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PRB 98-2F
Rédaction : Les négociations commerciales multilatérales (NCM) du cycle de lUruguay, en 1994, ont non seulement conduit à la création de lOrganisation mondiale du commerce (OMC), mais également donné naissance à un nouvel ordre dans le commerce mondial, notamment en amenant des réductions dans les subventions à lexportation et le soutien interne et en favorisant davantage laccès aux marchés grâce à la mise sur pied dun système de tarification qui est venu remplacer les diverses et complexes barrières commerciales en place. Un des effets attendus de la tarification est de rendre plus transparentes les transactions commerciales entre les pays. Pour le commerce des céréales au Canada, le principal impact des NCM aura été lélimination de la subvention du Nid-de-Corbeau (Loi sur le transport du grain de lOuest), qui était une subvention directe à lexportation des céréales. Comme il nexiste aucune autre subvention à lexportation des céréales au Canada et que le soutien interne offert aux producteurs respecte les règles établies par lOMC, le Canada devrait en principe être perçu comme un partenaire commercial loyal; tel nest cependant pas le cas. Après sêtre attaqués pendant des années à la subvention du Nid-de-Corbeau, les Américains font maintenant porter leur offensive sur la Commission canadienne du blé (CCB), qui demeure leur seule cible disponible. Bien quelles naient pas été un sujet principal de discussion lors des dernières NCM, les entreprises commerciales dÉtat, comme la CCB, ont toutefois fait lobjet dun examen qui a permis de mieux les définir et, par conséquent, de mieux cerner le cadre réglementaire de leurs opérations. Quest-ce donc quune entreprise commerciale dÉtat? Le Mémorandum dAccord concernant linterprétation de larticle XVII de lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 définit ainsi les entreprises commerciales :
Le Secrétariat de lOMC signale que 16 pays membres ont une ECÉ spécialisée dans le commerce du blé; les plus connues et les plus importantes sont lAustralian Wheat Board et la Commission canadienne du blé. Cette dernière, dont la structure repose sur les trois piliers que sont le comptoir unique de vente, linterrelation avec le gouvernement fédéral et la mise en commun des prix (pooling), fait régulièrement lobjet dattaques de la part du gouvernement des États-Unis (voir la section Les relations Canada-États-Unis en matière de céréales). Une Commission mixte canado-américaine, créée en vertu de lAccord de libre-échange Canada-Etats-Unis (ALÉ), a reçu le mandat dexaminer les structures de mise en marché des céréales entre les deux pays et de suggérer des approches visant à permettre de résoudre les différends commerciaux dans le commerce des céréales. Dans son rapport final présenté au mois doctobre 1995, la Commission mixte a conclu que :
Toutefois, la Commission mixte a souligné que les pratiques discrétionnaires détablissement des prix que peut pratiquer la CCB, grâce à sa situation monopolistique, ont le potentiel de créer des distorsions en matière de commerce. Elle a donc recommandé, pour que la CCB ne dispose plus de cette possibilité, que celle-ci soit soumise « au jeu des forces du marché (risque ou profit) ou [incitée] à agir comme si elle courait des risques comparables sur le marché, sans exclure le recours à la mise en commun [ ] »(2). Les conclusions du Comité mixte nont toutefois pas empêché 18 membres du Congrès américain de demander au General Accounting Office des États-Unis (GAO), léquivalent du vérificateur général du Canada, denquêter sur la capacité des ECÉ au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande de créer des distorsions sur les marchés dexportation. Dans son rapport du mois de juin 1996, le GAO note que les fonctionnaires américains du USDA ont reconnu ne pas avoir de preuves tangibles du fait que la CCB viole les règles du commerce; du même souffle, il mentionne que toutefois la situation de monopole de la CCB et sa relation avec le gouvernement fédéral, soit les deux premiers piliers de la CCB, peuvent potentiellement permettre à celle-ci de créer des effets de distorsion en matière de commerce. En dautres mots, le GAO reprend largument avancé auparavant par la Commission mixte canado-américaine. Puisque lOMC permet les ECÉ, leurs opérations sont soumises aux règlements généraux de lorganisme, et elles ont à suivre des règles qui leur sont propres et qui ont dailleurs été clarifiées lors du Cycle de lUruguay. Ainsi, la CCB doit se conformer, « dans ses achats ou ses ventes se traduisant par des importations ou des exportations, aux principes généraux de non-discrimination prescrits par le présent accord pour les mesures dordre législatif ou administratif concernant les importations ou les exportations qui sont effectuées par des commerçants privés »(3). Certes, la CCB pratique parfois des politiques de prix discriminatoires sur divers marchés, notamment en guise de parade à certaines pratiques commerciales déloyales, comme les subventions à lexportation, utilisées par ses compétiteurs. À première vue, on pourrait penser que la CCB ne respecte pas les règlements de lOMC; il convient toutefois de souligner quun addendum à lArticle XVII précise que « les dispositions du présent article nempêchent pas une entreprise dÉtat de vendre un produit à des prix différents sur différents marchés, à la condition quelle agisse ainsi pour des raisons commerciales, afin de satisfaire au jeu de loffre et de la demande sur les marchés dexportation ». Comme on peut le constater, la CCB, comme entreprise commerciale dÉtat, a droit de cité tant dans lAccord de libre-échange Canada-États-Unis que dans lOMC; il nen demeure toutefois pas moins quelle est une cible pour le gouvernement des États-Unis, qui a dailleurs déjà laissé savoir quil placerait les ECÉ à lordre du jour des prochaines négociations commerciales multilatérales. Une telle approche est soit motivée par les intérêts politiques de groupes de pression américains qui voudraient voir les parts de marché des États-Unis saccroître, soit une stratégie quutilisent États-Unis pour détourner lattention de leur programme de subvention des exportations de céréales. En effet, les États-Unis et lUnion européenne continuent ponctuellement de subventionner leurs exportations de céréales sur certains marchés. Les États-Unis viennent dailleurs de renouveler le budget pour leur Export Enhancement Program, qui totalisera plus de 500 millions de dollars. Lorsquon analyse le comportement des ECÉ et leur capacité de créer des distorsions sur le marché, il faut regarder bien plus que leur situation unique de monopole national et les garanties gouvernementales dont elles peuvent profiter; dautres facteurs, comme limportance du soutien interne, les subventions à lexportation et laccès aux marchés, qui constituent les conditions des forces du marché, sont en effet aussi des sources de distorsions. De plus, la théorie économique a depuis longtemps montré quil faut détenir une part suffisamment importante du marché mondial pour pouvoir véritablement influer sur commerce dun produit donné. La CCB, qui détient une part de 20 p. 100 du marché mondial des exportations de blé, est-elle vraiment un agent économique suffisamment important pour « contrôler » le marché? On peut certes en douter; dans un tel cas, la CCB ne serait quun « preneur de prix » sur le marché mondial, même sil faut reconnaître que certaines analyses contestent cette situation. Il est vrai que la CCB, grâce à sa position de monopole sur le marché canadien des exportations de blé, peut faire de la discrimination sur les prix sur certains marchés et obtenir des primes qui auraient été impossibles à réaliser si dautres agents canadiens sétaient disputés les mêmes parts de marché. Parallèlement, lorsque la CCB est confrontée à la concurrence des autres pays producteurs, son unique stratégie de réplique contre des subventions à lexportation utilisées par certains pays demeure justement la discrimination par les prix. Quant on connaît les conditions particulières du commerce des céréales où la concurrence est souvent féroce et où la segmentation des marchés et la discrimination des prix sont fréquemment utilisées, le comportement économique de la CCB napparaît pas particulièrement différent de celui des grandes compagnies privées oeuvrant dans le même secteur, sauf sous aspect important qui est à son avantage : étant donné que la CCB verse un paiement initial, puis un paiement final à la fin de la campagne elle assume un risque moins élevé quune société privée qui doit verser le paiement entier dès la livraison. Par suite de ladoption du projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et dautres lois en conséquence, les producteurs de céréales du Canada auront un important rôle à jouer dans lorientation de la nouvelle Commission. Même si la CCB conservera son monopole sur le blé et lorge destinés à lexportation ou à la consommation humaine intérieure, les agriculteurs auront à leur disposition de nouvelles options de fixation des prix, une souplesse accrue et une encaisse améliorée. Le comptoir unique et la mise en commun des prix demeureront les piliers de la CCB; toutefois, si le conseil dadministration se voyait confier le mandat de faire en sorte que la Commission cesse dêtre une agence de mise en marché pour devenir une société privée, il pourrait procéder en vertu de la nouvelle loi. Aux yeux de nombreux analystes, les jours de la CCB à titre agence servant de comptoir unique sont comptés, surtout si les pressions à léchelle internationale en vue dune autre réforme des ECÉ et la pression intérieure visant la création dune agence de mise en marché double se maintiennent. (1) Organisation mondiale du commerce, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Article XVII, paragraphe 1.a. (2) Commission mixte canado-américaine sur les grains, Rapport final, octobre 1995, p. 113. (3) Organisation mondiale du commerce, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Article XVII, paragraphe 1.a.
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