BP-458F

 

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE :
CONDITIONS, PRINCIPES ET ENJEUX

 

Rédaction :
Jean-Luc Bourdages
Division des sciences et de la technologie
Juillet 1997


 

RÉSUMÉ

Le développement durable est devenu une réalité incontournable de l’intégration économique à tous les niveaux. L’adhésion de la majorité des États à la notion du développement durable renforce la nécessité et la légitimité d’agir rigoureusement en matière d’environnement.

La perspective de l’intégration économique des Amériques n'est pas sans poser des défis de taille en matière de gestion durable de l'environnement et des ressources naturelles. La mise en oeuvre du développement durable suppose d'abord le respect de conditions - démocratie, autonomie, équité, interdépendance, imputabilité et responsabilisation - et de principes fondamentaux - intégration de l'environnement et de l'économie; préservation de la diversité biologique et conservation des ressources naturelles; précaution, prévention et évaluation; concertation, partenariat et participation; et éducation, formation et sensibilisation.

D'ores et déjà, les États des Amériques se sont dotés d'un Plan d’action pour le développement durable des Amériques qui s’appuie largement sur ces conditions et principes fondamentaux. Le plan présente des engagements précis sous la forme d’initiatives détaillées relativement à la plupart des enjeux à la source des problèmes environnementaux. Parce qu’ils se trouvent entre la population et le pouvoir décisionnel, les parlementaires peuvent jouer un rôle de premier plan dans la mise en oeuvre du développement durable des Amériques. Ils sont parmi les mieux placés pour devenir de véritables ambassadeurs du développement durable et les principaux intermédiaires entre les collectivités locales et les décideurs, pour faciliter le flux de l’information, la concertation et la médiation et pour voir de près à la réalisation des objectifs dans ce domaine.


TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : CONDITIONS ET PRINCIPES FONDAMENTAUX

   A. Rappel de la notion de développement durable

   B. Les conditions fondamentales du développement durable
      1. Démocratie
      2. Autonomie
      3. Équité
      4. Interdépendance
      5. Imputabilité et responsabilisation

   C. Les principes généraux du développement durable
      1. Intégration de l’environnement et de l’économie
      2. Préservation de la diversité biologique et conservation des ressources naturelles
      3. Précaution, prévention et évaluation
      4. Concertation, partenariat et participation
      5. Éducation, formation et sensibilisation

ENJEUX ET ENGAGEMENTS

LES PARLEMENTAIRES ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

CONCLUSION


 

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE :
CONDITIONS, PRINCIPES ET ENJEUX*

INTRODUCTION

La libéralisation et l’accroissement des échanges, la mondialisation des marchés et l’intégration économique des pays ne sont pas sans engendrer d’importants changements, de nature à la fois structurelle et conjoncturelle, en ce qui touche l’organisation et le fonctionnement des États. L’interdépendance croissante de ces derniers ne se limite pas seulement au commerce et à l’investissement mais affecte aussi leurs obligations aux plans social et environnemental. Nul doute qu’aujourd’hui commerce et environnement sont étroitement liés.

Les préoccupations du public à l’endroit de son milieu de vie et de l'environnement en général, juxtaposées aux pressions des groupes environnementaux, font en sorte que les États doivent agir de concert pour bien gérer et protéger l'environnement et les ressources naturelles. L’adhésion de la majorité d’entre eux à la notion du développement durable, surtout dans la foulée du Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992 et de la ratification des Conventions sur les changements climatiques et la biodiversité, renforce la nécessité et la légitimité d’agir rigoureusement en matière d’environnement. Toutefois, la perspective de l’intégration économique, notamment à l’échelle des Amériques, ne sera pas sans poser des défis de taille en matière de concertation dans les domaines de l'environnement et des ressources naturelles.

Dans le présent document, nous visons principalement à mettre en relief le rôle possible des parlementaires dans la mise en oeuvre de la notion de développement durable dans leur propre pays et dans le contexte de l’intégration des Amériques. Nous traitons d’abord de certaines considérations générales du développement durable, particulièrement en regard des conditions fondamentales et des grands principes qui le sous-tendent. Nous décrivons ensuite les principaux enjeux de nature globale et locale susceptibles d’être liés à l’intégration des Amériques et faisons état des engagements énoncés dans la Déclaration de Santa Cruz de la Sierra, qui a fait suite à la Conférence des Amériques tenue à Miami en 1994. C’est dans ce contexte que sont abordés le rôle et la participation des parlementaires à l’intégration prochaine des Amériques.

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : CONDITIONS ET
PRINCIPES FONDAMENTAUX

   A. Rappel de la notion de développement durable

La notion de développement durable sous-tend, au départ, l'intégration des questions environnementales aux impératifs du développement économique afin de répondre aux besoins immédiats des populations sans pour autant mettre en péril les aspirations des générations futures. Son acception s'est toutefois élargie pour intégrer les idées d'équité et d'interdépendance, non seulement entre les générations, mais entre les pays et les peuples de la Terre. De même, cette notion d'interdépendance s'applique aux environnements social, culturel, économique et naturel, dont le développement harmonieux est essentiel au bien-être de l'humanité et à la nature.

La mise en oeuvre du développement durable ne peut que s'inscrire dans une perspective à long terme. Cependant, son application ne saurait se faire en fonction d'une planification réactive, mais plutôt selon les principes d'une planification et d'une gestion pro-actives et stratégiques. Il est donc indispensable de se doter, à tous les niveaux de participation et de décision, de principes clairs assortis d'objectifs et de mesures précis qui s’inscrivent dans une démarche à long terme et tiennent compte de la capacité d'agir et de payer des pays.

   B. Les conditions fondamentales du développement durable

Bien que le développement durable vise l'intégration des préoccupations sociales et environnementales aux décisions à caractère économique, sa mise en oeuvre nécessite l'adhésion à différents principes généraux que nous pouvons assimiler à des conditions fondamentales de sa réussite. Celles-ci sont ni plus ni moins que les grands principes qui règlent la vie en société et les relations entre les États et les nations. Au nombre de cinq, elles intègrent plusieurs concepts sous-jacents, eux aussi jugés essentiels à la réalisation du développement durable.

      1. Démocratie

Même s'il ne faut pas absolument lier développement durable et démocratie, il n'en demeure pas moins que l'idée de développement durable peut difficilement être véhiculée et appliquée en l'absence de démocratie véritable. En effet, il apparaît difficile de concevoir comment assurer les besoins présents dans une perspective d'équité et sans compromettre l'avenir des générations futures si, en toile de fond, on ne dispose pas des mécanismes et des institutions permettant la participation de tous. Pour paraphraser la Commission Brundtland, qui a si bien lancé la réflexion sur ce sujet(1), le développement durable n'est-il pas l'affaire de tous et l'avenir de tous?

Ainsi, tout individu, d'où qu'il soit, peut légitimement aspirer à un air et à une eau de qualité, à une nourriture suffisante, à un toit confortable, à un travail gratifiant, tout cela dans une atmosphère de paix et de respect de la différence et de la diversité. En parallèle, il doit pouvoir assurer la protection et la survie de son patrimoine, tant naturel que culturel. Bref, tout être humain jouit d'un droit fondamental à un cadre de vie de qualité et à un environnement sain. Par démocratie, il faut entendre le respect, non seulement des droits individuels, mais aussi des droits collectifs, en particulier ceux des femmes et des premiers peuples, de participer activement et pleinement à la quête d'un développement durable.

      2. Autonomie

Si le développement durable doit se réaliser dans un contexte démocratique, il est aussi nécessaire, dans cette démarche, de respecter l'autonomie des États, des peuples et des ethnies dans leurs choix de développement. Cela ne signifie pas pour autant que les États doivent fonctionner en vase clos. Au contraire, ils doivent adopter une vision globale du développement et de sa planification, en participant activement aux forums et processus à caractère international où sont déterminés de façon concertée les grands objectifs communs de développement durable.

Cela n'exclut pas, non plus, l'établissement de normes environnementales communes à l'échelle internationale, bien que chaque État puisse se doter de normes nationales qui respecteront les grands objectifs communs. Il importe, à cet égard, de respecter un principe selon lequel la protection de l'environnement constitue pour les États une responsabilité commune mais différenciée, dans la mesure où l'élaboration et l'application de ces normes par les pays moins développés respecte, à la fois, leur capacité et leurs limites d'intervenir et d'assumer les coûts afférents, et leurs responsabilités à l'endroit d'un problème environnemental.

En parallèle, il faut reconnaître qu'il existe, dans ces pays, un potentiel certain de compétence et de savoir-faire qui demeure souvent peu exploité en l'absence de structures de soutien appropriées. Interviennent dès lors les besoins accrus d'entraide, de coopération et de transfert du savoir et de « technologies propres », éléments qui découlent directement de cette interdépendance des pays dans la mise en oeuvre d'un développement durable.

     3. Équité

La notion d'équité est au coeur de toute la question du développement durable. Cette notion repose à la base sur la reconnaissance du caractère mondial et commun de l'environnement planétaire et sur la nécessité d'en partager les ressources dans une perspective de pérennité. En matière de développement durable, la question de l'équité doit être transposée à trois niveaux. En effet, il faut viser à établir l'équité au sein des populations ou États, entre les populations ou États et entre les générations.

L'objectif d'équité à l'intérieur même d'une population ou d'un État est essentiellement de combler les besoins de tous et d'améliorer la qualité de vie par le biais d'une meilleure répartition de la richesse. Quoi qu'on en pense souvent, cet objectif ne concerne pas uniquement les pays les plus démunis, mais aussi les sociétés occidentales, où les disparités ont eu tendance à s'accroître au cours de la dernière décennie.

À un autre niveau, les effets néfastes du sous-développement et les disparités évidentes entre les pays développés et ceux qui le sont moins, montrent que le développement durable ne peut se réaliser sans une réduction des écarts entre les pays riches et les pays pauvres, donc sans une lutte acharnée à la pauvreté. C'est d'ailleurs en ce sens que le développement durable ne peut être abordé uniquement dans sa perspective environnementale, surtout dans les pays du Sud, où il doit être atteint par l'accélération du développement.

Enfin, l'un des plus grands défis du développement durable demeure sans doute cet objectif d'équité entre les générations. Dans les termes de la Stratégie pour l'Avenir de la Vie :

Chaque génération devrait avoir à coeur de laisser derrière soi un monde au moins aussi riche et productif que celui dont elle a hérité. Le développement d'une société ou d'une génération ne doit pas s'exercer au détriment de celui des autres sociétés ou générations(2).

Encore à ce niveau, certains choix de développement devront être faits, choix qui exigeront bien souvent de nouvelles approches, ainsi que des attitudes et des comportements différents.

      4. Interdépendance

Découlant de la notion d'équité, la notion d'interdépendance devient une autre condition fondamentale du développement durable dans la mesure où l'intérêt commun ne peut être respecté que par le biais de la coopération internationale. Avec l'industrialisation, l'amélioration des capacités techniques et la mondialisation des échanges et du commerce, l'interdépendance, même locale, n'a fait que s'accentuer, entraînant son lot de problèmes, comme la perte de droits traditionnels sur certaines ressources et la poussée de la production commerciale, sinon industrielle, avec en corollaire une réduction du pouvoir décisionnel des communautés locales et des individus. Mais, l'interdépendance déborde de son cadre local et régional pour prendre aujourd'hui un caractère mondial, particulièrement en regard des problèmes environnementaux qui affectent la biosphère.

Cette interdépendance des individus et des collectivités exige au départ la reconnaissance de l'intérêt commun face à l'environnement, pour que chaque décision et chaque action soient mises de l'avant en toute connaissance de ses répercussions sur l'environnement et le mieux-être d'autrui. Plus que toute autre chose, l'interdépendance repose sur la capacité d'entraide et de coopération à tous les niveaux d'intervention, de l'échelle locale à l'échelle internationale. Bien que la coopération internationale dans le domaine de l'environnement se soit accentuée au cours de la dernière décennie, il demeure que plusieurs aspects doivent encore être réexaminés et réorientés dans l'optique du développement durable.

     5. Imputabilité et responsabilisation

L'intérêt qu'ont tous et chacun de préserver l'environnement et d’en faire une utilisation durable fait, qu'au départ, tous les États ont la responsabilité de préserver et de restaurer l'environnement et de se développer en conséquence, sans faire de tort à leur propre environnement et à celui d'autrui. Ils doivent donc tous participer activement et être solidaires dans cette cause. Par ailleurs, la notion d'équité, selon qu'elle s'applique aux pays et aux nations ou aux générations et aux individus, suggère que les responsabilités de chacun peuvent être différentes et complémentaires, en fonction des besoins propres à chacun. Ainsi, ces responsabilités pourront varier proportionnellement à l'ampleur des préjudices à l'environnement et selon les capacités de chacun d’intervenir et de limiter ces atteintes. D'autre part, dans le contexte de la mondialisation des échanges et des problèmes d'environnement, il est primordial que l'on puisse lier les bénéfices économiques et les répercussions environnementales d'une activité commerciale donnée, de sorte que les responsabilités de chaque intervenant soient reconnues, c'est-à-dire que chacun soit imputable de ses actions. Certains ont soutenu que la question de l'imputabilité et, par le fait même, de la responsabilisation de tous et chacun, peut assurer une certaine redistribution des bénéfices dans la mesure où des compensations peuvent être établies, par exemple pour l'usage des ressources naturelles ou pour les impacts subis par l'environnement. C'est peut-être par une telle voie que les pays plus nantis peuvent davantage contribuer au développement durable des pays moins nantis et prendre une part active dans la résolution des problèmes d'environnement.

La responsabilité collective et individuelle de gérer durablement l'environnement et les ressources naturelles doit tenir compte à la fois des générations actuelles et des générations futures. Privilégier la responsabilisation des intervenants, c'est en même temps encourager le principe d'intendance, c'est-à-dire compter sur un représentant des générations actuelles et futures qui agit comme le « gardien » des ressources naturelles et de l'environnement.

   C. Les principes généraux du développement durable

Outre les cinq conditions fondamentales qu’il est nécessaire de remplir pour assurer la réalisation du développement durable, il est aussi possible de définir cinq grands principes qui sous-tendent tout autant la mise en oeuvre de cette notion. Ces principes ont, plus que les conditions susmentionnées, trait à la définition même du développement durable.

      1. Intégration de l'environnement et de l'économie

De toute évidence, environnement et économie sont étroitement liés. Plus qu'un simple principe, ce maillage est une nécessité pour le développement durable. À ce titre, divers instruments ou politiques économiques peuvent favoriser le développement durable, ou à tout le moins conduire à une utilisation plus environnementale des ressources. Ces instruments ou politiques, par exemple l’approche pollueur-payeur ou consommateur-payeur, peuvent être orientés autant vers les producteurs que vers les consommateurs et les contribuables, et permettre au marché de fixer correctement le coût global de l'utilisation des ressources. Toutefois, pour que la valeur réelle des ressources naturelles soit prise en compte, il faut souvent que les producteurs et les agents économiques changent d'attitude. Il n'est donc pas exclu que des incitations fiscales ou d'autres instruments économiques soient nécessaires pour favoriser cette fusion de l'environnement et de l'économie.

L’intégration de l’environnement et de l’économie est autant à l’avantage des pays moins nantis qu’à celui de ceux qui le sont plus car, si les modèles de production respectent à la fois les règles économiques et environnementales, il peut y avoir un meilleur équilibre des avantages comparés de production. Il peut aussi s’ensuivre un assouplissement des règles du commerce mondial, ce qui permet aux pays moins nantis de prétendre à un meilleur développement économique.

Certains indicateurs économiques traditionnels peuvent aussi servir de balises pour l'évaluation du degré d'intégration de l'économie et de l'environnement. Nous pensons ici notamment au Produit intérieur brut et au revenu per capita, ou encore à des indicateurs plus globaux qui prennent en considération les aspects sociaux, comme par exemple l'indicateur de développement humain qui comprend la longévité, le niveau d'instruction et le revenu, ou enfin des indicateurs strictement environnementaux comme la qualité de l'eau, l'utilisation des sols, etc.

      2. Préservation de la diversité biologique et conservation des ressources naturelles

La réalisation du développement durable suppose que l'on puisse préserver la diversité biologique, maintenir les processus écologiques et les systèmes entretenant la vie, et utiliser de façon durable les espèces et les écosystèmes. C'est donc dire qu'un développement basé sur la conservation des ressources nécessite le recours à des mesures énergiques qui permettront de protéger la structure, les fonctions et la diversité des systèmes naturels dont dépend la vie.

Ces mesures doivent viser les espèces et les écosystèmes, ainsi que le patrimoine génétique qu'elles recèlent. Conséquemment, les limites et la capacité de renouvellement des ressources naturelles que sont les sols, les espèces sauvages et domestiques, les forêts, les pâturages et les terres agricoles, les eaux douces et les écosystèmes marins ne doivent pas être compromises. Même dans le cas des ressources non renouvelables, il faut faire en sorte de prolonger leur durée de vie en développant et utilisant des technologies plus performantes et plus propres et en privilégiant les techniques de réutilisation et de recyclage.

Tout d’abord, il faut donc changer les comportements et les attitudes des individus et des collectivités face à l'environnement et leur donner les moyens véritables de le mieux gérer. Ensuite, au niveau des États, il faut mettre en place des approches qui intègrent le développement et la conservation des ressources, sur la base d'informations et de connaissances suffisantes et par le biais d'instruments juridiques et institutionnels appropriés. Enfin, au plan international, il faut favoriser l'élaboration, l'adoption et la mise en oeuvre de conventions et protocoles relatifs à l'environnement et aux ressources naturelles.

      3. Précaution, prévention et évaluation

La précaution, la prévention et l’évaluation constituent le point de départ d'un véritable développement durable. Elles doivent faire partie intégrante de la planification et de la réalisation de tout projet de développement. Planificateurs et décideurs doivent développer le réflexe de prévoir et de prévenir les conséquences environnementales des projets.

Les mesures de protection de l'environnement actuelles sont des précautions, mais elles constituent fréquemment des baumes qui ne sont pas toujours compatibles avec le concept de développement durable, surtout dans une perspective à long terme. Reste cependant que les concepts de précaution, de prévention et d’évaluation s’avèrent difficile à inculquer parce qu'ils sont souvent éloignés de la réalité quotidienne et que leurs bénéfices se font sentir dans un avenir plus ou moins lointain. Si prévenir c'est guérir, prévoir c'est savoir, et évaluer c'est planifier, il est impératif que les États et les sociétés adoptent ces trois adages pour que le développement présent se transforme en développement durable.

      4. Concertation, partenariat et participation

L’atteinte du développement durable est devenue une responsabilité collective qui doit se concrétiser par une action conjuguée à tous les niveaux de l'activité humaine. La consultation et la concertation à tous les échelons décisionnels sont indispensables à la gestion durable des ressources des écosystèmes terrestres, aquatiques et marins. Il incombe à tous les États et à toutes les nations de collaborer de bonne foi et dans un esprit de partenariat à la mise en oeuvre de stratégies efficaces pour protéger, préserver et restaurer l'environnement. Tous doivent participer activement et faire leur juste part, compte tenu de leur capacité et des moyens dont ils disposent.

Chaque État doit accepter ses responsabilités en privilégiant des politiques et des programmes de croissance économique compatibles avec la protection de son environnement et de celui des autres. Il doit veiller à ce que soient protégés les écosystèmes qui présentent une importance particulière pour la culture et les modes de vie des populations qui en dépendent. En outre, il doit améliorer les conditions de participation des organisations non gouvernementales et des collectivités décentralisées ou locales afin de les faire participer davantage à toutes les activités concernant le développement et l'environnement.

D'autre part, les États doivent ensemble renforcer le droit international en adhérant aux conventions et protocoles existants en matière de conservation et de gestion de l'environnement et en se dotant des lois nécessaires à leur application. Ils doivent également promouvoir et élaborer de nouveaux accords ou outils jugés nécessaire à la réalisation du développement durable.

La concertation et le partenariat supposent aussi que les pays mieux nantis mettent en place des mesures d'aide financière et technique qui permettraient aux pays moins nantis d’intégrer plus facilement les questions environnementales à leurs programmes de développement. La création de fonds spécifiques à la protection et à la restauration de l'environnement mérite certainement considération.

La préservation de la diversité biologique illustre fort bien l’interdépendance des « blocs Nord et Sud » dans le nécessaire établissement de nouveaux partenariats. En effet, les principaux « centres ou foyers de diversité biologique » se situent davantage dans les pays du Sud, alors que les grands « centres de technologies ou de biotechnologies » se trouvent principalement dans les pays du Nord. C'est donc dire que pays du Sud et pays du Nord doivent être partie prenante à toutes les discussions, solutions et conventions nécessaires à la réalisation du développement durable. Tous doivent s’assurer que les mesures d'intervention soient adaptées aux réalités propres à chacun. Les pays les plus développés devront sans doute consentir les efforts nécessaires à un meilleur développement des pays moins nantis et, notamment, à une plus grande accessibilité de ces derniers aux technologies les plus appropriées.

      5. Éducation, formation et sensibilisation

La sauvegarde de l'environnement et la réalisation du développement durable dépendent non seulement de questions techniques et économiques, mais aussi de la modification des idées, des attitudes et des comportements. La participation directe des individus et des collectivités est essentielle. Tous et chacun doivent prendre pleinement conscience de leur environnement, en connaître les exigences et les limites et modifier leurs habitudes et comportements en conséquence.

Pour ce faire, les États doivent, de leur côté, élaborer des stratégies visant à mieux éduquer, informer et sensibiliser leur population en matière d’environnement et de développement durable. Par exemple, il y a lieu de privilégier l'intégration des préoccupations écologiques et environnementales dans les programmes scolaires; de sensibiliser le grand public grâce à de vastes campagnes d'information, notamment par le biais des médias; d’encourager la mise sur pied de projets verts dans les communautés locales; et d’élaborer des programmes de formation qui prônent une gestion plus avisée des ressources et l'utilisation de technologies propres.

ENJEUX ET ENGAGEMENTS

Évaluations, constats, discussions, conférences et conventions n’ont pas encore réussi à rendre la situation globale de l'environnement beaucoup plus encourageante, qu’il s’agisse de la qualité de l'air, de celle de l'eau ou de celle du sol. En effet, nombre de problèmes environnementaux subsistent à l’échelle mondiale, que ce soit la pérennité des forêts tropicales, boréales et côtières, l'avenir des forêts de plantation, le maintien de l’eau douce et sa disponibilité à long terme, les émissions responsables des changements climatiques et de l'amenuisement de la couche d'ozone ou la mauvaise gestion des ressources en général, notamment les ressources halieutiques et agricoles.

La situation de l'environnement demeure préoccupante au Canada aussi. À titre d'exemple, indiquons que le niveau de consommation d'eau des Canadiens est deux fois plus élevé que celui des Européens. Au cours des dix prochaines années, on s'attend à ce qu'il se dépense plusieurs dizaines de milliards de dollars dans l'ensemble du pays pour l'amélioration des systèmes d'adduction d'eau et d'égout. Pourtant, un effort de réduction de 50 p. 100 de la consommation d'eau, ce qui ramènerait le Canada au niveau européen, permettrait non seulement d'économiser cette somme colossale mais aussi de beaucoup réduire le traitement des effluents.

D’autre part, les Canadiens sont parmi les plus gros, voire les plus gros, producteurs de déchets per capita au monde. L’une des principales raisons pour laquelle ils produisent une si grande quantité de déchets est qu’il y a bien peu d'incitation à faire un effort pour réduire leur production de déchets solides. Pourtant, réduction à la source et récupération doivent être des éléments inhérents à la prévention de la pollution, aspect fondamental d'une saine gestion environnementale.

Les questions liées au transport posent de sérieux défis au plan environnemental. Les villes et villages du Canada ont été bâtis et aménagés essentiellement en fonction de l'automobile et du transport des marchandises par camion, si bien qu'il est parfois devenu impossible d'envisager d'autres possibilités.

Au niveau énergétique, on estime que les Canadiens surconsomment dans une proportion de l’ordre de 30 p. 100, notamment parce que le coût des diverses formes d’énergie est relativement peu élevé au Canada et en Amérique du Nord en général. Les prix demandés aux clients ne tiennent pas compte des véritables coûts de production. Parce que les coûts énergétiques ne ressortent pas vraiment de l’ensemble des frais généraux des entreprises, il demeure plus difficile d’agir à ce niveau.

Les problèmes environnementaux auxquels est confronté le Canada peuvent, dans bien des cas être transposés à l’échelle des Amériques. Ils s’ajoutent cependant à tous les problèmes d’envergure qui ne peuvent être confinés aux frontières géopolitiques des États. Même s’ils ont fait l’objet d’accords et d’engagements internationaux, les problématiques associées aux changements climatiques et à la préservation de la biodiversité soulèvent encore de grandes inquiétudes tant pour ce qui est de leurs conséquences que de la capacité des États de les surmonter. Il faut ajouter à cela les questions de pollution transfrontalière, de traitement et de transport des déchets domestiques et dangereux, de déboisement à grande échelle, ainsi que d’amenuisement des ressources alimentaires et des ressources naturelles.

Par ailleurs, l’intégration des Amériques n’est pas sans mettre en relief la dualité nord-sud qui caractérise l’ensemble du développement à l’échelle de la planète. À la base, plusieurs problèmes majeurs d'environnement résultent principalement de l'intense activité industrielle qui a caractérisé les pays du Nord au cours du présent siècle; il n'en demeure pas moins que les pays du Sud sont directement concernés par l'ampleur de ces problèmes, Ces pays subiront, comme tous les autres et parfois de façon plus marquée selon leur situation géographique, les conséquences environnementales et socio-économiques des problèmes d’importance comme le réchauffement possible du climat et la perte de biodiversité.

Il est toutefois encourageant de constater que les États des Amériques se sont montrés convaincus de l’urgente nécessité d’avancer sur la voie du développement durable en s’engageant clairement à mettre de l’avant une série d'initiatives et d’actions en ce sens. Le Plan d’action pour le développement durable des Amériques qu’ils proposent, basé sur la Déclaration de Santa Cruz de la Sierra, s’avère d’autant plus intéressant qu’il s’appuie largement sur bon nombre des conditions et principes fondamentaux décrits antérieurement. Le plan présente des engagements précis de la part des États des Amériques sous la forme d’initiatives détaillées relativement à la plupart des enjeux à la source des problèmes environnementaux, soit :

  • la santé et l’éducation;
  • l’agriculture et la sylviculture durables;
  • les villes et communautés durables;
  • les ressources hydriques et les zones côtières;
  • l’énergie et les ressources minérales.

Ces engagements sont assortis de dispositions devant permettre et faciliter leur réalisation, principalement en matière d'institutions, de financement, de transfert scientifique et technologique et de participation des populations.

LES PARLEMENTAIRES ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Les parlementaires de toutes les régions des Amériques ont souvent des préoccupations similaires et des intérêts communs. Bien qu’ils ne soient généralement pas partie prenante au pouvoir décisionnel, ils en fréquentent néanmoins l'antichambre et sont en mesure d’exercer une certaine influence sur lui. Ce qui est plus important encore, ils côtoient de près la réalité quotidienne de leurs électeurs. Ils possèdent donc une vision plus réaliste, plus micro-économique, du développement, qui leur permet de mieux en cerner les limites parce qu’elle tient compte des personnes plutôt que des structures. C’est principalement ce lien étroit avec les commettants, cette place précise qu’ils occupent entre la population et le pouvoir décisionnel, qui font que les parlementaires des Amériques peuvent jouer un rôle de premier plan dans la mise en oeuvre du développement durable.

On peut considérer que les parlementaires des Amériques remplissent trois fonctions distinctes, à savoir :

  • celle de courroie de transmission, d’intermédiaire, entre la population et les décideurs;
  • celle d’agent d’information, de concertation et de médiation en matière de développement durable; et
  • celle de surveillance et de contrôle de la réalisation du développement durable.

Ils exercent ces trois fonctions tant dans le cadre de leurs représentations à divers niveaux, que dans celui de leurs responsabilités législatives et de leur participation à différents forums interparlementaires.

Dans un premier temps, donc, les parlementaires sont en mesure d’assumer un rôle majeur en tant qu’intermédiaire entre la population et les décideurs, particulièrement au niveau politique, auxquel ils participent. Bien au fait des besoins et des attentes de leurs commettants, ils peuvent en effet influer sur les décisions et les initiatives que comptent élaborer ou mettre en oeuvre leur gouvernement, et même les orienter. C’est souvent eux qui sont les mieux placés pour juger de la pertinence, de la justesse et de la faisabilité d’une démarche précise. En ce sens, il est certainement à leur avantage, de même qu’à celui de leur gouvernement, de bien faire valoir ce rôle concret qu’ils peuvent jouer tant auprès de la population que des centres de décision.

En second lieu, le fait que les parlementaires occupent une place médiane peut en faire d’excellents agents d’information, de concertation et de médiation, bref de véritables ambassadeurs du développement durable. De fait, s’ils peuvent exercer une certaine influence auprès des décideurs en exprimant les besoins et les attentes de la population, ils peuvent aussi en retour agir directement auprès de celle-ci. C’est ainsi qu’ils peuvent d’abord informer les gens sur leur contribution à la réalisation du développement durable et les sensibiliser à cet égard, puis ensuite les inciter à participer activement aux initiatives concrètes applicables au niveau de la collectivité. Plus spécifiquement, les parlementaires devraient mettre l'accent sur l'éducation et la formation des générations montantes. Ce sont celles-là qui vivront véritablement le développement durable que les États des Amériques se sont engagés à forger.

Enfin, les parlementaires peuvent aussi intervenir d’une façon différente, c’est-à-dire en assumant dans une certaine mesure le contrôle de la réalisation du développement durable. Cette fonction peut se faire de façon constructive, notamment par une participation active aux divers forums qui sont à leur portée, que ce soit au niveau législatif ou interparlementaire. Encore ici, leur proximité à la fois du pouvoir décisionnel et de la population fait en sorte qu’ils peuvent stimuler la mise en oeuvre des initiatives de développement durable et « rétro-agir » positivement afin de faciliter les ajustements jugés nécessaires. Dans tous les cas, les parlementaires doivent faire preuve d’une grande perméabilité à toute l’information qui concerne la réalisation du développement durable. Ils seront dès lors mieux en mesure d'interagir auprès de leur commettants et des décideurs que ce soit au moment de la conception des initiatives ou de leur mise en oeuvre.

CONCLUSION

Le développement durable est en quelque sorte une question d'équilibre entre les besoins des générations présentes et ceux des générations qui suivront. Cet équilibre prend tout son sens lorsqu’il est placé dans un contexte d’intégration économique à une échelle aussi vaste que celle des Amériques.

Les parlementaires sont indéniablement en mesure d’apporter une contribution significative à la réalisation du développement durable et au choix des orientations communes qui guideront les actions des États des Amériques dans un esprit de solidarité envers ce bien commun qu’est l'environnement. Ils sont notamment parmi les mieux placés pour devenir de véritables ambassadeurs du développement durable et les principaux intermédiaires entre la population et les décideurs, pour faciliter le flux de l’information, la concertation et la médiation et pour voir de près à la réalisation des objectifs dans ce domaine.

Il appartient aux États, aux parlementaires et aux populations locales de travailler ensemble, en se concertant et en formant des partenariats, pour établir les assises du développement durable. Ils sont tous des acteurs clés, et les seuls capables de faire en sorte que l'intégration économique des Amériques se réalise dans le respect des besoins mutuels et des intérêts communs de tous et chacun.


* Cette étude a été rédigée à l’origine pour la délégation du Parlement du Canada à la Conférence parlementaire des Amériques, qui s’est tenue en septembre 1997, à Québec.

(1) Commission mondiale sur l'environnement et le développement, Notre avenir à tous, Publications du Québec, 1988, 454 p.

(2) Union mondiale pour la nature, Programme des Nations Unies pour l'environnement, Fonds mondial pour la nature, Sauver la Planète - Stratégie pour l'Avenir de la Vie, Gland (Suisse), 1991, p. 14.