Direction de la recherche parlementaire

 

PRB 98-5F

LES IMPORTATIONS DE MÉLANGES LAITIERS :
DE LA LISTE DE CONTRÔLE DES IMPORTATIONS
AUX CONTINGENTS TARIFAIRES

Rédaction :
Jean-Denis Fréchette
Division de l'économie
Octobre 1998


Le problème lié à l’importation de mélanges d’huile de beurre et de sucre pour remplacer la matière grasse du lait dans la fabrication de crème glacée est bien antérieur à la mise en place du système de tarification né de l’Uruguay Round.

La période qui a précédé l’Uruguay Round

Avant la signature des accords issus de l’Uruguay Round, la Loi sur les permis d’exportation et d’importation permettait au Canada d’établir une Liste des marchandises d’importation contrôlée (LMIC). L’importation de produits laitiers était ainsi soumise à des permis, dont on se servait pour limiter l’entrée de produits en fixant des quotas d’importation.

La plupart des principaux produits laitiers figuraient explicitement sur la LMIC, tandis que les autres produits laitiers non spécifiés faisaient l’objet d’une disposition générale qui contrôlait l’entrée de matière grasse sous toutes ses formes. Pour figurer sur la LMIC, le produit était simplement nommé; il n’était pas décrit comme c’est maintenant le cas des produits qui figurent sur les listes des contingents tarifaires. L’interprétation qui était alors donnée par le ministère de la Justice était que tout produit ayant au moins 50 p. 100 de contenu laitier pouvait être considéré comme un produit laitier.

Les produits laitiers et les produits entièrement ou principalement composés de lait relevaient de la Loi sur la Commission du lait, mais comme la LMIC relevait aussi de la Loi sur les permis d’exportation et d’importation et de la Loi sur la stabilisation agricole, les Producteurs laitiers du Canada (PLC), conscients des différentes interprétations possibles, avaient demandé que la définition de « produits laitiers » soit resserrée, notamment pour ce qui avait trait à l’expression « principalement composés ».

En 1988, par suite de la signature de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ), le gouvernement fédéral a ajouté trois produits laitiers à la LMIC : la crème glacée, le yogourt et les mélanges laitiers contenant au moins 50 p. 100 de lait écrémé, de caséine, de caséinate, de babeurre et de lactosérum, utilisés seuls ou combinés (article 21 de la LMIC). Pour la première fois, le seuil de 50 p. 100 de contenu laitier (composant sec) devenait une règle établie.

Les États-Unis avaient alors contesté cet ajout, notamment en alléguant que le yogourt et la crème glacée se trouvaient trop en aval dans la chaîne de production pour constituer des produits laitiers qui devaient être protégés pour maintenir la gestion de l’offre. Un groupe spécial du GATT avait toutefois donné raison au Canada.

Subséquemment, diverses tentatives d’importation, au Canada, de mélanges secs contenant moins de 50 p. 100 de produits laitiers avaient été bloquées par le gouvernement. Ainsi, un importateur avait tenté de faire entrer au pays un mélange contenant 49 p. 100 de poudre de lait écrémé (PLÉ) et 51 p. 100 de gros sel, lequel était par la suite tamisé pour en extraire la PLÉ, qui était la seule à être utilisée. Même si en principe la LMIC ne traitait pas des produits contenant moins de 50 p. 100 de produits laitiers, le mélange de l’importateur avait été jugé délibérément fabriqué pour contourner les règlements et donc interdit.

L’après Uruguay Round

Par suite de la signature des ententes commerciales multilatérales issues de l’Uruguay Round, les quotas d’importation de produits laitiers ont été remplacés par des contingents tarifaires, c.-à-d. des tarifs, parfois prohibitifs, associés à différents niveaux d’accès au marché, ce qui permet de protéger un marché spécifique.

Pour la crème glacée, le contingent tarifaire (CT) du Canada s’élevait à 347 tonnes en 1995 et était soumis à un tarif de 15,5 p.100. Le CT passera à 484 tonnes en l’an 2000 et sera alors sujet à un tarif de 6,67 p.100. Toutes les quantités importées au-delà de ces contingents tarifaires sont assujetties à un tarif variant de 326 à 277 p. 100, soit de 1,36 $/kg à 1,16 $/kg.

En 1993, lorsqu’il a mis au point ses lignes tarifaires définitives pour le GATT, le gouvernement fédéral a dû décrire les produits, au lieu de seulement les nommer, afin de les assujettir à des lignes tarifaires précises. De nombreux produits laitiers qui ne figuraient pas sur l’ancienne LMIC étaient maintenant décrits sous une ligne tarifaire. Même si certains mélanges servant de préparations, comme la fondue au fromage, n’étaient pas explicitement décrits sous une ligne tarifaire, la plupart des mélanges laitiers susceptibles d’être importés et de remplacer la matière grasse de lait produite au Canada pour la fabrication de produits laitiers, eux, l’étaient.

Lors du premier dépôt des listes tarifaires, les représentants de l’industrie laitière et les négociateurs du gouvernement étaient conscients du fait que décrire les mélanges laitiers est une opération complexe; cette complexité résulte de la nature des mélanges, mais aussi du fait que de nombreuses lignes tarifaires s’appliquent à divers mélanges laitiers. Ainsi, les poudres de lait et de crème avec ou sans édulcorants sont couverts par la ligne tarifaire 0402, tandis que les mélanges laitiers de moins de 50 p. 100 de contenu laitier le sont par la ligne 2106.90.33/34 et les produits de constituants laitiers naturels avec ou sans édulcorants par la ligne 0404.90. Cette dernière est en fait une ligne tarifaire qui couvre les produits non spécifiés ailleurs : « produits consistant en composants naturels du lait, même additionnés de sucre ou d’autres édulcorants, non dénommés ni compris ailleurs ».

Au début de 1994, lors de l’étape finale de l’Uruguay Round, le Canada a déposé ses lignes tarifaires définitives. L’industrie laitière canadienne était persuadée qu’en présentant le numéro tarifaire 0404.90, qui ne fait plus référence au seuil de contenu laitier de 50 p. 100, le gouvernement démontrait sa volonté de contrer toutes tentatives d’importation de mélanges laitiers spécifiquement fabriqués pour contourner les règlements.

Le degré de confiance qu’avaient les PLC dans la protection tarifaire contre les mélanges a même augmenté lorsqu’un groupe spécial de l’ALÉNA, suite à une contestation des États-Unis, a examiné la conversion des quotas d’importation en contingents tarifaires. Dans sa réponse du 19 août 1996 adressée au groupe spécial, le gouvernement du Canada avait en effet fait notamment référence aux mélanges laitiers :

43. La sous-position tarifaire 0404.90 est une catégorie résiduelle qui englobe les produits non dénommés ailleurs. L’élimination du seuil de 50% de la portion de cette sous-position tarifaire qui était auparavant assujettie à l’article 21 de la LMIC a permis au Canada d’apporter une solution à un problème qui s’était développé avec l’Uruguay Round, à savoir les efforts concertés de certaines entreprises privés d’importer des mélanges conçus expressément pour contourner les mesures de contrôle à l’importation des produits laitiers(1).

L’avenir devait révéler ce que les penseurs de l’Uruguay Round savaient déjà : des lignes tarifaires, aussi bien décrites qu’elles puissent être, ne seront jamais aussi étanches au commerce que des quotas d’importation, ni à l’abri de descriptions administratives litigieuses.


(1) Producteurs laitiers du Canada, Mémoire juridique soumis à l’honorable Lyle Vanclief, Ottawa, novembre 1997.