BP-456F
LA DÉMOCRATIE, L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE
Rédaction :
TABLE DES MATIÈRES
PARTIE I : LE DÉFI DÉMOCRATIQUE ET LES CONSÉQUENCES LES PRESSIONS CONCURRENTIELLES ET FINANCIÈRES LES PRESSIONS INSTITUTIONNELLES A. Les institutions gouvernementales B. Les institutions internationales B. Discussion À L'ÉCHELON DE LA CIRCONSCRIPTION G. Promoteur des intérêts de la circonscription C. La Chambre des communes D. La démocratie directe
LA DÉMOCRATIE, LINTÉGRATION
ÉCONOMIQUE
RÉSUMÉ Le document se divise en deux : la Partie I concerne les conséquences de lintégration économique pour la démocratie et la Partie II, les moyens dont disposent les parlementaires pour renforcer les processus démocratiques. Dans la Partie I, nous soutenons que lintégration économique est un phénomène qui déborde largement lintégration des marchés et les entraves à lautonomie gouvernementale en matière fiscale et budgétaire. Les pressions concurrentielles et financières sur les gouvernements les obligent à attirer des investissements et des professionnels spécialisés, à assurer aux entreprises laccès à une main-doeuvre qualifiée et un contexte réglementaire favorable et à appliquer des politiques sociales qui facilitent lajustement et contribuent à la stabilité sociale et politique. Les pressions institutionnelles qui poussent les gouvernements à optimiser la rentabilité et lefficacité des services publics favorisent lapparition dune culture du secteur public axée sur la clientèle, la mise en place dun gouvernement consultatif, une insistance accrue sur la coordination et linterdépendance au niveau administratif, ainsi quune participation entière (et une réceptivité) aux institutions internationales. Les pressions idéologiques sur les gouvernements sont issues dune nouvelle orthodoxie fondée sur « des marchés libres et une monnaie saine ». Les principes qui la sous-tendent sont : une autonomie indispensable des banques centrales; limportance du professionnalisme et du respect de léthique dans les fonctions publiques; lopportunité de privatiser les activités lucratives des gouvernements; et lapplication de la logique économique à la répartition interne des pouvoirs et fonctions gouvernementales. Lorsque lintégration économique est perçue comme imposant une série supplémentaire de pressions aux gouvernements, on peut considérer quelle a des effets sur la santé de la démocratie, effets qui dépassent lérosion des pouvoirs des gouvernements nationaux et la banalisation qui sensuit de la politique, dont parlent les pessimistes. En fait, lintégration économique stimule le progrès de la démocratie parce quelle saccompagne dune amélioration considérable des communications mondiales, de lapparition dorganisations plus sensibles dans le secteur public, dune insistance accrue sur léducation, dune augmentation des consultations menées par les gouvernements, dun regard plus critique du reste du monde sur les actions menées individuellement par les pays, et enfin dune concurrence entre les pays pour lobtention des investissements. Tout cela, au bout du compte, joue en faveur de la démocratie. Dans la Partie II, nous examinons les deux grandes fonctions du parlementaire servir sa circonscription et participer au processus législatif afin de cerner les principaux moyens dont il dispose pour renforcer les valeurs et les pratiques démocratiques. Les rôles que joue le parlementaire dans sa circonscription lui offrent des occasions manifestes de renforcer la démocratie et dagir en tant que soupape de sécurité pour les citoyens insatisfaits. Un parlementaire peut être à la fois : un fournisseur dinformation sur la politique, les orientations et le gouvernement; un dignitaire local qui participe aux manifestations communautaires; et un promoteur des intérêts de la circonscription. Ses autres rôles à ce niveau peuvent avoir pour effets soit de promouvoir la démocratie, soit de désillusionner les citoyens. Par exemple, le parlementaire peut agir comme défenseur dintérêts ou de groupes particuliers (y compris dun parti politique); il peut être le bienfaiteur des groupes ou des personnes de sa localité; il peut également être lami puissant qui agit au sein du gouvernement au nom de tel ou tel citoyen. Outre quils contribuent à la réceptivité des assemblées législatives et des gouvernements à légard des besoins des citoyens, les parlementaires jouent un rôle en recherchant continuellement à améliorer les processus et pratiques des systèmes démocratiques. En démocratie, les partis politiques ont un rôle capital à jouer. Au Canada, cependant, leur fonctionnement interne comporte des problèmes. Ainsi, certaines réformes apparaissent-elles utiles. Il y aurait peut-être lieu pour eux délargir la portée de leurs mécanismes de désignation des candidats, dadopter des codes de déontologie et de sattacher davantage à sensibiliser le public à la politique. Les systèmes électoraux revêtent également une importance majeure. Dans les pays, comme le Canada, où existe une importante insatisfaction du public à légard de la façon dont ces systèmes fonctionnent, il importe denvisager des réformes (ou de fournir des explications convaincantes) susceptibles dalléger linquiétude du public. Au Canada, les tentatives récentes tendant à rehausser le rôle des parlementaires dans lélaboration des lois et dans le processus budgétaire montrent que lon soriente vers une meilleure écoute. Les propositions visant à relâcher la discipline de parti vont dans le même sens. Les mécanismes qui sappuient sur lintervention de la population, comme les référendums, les initiatives populaires (moyen par lequel les citoyens peuvent faire inscrire des questions à lordre du jour de leurs assemblées législatives) et la révocation (qui donne aux électeurs insatisfaits le moyen de forcer un député à quitter son poste avant les élections suivantes) font lobjet dune attention accrue au Canada. La participation des parlementaires aux associations internationales, bien quelle ne représente pas un rôle aussi fondamental que le travail en circonscription et la participation au processus législatif, constitue une importante occasion de partager des expériences et dentretenir les valeurs démocratiques.
LA DÉMOCRATIE, L'INTÉGRATION
ÉCONOMIQUE
Les deux parties du document correspondent aux deux thèmes des ateliers de la conférence qui porteront sur la démocratie. Ce sont, premièrement, les effets de lintégration économique sur la participation des citoyens aux décisions prises par les autorités publiques et sur lavenir de la démocratie et, deuxièmement, les moyens dont disposent les parlementaires pour renforcer les processus et les institutions démocratiques. PARTIE I : LE DÉFI DÉMOCRATIQUE ET LES CONSÉQUENCES Pour mieux comprendre les effets de lintégration économique sur la démocratie, nous examinons dabord les principales pressions quengendre cette intégration, pour ensuite réfléchir à leurs effets probables sur les valeurs, mécanismes et institutions démocratiques. En cette fin des années 90, toute réflexion sur les conséquences politiques de lintégration économique doit partir du principe que cette intégration est loin dêtre terminée et que lon ne sait guère où elle va aboutir. En fait, le résultat ultime du processus, de même que ses conséquences politiques, ne pourra être mesuré vraiment que longtemps après son achèvement. Seulement alors sera-t-il possible de savoir si ce qui se passe actuellement est effectivement une intégration économique ou simplement la première phase dune évolution encore impossible à évaluer pour linstant. Lhistoire regorge dexemples qui nous incitent à la prudence. Prenons le cas de la pendule mécanique, que les moines bénédictins ont inventée au XIIe siècle. Leur objectif était dassurer le respect des sept périodes quotidiennes de prière. Au bout du compte, leur invention a fini par permettre de synchroniser et de mesurer les actes de lhomme, condition indispensable à lapparition du capitalisme industriel, lequel allait lui-même donner un coup de fouet à la sécularisation. De même, la diffusion de la bible imprimée rendue possible par linvention de Gutenberg devait, supposait-on, favoriser le renforcement de la foi catholique en mettant le livre sacré à la portée de tous. Après le fait, on sest rendu compte que limprimerie avait eu pour effet denlever à lÉglise catholique une partie de son autorité, en donnant à chaque être humain le moyen de former son propre jugement(1). Telle quelle apparaît aujourdhui, lintégration économique, stimulée par les progrès techniques, dans les communications et les transports notamment, est en train de réduire progressivement les distances entre les pays. Aussi observe-t-on une multiplication de la plupart des formes de concurrence et la mondialisation des marchés aussi bien de capitaux que de nombreux biens et services. Les gouvernements, à quelques notables exceptions près, réagissent (plus ou moins rapidement) à ces situations en abolissant les règles qui entravent le commerce transfrontalier et en élaborant des politiques financières et monétaires qui sont influencées par des facteurs extérieurs. Pour que le tableau de lintégration économique soit complet, toutefois, il importe que nous examinions ici une série de pressions indirectes moins évidentes(2). LES PRESSIONS CONCURRENTIELLES ET FINANCIÈRES Au fur et à mesure que les pays réduisent leurs obstacles à linvestissement et à la circulation des personnes, des biens et des services, chaque niveau de compétence (cest-à-dire, dans les pays où les compétences sont partagées, les échelons national, régional et municipal) est fortement incité à se rendre attirant pour les investisseurs et les professionnels possédant un savoir-faire très recherché. Cette concurrence pour lobtention des facteurs de production désormais mobiles impose de nouvelles contraintes aux gouvernements dans de nombreux domaines, notamment dans la conception de leurs systèmes dimposition fiscale. Les investisseurs éventuels examinent avec grande attention toute une série de facteurs locaux, y compris les prix à payer pour obtenir et conserver une main-doeuvre correctement formée et les frais associés aux réglementations, quil sagisse du zonage local ou encore des contrôles environnementaux. Les considérations liées aux coûts sont soupesées, particulièrement par les entreprises qui ont besoin dune main-doeuvre professionnelle hautement mobile, au regard de certaines qualités attractives, comme un zonage bien pensé, un milieu sain et tout ce qui peut contribuer à la qualité de la vie. Les raisonnements des économistes au sujet des pressions concurrentielles auxquelles doivent faire face les gouvernements sont axées surtout sur la gestion financière. Certains, toutefois, soutiennent que des politiques sociales bien conçues, propres à faciliter lajustement et à promouvoir linvestissement dans la santé et la compétence de la population, constituent également des politiques qui rapportent sur le plan économique. Celles-ci peuvent en effet accroître la productivité et réduire la tension sociale, rendant ainsi le pays plus attirant pour les investisseurs et les travailleurs hautement qualifiés. De tels raisonnements sont un indice que le changement technologique et la mondialisation du commerce font apparaître de nouveaux critères qui sappliqueront à des éléments que lon considérait autrefois comme relevant avant tout de la politique interne. De plus, les gouvernements doivent tenir compte de plusieurs autres questions dintérêt public, y compris les droits de propriété intellectuelle et la criminalité internationale. LES PRESSIONS INSTITUTIONNELLES Les pressions institutionnelles provoquées (ou fortement encouragées) par lintégration économique sont de deux types. Les premières tendent à entraîner des changements structurels et fonctionnels dans les institutions gouvernementales, notamment dans les services publics. Les deuxièmes sont celles que font peser dautres institutions, des organisations internationales surtout, sur les gouvernements. A. Les institutions gouvernementales Lors dune conférence prononcée en 1993, peu de temps avant lélection du gouvernement dont il allait devenir membre, Marcel Massé a affirmé que les gouvernements du monde entier avaient tendance, depuis quelques années, à réduire la taille des organismes du secteur public et à les rendre plus efficaces(3). Dans le même temps, de plus en plus de programmes habituellement administrés et exécutés par les gouvernements sont remis entre les mains du secteur privé. Certes, au départ, cest pour faire baisser les déficits que lon a réduit la taille des institutions du secteur public et diminué les dépenses des programmes, mais dautres facteurs continueront de stimuler ce mouvement, même après que lon aura réussi à surmonter les déficits. Parmi ces facteurs, on retrouve les pressions liées aux profonds changements que lintégration économique fait subir aux contextes externe et interne des gouvernements. Comme principaux facteurs intérieurs, M. Massé a cité le relèvement des niveaux dinstruction et laccessibilité beaucoup plus grande de linformation. Ces faits se rattachent au processus dintégration économique : la mondialisation amène les économies des pays développés, où les rémunérations sont fortes, à compter de plus en plus sur le travail axé sur les connaissances, lequel exige des travailleurs possédant une instruction et une formation de plus en plus grandes, tandis que les changements technologiques qui sous-tendent la mondialisation saccompagnent dune capacité accrue de transmettre linformation et dy accéder. Lune des conséquences de cette évolution pour les gouvernements réside dans le fait que la population est beaucoup moins portée aujourdhui, par comparaison à un passé même récent, à accepter des diktats venus du sommet qui influent sur leur vie quotidienne. Le fait que les citoyens et les groupes, en nombre de plus en plus grand, souhaitent être consultés et participer aux processus décisionnels du secteur public oblige les pouvoirs publics à effectuer des consultations plus efficaces et plus vastes, qui servent de pont entre gouvernants et gouvernés à lintérieur des sociétés démocratiques. Lexplosion de linformation associée aux nouvelles technologies de la communication et de laccès a des conséquences directes sur la façon dont les politiques sont évaluées et sur les auteurs de cette évaluation. Au sein des administrations publiques, il est de moins en moins possible de régler les problèmes en vase clos par des solutions ne faisant appel quà un seul secteur traditionnel de lactivité publique. Il en résulte une nécessité croissante délargir les dimensions des organisations du secteur public. Mentionnons un autre effet de lintégration économique : à défaut de consultations, les gouvernements deviennent incapables de comprendre les problèmes dans toute leurs complexités et de concevoir des solutions qui tiennent compte des besoins dune multitude dintervenants. B. Les institutions internationales La deuxième catégorie de pressions institutionnelles provoquées par lintégration économique comprend celles que les institutions et organisations internationales font peser sur chaque pays. Les économies avancées, comme le Canada, font relativement peu lobjet de pressions directes de la part des institutions internationales. Les pays qui nont jamais à contracter demprunts auprès du Fonds monétaire international (FMI), par exemple, ne peuvent être sanctionnés directement pour navoir par suivi les conseils de celui-ci. Toutefois, cette absence de pressions directes ne signifie pas quil ny ait pas de pressions du tout. Le Canada, par exemple, tire généralement profit des ententes internationales qui obligent les signataires à observer un ensemble de règles transparentes; en tant que signataire, il sengage ainsi à restreindre sa propre capacité dagir unilatéralement. Accepter des obligations en adhérant à des ententes internationales ou à des institutions multilatérales, néquivaut toutefois pas à transférer une partie de sa souveraineté à un organisme supérieur. Lautonomie des gouvernements se trouve réduite par les pressions de la concurrence internationale, des marchés financiers mondiaux et de la nécessité qui en découle pour eux de conclure des ententes. Cest peut-être laccroissement du pouvoir décisionnel des institutions internationales qui découle de ces mêmes faits nouveaux, plutôt quun transfert de souveraineté. Dailleurs, loin de réduire leur rôle en investissant les institutions internationales dun pouvoir plus grand, les gouvernements acquièrent de nouvelles responsabilités (par exemple pour faire fonctionner efficacement ces organismes) et ils sobligent à travailler davantage pour surmonter les difficultés inhérentes à lélaboration et à lapplication des ententes mondiales. Fait intéressant, dautre part, certains États allant de la Nouvelle-Zélande à toute une série de pays moins développés qui ont dû faire appel à une aide directe du FMI ou dautres institutions internationales subissent beaucoup plus dinterventions directes que des pays comme le Canada. Lintervention associée à la dépendance à légard des institutions internationales, par suite dune crise financière, ne peut toutefois être considérée comme une conséquence de lintégration économique internationale, à moins que lon démontre que lintégration est effectivement à lorigine de la crise. Paul Krugman résume comme suit le consensus idéologique qui règne actuellement : « des marchés libres et une monnaie saine »(4). Selon lui, ce consensus est fréquemment considéré comme fondé sur les idées américaines. Dans cette formule, le terme « américain » concerne non seulement le gouvernement des États-Unis, mais « [...] toutes les institutions et tous les réseaux de meneurs dopinion ayant leur siège à Washington : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, divers groupes de réflexion, des banquiers daffaires bien avisés politiquement [...], tous ceux qui se retrouvent à Washington et décident ensemble en quoi doit consister lorthodoxie gouvernementale ». Ce consensus repose sur des hypothèses largement inspirées de la pensée économique actuelle, y compris : les vertus de léconomie et de linvestissement; la nécessité daxer davantage les dépenses gouvernementales sur les infrastructures, la santé et léducation; lopportunité de trouver des revenus non affectés de distorsions (cest-à-dire limpôt général sur le revenu et la taxe sur la valeur ajoutée, de préférence aux taxes ou exemptions spécifiques); et la supériorité de la fixation des prix en fonction du marché, de léquilibre budgétaire à long terme, de lexpansion monétaire non-inflationniste et du recours de la part des gouvernements à des mesures financières plutôt que réglementaires pour influer sur les activités. Ces hypothèses ont des conséquences sur les politiques publiques à tous les échelons. Selon Ian D. Clark, directeur exécutif depuis peu du Fonds monétaire international, leurs principales conséquences sont les suivantes :
Depuis quelques années, on sintéresse beaucoup aux effets de lintégration économique sur la souveraineté nationale. Lune des principales conclusions auxquelles on en arrive est que la possibilité des pays dagir indépendamment diminue considérablement (même si, comme nous lavons expliqué plus haut, il ne sagit pas là dune véritable érosion de la souveraineté, au strict sens juridique). Cette tendance découle au premier chef de la migration à la hausse des grands dossiers, au-dessus des frontières de lÉtat-nation, vers les institutions multilatérales ou mondiales(6). Comme nous lavons dit, cest là le résultat en partie dune prise de conscience de linterdépendance mondiale, issue de lapparition des nouvelles technologies des communications et de linformation, et en partie des nouvelles relations crées par lintégration économique. La réaction pessimiste à cette évolution a été exposée par le commentateur français Jean-Marie Guéhenno, il y a quelques années, dans un ouvrage qui a suscité beaucoup de controverse(7). Guéhenno soutient que la migration du pouvoir politique décisionnel au-delà des limites de lÉtat-nation a entraîné une banalisation progressive du débat politique et du processus démocratique à lintérieur des États. Au lieu daccorder une importance majeure à lexamen public des grandes idées de fond, la politique contemporaine est axée avant tout sur la gestion des problèmes, des perceptions et des symboles. Il sagit par là de stimuler des sentiments provisoires qui sont désormais les seuls nécessaires pour assurer les victoires électorales, tout en réduisant au minimum les conflits gouvernants-gouvernés pendant les périodes entre les élections. Les médias encouragent cette tendance en distillant le discours politique par séquences sonores et visuelles de 30 secondes chacune. Il en résulte une perte dimportance de lÉtat-nation défini territorialement. Comme la fonction décisionnelle politique à lintérieur de lÉtat-nation est de moins en moins à même dinfluer sur les réalités qui déterminent les conditions de vie des gens, aucune raison majeure nincite la population à réclamer autre chose de la part des médias. Dailleurs, selon Guéhenno, la migration des problèmes au niveau multilatéral nannonce rien de bon pour lavenir des valeurs et des pratiques démocratiques. À cet échelon, si lon sattaque tant soit peu aux problèmes de substance, la prise de décisions savère un processus extrêmement complexe qui suppose la négociation darrangements et de compromis, généralement pour donner limpression quil existe un esprit de décision là où, en fait, bien peu de choses sont accomplies. Le vaste écart qui sépare les décideurs des membres du public a tendance par ailleurs à exacerber les caractéristiques antidémocratiques de la politique qui existent déjà à lintérieur des États. Cela aboutit à un processus largement symbolique, doù sont absents le changement réel et la reddition des comptes. Projetant son raisonnement sur les années à venir, Guéhenno prévoit que les États-nations seront remplacés par des empires informes aux frontières mouvantes, qui se consacreront essentiellement à des entreprises matérielles et commerciales, dans un cadre de conformisme social et politique. Plusieurs raisons nous poussent à remettre en cause lidée selon laquelle lintégration économique serait nécessairement associée au déclin des institutions et des valeurs démocratiques, même sil demeure difficile de nier quil sagit là dun résultat possible. 1. Largument de « la politique en érosion » Premièrement, au moins une partie des défis que présente le nouvel ordre mondial sont ceux-là mêmes auxquels régimes fédéraux actuels font plus ou moins face. La répartition des fonctions entre plusieurs niveaux, international, national, sous-national et/ou local, pose des problèmes de responsabilité démocratique qui sont semblables à ceux que lon rencontre lorsquon cherche à combiner le fédéralisme et les institutions démocratiques. Inévitablement, certaines décisions exigent laval à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements des provinces ou États, et doivent donc être prises dans des forums intergouvernementaux. Ainsi, on risque de voir les assemblées législatives ne plus jouer aucun rôle, si ce nest celui destampiller, après coup, les ententes conclues ailleurs. À mesure que les systèmes fédéraux évoluent, on voit augmenter le nombre de décisions qui entrent, en tout ou en partie, dans cette catégorie, car les gouvernements se sont mis à occuper des domaines daction dont il nétait pas question lorsque les constitutions fédérales, comme celle du Canada, ont été rédigées. Toutefois, on a vu apparaître dans les systèmes fédéraux modernes diverses formes dententes, officielles et officieuses, qui permettent de préserver la responsabilité démocratique. Par exemple, les dirigeants du gouvernement présentent lénoncé dune politique générale devant lassemblée législative, qui elle-même peut en faire immédiatement lobjet dun examen et dune discussion et mettre en cause laction du gouvernement dans un domaine précis. Cela est arrivé à la fin de 1995, lorsque le premier ministre du Canada a pris lengagement public au nom de son gouvernement dadopter une série de mesures concernant le Québec et les autres provinces, y compris lattribution à certains gouvernements provinciaux dune partie des responsabilités administratives fédérales dans les domaines de la formation de la main-doeuvre et du logement social. Citons aussi le recours à un comité parlementaire pour raffiner les propositions constitutionnelles du gouvernement, comme le cas sest produit en 1991 et en 1992, avant lamorce des discussions fédérales-provinciales officielles. Ce sont là des stratégies qui augmentent le rôle que jouent les parlementaires dans les décisions avant la phase intergouvernementale, laquelle tend à déboucher sur des concessions mutuelles complexes, quil est impossible à une assemblée législative de modifier sans tout démolir. Il existe une autre méthode, certes moins efficace, qui consiste à faire réviser les ententes par les parlements avant leur ratification. Cela procure une occasion, en théorie du moins, dobliger les gouvernements responsables à rendre compte de leurs actes, même sil nest guère probable que la politique gouvernementale en soit modifiée de façon significative, du moins dans les systèmes de type Westminster. Enfin, et cest peut-être le mécanisme le plus efficace, les intervenants politiques à lintérieur des systèmes fédéraux jouent un rôle indispensable lorsquils sinvitent mutuellement à rendre compte publiquement, dans les forums intergouvernementaux, des mesures quils ont prises. Même si la tolérance des Canadiens pour les luttes intergouvernementales apparemment stériles a des limites, il arrive que les échanges fédéraux-provinciaux soient loccasion dun débat de fond utile. Ces débats peuvent également jouer un rôle important en donnant aux citoyens la possibilité de décider qui doit être tenu responsable de quoi, dans un système où la part relative des responsabilités fédérales et provinciales change selon le domaine. Si la migration des problèmes au-dessus des frontières de lÉtat-nation constitue réellement une érosion inéluctable du processus et de la substance du débat démocratique, on devrait pouvoir observer des signes de cette érosion dans les États fédéraux. Rien ne prouve, toutefois, que les États fédéraux soient ou soient considérés par leurs citoyens comme étant moins démocratiques que les États unitaires. Au contraire, les États fédéraux occupent une place importante dans la liste des démocraties reconnues. De fait, leurs mécanismes internes offrent peut-être des exemples des moyens à prendre pour maintenir la responsabilité politique, à une époque où les institutions multilatérales ne peuvent que continuer à prendre de plus en plus dimportance. 2. Largument de la « politique inutile » Ceux qui ont une opinion pessimiste des conséquences de lintégration économique soutiennent également que, même là où il reste animé, le débat politique a de moins en moins de répercussions sur la vie des citoyens, étant donné le déclin de lautonomie de lÉtat-nation. Or, cet argument repose sur une vision excessivement étroite de lintégration économique. Dans les sections précédentes, nous avons expliqué que lintégration économique dépassait largement la simple intégration des marchés et la reconnaissance par les gouvernements du fait quils ne peuvent plus imposer des taxes et dépenser sans tenir compte des effets de leurs gestes sur leur compétitivité. En fait, lintégration économique doit être considérée comme partie intégrante dun vaste processus de changement issu de la technologie et ayant des conséquences sur toute la gamme des politiques sociales et économiques. De surcroît, ces conséquences se rattachent inévitablement à une évolution du rôle des organisations publiques, de la nature de ladministration publique et des idées maîtresses qui guident aussi bien les politiques que ladministration. Dans le cadre plus large du changement global associé à lintégration économique, plusieurs éléments favorisent fortement la démocratie, à commencer par la capacité grandement accrue des personnes à communiquer directement lune avec lautre et à échanger leurs connaissances des pratiques et normes démocratiques, une tendance confortée par un certain nombre didées : que les services publics doivent être « axés sur la clientèle » et répondre à la demande du public avec autant de zèle que des entreprises privées; que léducation constitue une composante vitale des investissements dinfrastructure dune nation; que les gouvernements doivent consulter de plus en plus les groupes et les individus avant de prendre des décisions; que les pratiques en cours à lintérieur des pays doivent être sujettes à une surveillance internationale, selon des normes transnationales; et que les entreprises privées doivent rechercher des endroits qui offrent à la fois des coûts de production faibles, des conditions intéressantes pour les employés et une stabilité sociale et politique à long terme. Lorsque lon connaîtra toutes les conséquences de lintégration économique, le pessimisme de Guéhenno et des autres, si utile quil soit comme avertissement, nous paraîtra peut-être injustifié. Non pas seulement à cause des arguments cités plus haut, mais aussi en raison des progrès que le monde est en train daccomplir. Si lintégration économique milite contre la démocratie, comment expliquer alors lactuelle tendance en faveur de celle-ci constatée dans le monde? Pourtant, selon lhistorien et journaliste Gwynne Dyer :
PARTIE II : LES MOYENS DACTION DONT DISPOSENT LES
PARLEMENTAIRES Cette section comporte deux volets correspondant chacun à lune des responsabilités principales du parlementaire : son travail dans sa circonscription et tout ce qui concerne ou entoure sa participation au processus législatif. En conclusion, nous verrons comment les activités quil mène au sein des associations parlementaires sinscrit dans lensemble de ses responsabilités. Les considérations qui suivent se rattachent directement à lexpérience et aux institutions politiques canadiennes, mais les conclusions sur les moyens dont disposent les parlementaires peuvent sappliquer facilement à dautres systèmes, même sil demeure vrai que le renforcement de la démocratie suppose des stratégies qui peuvent différer dun système à lautre. Le gouvernement démocratique de type Westminster impose peu de limites institutionnelles à la capacité dagir du gouvernement. Lexercice de la démocratie repose donc surtout, dune part, sur un débat partisan des adversaires à lintérieur (et à lextérieur) de la Chambre, qui permet de décortiquer les problèmes, et, dautre part, sur une opinion publique avertie qui agit comme un frein à légard du gouvernement. Dans le régime congressionnel, la santé de la démocratie repose davantage sur lefficacité de la concertation dans un contexte relativement non partisan et sur la prévention des obstacles pouvant empêcher le gouvernement de répondre à des besoins pressants. Certes, les parlementaires de tous pays peuvent joindre leurs efforts pour renforcer les cultures démocratiques, mais le fait que les systèmes diffèrent (regroupant souvent des éléments du régime de type Westminster et du régime de type congressionnel) exige nécessairement une optique locale. Il est indispensable que lon se penche soigneusement sur les points forts et les points faibles de chaque type de système et que lon sache que telle ou telle solution dune efficacité incontestable dans un contexte peut facilement se révéler inutile, voire réellement nuisible, dans un autre. À LÉCHELON DE LA CIRCONSCRIPTION Dans tous les types de systèmes, les responsabilités qui se rattachent au travail dans la circonscription augmentent régulièrement depuis quelques années, tout particulièrement dans les régimes de type Westminster, où cette fonction présente dimportantes possibilités daméliorer à la fois la culture démocratique et lefficacité des institutions. On cernera mieux ces possibilités en les considérant par rapport à un certain nombre de rôles distincts que les parlementaires peuvent jouer(9). Pour les citoyens faisant face à un gouvernement distant, géographiquement, psychologiquement et parfois culturellement, le parlementaire local apparaît comme le personnage politique capable dentendre leurs doléances et points de vue. Le simple fait de faire connaître son opinion peut apporter un soulagement, surtout si cela engendre une réponse de la part du parlementaire ou de ses collaborateurs locaux. Les attentes des citoyens détermineront toutefois lefficacité de ce rôle pour ce qui est de les faire adhérer aux valeurs et processus démocratiques. Au Canada et ailleurs, il apparaît de plus en plus évident que les citoyens attendent désormais des résultats tangibles. Une simple écoute passive risque en fait daccroître la frustration et la désillusion du public. Plus les gouvernements deviennent complexes, plus le rôle du parlementaire local, en tant que source dinformation sur la politique, les orientations et les services du gouvernement, grandit. Grâce à ce rôle, le parlementaire peut faire encore davantage pour promouvoir les valeurs démocratiques et ladhésion au processus démocratique, à condition de chercher consciemment à lier les renseignements quil diffuse aux conséquences qui sy rattachent. Les nouvelles techniques, y compris Internet, permettent aux électeurs daccéder plus facilement aux bureaux de leurs parlementaires et dobtenir des renseignements. Le parlementaire local est souvent invité aux diverses cérémonies officielles et autres événements qui se déroulent dans sa circonscription. Fait intéressant, certains sondages dopinions (qui révèlent un cynisme croissant de la part des électeurs à légard des politiciens en général) montrent que le respect des électeurs pour leurs parlementaires locaux demeure relativement intact, malgré un léger déclin ces dernières années(10). Cela donne à penser que la simple existence dun représentant connu à léchelon local peut en fait contribuer à lopinion positive des citoyens sur des notions aussi abstraites que la démocratie. Les parlementaires pourraient se servir des manifestations locales pour souligner limportance de la culture et des institutions démocratiques et renforcer ce genre de sentiment. Lorsque le parlementaire joue le rôle du « défenseur », il apporte publiquement son appui à une cause ou à un intérêt particulier que ses électeurs ont à coeur. Ainsi, la plupart des parlementaires défendent la cause de leur propre parti politique. De fait, dans le système de type Westminster, les parlementaires sont souvent considérés comme des représentants des partis politiques plutôt que de leurs électeurs. Il y a là un danger qui sapplique également à tous les types de défense des droits : dans la mesure où le parlementaire est considéré comme défenseur de certaines personnes ou groupes au sein de sa circonscription, il risque de perdre sa crédibilité en tant que représentant des intérêts de lensemble de la circonscription. Le parlementaire peut agir en tant que bienfaiteur des électeurs en leur dispensant certaines faveurs, quil sagisse dhonneurs ou davantages plus concrets. Par le passé, le rôle du parlementaire en tant que chef dun réseau local de distribution des faveurs a été important, mais il a diminué au cours des 50 dernières années au Canada, aux États-Unis et dans dautres systèmes démocratiques confirmés. Dans la plupart des pays, les parlementaires continuent de chercher à se mettre en avant lorsquil sagit dannoncer des subventions, prêts et autres avantages en faveur des entreprises et des intérêts locaux. Dailleurs, dans certains cas, ils font des efforts majeurs pour procurer de tels avantages aux citoyens de leur localité. Toutefois, un peu comme le rôle de défenseur, cette activité revêt une certaine ambiguïté en ce qui concerne le renforcement des valeurs et des institutions démocratiques. Lorsque les avantages sont, de lavis général, attribués pour servir lintérêt du public et quils sont répartis équitablement entre des bénéficiaires méritants, ils plaident en faveur de la démocratie. En revanche, dans certains cas, ils peuvent laisser croire à une persistance des anciennes relations mécène-client et des réseaux de népotisme dautrefois. Le parlementaire peut intervenir dans un différend entre un électeur et un organisme public, voire un organisme privé, pour corriger une injustice. Ici encore, la façon de percevoir le rôle de l« ami puissant » repose largement sur le fait que les résultats obtenus soit permettent aux citoyens dobtenir justice, soit leur procurent un traitement préférentiel, fruit dune influence indue. Dans le premier cas, lexercice de ce rôle confirmera la valeur des principes et pratiques démocratiques et devrait renforcer lattachement populaire à ceux-ci. Dans le dernier cas, toutefois, cest leffet inverse qui risque dêtre obtenu. G. Promoteur des intérêts de la circonscription Certes, lhétérogénéité de la circonscription moderne fait quil est souvent difficile de cerner les causes que tous les électeurs partagent, mais certains problèmes, comme la perte éventuelle dun grand employeur local ou la nécessité dattirer une industrie et des emplois nouveaux, ont bien des chances de faire lunanimité. Dune manière générale, dans la résolution de ce genre de problèmes, le parlementaire joue plusieurs rôles à la fois. Il pourra obtenir de meilleurs résultats encore en faisant le lien entre son action et le bon fonctionnement du processus démocratique, ou encore, et cela est tout aussi important, sil donne des explications complètes lorsquil réussit moins bien. Il se pourrait que les initiatives récentes visant à améliorer les communications entre les électeurs et les parlementaires servent à renforcer certains rôles de ceux-ci dans leurs circonscriptions. Ces dernières années, des partis politiques et des députés ont tenté quelques expériences : assemblées publiques électroniques; diffusion de questionnaires dans les bulletins de circonscription; tenue de référendums électroniques à lintérieur de leur circonscription. Des propositions plus ambitieuses ont aussi été avancées, notamment la création de « parlements communautaires » qui choisiraient, réviseraient et débattraient des textes législatifs dont la Chambre des communes a été saisie. Lassemblée de ce genre pourrait recommander au parlementaire dadopter telle ou telle position en Chambre, suivre létat davancement du projet de loi à la Chambre et faire état aux électeurs du travail accompli par leur représentant, ce qui donnerait plus de poids à la contribution du citoyen dans le processus législatif et aiderait les députés à se libérer des pressions de la discipline de parti(11). Le fonctionnement du processus législatif offre aux parlementaires de nombreuses occasions daffirmer les valeurs et les pratiques démocratiques. Mais, ce qui est plus fondamental, cest que les institutions législatives doivent donner au public des preuves continuelles et concrètes quelles tiennent effectivement compte de son opinion. Une législation et des politiques qui traduisent les demandes du public constituent le premier moyen dy arriver. Toutefois, lorsque les décisions ne vont pas dans le sens, ou vont carrément à lencontre, de lopinion majoritaire, il peut être bon de donner des explications complètes à ce sujet. Ce sera la preuve que les institutions démocratiques obligent les décideurs à rendre compte de leurs actions, tout en rehaussant peut-être la qualité du débat et en augmentant les chances den arriver à un consensus, au bout du compte. Pour assurer lefficacité des institutions existantes, il est indispensable denvisager la possibilité de les réformer. Dans le reste de la présente section, nous décrivons les principales institutions législatives du Canada et examinons les possibilités de réforme qui font lobjet dune certaine attention, au Canada et ailleurs. Les partis politiques sont un élément indispensable de la démocratie représentative. Ils ont pour rôle de recruter et dappuyer les candidats aux charges publiques, de choisir les dirigeants, délaborer des solutions de rechange aux politiques en place, douvrir la voie à la participation et à la sensibilisation politique et dorganiser le combat électoral. Pourtant, certains soutiennent que les partis politiques sont « dysfonctionnels » et quils « contribuent au malaise des électeurs »(12). Beaucoup des doléances au sujet des partis politiques concernent leur inaptitude à remplir les rôles qui leur sont dévolus. Ainsi, plutôt que dattirer les éventuels candidats, les partis découragent parfois les gens de se présenter. En particulier, le mécanisme par lequel les partis choisissent leurs candidats fait lobjet de nombreuses critiques. En 1991, une commission royale (la Commission Lortie) a soutenu, par exemple, que près des deux tiers des processus de désignation ne sont pas concurrentiels, car les candidats sont choisis sans opposition(13). Beaucoup dautres personnes sont également davis que les méthodes de recrutement des partis sont la cause principale du caractère peu représentatif de la Chambre des communes. Les femmes, les membres des minorités visibles et les Canadiens autochtones, en particulier, ont du mal à surmonter les obstacles du processus de désignation. Le mode de sélection des dirigeants des partis serait, selon certains critiques, dominé par largent et donc essentiellement antidémocratique. Enfin, des partis politiques qui ne sortent de leur léthargie que pendant les campagnes électorales ne remplissent pas leurs promesses en tant que véhicules de la participation et de la sensibilisation du public, ou encore en tant que lieux où sélaborent les politiques. La Commission Lortie a reconnu que les partis étaient des organisations essentiellement privées et quelles devaient le demeurer. Toutefois, les commissaires se sont également dits davis que certains changements seraient nécessaires pour que les partis conservent leur position en tant quéléments essentiels de la démocratie représentative. Ainsi ils ont recommandé que tous les partis politiques enregistrés adoptent chacun une constitution « qui favorise les valeurs et pratiques démocratiques dans la conduite de leurs affaires internes », et qui soit compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés(14). Ont également été recommandés des congrès de désignation ouverts, qui amélioreraient le processus de sélection, de même quune série de mesures visant à encourager les femmes à briguer les suffrages. Pour aider encore à rétablir la confiance du public dans les partis politiques, la Commission Lortie recommande à ceux-ci dadopter des codes de déontologie et de se doter de comités chargés de les appliquer. Enfin, les commissaires ont suggéré aux partis de créer des fondations chargées de sensibiliser le public à la politique et délaborer et de développer les politiques des partis. Depuis longtemps, les détracteurs du régime électoral canadien affirment quil produit une Chambre des communes peu représentative de la population nationale et de ses opinions et que le système uninominal majoritaire à un tour tend à fausser la répartition des partis à la Chambre, car il est possible pour un parti dobtenir la majorité des sièges et de former le gouvernement sans avoir reçu la majorité des votes. Les partis dont lappui se concentre dans une région peuvent gagner un grand nombre de sièges, tandis que dautres partis dont lappui est très étalé nen obtiendront que quelques-uns, voire aucun. Que pensent les Canadiens de leur système électoral fédéral? André Blais et Elizabeth Gidengil, qui ont effectué une étude de lopinion publique pour la Commission Lortie, ont demandé à leurs enquêtés ce quils pensaient des effets de distorsion provoqués par le système. Parmi ceux qui ont donné un avis, seulement 42 p. 100 jugeaient ces effets acceptables. Au total, Blais et Gidengil en arrivent à la conclusion quil existe une « insatisfaction à légard de la façon dont notre système électoral traduit les votes en sièges »(15). Manifestement, ces constatations signalent lexistence dun problème même si on peut encore se demander si celui-ci tient aux insuffisances du système uninominal à un tour, ou bien au manque dinformation et, peut-être, à des attentes irréalistes de la part du public. Lune des solutions consisterait à convaincre les Canadiens des avantages pour lesquels le type de système en usage au pays est souvent vanté, à savoir, entre autres : il est facile à comprendre; il permet déviter les dangers que comportent les gouvernements minoritaires et les blocages résultant dune formation artificielle des majorités; et il nous épargne la tendance que comportent certains systèmes de rechange à faire naître à une multitude de partis dont chacun défend une doctrine étroite ou les intérêts dun seul groupe. En conclusion, la Commission Lortie a fini par recommander que le système électoral ne soit pas modifié. Néanmoins, si les Canadiens nacquièrent pas en plus grand nombre la conviction que le système actuel présente des avantages, il pourrait devenir nécessaire, par respect pour les valeurs démocratiques, denvisager une réforme. Le système de rechange le plus fréquemment mentionné est celui de la représentation proportionnelle (RP), dans lequel les sièges sont accordés aux partis en fonction du pourcentage des votes reçus dans une élection générale(16). La Chambre des communes étant la principale institution démocratique du Canada, il est normal quelle fasse lobjet dune grande attention et de la plupart des propositions de réforme. Les réformes antérieures avaient pour objectif daccroître lefficacité avec laquelle la Chambre traite les dossiers. Dernièrement, toutefois, on a plutôt cherché à placer les députés au centre du processus délaboration des politiques et à rétablir le respect de la population canadienne. Cest dans cet esprit que le Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes (Comité McGrath), qui a déposé son rapport en juin 1985, a proposé des changements (qui allaient être appliqués par la suite) à la structure et au fonctionnement des comités permanents de la Chambre. Toutefois, la plupart des observateurs estiment que ces changements nont pas été suffisants; sept ans après le dépôt du rapport du Comité McGrath, un groupe duniversitaires et de députés réunis pour en débattre sont arrivés à un constat fort négatif(17). Par ailleurs, le désir dune réforme institutionnelle semble avoir pris racine dans lopinion publique, et la nécessité de changement deviendra probablement plus pressante. 1. Le processus législatif et le système des comités Le processus législatif qui a cours à la Chambre des communes est une source majeure dinsatisfaction pour de nombreux Canadiens et pour leurs députés. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, la plupart des grandes décisions sont prises au Canada sans que le public en ait connaissance. Les négociations préalables entre administrations publiques, entre le gouvernement fédéral et les provinces, entre les gouvernements et les groupes concernés, ou encore entre le gouvernement et les cabinets de consultants (lobbyistes) ont lieu pour une grande part en privé, avant que les projets de loi ne soient déposés à la Chambre des communes. Lorsquun texte est transmis à un comité, après la seconde lecture, il nest généralement modifié que légèrement avant dêtre renvoyé à la Chambre. Au début de 1994, on a amorcé des réformes visant à rectifier certains éléments de cette situation. Les modifications apportées au Règlement de la Chambre ont mis fin au renvoi automatique des projets de loi aux comités législatifs après le débat en deuxième lecture. Désormais, le gouvernement a le choix de renvoyer le projet de loi à un comité permanent qui possède les connaissances et les compétences de base nécessaires pour lexaminer. Depuis février 1994, les textes de loi peuvent être transmis à un comité immédiatement après la première lecture, quoique seulement sur linitiative dun ministre. Cette mesure a pour objet de donner au comité une plus grande latitude dans la modification des lois. Lun des rôles les plus importants du député est celui de gardien des deniers publics; pourtant, il est universellement reconnu que le processus de lexamen et de lapprobation par les parlementaires des dépenses du gouvernement nexiste ni plus ni moins que pour la forme. Cela est manifeste dans le traitement du Budget des dépenses. Chaque année, les prévisions de dépenses des ministères sont automatiquement renvoyées aux comités permanents compétents, qui ont alors jusquà la fin de mai pour les examiner, date à laquelle elles sont déclarées adoptées automatiquement. Dans ces circonstances, de nombreux comités nattachent quune attention rapide au Budget des dépenses, pour pouvoir concentrer leurs efforts sur dautres questions. La participation des comités au processus de la prévision des dépenses a toutefois été améliorée depuis quils ont la possibilité dexaminer et de commenter les plans et priorités concernant les dépenses futures des ministères, de sorte que lopinion des comités est prise en compte lors de lélaboration du Budget des dépenses de lannée suivante. Au Canada, la discipline de parti est largement reconnue comme étant très sévère. Beaucoup de Canadiens estiment que le contrôle serré exercé par les partis sur leurs députés empêchent ceux-ci de faire valoir les idées de leurs électeurs(18). Voici comment un universitaire décrit leffet de la discipline de parti sur la perception des Canadiens :
Les propositions visant à réduire linfluence de la discipline de parti à la Chambre des communes sont de deux types : les unes réclament une augmentation du nombre de votes libres à la Chambre et les autres prônent une atténuation de la règle de la confiance, qui force le gouvernement à démissionner lorsquil perd un vote important. Pour implanter ce dernier changement, il faudrait que le gouvernement puisse déclarer davance sur quelles questions il met la confiance en jeu. Ainsi, les députés du parti gouvernemental auraient la possibilité de voter selon leurs préférences sur tous les autres sujets, sans craindre que le gouvernement ne tombe. Ces changements risquent dêtre difficiles à réaliser. Toutefois, la persistance de la désapprobation du public à légard de la discipline de parti les rendra peut-être nécessaires, à moins que lon parvienne à convaincre la population que la discipline de parti contribue aux valeurs démocratiques. Pour certains Canadiens, une réforme institutionnelle interne du type de celle qui est envisagée pour la Chambre des communes apparaît insuffisante. Ils estiment nécessaire que lon mette en place des mécanismes supplémentaires qui forceront les députés à consulter leurs électeurs plus fréquemment ou à renoncer à leurs fonctions. 1. Les référendums et les initiatives populaires Certains prônent les référendums et les initiatives populaires (un dispositif en vertu duquel les citoyens peuvent faire inscrire certains sujets à lordre du jour des assemblées législatives) pour donner aux Canadiens une voix au chapitre plus directe dans les décisions des institutions démocratiques. Quoique cela soit rare à léchelon fédéral, les référendums (ou les plébiscites, qui sont des référendums non contraignants) sont utilisés de temps à autre au Canada. Le cas le plus récent est celui de la proposition de modification constitutionnelle de 1992. Ces mesures sont fermement défendues par certains; rien ne permet toutefois daffirmer quelles deviendront partie intégrante de la façon dont les institutions canadiennes établissent les politiques gouvernementales. La révocation est un mécanisme en vertu duquel les électeurs insatisfaits pourraient forcer un député à quitter son poste avant la fin de son mandat, au moyen dune pétition. Ce système existe déjà dans 15 États américains, et la notion semble faire de plus en plus dadeptes au Canada. Un sondage effectué en mars 1993 a révélé que trois Canadiens sur quatre lapprouvaient(20). Le 2 février 1994, la Chambre des communes a lu pour la première fois un projet de loi dinitiative parlementaire qui proposait linstauration dun mécanisme de révocation des députés(21). Cette idée na pas été accueillie chaleureusement par la plupart des députés. Au cours de deux débats sur le projet de loi, les députés de lopposition officielle et du parti au pouvoir ont soutenu quune mesure de ce genre naboutirait pas au rétablissement de la confiance des Canadiens dans le Parlement, quelle coûterait cher et quelle entraînerait probablement des controverses interminables. En outre, ils ont fait valoir, quil importe que les Canadiens attendent la fin dune législature avant de se prononcer de manière finale sur le travail dun député, et que cest le Parlement lui-même qui devrait exercer sa prérogative de discipline à légard des députés malhonnêtes, en exigeant leur démission si nécessaire(22). Les auteurs douvrages savants sur le régime parlementaire et le processus législatif naccordent pas à la participation aux associations parlementaires une importance comparable à celle que revêtent le travail auprès des électeurs et la participation au processus législatif. Il faut y voir plutôt, pensent-ils, une adjonction aux fonctions essentielles des parlementaires, qui peut contribuer à accroître leur rendement en attirant leur attention sur des problèmes communs et en les encourageant à partager leurs expériences. De plus, les associations internationales offrent aux parlementaires un forum général où ils peuvent réfléchir à lutilité des comités et groupes de travail dont le mandat est plus étroit. Il importe que cette activité soit assujettie aux mêmes critères defficacité et de respect des attentes du public que lexige ladhésion aux valeurs démocratiques, comme nous lavons dit plus haut. Les parlementaires doivent pouvoir échanger leurs expériences avec des représentants de pays différents, au moment où ils cherchent à renforcer les valeurs et pratiques démocratiques et à optimiser lefficacité des institutions parlementaires. Les circonstances sont tellement variées que la recette universelle de la réussite est probablement impossible à trouver; toutefois, mais cette variété même offre peut-être une source denrichissement plus prometteuse que ne le ferait une recette. * Cette étude a été rédigée à lorigine pour la délégation du Parlement du Canada à la Conférence parlementaire des Amériques, qui s'est tenue en septembre 1997, à Québec. (1) Voir Neil Postman, Technopoly - The Surrender of Culture to Technology, New York, Vintage Books, 1993, p. 14 et suivantes. (2) Les sections concernant les pressions sont fondées sur larticle dIan D. Clark, « Global Economic Trends and Pressures on Governments », Canadian Public Administration, vol. 39, no 4, p. 447-456. (3) Marcel Massé, « Partenaires dans la gestion du Canada : lévolution des rôles du gouvernement et de la fonction publique », La Conférence John L. Manion - 1993, dans Optimum, vol. 24-1, été 1993, p. 65 et suivantes. (4) Paul Krugman, « Dutch Tulips and Emerging Markets », Foreign Affairs, vol. 74, no 4, juillet-août 1995, p. 28-44 (traduction). (5) Ibid., p. 454. (6) Voir, par exemple, Donald J. Savoie, Mondialisation et gestion publique, Ministre des Approvisionnements et Services, Canada, 1993, p. 3 et suivantes. (7) Jean-Marie Guéhenno, La fin de la démocratie, Paris, Flammarion, 1995. (8) Gwynne Dyer, « Globalization and the Nation State », dans Behind the Headlines, Institut Canadien des affaires internationales, vol. 53, no 4, été 1996, p. 6 (traduction). (9) Voir Philip Norton, « The Growth of the Constituency Role of the MP », Parliamentary Affairs - A Journal of Comparative Politics, vol. 47, no 4, oct. 1994, p. 705 et suivantes. (10) André Blais et Elizabeth Gidengil, dans La démocratie représentative : Perceptions des Canadiens et des Canadiennes, volume 17 de la collection détudes de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Toronto, 1991, p. 47, constatent que 78 p. 100 des Canadiens ont davantage confiance dans leurs députés fédéraux que dans leurs partis politiques. (11) Munroe Scott, « A Rescue Plan for Democracy in Peril », Canadian Speeches: Issues of the Day, novembre 1992, p. 32. (12) Ibid., p. 223. On trouvera une discussion détaillée et stimulante du caractère dysfonctionnel des partis politiques canadiens dans John Meisel, « The Dysfunctions of Canadian Parties: An Exploratory Mapping », dans Hugh G. Thorburn (éd.), Party Politics in Canada, 6e édition, Scarborough (Ontario), Prentice-Hall Canada, 1991, p. 234-254. (13) Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Ottawa, 1991, p. 275. Lynda Erickson et R.K. Carty (« Parties and Candidate Selection in the 1988 Canadian General Election », dans Revue canadienne de science politique, vol. XXIV, no 2, juin 1991, p. 331-349) font des constatations analogues. Même dans les mises en candidature qui ont été contestées, un nombre relativement peux élevé de membres du parti ont participé. (14) Commission Lortie (1991), p. 255. (15) Blais et Gidengil (1991), p. 89. (16) Comme le soulignent les détracteurs de la représentation proportionnelle, toutefois, ce genre de système fonctionne généralement à partir de listes de candidats proposées par les partis politiques. Les candidats qui figurent en haut des listes sont les premiers à se voir attribuer des sièges; ainsi, la détermination par les partis des candidats qui figurent sur les listes et de lordre dans lequel ils y sont placés est crucial. Il faudrait donc sans doute que le système de la RP soit assorti dun processus de nomination réformé pour permettre une meilleure représentation des minorités. (17) Paul Thomas, dans Groupe canadien détude des questions parlementaires, An 7 : Une revue du rapport du Comité McGrath sur la réforme de la Chambre des communes, Délibérations, 1992, p. 14. (18) Forum des citoyens (1991), p. 114. (19) Peter McCormick « Bring Back the Recall », in Policy Options/Options politiques, décembre 1992, p. 28 (traduction). (20) Gallup Canada, sondage Gallup, 3 mars 1994. Seulement 14 p. 100 des personnes interrogées sopposaient à la révocation. (21) Projet de loi C-210, Loi prévoyant la révocation des députés de la Chambre des communes. Ce texte avait été présenté par Mme Deborah Grey, députée du Parti réformiste pour Beaver River. Il prévoyait notamment quaucune révocation ne pourrait être effectuée dans les 18 premiers mois de lélection du député, quun député ne pourrait faire lobjet que dune seule pétition en révocation au cours dun même mandat et que la pétition en révocation, pour être valable, devrait contenir un nombre de signatures équivalant à la majorité du nombre total de votes enregistrés au cours de lélection précédente. (22) Voir Chambre des communes, Débats, 20 avril 1994, p. 3723-3732 et 14 juin 1994, p. 5320-5330. Le projet de loi a été examiné mais aucun vote na été pris. Il a été reporté au bas du Feuilleton après avoir été débattu pour la deuxième fois. |