victoire serbe augmentait l’afflux des réfugiés musulmans. Le bilan des morts commençant à s’alourdir, les Serbes ne tardèrent pas à être considérés comme les agresseurs dans ce conflit, même s’ils affirmaient vouloir seulement se défendre. L’opinion émise au début du conflit par Lord Carrington, et partagée par d’autres membres de la communauté internationale, selon laquelle « tout le monde est à blâmer pour ce qui se passe à Sarajevo », fut vite remplacée par les images soigneusement choisies qui furent diffusées sur les écrans de télévision du monde entier(19). Apparemment, les médias firent de leur mieux pour établir clairement la distinction entre le bien et le mal, malgré la complexité de la guerre. À la mi-mai, la CE déclarait : « La responsabilité [de la guerre] incombe surtout au JNA et aux autorités de Belgrade qui ont la haute main sur l’armée, tant directement qu’indirectement en soutenant les combattants irréguliers serbes »(20).

Belgrade rêvait-elle d’une Grande Serbie? La Serbie n’a cessé de nier qu’elle ravitaillait les Serbes bosniaques ou que la JNA, qui s’était regroupé en Bosnie après s’être retirée de la Croatie, participait aux combats. Mais les preuves du contraire étaient là. Au début de mai, après que la CE l’eut menacée de rompre toute relation diplomatique, la République fédérale de Yougoslavie (RFY), qui se réduisait alors à la Serbie et au Monténégro, ordonna à ses citoyens membres de la JNA de se retirer d’ici le milieu du mois. Comme pour rappeler sa promesse à Belgrade, le Conseil de sécurité adopta, le 15 mai, la résolution 752 exigeant la cessation immédiate de toute forme d’ingérence venant de l’extérieur de la Bosnie et demandant que les unités étrangères soient retirées, placées sous le contrôle du gouvernement bosniaque ou démobilisées et désarmées(21). Cependant, comme une faible partie seulement des 100 000 soldats de la JNA présents en Bosnie étaient des citoyens de la République fédérale de Yougoslavie, 50 000 soldats serbes bosniaques bien armées poursuivirent le combat(22).

Le nouveau rôle que la Serbie commençait à jouer dans le conflit bosniaque augmentait la nécessité d’une action internationale plus énergique. Même les États-Unis, qui n’avaient pas dit grand chose jusque-là, entrèrent soudain en scène. Le 19 mai, le département d’État avait laissé entendre que la sécurité américaine n’était aucunement en jeu en Bosnie, mais une semaine plus tard, le secrétaire d’État James Baker, exhortait les chefs d’État européens, lors d’une réunion de l’OTAN, à Lisbonne, à faire davantage pour résoudre le problème. Il laissa même entendre que ceux qui s’opposaient à une intervention militaire externe étaient « sur la mauvaise longueur d’onde »(23). Ces remarques mirent mal à l’aise les Européens, qui reconnurent pourtant qu’il fallait faire quelque chose. Les Français, en particulier, étaient en faveur d’une intervention plus active, même s’ils avaient de plus en plus tendance à croire que la crise bosniaque était trop grave pour que la CE puisse s’en occuper seule. Pour cette raison, ils souhaitaient que l’ONU devienne moins hésitante(24).

L’ONU et la CE reconnurent toutes deux qu’une façon de couper le lien entre Belgrade et les Serbes bosniaques serait peut-être d’imposer des sanctions. Mais pendant la majeure partie du mois de mai, les deux organismes hésitèrent, chacun semblant attendre que l’autre fasse le premier pas. Enfin, le 27 mai, les ambassadeurs de la CE, peut-être influencés par les remarques de James Baker, prirent quelques sanctions contre la Serbie et le Monténégro. Ils bloquèrent également toutes les garanties de crédit à l’exportation et interrompirent la coopération scientifique et technique. Cependant, ils ne touchèrent pas au pétrole, incitant les Nations Unies à assumer ce rôle.

Le décor était bien planté pour la première intervention décisive des Nations Unies en Bosnie. Le 30 mai, le Conseil de sécurité blâma les autorités de Belgrade pour n’avoir pas répondu aux exigences de la résolution 752 et imposa un embargo sur les produits serbes et monténégrins ainsi que sur les contacts financiers et économiques. La résolution 757 suspendait également les contacts sportifs et scientifiques ainsi que les échanges techniques et culturels et imposait un embargo aérien et une réduction des effectifs des missions diplomatiques yougoslaves. Étaient exemptés des sanctions les articles essentiels tels que les vivres et les médicaments.

Belgrade allait-elle sentir l’effet des sanctions? La Serbie était autosuffisante en produits alimentaires, riche en énergie hydro-électrique et elle produisait le cinquième du pétrole qu’elle consommait(25). De plus, il était clair dès le départ qu’il serait difficile de faire respecter l’embargo. Les producteurs de pétrole arabes tenaient à punir les Serbes pour la façon dont ils traitaient les Musulmans, mais d’autres pays étaient plus hésitants. La Roumanie continuait à expédier du pétrole vers la Serbie tandis que la Grèce participait, sans se gêner, à des opérations de contrebande. En outre, quand l’Union de l’Europe occidentale et l’OTAN commencèrent à patrouiller l’Adriatique en juillet, c’était sans le pouvoir d’arrêter les navires soupçonnés d’enfreindre les sanctions. L’ONU et la CE ne firent aucune mention de ce qu’elles feraient si la Serbie défiait les sanctions.

Même si les sanctions étaient efficaces, pourraient-elles réellement mettre un terme aux combats en Bosnie? Cette république avait été au centre de l’industrie des armements de la Yougoslavie, ce qui veut dire que les deux camps disposaient de toutes les armes et munitions voulues pour se battre pendant un bon bout de temps. D’autre part, rien ne garantissait que, si Milosevic cédait aux pressions et exigeait le retrait des Serbes bosniaques, ces derniers obéiraient nécessairement. Personne ne savait de façon certaine quelle était l’influence du président serbe auprès de Karadzic et des autres leaders serbes de Bosnie. La plupart des experts semblaient croire que les sanctions ne pourraient jamais, à elles seules, faire cesser les combats.

LE DÉPLOIEMENT DES FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX DE L’ONU

La résolution 757 a marqué un tournant dans la façon dont les Nations Unies se sont attaquées au problème de la guerre en Bosnie. Toutefois, le rôle de l’organisation n’était pas encore très clair. L’ONU continuait à affirmer que la situation ne permettait pas le déploiement de troupes de maintien de la paix. Cependant, la nécessité de faire quelque chose de tangible pour ce pays déchiré par une guerre qui avait causé environ 6 000 morts et fait des centaines de milliers de réfugiés, semblait maintenant extrêmement pressante. La couverture médiatique de la catastrophe humanitaire qui se produisait en Bosnie, particulièrement dans la capitale assiégée, Sarajevo, produisait un effet sur l’opinion publique du monde entier, ce qui força la main de l’ONU. Les autorités onusiennes craignaient que leur intervention ne mette en danger les forces de maintien de la paix et permette aux Serbes de consolider leurs gains, mais pouvaient-elles rester les bras croisés pendant que les effusions de sang s’intensifiaient? Devant ce dilemme, les Nations Unies, d’abord hésitantes, commencèrent à s’engager. Une fois le premier pas fait, il leur fut de plus en plus difficile de se désengager. À l’automne de 1992, les dés étaient jetés.

La première intervention des Nations Unies fut la tentative, faite en juin 1992, d’obtenir un cessez-le-feu entre les forces serbes et musulmanes, à Sarajevo, de façon à ouvrir l’aéroport à l’aide humanitaire à destination de la capitale(26). L’aéroport était aux mains des Serbes bosniaques depuis le début des combats; ils l’avaient fermé à tous les vols internationaux, interrompant ainsi un ravitaillement qui faisait gravement défaut. Les pourparlers parrainés par les Nations Unies commencèrent le 2 juin, sous la direction de Cedric Thornberry, directeur des Affaires civiles de l’ONU, en Bosnie, lorsque la RFY demanda aux dirigeants serbes bosniaques de cesser de pilonner la capitale et de céder l’aéroport aux soldats de l’ONU. Plusieurs jours plus tard, les forces serbes donnèrent leur accord de principe, de toute évidence parce que les Musulmans avaient levé leur propre blocus des baraquements Maréchal Tito. Les pressions internationales et la peur d’une intervention avaient certainement joué un rôle aussi.

En vertu de l’accord proposé, la FORPRONU protégerait et gérerait l’aéroport en assurant le déchargement de l’aide humanitaire et son convoyage jusqu’aux habitants de Sarajevo. La FORPRONU veillerait également à ce que toute artillerie antiaérienne soit enlevée à portée de l’aéroport et contrôlerait la concentration d’artillerie, de mortiers et de missiles sol-sol. Le 8 juin, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopta la résolution 758 qui élargissait le mandat et les effectifs de la FORPRONU de façon à ce qu’elle puisse s’acquitter de ses fonctions. Deux jours plus tard, le lieutenant-général Nambiar, dépêchait son chef d’état-major, le major-général canadien Lewis MacKenzie, accompagné de 60 observateurs militaires, à Sarajevo, en tant que commandant désigné du nouveau secteur de Sarajevo de la FORPRONU(27).

Toutefois, la mise en oeuvre de l’accord ne fut pas si facile. Les Serbes et les Musulmans se chamaillèrent au sujet des modalités de l’entente visant l’aéroport et les pourparlers furent rompus au milieu de récriminations mutuelles. Les deux brefs cessez-le-feu conclus au cours des deux semaines qui suivirent furent sans effet et ce n’est pas avant que le président français, François Mitterrand, fasse une visite inattendue de six heures, à Sarajevo, le 28 juin, pour insister sur la nécessité d’une aide humanitaire à Sarajevo, que des progrès furent enregistrés. Certains reprochèrent à la visite de Mitterrand son côté théâtral, mais sa présence finit par convaincre Izetbegovic et Karadzic de signer l’accord. Malgré la poursuite des combats au voisinage de l’aéroport, le personnel de la FORPRONU fut augmenté graduellement au cours de la semaine qui suivit. Un premier groupe de 30 soldats fut déployé le 28 juin et, le lendemain, l’ONU avait obtenu une accalmie suffisante pour permettre l’atterrissage de cinq avions chargés de vivres. Les soldats français commencèrent à arriver le 1er juillet et un bataillon canadien fut redéployé de la Croatie à Sarajevo le lendemain. Le 3 juillet, l’aéroport fut rouvert officiellement pour le ravitaillement humanitaire, mais au cours des mois qui suivirent, des attaques sporadiques obligèrent les troupes onusiennes à le fermer de façon intermittente, pendant des périodes plus ou moins longues. Le 13 juillet, le Conseil de sécurité des Nations Unies accepta d’envoyer 500 militaires de plus; ils vinrent se joindre aux 1 100 soldats qui supervisaient déjà les opérations de secours des Nations Unies. Le bataillon canadien fut remplacé à la fin de juillet par trois bataillons plus petits fournis respectivement par l’Égypte, la France et l’Ukraine. Entre temps, un corridor terrestre avait pu être ouvert entre le port de Split, en Croatie, jusqu’à Sarajevo, pour compléter le corridor aérien.

Les gardiens de la paix étaient alors présents en Bosnie, mais leur rôle précis n’était toujours pas clair. Le Conseil de sécurité adopta, en juillet, la résolution 764 qui définissait la nature de leur mandat. En deux mots, il s’agissait d’assurer la sécurité et le fonctionnement de l’aéroport de Sarajevo et la livraison de l’aide humanitaire. Toutefois, malgré les escortes de l’ONU, les convois d’aide continuèrent d’être attaqués et pillés par des seigneurs de la guerre locaux qui manifestaient peut de respect pour la présence des Nations Unies en Bosnie. Les soldats de l’ONU demeuraient incapables de réagir. Le Conseil de sécurité approuva donc, le 13 août, la résolution 770 qui autorisait « toute mesure nécessaire » (y compris la force), pour assurer la livraison de l’aide humanitaire. Lorsque la résolution 770 fut adoptée, elle représentait l’acceptation la plus explicite du recours à la force des Nations Unies dans un conflit interne. Cependant, sa signification précise restait vague. Jugeant nécessaire de faire preuve de prudence, les gouvernements européens considérèrent qu’elle autorisait le recours à la force uniquement en dernier ressort; la communauté internationale ne souhaitait pas vraiment s’engager dans la lutte en prenant un engagement illimité(28).

Quoi qu’il en soit, la résolution 770 sembla jouer le rôle de catalyseur. Le 14 août, le gouvernement français annonça qu’il était prêt à envoyer en Bosnie 1 100 soldats de force de protection et d’escorte, dans le cadre du mandat de la nouvelle résolution. L’Espagne, l’Italie, et la Belgique acceptèrent également d’envoyer des soldats. Les États-Unis et la Grande-Bretagne se déclarèrent de nouveau opposés à l’emploi de forces terrestres, mais le 18 août, la Grande-Bretagne revint sur sa décision et annonça qu’elle mettrait 1 800 soldats à la disposition de l’ONU. Au début de septembre, l’Europe avait ainsi accepté d’envoyer 5 000 gardiens de la paix, même s’il fallut un certain temps avant qu’ils arrivent sur le terrain(29).

Le 14 septembre, les Nations Unies firent un pas de plus quand le Conseil de sécurité adopta la résolution 776 qui portait le nombre de militaires de l’ONU en Bosnie à 6 000, en plus des 1 700 soldats déjà déployés, ces forces devant être fournies uniquement par les pays de l’OTAN. Le chiffre alors visé pour la force totale de maintien de la paix dans l’ex-Yougoslavie devait atteindre 21 000, soit plus que le Congo, 30 ans plus tôt. La résolution 776 établissait également un commandement bosniaque distinct baptisé FORPRONU II. Son mandat était nettement plus vaste que celui de la FORPRONU I; il s’agissait d’aider et de protéger le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans ses efforts pour apporter une aide humanitaire dans toute la Bosnie, en respectant les règles d’engagement habituelles des opérations de maintien de la paix. Ces règles autorisaient les troupes à recourir à la force pour se défendre, y compris lorsque des groupes armés tentaient de les empêcher de s’acquitter de leur mission(30).

LES RAVAGES DE LA GUERRE

La décision des Nations Unies d’adopter une politique d’intervention humanitaire a été un grand pas en avant. Enfin, la population bosniaque pouvait avoir une lueur d’espoir, même si celle-ci était bien faible. Toutefois, les experts ont replacé cet événement dans son contexte. L’ouverture de l’aéroport par une force onusienne très symbolique et l’élargissement du mandat des Nations Unies pour y inclure l’escorte des convois humanitaires n’ont que peu contribué à faire cesser les combats. Selon le major-général Mackenzie, du Canada, il aurait fallu 40 000 soldats des Nations Unies rien qu’à Sarajevo pour maintenir la paix. Entre temps, les combats faisaient rage et les participants montraient toujours aussi peu de respect pour les « règles internationales de la guerre ».

C’est cette violation persistante des règles de la guerre qui a si grandement scandalisé la communauté mondiale. Non seulement les combats entre factions ethniques rivales ne semblaient pas vouloir s’arrêter, mais la façon dont ils se déroulaient aggravait encore les choses. La guerre s’est avérée extrêmement brutale. L’expression « purification ethnique » qui désigne l’expulsion forcée d’un groupe ethnique par un autre, plus particulièrement des Musulmans par les Serbes, fut bientôt sur toutes les lèvres. Les Serbes bosniaques prétendaient que l’afflux de réfugiés venant des régions où cohabitaient les deux groupes ethniques était la conséquence naturelle de la guerre, mais la découverte de camps de concentration dans le territoire aux mains des Serbes révéla une toute autre réalité. Même si les Serbes prétendaient que ces camps étaient de simples centres de regroupement pour les réfugiés et les prisonniers de guerre, ces affirmations ont été démenties parce qu’il y a eu des preuves d’exécutions sporadiques, de tortures et d’autres mauvais traitements, et le monde entier a pu voir des images de corps émaciés derrière des barbelés(31). Les découvertes de fosses communes où étaient enterrés des civils et les récits de viols de femmes musulmanes sont bientôt devenus de plus en plus fréquents(32). Des comparaisons furent faites avec l’Allemagne nazie, même si elles n’étaient pas rigoureusement exactes. Les Serbes affirmaient que les Musulmans étaient également coupables de purification ethnique et d’autres crimes de guerre, mais ce sont les Serbes qui paraissaient les plus coupables aux yeux de la majorité des observateurs(33).

Il s’agissait d’une terrible catastrophe humaine. Les morts se chiffraient par dizaines de milliers et, à la fin de juillet, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants bosniaques se retrouvaient sans abri. Pour l’ensemble de l’ex-Yougoslavie, le nombre total des sans-abri frisait les deux millions. Près de 500 000 personnes s’étaient enfuies de la région et étaient allées chercher refuge dans d’autres pays. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui coordonnait l’aide humanitaire de l’ONU dans l’ex-Yougoslavie depuis novembre 1991, avec l’assistance du Comité international de la Croix-Rouge, réussissait à peine à faire face à la situation(34).

Les efforts diplomatiques visant à remédier à la crise des réfugiés furent compromis par le même problème que celui qui devait freiner l’intervention de l’ensemble de la communauté internationale face à la Bosnie, soit l’absence de consensus. L’Allemagne, qui avait accepté plus de la moitié des réfugiés yougoslaves, voulait que la CE adopte un système de contingent européen, mais la Grande-Bretagne et la France, qui n’en avaient accepté que quelques-uns, faisaient valoir qu’il fallait les aider le plus près possible de leur lieu d’origine. Quelques progrès furent réalisés à une conférence parrainée par le HCNUR, à Genève, le 29 juillet. Un certain nombre de recommandations furent faites, y compris celle d’accroître la présence internationale de façon à secourir tous les réfugiés de l’ex-Yougoslavie et à leur accorder une « protection temporaire ». Les pays participants s’engagèrent à verser 152 millions de dollars US en plus d’apporter leur soutien logistique pour construire des logements destinées à abriter les réfugiés pendant l’hiver et pour continuer les convois routiers humanitaires en Bosnie dans le but de secourir les villes assiégées comme Sarajevo et Gorazde. Une commission permanente fut également mise sur pied pour coordonner l’aide internationale. Toutefois, la conférence ne permit pas aux participants de s’entendre pour accorder sans restriction asile aux réfugiés.

D’autres mesures furent prises, mais elles étaient purement symboliques. Par exemple, le 17 juillet, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopta une résolution (qui fut suivie de bien d’autres) condamnant les camps de détention et rappelant à toutes les parties les obligations que leur conférait la Convention de Genève de 1949. Les 13 et 14 août, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme tint une session extraordinaire à Genève pour examiner les événements dans l’ex-Yougoslavie. La politique de purification ethnique fut vivement condamnée et, en même temps, Tadeusz Mazowiecki, l’ancien premier ministre de Pologne, fut chargé d’enquêter sur les violations des droits de la personne dans cette région. Dans son premier rapport, publié à la fin d’août, il déplora que les Serbes « recourent systématiquement à la violence » contre les Croates et les Musulmans bosniaques et recommanda que le mandat de la FORPRONU soit élargi afin d’inclure la prévention des violations des droits de la personne en Bosnie et l’aide aux victimes de ces violations. Il suggéra également la mise sur pied d’un tribunal des droits humains(35).

LES PRESSIONS EN FAVEUR D’UNE INTERVENTION MILITAIRE

Il existait une façon plus énergique de réduire les souffrances horribles de la population de Bosnie, à savoir une intervention militaire directe. À la réunion de la CSCE, à Helsinki, les 9 et 10 juillet, les Américains et les Européens reconnurent qu’ils n’envisageaient pas de recourir à la force militaire pour mettre fin au conflit. Néanmoins, devant l’échec continu des efforts de la CE et de l’ONU pour endiguer les combats et faire cesser la purification ethnique en Bosnie, de plus en plus d’Américains et d’Européens commencèrent à considérer que la force constituait la seule solution. Ils voyaient simplement que des Serbes armés attaquaient, tuaient et forçaient à s’exiler des milliers de Musulmans sans défense. Les Serbes ayant maintenant les deux-tiers de la Bosnie sous leur emprise et la perspective d’une Grande Serbie se confirmant de jour en jour, ils estimaient que c’était le moment ou jamais d’intervenir.

Les partisans d’une intervention militaire formaient un groupe diversifié. Aux États-Unis, par exemple, le candidat démocrate à la présidence, Bill Clinton, et le New York Times s’allièrent pour préconiser une action militaire. Bien entendu, des pays islamiques comme la Turquie et l’Iran se prononcèrent aussi pour le recours à la force. Le 25 août, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta une résolution parrainée par l’Organisation de la Conférence islamique qui citait le chapitre VII de la Charte des Nations Unies autorisant le recours à la force lorsqu’un embargo économique n’avait pas donné des résultats.

Plusieurs options militaires étaient envisageables, mais presque toutes posaient des problèmes particuliers. Les États-Unis et l’Europe pouvaient certainement battre les Serbes avec suffisamment de troupes et d’équipement sur le terrain. Mais cela exigerait sans doute 50 000 militaires, et une victoire rapide n’était aucunement garantie. Avec sa topographie montagneuse, la Bosnie se prêtait parfaitement à la guérilla, un type de combat dans lequel les Serbes s’étaient montrés très à l’aise par le passé. Les militaires américains déclarèrent pendant tout le conflit bosniaque que : « Nous nous battons dans le désert, mais pas dans les montagnes »(36). Le spectre du Viêt-nam restait très présent à leurs yeux.

Certains experts militaires suggérèrent également des attaques aériennes contre les positions que les Serbes occupaient dans les collines entourant Sarajevo et d’autres villes assiégées de Bosnie. Cela aurait évité de déployer des forces terrestres importantes, mais l’efficacité de cette stratégie était douteuse étant donné que l’arme de choix, en Bosnie, était le mortier portatif. On craignait également que les Serbes ripostent à ces attaques aériennes en s’en prenant aux troupes des Nations Unies.

Au lieu de s’attaquer directement aux Serbes, il était également possible d’intervenir pour protéger les civils. L’OTAN et l’Union de l’Europe occidentale avaient examiné la possibilité de prendre ce genre de mesure, en dégageant les corridors de ravitaillement bloqués par la guerre ou en créant des zones de sécurité. Là encore, cela aurait exigé le déploiement sur le terrain des milliers de soldats (surtout pour le dégagement des corridors de ravitaillement) qui devaient être prêts à participer à des combats éventuels.

Enfin, de nombreux pays musulmans exhortaient l’ONU à lever l’embargo sur les armes qu’elle avait imposé à l’ex-Yougoslavie de façon à ce que les Musulmans bosniaques puissent importer les armes nécessaires pour combattre, sur un pied d’égalité, les Serbes mieux armés qu’eux. Le président bosniaque, Alija Izetbegovic écrivit au Conseil de sécurité, le 3 août, pour exiger que la Bosnie soit autorisée à importer des armes de façon à obtenir le « droit naturel de défense légitime individuelle ou collective » garanti par l’article 51 de la Charte des Nations Unies.

La plupart des gouvernements occidentaux examinèrent et rejetèrent ces diverses options militaires. De toute évidence, leur intérêt national n’était pas suffisamment menacé tandis que ces mesures risquaient de faire beaucoup trop de victimes. Comme le président de l’Instance collégiale des chefs d’état-major des États-Unis, le général Colin Powell, le fit remarquer : « La crise en Bosnie est particulièrement complexe. La solution ultime doit être de nature politique »(37).

LA CONFÉRENCE DE LONDRES ET LA PÉRIODE QUI SUIVIT

Pendant tout l’été 1992, alors que les Nations Unies commençaient à jouer un rôle plus énergique en Bosnie et que l’on envisageait la possibilité d’une intervention militaire, la CE poursuivit ses efforts de maintien de la paix. Toutefois, les progrès furent limités. Même lorsqu’il y en eut, ils furent parfois mitigés en raison de certains malentendus transatlantiques. Par exemple, le 17 juillet, Lord Carrington négocia, avec les trois factions, un plan de cessez-le-feu exigeant que l’artillerie lourde soit placée sous la supervision de l’ONU. Toutefois, personne ne consulta le secrétaire général de l’ONU quant à la faisabilité de ce plan, si bien que Boutros-Ghali se plaignit au conseil de sécurité, le 21 juillet, qu’il avait été placé dans la situation ingrate de devoir conseiller le Conseil sur la mise en oeuvre d’un mandat auquel celui-ci avait déjà accordé son soutien politique. Selon lui, étant donné que l’ONU ne disposait que de ressources limitées parce qu’elle était engagée activement dans treize autres opérations de maintien de la paix, c’était à la CE de mettre ses ressources au service des Nations Unies plutôt que l’inverse. Étant donné que les belligérants ne révélèrent ni l’emplacement ni la quantité de leur artillerie lourde et que le cessez-le-feu ne fut pas respecté, l’accord tomba à l’eau. Néanmoins, cet incident fut symptomatique des relations tendues et des divergences d’opinion au sein de la communauté internationale(38).

La CE avait si peu réussi à amener les Serbes et les Musulmans sur la voie de la paix que certains pays, comme la France, ont commencé à se demander si les Nations Unies ne devraient pas collaborer avec la Communauté européenne au maintien de la paix. L’incident de juillet laissait certainement entrevoir qu’il fallait au moins que les deux organismes internationaux coopèrent davantage. On craignait également que les Serbes ne commencent à se méfier de la CE et du rôle joué par l’Allemagne, leur ennemie traditionnelle. Même si les Britanniques et les Américains croyaient que l’ONU avait déjà suffisamment à faire sur le plan du maintien de la paix, à la fin d’août, il fut décidé de prendre des nouvelles mesures pour rompre l’impasse.

La Conférence de Londres, coparrainée par le premier ministre britannique, John Major et le secrétaire général de l’ONU, réunit, du 26 au 28 août, des délégués des Nations Unies, de la CE et de la CSCE ainsi que des représentants des principales factions yougoslaves. Un groupe de travail spécial sur la Bosnie fut établi pour promouvoir la cessation des hostilités et un règlement constitutionnel dans la république, et on constitua également une tribune de négociation à Genève, sous le parrainage de l’ONU et de la CE. Cyrus Vance continua de représenter l’ONU, tandis que Lord David Owen, ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères, remplaça, au poste d’envoyé de la CE, Lord Carrington, qui venait de prendre sa retraite. La Conférence de Genève allait être à l’origine de toutes les initiatives de paix ultérieures.

Toutes les parties au conflit furent exhortées à reprendre immédiatement et sans condition préalable les négociations sur les futures ententes constitutionnelles. Vance et Owen devaient diriger ces négociations selon des lignes directrices très strictes. Il fallait par-dessus tout que l’intégrité des frontières actuelles soit entièrement respectée à moins que toutes les factions ne conviennent de certains changements. En outre, les territoires saisis par la force devaient être restitués. On envisageait, au cas où ces négociations permettraient de conclure un règlement, l’intervention d’une force de maintien de la paix des Nations Unies « pour maintenir le cessez-le-feu, contrôler les mouvements militaires et prendre d’autres mesures de renforcement de la confiance »(39).

La Conférence de Londres apporta de nouveau l’espoir d’une cessation des combats. Toutefois, ces espoirs furent de courte durée. La communauté internationale avait peut-être finalement fait preuve d’un certain consensus à propos de la guerre en Bosnie, mais les combattants ne semblaient pas plus désireux qu’avant de régler leurs différends. Les négociations de paix entre les trois communautés ethniques, en septembre, ne donnèrent aucun résultat, tandis que les accords conclus à Londres pour permettre aux Nations Unies de contrôler l’artillerie lourde autour de Sarajevo et des autres villes musulmanes ne furent pas respectés. Les Serbes continuaient à bombarder sans relâche les territoires musulmans et, en octobre, les promesses faites avaient été largement oubliées. Étant donné que la Conférence de Londres ne prévoyait aucune mesure punitive ni même la menace d’une intervention extérieure, le pouvoir de persuasion de Vance et Owen était limité. Comme John Major le fit remarquer : « Nous ne pouvons pas nous fier à la bonne volonté des parties. Nous devons leur forcer la main »(40).

Les pressions exercées jusqu’à la fin de 1992, ne donnèrent pas plus de résultats que par le passé. Le 22 septembre, l’Assemblée générale des Nations Unies refusa, lors d’un vote, à la RFY d’occuper le siège de l’ancienne Yougoslavie(41). Deux semaines plus tard, le Conseil de sécurité des Nations Unies votait à l’unanimité en faveur de la création d’une commission des crimes de guerre chargée d’examiner les preuves de « violations graves du droit international humanitaire » dans l’ex-Yougoslavie. Le but visé était d’éviter que de nouveaux abus soient commis en faisant savoir aux coupables qu’ils auraient des comptes à rendre. Cependant, cette mesure se réduisit à une simple demande de preuves; aucun tribunal ne fut créé et aucun criminel potentiel ne fut désigné(42). La résolution 781 des Nations Unies, approuvée par le Conseil de sécurité le 9 octobre, interdisait la présence d’avions de guerre dans l’espace aérien de la Bosnie. Toutefois, la FORPRONU ne pouvait que surveiller le respect de la résolution et non la faire appliquer. Les Serbes se résignèrent finalement à laisser leurs avions de guerre au sol, mais cela ne changea pas grand chose étant donné que les forces aériennes n’avaient joué qu’un rôle négligeable dans le conflit(43). Enfin, le 23 novembre, des bateaux de guerre de l’OTAN et de l’Union de l’Europe occidentale commencèrent à arraisonner tout navire entrant ou quittant les eaux yougoslaves et soupçonné de ne pas respecter les sanctions des Nations Unies contre la Serbie.

Les promesses que la Conférence de Londres avait laissé entrevoir commencèrent à s’estomper et les Serbes poursuivirent leur avance sur le terrain, ce qui accentua de nouveau les pressions exercées par l’opinion publique en faveur d’une action militaire. L’Organisation de la conférence islamique laissa entrevoir la possibilité d’une intervention, mais à Genève, Cyrus Vance et David Owen lancèrent un avertissement énergique contre toute action militaire risquant de mettre en péril leurs négociations ou les 7 000 gardiens de la paix en Bosnie. Les hautes autorités militaires onusiennes de la régions exprimèrent leur accord.

L’hésitation régnait en Occident. On continuait à débattre des options militaires, mais sans pouvoir parvenir à un consensus. Washington se montrait de moins en moins réfractaire à l’idée, toujours populaire dans les pays islamiques, de lever l’embargo sur les armes de façon à livrer des armes et des munitions aux Musulmans, mais les Européens, à l’exception des Allemands, n’étaient pas d’accord, convaincus qu’ils étaient que cela jetterait de l’huile sur le feu et prolongerait le conflit.

Le 16 novembre, le Conseil de sécurité demanda à Boutros-Ghali d’étudier l’idée émise par les Français de créer des zones de sécurité dans le centre et l’est de la Bosnie où les Musulmans étaient réduits à la famine avant d’être chassés de leurs maisons. Encore une fois, cette initiative aurait exigé le déploiement de milliers de soldats occidentaux autorisés à se battre, même s’ils n’étaient pas (du moins en principe) engagés dans des opérations offensives. Cela suscitait un autre dilemme. Ces zones de sécurité sauveraient certainement des vies humaines, mais elles risquaient de favoriser le clivage ethnique et détruiraient tout espoir de garder la Bosnie intacte. Le président du CICR avait déclaré en octobre que la priorité était de sauver des vies humaines, même si cela revenait à favoriser la purification ethnique(44). Sadako Ogata, haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, n’était pas certaine de la voie à suivre; elle craignait que le plan ne soit extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Les planificateurs de l’OTAN émettaient les même réserves.

Enfin, vers la fin de l’année, il y eut de longues discussions quant à l’application de l’interdiction de survoler la Bosnie. Les Serbes continuaient à violer l’espace aérien bosniaque, même s’ils affirmaient que ces vols étaient de nature purement humanitaire et visaient par exemple à livrer des médicaments ou à évacuer les blessés. Les observateurs de la FORPRONU confirmèrent qu’aucune mission de combat clairement identifiée n’avait survolé des territoires depuis novembre. Toutefois, les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN se mirent d’accord, le 17 décembre, pour appuyer toute future résolution des Nations Unies visant à faire respecter l’interdiction de survoler la Bosnie. Certains experts laissèrent entendre que cette interdiction servait parfaitement les intérêts occidentaux en ce sens qu’elle satisfaisait l’opinion publique sans qu’on ne se soit fermement engagé à arrêter les effusions de sang.

DE NOUVELLES PROPOSITIONS DE PAIX : LE PLAN VANCE-OWEN

À la fin de 1992, les perspectives de paix en Bosnie semblaient aussi éloignées qu’avant. Il n’était pas question, pour le moment, d’une intervention militaire occidentale et les factions ethniques en guerre ne semblaient pas prêtes à faire la moindre concession. Cependant, à l’aube de 1993, une petite lueur d’espoir apparut. Il restait à voir si les Serbes et les Musulmans saisiraient l’occasion de faire la paix ou l’exploiterait simplement à leur avantage.

Le 2 janvier 1993, les dirigeants des trois communautés ethniques négocièrent directement ensemble, pour la première fois, à Genève. Sur le tapis se trouvait un plan de paix global préparé par les coprésidents de la Conférence de Genève, Cyrus Vance et Lord Owen. Ce plan de paix fondé sur les propositions présentées pour la première fois au parties en octobre 1992, contenait trois principaux éléments : des principes constitutionnels, une carte divisant la République en 10 provinces et des principes directeurs pour le cessez-le-feu et la démilitarisation. Les coprésidents insistèrent sur le fait que ces trois éléments étaient indissociables.

Selon les modalités du plan Vance-Owen, la Bosnie deviendrait un État décentralisé dont les provinces assumeraient la plupart des fonctions gouvernementales sans toutefois posséder de « personnalité juridique internationale » ou le pouvoir de signer des accords avec des États étrangers. Le gouvernement central serait chargé de la défense, de la politique étrangère et du commerce extérieur. Aucune des provinces ne serait pure sur le plan ethnique, mais chacun des trois groupes formerait la majorité dans trois des 10 provinces, Sarajevo devenant une ville ouverte démilitarisée. Les Serbes, qui occupaient environ 70 p. 100 de la Bosnie, recevraient approximativement 45 p. 100 du territoire, tandis que les Musulmans et les Croates se partageraient le reste du pays. Des corridors ou des passages contrôlés par les Nations Unies seraient créés pour assurer la libre circulation des gens et des marchandises entre les provinces(45).

Le plan Vance-Owen cherchait désespérément à réaliser l’impossible. Il visait, d’une part à apaiser les Musulmans en préservant l’intégrité territoriale de la Bosnie, tout en offrant aux Serbes et aux Croates des pouvoirs importants et une autonomie dans l’ensemble des provinces. Les Croates étaient satisfaits et leur chef, Mate Boban, accepta les trois documents presque immédiatement. Comme les provinces croates étaient situées dans l’ouest de la Bosnie, à côté de la Croatie, il considérait sans doute que le plan Vance-Owen ouvrirait la voie à une union ultérieure avec Zagreb(46).

Il n’en alla pas de même pour les Musulmans et les Serbes. Le président de Bosnie, Alija Izetbegovic était certainement satisfait de la préservation de la Bosnie comme entité nationale, mais il se rendait parfaitement compte que ce serait purement symbolique et que le gouvernement central ne posséderait que peu de pouvoirs véritables. En outre, il ne pouvait pas accepter que les Musulmans soient obligés de céder une grande partie du territoire qu’ils possédaient avant le début des combats. Selon lui, le plan Vance-Owen punissait les victimes étant donné que les Musulmans se retrouveraient injustement coincés entre les Serbes et les Croates. Néanmoins, la communauté internationale avait conclu, compte tenu des réalités, qu’à part une intervention militaire que personne, en Occident, n’était prêt à approuver, ce plan était la meilleure solution qu’il soit possible de trouver.

Comme les Musulmans, les Serbes refusèrent, au départ, de signer les documents. Non seulement on leur demandait de céder le territoire qu’ils avaient chèrement gagné (dans le nord, par exemple, où ils avaient établi un corridor reliant à la Serbie les territoires qu’ils détenaient en Croatie et en Bosnie), mais leurs provinces seraient éparpillées dans l’ensemble du pays, ce qui les forceraient à renoncer à tout rêve « d’État dans l’État » ou même de « Grande Serbie ». Ils tenaient toujours au principe, énoncé dans l’accord de Lisbonne de février 1992, d’une confédération de trois États indépendants. Ils avaient rejeté les propositions d’octobre pour les mêmes raisons.

Les deux parties cherchèrent à gagner du temps. Les Musulmans espérèrent, en vain, que les États-Unis, qui partageaient les doutes d’Izetbegovic au sujet du plan, interviendraient, tandis que les Serbes priaient pour que les nouvelles propositions meurent de mort naturelle. Même si, un peu plus tard au cours du mois, Izetbegovic accepta les principes constitutionnels, il continua à rejeter le découpage territorial et les dispositions concernant le cessez-le-feu. Les Serbes qui, apparemment, cédèrent aux pressions de Milosevic, allèrent un peu plus loin en signant à la fois les principes constitutionnels et l’accord de cessez-le-feu. Le président Serbe commençait peut-être à ressentir l’effet des sanctions ou comprenait que, même si le plan Vance-Owen n’était pas parfait, les autres options, à savoir l’isolement, l’intervention étrangère ou la perte d’un important territoire serbe, pourraient être pires. Toutefois, les Serbes de Bosnie n’acceptèrent pas la division du territoire proposée, même lorsque les ministres des Affaires étrangères de la CE leur donnèrent un ultimatum de six jours, le 14 janvier, pour accepter le plan intégralement.

L’INITIATIVE AMÉRICAINE

À la fin de janvier, les deux camps étaient dans l’impasse. Au début de février, les pourparlers eurent lieu à New York plutôt qu’à Genève, car on espérait que le Conseil de sécurité et les États-Unis appuieraient le plan. La Communauté européenne l’avait approuvé le 1er février, mais les États-Unis restaient sceptiques. La presse américaine parla de Munich et d’apaisement, tandis que Warren Christopher, le Secrétaire d’État, estima que le plan n’était pas réalisable et qu’il récompensait l’agression serbe. D’après la rumeur, le président Clinton voulait que la carte soit redessinée de façon à accorder davantage de territoire aux Musulmans(47). Néanmoins, les Américains n’offraient pas de véritable solution de rechange. Pendant la campagne électorale, Clinton avait reproché au président Bush ses hésitations vis-à-vis la Bosnie et avait même laissé entendre la possibilité d’une intervention militaire. Maintenant, le président américain se faisait reprocher sa propre indécision et sa politique à courte vue. La politique de Washington sur la Bosnie allait à la dérive, affirmaient ses détracteurs.

Le 10 février, le gouvernement Clinton fit une déclaration. Il se décidait enfin, en y mettant une certaine réticence, à appuyer le plan Vance-Owen, en stipulant toutefois que celui-ci ne devrait, en aucun cas, être imposé à l’une des parties. Le président promettait également de « participer activement et directement » au processus de paix et il fit plusieurs propositions visant à sortir les négociations de l’impasse. Il s’agissait notamment de resserrer les sanctions contre la Serbie; de faire appliquer l’interdiction de survol au moyen d’une résolution du Conseil de sécurité; d’établir un tribunal des crimes de guerre pour juger les auteurs présumés d’atrocités; d’appuyer, en coopération avec les Nations Unies et l’OTAN, l’application d’une « entente viable » concernant la Bosnie, en ayant recours à la force si nécessaire; et d’inciter la Russie à participer davantage au processus de paix. Clinton nomma également Réginald Bartholomew, ambassadeur des États-Unis à l’OTAN, au poste d’envoyé spécial américain aux pourparlers de paix internationaux sur l’ex-Yougoslavie.

Les Américains ne s’arrêtèrent pas là. À la mi-février, le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés suspendit pendant deux jours les opérations d’aide humanitaire dans l’est de la Bosnie pour protester contre les attaques continuelles lancées par les forces serbes contre les convois d’aide. Certaines enclaves musulmanes du Nord étaient complètement isolées depuis des mois et les Musulmans de Sarajevo avaient refusé d’accepter de l’aide tant que ces villes ne seraient pas secourues. Même si, en principe, les gardiens de la paix étaient autorisés à éliminer ces obstacles par la force, ils n’étaient que légèrement armés et souvent moins nombreux que leurs adversaires. Clinton proposa une solution. À la fin de février, il annonça que les troupes américaines parachuteraient des vivres dans les régions serbes, musulmanes ou croates coupées des opérations des Nations Unies. Ce plan comportait d’énormes risques politiques et pratiques, à savoir la crainte de représailles contre les soldats des Nations Unies, la possibilité de victimes américaines et le manque de précision des parachutages; il fut quand même approuvé par les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, et le premier parachutage eut lieu le 1er mars. Malgré quelques problèmes pratiques initiaux, l’entreprise fut couronnée de succès. De plus, il s’agissait de la première participation active des Forces américaines en Bosnie(48).

LES PRESSIONS

Par suite de la décision du gouvernement américain de participer davantage au processus de paix et d’appuyer le plan Vance-Owen, on pouvait espérer de nouveau que le conflit bosniaque avait atteint un tournant. Néanmoins, les combats se poursuivirent pendant tout l’hiver et le début du printemps de 1993, surtout dans l’est où des forces serbes cherchèrent à consolider leur présence dans les régions désignées comme étant musulmanes dans le plan Vance-Owen(49). De graves affrontements eurent également lieu dans l’ouest sauf que là, ce sont les Croates qui s’attaquèrent aux Musulmans(50).

Les progrès restaient lents sur le front des négociations. Au cours du mois qui suivit les pourparlers de New York, au début de février, la situation stagna(51). Au début de mars, Izetbegovic accepta enfin les dispositions concernant le cessez-le-feu, après avoir obtenu de la FORPRONU la garantie qu’elle prendrait possession des armes lourdes des Serbes. Toutefois, il restait difficile de s’entendre sur la division du territoire. Les négociateurs tentèrent de persuader Izetbegovic qu’ils lui offraient le maximum qu’il pouvait espérer dans les circonstances. Les États-Unis appuyant désormais le plan, Izetbegovic se rendit peut-être compte qu’il ne pourrait plus résister bien longtemps. Finalement, au cours de la ronde suivante de négociations qui dura du 16 au 25 mars, les Musulmans et les Croates s’entendirent sur un nouveau découpage : la province de Sarajevo serait désormais placée sous l’autorité des Musulmans plutôt que sous contrôle tripartie. Les deux parties signèrent également un quatrième document énonçant les dispositions intérimaires qui seraient mises en place avant les nouvelles élections(52).

Les Musulmans et les Croates avaient donc accepté intégralement le plan; toutefois, les Serbes, qui ne se résignaient toujours pas à céder du territoire, continuèrent à rejeter la délimitation proposée. La communauté internationale décida que le temps était venu de renforcer les pressions. Le Conseil de sécurité des Nations Unies resserra la vis, le 31 mars, en adoptant la résolution 816 qui autorisait les chasseurs de l’OTAN à abattre les avions qui violeraient l’espace aérien bosniaque visé par une interdiction de survol. Des avions serbes avaient bombardé deux petits villages près de Sarajevo, le 13 mars, et il s’agissait du premier raid de bombardement confirmé depuis l’interdiction de survol. À la mi-avril, des avions de chasse de l’OTAN, des forces aériennes françaises, hollandaises et américaines firent respecter l’interdiction, mais ils ne pouvaient pas tirer sur un appareil en contravention avant de lui avoir émis au préalable un avertissement très clair.

Lorsque l’assemblée serbe bosniaque réunie à Pale (immédiatement au nord de Sarajevo) rejeta le plan Vance-Owen, le 2 avril, le monde extérieur fit un pas de plus. Depuis la fin mars, la CE avait menacé la RFY d’un isolement total si les Serbes bosniaques rejetaient de nouveau l’accord, même si Milosevic continuait d’affirmer qu’il ne pouvait pas faire grand chose. À l’issue du dernier refus, la Communauté commença à exercer des pressions sur le Conseil de sécurité pour qu’il prenne de nouvelles sanctions contre la Yougoslavie, menaçant d’imposer les siennes si les Nations Unies refusaient d’agir. Le Conseil de sécurité hésitait, car il ne voulait pas forcer la main du président russe, Boris Elstine, qui devait affronter la vive opposition des conservateurs pro-Serbes et que l’on pressait d’imposer son veto sur toute résolution proposant de nouvelles sanctions économiques contre Belgrade. Après de nombreux retards, les sanctions furent finalement approuvées le 17 avril. Elles devaient entrer en vigueur le 26 avril, le lendemain du référendum russe qui confirmait la présidence de Elstine. Les nouvelles mesures interdisaient les transports de marchandises à travers la Yougoslavie, bloquaient l’actif financier yougoslave à l’étranger, interdisaient la présence de navires yougoslaves sur le territoire des pays membres de l’ONU et détenaient les navires, trains et avions yougoslaves déjà à l’étranger.

Cette dernière série de sanctions économiques sembla produire un effet sur Belgrade. L’économie yougoslave était un piteux état et on s’attendait à ce que des nouvelles sanctions causent l’effondrement du pays(53). Les autorités yougoslaves commencèrent donc à exercer des pressions sur les Serbes bosniaques pour qu’ils acceptent le plan de paix; quant à savoir si elles cherchaient sincèrement à arrêter les combats ou si elles voulaient simplement semer la confusion dans l’esprit des Occidentaux qui imposaient de nouvelles sanctions et envisageaient une intervention militaire, personne ne pouvait le dire de façon certaine.

Quoi qu’il en soit, ce n’était pas encore suffisant. Les pourparlers de Belgrade furent rompus le 25 avril et, le lendemain, l’Assemblée serbe bosniaque rejeta de nouveau le découpage territorial(54). Même la promesse faite par Owen que les Nations Unies établiraient « des corridors protégés » reliant les provinces serbes bosniaques non contiguës et que les zones serbes démilitarisées seraient protégées par les troupes des Nations Unies ne put réussir à convaincre les Serbes(55). Warren Christopher qualifia de « stratagème cynique » la promesse de l’Assemblée de soumettre le plan à un référendum dans le territoire détenu par les Serbes en Bosnie.

La Conférence de Genève fit une dernière tentative, au début de mai, pour convaincre les Serbes. L’Assemblée serbe de Bosnie devant se réunir de nouveau, le 5 mai, pour réexaminer sa dernière décision de rejeter la partition, Karadzic fut plus que jamais exhorté par Belgrade d’accepter les modalités de l’accord et de se servir de son influence politique pour orienter le vote. Le 2 mai, il finit par céder et donner son agrément à la délimitation proposée, à Athènes, le président Milosevic à ses côtés(56). Néanmoins, l’Assemblée bosniaque n’en tint pas vraiment compte. Trois jours plus tard, elle refusait de nouveau de signer l’accord et confirmait la tenue immédiate d’un référendum. Le résultat de celui-ci n’étonna personne. Les 15 et 16 mai, les Serbes de Bosnie votèrent majoritairement contre le plan Vance-Owen tout en souscrivant au principe d’un État serbe indépendant.

Le gouvernement yougoslave annonça aussitôt qu’il coupait ses relations avec les Serbes de Bosnie et qu’il les priverait de tout approvisionnement essentiel, à l’exception de l’aide humanitaire. Cette mesure libéra la vapeur au moment où la marmite menaçait d’exploser sous les pressions internationales qui réclamaient une intervention plus énergique contre Belgrade. Mais la sincérité de Milosevic restait douteuse; lorsque les Nations Unies offrirent d’envoyer des observateurs internationaux pour surveiller les frontières du pays, il refusa carrément. Il devint bientôt évident que des approvisionnements venant de Serbie continuaient à traverser la frontière de la Bosnie.

LES TRACTATIONS TRANSATLANTIQUES

Pendant toutes cette période d’intenses négociations, la mise en oeuvre du plan Vance-Owen faisait l’objet de discussions d’ordre logistique dans les cercles de l’ONU et de l’OTAN. Même si Boutros-Ghali insistait pour que les Nations Unies assurent le contrôle politique et stratégique ultime de l’opération (qui serait financée collectivement par les États membres de l’ONU), il se rendit compte, dès le départ, que l’accord dépasserait la capacité de planification du Secrétariat de l’ONU et de la FORPRONU. Comme l’OTAN était la seule organisation capable d’administrer une aussi vaste opération, elle accepta de se charger du travail préparatoire. Les experts de l’OTAN estimaient qu’il faudrait entre 60 000 et 75 000 soldats pour s’acquitter des diverses tâches militaires; la majeure partie de cette force serait fournie par les États-Unis, et la Grande-Bretagne et la France fourniraient également d’importants contingents(57). Toutefois, certaines questions troublantes continuaient à se poser : Serait-il possible de regrouper des effectifs aussi importants? Combien de temps resteraient-ils en Bosnie? Quel serait le coût ultime de leur déploiement et les Nations Unies pouvaient-elles se le permettre étant donné leurs moyens financiers limités?

Lorsque les Serbes rejetèrent le plan Vance-Owen, le 5 mai, ce n’est plus la logistique d’une opération de maintien de la paix que l’on était en train d’examiner, mais la perspective d’une intervention militaire immédiate. Jamais de telles discussions n’avaient été prises autant au sérieux, surtout aux États-Unis. Les militaires américains restaient opposés, pour des raisons tant tactiques que stratégiques, à toute action militaire à grande échelle. Certains experts militaires laissaient entendre que les Serbes pourraient être battus en huit jours par deux ou trois divisions bien entraînées, mais la plupart estimaient que cela obligerait à déployer des centaines de milliers de soldats pendant une période indéterminée. Clinton se fia à cet avis; il continua d’affirmer que les États-Unis ne déploieraient pas de forces terrestres en Bosnie à moins qu’un accord de paix viable n’ait été signé. Toutefois, son gouvernement commençait à perdre patience devant la mauvaise volonté des Serbes. Warren Christopher, le vice-président Al Gore et le conseiller national pour la sécurité, Anthony Lake, étaient en faveur d’attaques aériennes. Le secrétaire de la Défense, Les Aspin, préférait ne pas s’engager, tandis que le président de l’Instance collégiale des chefs d’état-major, le général Colin Powell, s’opposait à ce genre d’intervention. Finalement, à la fin d’avril, Clinton opta pour la suspension de l’embargo des Nations Unies sur les armements et le lancement d’attaques aériennes contre les Serbes bosniaques de façon à les tenir en échec pendant que les Musulmans apprendraient à se servir des nouvelles armes perfectionnées qui leur étaient livrées. On apprit bientôt que Washington avait déployé en Bosnie une centaine d’agents de renseignement militaire chargés de localiser les cibles éventuelles et plus particulièrement les routes d’approvisionnement traversant la frontière serbe(58).

Christopher fut envoyé en Europe pour avertir les alliés de Washington au sein de l’OTAN, mais il devint vite évident qu’aucun pays de la CE, à l’exception de l’Allemagne, n’appuierait le choix des Américains. Des arguments nouveaux et anciens furent invoqués. Une fois de plus, la Grande-Bretagne et la France exprimèrent la crainte, comme les autorités des Nations Unies sur le terrain, que toute action militaire n’incite les Serbes à exercer des représailles en s’attaquant à leur forces de maintien de la paix en Bosnie(59). En outre, comme les ministres des Affaires étrangères de la CE le soulignèrent, au Danemark, le 25 avril, la levée de l’embargo sur les armements risquait d’entraîner une escalade du conflit et peut-être même sa propagation à l’extérieur des frontières de la Bosnie(60). D’autres questions, plus ou moins fondamentales, restaient à résoudre : D’où viendraient les armes? Comment seraient-elles livrées? Quels seraient les objectifs politiques et militaires des attaques aériennes? Le feld-maréchal, Sir Richard Vincent, président britannique de la commission militaire de l’OTAN, fit savoir à la fin avril aux gouvernements occidentaux qu’ils devaient décider de ce qu’ils souhaitaient obtenir en Bosnie avant de préconiser une intervention quelconque(61).

Les Européens étaient très peu disposés à faire des concessions, car ils tenaient à poursuivre les opérations de maintien de la paix et la livraison de l’aide humanitaire. Ils espéraient tout au moins éviter que l’on envisage sérieusement une action militaire avant d’avoir vu si Milosevic tiendrait sa promesse de fermer hermétiquement la frontière avec la Bosnie. Le gouvernement britannique laissa entendre qu’il pourrait donner son accord, ultérieurement, à des attaques aériennes limitées contre les voies d’approvisionnement et de communication des Serbes (Lord Owen laissa même entendre que cela pourrait être nécessaire), mais seulement en dernier ressort. Les Russes firent valoir que le relâchement des sanctions contre Belgrade pourrait donner des résultats, tandis que les Français recommandèrent, un fois de plus, la création de zones de sécurité pour protéger les Musulmans assiégés dans l’est de la Bosnie et ailleurs.

Les Américains n’étaient pas prêts à faire cavalier seul. À une réunion des hautes autorités militaires de l’OTAN, à Bruxelles, le 27 avril, le Général Colin Powell déclara clairement que le gouvernement américain n’envisagerait aucune action militaire sans l’autorisation expresse des Nations Unies(62). Comme il était possible que la Russie ou la France opposent leur veto à toute résolution du Conseil de sécurité préconisant la levée de l’embargo sur les armes et le lancement d’attaques aériennes, Washington se trouvait dans une impasse. Les Serbes bosniaques avaient eu raison de parier que l’absence de consensus entre les pays de l’ouest empêcherait toute intervention militaire directe.

Le désaccord de plus en plus profond entre les États-Unis et l’Europe fut bientôt considéré, par certains observateurs, comme la crise la plus grave que les relations transatlantiques aient connu depuis l’affaire de Suez, en 1956. Le langage utilisé n’était pas toujours diplomatique. Joseph Biden, un démocrate influent siégeant au comité des relations extérieures du Sénat et un ardent partisan de l’option américaine, qualifia la politique européenne de « triste tableau d’indifférence, de timidité, d’illusions et d’hypocrisie »(63). John Newhouse est peut-être celui qui a le mieux résumé la situation en ces termes : « Washington traite les Européens de « mauviettes », tandis que les Européens reprochent à l’administration Clinton de ne pas voir la réalité en face »(64). Mais surtout, cette division révélait une conception différente du conflit. Les Européens considéraient que la Bosnie était ravagée par une guerre civile tandis que les Américains la voyaient comme un État indépendant victime d’une agression dirigée de l’extérieur(65).

LA MORT DU PLAN DE PAIX

Le plan Vance-Owen était désormais condamné même si la communauté internationale refusait de l’admettre publiquement. Cela sautait pourtant aux yeux. Non seulement les Serbes avaient rejeté catégoriquement le plan de paix et parlaient maintenant de diviser le pays selon des frontières ethniques, mais le 6 mai, avant même que le référendum n’ait lieu, le Conseil de sécurité adopta à l’unanimité la résolution 824, qui faisait des enclaves musulmanes assiégées de Sarajevo, Tuzla, Zepa, Gorazde, Bihac et Srebenica des « zones de sécurité ». Les belligérants reçurent l’ordre de s’abstenir de « toute attaque armée ou tout autre acte hostile » dans ces secteurs et de laisser les observateurs militaires de l’ONU y avoir accès pour contrôler leur sécurité. À une réunion des ministres des Affaires étrangères qui eut lieu à Washington, le 22 mai, la Russie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne signèrent une « stratégie commune » pour assurer la garde ces zones. Les signataires de l’Accord de Washington nièrent que le plan Vance-Owen était condamné ou qu’ils avaient rejeté totalement la possibilité d’une intervention militaire. Également, les ministres de la défense de l’OTAN réunis à Bruxelles, le 26 mai, soulignèrent que les zones de sécurité devraient être considérées comme un moyen d’atteindre un objectif et non comme une solution de rechange, ce qui laissait planer la possibilité d’en revenir au plan Vance-Owen. Toutefois, les observateurs du monde entier étaient très sceptiques à cet égard.

Les six zones de sécurité désignées étaient dans une situation désespérée, les bombardements incessants, la purification ethnique et de graves pénuries de nourriture et d’autres services humanitaires ayant causé une véritable tragédie humaine(66). Lorsque les Serbes essayèrent de resserrer l’étau, à la fin de l’hiver et au printemps de 1993, les forces des Nations Unies redoublèrent d’efforts pour évacuer les Musulmans de ces régions assiégées. Srebenica, dans l’est de la Bosnie, est sans doute le cas qui a le plus retenu l’attention. En mars, le lieutenant-général Phillipe Morillon, commandant des forces des Nations Unies en Bosnie, entra dans la ville avec un nombre limité de soldats et resta sur place pendant près d’un mois jusqu’à ce que le siège soit levé. Une compagnie de 150 gardiens de la paix canadiens commença alors à évacuer les habitants et à désarmer les défenseurs musulmans, ce qui amena la presse internationale et le gouvernement de Bosnie à accuser les Nations Unies de favoriser la purification ethnique. Néanmoins, à la fin d’avril, Srebrenica était finalement désignée comme zone de sécurité(67). Étant donné l’échec des pourparlers de paix et la détermination croissante des Serbes à éliminer les derniers bastions de la résistance musulmane, l’ONU en vint à la conclusion, surtout en raison de l’insistance de la France, qu’à part une intervention à grande échelle, la seule solution était d’étendre le concept des zones de sécurité à d’autres régions de la Bosnie.

Toutefois, certains membres de l’OTAN — et en particulier ceux qui n’avaient pas été consultés — n’étaient pas très optimistes et le plan fut vivement critiqué dans la presse occidentale. Encore une fois, on craignait que les Serbes ne soient récompensés et les Musulmans punis. En fait, de nombreux experts étaient d’accord pour dire que le nouveau plan constituait une reconnaissance de facto du statu quo en Bosnie du fait qu’il maintenait le résultat territorial de 14 mois de guerre civile et renforçait les prétentions des nationalistes serbes et croates que l’on disait vouloir diviser la Bosnie aux dépens de la population musulmane(68). Le personnel des Nations Unies sur le terrain, y compris le chef de l’aide humanitaire en Bosnie, Jose-Maria Mendiluce, exprima la crainte que les zones désignées deviennent des ghettos, très exposés aux maladies et dépendant entièrement de l’aide humanitaire des Nations Unies pendant une période indéfinie(69). Des Serbes et des Croates hostiles encerclant les villes, rien ne garantissait que l’aide puisse passer. The Economist laissa entendre que les Musulmans étaient regroupés dans des territoires comparables aux « homelands » de l’Afrique du Sud. Le message était clair : « L’apartheid se répand en Europe »(70).

Le président Izetbegovic commença par rejeter l’accord, ce qui n’avait rien d’étonnant. Il accusa l’Occident d’abandonner la Bosnie et de regrouper les Musulmans dans des « réserves ». Toutefois, une intervention militaire paraissant plus incertaine que jamais, il accepta le plan, le 7 juin, à certaines conditions, soit l’extension de la superficie des six zones, l’établissement de corridors entre les villes et le retrait de l’artillerie serbe autour de ces dernières. Comme ces exigences obligeaient les Serbes à faire d’importantes concessions, surtout sur le plan territorial, elles avaient peu de chances d’être acceptées.

Entre temps, des préparatifs avaient été entrepris pour la mise en oeuvre du plan d’établissement des zones de sécurité. Cependant, ce plan fut également critiqué. Le Conseil de sécurité approuva, le 4 juin, la résolution 836 qui autorisait la FORPRONU à recourir à la force si l’une des six zones de sécurité était attaquée. Mais elle ne précisait pas clairement si cela s’appliquait aux attaques lancées uniquement contre les soldats de la FORPRONU ou également contre des civils(71). La question ne fut pas éclaircie à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN qui eut lieu à Athènes, le 10 juin, lorsque l’OTAN accepta de fournir « une force aérienne de protection en cas d’attaque contre la FORPRONU dans l’exercice de son mandat global ». Plusieurs pays européens, dont la France et la Grande-Bretagne, laissèrent entendre qu’il faudrait également défendre des civils des zones de sécurité, mais les États-Unis étaient moins enthousiastes(72). De plus, il n’était pas précisé si les avions de l’OTAN protégeraient tous les gardiens de la paix en Bosnie ou seulement ceux qui garderaient les zones de sécurité. Le secrétaire général de l’OTAN, Manfred Woerner, déclara que cela ne s’appliquait qu’aux zones de sécurité, mais Warren Christopher donna à entendre que toute la Bosnie serait couverte.

Une autre question tracassait les planificateurs : Combien de soldats faudrait-il déployer au sol pour garder les zones de sécurité et pourrait-on les trouver? Le lieutenant-général Lars-Eric Wahlgren, commandant des Nations Unies dans l’ex-Yougoslavie, estimait qu’il faudrait 34 000 soldats, mais Boutros-Ghali, se rendant compte qu’il ne serait jamais possible d’atteindre ce chiffre, le réduisit à 7 500(73). Les ministres des Affaires étrangères de la CE s’étaient mis d’accord à leur réunion du Luxembourg, le 8 juin, sur l’augmentation des forces terrestres pour protéger les zones de sécurité, sans que cet accord de principe ne se matérialise pour autant. À la fin de juin, la Grande-Bretagne et l’Espagne refusèrent d’envoyer des troupes supplémentaires tandis que la Russie réclamait un mandat plus clair avant de prendre des engagements. Bien entendu, les États-Unis, qui avaient beaucoup hésité à appuyer le plan, refusaient toujours d’envoyer des soldats en Bosnie. À la fin de juillet, on n’avait pu trouver que 1 200 gardiens de la paix. Leur nombre augmenta graduellement, notamment grâce à un important contingent envoyé par la France, mais le déploiement prit plusieurs semaines, voire des mois et le plan concernant les zones de sécurité ne fut jamais entièrement appliqué. Dans certaines villes comme Goradze et Zepa, les journalistes affirmèrent qu’il n’y avait aucune protection.

LA DIVISION DU TERRITOIRE

L’accord de Washington ne tua peut-être pas le plan Vance-Owen, mais il le blessa mortellement. Le coup de grâce lui fut donné le 16 juin 1993 lorsque Milosevic et le président croate, Franjo Tudjman, convinrent, à Genève, de diviser la Bosnie en trois États ethniques régis par une constitution fédérale ou confédérale. Les négociations avaient bouclé la boucle étant donné que l’accord conclu à Lisbonne en février 1992 prévoyait pratiquement la même chose. La seule différence était que les Serbes et les Croates obtiendraient davantage de territoire, en fonction de leur gains militaires. Karadzic et Mate Boban, le leader croate bosniaque, commencèrent presque immédiatement à mettre au point les détails du nouveau plan, notamment en ce qui concerne les frontières des États proposés. Même si la Conférence de Londres avait décrété que les frontières ne pourraient pas être modifiées par la force et que les territoires conquis devaient être restitués, Lord Owen s’était plus ou moins résigné à accepter l’inévitable et il déclara qu’il était réaliste et qu’il fallait accommoder de ce qui s’est passé sur le terrain. Le rêve d’un État bosniaque était près de s’effondrer.

Selon les propositions, l’État musulman s’étendrait en forme de croissant, de Sarajevo jusqu’à Zenica et Tuzla, dans le centre de la Bosnie. Les Musulmans obtiendraient également l’enclave de Bihac, au nord-ouest ainsi qu’une sortie sur l’Adriatique. Les Serbes et les Croates se partageraient le reste. Naturellement, Izetbegovic ne voulut rien entendre même si Karadzic l’avait averti que, s’il refusait de signer, les serbes et les Croates se partageraient la Bosnie uniquement entre eux. Le président bosniaque craignait que les territoires serbes et croates ne finissent par être annexés à la Serbie et à la Croatie (même si Milosevic et Tudjman avaient promis que cela n’arriverait pas) laissant aux Musulmans un petit bout de Territoire coincé entre deux États ennemis. En outre, la nouvelle proposition entraînerait une nouvelle purification ethnique; des dizaines de milliers de Serbes, de Croates, et de Musulmans se trouvaient encore du mauvais côté de leur frontière et devraient être déplacés(74).

Pendant la majeure partie du mois de juillet, Izetbegovic essaya, en vain, d’éviter la destruction de la Bosnie. Cependant, Owen et Thorvald Stoltenberg (qui avait remplacé Vance comme envoyé des Nations Unies au début de mai) le pressèrent de se résoudre à l’inévitable. Ils essayèrent de le convaincre que, même si le nouvel accord n’était pas parfait, c’était la meilleure occasion qu’il avait d’éviter un sort bien pire entre les mains des forces serbes et croates. De toute évidence, les médiateurs s’impatientaient; ils invitèrent même les autres membres de la présidence bosniaque à Genève pour discuter de l’accord. Le reste de la communauté internationale n’avait pas beaucoup de réconfort à offrir. Izetbegovic exhorta en vain la CE de lever l’embargo sur les armes. La Communauté européenne insistait pour que les Musulmans ne soient pas forcés à signer l’accord (notamment à la réunion des leaders du G7, à Munich, en juillet), mais les pressions se faisaient de plus en plus fortes.

Izetbegovic commença à fléchir. Le 18 juillet, il concéda que : « Si nous voulons la paix cette année, nous allons devoir nous résoudre à faire […] d’importantes concessions »(75). Les principaux acteurs, y compris Tudjman et Milosevic, s’assirent à la table des négociations, à Genève, le 27 juillet et, trois jours plus tard, Izetbegovic se résigna à accepter la division de la Bosnie en trois républiques constituant une fédération baptisée « Union des Républiques de Bosnie-Herzégovine ». Le rôle du gouvernement fédéral se limiterait uniquement à la politique étrangère et au commerce extérieur. Toutefois, le président bosniaque refusa d’approuver le découpage territorial. Karadzic, dont les forces avaient la haute main sur plus de 70 p. 100 de la Bosnie, offrait environ 25 p. 100 du territoire aux Musulmans, gardait 60 p. 100 pour la Serbie et 15 p. 100 pour la Croatie. Izetbegovic ne pouvait pas accepter ces pourcentages si bien que, le 2 août, les Serbes ayant intensifié leurs bombardements sur Sarajevo, il abandonna les négociations(76).

LES ATTAQUES AÉRIENNES

Les combats avaient duré tout l’été, même si les négociations semblaient progresser. De plus, les gardiens de la paix chargés d’escorter les convois d’aide humanitaire étaient de plus en plus souvent attaqués, ce qui soulignait l’impuissance des Nations Unies en Bosnie et le mépris que les forces locales manifestaient vis-à-vis de leur autorité. Compte tenu de ces événements et de l’insuffisance chronique de l’aide accordée par la communauté internationale, le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés déclara, à Genève, le 8 juillet : « Nous sommes au bord de la catastrophe »(77). Stoltenberg laissa entendre, moins d’une semaine plus tard que : « Si les choses continuent à aller aussi mal, les Nations Unies seront dans l’impossibilité de rester en Bosnie »(78).

Le débat quant à la possibilité d’une intervention militaire reprit de nouveau. À la fin de juillet, après que les Serbes bosniaques eurent bombardé une base des Nations Unies tenue par les Français, à Sarajevo, le président Clinton déclara que les forces américaines étaient prêtes à lancer une offensive aérienne contre l’artillerie serbe si les Nations Unies le leur demandaient. Clinton laissa même entendre que les Américains pourraient agir seuls, mais il s’empressa de se rétracter lorsque les Nations Unies protestèrent. Le ministre des Affaires étrangères de France, Alain Juppé, déclara que l’aviation militaire de l’OTAN devrait défendre les forces de l’ONU conformément à la résolution 836.

Le 3 août, alors que le noeud se resserrait autour de Sarajevo et des autres enclaves musulmanes(79), les alliés de l’OTAN acceptèrent d’entreprendre la planification d’éventuelles attaques aériennes contre les forces serbes pour empêcher une « ingérence à grande échelle » dans les efforts d’aide humanitaire. À Bruxelles, les diplomates firent clairement savoir que cette action militaire ne serait entreprise qu’à la demande du secrétaire général des Nations Unies. Le 9 août, une liste d’objectifs militaires fut approuvée et l’OTAN ordonna aux Serbes bosniaques de lever le siège de Sarajevo « immédiatement ». Comme d’habitude, les Serbes firent juste ce qu’il fallait pour réduire la menace d’intervention immédiate. Les forces serbes qui occupaient deux montagnes stratégiques surplombant Sarajevo furent retirées, ce qui ramena Izetbegovic à la table des négociations et élimina la nécessité des attaques aériennes. Cependant, l’Ouest avertit les Serbes que, s’ils recommençaient à pilonner Sarajevo ou à bloquer le passage des convois d’aide humanitaire, des mesures militaires seraient prises. Les observateurs estimèrent que les Serbes ne prendraient probablement pas ces avertissements au sérieux étant donné qu’on n’avait pas donné suite aux nombreuses menaces déjà lancées par le passé.

Comme d’habitude, la possibilité d’une offensive aérienne provoqua tout un débat. Certains experts craignaient qu’une intervention militaire à ce stade du conflit n’incite les Musulmans à éviter les négociations de paix. Le lieutenant-général Francis Briquemont, commandant des forces militaires des Nations Unies en Bosnie et son chef d’état-major, le brigadier-général Vere Hayes, de Grande-Bretagne, exprimèrent les craintes partagées par la plupart des autorités françaises, britanniques et canadiennes en disant que ces attaques exposeraient leurs soldats à des représailles. Les Américains s’offusquèrent de cette déclaration et le commandant français des forces des Nations Unies dans l’ex-Yougoslavie se sentit obligé de déclarer, vers la fin d’août : « Il est certain que, si les conditions le justifient, le général Briquemont sera disposé à recourir à cet important moyen militaire que l’OTAN est en mesure de fournir »(80).

L’IMPASSE

Le retour d’Izetbegovic à la table des négociations, à Genève, le 16 août, se traduisit par un accord provisoire sur une démilitarisation éventuelle de Sarajevo et l’établissement d’une administration provisoire des Nations Unies, pendant deux ans, dans la capitale. D’autres part, les Musulmans se virent promettre un accès à la mer Adriatique, à Ploce, en Croatie et à la rivière Sava, grâce à des corridors traversant le territoire serbe(81). Néanmoins, les Musulmans n’étaient toujours pas satisfaits du découpage territorial, qui leur accordait 30 p. 100 du territoire de la Bosnie contre 52,5 p. 100 pour les Serbes et 17,5 p. 100 pour les Croates. Ils craignaient également que les corridors protégés par l’ONU qui relieraient les villes Musulmanes seraient impossibles à établir à moins que les Serbes ne renoncent à une partie de leur territoire, tandis que personne ne savait exactement ce qu’il adviendrait des Musulmans qui se trouvaient dans les États croates et serbes. Auraient-ils le droit de partir et, dans l’affirmative, leur sécurité serait-elle garantie? S’agissait-il d’une forme de purification ethnique facilitée et favorisée par les Nations Unies? En raison de ces préoccupations, l’Assemblée bosniaque vota contre l’accord à l’unanimité. Les Assemblées croates et serbes, quant à elles, n’hésitèrent pas à l’appuyer.

Lorsque les négociations reprirent, le 31 août, après un arrêt de 10 jours, la délégation bosniaque présenta de nouvelles revendications territoriales. Les Serbes acceptaient d’élargir à deux miles le corridor proposé pour rattacher les enclaves musulmanes de Srebrenica et Zepa à Goradze. Toutefois, ils refusèrent d’élargir l’enclave musulmane de Bihac et les Croates refusèrent d’accorder aux Musulmans l’accès au port de Neum, sur la mer Adriatique. Si ces exigences avaient été satisfaites, les Musulmans auraient obtenu 34 p. 100 du territoire de la Bosnie. Les pourparlers furent rompus une fois de plus et Karadzic menaça de partager le territoire sans rien concéder aux Musulmans. Owen proclama : « Les principaux dangers qui menacent la Bosnie-Herzégovine sont la fragmentation, l’anarchie, les seigneurs de la guerre et la pagaille, et elle y fera face bientôt »(82).

Izetbegovic n’avait toujours pas renoncé à l’espoir de voir intervenir la communauté internationale. Au début de septembre, lors d’une visite aux États-Unis, il exhorta le président Clinton à lancer des attaques aériennes contre les positions serbes de façon à assurer la libre circulation du ravitaillement. Même si Clinton avait déclaré, le 2 septembre, que l’option militaire restait « parfaitement envisageable », avertissant les Serbes et les Croates de ne pas profiter d’une pose dans les négociations de Genève pour saisir davantage de territoire, il refusa de fixer un délai pour le recours à la force au cas où les Serbes continueraient d’assiéger Sarajevo. Il souligna que la menace d’attaques aériennes « devait faire partie du processus de négociation ».

Le 16 septembre, Izetbegovic, dont les plans étaient une nouvelle fois contrariés, accepta la dissolution de la Bosnie et la possibilité d’une sécession pour ses territoires serbes et croates une fois que les frontières des États auraient été tracées. Mais aucun progrès ne fut réalisé quant à la carte proposée. Le 29 septembre, le parlement de Bosnie vota pour l’acceptation du plan de découpage territorial à la condition que « les territoires saisis par la force » soient restitués, ce qui revenait, en fait, à rejeter les propositions. Les pourparlers en restèrent là jusqu’à la fin de 1993. En novembre, la France et l’Allemagne suggérèrent, dans l’espoir de rompre l’impasse, de récompenser les concessions territoriales des Serbes en levant graduellement les sanctions. Mais les Serbes ne mordirent pas à l’hameçon et lorsque les négociations reprirent, en décembre, il était clair que les diverses factions s’étaient résignées à leur deuxième hiver de combats.

CONCLUSION

En janvier 1992, Radovan Karadzic, le leader serbe bosniaque, prédisait que la guerre n’éclaterait probablement pas en Bosnie pour la simple raison que : « Deux ou trois cent milliers de gens mourraient, des villes seraient détruites et nous serions forcés de nous asseoir pour négocier les même choses que maintenant »(83). Bien entendu, Karadzic supposait que le bon sens l’emporterait sur des perspectives aussi horribles. Mais ce ne fut pas le cas et, vingt mois plus tard, ses pires craintes se sont confirmées : le nombre de morts est maintenant évalué à plusieurs centaines de milliers, des villes ont été dévastées et les trois factions en guerre continuent à chicaner sur les mêmes petits détails. La paix est peut-être extrêmement proche sur papier (seul un faible pourcentage du territoire sépare les Serbes et les Musulmans), mais aucun côté ne semble prêt à faire la moindre concession supplémentaire. Tout semble indiquer que la guerre va durer interminablement.

Le conflit bosniaque a été une source de frustration continue pour le monde extérieur. Les critiques affirment que la raison en est la réponse timide de la communauté internationale qui, selon eux, a laissé dégénérer le combat. Rares sont ceux qui nieront que le reste du monde s’est montré hésitant. D’abord et avant tout, les gouvernements occidentaux ne voyaient aucun intérêt national direct en jeu dans les Balkans. Cette région a perdu son intérêt stratégique avec la fin de la guerre froide et elle ne possède pas de ressources essentielles dont l’Ouest a besoin. Au mieux, la communauté internationale s’est rendue compte qu’elle ne pouvait pas laisser la guerre déborder au-delà des frontières de la Bosnie. D’autre part, il n’y a pas eu de consensus international sur la nature du conflit. Il fait peu de doute que Belgrade a joué un rôle de premier plan en armant, en finançant et en soutenant les Serbes bosniaques, mais il est difficile de décrire cette guerre comme une agression pure et simple menée de l’extérieur contre un pays sans défense. Les combats en Bosnie ressemblent fort à une guerre civile et même si les Serbes ont certainement poursuivi leurs objectifs avec une impitoyable détermination, on peut dire aussi qu’ils avaient des inquiétudes légitimes quant à leur sort dans une Bosnie indépendante.

En raison de cette complexité, la communauté internationale a eu beaucoup de difficulté à s’entendre sur la stratégie à adopter pour mettre un terme à la guerre. L’opinion publique a forcé les gouvernements occidentaux à adopter graduellement un rôle de plus en plus énergique pour alléger les difficultés du peuple bosniaque et mettre fin aux combats, mais chaque mesure était prise de façon à éviter un engagement qui risquait d’aller trop loin. Le but poursuivi, selon les critiques, était d’apaiser l’opinion publique tout en évitant de ternir la réputation des organismes internationaux qui ont canalisé l’intervention externe dans le conflit. L’Ouest a réussi à éviter tout engagement à long terme, surtout sur le plan d’une intervention militaire, mais la réputation des organismes internationaux en a énormément souffert.

Nous avons examiné dans les pages qui précèdent les diverses tentatives faites par la communauté internationale — des négociations et sanctions à l’intervention militaire, en passant par le maintien de la paix — pour faire cesser les combats ou du moins, pour aider la population bosniaque à faire face au caractère inhumain de la guerre. Ces tentatives n’ont eu que des résultats très limités. Les négociations menées par l’ONU et la CE dans le but d’obtenir un règlement politique ont échoué les unes après les autres. Comme le plan Vance-Owen l’a démontré, il s’est avéré pratiquement impossible de satisfaire les revendications rivales des Serbes, des Musulmans et des Croates. Les Serbes et les Musulmans, en particulier, se sont montrés récalcitrants dès le départ et ont complètement rejeté toute concession. En l’absence d’une menace d’intervention crédible, les chances de succès étaient pratiquement nulles. Les gouvernements occidentaux reconnaissent maintenant qu’il n’est plus possible d’avoir une seule Bosnie, multi-ethnique, comme le souhaitait la population musulmane et les participants à la Conférence de paix de Genève. En outre, on reconnaît que tout nouvel État serbe ou croate finira par être absorbé par la Serbie et la Croatie(84).

Les pressions politiques et économiques ont eu peu d’effet sur l’évolution des combats. Les sanctions imposées par les Nations Unies et la CE ont causé de graves torts à l’économie serbe, mais sans réussir à mettre fin à la guerre. Tout semble indiquer que les Serbes bosniaques disposent toujours d’un bon stock d’armes et de pétrole tandis que le débat se poursuit quant à l’influence que le président Milosevic exerce véritablement sur Karadzic et ses partenaires. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé toutes sortes d’autres résolutions visant à arrêter les combats, qui allaient de la condamnation des camps de détention et de la purification ethnique à la création de tribunaux des crimes de guerre, mais les forces serbes et bosniaques ont toujours passé outre(85).

L’option militaire a provoqué d’intenses discussions et entraîné une profonde division au sein de l’alliance occidentale. En fin de compte, aucun consensus n’a été atteint. L’établissement et l’application d’une zone de non survol et la création de zones de sécurité, au printemps de 1993, représentaient une certaine forme d’intervention militaire, mais dans le premier cas ce fut en grande partie inutile et, dans le deuxième, l’opération fut loin d’être un franc succès (les critiques continuent à reprocher aux zones de sécurité d’avoir contribué à faciliter la purification ethnique). Une action militaire explicite contre les Serbes a été évitée. Aucun gouvernement n’a été prêt à engager des troupes de combat dans une région où il était pour le moins douteux que cela servirait ses intérêts nationaux et où les pertes humaines seraient sans doute lourdes. Peut-être aurait-il été possible de lancer une intervention militaire à un coût raisonnable au début de la guerre, mais plus cette dernière s’est prolongée, plus il était difficile d’agir. Chaque fois que l’Occident a éludé ses responsabilités, les Serbes bosniaques ont été incités à croire que les menaces seraient mises à exécution uniquement dans des circonstances extrêmes et peut-être même jamais. Ils sont passés maîtres en l’art d’évaluer les limites de la patience occidentale.

La communauté internationale a évité une intervention militaire, mais elle ne pouvait pas, en son âme et conscience, rester les bras croisés pendant que le massacre continuait. Le maintien de la paix était la seule option restante. Personne ne niera que les troupes des Nations Unies ont fait un travail remarquable en Bosnie dans des conditions extrêmement difficiles, mais il est difficile de les qualifier de « forces de maintien de la paix » au véritable sens du terme. Jusqu’à présent, les gardiens de la paix étaient déployés uniquement une fois qu’un cessez-le-feu durable avait été établi. En l’absence de trêve, les forces de maintien de la paix deviennent des cibles potentielles, même si elles sont armées, et c’est pour cette raison que Boutros-Ghali a refusé d’envoyer des forces des Nations Unies en Bosnie au cours des cinq premiers mois de 1992. Toutefois, devant autant de souffrances humaines, certaines mesures s’imposaient. Malgré l’absence de cessez-le-feu durable, des gardiens de la paix furent envoyés en Bosnie pour accomplir une mission qui, au départ, semblait urgente et réalisable, à savoir la délivrance de Sarajevo assiégée. Toutefois, les tâches se multiplièrent rapidement et, en plus de neutraliser l’artillerie lourde, il fallut nourrir et loger les victimes de la guerre. Non seulement la ligne de démarcation entre les opérations de maintien de la paix et de rétablissement de la paix est devenue floue, mais la résolution 770 du Conseil de sécurité qui autorisait le recours à la force pour protéger les convois d’aide humanitaire a rendu cette distinction totalement nébuleuse. Chaque fois que les seigneurs de la guerre locaux se sont mis à harceler les gardiens de la paix, les experts se son demandés si ces derniers étaient vraiment en mesure de s’acquitter de ce genre de mission. Ils opèrent dans une zone de conflit avec un armement très limité et un mandat plutôt vague. Pour aggraver les choses, leurs efforts ont été compromis par la limitation des ressources des Nations Unies, par une bureaucratie désorganisée et par un conflit d’autorité entre les hauts dirigeants civils et militaires de l’ONU(86). La révélation selon laquelle 11 gardiens de la paix canadiens ont été attaqués par des soldats serbes, en décembre, a soulevé, une fois de plus, de sérieux doutes quant à la présence des Nations Unies en Bosnie. Les gouvernements du Canada, de Grande-Bretagne, de France et d’Espagne envisagent tous de retirer leurs troupes d’ici le printemps de 1994. Peut-être ont-ils à l’esprit l’avertissement de Lord Owen selon lequel « le temps viendra où la communauté mondiale devra décider combien de temps elle pourra poursuivre son intervention »(87).

On a reproché aux Nations Unies non seulement de mettre en danger la vie des gardiens de la paix, mais également d’avoir répondu à la violence en Bosnie en s’attaquant à ses symptômes plutôt qu’à ses causes. L’intervention humanitaire a certainement sauvé des milliers de vies humaines, mais il est également possible qu’elle ait prolongé la guerre. Lord Owen déclarait, en novembre 1993 : « En alimentant les combattants, nous nous ingérons dans la dynamique de la guerre »(88). En maintenant les voies d’approvisionnement jusqu’à Sarajevo et les autres villes assiégées, les Nations Unies ont peut-être permis aux soldats des diverses factions de continuer à se battre plus longtemps qu’ils n’auraient pu le faire autrement. Les Musulmans, en particulier, auraient peut-être déjà capitulé sans l’assistance continue des Nations Unies. Comme l’un des dirigeants de l’aide humanitaire l’a fait remarquer au cours de l’automne 1992 : « Nous sommes ici pour engraisser les moutons qui vont à l’abattoir »(89). Les Musulmans se montrant de plus en plus déterminés à regagner les territoires qu’ils ont perdu, les Nations Unies se trouvent face à un dilemme.

Enfin, certains diront que l’organisation qui apporte une aide humanitaire ne devrait pas diriger des négociations dont le succès exige une menace d’intervention. Autrement dit, le maintien, le rétablissement de la paix et l’aide humanitaire sont peut-être incompatibles. Comme ceux qui fournissent cette aide sont devenus pratiquement des otages, il faut renoncer à certaines options militaires telles que les attaques aériennes que les Américains ont préconisé à plusieurs reprises. Les Serbes ont profité de cette contradiction.

Le rôle joué par les Nations Unies en Bosnie a été vivement critiqué, mais la Communauté européenne, qui a également joué un rôle clé dans le conflit, n’a pas été, elle non plus, à l’abri des critiques. Selon ses détracteurs, elle n’a pas su comprendre à quel point les groupes ethniques de Bosnie étaient divisés par de profondes dissensions et qu’ils étaient prêts à recourir à la violence. La reconnaissance de la Bosnie par la CE en avril 1992 illustre sans doute cet échec. Depuis, on a reproché à la CE d’avoir manqué de cohésion et d’avoir émis des menaces sans y donner suite. La politique distincte et souvent contradictoire poursuivie par les pays européens vis-à-vis du conflit, notamment par la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ont rendu la réponse de la CE problématique. Les atouts que la Communauté possède en tant qu’organisation régionale du fait qu’elle connaît bien le problème et les participants ont été effacés par le sectarisme et les rivalités locales. Les Serbes, par exemple, étaient toujours soupçonneux vis-à-vis des Allemands et, au fur et à mesure que le temps passait, ils ont accepté de moins en moins le rôle de médiation de la CE. En fin de compte, les intervenants n’ont pas eu la volonté politique nécessaire pour prendre les décisions les plus difficiles en vue d’arrêter la progression des Serbes ou de faire appliquer un règlement. De nombreux observateurs pensent maintenant qu’étant donné ces lacunes structurelles, la CE n’est peut-être pas prête à assurer la sécurité de l’Europe(90).

Les diverses organisations de sécurité régionale, qui se concurrençaient jusqu’ici pour jouer un rôle dans le maintien et le rétablissement de la paix, n’ont eu qu’un rôle très secondaire dans la crise bosniaque. L’OTAN possède certainement la capacité militaire et la structure de commandement nécessaire pour affronter le problème, mais il lui manque le consensus politique requis. Elle a encore de la difficulté à détacher son attention de la menace soviétique pour la diriger vers les menaces plus obscures que posent le nationalisme ethnique. Pour ce qui est de l'UEO, que la France a cherché à pousser pendant toute la durée de la crise, il lui manque non seulement le consensus politique nécessaire, mais également des forces militaires et une structure de commandement. Cet organisme demeure nébuleux et n’est pas encore certain de la place qu’il occupe dans la nouvelle union européenne. Enfin, la CSCE commence tout juste à se doter de mécanismes pour faire face à l’instabilité en Europe centrale et en Europe de l’Est. Comme un observateur l’a fait remarquer, elle a été « d’une utilité particulièrement limitée » pendant la guerre de Bosnie(91).

La communauté internationale a certainement fait l’objet de critiques amères et nombreuses pour la façon dont elle a fait face au conflit en Bosnie. Même ceux qui ont participé à l’élaboration de la réponse internationale ont reconnu que des erreurs avaient été commises. Un haut dirigeant des Nations Unies a admis carrément, en avril 1993 : « Nous sommes dans un bourbier. Nous avons tout fait de travers dès le départ »(92). Il ne faut toutefois pas oublier que la crise bosniaque a été extrêmement complexe et qu’elle ne pouvait pas être facile à résoudre. Étant donné que les Serbes et les Musulmans étaient déterminés à se détruire mutuellement, le monde extérieur avait peu de solutions à sa disposition. Mais cela veut-il dire que la communauté internationale sera impuissante à intervenir dans des guerres semblables à l’avenir et que le désordre international régnera? A-t-on tiré de cette crise des leçons qui pourraient apporter quelque espoir pour l’avenir?

Pour commencer, la Bosnie a démontré que les structures de sécurité mondiales ne sont pas prêtes à affronter le genre de nationalisme ethnique violent qui devient rapidement endémique dans le monde de l’après-guerre froide. L’État-nation n’est peut-être plus l’unité de base de la politique internationale; ce sont les conflits à l’intérieur des États plutôt qu’entre ces derniers qui constituent la nouvelle menace pour la sécurité internationale. De nouveaux mécanismes diplomatiques et politiques s’imposent pour affronter les problèmes de la souveraineté, de l’autodétermination, du respect des frontières nationales, et des droits des minorités(93). Pendant toute la crise bosniaque, la communauté internationale a fait preuve d’un manque de cohésion à cet égard. Sur un plan plus fondamental, les Nations Unies doivent établir les lignes directrices leur indiquant quand elles doivent intervenir dans un conflit interne et sous quelle forme étant donné qu’elle a évité, jusqu’ici, de s’ingérer dans les affaires intérieures des États souverains. Faut-il pour cela attendre que la paix soit établie? Dans la négative, l’intervention humanitaire est-elle le seul choix possible? L’imposition de la paix est-elle une option viable? Quand prend fin la première et quand commence la seconde? Si l’on choisit l’intervention humanitaire, les gardiens de la paix traditionnels ne constituent peut-être pas la solution. Cette dernière réside peut-être dans des unités d’imposition de la paix, telles qu’elles sont définies dans Agenda pour la paix, de Boutros-Ghali(94). Quelle que soit l’option choisie, il ne faut pas oublier qu’en plongeant dans une guerre nationale sans avoir d’objectifs précis, on risque d’exacerber une situation déjà difficile. De toute évidence, un débat s’impose d’urgence sur toute cette question(95).

Bien entendu, s’il était possible d’éviter la guerre avant qu’elle n’éclate, ce serait dans l’intérêt de tout le monde. Les mesures préventives prises en temps opportun sont « beaucoup plus faciles et plus économiques sur le plan politique et humain que les efforts visant à faire cesser ou à ralentir les combats une fois qu’ils ont commencé »(96). La Bosnie est peut-être un exemple classique. Elle a démontré de façon flagrante la nécessité de mieux évaluer les risques et de formuler rapidement une politique au sein des structures des Nations Unies et de la CE. Encore une fois, les recommandations formulées par Boutros-Ghali en ce qui concerne la diplomatie préventive et surtout le déploiement de forces de maintien de la paix avant le début du conflit (comme en Macédoine), méritent un examen attentif(97).

Enfin, un nombre incroyable d’organisations internationales et de gouvernements ont joué un rôle dans la crise bosniaque. Comme l’a déclaré Sir Anthony Parson, « cette multiplicité de cuisiniers qui préparent un plat dont ils inventent la recette au fur et à mesure nécessite une excellente coordination, car il est facile de gâter la sauce »(98). Le processus décisionnel a été fragmenté, des rivalités ont opposé les organisations concurrentes, par exemple la CE et les Nations Unies en 1992, et il y a eu un chevauchement inutile des efforts. Des mesures s’imposent pour qu’à l’avenir, les responsabilités des organisations et surtout leur répartition entre les Nations Unies et les organismes régionaux, soient clairement définies(99).

Les Nations Unies, la Communauté européenne et les autres organisations internationales se trouvent confrontées à l’énorme tâche que ces organismes sont, presque par définition, faibles et lents. Ils prennent leurs décisions sur la base d’un consensus, ce qui exige beaucoup de temps, surtout pour une question aussi compliquée que celle de la Bosnie. Il ne faut pas oublier non plus qu’ils sont les instruments des États-nations et que leur réussite dépend de la mesure dans laquelle la coopération internationale est un complément des intérêts nationaux(100). Comme le cas de la Bosnie l’a démontré, lorsque les intérêts nationaux ne semblent pas être en jeu, la communauté internationale doit s’attendre à livrer un combat difficile.

 


(1) Dans le présent document, le terme « Bosnie » désigne la Bosnie-Herzégovine.

(2) Les Croates souhaitaient l’indépendance de la Bosnie pour échapper à la domination serbe, mais ils ne voulaient pas non plus se faire dominer par les Musulmans. Les événements ultérieurs semblent indiquer qu’ils voyaient là un moyen de consolider leur territoire de l’ouest et de former une union avec la Croatie proprement dite.

(3) Voir The Economist, 4 janvier 1992, p. 42.

(4) Des observations quant à la légalité de la décision de la CE de parrainer un référendum sur l’indépendance figurent dans R.W. Tucker et D. Hendrickson, « America and Bosnia », The National Interest, automne 1993, p. 16-17. Voir également Rosalyn Higgins, « The New United Nations and former Yugoslavia », International Affairs, vol. 69, no 3, 1993, p. 468. Higgins fait valoir que « contrairement à ce que croit l’opinion publique, le droit international n’autorise pas l’autodétermination des minorités nationales au moyen d’une sécession. De plus, il n’est pas non plus acceptable de recourir à la force avec d’importantes effusions de sang, pour empêcher une sécession » (traduction).

(5) Voir Jonathan Eyal, Europe and Yugoslavia : Lessons from a Failure, RUSI, 1993, p. 63-64, 76-77.

(6) Voir John Newhouse, « The Diplomatic Round: Dodging the Problem », The New Yorker, 24 août 1992, p. 66.

(7) Voir C. Guicherd, « The Hour of Europe: Lessons from the Yugoslav Conflict », The Fletcher Forum of World Affairs, été 1993, p. 163.

(8) La position des États-Unis au début de la crise bosniaque est difficile à établir. Selon Tucker et Hendrickson (1993), p. 18-19, les États-Unis étaient déterminés à préserver l’intégrité territoriale de la Bosnie, à n’importe quel prix. Voir également Robin Alison Remington, « Bosnia : The Tangled Web», Current History, novembre 1993, p. 368.

(9) « Nouveau rapport présenté par le secrétaire général …», S/23363, 5 janvier 1992, p. 7.

(10) « Rapport présenté par le secrétaire général …», S/23836, 24 avril 1992, p. 1. Dans ce document, le terme « rétablissement de la paix » désigne les mesures prises par la communauté internationale pour rapprocher les parties hostiles, essentiellement par des moyens pacifiques tels que ceux prévus au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies. Pour sa part, le terme « imposition de la paix » désigne l’intervention militaire directe en vue d’imposer un règlement pacifique aux factions belligérantes, ce qui comprendrait des mesures que l’on trouve dans le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies. Voir Boutros Boutros-Ghali, Agenda pour la paix, New York, Nations Unies, 1992.

(11) « The United Nations and the Situation in the Former Yugoslavia », document de consultation, Service d’information publique des Nations Unies, 7 mai 1993, p. 6. Même après le déploiement des gardiens de la paix à Sarajevo, en juin 1992, la CE resta chargée du rétablissement de la paix. Cette répartition des tâches se poursuivit jusqu’à la Conférence de Londres, en août 1992.

(12) « Rapport présenté par le secrétaire général … », S/23836, 24 avril 1992, p. 1, 5 et 6.

(13) M. Weller, « The International Response to the Dissolution of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia », American Journal of International Law, juillet 1992, p. 601 (traduction).

(14) Ibid., p. 600.

(15) Voir L. Mackenzie, Peacekeeper : The Road to Sarajevo, Vancouver 1993, p. 106 et 107.

(16) « Nouveau rapport présenté par le secrétaire général …», S/23844, 24 avril 1992, p. 4 et 5.

(17) « Nouveau rapport présenté par le secrétaire général … », S/23900, 12 mai 1992.

(18) « Rapport présenté par le secrétaire général … », S/24000, 26 mai 1992, p. 3.

(19) « Fear and Loathing in the Balkans », IISS Stratgic Survey 1992-93, p. 87. Voir également les observations de Cyrus Vance et du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, dans le « Rapport présenté par le Secrétaire général …», S/23836, 24 avril 1992, p. 5.

(20) Keesing’s Record of World Events, mai 1992, p. 38918 (traduction).

(21) Il faut souligner ici que la résolution 752 ne visait pas seulement Belgrade. Il y avait également des unités de l’armée croate en Bosnie et il était de plus en plus évident que Franjo Tudjman, président de la Croatie, était déterminé à partager la Bosnie avec son ancien ennemi, le président Milosevic, de Serbie. Apparemment, les deux hommes s’étaient rencontrés le 6 mai dans ce but. En juillet 1992, les Croates bosniaques proclamaient leur souveraineté sur leur territoire dans l’ouest de la Bosnie et les affrontements avec les Musulmans s’intensifièrent avec la poursuite de la guerre.

(22) À propos du rôle de la JNA, voir « Rapport présenté par le secrétaire général … », S/24049, 30 mai 1992. Voir également James Gow, « The Role of Coercion in the Yugoslav Crisis », World Today, novembre 1992, p. 192.

(23) The Economist, 30 mai 1992, p. 12 (traduction). Les remarques de Baker constituent peut-être la première mention « officielle » d’une intervention militaire éventuelle.

(24) Apparemment, les Français étaient également déterminés à conférer à l’ONU un plus grand rôle de façon à empêcher les États-Unis de faire intervenir l’OTAN. Si un organisme militaire devait participer au conflit, le président français, François Mitterand préférait que ce soit l’Union de l’Europe occidentale, l’organisme de défense encore embryonnaire de la CE. The Economist, 6 juin 1992, p. 53.

(25) Ibid.

(26) Voir les rapports suivants présentés par le secrétaire général : S/24075, 6 juin 1992; S/2400, 15 juin 1992; S/24201, 29 juin 1992; S/24263, 10 juillet 1992. Voir également MacKenzie (1993), p. 198 et suivantes.

(27) Gouvernement du Canada, « Le Canada engage ses troupes de la force des Nations Unies pour protéger l’aéroport de Sarajevo », Communiqué, 10 juin 1992.

(28) Voir « Rapport présenté par le secrétaire général sur la situation en Bosnie-Herzégovine », S/24540, 10 septembre 1992.

(29) The Economist, 17 octobre 1992, p. 55.

(30) Pour les aspects opérationnels de la FORPRONU II, voir « Nouveau rapport présenté par le secrétaire général … », S/24848, 24 novembre 1992, p. 10 et suivantes.

(31) Le Comité international de la Croix-Rouge a estimé qu’au cours de l’été 1992, 20 000 personnes ont été détenues dans des camps, mais il se peut qu’il y en ait eu peut-être beaucoup plus. Certains prisonniers ont été libérés en octobre 1992 après la signature d’un accord sur la libération et le transfert de prisonniers.

(32) Au sujet du viol de femmes musulmanes, voir Amnistie internationale : « Bosnie-Herzegovine : viols et sévices sexuels par les forces armées », Bosnie-Herzegovine : une nouvelle barbarie, avril 1993; « EC Investigative Mission into the Treatment of Muslim Women in the Former Yugoslavia : Report to EC Foreign Ministers », 3 février 1993.

(33) Voir Helsinki Watch, War Crimes in Bosnia-Hercegovina, vol. I et II, août 1992 et avril 1993, respectivement; Z Pajic, The Conflict in Bosnia-Hercegovina, The David Davis Memorial Institute of International Studies, Étude hors série no 2, février 1993. À propos des efforts déployés par l’ONU pour contrer la purification ethnique, en 1992, voir D. Rieff, « Original Virtue, Original Sin », The New Yorker, 23 novembre 1992, p. 82-95.

(34) Une évaluation détaillée du programme d’aide humanitaire de l’ONU en Bosnie figure dans « The United Nations and the Situation in the former Yugoslavia » (1993), p. 20-25.

(35) Voir Human Rights Watch, The Lost Agenda : Human Rights and UN Field Operations, New York, 1993, p,. 99-100.

(36) J. Fenske, « The West and The Problem from Hell », Current History, novembre 1993, p. 354 (traduction).

(37) 9 octobre 1992, cité dans Hans-Christian Hagman, « The Balkan Conflicts : Prevention is Better than Cure », Global Affairs, été 1993, p. 32 (traduction).

(38) Voir « Rapport présenté par le secrétaire général sur la situation en Bosnie-Herzégovine », S/24333, 21 juillet 1992.

(39) Kessing’s (août 1992), p. 39036 (traduction).

(40) J. Newhouse, 4, « The Diplomatic Round: No Exit, No Entrance », The New Yorker, 28 juin 1993, p. 45 (traduction).

(41) La CSCE radia temporairement la Yougoslavie de la liste de ses membres le 10 juillet 1992.

(42) Le Conseil de sécurité vota finalement, le 22 février 1993, en faveur de la création d’un tribunal des crimes de guerre où seraient traduits les auteurs d’atrocités. Ce tribunal composé de onze membres s’est réuni pour la première fois à La Haye, le 17 novembre 1993. Voir S/25704, 3 mai 1993; F. Hampson, « The Case for a War Crimes Tribunal », the David Davies Memorial Institute of International Studies, Étude hors-série no 3, février 1993; T. Meron, « The Case ofr War Crimes Trials in Yugoslavia », Foreign Affairs, été 1993, p. 122-135.

(43) Voir « Rapport présenté par le secrétaire général … », S/24767, 5 novembre 1992. Voir également « Lettre adressée le 20 novembre 1992 par le secrétaire général au président du Conseil de sécurité », S/24840, 24 novembre 1992.

(44) The Economist, 21 novembre 1992, p. 59-60.

(45) Voir F. Watson, « Peace Proposals for Bosnia-Hercegovina », Bibliothèque de la Chambre des communes de Grande-Bretagne, document de recherche no 93/35, 23 mars 1993.

(46) Les combats entre Croates et Musulmans reprirent de plus belle en janvier 1993, les Croates cherchant à consolider leur territoire autour de Mostar, la capitale de la république qu’ils avaient proclamé. On pourrait donc faire valoir que le plan Vance-Owen n’a fait qu’inciter les Croates à chasser les Musulmans de l’ouest de la Bosnie.

(47) Aux États-Unis et ailleurs, le plan fit bientôt l’objet de sarcasmes tels que : « Le pire qui puisse arriver à part l’échec du plan Vance-Owen, ce serait le succès de ce plan ». J. Fenske, (novembre 1993), p. 355 (traduction).

(48) Voir Watson, p. 25-28.

(49) « Situation des droits de l’Homme dans le territoire de l’ex-Yougoslavie », Conseil économique et social des Nations Unies, E/CN.4/1994/3, 5 mai 1993.

(50) À propos de la purification ethnique croate, voir « Situation des droits de l’Homme dans le territoire de l’ex-Yougoslavie », Conseil économique et social des Nations Unies, E/CN.4/1994/4, 19 mai 1993.

(51) Voir « Rapport du secrétaire général sur les pourparlers de paix de New York concernant la Bosnie-Herzégovine (3-8 février 1993) », S/25248, 8 février 1993.

(52) Voir « Rapport du secrétaire général sur les activités de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie : Pourparlers de paix sur la Bosnie-Herzégovine », S/25479, 26 mars 1993.

(53) Pour l’effet des sanctions, voir « Serbie-Montenegro: Implementaiton of UN Economic Sanctions », US General Accounting Office, 22 avril 1993; Susan L. Woodward, « Yugoslavia: Divide and Fail », The Bulletin of the Atomic Scientists, novembre 1993, page 24-27.

(54) « Rapport présenté par le secrétaire général…», S/25708, 30 avril 1993.

(55) Tout le monde n’est pas d’accord quant à la nature exacte de l’Offre faite par Owen aux Serbes. Voir The Economist, 15 mai 1993.

(56) «Rapport présenté par le secrétaire général …», S/25709, 3 mai 1993. La victoire de Elstine au référendum du 25 avril, et l’avertissement qu’il lança aux Serbes en leur disant qu’ils ne pourraient pas compter indéfiniment sur l’appui russe, ont peut-être influencé Milosevic.

(57) Voir le « Rapport présenté par le secrétaire général en application de la résolution 820 (1993) du Conseil de sécurité », S/25668, 26 avril 1993. Voir également M. Goulding, « The Evolution of United Nations Peacekeeping», International Affairs, vol. 69, no 3, été 1993, page 459, qui examine le mandat de la force de maintien de la paix proposée.

(58) Voir Newhouse, «No Exit, No Entrance » (1993), pour un excellent examen du débat concernant l’option choisie par Clinton.

(59) Il devenait de plus en plus évident que les forces de maintien de la paix des Nations Unies en Bosnie limitaient sérieusement les options offertes à l’Occident pour traiter avec les Serbes bosniaques. Le gouvernement de Bosnie s’en rendait compte. Le 11 mai, il demanda à l’ONU de rappeler ses 9 000 gardiens de la paix pour permettre la suspension de l’embargo sur les armements et d’éventuelles attaques aériennes.

(60) Les gardiens de la paix étaient déployés en Macédoine depuis janvier 1993 pour éviter que cela ne se produise et c’était peut-être le premier exemple de déploiement préventif des Nations Unies, mais il restait la province serbe de Kosovo, dont Belgrade se méfiait parce que la population y était en majorité albanaise.

(61) Kessing’s (avril 1993), page 39426. Pour ce qui est des objectifs politiques, voir The Econonist, 8 mai 1993, page 54-55.

(62) Keesing’s (avril 1993), page 39426.

(63) Voir les opinions de Biden dans To Stand Against Aggressions: Milosevic, the Bosnian Republic and the Conscience of the West, Rapport au Comité des relations étrangères, Sénat des États-Unis, avril 1993.

(64) Newhouse, « No Exit, No Entrance» (1993), page 44 (traduction).

(65) Voir Tucker et Hendrickson (1993), p. 16.

(66) Selon les estimations de l’ONU, en mars 1993, il y avait en Bosnie, plus de deux millions de personnes, soit la moitié de la population initiale, qui recevaient de l’aide du HCNUR. On s’attendait à ce que leur nombre augmente, même si l’aide financière internationale commençait à se tarir.

(67) Voir The Lost Agenda (1993), p. 97-99.

(68) Karadzic applaudit le concept des zones de sécurité tout en dénonçant le plan Vance-Owen, ce qui n’étonna personne.

(69) Curieusement, Mendiluce reconnut, au cours de l’épisode de Srebrenica, que les Serbes se servaient des Nations Unies comme d’un instrument de purification ethnique. « Nous devons nous contenter d’essayer de sauver le maximum de vies humaines ». Economist Intelligence Unit, Country Report, Bosnia, 2e trimestre 1993, p. 17 (traduction).

(70) 29 mai 1993, p. 53 (traduction).

(71) The Economist qualifia la résolution 836 de « chef-d’oeuvre de nébulosité timorée ». 12 juin 1993, p. 17 (traduction).

(72) On remarquera que les zones de sécurité de Bosnie n’étaient pas désignées « zones sûres » comme dans le cas des Kurdes d’Irak dont la sécurité était garantie par les forces occidentales.

(73) « Rapport du secrétaire général …»,S/25939, 14 juin 1993, p. 3. À la fin de juillet, il y avait en Bosnie 9 000 soldats dont la majorité étaient Français, Britanniques ou Canadiens.

(74) « Lettre adressée le 8 juillet 1993 par le secrétaire général au président du Conseil de sécurité », S/26066, 8 juillet 1993.

(75) Keesing’s (juillet 1993), p. 39563 (traduction).

(76) « Lettre adressée le 3 août par le secrétaire général au président du Conseil de sécurité », S/26233, 3 août 1993.

(77) Keesing’s (juillet 1993), p. 39564 (traduction). Voir également « Information Notes en Former Yugoslavia », HCR, Bureau de l’envoyé spécial du HCR dans l’ancienne Yougoslavie, no 8/93, 1er août 1993.

(78) Keesing’s (juillet 1993), p. 39564 (traduction).

(79) À la fin de juillet, le CICR estimait que sur les 400 000 habitants qui peuplaient Sarajevo avant la guerre, au moins 5 à 6 000 avaient été tués et 18 000 blessés. The Economist, 31 juillet 1993, p. 44.

(80) Economist Intelligence Unit, Country Report, Bosnia, 3e trimestre, 1993, p. 11 (traduction)

(81) « Lettre adressée par le secrétaire général, le 20 août 1993, au président du Conseil de sécurité », S/26337, 20 août 1993.

(82) Facts on File, 9 septembre 1993, p. 663 (traduction).

(83) The Economist, 4 janvier 1992, p. 43 (traduction).

(84) Karadzic reconnaît maintenant que la création d’une « Grande Serbie » était l’objectif visé depuis le début du conflit en Bosnie. Voir Montreal Gazette, 1er décembre 1993.

(85) The Economist a décrit ces résolutions des Nations Unies comme « un méli-mélo d’ambiguïté et de faux-fuyants ». 12 juin 1993, p. 18 (traduction).

(86) Voir MacKenzie (1993); Toronto Star, 3 décembre 1993.

(87) The Economist, 20 novembre 1993 (traduction). La France a déjà, elle aussi, menacé de retirer ses troupes. En mai 1993, elle a lancé aux Nations Unies un ultimatum exigeant qu’elles clarifient leur rôle et améliorent leur organisation sur le terrain.

(88) The Economist, 15 novembre 1993 (traduction).

(89) Economist Intelligence Unit, Country Report, Bosnia, 3e trimestre, 1993, p. 13 (traduction).

(90) Voir M. Brenner, « EC : Confidence Lost », Foreign Policy, été 1993, p. 29-32; Higgins (1993), p. 473-475; Guicherd (1993), p. 159-81.

(91) A. Roberts, «Humanitarian War : Military Intervention and Human Rights», International Affairs, vol. 69, no 3, 1993, p. 443. Voir aussi Eyal (1993), p. 79 et Higgins (1993), p. 474.

(92) The Economist, 17 avril 1993, p. 47 (traduction).

(93) Voir T. Deibel, «Internal Affairs and International Relations in the Post-Cold War World», Washington Quarterly, été 1993; Guicherd (1993), p. 178-81.

(94) Agenda pour la paix (1992), p. 28.

(95) Voir T. Weiss, «New Challenges for UN Military Operations : Implementing An Agenda for Peace», Washington Quarterly, hiver 1993, p. 51-56; J. Chopra et T. Weiss, «Sovereignty is No Longer Socrosanct : Codifying Humanitarian Intervention», Ethics and International Affairs, vol. 6, 1992, p. 95-117; Roberts (1993), p. 442-44; Higgins (1993), p. 468-72; Goulding (1993), p. 459-63.

(96) P. Moore, «The Widening Warfare in the Former Yugoslavia», RFE/RL Research Report, 1er janvier 1993, p. 8 (*traduction).

(97) Voir Agenda pour la paix (1992), p. 19 et 20. Voir également A. Parsons, «The United Nations in the Post-Cold War Era», International Relations, décembre 1992, p. 196, Hagman (1993), p. 18-37.

(98) Parsons (1993), p. 197 (traduction).

(99) Voir Boutros Boutros-Ghali, «Setting a New Agenda for the United Nations», Journal of International Affairs, hiver 1993, p. 296; Agenda pour la paix (1992), p. 39-41; Remington (1993), p. 369; Higgins (1993), p. 475.

(100) Voir K. Holmes, «New World Disorder: A critique of the United Nations », Journal of International Affairs, hiver 1993, p. 324.