Direction de la recherche parlementaire


PRB 99-1F

VUE D’ENSEMBLE

Rédaction :
Lyne Casavant
Division des affaires politiques et sociales
Janvier 1999


Le phénomène des sans-abri ne se limite pas aux pays les plus pauvres du monde. En effet, force est de constater que se trouver sans abri pendant une période plus ou moins longue est le lot de plusieurs personnes vivant dans tous les pays, y compris ceux qu’on estime être les plus riches de la planète(1). Ce phénomène ne résulte pas non plus nécessairement de catastrophes d’origine naturelle ou humaine. De nombreuses études ont en effet révélé que les événements susceptibles de mener des gens à faire partie du monde des sans-abri sont nombreux et diversifiés. D’ailleurs, de nos jours, se trouver sans abri est une réalité pour beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont des histoires de vie fort différentes. Il ne s’agit pas par ailleurs d’un phénomène nouveau. De toute évidence, au cours de l’histoire, des personnes n’ont pas été en mesure de se loger convenablement pendant des périodes variables et pour de multiples raisons. Cependant, depuis les années 80, le phénomène s’accentue, et la population touchée par ce dernier est de plus en plus diversifiée(2).

De plus en plus d’individus sont touchés par l’itinérance

À cet égard, les plus récentes estimations concernant l’ampleur du phénomène de l’itinérance qui ont été publiées par des organisations internationales sont alarmantes. À l’échelle mondiale, on estime que plus d’un milliard d’individus sont mal logés et que 100 millions d’entre eux vivent littéralement dans la rue. De plus, selon les informations contenues dans le rapport de l’UNICEF, toutes les nuits, 850 000 personnes sont sans abri en Allemagne et 750 000, aux États-Unis et dans la plus grande ville canadienne, Toronto, les hébergements d’urgence destinés aux sans-abri ont accueilli, chaque nuit de l’année 1997, 6 500 personnes(3).

Les experts s’entendent par ailleurs pour dire que la population des sans-abri, outre le fait qu’elle ne cesse de croître en nombre, a subi, depuis une vingtaine d’années, d’importantes modifications en ce qui a trait à ses caractéristiques. En ce qui concerne plus particulièrement la situation observée en Amérique du Nord, soulignons l’augmentation importante et croissante, dans le groupe des itinérants, du nombre de femmes(4), de jeunes(5), de familles(6), de personnes affectées de troubles mentaux(7), de nouveaux immigrants(8), et de membres de différentes communautés ethniques, plus spécifiquement de la communauté autochtone au Canada(9).

L’année 1987 : un tournant dans la recherche sur les sans-abri

Depuis la déclaration de l’Année internationale du logement des sans-abri par les Nations Unies en 1987, le phénomène a retenu l’attention d’un grand nombre de chercheurs et d’intervenants sociaux. Des efforts dans le domaine de la recherche, de l’intervention et des politiques ont d’ailleurs marqué les années qui ont suivi cette reconnaissance publique de l’itinérance. À cet égard, la prolifération d’écrits sur le sujet constitue sans doute l’un des signes tangibles de cette reconnaissance. Après avoir procédé à l’inventaire des articles scientifiques publiés sur le sujet de 1980 à 1993 dans trois index signalétiques informatisés (Sociofile, Psyclit et Medline), des chercheuses de l’université du Québec à Montréal ont montré que 91 p. 100 des 1 214 articles publiés au cours de la période à l’étude l’avaient été depuis 1987(10).

En général, ces études ont permis aux experts de modifier leur façon de se représenter les sans-abri et de rendre compte de la complexité du problème, qui, pendant longtemps, a été associé presque exclusivement à l’abus d’alcool(11). Aujourd’hui, d’ailleurs, force est de constater que l’image traditionnelle du sans-abri, c’est-à-dire celle d’un groupe relativement homogène, composé d’hommes d’âge mur, alcooliques et vaguement délirants, est périmée et que l’abus d’alcool n’est pas la seule cause menant à l’itinérance.

Les connaissances sur les sans-abri s’appuient sur un nombre considérable d’études et de recherches. Cependant, les positions soutenues par les experts sont tout aussi nombreuses que les solutions avancées pour freiner la croissance du phénomène. Il n’existe aucun consensus ni sur l’ampleur du phénomène, ni sur sa composition, ses causes et ses remèdes. D’ailleurs, bien que les facteurs explicatifs de l’itinérance se multiplient, et surtout, se complexifient au rythme de l’approfondissement des connaissances sur le sujet, le poids relatif qu’il faut allouer à ces différents facteurs, soit la pauvreté, le manque de logements à prix modique, l’usage de drogues, la maladie mentale, etc., fait l’objet de vifs débats. Cette situation explique certainement pourquoi malgré l’ampleur des études sur le sujet, un grand nombre de personnes partagent un sentiment d’ignorance face au phénomène dans son ensemble et aux mesures à mettre de l’avant afin de l’enrayer(12).

Objectifs du document

Dans le présent document modulaire, nous ne prétendons aucunement faire le tour de la question des sans-abri. Notre objectif premier est de présenter les principales caractéristiques de la population des sans-abri au Canada et de proposer une synthèse des principaux éléments d’explication du phénomène.

Plusieurs aspects du phénomène des sans-abri sont brièvement présentés dans les modules qui suivent. Nous traitons d’abord de la définition des sans-abri ainsi que des enjeux méthodologiques et politiques associés aux choix de telle ou telle définition; nous nous penchons ensuite sur les problèmes de dénombrement de la population itinérante, sur les conditions de vie des sans-abri et, plus particulièrement, sur l’impact de ces conditions sur leur santé; nous examinons enfin le lien existant entre les sans-abri, la prison et la maladie mentale ainsi que les mesures parlementaires mises de l’avant pour tenter de freiner la croissance du phénomène.

Le document porte plus particulièrement sur la situation qui existe au Canada. Nous y présentons donc quelques statistiques canadiennes concernant l’ampleur du phénomène et sa composition.

Tout au long des pages qui suivent, nous allons voir qu’à partir des années 80, l’état de sans-abri a été de plus en plus associé à des dangers multiples en matière de criminalité, de santé publique et d’économie. Nous verrons que ces préoccupations, parce qu’elles tendent à dicter les interventions réservées aux sans-abri, contribuent à l’augmentation du contrôle social de cette population. Ce contrôle social accru, qui se traduit dans bien des cas par une réglementation de l’espace public, favorise les prises en charge pénale des sans-abri et contribue, par conséquent, à renforcer cette image deviante des sans-abri. Certains auteurs soutiennent d’ailleurs qu’en criminalisant les conditions de vie des personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté, on contribue grandement à leur marginalisation sociale.


(1) Pour rendre compte de cette problématique les Nations Unies parlent en terme de « détresse au cœur de l’abondance ».

(2) Bien qu’il soit difficile de dénombrer les sans-abri, différents indicateurs permettent d’avancer que le phénomène est en croissance au Canada depuis les années 80 et qu’il touche un plus large segment de la population. Soulignons à ce titre, l’apparition dans les centres d’hébergement et les soupes populaires destinés aux sans-abri de plusieurs groupes qui ne fréquentaient pas ces lieux auparavant ainsi que les surcharges dans les centres d’hébergement et l’augmentation constante de la demande de services dans ce domaine.

(3) Il est possible d’avoir accès au rapport de l’UNICEF intitulé Le progrès des Nations 1998 à l’adresse suivante : http://www.unicef.org.

(4) Sylvia Novac, Joyce Brown et Carmen Bourbonnais, Elles ont besoin de toits : Analyse documentaire sur les femmes sans-abri, Société canadienne d’hypothèques et de logement, 1996; Claudine Mercier, « L’itinérance chez la femme », Revue québécoise de psychologie, vol. 9, no 1, 1988, p. 79-93.

(5) J. R. Wolch et S. Rowe, « On the Streets: Mobility Paths of the Urban Homeless », City and Society, vol. 6, no 2, 1992, p. 115-140.

(6) K. Y. McChesney, « Absence of a Family Safety Net for Homeless Families », Journal of Sociology and Social Welfare, vol. 19, no 4, 1992, p. 55-72.

(7) A. K. Wuerker, « Factors in the Transition to Homelessness in the Chronically Mentally Ill », Journal of Social Distress and the Homeless, vol. 6, no 3, 1997, p. 251-260.

(8) Danielle Laberge, Marie-Marthe Cousineau, Daphné Morin et Shirley Roy, De l’expérience individuelle au phénomène global : configuration et réponses sociales, Montréal, Les cahiers de recherche du Collectif de recherche sur l’itinérance, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, 1995.

(9) Mary Ann Beavis, Nancy Klos, Tom Carter et Christian Douchant, Étude documentaire : les Autochtones sans abri, Société canadienne d’hypothèques et de logement, 1997; Commission royale sur les peuples autochtones, Les peuples autochtones vivant en milieu urbain, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1995; Société canadienne d’hypothèques et de logement, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada », Le point en recherche et développement : Série socio-économique, no 27, août 1996.

(10) Danielle Laberge, Marie-Marthe Cousineau, Daphné Morin et Shirley Roy, De l’expérience individuelle … (1995).

(11) G. Barak, Grimme Shelter, A Social History of Homelessness in Contemporary America, New York, Praeger Publisher, 1992, p. 6.

(12) Anne Golden, « The Faces of the Homeless », Globe & Mail, 28 mai 1998.

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