Direction de la recherche parlementaire


MR-127F

 

LA BIOTECHNOLOGIE ET LE BIEN COMMUN :
RAPPORT DE LA CONFÉRENCE NABC6

 

Rédaction  Sonya Dakers
Division des sciences et de la technologie
Le 28 juin 1994


 

TABLE DES MATIÈRES

 

PREMIÈRE SÉANCE PLÉNIÈRE :   Les produits de la biotechnologie agricole actuelle et ceux de la prochaine génération

DEUXIÈME SÉANCE   PLÉNIÈRE :  La biotechnologie et le bien commun

TROISIÈME SÉANCE PLÉNIÈRE :  La biotechnologie agricole dans les pays en développement

PREMIER ATELIER :  L'établissement du calendrier d'application de la biotechnologie agricole

DEUXIÈME ATELIER :  La biotechnologie et la structure de l'agriculture

TROISIÈME ATELIER :  La biotechnologie agricole et l'interdépendance globale

QUATRIÈME ATELIER :  La gérance de l'environnement et la biotechnologie agricole

SÉANCE PLÉNIÈRE DE CLÔTURE


 

LA BIOTECHNOLOGIE ET LE BIEN COMMUN :
RAPPORT DE LA CONFÉRENCE NABC6

 

Dans la foulée de l’approbation par le Bureau fédéral des drogues (Federal Drug Administration) des États-Unis de la STbr (somatotropine bovine recombinante) en novembre 1993 et de la tomate « Flavr-Savr » en mai 1994, le sixième Congrès du National Agricultural Biotechnology Council (NABC6), qui s’est tenu les 23 et 24 mai 1994, a réuni des consommateurs, des producteurs, des décideurs, des environnementalistes et des chercheurs qui ont discuté des effets positifs et négatifs de la biotechnologie sur l’agriculture et d’autres sujets apparentés. Le Conseil, qui est subventionné par dix-huit universités canadiennes et américaines, s’est donné comme mission de promouvoir le dialogue sur la biotechnologie agricole et d’en encourager le développement pour le bien commun.

Les trois séances plénières ont permis aux participants de faire un tour d’horizon des thèmes choisis; ils ont ensuite examiné ces thèmes plus en détail dans quatre ateliers au terme desquels ils ont rédigé des recommandations destinées aux décideurs des secteurs public et privé.

PREMIÈRE SÉANCE PLÉNIÈRE : Les produits de la biotechnologie agricole actuelle et ceux de la prochaine génération

Selon T. Fraley, Ph. D. (Monsanto Agricultural Group), la biotechnologie est l’un des nombreux outils qui contribueront à nourrir les 90 millions de gens qui viennent grossir la population mondiale chaque année. En sept ans, les essais pratiques sont passés de zéro à 1 600, soit le nombre de produits de la biotechnologie qui ont été testés en 1994; dix de ces produits sont déjà engagés dans le processus qui mène à l’homologation aux États-Unis. Les recherches actuelles portent sur des cultures résistantes aux insectes, qui devraient être approuvées d’ici deux ans, et sur la prévention des maladies et la lutte contre les mauvaises herbes. M. Fraley a

énuméré les questions qu’il faut encore résoudre avant qu’un produit de la biotechnologie ne soit commercialisé : l’opinion publique, l’adoption de nouvelles lois, les prescriptions sur l’étiquetage des aliments, la salubrité des aliments et les allergies, les contraintes du commerce international, ainsi que les procès intentés par les groupes « ennemis des sciences ».

Selon un participant, on peut se poser des questions sans être un ennemi de la science; ce participant a d’ailleurs reproché à M. Fraley d’éviter de répondre à la question morale de savoir si la biotechnologie est bénéfique pour l’espèce humaine. Il a dit craindre les mutations génétiques irréversibles qui pourraient être introduites dans les organismes vivants et l’impossibilité d’inverser une mutation accidentelle. Un autre participant s’est interrogé sur les effets à long terme de la biotechnologie et s’est demandé si le Bureau fédéral des drogues des États-Unis procède aussi scientifiquement qu’il le prétend à l’étiquetage des produits de la biotechnologie.

Le conférencier suivant, W.F. Hardy, Ph.D. (président du Boyce Thompson Institute for Plant Research), a souhaité que la conférence donne de nouvelles perspectives aux participants. Il a décrit les étapes que suivra probablement l’implantation de la biotechnologie et les paramètres pour définir l’intérêt collectif. Par ordre de priorité, il a cité la liberté de choix, l’information et la formation, la santé humaine, l’économie, l’environnement, la durabilité et l’interdépendance globale, ainsi que d’autres facteurs. Il a donné comme exemples de produits de la biotechnologie qui ont été approuvés ou qui sont sur le point de l’être les produits suivants : une enzyme de coagulation pour la fabrication du fromage, des cultivars de maïs, de riz et de blé qui fixent eux-mêmes l’azote, des substituts aux combustibles fossiles, des contenants de polymère biodégradable, des cultures à plus haut rendement, des médicaments et des vaccins oraux. Enfin, il a parlé de financement à l’étape de la pré-commercialisation.

DEUXIÈME SÉANCE PLÉNIÈRE : La biotechnologie et le bien commun

Hope Shand (directrice de recherche de la Rural Advancement Foundation International, organisme à but non lucratif) a parlé de l’implantation de la biotechnologie dans le tiers monde rural, où une diversité génétique vieille de 12 000 ans est maintenant menacée par le brevetage de plantes et d’animaux. Elle a indiqué que la biotechnologie stimule peut-être la recherche, mais que les agriculteurs pauvres n’ont pas les moyens d’acheter les grains qui en résultent. Elle a notamment mentionné un édulcorant naturel à base de protéines, le coton tansgénique et le soja.

Il a aussi été question du remplacement des cultures naturelles par des équivalents synthétiques. Au Madagascar, par exemple, 100 000 agriculteurs vivent de la culture de la vanille, qu’on s’apprête à remplacer par un produit synthétique moins cher. Mme Shand a indiqué qu’il est insensé d’essayer de vendre une technologie au pays qui a fourni la matière génétique première (maintenant sous brevet) et qui n’a plus les moyens d’acheter les semences brevetées. Elle a souligné que dans un tel cas, les agriculteurs deviennent dépendants des entreprises d’agrochimie qui manipulent le système agro-alimentaire et vendent les semences et leurs propres marques d’herbicides. Elle a dit ne pas croire, comme le soutiennent les industries chimiques, que ces herbicides sont tous inoffensifs pour l’environnement.

Mme Shand a soutenu que les systèmes juridiques, comme ceux qui régissent la propriété intellectuelle, sont dépassés par les réalités publiques, de sorte qu’on va même jusqu’à accorder des brevets sur les biens publics. D’après elle, la Convention sur la diversité biologique signée l’an dernier a deux lacunes : elle exclut les collections de gènes acquises avant l’établissement de la Convention, et on n’y trouve pas de protocole international destiné à protéger les espèces indigènes.

Pour R.J. Cook, Ph. D. (scientifique en chef responsable du Competitive Grants Program, USDA — NRI), la biotechnologie fait partie de l’évolution technologique au cours de laquelle l’humanité a toujours modifié les espèces végétales et animales pour qu’elles répondent à ses besoins. Il a décrit certaines percées industrielles dans l’aviculture et la production laitière, mais ajouté qu’il faut protéger la diversité des cultures en soutenant aussi les applications modestes.

TROISIÈME SÉANCE PLÉNIÈRE : La biotechnologie agricole dans les pays en développement

Le premier conférencier, John Dodds (directeur gestionnaire du Agricultural Biotechnology for Sustainable Productivity Program [ABSP] à l’Université du Michigan], a cité l’exemple des Philippines pour montrer qu’il est possible de développer du germoplasme sur une petite échelle et d’une manière qui soit respectueuse de l’environnement. Il a aussi donné des exemples où la biotechnologie sert à la conservation des ressources génétiques; Cuba, par exemple, a un programme de protection des grains indigènes.

Le ABSP vise à accroître la productivité d’un petit nombre de cultures dans des pays choisis, depuis la recherche fondamentale jusqu’à la mise en production; les projets favorisent la collaboration entre les scientifiques du Nord et du Sud. Le programme comprend aussi des ateliers, la publication d’un bulletin, la conception d’affiches, des stages et l’accès à l’information.

Le deuxième conférencier a été Magdy Madkour (directeur de l’Institut de recherches en génie génétique agricole, en Égypte). La moitié de la population de ce pays vit d’agriculture, alors que 6 p. 100 seulement du territoire est constitué de terres arables. L’Institut cherche à utiliser la biotechnologie pour accroître la production des récoltes par unité de sol et d’eau, réduire la dépendance à l’égard des produits importés, réduire le recours aux pesticides et améliorer la qualité nutritive des aliments produits.

Le troisième conférencier s’est distingué par son franc-parler. D’après Jose De Souza Silva (chef du Secrétariat chargé d’appuyer les organismes d’État en recherche agricole à la société publique brésilienne pour la recherche agricole), la neutralité scientifique est un mythe et les progrès scientifiques sont dictés par les forces sociales et économiques. Il a indiqué quatre situations contradictoires : la biotechnologie, qui devrait être une solution plausible au problème de la faim, a échoué à cet égard (le Brésil occupe le quatrième rang des pays exportateurs de produits agricoles, et le sixième rang des pays sous-alimentés); les produits de la biotechnologie offrent un bon potentiel de rendement, mais le remplacement des cultures traditionnelles risque d’entraîner un chômage massif; la biotechnologie agricole pourrait contribuer à la promotion des objectifs sociaux, mais au lieu de cela elle est en train de devenir une entreprise mercantile où les ressources génétiques sont brevetées et la nature traitée comme une marchandise; finalement, les pays industrialisés agissent souvent par inadvertance d’une manière qui nuit aux pays en développement.

PREMIER ATELIER : L’établissement du calendrier d’application de la biotechnologie agricole

Susan Offutt, Ph. D., directrice générale du bureau de l’agriculture auprès du Conseil national de recherches des États-Unis a indiqué qu’à son avis, le développement de la biotechnologie est fonction du marché mais que d’autres contraintes existent : les subventions, les coûts et profits et la relation entre le secteur privé et le bien public. À la qualité, l’efficacité et l’innocuité, elle a ajouté un quatrième critère pour l’évaluation de la biotechnologie : les effets sociaux et environnementaux.

Garth Youngberg (directeur général, Henry A. Wallace Institute for Alternative Agriculture) a indiqué que les entreprises devraient inviter le public (agriculteurs, groupes d’intérêt public, etc.) à participer à la planification et à la prise de décisions en matière de recherche-développement biotechnologique.

Au cours des débats qui ont suivi en atelier, le processus d’établissement du calendrier d’application de la biotechnologie l’a emporté sur la détermination des domaines prometteurs de la biotechnologie, qui devait être le sujet d’étude. La participation à la prise de décisions a été jugée essentielle si l’on veut que les applications de la biotechnologie profitent au public. Les membres de l’atelier ont conclu que si le public participait davantage à l’établissement du calendrier d’application de la biotechnologie, celui-ci refléterait plus fidèlement les différentes valeurs, préoccupations et priorités de la société et favoriserait l’intégration des sciences environnementales et sociales dans les programmes de sciences biologiques. Les facteurs suivants ont aussi été mentionnés comme étant indispensables : une meilleure information (peut-être supervisée par un organisme central), le non-financement de projets intéressés, des recherches additionnelles sur l’évaluation des risques et des cours à l’école et à l’université sur la biotechnologie et ses incidences.

On a insisté sur le fait qu’il faut mettre en place un système de réglementation accessible et homogène, dans lequel conscience côtoie vigilance.

Les participants à l’atelier ont indiqué qu’il importe d’appliquer les recommandations du NABC.

DEUXIÈME ATELIER : La biotechnologie et la structure de l’agriculture

On ne peut parler de la structure de l’agriculture sans aborder la question controversée du système agro-alimentaire total, qui remet en question l’éthique traditionnelle de la « ferme familiale ». Pour cette raison, même si la biotechnologie peut aider à résoudre les conflits entre l’environnement et l’agriculture, la plupart des législateurs préfèrent garder leurs distances.

Quatre sujets ont été discutés à l’atelier : la façon dont la biotechnologie peut aider l’agriculture à répondre aux besoins des consommateurs (au moyen de normes nationales de consommation, d’étiquetage et d’accès à l’information); la nécessité pour les universités de maintenir leur indépendance et d’entreprendre des recherches non commerciales; l’accessibilité de la technologie (un système de brevets conçu pour le bien commun, l’augmentation des forums de discussion et le renforcement du système de recherche dans le secteur public); et l’établissement de normes pour la durabilité, la santé et la sécurité, les considérations socio-économiques et l’équité.

TROISIÈME ATELIER : La biotechnologie agricole et l’interdépendance globale

On a expliqué qu’à l’échelle mondiale, les stocks de grains n’ont jamais été si bas depuis 1962. Plusieurs comptent beaucoup sur la biotechnologie pour aider à soutenir la population du monde, mais la majeure partie des fonds au développement viennent du secteur privé. Les facteurs en jeu semblent être l’équité, les droits et l’accessibilité, l’interaction entre les institutions et la biosécurité et les études d’impact socio-économique. Il faut mettre sur pied une entité pour aider à résoudre les questions de la propriété intellectuelle, adopter des outils pour faciliter les recoupements et la récupération des données et créer un meilleur système pour contrôler les répercussions et l’acceptabilité des techniques et la répartition de la richesse.

QUATRIÈME ATELIER : La gérance de l’environnement et la biotechnologie agricole

Deux types d’erreur sont dangereuses pour l’environnement : un mauvais choix de technologie et une mauvaise application de la technologie. Les scientifiques cherchent à définir des critères d’évaluation pour protéger la biodiversité et améliorer la qualité du sol et de l’eau. L’éducation joue un rôle important dans la gérance de l’environnement, tout comme la recherche à long terme sur l’évaluation des risques écologiques. On a recommandé l’adoption de mesures fiscales pour financer la recherche.

SÉANCE PLÉNIÈRE DE CLÔTURE

Les participants ont indiqué qu’il faut garder un sens de la mesure quand on évalue les risques, mais aussi les avantages de la biotechnologie agricole qui, d’après eux, est une étape dans le développement de l’agriculture. Ils ont souligné que les autorités ont besoin d’information scientifique, non d’opinions émotives. Ils ont insisté sur l’importance du dialogue et de la consultation. Depuis la fondation du NABC, l’accent a de plus en plus été mis sur l’accès à l’information et la participation du public, pour que le développement de la biotechnologie soit toujours respectueux de l’intérêt public. Les participants ont indiqué qu’il faut maintenant aller plus loin que la parole et produire des résultats concrets.