Direction de la recherche parlementaire


PRB 98-8F

HISTORIQUE

Rédaction :
Mollie Dunsmuir
Division du droit et du gouvernement
Décembre 1998


Généralités

Lorsque les Européens ont commencé à explorer le Nouveau Monde, ils ont constaté que les Autochtones y fumaient des feuilles de tabac et que, apparemment, ils en tiraient des bienfaits thérapeutiques et du plaisir. Au XVIIe siècle, des médecins européens prescrivaient le tabac sous diverses formes à des fins médicinales. Même après qu’on eut constaté que ces « remèdes » étaient inefficaces, le tabac a continué de gagner en popularité. Au XXe siècle, la cigarette et la pipe ont été associés au raffinement, au loisir et à l’affluence; les films et la publicité ont aidé à populariser la consommation de tabac et à lui donner des connotations de prestige. Traditionnellement, le tabac a été associé à la masculinité; les publicitaires ont toutefois commencé il y a quelques décennies à exploiter avec succès le marché féminin. Ce n’est que récemment, lorsque des liens ont été établis entre divers problèmes de santé et le tabac, que la popularité de ce produit a commencé à fléchir dans les pays industrialisés de l’Ouest.

Des rapports établissant un lien entre la cigarette et le cancer ont commencé à paraître dans les années 20, mais ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les décès dus au cancer du poumon sont devenus si nombreux que des études de suivi systématiques ont été entreprises. Les efforts des chercheurs en vue d’établir un lien de cause à effet ont été compliqués par le fait que les effets délétères les plus graves de la cigarette peuvent mettre dix ans ou plus à se manifester. Au début des années 60, toutefois, on constatait que les risques de cancer du poumon étaient notablement plus élevés pour les fumeurs de cigarettes que pour les non-fumeurs, tout comme les risques de maladies coronariennes et d’accidents cérébrovasculaires. En 1962, le Royal College of Physicians de Londres a fait connaître les preuves qui s’accumulaient au sujet des effets préjudiciables du tabac; Santé et Bien-être Canada l’a fait en 1963 et le ministre de la Santé (Surgeon General) des États-Unis, en 1964.

Ces quelques dernières dizaines d’années, quatre préoccupations ont motivé le lobby antitabac : les dangers du tabac pour le fumeur; les dangers de la fumée secondaire pour ceux qui doivent vivre ou travailler dans un milieu où on fume; les coûts des maladies liées à la consommation du tabac pour le système public de services de santé; et, de plus en plus, la consommation de tabac chez les jeunes et la création, de la sorte, d’une nouvelle génération qui souffrira des maladies liées à l’usage du tabac.

Les dangers du tabac pour la santé sont de mieux en mieux connus. Ainsi, la cigarette peut causer le cancer du poumon et diverses affections pulmonaires qui gênent gravement la respiration, ainsi que d’autres formes de cancer et des problèmes cardiaques. Les taux publiés des maladies et décès attribuables au tabac peuvent varier selon la méthodologie, mais dans une étude qu’il a fait paraître en 1995, Santé Canada signale que le nombre total de décès liés au tabagisme en 1991 était de 45 064 et que le nombre de ces décès, en l’an 2000, serait de 46 910(1).

Après que les résultats des recherches confirmant les effets préjudiciables de la fumée secondaire eurent été publiés, la perception de la consommation du tabac a changé considérablement. Les coûts sociaux des maladies causées par la fumée secondaire et les heures de travail perdues à cause des affections liées au tabagisme ont été signalés à l’opinion publique, et il y a eu de plus en plus de plaintes adressées aux commissions des accidents du travail et aux commissions des droits de la personne au sujet de la fumée de tabac en milieu de travail. Le tabagisme a été perçu de plus en plus comme socialement inacceptable, et beaucoup ont jugé qu’il devait faire l’objet d’une intervention du gouvernement et être réglementé parce qu’il constitue un risque sérieux pour la santé.

Cependant, les recherches sur les effets de l’inhalation de fumée secondaire ne font toujours pas l’unanimité; dans un rapport publié en 1995 par le Service de recherche du Congrès, il est signalé que, même si le ministre de la Santé et l’Agence de protection environnementale (Environmental Protection Agency) des États-Unis croient que le tabagisme passif entraîne un risque faible mais réel de cancer du poumon, cette conclusion est contestée par l’industrie, certains chercheurs et d’autres personnes(2).

Comme les estimations des décès et maladies liés au tabagisme étaient à la hausse, on s’est préoccupé de plus en plus des coûts de la consommation de tabac pour la société. Aux États-Unis, les gouvernements d’un certain nombre d’États, ainsi que la Blue Cross et la Blue Shield, ont intenté des poursuites contre les fabricants de tabac pour tenter de recouvrer les coûts occasionnés aux services de santé publics par la cigarette. Au moins un gouvernement provincial a légiféré en ce sens(3).

Comme il en va de la plupart des aspects de la consommation de cigarettes, les estimations des coûts pour les services de santé publics varient énormément. Dans une étude de 1997(4), Santé Canada a constaté que les coûts attribuables au tabagisme en 1991 au Canada avaient été les suivants : 2,5 milliards de dollars en soins de santé, 1,5 milliard au titre des soins en établissement, deux milliards de dollars en raison à l’absentéisme des travailleurs, 80 millions à cause des incendies et 10,5 milliards en perte de revenus à venir occasionnée par les décès prématurés. Cependant, comme d’autres commentateurs le font observer, les personnes touchées contribuent à financer le système de santé par leurs impôts pendant une longue période avant que n’apparaissent les maladies liées au tabagisme, et les décès prématurés attribuables au tabac ont pour effet de réduire certaines dépenses que l’État devrait normalement assumer(5).

De plus en plus, les préoccupations de la société portent sur le tabagisme chez les jeunes, qui est en progression, comme on le reconnaît largement, surtout chez les adolescentes; les recherches donnent à penser que, plus on commence à fumer jeune, plus il est difficile de s’affranchir de la dépendance à la nicotine. L’accent des lois antitabac se déplace de plus en plus vers la prévention du tabagisme chez les adolescents par l’information, une hausse des prix et des restrictions imposées à la publicité sociétale.

Chronologie des faits concernant le tabac au Canada jusqu’en 1985

1670 : Le Conseil souverain de la Nouvelle-France impose des droits sur le tabac.

1676 : Il est interdit aux habitants de la Nouvelle-France de fumer dans les rues et d’y transporter du tabac.

1739 : Le Canada exporte du tabac en France.

1858 : MacDonald Tobacco voit le jour à Montréal.

1878 : La Chambre des communes rejette une résolution visant à abolir les taxes sur le tabac.

1891 : La Colombie-Britannique interdit la vente de tabac aux mineurs; son exemple est suivi par l’Ontario et la Nouvelle-Écosse en 1891, le Nouveau-Brunswick en 1893 et les Territoires du Nord-Ouest en 1896.

1906 : Le ministère fédéral de l’Agriculture met sur pied la Direction générale du tabac.

1908 : La Loi sur la répression de l'usage du tabac chez les adolescents rend illégale la vente de produits du tabac à quiconque a moins de 16 ans.

1912 : Imperial Tobacco, établie en 1908 par la fusion de l’American Tobacco Company et de l’Empire Tobacco Company, est constituée en société.

1914 : Le comité spécial des maux de la cigarette de la Chambre des communes tient des audiences publiques.

1927: La première publicité canadienne montrant une femme qui fume une cigarette paraît dans la Montreal Gazette.

1950 : Des études épidémiologiques de grande envergure montrant un lien statistique entre le cancer du poumon et le tabagisme sont publiées.

1952 : Le gouvernement fédéral réduit les taxes sur le tabac pour réagir à une augmentation de la contrebande de cigarettes.

1954 : L’Association médicale canadienne publie son premier avertissement sur les dangers de la cigarette.

1957 : La Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune est mise sur pied.

1961 : Publication des résultats d’une importante étude de Santé et Bien-être social, amorcée en 1954, sur les effets de la cigarette chez les anciens combattants canadiens; on signale qu’il y a 60 p. 100 plus de morts chez les fumeurs de cigarette que chez les non-fumeurs, et un lien est établi entre la consommation de cigarettes et une augmentation des cas de cancer du poumon et de maladies cardiaques.

1962 : Un rapport du Royal College of Physicians à Londres expose les faits établis par les recherches concernant les conséquences nocives du tabac.

1963 : La ministre fédérale de la Santé, Judy LaMarsh, attire l’attention sur le lien entre la consommation de cigarettes et le cancer du poumon, les maladies coronariennes et la bronchite chronique.

Le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac est mis sur pied.

1964 : Un rapport du Comité consultatif présenté au ministre de la Santé des États-Unis conclut que le cancer du poumon et la bronchite chronique sont des conséquences médicales du tabagisme.

L’industrie canadienne du tabac adopte son premier code volontaire sur les pratiques de commercialisation.

1965 : Le ministère fédéral de la Santé nationale et du Bien-être social commande une enquête nationale sur la consommation de tabac.

1967 : Le Cabinet fédéral approuve la rédaction de mesures législatives exigeant qu’on indique sur les paquets de cigarettes et dans la publicité la teneur des produits en goudron et en nicotine; cependant, aucun projet de loi n’est présenté.

1969 : Un rapport du Comité de la santé, du bien-être et des affaires sociales des Communes (rapport Isabelle) formule des recommandations sur les restrictions à la publicité et à la promotion des produits du tabac.

1970 : Dans sa première résolution antitabac, l’Assemblée mondiale de la santé exhorte les gouvernements à lutter contre le tabagisme, considéré comme une cause de décès qu’on peut éviter.

1971 : Le gouvernement présente le projet de loi C-248 prévoyant l’interdiction de la publicité sur la cigarette; cependant, le projet de loi n’est pas débattu. L’industrie du tabac et le gouvernement s’entendent sur des lignes directrices d’application volontaire.

1974 : Le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé et l’Association pour les droits des non-fumeurs sont fondés.

1976 : La ville d’Ottawa adopte le premier règlement municipal interdisant la cigarette dans les lieux publics.

1978 : Imasco fait l’acquisition de Shoppers Drug Mart.

1979 : Une gomme à mâcher à la nicotine est mise en vente au Canada sur ordonnance.

1985 : La Stratégie nationale de lutte contre le tabagisme est mise en place, avec la participation des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et de huit organisations du secteur de la santé.

L’organisme Médecins pour un Canada sans fumée voit le jour.

Le Conseil du Trésor annonce des lignes directrices d’application facultative pour les fonctionnaires fédéraux sur la cigarette en milieu de travail.


(1) Larry F. Ellison, Yan Mao et Laurie Gibbons, « Projection de la mortalité imputable au tabagisme au Canada, 1991-2000 », in vol. 16, Maladie chroniques au Canada (1995), à l’adresse suivante : http://www.hc-sc.gc.ca/hpb/lcdc/publicat/cdic/cdic162/cd162c_f.html.

(2) C. Stephen Redhead et Richard E. Rowberg, CRS Report for Congress, « Environmental Tobacco Smoke and Lung Cancer Risk », 14 novembre 1995, à l’adresse : http://www.forces.org/evidence/files/crs11-95.htm.

(3) « Tobacco Facts: B.C. Fights Back », à l’adresse http://www.tobaccofacts.org/govt-legalteam.html.

(4) Murray J. Kaiserman, « Le coût du tabagisme au Canada, 1991 », vol. 18, Maladies chroniques au Canada (1997), à l’adresse http://www.hc-sc.gc.ca/hpb/lcdc/publicat/cdic/cdic181/cd181c_f.html.

(5) Jane G. Gravelle et Dennis Zimmerman, « Cigarette Taxes to Fund Health Care Reform: An Economic Analysis », 8 mars 1994, à l’adresse http://www.forces.org/.