Direction de la recherche parlementaire


MR-108F

 

LA RÉSEAU DE RÉSERVATION GEMINI :
LA DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE

 

Rédaction Margaret Smith
Division du droit et du gouvernement

Le 29 avril 1993

                                      


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

CONTEXTE

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL POUR LA MODIFICATION D'UNE ORDONNANCE
PAR CONSENTEMENT

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL DANS L'HYPOTHÈSE OÙ IL SERAIT COMPÉTENT

   A.  Autres options

   B.  Répercussions de la faillite de Canadien sur le marché du transport aérien

   C.  Répercussions de la modification sur le marché des systèmes de réservation informatisée

RECOURS QUI AURAIT PU ÊTRE ACCORDÉ

OPINION DISSIDENTE CONERNANT LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL


 

LE RÉSEAU DE RÉSERVATON GEMINI :
LA DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE

 

INTRODUCTION

Le 22 avril 1993, le Tribunal de la concurrence, a rejeté, par une majorité de deux à un, une demande présentée par le directeur des enquêtes et recherches («directeur») en vue de modifier une ordonnance par consentement de 1989 autorisant Air Canada et Lignes aériennes Canadien International («Canadien») à fusionner leurs systèmes de réservation informatisée (SRI) pour créer le réseau Gemini. Le Tribunal a déclaré qu'il n'était pas de son ressort de modifier l'ordonnance pour permettre à Canadien de transférer son système de réservation interne de Gemini à Sabre, le système automatisé de réservation qui appartient à American Airlines Inc.

CONTEXTE

En 1987, Air Canada et Canadien ont fusionné leurs SRI pour créer le réseau Gemini. Dans le cadre de cette fusion, Gemini, Air Canada et Canadien ont conclu une entente («entente de système hôte») qui accordait à Gemini le droit exclusif d'administrer les systèmes de réservation interne d'Air Canada et de Canadien. Selon les diverses ententes conclues entre les parties, Canadien aurait pu mettre fin à cette entente de gestion avec Gemini à compter de 1999. En 1989, les parties ont conclu une autre «entente de système hôte» lorsqu'un nouveau partenaire, Covia, s'est joint à Gemini.

En 1988, le directeur a contesté la fusion ayant donné naissance au réseau Gemini en vertu de la Loi sur la concurrence et a cherché à la faire dissoudre. L'année suivante, les parties ont conclu une entente qui permettait le maintien de la fusion sans que cela entraîne une diminution marquée de la concurrence, et ont soumis ces modalités à l'approbation du Tribunal de la concurrence. L'ordonnance par consentement émise par le Tribunal portait sur les transporteurs aériens propriétaires de Gemini et sur le fait que ces deux transporteurs dominent le marché canadien et prévoyait un code de conduite à l'intention des exploitants et des transporteurs propriétaires de systèmes de réservation informatisée au Canada.

Depuis l'émission de l'ordonnance par consentement, la situation financière de Canadien a changé; la société enregistre des pertes et a interrompu ses paiements à ses créanciers garantis. AMR Corporation, la société-mère d'American Airlines Inc., a proposé une transaction prévoyant un investissement de l'ordre de 246 millions de dollars de sa part dans la compagnie Canadien ainsi qu'un programme d'échange pour grands voyageurs et un contrat de service de vingt ans. Ce contrat de service exigerait de Canadien qu'il transfère son système de réservation de Gemini à Sabre, le système de réservation exploité par American Airlines.

En novembre 1992, le directeur a présenté une demande au Tribunal en vertu de l'article 106 de la Loi sur la concurrence pour que soit modifiée l'ordonnance par consentement de 1989 afin que l'on puisse mettre fin plus tôt que prévu à l'«entente de système hôte» et permettre ainsi à Canadien de transférer son système de réservation interne de Gemini à Sabre.

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL POUR LA MODIFICATION D'UNE ORDONNANCE PAR CONSENTEMENT

Le pouvoir du Tribunal de modifier des ordonnances par consentement est prévu à l'article 106 de la Loi sur la concurrence, qui prescrit entre autres ce qui suit:

Le Tribunal peut annuler ou modifier une ordonnance rendue en application de la présente partie lorsque, à la demande du directeur ou de la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance a été rendue, il conclut que:

a) les circonstances ayant entraîné l'ordonnance ont changé et que, sur la base des circonstances qui existent au moment où la demande prévue au présent article est faite, l'ordonnance n'aurait pas été rendue ou n'aurait pas eu les effets nécessaires à la réalisation de son objet; [...]

Le Tribunal a étudié, en tant que question de droit, les critères imposés par l'article 106 pour la modification d'une ordonnance. Il a constaté qu'en vertu de l'alinéa 106a), si un changement de circonstances permet d'ajouter des conditions à une ordonnance antérieure, il doit s'agir des circonstances qui ont été manifestement prises en compte par le Tribunal à l'époque où l'ordonnance en question a été rendue et qui ont été la cause directe de cette ordonnance. Le Tribunal a par ailleurs indiqué que l'existence de ce changement de circonstances n'est pas suffisante pour justifier la modification d'une ordonnance; à son avis, il faut également prouver que l'ordonnance est devenue inutile ou ne permet plus la réalisation de son objet, qui était de régler le problème constaté dans les circonstances pertinentes qui ont entraîné l'ordonnance initiale.

Après avoir établi quelle devrait être l'interprétation de l'alinéa 106a), le Tribunal a entrepris de répondre à deux questions, à savoir si les circonstances qui avaient entraîné l'ordonnance par consentement de 1989 avaient changé et si l'ordonnance initiale aurait été rendue dans les circonstances actuelles.

Les partisans de la demande de modification de l'ordonnance par consentement ont soutenu que le Tribunal avait rendu l'ordonnance lorsque le marché du transport aérien au Canada était un duopole se composant de deux principaux transporteurs et de leurs filiales régionales. À leur avis, la détérioration rapide de la situation financière de Canadien et la menace qu'elle représente pour le maintien de ce duopole constituent un changement de circonstances.

Ceux qui s'opposent à la modification ont soutenu que l'existence d'un duopole et la conclusion de l'«entente de système hôte» avec Gemini faisaient partie du contexte dans lequel l'ordonnance par consentement avait été rendue mais n'en étaient pas la cause.

Le Tribunal a conclu que l'existence d'un duopole dans l'industrie de l'aviation n'avait pas été la cause de l'ordonnance par consentement; à son avis, cette ordonnance avait plutôt été motivée par l'intégration verticale des deux transporteurs aériens dominants en un seul SRI et le risque qu'une telle mesure nuise à la concurrence de ce système et des marchés du transport aérien. Il a donc conclu que, dans les circonstances actuelles, l'ordonnance de 1989 serait demeurée en vigueur et aurait quand même été rendue.

En concluant qu'il n'était pas de son ressort dans ce cas de modifier l'ordonnance par consentement, le Tribunal a soutenu, à la majorité, que ses pouvoirs de modifier une telle ordonnance ne peuvent être exercés qu'à l'égard de l'objet initial de l'ordonnance. Par conséquent, il a jugé qu'il ne peut modifier l'ordonnance initiale en libérant l'une des parties d'un contrat qui n'était pas exigé par cette ordonnance simplement parce que l'une des parties a conclu un autre contrat qui est incompatible avec le premier.

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL DANS L'HYPOTHÈSE OÙ IL SERAIT COMPÉTENT

Prévoyant que l'on pourrait en appeler de sa décision sur la question de la compétence, le Tribunal a formulé d'autres constations de fait qui auraient été nécessaires si la modification de l'ordonnance avait relevé de sa compétence. Il a examiné les conséquences du maintien de l'«entente de système hôte» conclue par Canadien, les répercussions possibles de la faillite de Canadien sur l'industrie de l'aviation et ce qu'il adviendrait du réseau Gemini et de la concurrence des SRI si Canadien faisait faillite ou était libéré de son contrat «de système hôte».

   A. Autres options

Le Tribunal a cherché à déterminer si Canadien disposait d'autres options que la transaction avec AMR et a examiné un certain nombre de possibilités, à savoir la recherche d'un autre investisseur ou partenaire stratégique, la fusion avec Air Canada, une restructuration en tant que transporteur autonome, la conclusion de la transaction avec AMR sans mettre fin à l'«entente de système hôte» avec Gemini et la vente de routes internationales.

Le Tribunal a jugé que l'avoir dont dispose Canadien n'est pas suffisant pour lui donner le temps de trouver un autre investisseur; à son avis, la recherche d'un tel investisseur mettrait en péril la transaction avec AMR, qui propose d'injecter des fonds dans la société Canadien en train de péricliter. Selon le Tribunal, une fusion avec Air Canada et une restructuration de Canadien en tant que transporteur autonome semblent également peu probables. Le Tribunal a conclu que le retrait de Canadien du système Gemini est une condition essentielle à la transaction avec AMR et qu'il existe des raisons économiques légitimes permettant à AMR d'exiger que Canadien transfère son système de réservations à Sabre. La vente des routes internationales de Canadien risquerait, de l'avis du Tribunal, de nuire aux autres activités de la société.

Par conséquent, le Tribunal a conclu que la transaction avec AMR, compte tenu de l'injection de fonds qu'elle apportera, est essentielle à la survie de Canadien; à son avis, sans une telle transaction, Canadien fera probablement faillite.

   B. Répercussions de la faillite de Canadien sur le marché du transport aérien

La principale question pour le Tribunal [en ce qui concerne les répercussions de la faillite de Canadien sur le marché du transport aérien, s'il n'obtient pas une modification de l'ordonnance par consentement] consistait à déterminer si la faillite de Canadien entraînerait une diminution marquée de la concurrence.

Comme une telle faillite équivaudrait à une fusion avec Air Canada, le Tribunal a indiqué que ses répercussions pourraient être analysées selon les critères établis en vertu de la Loi sur la concurrence pour l'évaluation des fusions.

Le Tribunal a conclu que si Canadien pouvait être sauvé de la faillite, ce transporteur continuerait à être un concurrent vigoureux et efficace pour Air Canada. Il a écarté la possibilité d'une concurrence étrangère en cas de faillite, en faisant remarquer qu'aucun spécialiste de l'industrie ne prévoit que l'assouplissement des règles de cabotage, ni la conclusion d'un accord «Ciels ouverts» sont imminents. Le Tribunal a conclu que les compagnies charters ne combleraient pas le vide laissé par Canadien si cette dernière faisait faillite. Bien que leur présence soit importante sur les grands marchés, ces transporteurs se spécialisent dans des créneaux particuliers et n'exercent pas de concurrence dans toute la gamme des produits et services offerts.

Le Tribunal a également constaté que la faillite de Canadien entraînerait la faillite de la vaste majorité des compagnies aériennes régionales qui lui sont affiliées. De plus, il y aurait d'importants obstacles à l'entrée sur le marché d'une nouvelle compagnie aérienne capable de concurrencer Air Canada.

Enfin, le Tribunal a conclu que la faillite de Canadien entraînerait une diminution marquée de la concurrence sur la plupart, voire sur l'ensemble, des marchés de transport voyageurs aérien sur les routes de la région Sud du Canada.

   C. Répercussions de la modification sur le marché des systèmes
         de réservation informatisée

Le Tribunal a conclu que le réseau Gemini ne ferait probablement pas faillite si Canadien se retirait de ce réseau pour se joindre au système Sabre. Sur le plan de la fonctionnalité, le réseau Gemini est comparable au système Sabre et Air Canada possède une part plus importante du marché intérieur que Canadien. Par conséquent, le réseau Gemini pourrait faire concurrence au système Sabre.

RECOURS QUI AURAIT PU ÊTRE ACCORDÉ

Si le Tribunal avait conclu qu'il était de son ressort de modifier l'ordonnance par consentement de 1989, il aurait autorisé Canadien à modifier l'«entente de système hôte» et à se joindre au système de réservations Sabre. Canadien aurait été tenu de donner un préavis minimum de douze mois à Gemini et de lui rembourser certains coûts liés au transfert.

OPINION DISSIDENTE CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

Un membre du Tribunal a conclu que ce dernier possédait la compétence de statuer sur la question dont il a été saisi.

Le membre dissident a déclaré que les circonstances qui ont entraîné l'ordonnance par consentement de 1989 avaient changé. Il a souligné que l'ordonnance renferme une disposition destinée à empêcher Air Canada et Canadien de se servir de Gemini pour échanger de l'information pouvant faciliter la collusion entre ces deux transporteurs. On craignait en effet que les deux transporteurs aériens se servent du réseau Gemini pour diminuer de façon marquée la concurrence sur le marché du transport aérien. Il a conclu que les difficultés financières de Canadien permettent maintenant l'utilisation du système Gemini pour diminuer considérablement la concurrence (mais d'une façon que le Tribunal n'avait pas envisagée au départ) car Canadien fera faillite s'il est dans l'impossibilité de mettre fin à l'«entente de système hôte» et de conclure une transaction avec AMR.