BP-362F

LES CONFLITS D'INTÉRÊTS :
PRINCIPAUX ASPECTS

 

Rédaction  Margaret Young
Division du droit et du gouvernement

Novembre 1993
Révisé en octobre 1998


 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION

LES FAÇONS DE CONSIDÉRER LES CONFLITS D'INTÉRÊTS

   A. Prévenir ou guérir?

   B. Définition des conflits d'intérêts

   C. Les titulaires de charge publique seulement ou tous les parlementaires?

LES MÉCANISMES D'APPLICATION DES RÈGLES

   A. La divulgation publique

   B. La déclaration et le désistement

   C. Le dessaisissement

LA PORTÉE DES CONFLITS D'INTÉRÊTS

   A. Expérience observée dans les provinces

   B. La perception et la réalité

   C. L'affaire Blencoe
      1. Les faits et les conclusions
      2. L'enseignement à tirer de la décision rendue

   D. L'affaire Harcourt

LE BUREAU DE RÉGIE INTERNE

CONCLUSION


 

LES CONFLITS D'INTÉRÊTS : PRINCIPAUX ASPECTS

INTRODUCTION (1)

L'expression « conflit d'intérêts » désigne un problème parfois difficile à cerner. Pourquoi le Parlement a-t-il été incapable d'adopter une loi sur les conflits d'intérêts, bien que quatre projets de loi sur le sujet aient été présentés depuis 1988 et que des rapports exhaustifs aient été déposés par deux comités parlementaires? Quels principes sert-on en réduisant les conflits? Comment fait-on le pont entre ces principes et les mécanismes d'application habituellement prévus dans les lois ou dont on propose le plus souvent l'adoption? Quel rôle les organismes indépendants de réglementation en matière de conflits d'intérêts jouent-ils? Dans le présent document, nous traitons de ces questions et de sujets connexes en insistant sur certains sujets relatifs à la réglementation régissant les conflits d'intérêts.

Les règles régissant les conflits d'intérêts reposent sur plusieurs principes. Les deux premiers sont l'impartialité et l'intégrité : un législateur ou un décideur ne peut être jugé impartial s'il tire ou peut tirer un avantage personnel d'une décision. Le public tient à avoir l'assurance que les décisions seront prises et les lois adoptées et appliquées équitablement et objectivement, sans parti pris et sans que des considérations personnelles entrent en jeu. Ainsi, les titulaires de charge publique sont investis d'une mission publique qui doit parfois l'emporter sur leur liberté de veiller à leurs intérêts financiers personnels.

Le principe de la confiance du public sous-tend également le deuxième grand principe à la base des règles sur les conflits d'intérêts applicables aux législateurs : les titulaires de charge publique ne devraient pas user de leur position pour s'assurer des gains personnels, que ce gain découle ou non de leurs activités ou de leurs décisions personnelles. Ce principe explique notamment pourquoi les règles sur les conflits d'intérêts interdisent habituellement l'utilisation de renseignements confidentiels pour favoriser des intérêts personnels.

De façon générale, la réglementation sur les conflits d'intérêts vise à accroître la confiance dans les institutions publiques. Sous ce rapport, elle est au nombre de certaines questions d'éthique concernant les législateurs, notamment le rôle que peuvent convenablement jouer les lobbyistes, les dépenses d'élection, le favoritisme, l'usage légitime des deniers publics et la rectitude des gestes que posent de façon générale les membres de la classe politique. L'examen des décisions rendues par les commissions des conflits d'intérêts pour les provinces nous révèle certains aspects surprenants de la façon dont elles manoeuvrent dans ce dédale de principes d'éthique et peut nous amener à tirer des conclusions intéressantes quant au succès, variable, avec lequel les mesures de contrôle prévues, si elles sont considérées en vase clos, peuvent atteindre leur objectif général, qui est de soutenir la confiance du public à l'endroit du gouvernement et du Parlement.

LES FAÇONS DE CONSIDÉRER LES CONFLITS D'INTÉRÊTS

Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a examiné sérieusement la question des conflits d'intérêts. En 1984, il a publié le rapport du Groupe de travail sur les conflits d'intérêts, présidé par les honorables Mitchell Sharp et Michael Starr; intitulé L'éthique dans le secteur public, ce rapport est généralement connu sous le nom de rapport Starr-Sharp. Puis, à la fin de 1987, la Commission Parker a publié son rapport sur des allégations de conflits d'intérêts concernant Sinclair Stevens; ce rapport a été suivi, trois mois plus tard, par la présentation du premier de quatre projets de loi sur les conflits d'intérêts, tous semblables et tous destinés à mourir au Feuilleton au cours des 33e et 34e législatures. L'un d'entre eux a été déféré au Comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat relatif aux conflits d'intérêts, lequel a présenté son rapport en juin 1992. Un deuxième comité mixte spécial a présenté un rapport en mars 1997. Aucune modification n’a été apportée par suite de l’un ou l’autre de ces rapports.

   A. Prévenir ou guérir?

L'expérience canadienne récente met en lumière deux façons différentes d'envisager la réglementation, en matière de conflits d'intérêts dans le cas des législateurs. On pourrait qualifier la première de préventive et en citer pour exemple l'actuel Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat; ce recueil de règles, qui n'est pas une loi, mais qui est en vigueur depuis 1986 (bien qu'il s'inspire de ses versions antérieures), s'applique aux ministres et à leurs secrétaires parlementaires ainsi qu'aux titulaires de charge publique nommés à leur poste par décret du gouverneur en conseil. L’actuel gouvernement libéral a conservé le Code, légèrement modifié(2). Le Code établit comme principe que « le titulaire d'une charge publique [...] doit organiser ses affaires personnelles de manière à éviter les conflits d'intérêts réels, potentiels ou apparents »; (par. 3(5)), c'est nous qui soulignons). Ce principe était également énoncé dans les divers projets de loi sur les conflits d'intérêts présentés au Parlement de 1988 à 1993, mais non adoptés, et on le retrouve dans une résolution de 1993 de l'Assemblée législative de la Saskatchewan : « Tout député doit éviter les conflits d'intérêts, potentiels et réels, et doit organiser ses affaires financières personnelles de manière à les prévenir ».

L'approche préventive ne nie pas que des conflits peuvent se produire en dépit des meilleures intentions, mais lorsque c'est le cas, elle enjoint à chacun de les résoudre en privilégiant l'intérêt public. Les règles d'application dont cette approche s'assortit proposent plutôt comme solution aux intéressés de se dessaisir (par vente ou fiducie) des biens qui les placent ou risquent de les placer en conflit d'intérêts et de divulguer publiquement ceux qui sont peu susceptibles d'avoir ce résultat. Lorsqu'elles font état du désistement (qui consiste à quitter une réunion ou à s'abstenir de participer à la prise d'une décision), elles en limitent l'application.

L'approche préventive contraste avec l'opinion exprimée au cours de la dernière législature par le Comité mixte spécial relatif aux conflits d'intérêts, qui a examiné un des projets de loi présentés sur le sujet (C-43) et en a fait rapport à la 34e législature en juin 1992 :

Nous sommes persuadés que des conflits d'intérêts surgiront; l'existence d'un conflit d'intérêts n'a rien en soi de mal ou d'odieux. Ce qui est important, ce n'est pas qu'un parlementaire s'isole de façon à éviter les conflits d'intérêts, mais que des règles et des procédures claires soient établies de façon à ce que le conflit soit réglé dans l'intérêt public. [...] Ces règles n'ont pas pour but d'éviter l'apparition de conflits. (C'est nous qui soulignons)(3)

Fait à noter : contrairement aux autres projets de loi présentés, l'ébauche de projet de loi proposé par le Comité dans le corps de son rapport n'aurait pas obligé les députés à «agir, en général, de façon à éviter les conflits d'intérêts». Les règles proposées par le Comité privilégiaient la divulgation et le désistement. Fait intéressant, le deuxième Comité mixte spécial a inclus le principe selon lequel les parlementaires devraient organiser leurs affaires personnelles de manière à éviter les conflits d’intérêt(4).

Il ne faut pas s'attarder outre mesure aux différences qui séparent l'approche préventive de celle du premier Comité mixte spécial, car dans une certaine mesure, elles pourraient se révéler plus théoriques que réelles. En effet, le Comité a dit voir dans le dessaisissement une façon de se conformer aux règles. Toute approche préventive qui obligerait l'intéressé, sans égard à ses responsabilités, à se dessaisir massivement d'intérêts personnels serait aussi abusif qu'un système fondé sur la divulgation et le désistement qui permettrait à un ministre de se désister systématiquement, au mépris de ses devoirs. Les deux approches présentent toutefois des distinctions qui permettent d'expliquer en partie pourquoi le premier Comité mixte spécial et le gouvernement n'ont pu s'entendre quant à celle dont une éventuelle loi sur les conflits d'intérêts devrait de préférence s'inspirer.

Quels que soient les résultats que les deux approches pourraient donner en pratique, il se peut que les principes qui sous-tendent l'approche préventive favorisent davantage l'atteinte de l'objectif visé — c'est-à-dire accroître la confiance du public, surtout à l'endroit des ministres — que l'approche consistant à régler chaque cas dès qu'il survient.

   B. Définition des conflits d'intérêts

Dans son rapport sur les allégations concernant l'honorable Sinclair Stevens, le juge Parker s'est montré sévère à l'égard du Code, qui ne définissait pas « conflit d'intérêts », même s'il employait les qualificatifs « réel », « apparent » et « potentiel » pour le décrire. Le juge a adopté la définition suivante d'un conflit réel : « une situation dans laquelle un ministre a connaissance d'un intérêt pécuniaire privé suffisant pour influer sur l'exercice de ses fonctions et responsabilités officielles ». Selon lui, il y a conflit d'intérêts apparent lorsqu'une personne raisonnablement bien informée peut logiquement redouter un conflit d'intérêts. Il y a conflit potentiel dès qu'une personne prend conscience de la possibilité d'un conflit, mais n'a pas encore exercé les fonctions ou pris les responsabilités qui pourraient influer sur l'intérêt en cause(5).

Il convient de retenir l'importance accordée à l'existence d'une situation, par opposition à la notion plus étroite de prise de décision. Le juge Parker fait le raisonnement suivant :

Les fonctions et responsabilités attachées à une charge publique, et en particulier celles d'un ministre, sont à la fois complexes et subtiles. Il est possible d'exercer un pouvoir et une influence immenses même sans prendre de décision. [...] [L]a confiance du public dans l'intégrité, l'objectivité et l'impartialité du gouvernement ne peut être préservée et accrue que si toutes les fonctions et responsabilités du titulaire d'une charge publique, et non ses seules décisions, sont sujettes à examen(6).

Seule une approche mettant l'accent sur l'ensemble des activités du législateur (surtout s'il s'agit d'un ministre) plutôt que sur ses seules décisions aurait couvert tous les types de conflit dont le juge Parker a conclu à l'existence dans l'affaire Stevens. La réserve (mentionnée précédemment) voulant que l'intérêt privé soit de nature pécuniaire est également pertinente.

Les projets de loi d'initiative ministérielle présentés au Parlement proposaient une variante de la définition donnée par le juge Parker :

Pour l'application de la présente loi, il y a conflit d'intérêts lorsque le parlementaire, son conjoint ou les personnes à leur charge détiennent des intérêts privés appréciables [...] grâce auxquels le parlementaire, du fait même de ses fonctions, pourrait se trouver en mesure d'obtenir des avantages, directs ou indirects(7).

Bien que le terme « situation » ne figure pas dans cette définition, il est implicite dans la référence générale aux « fonctions » du parlementaire. Il faut également signaler l'abandon d'une référence explicite à des intérêts pécuniaires personnels. Enfin, si le projet de loi ne définissait pas expressément le conflit « apparent », la définition était vraisemblablement assez large pour l'englober.

D'autres corps législatifs limitent la définition aux décisions effectivement prises. Par exemple, la loi de l'Ontario interdit à un membre de prendre une décision ou de participer à celle-ci dans l'exécution de ses fonctions s'il sait qu'existe la possibilité de favoriser ses intérêts personnels ou de favoriser indûment les intérêts personnels d'un tiers(8). La loi de la Colombie-Britannique avait une définition semblable jusqu'à ce qu'elle soit modifiée, en 1992; maintenant, la loi insiste généralement sur l'exécution des devoirs ou fonctions officiels de la charge. Détail intéressant, avant l'adoption de la nouvelle loi de l'Ontario en 1994, la loi modifiée de la Colombie-Britannique était la seule au Canada à interdire de façon générale à un législateur d'exercer ses fonctions lorsqu'il est en conflit d'intérêts(9).

Bien que les deux Comités mixtes spéciaux n'ait pas explicitement défini l'expression « conflit d'intérêts », une définition découlait implicitement des diverses interdictions qu'il a énoncées. Ainsi, le premier Comité mixte spécial écrivait ceci : « [...] le parlementaire ne doit pas prendre de décision ou y participer à titre de parlementaire s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que cette décision peut favoriser, directement ou indirectement, ses intérêts privés ou ceux de sa famille »(10). Il convient de noter l'importance accordée à la prise de décisions. L’interdiction imposée par le deuxième Comité mixte spécial était plus vaste et précisait que les parlementaires ne peuvent prendre aucune mesure ou décision, ni ne participer à aucune décision s’ils savent ou devraient raisonnablement savoir qu’ils peuvent ainsi favoriser, directement ou indirectement, leurs propres intérêts, ceux d’un membre de leur famille ou, indûment, ceux d’une autre personne(11).

   C. Les titulaires de charge publique seulement ou tous les parlementaires?

À l'heure actuelle, les seuls parlementaires fédéraux visés par le Code sont les ministres, les secrétaires d'État et les secrétaires parlementaires (« titulaires d'une charge publique »), c'est-à-dire que le Code a été élaboré par l'exécutif et ne s'applique qu'à lui. Les sénateurs et les simples députés sont liés par certaines dispositions législatives traitant des conflits d'intérêts — notamment le Code criminel et la Loi sur le Parlement du Canada, ainsi que le Règlement de la Chambre des communes et le Règlement du Sénat du Canada —, mais ne sont soumis à aucune autre règle ni mesure de contrôle. Pour adopter d'autres règles, il faudrait d'abord que le Sénat ou la Chambre ou les deux adoptent une motion en ce sens ou que le Parlement adopte des modifications aux lois.

Les lois provinciales sur les conflits d'intérêts qui font appel à la fois à la divulgation et à d'autres moyens(12) de contrôle s'appliquent à tous les membres des corps législatifs concernés et prévoient souvent des mesures supplémentaires à l'intention des ministres; c'est généralement de cette façon que le gouvernement fédéral se proposait de procéder dans les divers projets de loi sur les conflits d'intérêts qu'il a présentés au cours des 33e et 34e législatures. Tous ne croient cependant pas qu'il faille aussi soumettre les simples députés à une réglementation exhaustive. Parmi les détracteurs de cette idée figure l'honorable Mitchell Sharp, qui a accepté de conseiller l'actuel gouvernement en la matière. Lorsqu'il a témoigné devant le Comité mixte spécial, en 1992, M. Sharp a déclaré qu'il ne fallait pas que le projet de loi alors à l'étude (C-43) s'applique aux simples députés, précisant qu'à l'époque où il était lui-même simple député, il n'a eu accès à aucun renseignement d'initié dont il aurait pu profiter. Il ne voyait donc pas de raison d'obliger les parlementaires de cette catégorie à divulguer publiquement leurs intérêts(13).

Peu après l'assermentation du gouvernement libéral en 1993, M. Sharp aurait fait la déclaration suivante :

[Les députés] sont les représentants de la population qui discutent, votent, etc. en son nom, mais ils ne prennent pas de décisions au même sens que les ministres. Ils ne savent rien de plus que moi.

Ce sont les ministres qui sont exposés aux vrais conflits d'intérêts. Ils ont accès à des renseignements privilégiés dont ils peuvent tirer un avantage personnel, et c'est pour cela qu'ils doivent démontrer clairement que l'intérêt public prévaut sur leur intérêt personnel. C'est là le seul objet des règles relatives aux conflits d'intérêts(14).

M. Sharp favorisait deux ensembles de règles, ou deux projets de loi, l'un devant s'appliquer aux titulaires de charge publique et l'autre, aux parlementaires. Cette solution tient manifestement compte de la distinction à faire entre les fonctions des ministres et de leurs secrétaires parlementaires, d'une part, et celles des simples députés, d'autre part, mais non du fait que nombre de caractéristiques des deux régimes sur les plans du fond et de l'administration devraient idéalement être les mêmes. Par exemple, il serait judicieux, afin d'assurer une application cohérente des règles, de charger une seule autorité (commission, commissaire, jurisconsulte, conseiller en déontologie ou commissaire à l'intégrité) d'éclairer les parlementaires(15). Si les règles prévues à l'intention des simples députés sont un tant soit peu détaillées, les définitions devraient être les mêmes pour les deux groupes. (Les définitions de « conjoint » et de « personne à charge » ou de « famille », par exemple, devraient être parallèles.) Si les simples députés doivent être soumis à une enquête, il semblerait préférable de confier l'ensemble des enquêtes à une seule autorité.

Le deuxième Comité mixte spécial a proposé un système hybride. Tous les parlementaires, y compris les titulaire de charge publique, seraient assujettis à un Code non statutaire appliqué par un jurisconsulte. Les titulaires de charge publique seraient également assujettis au Code du premier ministre en oeuvre par le conseiller en éthique.

On pourrait par contre continuer de ne soumettre les simples députés et les sénateurs qu'aux dispositions actuelles mentionnées plus haut.

LES MÉCANISMES D'APPLICATION DES RÈGLES

Il existe un certain nombre de moyens classiques de contrôler les conflits d'intérêts, et les régimes de réglementation font toujours appel à l'un ou plusieurs d'entre eux. Ce sont la divulgation confidentielle ou publique, ou les deux, la vente des biens, l'abandon des charges publiques ou des activités, divers types de fiducie, la déclaration solennelle et l'abstention de toute participation ou de tout vote aux réunions (également appelé désistement) et la délégation. La vente des biens et certains types de fiducie sont des formes de dessaisissement.

Dans la présente section, nous décrivons divers moyens de contrôle couramment employés dans les régimes de réglementation des conflits d'intérêts ainsi que leurs objectifs et nous comparons les écoles de pensée en matière de respect des règles — pour peu qu'elles soient claires — qui sont énoncées dans le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat, le Rapport Parker, les projets de loi présentés au Parlement fédéral au cours des deux dernières législatures et le Rapport du Comité mixte spécial relatif aux conflits d'intérêts, publié en juin 1992.

   A. La divulgation publique

On entend constamment dire depuis les 15 dernières années que la divulgation publique de leurs intérêts personnels par les législateurs devrait être le fondement de tout régime moderne de réglementation en matière de conflits d'intérêts(16); cette divulgation est prévue dans la plupart des lois provinciales en la matière, et on la retrouvait dans les projets de loi présentés au Parlement fédéral, même si sa portée n'était pas claire et aurait été tributaire des règlements d'application.

Les partisans de la divulgation publique la justifient par plusieurs objectifs différents. Certains prétendent que la divulgation publique entière(17) permet aux citoyens de constater d'emblée que les législateurs n'agissent pas indûment. Cette approche insiste moins sur la nécessité d'éviter les conflits et part du principe que le public (c'est-à-dire les journaux et, vraisemblablement, les adversaires politiques) est informé et est constamment aux aguets et au fait de toutes les activités des législateurs.

Cette approche a un inconvénient que deux politicologues ont expliqué ainsi au Comité mixte spécial, en 1992 :

Mme Mancuso : [La divulgation] porte ainsi le problème à l'attention du public, des collègues et autres, mais ça ne signifie pas pour autant que le conflit va disparaître.

M. Atkinson : Les membres du personnel de la Chambre des représentants [des É.-U.] nous ont dit qu'ils craignaient que les membres du Congrès ne considèrent la divulgation comme une panacée. Ils ont l'impression qu'une fois qu'une affaire est divulguée... Prenons par exemple le cas d'un membre du comité des affectations de crédits à la Chambre des représentants qui a d'importants intérêts financiers dans le secteur dont il s'occupe. Ces intérêts vont être clairement divulgués en raison des dispositions très strictes que prévoit en matière de divulgation l'Ethics in Government Act.

Les membres du personnel avaient peur, peut-être avaient-ils tort, que les membres du Congrès ne considèrent la divulgation comme un moyen de se laver les mains du problème. Tout en affrontant l'opinion publique et en prenant des décisions dans des secteurs ayant un lien direct ou significatif avec leurs intérêts, ces derniers avaient tendance à considérer alors que tout était réglé et qu'il n'y avait plus de problème(18).

La même préoccupation a été soulevée dans un récent rapport britannique :

[...] l'adoption d'un registre des intérêts, destiné à faire avancer l'admirable concept de la divulgation publique, crée une fausse impression puisqu'on a tendance à croire que tout intérêt, une fois divulgué, est jugé acceptable, ce qui ne fait qu'ajouter à la confusion(19).

La réponse courte au problème énoncé ci-dessus est qu'au Canada, bien que la divulgation publique soit un moyen de contrôle important, elle n'est pas le seul auquel nos parlementaires sont soumis, contrairement à ce qui est le cas de leurs homologues fédéraux des États-Unis, mais pas du Royaume-Uni. Il serait cependant sage de se rappeler les arguments invoqués plus haut chaque fois que l'on est tenté de surestimer l'efficacité de la divulgation publique.

Celle-ci ne favorise pas seulement la transparence et la vigilance, mais permet aussi d'éviter des conflits possibles, qui deviennent apparents dès que les intérêts des législateurs sont divulgués. Or, on présume que les législateurs préfèrent pour la plupart se dessaisir des biens en cause plutôt que de se faire de la mauvaise publicité.

On peut aussi envisager la divulgation d'une autre façon décrite dans le Code; en effet, en établissant explicitement une gradation dans les moyens de contrôle, le Code va plus loin que les projets de loi qu'a présentés le gouvernement au cours des dernières législatures. Les biens ne doivent être « déclarés » et divulgués publiquement que s'ils ne sont pas « contrôlés » (articles 9, 11-13). Les biens contrôlés sont ceux « dont la valeur peut être influencée directement ou indirectement par les décisions ou politiques du gouvernement », et le législateur doit s'en dessaisir, soit par vente, soit par fiducie ou contrat de gérance (articles 12 et 13). Reste les biens pouvant être déclarés, comme les intérêts dans des entreprises familiales, des sociétés locales, des exploitations agricoles, etc. De par leur nature même, ces biens risquent moins d'entraîner des conflits d'intérêts que les biens contrôlés, mais une vigilance constante est quand même indiquée.

La popularité de la divulgation publique est tout sauf universelle. Comme nous l'avons mentionné plus haut, lorsqu'il a témoigné devant le Comité mixte spécial, M. Sharp s'est montré particulièrement critique à son égard en ce qui concerne les simples députés, la qualifiant d'« offensante et peu judicieuse » et soutenant qu'elle « découragera les hommes d'affaires qui voudraient se porter candidats aux élections au Parlement »(20).

   B. La déclaration et le désistement

La déclaration et le désistement s'avèrent nécessaire lorsqu'un législateur se rend compte, en raison d'un intérêt personnel, que le fait de participer à une réunion ou de prendre une certaine décision le placerait en conflit d'intérêts. La déclaration et le désistement sont requis par toutes les lois provinciales sur les conflits d'intérêts; certaines les assortissent même d'un droit de délégation du pouvoir ministériel de décider qui permet à un ministre appelé à prendre une décision qui entraînerait un conflit d'intérêts de demander au Cabinet ou au premier ministre de charger un substitut d'agir à sa place.

Le Code actuel ne comporte aucune disposition sur la déclaration et le désistement, et les projets de loi présentés par l'ancien gouvernement ne prévoyaient rien à ce sujet non plus. Par contre, pour le Premier Comité mixte spécial, la déclaration et le désistement étaient, avec la divulgation, les moyens de contrôle les plus importants. Le deuxième Comité mixte spécial aurait exigé la déclaration des intérêts et il aurait exigé également que les parlementaires s’abstiennent de voter sur toute question dans laquelle ils ont un intérêt pécuniaire direct(21).

Le juge Parker a recommandé que le désistement soit prévu dans la réglementation sur les conflits d'intérêts, mais en signalant le principal inconvénient de tout régime essentiellement fondé sur la divulgation et le désistement :

De toute évidence, la procédure ne pourra être utile que s'il n'y a pas désistement à répétition par un ministre en particulier. En effet, lorsque les intérêts particuliers d'un ministre l'obligeraient à se désister constamment de ses fonctions officielles, il lui faudrait alors s'en dessaisir ou encore refuser le poste ou donner sa démission. Quoi qu'il en soit, dans le cas, plus courant, où les intérêts particuliers d'un ministre sont limités, le désistement sera le complément indispensable de la divulgation publique(22).

Réagissant au rapport du Premier Comité mixte spécial, l'honorable Harvie Andre, alors leader du gouvernement à la Chambre, a rejeté sans équivoque l'option du désistement pour les ministres :

[...] le Cabinet délibère le plus souvent à huis clos. La seule façon de rassurer un public sceptique, c'est d'éviter les conflits d'intérêts. Le Parlement fonctionne en public; par conséquent, la divulgation des conflits d'intérêts et la possibilité de désistement [pour les simples députés] pourrait permettre de déterminer si quelqu'un tire profit d'une situation de conflits d'intérêts. Il est inutile d'imposer le même genre de restrictions aux députés, dont le travail est public, et aux ministres, dont les délibérations sont confidentielles(23).

Il convient peut-être d'ajouter qu'un public sceptique pourrait effectivement ne pas être rassuré par de fréquents désistements. Au contraire, il pourrait voir, même dans un nombre assez limité de désistements, la preuve que les conflits abondent. Ainsi, le recours trop étendu au désistement pourrait compromettre l'atteinte de l'objectif général de la réglementation en matière de conflit d'intérêts : accroître la confiance du public.

   C. Le dessaisissement

Le Code est catégorique sur la nécessité de se dessaisir de certains biens et intérêts, soit en les vendant, soit en les plaçant en fiducie. Comme nous l'avons dit plus haut, ces biens sont définis comme étant ceux « dont la valeur peut être influencée directement ou indirectement par les décisions ou politiques du gouvernement » et comprennent les valeurs cotées en bourse, les régimes enregistrés d'épargne-retraite autogérés (sauf ceux qui sont composés exclusivement de biens exemptés) et les marchandises, marchés à terme et devises étrangères détenus ou négociés à des fins de spéculation (article 12). Il est aussi nécessaire de créer des fiducies dans certains cas.

Le juge Parker a reconnu qu'à elle seule, la divulgation était insuffisante et il a conclu que lorsque le désistement serait inefficace, il faudrait recourir au dessaisissement. À la suite de l'affaire Stevens, cependant, il a fait une critique acerbe de la fiducie sans droit de regard. Depuis, les autorités chargées d'administrer le Code ne font plus de la fiducie sans droit de regard une formule de dessaisissement valable pour ce qui est des intérêts dans les entreprises familiales. En 1994, le concept du « contrat de gérance sans droit de regard » a été adopté pour permettre l'administration des biens sans l'intervention du titulaire d'une charge publique.

Par contre, les projets de loi sur les conflits d'intérêts présentés par le gouvernement au cours des législatures antérieures ne faisaient pas état du dessaisissement, n'énonçaient aucune ligne directrice sur le moment auquel le recours à cette méthode de contrôle serait opportun et ne faisaient vraiment mention des fiducies qu'une seule fois(24). Mais, comme nous l'avons souligné plus haut, ces projets de loi semblaient privilégier une approche préventive, et l'obligation d'«agir, en général, de façon à éviter les conflits d'intérêts»(25) laissait supposer que le gouvernement accordait une assez grande importance au dessaisissement. Leur imprécision n'aurait servi personne — ils auraient laissé les ministres et la Commission dans le vague beaucoup plus que le Code, et les simples députés n'auraient pas su avec certitude si ni quand les exigences relatives au dessaisissement se seraient appliquées à eux. Cela étant, on comprend peut-être mieux pourquoi un comité composé de simples députés et de sénateurs les a rejetés(26).

LA PORTÉE DES CONFLITS D'INTÉRÊTS

   A. Expérience observée dans les provinces

L'examen des rapports annuels de la Commission sur les conflits d'intérêts de l'Ontario et du Commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique est révélateur. Ces rapports résument brièvement certaines des questions soumises aux commissaires et les décisions rendues. Fait intéressant, beaucoup de ces questions n'ont aucun rapport avec le conflit d'intérêts tel qu'il est défini et réglementé par la loi applicable. La plupart portent au contraire sur la façon dont les législateurs doivent se conduire dans les affaires non liées à leurs intérêts personnels ni à ceux de leur famille, même si leur conduite est au coeur des lois sur les conflits d'intérêts de l'Ontario et de la Colombie-Britannique.

On peut conclure que, bien que les législateurs se trouvent inévitablement en situation de conflits d'intérêts réels ou possibles dans l'exercice de leurs fonctions, un nombre encore plus grand de cas relèvent plus de la convenance générale, du bon sens (et du flair politique) et de l'importance de ne pas être — ni sembler être — indûment partial dans ses décisions. Il s'ensuit que les commissaires, du moins ceux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, font plus, semble-t-il, que simplement conseiller les parlementaires et réglementer les conflits d'intérêts. En agissant ainsi, ils comblent sans le moindre doute une lacune et rendent un très grand service aux législateurs.

Même si l'adoption d'une loi sur les conflits d'intérêts et les mesures de contrôle qu'elle impliquerait rassurait le public, l'expérience observée en Ontario et en Colombie-Britannique donne à penser que les législateurs ont besoin d'une aide plus étendue que celle que la Commission est techniquement habilitée à leur procurer. La création de comités d'éthique (comme aux États-Unis) et d'autres mécanismes, comme le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, illustrerait la nécessité de ce genre de soutien. À défaut d'autres sources de conseils à caractère général, la Commission des conflits d'intérêts pourrait être appelée à le faire, indépendamment de son mandat officiel. Ne pas répondre à ce besoin laisserait sans ressource les législateurs perplexes devant un dilemme d'éthique.

   B. La perception et la réalité

Comme nous l'avons signalé plus haut, les commissaires aux conflits d'intérêts de l'Ontario et de la Colombie-Britannique sont consultés sur un éventail de questions beaucoup plus large qu'on ne le soupçonnerait à la simple lecture des lois qui les régissent. Mais jusqu'où ces lois vont-elles sur le plan technique, et jusqu'où un projet de loi fédéral ou un Code non statutaire irait-il pour faire obstacle à ce que le public considérerait probablement comme des conflits d'intérêts? La réponse est que le conflit d'intérêts (tels qu’ils sont conçus dans les diverses propositions fédérales et tel qu'ils sont définis dans les lois provinciales) accordent beaucoup moins de place à l'éthique que beaucoup le prétendent. Par conséquent, le public pourrait être désillusionné s'il arrivait que des cas échappent à la loi et que le commissaire refuse de se prononcer ou d'intervenir ou qu'un parlementaire mette en doute son pouvoir de le faire.

La faible portée des conflits d'intérêts, tels qu'on les conçoit actuellement, ressort clairement de deux exemples théoriques basés sur les projets de loi présentés au Parlement par le gouvernement fédéral au cours des dernières législatures :

  • Si un ministre faisait en sorte qu'un contrat soit octroyé à une entreprise dans laquelle son enfant mineur détenait des actions, il y aurait eu conflit d'intérêts. Mais s'il faisait en sorte que le contrat soit octroyé à sa fille majeure ou à une ancienne relation d'affaires, il n'aurait pas contrevenu, semble-t-il, aux projets de loi. On peut cependant prévoir sans trop risquer de se tromper que le public y aurait vu du favoritisme indu et un accroc aux principes d'éthique. (Il est à noter que, à l'heure actuelle, le Code interdit aux ministres et à leur ministères d'octroyer des contrats à des membres de leur famille immédiate).

  • Si un député avait obtenu, en sa qualité de parlementaire, des renseignements auxquels le public n'aurait pas eu accès et s'en était servi pour réaliser un gain à la bourse, ou s'il les avait communiqués à son (sa) conjoint(e) afin qu'il (elle) réalise un tel gain, il y aurait eu un conflit d'intérêts. Par contre, si, dans les mêmes circonstances, il les avait communiqués à un ami, un partisan ou une ancienne relation d'affaires, il n'y aurait pas eu de conflit d'intérêts, au sens strict des projets de loi. Pourtant, aux yeux de beaucoup de citoyens, une telle conduite serait sans doute tout aussi contraire que l'autre à l'éthique(27).

Pourquoi des règles conçues pour amener le public à faire davantage confiance à ses législateurs devraient-elles conduire à des conclusions aussi éloignées de l'objectif visé? La réponse réside peut-être dans le fossé béant qui sépare les principes d'éthique généraux énoncés comme objectifs des règles, d'une part, et la portée souvent faible des règles elles-mêmes, d'autre part. Le libellé des obligations que les projets de loi présentés au Parlement lors des législatures antérieures auraient imposées aux parlementaires comportait des phrases telles que « assurer la confiance du public en leur intégrité personnelle » et fixait pour objectif aux parlementaires « d'agir d'une manière qui soutienne l'examen public le plus minutieux ». Le public attend donc d'eux qu'ils respectent ces normes éthiques générales; si les normes sont énoncées de manière restrictive et si elles sont considérées comme des exigences purement techniques — et maximales plutôt que minimales — ne serait-ce que par un petit nombre de parlementaires, l'objectif d'accroître la confiance du public ne sera pas atteint.

La décision rendue en décembre 1994 par le commissaire à la déontologie de l'Alberta illustre bien le problème(28). L'allégation était la suivante : le ministre des Transports et des Services d'utilité publique avait enfreint la loi en confiant le contrat de construction de son entrée à une entreprise avec qui le gouvernement avait conclu des marchés de plus de 28 millions de dollars. Le commissaire a statué qu'il n'y a pas eu infraction à la loi parce que le travail exécuté ne correspondait pas à un cadeau offert au ministre, que le prix demandé était raisonnable et que le ministre n'a pas été en mesure personnellement d'accorder une faveur au nom de l'entrepreneur. Reconnaissant toutefois qu'on pouvait avoir l'impression qu'une faveur avait été accordée et rendue, le commissaire a proposé que des lignes de conduite soient établies à l'intention des ministres qui octroient des contrats à des entreprises qui transigent avec leur ministère.

Même s'il a statué qu'il n'y avait pas eu infraction à la loi, le commissaire a jugé que le ministre n'avait pas été franc avec lui. Il a recommandé que l'assemblée législative modifie la loi de manière à obliger les ministres à fournir au bureau du commissaire tous les renseignements requis lors d'une enquête. Ainsi, même si, techniquement, la loi n'a pas été violée, les règles d'éthique les plus rigoureuses n'ont pas été respectées de sorte qu'il y a eu apparence de conflit. Le ministre a été démis de ses fonctions par le premier ministre Klein.

Comme nous l'avons expliqué plus haut, le principe de l'impartialité sous-tend les règles sur les conflits d'intérêts. Le problème illustré par les exemples donnés précédemment (et par la décision dont il est question ci-après) est que l'on connaît mal la portée du principe de l'impartialité. À un bout du spectre, il stipule que les législateurs ne peuvent pas agir avec impartialité s'ils sont en mesure de profiter financièrement et personnellement de leurs décisions.

L'interdiction qui frappe les gains financiers personnels a été étendue aux conjoints et aux enfants à charge des titulaires de charge publique, mais pas aux autres membres de leur famille, ni à leurs amis, relations d'affaires, etc., en tout cas, pas de manière générale(29). Mais le principe de l'impartialité exige une approche large, du moins en certaines circonstances, puisque les citoyens étant censés être tous égaux devant le gouvernement, aucun ne devrait profiter plus que les autres de ses rapports avec un titulaire de charge publique(30).   Les écueils commencent à émerger lorsqu'on tente d'établir jusqu'où les règles existantes ou proposées vont ou peuvent aller — et jusqu'où elles devraient aller, compte tenu de l'évolution des attentes des citoyens.

Plus les règles ou les situations auxquelles elles s'appliqueraient sont restrictives, et plus on risque de ne pas accroître la confiance du public. Voilà qui ne réjouira pas les législateurs persuadés que si une loi sur les conflits d'intérêts est adoptée, les règles préciseront (ou devraient préciser) ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas. Bien que souhaitable, une telle précision est probablement impossible à atteindre, étant donné la myriade de situations qui pourraient vraisemblablement présenter un risque de conflits d'intérêts et la nécessité de prendre dans chaque cas une décision qui ne trahisse pas l'objectif des règles.

Lorsqu'on interprétera les interdictions générales, certaines activités seront clairement proscrites alors que dans d'autres cas, cela dépendra des circonstances. L'avertissement suivant, donné par le Commissaire de la Colombie-Britannique et qui figure à l'annexe A de son rapport annuel pour 1992-1993, est éclairant. Il est donné dans le cadre d'un avis fourni aux députés à l'Assemblée législative relativement à leurs activités comme membres ou administrateurs d'organismes communautaires sans but lucratif ou de titulaires d'une charge quelconque au sein de ces organismes ou relativement au soutien qu'ils leur accordent :

Comme chaque cas peut avoir ses circonstances et caractéristiques particulières, le commissaire doit l'évaluer au moment précis où il se présente. Il lui est beaucoup plus facile de se prononcer sur des faits connus. J'insiste donc sur le fait qu'une réponse à une question abstraite ou hypothétique ne doit pas être tenue pour irrévocable, mais doit toujours pouvoir être modifiée au fur et à mesure que les faits précis sont révélés (traduction).

   C. L'affaire Blencoe

L'interprétation et l'application de la loi peuvent prendre un tour tout à fait inattendu, même lorsque les règles semblent claires. La présente étude serait donc incomplète sans une analyse de deux opinions du Commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique (31). Dans la première, le commissaire a conclu que Robin Blencoe, ministre des Affaires municipales de la province, était en conflit d'intérêts apparent à l'égard d'un important projet immobilier devant être mis en chantier dans l'île de Vancouver.

      1. Les faits et les conclusions

Deux des personnes engagées dans le projet avaient participé activement à la dernière campagne électorale du ministre et avaient chacune contribué une somme expressément destinée à sa circonscription. L'une était assez faible, mais l'autre était qualifiée de « considérable ». L'une de ces personnes avait de plus été l'agent officiel du ministre pendant la campagne. Étant donné ces faits (et d'autres activités politiques favorables au ministre avant et durant la campagne), le commissaire a jugé qu'étant donné sa participation antérieure au processus d'approbation du projet et le rôle qu'il prévoyait encore y jouer, le ministre avait dans cette affaire un intérêt personnel, et il a conclu qu'il était en conflit d'intérêts apparent(32).

Plusieurs aspects de la décision sont particulièrement intéressants. Le premier est la façon dont le commissaire a traité de l'expression «intérêt personnel»(33). Il a soutenu qu'il ne s'agit pas uniquement de gains financiers, mais de tout avantage tangible pour un député. Ce faisant, il a pris le contre-pied de jugements rendus par les tribunaux et de certaines définitions usuelles voulant que les conflits d'intérêts impliquent essentiellement un intérêt personnel exprimable en termes financiers(34).  En effet, le ministre ne détenait aucun intérêt financier, immédiat ou futur, dans ce projet immobilier.

Deuxièmement, le commissaire a estimé que l'intérêt personnel peut consister en avantages reçus antérieurement. Autrement dit, une décision récente prise en remerciement de faveurs antérieures pourrait aussi mettre son auteur en conflit d'intérêts. En l'occurrence, les faveurs qui constituaient l'intérêt personnel du ministre étaient les contributions au financement de sa campagne électorale et les services que lui avaient rendus pendant la campagne les deux personnes engagées dans le projet. Le commissaire n'a pas dit que les contributions financières ou autres à la campagne d'un candidat constituent toujours un intérêt personnel, mais qu'elles peuvent être vues comme tel lorsqu'elles lui procurent un avantage particulier.

Le fait de recevoir un avantage personnel quelconque donne lieu à un conflit d'intérêts illicite lorsque le bénéficiaire a la possibilité de conférer lui aussi, à charge de revanche, un avantage ou un gain à son bienfaiteur. Le commissaire a jugé que le ministre était en conflit d'intérêts apparent pour avoir posé trois gestes : il était intervenu pour hâter l'approbation du projet, il avait versé une subvention à l'administration municipale pour financer d'autres études nécessaires pour que la Ville donne son approbation générale au projet et il avait rencontré les promoteurs du projet. (Il faut dire que le ministre avait rencontré tant les adversaires du projet que ses partisans.)

Enfin, dans des observations qui n'ont pas trait au coeur de l'affaire, mais qui n'en sont pas moins intéressantes, le commissaire, comme nous l'avons dit plus haut, a jugé qu'un législateur peut être réputé avoir un intérêt personnel dans une affaire même si l'avantage échoit à un tiers, précisant qu'il peut s'agir de conjoints (mentionnés dans la plupart des lois sur les conflits d'intérêts), d'autres membres de la famille, d'amis intimes et peut-être même de relations d'affaires.

      2. L'enseignement à tirer de la décision rendue

Il semblerait que le commissaire soit allé plus loin, dans sa façon de traiter des conflits d'intérêts, que la loi et la jurisprudence en la matière ne le laissaient prévoir. En effet, le premier ministre de la province a réagi à sa décision dans les termes suivants : « M. Hughes [le commissaire] a relevé la barre de beaucoup »(35).

On aurait cependant mauvaise grâce à blâmer le commissaire d'avoir agi en tenant compte de ce que les politiciens avaient dit des conflits d'intérêts. Après avoir analysé minutieusement les interventions faites par les députés au cours d'un débat sur la question à l'Assemblée législative, il a conclu que la loi avait été adoptée

pour accroître la confiance des citoyens en leurs représentants élus pour la conduite des affaires publiques. Étant donné le niveau auquel elle est tombée ces dernières années, je conclus que l'on jugeait et que l'on juge toujours cet objectif nécessaire. [...] [En prenant ma décision,] je veillerai à arriver à une conclusion conforme au but premier de la loi — qui est de rétablir la confiance des citoyens dans la façon dont les politiciens qui ont su gagner leur appui aux élections s'occupent des affaires de leurs électeurs(36).

La décision du commissaire a découlé du fait que le public avait vu dans la conduite du ministre des éléments d'iniquité, à savoir un traitement de faveur; elle est fondée sur le principe selon lequel la décision relative à une affaire ne doit pas être basée sur des facteurs sans rapport avec le bien-fondé propre de l'affaire. La décision du commissaire était parfaitement conforme au principe de l'impartialité dont on a fait, comme nous l'avons souligné plus haut, l'un des principes de base de toute règle sur les conflits d'intérêts. Comme nous l'avons signalé, personne ne sait vraiment, actuellement, jusqu'où exactement il y aurait lieu de pousser l'impartialité, et la question fait encore l'objet d'un débat public. Ce qu'il importe surtout de savoir, c'est jusqu'où va le principe de l'impartialité lorsque des décisions sont prises par favoritisme et jusqu'où peut aller la relation des ministres (et peut-être aussi des Cabinets) avec leurs partisans et, à plus forte raison, leur reconnaissance envers eux(37).

Donc, la réaction du premier ministre à la décision du commissaire (« il a relevé la barre ») et la raison de la décision (les conflits d'intérêts résultent de l'absence d'impartialité) sont toutes deux compréhensibles.

La décision Blencoe a avalisé de plus la notion selon laquelle les commissaires aux conflits d'intérêts ont tendance à élargir les conceptions limitatives du « conflit d'intérêts » afin qu'elles fassent intervenir des questions d'éthique plus complexes. C'est en ce sens que le commissaire a servi les fins premières de la loi.

Sa décision soulève des questions très intéressantes. Le fait d'englober dans l'« intérêt personnel » des intérêts autres que pécuniaires, des avantages déjà reçus ainsi que les contributions versées et les services rendus dans le cadre d'une campagne électorale pourrait influer sur bien d'autres cas. Par exemple, il est fréquent que des lobbyistes participent aux courses à la direction et aux campagnes électorales des principaux partis fédéraux. En vertu des règles sur les conflits d'intérêts comment les ministres devront-ils agir par la suite, lorsque les mêmes lobbyistes feront des démarches auprès du gouvernement(38)? Comment devront-ils agir lorsque des partisans auront l'occasion de profiter de leurs décisions? Et quelle devrait être la réaction du Cabinet?

Un jour, les simples députés devront peut-être se poser les mêmes questions. En effet, à l'heure actuelle, la discipline de parti et la définition étroite de leurs fonctions à titre de représentants balisent relativement bien leur rôle. Mais si la discipline de parti était assouplie et que leurs fonctions de représentants élus étaient plus étroitement tributaires de la volonté de leurs commettants, ils pourraient eux aussi être soumis à des pressions croissantes de la part des lobbyistes (comme c'est le cas aux États-Unis), ce qui pourrait les exposer au risque de conflit d'intérêts et les forcer à se poser des questions du même ordre.

Le Commissaire de la Colombie-Britannique a soutenu que l'intérêt personnel du député pouvait ne pas être que pécuniaire et pouvait même consister en l'appui reçu pendant une campagne électorale. Dans le cas Blencoe, a-t-il signalé, les avantages possibles que pouvaient tirer les promoteurs du projet étaient nettement financiers. Cela signifie-t-il que l'intérêt pécuniaire demeure un élément essentiel de l'équation? Qu'arriverait-il si les avantages tirés par les partisans d'un ministre n'étaient pas d'ordre pécuniaire — une recommandation pour un prix, par exemple — ou s'ils l'étaient, mais indirectement, comme une nomination à un conseil ou à une commission? Si cette réciprocité est à l'origine de la décision, pourrait-on étendre le principe aux nominations faites par favoritisme(39)?

La décision du commissaire présente peut-être l'avantage de rappeler au public et aux législateurs que si la divulgation publique des intérêts financiers demeure le fondement de tout régime de contrôle des conflits d'intérêts, elle n'en constitue certainement pas tout l'édifice. Rien de ce que le ministre Blencoe aurait pu divulguer publiquement n'avait de rapport avec le type de conflit d'intérêts constaté par le commissaire.

   D. L'affaire Harcourt

Certaines questions laissées en suspens dans l'affaire Blencoe ont été tranchées par ce même commissaire dans sa décision suivante, qui visait le premier ministre de la province et une entreprise de communications active au sein du NPD qui avait obtenu des contrats du gouvernement(40). Dans la décision «Harcourt» rendue en avril 1995, le commissaire a reconnu qu'il était difficile de saisir le lien qui existe entre le favoritisme et le conflit d'intérêts. Il a toutefois déclaré qu'il était essentiel d'établir une distinction entre les deux :

En vertu de la loi [...] mon rôle consiste à déterminer si un parlementaire est en conflit d'intérêts réel ou apparent. La loi ne dit pas, que ce soit de manière explicite ou implicite, que je dois surveiller de près les décisions qui relèvent du favoritisme. Ainsi, il n'est pas de mon devoir de vérifier si les contrats gouvernementaux sont accordés en fonction de l'allégeance politique. Ce qui m'intéresse toutefois, c'est de savoir si une décision du gouvernement, dans laquelle un parlementaire a un rôle à jouer, est prise, ou est raisonnablement perçue comme ayant été prise, après qu'un avantage personnel (correspondant à un « intérêt personnel ») est conféré au parlementaire par une personne qui tirera parti de la décision. Cela correspond soit à un conflit d'intérêts réel, soit à un conflit d'intérêts apparent(41).

Selon le commissaire, les contributions qui sont versées dans le cadre d'une campagne électorale et qui procurent un avantage direct et particulier à un parlementaire, ainsi que l'octroi d'un contrat, pour services rendus, au donateur en question peuvent donner lieu à un conflit d'intérêts apparent. Il a statué que cela n'avait pas été le cas dans l'affaire Harcourt; pour cette raison, et pour plusieurs autres, le commissaire a jugé qu'il n'y avait pas eu infraction à la loi.

LE BUREAU DE RÉGIE INTERNE

Comme nous l'avons déjà mentionné, les commissaires aux conflits d'intérêts d'au moins quelques provinces sont appelés à se prononcer sur une large éventail de questions dont beaucoup n'ont pas de rapport direct avec les conflits d'intérêts. Au palier fédéral, l'administration d'une éventuelle loi ou d’un Code de conduite non statutaire sur les conflits d'intérêts et tout élargissement consécutif du mandat d’un jurisconsulte pourraient causer des difficultés particulières en ce qui concerne le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, qui, en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada, est le seul organisme habilité à décider si les fonds, biens, services et locaux fournis aux députés aux fins de l'exercice de leurs fonctions parlementaires sont utilisés de façon convenable(42). Ainsi, l'interprétation de l'expression « fonctions parlementaires » a, du moins en partie, été laissée au Bureau, lequel voudra sans doute conserver son autorité en la matière et peut-être même en déduire qu'il a aussi celui de définir les fonctions parlementaires à toute autre fin.

Les lois de l'Ontario et de la Colombie-Britannique sur les conflits d'intérêts comportent toutes deux une disposition précisant que « La présente loi n'interdit pas les activités qu'exercent normalement les membres pour le compte des électeurs »(43). Un certain nombre des décisions figurant dans le rapport annuel de 1992-1993 faisaient état de cette disposition(44). Ainsi, le commissaire a jugé qu'écrire une lettre d'encouragement en réponse à une soumission, transmettre des lettres au nom de commettants, signer des pétitions relatives à des affaires relevant du gouvernement fédéral ou communiquer avec des ministères ou organismes gouvernementaux pour obtenir des informations générales constituent des activités parlementaires normales, mais non le fait d'agir à titre d'observateur dans le cadre d'élections dans un pays étranger. Cela ne signifie que le gouvernement fédéral serait nécessairement en désaccord avec un jurisconsulte qui émettrait des avis semblables, mais simplement qu'il y pourrait y avoir chevauchement.

Par contre, un autre exemple émanant de l'Ontario se rapporte à un cas qui relèverait plus vraisemblablement de la compétence exclusive du Bureau de régie interne s'il se produisait au niveau fédéral parce qu'il concerne l'utilisation des locaux et services dont disposent les députés. Un adjoint de circonscription ayant demandé s'il pouvait utiliser le télécopieur du député pour expédier l'annonce classée d'un commettant à un journal de Toronto, le commissaire a statué qu'il pouvait l'utiliser pour envoyer des documents aux organismes gouvernementaux, car cela figure, dans la disposition citée plus haut, au nombre des activités auxquelles le député peut normalement se livrer au nom de ses commettants, mais que le fait d'envoyer aux médias des documents sans rapport avec les affaires officielles serait considéré comme une utilisation indue et inadmissible de la propriété du gouvernement(45).

Il semble certain qu'au niveau fédéral, les compétences respectives du Bureau de régie interne et d'une commission des conflits d'intérêts pourraient se chevaucher et peut-être même entrer en conflit. Le risque de conflit est encore plus grand du fait que la définition des « fonctions parlementaires » donnée par le Bureau de régie interne est très générale(46).

CONCLUSION

Dans le présent document, nous avons examiné certains des aspects les plus discutés et les plus délicats de la réglementation des conflits d'intérêts susceptibles d'avoir une certaine pertinence en ce qui concerne les parlementaires. Par contre, certains sujets non abordés sont également importants, et il conviendrait de les garder à l'esprit dans l'éventualité où la question réapparaîtrait à l'ordre du jour politique fédéral. Ce sont notamment les restrictions applicables aux ministres et secrétaires parlementaires en matière d'après-mandat, la mesure dans laquelle les conjoints devraient être visés par la réglementation sur les conflits d'intérêts et la réglementation sur les conflits d'intérêts d'autres titulaires de charge publique fédérale, comme les hauts fonctionnaires et les titulaires de nominations par décret.

Bien qu'il soit difficile d'élaborer une réglementation sur les conflits d'intérêts au niveau fédéral, l'expérience provinciale prouve que ce n'est pas impossible et, à notre avis, qu'il vaudrait la peine d'en établir une. Peut-être le gouvernement se fondera-t-il, au cours de la 36e législature, sur l'expérience acquise lors des précédentes et réussira-t-il à trouver le bon dosage entre la vie privée et la réglementation, à faire les distinctions qui s'imposent entre ministres et simples députés et à arrêter son choix sur une philosophie qui satisfasse tant un public de plus en plus sceptique, que des parlementaires désireux de rester dans le droit chemin sans devoir pour cela consentir à des sacrifices inadmissibles.


(1) Pour un survol du sujet, voir Les conflits d’intérêts : règles applicables aux législateurs fédéraux, Bulletin d’actualité 79-3F, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement.

(2) Il importe de signaler que les fonctionnaires sont maintenant exclus de l'application de ce code.

(3) Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes relatif aux conflits d'intérêts, Rapport, juin 1992, p. 8, ci-après appelé « Premier Comité mixte spécial, Rapport ».

(4) Comité mixte spécial sur un code de conduite, Rapport, mars 1997, p. 4 (ci-après, le deuxième Comité mixte, Rapport).

(5) Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens, Approvisionnements et Services Canada, 1987, p. 31-37, ci-après appelé « Rapport Parker ».

(6) Ibid., p. 30.

(7) Projet de loi C-43, 3e session, 34e législature, paragraphe 2(2).

(8) Loi sur l'intégrité des membres de l'Assemblée, L.O. 1994, chapitre 38, article 2.

(9) L'article 2.1 du Members' Conflict of Interest Act, S.B.C. 1990, chapitre 54, chapitre 255.7 de l'Index, prévoit ce qui suit : « Un député qui est en conflit d'intérêts réel ou apparent n'exerce aucun des pouvoirs et n'exécute aucun des devoirs ou fonctions officiels de sa charge » (traduction).

(10) Premier comité mixte spécial, Rapport, projet de dispositions, article 4.

(11) Deuxième Comité mixte spécial, Rapport, p. 6 (version du Sénat), p. 7 (version de la Chambre).

(12) Seul le Québec n'exige pas des simples députés qu'ils divulguent leurs intérêts personnels.

(13) Comité mixte spécial, Procès-verbaux et témoignages, 3e session, 34e législature, fascicule n° 16, p. 17, ci-après appelé Premier Comité mixte spécial, Témoignages.

(14) The Hill Times, 11 novembre 1993, p. 15 (traduction).

(15) Au palier fédéral, l'ancien gouvernement aurait préféré confier l'administration du régime proposé à une Commission des conflits d'intérêts composée de trois membres, tandis que le Comité mixte spécial relatif aux conflits d'intérêts proposait d'en charger une seule personne appelée « jurisconsulte ». Dans certains corps législatifs, un « commissaire » est nommé à cette fonction alors que dans d'autres, on appelle cette personne « Commissaire à la déontologie ».

(16) Voir, par exemple, Rapport Parker, p. 372.

(17) Le terme « entière » accompagne presque toujours l'expression, mais il existe un nombre considérable d'intérêts purement personnels (résidences, voitures, chalets) ou d'intérêts très peu susceptibles de causer des conflits d'intérêts (Obligations d'épargne du Canada, CIG) qui sont exemptés et qu'il n'est pas nécessaire de divulguer publiquement.

(18) Premier Comité mixte spécial, Témoignages, fascicule n° 6, p. 22 et 23.

(19)Committee on Standards in Public Life, Standards in Public Life, premier rapport, président, Lord Nolan, mai 1995, c. 2, par. 40 (traduction).

(20) Ibid., fascicule n° 1, p. 16.

(21) Deuxième Comité mixte spécial, Rapport, p. 7.

(22) Rapport Parker, p. 380.

(23) Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial relatif au projet de loi C-116, Conflits d'intérêts, 3e session, 34e législature, fascicule n° 4, p. 9.

(24) Voir projet de loi C-43, paragraphe 10(2) : « La Commission peut notamment recommander la constitution d'une fiducie selon les modalités qu'elle juge indiquées ».

(25) Ibid., alinéa 3c).

(26) Il est intéressant de noter que même si le juge Parker a déploré l'ambiguïté du Code à l'égard des moyens de contrôle et des circonstances dans lesquelles leur utilisation est indiquée, les projets de loi présentés par le gouvernement étaient beaucoup plus vagues; abstraction faite du principe général énoncé ci-dessus, ils ne prévoyaient pour toute mesure de contrôle que la divulgation publique et faisaient référence une seule fois aux fiducies.

(27) Les deux Comités mixtes spéciaux auraient interdit que de tels renseignements soient communiqués à qui que ce soit.

(28) Robert C. Clark, commissaire à la déontologie, Ivestigation Relating to Alleged Benefit Received by the Hon. Peter Trynchy, Minister of Transportation and Utilities, 14 décembre 1994.

(29) Il est intéressant de noter que d'après une décision rendue récemment par le Commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique (que nous exposons plus loin dans les détails), les intérêts personnels de tiers peuvent être assimilés à ceux du législateur s'il peut lui-même profiter indirectement du gain réalisé par le tiers. Si cette optique devait prévaloir de façon générale, on pourrait conclure au conflit d'intérêts dans les deux exemples théoriques donnés au début de la présente partie.

(30) Bien que l'actuel gouvernement libéral n'ait pas modifié le Code en profondeur, il est intéressant de noter que le « principe de l'impartialité » a été renforcé par, entre autres, l'interdiction d'octroyer des contrats à la famille du ministre et par l'ajout du principe énoncé au paragraphe 3(3) intitulé « Décisions » : les titulaires de charge publique, dans l'exercice de leurs fonctions et responsabilités officielles, doivent prendre des décisions dans l'intérêt du public, en toute objectivité.

(31) Opinion du Commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique sur une allégation de contravention au Members' Conflict of Interest Act par l'honorable Robin Blencoe, ministre des Affaires municipales, des Loisirs et du Logement, 16 août 1993, ci-après appelée « Décision Blencoe ».

(32) Aucune autre province ne s'est dotée d'une définition du conflit d'intérêts qui comprend expressément le « conflit d'intérêts apparent », mais il est défini dans le Code actuel, et la définition proposée dans les projets de loi présentés au Parlement fédéral de 1988 à 1993 semblerait assez large pour englober ce type de conflit.

(33) Dans la loi de la Colombie-Britannique, l'expression « intérêt personnel » est définie dans la forme négative, c'est-à-dire comme n'incluant pas l'intérêt dans une décision ayant un effet public général qui s'appliquerait au parlementaire en tant que membre d'un large groupe d'électeurs ou ayant un effet sur sa rémunération et ses avantages sociaux. Cette approche est retenue dans d'autres lois et l'était aussi dans les projets de loi du gouvernement fédéral. (Il y a une exception intéressante : la définition de l'« intérêt personnel » proposée par le premier Comité mixte spécial relatif aux conflits d'intérêts aurait apparemment empêché le commissaire d'en venir à la conclusion rendue dans l'affaire Blencoe.)

(34) La Commission Parker a défini le conflit d'intérêts comme étant « une situation dans laquelle un ministre de la Couronne a connaissance d'un intérêt pécuniaire privé suffisant pour influer sur l'exercice de ses fonctions et responsabilités officielles » (Rapport, p. 31, c'est nous qui soulignons). Le juge Parker s'inspirait ici d'un Livre vert publié par le gouvernement fédéral en 1973 et où l'on traite d'« intérêt pécuniaire privé ».

(35) Vancouver Sun, 20 août 1993, p. A14 (traduction). M. Harcourt a confié le projet de développement immobilier à un autre ministre (comme le prévoit la loi de la Colombie-Britannique), mais a refusé de démettre M. Blencoe de ses fonctions en déclarant que les erreurs du ministre ne lui auraient pas permis de réaliser des gains personnels. Fait à noter : les rédacteurs des projets de loi sur les conflits d'intérêts présentés par le gouvernement fédéral ont rejeté l'idée de déléguer le pouvoir d'un ministre de prendre une décision à un autre ministre. Il est donc difficile de dire comment un cas similaire survenant au niveau fédéral serait réglé.

(36) Décision Blencoe, p. 22 (traduction).

(37) Pour une excellente analyse des fondements constitutionnels du principe de l'impartialité et de la façon dont il sous-tend et détermine le traitement des conflits d'intérêts, voir Ian Greene, « Conflict of Interest and the Canadian Constitution: An Analysis of Conflict of Interest Rules for Canadian Cabinet Ministers », Revue canadienne de science politique, vol. 23, p. 233-256, juin 1990.

(38) Dans le cas Blencoe, le commissaire a estimé que comme les promoteurs avaient déjà aidé le ministre lors de sa campagne, et que le fait de les rencontrer le plaçait en conflit d'intérêts apparent, même s'il rencontrait par la même occasion les adversaires du projet.

(39) Il convient de noter que le public s'est toujours montré critique à l'égard des raisons pour lesquelles il croit que certaines nominations par décret sont faites. Ce qui est certain, c'est que là encore, le principe de l'impartialité y est pour quelque chose.

(40) Dans l'affaire Applications by Jack Weisberger, Member of the Legislative Assembly for Peace River South, and by Kim Emerson with respect to Alleged Contravention of Provisions of the Members' Conflict of Interest Act by the Honourable Michael Harcourt, Member of the Legislative Assembly for Vancouver-Mount Pleasant, 17 avril 1995.

(41) Ibid., p. 27 (traduction).

(42) Loi sur le Parlement du Canada, L.R. 1985, chapitre P-1, article 52.6. Au Sénat, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a le même mandat, sous réserve de l'approbation du Sénat.

(43) Loi sur l'intégrité des membres de l'Assemblée, L.O. 1994, chapitre 38, article 5. Il est intéressant de noter que la loi de l'Ontario précise que les activités exercées doivent être conformes à la convention parlementaire de l'Ontario. Members' Conflict of Interest Act, S.B.C., chapitre 54, chapitre 255.7 à l'Index, article 5. Le libellé du projet de loi C-116, le dernier des quatre projets de loi sur le conflit d'intérêts présentés par le gouvernement fédéral lors des dernières législatures, posait le même problème que celui de ces deux articles de lois provinciales. Il comportait aussi des dispositions qui auraient fait participer directement le jurisconsulte (l'équivalent de la Commission pour les députés et sénateurs non membres du Cabinet) à l'examen de certaines questions relatives aux frais de voyage payés par la Chambre des communes.

(44) Des questions du même ordre sont traitées dans les rapports annuels du Commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique.

(45) Ontario, Commission des conflits d'intérêts, Rapport annuel 1992-1993, p. 10.

(46) Règlements administratifs d'application de la Loi sur le Parlement du Canada, avril 1993, règlement 101 : « `fonctions parlementaires' ... [désigne] Les obligations et activités qui se rattachent à la fonction de député, où qu'elles soient exécutées, y compris les affaires publiques et officielles et les questions partisanes. Ne sont compris[es] dans les fonctions parlementaires les activités relatives aux intérêts commerciaux privés du député ou de sa proche famille ».